Language of document : ECLI:EU:C:2014:2151

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 septembre 2014 (*)

«Recours en annulation – Action extérieure de l’Union européenne – Accords internationaux – Protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion – Négociations relatives à une convention du Conseil de l’Europe – Décision du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres autorisant la participation conjointe de l’Union et de ses États membres aux négociations – Article 3, paragraphe 2, TFUE – Compétence externe exclusive de l’Union»

Dans l’affaire C‑114/12,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 1er mars 2012,

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, P. Hetsch et L. Gussetti ainsi que par Mme J. Samnadda, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

soutenue par:

Parlement européen, représenté par MM. R. Passos et D. Warin, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. H. Legal, J.‑P. Hix et F. Florindo Gijón ainsi que par Mme M. Balta, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, E. Ruffer et D. Hadroušek ainsi que par Mme J. Králová, en qualité d’agents,

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. T. Henze, B. Beutler et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme C. Wissels et M. J. Langer, en qualité d’agents,

République de Pologne, représentée, initialement par MM. M. Szpunar, B. Majczyna et M. Drwięcki ainsi que par Mme E. Gromnicka, puis, par ces trois derniers, en qualité d’agents,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme C. Murrell, en qualité d’agent, assistée de M. R. Palmer, barrister,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts (rapporteur), vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, E. Juhász, A. Borg Barthet, C. G. Fernlund et J. L. da Cruz Vilaça, présidents de chambre, MM. A. Rosas, J. Malenovský, Mme A. Prechal, MM. E. Jarašiūnas, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 septembre 2013,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 avril 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande l’annulation de la décision du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil du 19 décembre 2011 concernant la participation de l’Union européenne et de ses États membres aux négociations relatives à une convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion (ci-après la «décision attaquée»).

 Le cadre juridique

 Le droit international

2        La convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, faite à Rome le 26 octobre 1961 (ci-après la «convention de Rome»), a instauré, à son article 13, pour la première fois à l’échelle internationale, des droits voisins du droit d’auteur, pour les organismes de radiodiffusion en ce qui concerne la fixation de leurs émissions. Cette convention, à laquelle l’Union européenne n’est pas partie, a également consacré, à son article 1er, le principe, repris dans les conventions ultérieures en matière de droits voisins, selon lequel la protection accordée aux titulaires de tels droits ne doit pas affecter le droit qu’un auteur peut détenir sur l’œuvre diffusée dans le cadre d’une émission, enregistrée par des producteurs de disques ou exécutée par des artistes interprètes ou exécutants.

3        L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui constitue l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), réglemente également, à son article 14, paragraphes 3, 5 et 6, les droits voisins des organismes de radiodiffusion. À l’instar de la convention de Rome, il concerne exclusivement la radiodiffusion classique au moyen des ondes radioélectriques.

4        Pour leur part, le traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur et le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adoptés à Genève le 20 décembre 1996 et approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6), renforcent les droits des auteurs, des producteurs de phonogrammes et des artistes interprètes ou exécutants dans le contexte des nouvelles technologies numériques, mais non ceux des organismes de radiodiffusion.

 Le droit de l’Union

 La directive 92/100/CEE, codifiée par la directive 2006/115/CE

5        La directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 346, p. 61), a, pour la première fois en droit de l’Union, régi les droits voisins des organismes de radiodiffusion. Cette directive a été codifiée et abrogée par la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 376, p. 28). 

6        Sous l’intitulé «Droit de fixation», l’article 7 de la directive 2006/115 dispose à ses paragraphes 2 et 3:

«2.      Les États membres prévoient pour les organismes de radiodiffusion le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la fixation de leurs émissions, qu’elles soient diffusées sans fil ou avec fil, y compris par câble ou par satellite.

3.      Le droit prévu au paragraphe 2 n’est pas prévu pour un distributeur par câble, lorsque celui-ci se borne à retransmettre par câble des émissions d’organismes de radiodiffusion.»

7        Sous l’intitulé «Radiodiffusion et communication au public», l’article 8 de ladite directive prévoit, à son paragraphe 3:

«Les États membres prévoient pour les organismes de radiodiffusion le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la rediffusion de leurs émissions par le moyen des ondes radioélectriques, ainsi que la communication au public de leurs émissions lorsque cette communication est faite dans des lieux accessibles au public moyennant paiement d’un droit d’entrée.»

8        Sous l’intitulé «Droit de distribution», l’article 9 de la même directive énonce:

«1.      Les États membres prévoient un droit exclusif de mise à la disposition du public des objets visés aux points a) à d), y compris de copies, par la vente ou autrement, ci-après dénommé ‘droit de distribution’:

[...]

d)      pour les organismes de radiodiffusion, en ce qui concerne les fixations de leurs émissions, au sens de l’article 7, paragraphe 2.

2.      Le droit de distribution relatif à un objet visé au paragraphe 1 n’est épuisé dans la Communauté qu’en cas de première vente dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement.

3.      Le droit de distribution s’entend sans préjudice des dispositions spécifiques du chapitre Ier, et notamment de l’article 1er, paragraphe 2.

4.      Le droit de distribution peut être transféré, cédé ou donné en licence contractuelle.»

9        L’article 10 de la directive 2006/115 définit les cas dans lesquels les États membres peuvent prévoir des limitations de ces différents droits.

