Language of document : ECLI:EU:C:2014:205

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

27 mars 2014 (*)

«Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure – Règlement (CE) n° 1