10      Aux termes de l’article 12 de ladite directive, «[l]a protection des droits voisins du droit d’auteur par la présente directive n’affecte en aucune façon la protection du droit d’auteur.»

 La directive 93/83/CEE

11      Les droits voisins des organismes de radiodiffusion sont également régis par la directive 93/83/CEE du Conseil, du 27 septembre 1993, relative à la coordination de certaines règles du droit d’auteur et des droits voisins du droit d’auteur applicables à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble (JO L 248, p. 15).

12      Sous l’intitulé «Définitions», l’article 1er de ladite directive dispose, à son paragraphe 2, sous a):

«Aux fins de la présente directive, on entend par ‘communication au public par satellite’ l’acte d’introduction, sous le contrôle et la responsabilité de l’organisme de radiodiffusion, de signaux porteurs de programmes destinés à être captés par le public dans une chaîne ininterrompue de communication conduisant au satellite et revenant vers la terre.»

13      L’article 4, paragraphe 1, de la même directive renvoie aux dispositions pertinentes de la directive 92/100, par la suite codifiée et abrogée par la directive 2006/115, en ce qui concerne la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion aux fins de la communication au public par satellite. Ledit article 4 précise, à son paragraphe 2, que, aux fins du paragraphe 1, l’expression «radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques» qui est employée dans cette dernière directive couvre également la communication au public par satellite.

14      L’article 5 de la directive 93/83 dispose que «[l]a protection des droits voisins du droit d’auteur au titre de la présente directive ne porte pas atteinte et ne modifie en aucune façon la protection conférée par le droit d’auteur.»

 La directive 2001/29/CE

15      La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10), réglemente aussi les droits voisins des organismes de radiodiffusion.

16      Sous l’intitulé «Droit de reproduction», l’article 2 de cette directive énonce:

«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction, directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

[...]

e)      pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.»

17      Sous l’intitulé «Droit de communication d’œuvres au public et droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés», l’article 3 de ladite directive prévoit:

«1.      Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

2.      Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement:

[...]

d)      pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.

3.      Les droits visés aux paragraphes 1 et 2 ne sont pas épuisés par un acte de communication au public, ou de mise à la disposition du public, au sens du présent article.»

18      L’article 5 de la même directive précise les cas dans lesquels les États membres peuvent prévoir des exceptions ou des limitations au droit de reproduction.

19      L’article 6 de la directive 2001/29 régit les «[o]bligations relatives aux mesures techniques».

20      L’article 7 de ladite directive régit les «[o]bligations relatives à l’information sur le régime des droits».

21      L’article 8 de la même directive, intitulé «Sanctions et voies de recours», énonce:

«1.      Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.

2.      Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts et/ou demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue ainsi que, le cas échéant, demander la saisie du matériel concerné par l’infraction ainsi que des dispositifs, produits ou composants visés à l’article 6, paragraphe 2.

3.      Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.»

 La directive 2004/48/CE

22      La directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et rectificatif JO L 195, p. 16), dispose, à son article 1er, qu’elle «concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle».

23      Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, sous c), de cette directive, celle-ci n’affecte pas «l’ensemble des dispositions nationales des États membres relatives aux procédures pénales ou aux sanctions applicables en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle».

 La directive 2006/116/CE

24      La directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO L 372, p. 12), qui a codifié et abrogé la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de la protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO L 290, p. 9), dispose, à son article 3, paragraphe 4:

«Les droits des organismes de radiodiffusion expirent cinquante ans après la première diffusion d’une émission, que cette émission soit diffusée sans fil ou avec fil, y compris par câble ou par satellite.»

 Les antécédents du litige

 Les négociations en vue d’une convention du Conseil de l’Europe concernant les droits voisins des organismes de radiodiffusion

25      Le 11 septembre 2002, le Conseil de l’Europe a adopté la recommandation Rec(2002)7 sur des mesures visant à accroître la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion (ci-après la «recommandation de 2002»).

26      Par décision du 20 février 2008, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a chargé le comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication d’évaluer la faisabilité du renforcement de ces droits. Le 25 septembre 2008, le groupe ad hoc sur l’état des lieux relatif à la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion a rédigé un mémorandum sur une éventuelle convention du Conseil de l’Europe concernant cette protection (ci-après le «mémorandum de 2008»).

27      Ledit mémorandum comporte une annexe intitulée «Liste de questions possibles à examiner dans la préparation d’un nouvel instrument juridique», dont le contenu est le suivant:

«I.      Dispositions introductives et générales

–        Relation avec d’autres conventions et traités

–        Obligations existantes

–        Obligations futures

–        Relation avec la protection du droit d’auteur ou de droits voisins sur les émissions

–        Définitions

–        Points de rattachement

–        Traitement national

II.      Contenu de la protection

–        Droit de fixation

–        Droit de reproduction

–        Droit de rediffusion

–        Droit de mise à disposition

–        Droit de communication au public

–        Droit de distribution

–        Protection relative aux signaux porteurs de programmes prédiffusés

–        Limitations et exceptions

–        Durée de la protection

–        Obligations relatives aux mesures technologiques

–        Obligations relatives à l’information sur le régime des droits

–        Respect des droits

III.      Dispositions finales».

28      À la lumière du mémorandum de 2008, le comité directeur sur les médias et les nouveaux services de communication a décidé, le 27 mai 2009, d’approuver le mandat du groupe consultatif ad hoc sur la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion, puis, lors de sa réunion du 20 au 23 octobre 2009, de poursuivre les travaux sur l’élaboration d’une convention du Conseil de l’Europe portant sur cette protection.

29      Préalablement à la constitution dudit groupe, une réunion de consultation s’est tenue les 28 et 29 janvier 2010 pour préparer les futurs travaux de ce même groupe. Cette réunion a donné lieu à la rédaction d’un rapport (ci-après le «rapport de 2010»).

 La décision attaquée

30      Le 9 février 2011, la Commission a soumis au Conseil de l’Union européenne une recommandation pour une décision du Conseil l’autorisant à négocier la future convention du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion.

31      Le 19 décembre 2011, le Conseil et les représentants des gouvernements des États membres réunis en son sein ont adopté la décision attaquée, qui a été notifiée à la Commission le 21 décembre 2011.

32      La décision attaquée prévoit ce qui suit:

«Le Conseil [...] et les représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil,

Vu le [traité FUE], et en particulier son article 218, paragraphes 3 et 4,

Vu la recommandation de la Commission [...],

Considérant ce qui suit:

(1)      La Commission devrait être autorisée à participer, au nom de l’Union, pour ce qui concerne les matières relevant de la compétence de l’Union et pour lesquelles celle-ci a adopté des règles, aux négociations relatives à une convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion.

(2)      Les États membres ne devraient participer, en leur nom, à ces négociations que dans la mesure où les questions traitées dans le cadre desdites négociations relèvent de leur compétence. Dans le but d’assurer l’unité de la représentation extérieure de l’Union, il convient que les États membres et la Commission coopèrent étroitement durant le processus de négociation,

ont adopté la présente décision:

Article 1

1.      La Commission est autorisée par la présente décision à participer aux négociations en vue de l’adoption d’une convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion et à conduire ces négociations au nom de l’Union, pour les questions relevant de la compétence de l’Union et pour lesquelles l’Union a adopté des règles, en concertation avec le Groupe ‘Propriété intellectuelle’ (Droit d’auteur) (ci-après dénommé le ‘comité spécial’).

2.      La Commission conduit ces négociations conformément aux directives de négociation énoncées à l’annexe de la présente décision et/ou aux positions de l’Union ayant fait l’objet d’un accord et spécifiquement arrêtées aux fins desdites négociations au sein du comité spécial.

3.      Lorsque l’objet des négociations relève de la compétence des États membres, la Présidence participe pleinement aux négociations et les conduit au nom des États membres sur la base d’une position commune préalablement approuvée. Lorsqu’une position commune convenue ne peut être dégagée, les États membres sont habilités à s’exprimer et à voter à titre individuel sur la question concernée, sans préjudice du paragraphe 4 ci-dessous.

4.      La Commission et les États membres coopèrent étroitement au cours du processus de négociation, en vue d’assurer l’unité dans la représentation internationale de l’Union et de ses États membres.

5.      La Commission et/ou la Présidence veillent à ce que les documents relatifs aux négociations soient diffusés aux États membres en temps utile. Elles rendent compte au Conseil et/ou au comité spécial de manière ouverte et transparente sur le résultat des négociations avant et après chaque séance de négociation et, le cas échéant, sur tout problème susceptible de survenir durant les négociations.

Article 2

La Commission est destinataire de la présente décision.»

33      L’annexe de la décision attaquée établit les directives de négociation de la manière suivante:

«1.      La Commission s’assure que le projet de convention pour la protection des droits des organismes de radiodiffusion déposé par le Conseil de l’Europe contienne les dispositions appropriées permettant à l’Union [...] d’être partie à cette convention.

2.      La Commission mène les négociations de manière à garantir que les dispositions envisagées soient compatibles avec la directive 2006/115 [...], la directive 2006/116 [...], la directive 93/83 [...] et la directive 2001/29 [...] ainsi qu’avec les engagements pris par l’Union [...] et ses États membres dans le cadre de [l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce] conclu sous les auspices de l’OMC.

3.      Ces directives de négociation peuvent être adaptées en fonction des progrès réalisés en cours de négociation.»

34      Aux termes d’une déclaration relative à l’adoption de la décision attaquée, la Commission a, tout au long de la procédure ayant conduit à cette adoption, soutenu que l’Union dispose d’une compétence exclusive en la matière et s’est opposée à l’adoption d’un «acte hybride», adopté par le Conseil et les représentants des gouvernements des États membres.

 Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

35      La Commission demande à la Cour d’annuler la décision attaquée et de condamner le Conseil aux dépens.

36      Le Conseil conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.

37      Par ordonnance du président de la Cour du 14 août 2012, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil, tandis que le Parlement européen a été admis à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

38      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, le Conseil, soutenu par la République fédérale d’Allemagne et le Royaume des Pays-Bas, invite la Cour à examiner si le recours, en tant qu’il vise en partie une décision adoptée par les représentants des États membres en qualité de représentants de leur gouvernement, et non de membres du Conseil, relève du contrôle juridictionnel de la Cour prévu à l’article 263 TFUE.

39      À cet égard, il convient de rappeler que le recours en annulation doit être ouvert à l’égard de toutes les dispositions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêts Commission/Conseil, dit «AETR», 22/70, EU:C:1971:32, point 42; Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 13, ainsi que Commission/Conseil, C‑27/04, EU:C:2004:436, point 44).

40      En l’espèce, la décision attaquée, qui produit des effets juridiques dans les relations entre l’Union et ses États membres ainsi qu’entre les institutions de l’Union, a été adoptée sur le fondement de l’article 218, paragraphes 3 et 4, TFUE.

41      Par ailleurs, la décision attaquée regroupant les autorisations de négociation délivrées à la Commission, d’une part, et aux États membres ainsi qu’à la présidence du Conseil, d’autre part, il s’ensuit nécessairement que le Conseil a participé à l’octroi de l’une et de l’autre de ces autorisations. Partant, le recours est recevable à l’égard de la décision attaquée dans son ensemble.

 Sur le fond

42      La Commission développe quatre moyens au soutien de son recours.

43      Le premier moyen est pris d’une violation des articles 2, paragraphe 2, TFUE et 3, paragraphe 2, TFUE. Les trois autres moyens, invoqués indépendamment de la nature exclusive ou partagée des compétences de l’Union en l’espèce, sont tirés, respectivement, le deuxième, d’une violation des procédures et des conditions relatives à l’autorisation de la négociation des accords internationaux par l’Union, le troisième, d’une violation des règles de vote au Conseil prévues à l’article 218, paragraphe 8, TFUE et, le quatrième, d’une méconnaissance des objectifs définis dans les traités FUE et UE ainsi que du non-respect du principe de coopération loyale consacré à l’article 13 TUE.

 Sur le premier moyen

–       Argumentation des parties

44      Dans le cadre de son premier moyen, la Commission, soutenue par le Parlement, fait valoir que, en vertu de la jurisprudence développée à partir de l’arrêt AETR (EU:C:1971:32), à présent codifiée à l’article 3, paragraphe 2, TFUE, l’Union dispose d’une compétence externe exclusive lorsque, comme en l’espèce, les engagements internationaux relèvent, à tout le moins en grande partie, du domaine d’application de règles communes qu’elle a instituées.

45      En premier lieu, la Commission et le Parlement soutiennent que les négociations au sein du Conseil de l’Europe sur la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion prendront appui, notamment, sur l’acquis de l’Union en ce domaine. Passant en revue les différents éléments identifiés dans l’annexe du mémorandum de 2008, ils exposent les raisons pour lesquelles ces négociations risquent d’affecter les règles communes de l’Union dans ledit domaine, y compris lorsqu’elles porteront sur des éléments pour lesquels il est envisagé, aux termes dudit mémorandum, d’aller au-delà de cet acquis.

46      La Commission conclut que, lorsqu’un ensemble de droits, progressivement institué par le droit de l’Union, atteint, comme en l’espèce, un stade avancé et que l’accord international envisagé vise à consolider et, tout au plus, à améliorer marginalement la protection des titulaires concernés sur des aspects périphériques non actuellement couverts par ce droit, l’Union doit jouir d’une compétence exclusive.

47      En deuxième lieu, la Commission, soutenue sur ce point par le Parlement, fait valoir que l’Union a adopté un ensemble de règles cohérentes, allant au-delà de simples prescriptions minimales, qui régissent les droits voisins des organismes de radiodiffusion afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. La circonstance que cette réglementation ne constitue pas une harmonisation complète et laisse aux États membres le soin de régler certains aspects du domaine concerné ne s’opposerait pas à ce que la compétence de l’Union en ce domaine revête un caractère exclusif.

48      La Commission soutient, en troisième lieu, que les droits voisins des organismes de radiodiffusion, tels que régis par le droit de l’Union, s’inscrivent dans un ensemble cohérent et équilibré de règles en matière de propriété intellectuelle, destiné à préserver l’unité de l’ordre juridique de l’Union en cette matière. Dans ces conditions, et eu égard au lien étroit existant entre les droits et les activités des organismes de radiodiffusion et ceux des autres titulaires de droits de propriété intellectuelle, toute modification apportée aux droits des uns ou des autres serait de nature à influencer l’interprétation et l’application de la réglementation de l’Union dans son ensemble.

49      Le Conseil, soutenu par la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne et le Royaume-Uni, fait valoir que la future convention du Conseil de l’Europe relève d’un domaine de compétences partagées entre l’Union et ses États membres, à savoir celui du marché intérieur, lequel englobe la protection de la propriété intellectuelle. Par conséquent, tant l’Union que les États membres devraient être impliqués dans les négociations à venir en coopérant étroitement à toutes les phases du processus afin d’assurer l’unité de la représentation externe de l’Union. Tel serait précisément l’objectif de la décision attaquée.

50      Le Conseil et lesdits États membres font valoir que le fait qu’une partie, même importante, de l’accord international envisagé relève d’un domaine couvert par des règles communes de l’Union ne suffit pas pour conclure au caractère exclusif de la compétence de l’Union pour négocier cet accord. Une telle conclusion ne pourrait être tirée qu’au prix d’une analyse précise et concrète de la nature et du contenu des règles de l’Union concernées ainsi que de la relation entre ces règles et l’accord envisagé, qui ferait apparaître que ce dernier est susceptible d’affecter lesdites règles ou d’en altérer la portée.

51      Ces mêmes parties font également valoir que le dernier membre de phrase de l’article 3, paragraphe 2, TFUE doit être lu en combinaison avec le protocole (no 25) sur l’exercice des compétences partagées, annexé aux traités UE et FUE.

52      Le Conseil, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni ajoutent que les signataires du traité de Lisbonne ont, dans le dernier membre de phrase de l’article 3, paragraphe 2, TFUE, entendu codifier la jurisprudence développée à partir de l’arrêt AETR (EU:C:1971:32), telle que clarifiée par l’avis 1/03 (EU:C:2006:81), en se refusant à consacrer le critère du «domaine déjà couvert en grande partie par les règles de l’Union», appliqué par la Cour, notamment, dans son avis 2/91 (EU:C:1993:106) et dans l’arrêt Commission/Danemark (C‑467/98, EU:C:2002:625).

53      À la lumière de ces considérations générales, le Conseil, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne et le Royaume-Uni contestent que l’Union dispose d’une compétence externe exclusive en l’espèce.

54      À cet égard, ils font valoir, en premier lieu, que la future convention du Conseil de l’Europe pourrait aller au-delà de la réglementation existante de l’Union sur trois éléments.

55      Premièrement, cette future convention pourrait consacrer un droit exclusif des organismes de radiodiffusion en ce qui concerne la communication de leurs émissions au public en dehors des lieux accessibles à celui-ci moyennant le paiement d’un droit d’entrée, alors qu’un tel droit exclusif ne serait pas reconnu auxdits organismes en droit de l’Union.

56      Deuxièmement, elle pourrait réglementer la protection des signaux avant leur diffusion au public (ci-après les «signaux prédiffusés»), alors que cette protection ne ferait l’objet d’aucune disposition en droit de l’Union. En effet, les droits conférés par la réglementation de l’Union aux auteurs sur leurs œuvres ne couvriraient pas les droits des organismes de radiodiffusion sur de tels signaux.

57      Troisièmement, les négociations sur la future convention du Conseil de l’Europe pourraient porter sur l’introduction de mesures pénales destinées à faire respecter les droits en cause, alors que de telles mesures ne seraient pas couvertes par des règles communes de l’Union.

58      La République de Pologne ajoute qu’il est également possible que cette future convention comporte une définition de l’«organisme de radiodiffusion» plus large que celle retenue par le droit de l’Union afin de couvrir les diffuseurs sur le web ou en «simulcast».

59      À l’instar du Royaume-Uni, elle souligne par ailleurs qu’aucune règle commune de l’Union ne confère actuellement aux organismes de radiodiffusion un droit exclusif de rediffusion par fil.

60      Le Conseil, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni ajoutent que le fait d’admettre une compétence externe exclusive de l’Union, en dépit de l’absence de règles communes de cette dernière, au motif que l’accord international concerné n’étendrait que marginalement un corps de règles progressivement mis en place au niveau de l’Union, conduirait à une extension illicite du champ d’application de l’article 3, paragraphe 2, TFUE et heurterait le principe d’attribution.

61      En deuxième lieu, le Conseil, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne et le Royaume-Uni font valoir que le droit de l’Union n’a réalisé en faveur des organismes de radiodiffusion qu’une harmonisation minimale, fragmentée et auxiliaire à la protection des autres droits de propriété intellectuelle.

62      En troisième lieu, le Conseil, la République de Pologne et le Royaume-Uni affirment que la réglementation de l’Union relative aux droits d’auteur et aux droits voisins autres que ceux des organismes de radiodiffusion est dénuée de toute pertinence pour apprécier l’existence de règles communes de l’Union dans le domaine concerné en l’espèce. Ils soulignent, à cet égard, la différence fondamentale existant, d’un point de vue historique ainsi qu’en termes de nature et d’objet de la protection, entre le droit d’auteur et les droits desdits organismes.

63      Dans ces conditions, un renforcement de la protection accordée auxdits organismes ne serait pas de nature à affecter l’équilibre général de la protection des autres titulaires de droits de propriété intellectuelle ni l’exercice de ces droits par ces autres titulaires.

–       Appréciation de la Cour

64      Le premier moyen est fondé, en substance, sur une violation de l’article 3, paragraphe 2, TFUE.

65      À titre liminaire, il convient de relever que, parmi les différents cas de compétence externe exclusive de l’Union envisagés par cette disposition, seul celui qui est visé dans le dernier membre de phrase de celle-ci, et qui correspond à la situation dans laquelle la conclusion d’un accord international «est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée», est pertinent en l’espèce.

66      À cet égard, il y a lieu de souligner que les termes employés dans ce dernier membre de phrase correspondent à ceux par lesquels la Cour, au point 22 de l’arrêt AETR (EU:C:1971:32), a défini la nature des engagements internationaux qu’il est interdit aux États membres de prendre en dehors du cadre des institutions de l’Union, lorsque des règles communes de l’Union ont été arrêtées pour réaliser les buts du traité.

67      Ces termes doivent, par conséquent, être interprétés à la lumière des précisions fournies à leur égard par la Cour dans l’arrêt AETR (EU:C:1971:32) et dans la jurisprudence développée à partir de cet arrêt.

68      Selon la jurisprudence de la Cour, il existe un risque de porter atteinte à des règles communes de l’Union par des engagements internationaux, ou d’altérer la portée de ces règles, propre à justifier une compétence externe exclusive de l’Union, lorsque ces engagements relèvent du domaine d’application desdites règles (voir, en ce sens, arrêts AETR, EU:C:1971:32, point 30, et Commission/Danemark, EU:C:2002:625, point 82).

69      La constatation d’un tel risque ne présuppose pas une concordance complète entre le domaine couvert par les engagements internationaux et celui couvert par la réglementation de l’Union (voir, en ce sens, avis 1/03, EU:C:2006:81, point 126).

70      Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, la portée des règles communes de l’Union est susceptible d’être affectée ou altérée par de tels engagements également lorsque ces derniers relèvent d’un domaine déjà couvert en grande partie par de telles règles (avis 2/91, EU:C:1993:106, point 25; arrêt Commission/Danemark, EU:C:2002:625, point 82, ainsi que avis 1/03, EU:C:2006:81, points 120 et 126).

71      En outre, les États membres ne peuvent, hors du cadre des institutions de l’Union, prendre de tels engagements, et ce même en l’absence de contradiction possible entre ceux-ci et les règles communes de l’Union (voir, en ce sens, avis 2/91, EU:C:1993:106, points 25 et 26, ainsi que arrêt Commission/Danemark, EU:C:2002:625, point 82).

72      L’analyse qui précède n’est pas infirmée par l’argumentation du Conseil, du Royaume des Pays-Bas et du Royaume-Uni tirée d’une conception prétendument plus restrictive, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en matière de compétence externe exclusive de l’Union.

73      En effet, le protocole (no 25) sur l’exercice des compétences partagées, invoqué à l’appui de cette argumentation, dont l’article unique dispose que, «lorsque l’Union mène une action dans un certain domaine, le champ d’application de cet exercice de compétence ne couvre que les éléments régis par l’acte de l’Union en question et ne couvre donc pas tout le domaine», concerne uniquement, ainsi qu’il résulte de ses termes, l’article 2, paragraphe 2, TFUE, et non l’article 3, paragraphe 2, TFUE. Il vise donc à préciser la portée de l’exercice par l’Union d’une compétence partagée avec les États membres qui lui a été attribuée par les traités, et non à limiter la portée de la compétence externe exclusive de l’Union dans les cas de figure visés à l’article 3, paragraphe 2, TFUE, tel qu’éclairé par la jurisprudence de la Cour rappelée ci-avant.

74      Cela étant, il importe de souligner que, l’Union ne disposant que de compétences d’attribution, l’existence d’une compétence, de surcroît de nature exclusive, doit trouver son fondement dans des conclusions tirées d’une analyse concrète de la relation existant entre l’accord international envisagé et le droit de l’Union en vigueur, dont il ressort qu’un tel accord est susceptible d’affecter les règles communes de l’Union ou d’en altérer la portée (voir, en ce sens, avis 1/03, EU:C:2006:81, point 124).

75      Conformément au principe d’attribution énoncé à l’article 5, paragraphes 1 et 2, TUE, il appartient, aux fins d’une telle analyse, à la partie concernée d’apporter les éléments de nature à établir le caractère exclusif de la compétence externe de l’Union dont elle entend se prévaloir.

76      En l’occurrence, il convient d’emblée de relever que la décision attaquée ne donne aucune précision sur le contenu des négociations relatives à la future convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion. Elle n’identifie pas davantage les éléments de ces négociations qui, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, relèvent de la compétence de l’Union et ceux qui, aux termes de son article 1er, paragraphe 3, relèvent de la compétence des États membres.

77      Dans ces circonstances, il convient, s’agissant du contenu des négociations envisagées, de prendre en compte, aux fins de la présente analyse, la recommandation de 2002, le mémorandum de 2008 et le rapport de 2010, qui ont été versés au dossier par la Commission au soutien de son premier moyen et dont aucune partie n’a contesté qu’ils fournissaient les indications pertinentes les plus récentes à cet égard.

78      Quant au domaine concerné en l’espèce, ces documents du Conseil de l’Europe indiquent que les négociations en cause visent à l’adoption d’une convention portant sur la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion.

79      Ainsi qu’il résulte des directives 93/83, 2001/29, 2004/48, 2006/115 et 2006/116, lesdits droits font l’objet, en droit de l’Union, d’un cadre juridique harmonisé qui vise, notamment, à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur et qui, en ayant intégré un certain nombre d’évolutions liées aux défis technologiques, au nouvel environnement numérique et au développement de la société de l’information, a institué un régime de protection élevée et homogène en faveur des organismes de radiodiffusion en relation avec leurs émissions.

80      Il s’ensuit que la protection des droits voisins de ces organismes, objet des négociations du Conseil de l’Europe, doit être appréhendée comme le domaine pertinent aux fins de la présente analyse.

81      La circonstance que ledit cadre juridique harmonisé a été mis en place par différents instruments juridiques régissant également d’autres droits de propriété intellectuelle n’est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de cette approche.

82      L’appréciation de l’existence d’un risque de porter atteinte à des règles communes de l’Union, ou d’altérer la portée de celles-ci, par des engagements internationaux ne saurait, en effet, être tributaire d’une distinction artificielle fondée sur la présence, ou non, de telles règles dans un seul et même instrument du droit de l’Union.

83      Ainsi, notamment, la Cour a-t-elle, aux points 27 et 29 de l’arrêt Commission/France (C‑239/03, EU:C:2004:598), considéré la protection des eaux contre la pollution, objet de l’accord international en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, comme «un domaine», nonobstant le fait que la réglementation pertinente de l’Union était contenue dans différents instruments juridiques.

84      Le domaine concerné étant ainsi précisé, il convient de relever que, aux termes de différents passages du mémorandum de 2008, à savoir les points 49, 52, 57 et 78 de celui-ci, la convention en cause du Conseil de l’Europe devrait être basée sur l’acquis de l’Union, dont relève largement le droit matériel de la propriété intellectuelle, notamment celui relatif aux organismes de radiodiffusion.

85      Comme l’admettent le Conseil et les États membres intervenant à son soutien, bon nombre d’éléments des négociations envisagées, qui sont mentionnés sur la liste figurant à l’annexe du mémorandum de 2008, sont, effectivement, déjà couverts par des règles communes de l’Union.

86      S’agissant, en premier lieu, des éléments identifiés sous le titre I de cette liste, la République de Pologne affirme, certes, que la notion d’«organisme de radiodiffusion», aux fins de la future convention en cause, pourrait être définie dans un sens large de façon à s’étendre aux diffuseurs sur le web ou en «simulcast».

87      Toutefois, indépendamment du point de savoir si, dans le contexte des nouvelles technologies numériques, la référence aux émissions diffusées avec fil, par fil ou sans fil, contenue aux articles 2 et 3, paragraphe 2, sous d), de la directive 2001/29, aux articles 7, paragraphe 2, et 9, paragraphe 1, sous d), de la directive 2006/115 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2006/116, permet d’englober de tels diffuseurs dans le champ d’application des règles communes de l’Union dans le domaine considéré, il est, en tout état de cause, indéniable, ainsi que le fait valoir la Commission, qu’une négociation qui viserait, d’une façon ou d’une autre, à englober ces diffuseurs dans le champ de la future convention du Conseil de l’Europe, notamment au moyen de l’adoption, aux fins de cette convention, d’une définition de l’«organisme de radiodiffusion» en termes «technologiquement neutres», comme suggéré au point 13 du rapport de 2010, aurait une incidence transversale sur la portée de l’ensemble des règles communes de l’Union relatives à la protection des droits voisins de tels organismes.

88      S’agissant, en second lieu, des éléments identifiés sous le titre II de la liste figurant à l’annexe du mémorandum de 2008, il est constant entre les parties que ceux relatifs au droit de fixation, au droit de reproduction, au droit de mise à la disposition du public, au droit de distribution, aux limitations et aux exceptions à ces droits, à la durée de la protection desdits droits, aux obligations relatives aux mesures techniques et à celles relatives à l’information sur le régime des droits relèvent de règles communes de l’Union et que les négociations sur ces éléments seront susceptibles d’affecter ou d’altérer la portée de ces règles communes.

89      En revanche, un désaccord existe entre les parties à propos de quatre éléments mentionnés sous ce titre II, à savoir le droit de rediffusion, le droit de communication au public, la protection des signaux prédiffusés et le respect des droits voisins des organismes de radiodiffusion.

90      En ce qui concerne, premièrement, le droit de rediffusion, la République de Pologne et le Royaume-Uni font valoir que le droit de l’Union n’a procédé qu’à une harmonisation minimale en ce qu’il vise uniquement, aux termes de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2006/115, la rediffusion par le moyen des ondes radioélectriques. Or, les négociations en cause pourraient conduire à consacrer en faveur des organismes de radiodiffusion un droit exclusif de rediffusion également par fil, notamment par Internet.

91      À cet égard, il convient de relever que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2006/115 ne relève pas d’une situation comparable à celle constatée aux points 18 et 21 de l’avis 2/91 (EU:C:1993:106), dans laquelle la Cour n’a pas reconnu une compétence exclusive de l’Union en raison du caractère de prescriptions minimales tant des dispositions du droit de l’Union que de celles de la convention internationale en cause. En effet, cette disposition attribue une portée matérielle précise au droit de rediffusion dans le droit de l’Union, en la circonscrivant à la rediffusion par le moyen des ondes radioélectriques.

92      Ainsi que le fait valoir la Commission, des négociations du Conseil de l’Europe qui, comme suggéré au point 54 du mémorandum de 2008, viseraient à étendre ce droit à la rediffusion par fil ou par Internet seraient dès lors susceptibles d’altérer la portée des règles communes de l’Union en matière de droit de rediffusion.

93      Au demeurant, ainsi que le souligne également la Commission, le droit des organismes de radiodiffusion en matière de rediffusion par fil est déjà partiellement couvert, en tant que tel, par des règles communes de l’Union en raison de l’interaction existant entre les différents droits de propriété intellectuelle de ces organismes qui sont régis par le droit de l’Union. En effet, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt ITV Broadcasting e.a. (C‑607/11, EU:C:2013:147), le droit exclusif de communication au public dont jouissent, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, les organismes de radiodiffusion télévisuelle terrestre sur leurs émissions protégées par le droit d’auteur couvre le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la rediffusion de telles œuvres par un autre organisme au moyen d’Internet.

94      En ce qui concerne, deuxièmement, le droit de communication au public, le Conseil et plusieurs États membres intervenant à son soutien font valoir que les négociations en cause pourraient aller au-delà de l’acquis de l’Union en étendant, à la différence de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2006/115, la portée de ce droit en dehors des lieux accessibles au public moyennant le paiement d’un droit d’entrée.

95      À cet égard, il convient toutefois de constater, à l’instar de la Commission, que ni le mémorandum de 2008 ni le rapport de 2010 ne comportent d’indication en ce sens et que, de leur côté, le Conseil et les États membres intervenants n’ont fourni aucun élément au soutien de leurs allégations.

96      Au contraire, aux termes de la recommandation de 2002 et, en particulier, du point f) de la rubrique «Droits à conférer» contenue dans l’annexe à cette recommandation ainsi que du point 24 de l’exposé des motifs de cette dernière, la portée du droit de communication au public serait calquée sur celle qui est prévue à l’article 13, sous d), de la convention de Rome, lequel la circonscrit aux lieux accessibles au public moyennant le paiement d’un droit d’entrée.

97      En ce qui concerne, troisièmement, la protection des signaux prédiffusés, le Conseil et plusieurs États membres intervenant à son soutien font, certes, observer à juste titre que les organismes de radiodiffusion ne bénéficient pas, en vertu du droit de l’Union en vigueur, d’une protection portant sur ces signaux en tant que tels, alors que, aux termes des points 41 à 43 et 54 du mémorandum de 2008 et du point 14 du rapport de 2010, les négociations en cause pourraient conduire à instituer une telle protection en raison de la vulnérabilité desdits signaux à l’égard d’actes d’appropriation ou d’exploitation non autorisés.

98      Toutefois, l’une des solutions, relevée par la Commission, qui, aux termes du point 43 du mémorandum de 2008, est présentée comme étant digne de considération, à savoir l’élargissement de la notion d’«émissions» aux signaux prédiffusés de manière à englober ces derniers dans le champ de la protection des différents droits reconnus aux organismes de radiodiffusion, serait indéniablement susceptible d’altérer de manière transversale la portée des règles communes de l’Union dans le domaine considéré.

99      Quant aux autres solutions possibles évoquées devant la Cour, telles que l’institution d’une protection juridique sui generis des signaux prédiffusés ou l’application à ces derniers des dispositions relatives à la protection des mesures techniques, force est de constater que, en l’absence d’allusion à leur égard dans le mémorandum de 2008 ou dans le rapport de 2010, et à défaut, pour le Conseil et les États membres intervenants, d’avoir étayé leurs allégations par un quelconque élément, elles apparaissent, à ce stade, hypothétiques et ne sauraient dès lors entrer en ligne de compte pour déterminer le caractère exclusif ou partagé de la compétence de l’Union en l’espèce.

100    En ce qui concerne, quatrièmement, le respect des droits voisins des organismes de radiodiffusion, le Conseil et plusieurs États membres intervenant à son soutien, sans contester que les sanctions et les voies de recours en cas d’atteinte à ces droits sont régies, en droit de l’Union, par l’article 8 de la directive 2001/29 ainsi que par un ensemble de règles communes contenues dans la directive 2004/48, font cependant valoir que les négociations en cause pourraient conduire à instituer, à la différence de la réglementation de l’Union, l’obligation pour les parties contractantes d’adopter des sanctions pénales dans le cas de telles atteintes.

101    Toutefois, force est de constater, à l’instar de la Commission, que ni le mémorandum de 2008 ni le rapport de 2010 ne comportent d’indication en ce sens et que les allégations reproduites au point précédent n’ont été étayées par aucun élément en rapport avec les négociations à venir au sein du Conseil de l’Europe.

102    De l’analyse qui précède, il ressort que le contenu des négociations en vue d’une convention du Conseil de l’Europe relative à la protection des droits voisins des organismes de radiodiffusion, tel qu’il est délimité par la recommandation de 2002, le mémorandum de 2008 et le rapport de 2010, relève d’un domaine largement couvert par des règles communes de l’Union et que ces négociations sont susceptibles d’affecter des règles communes de l’Union ou d’en altérer la portée. Partant, lesdites négociations relèvent de la compétence exclusive de l’Union.

103    Il s’ensuit que la décision attaquée a été adoptée en violation de l’article 3, paragraphe 2, TFUE.

 Sur les deuxième à quatrième moyens

104    Le premier moyen étant fondé, il y a lieu, par conséquent, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par la Commission au soutien de son recours.

 Sur les dépens

105    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses moyens et la Commission ayant conclu à la condamnation de ce dernier, il y a lieu de le condamner aux dépens. Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, en vertu duquel les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, le Royaume-Uni ainsi que le Parlement supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      La décision du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil du 19 décembre 2011 concernant la participation de l’Union européenne et de ses États membres aux négociations relatives à une convention du Conseil de l’Europe sur la protection des droits des organismes de radiodiffusion est annulée.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

3)      La République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que le Parlement européen supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.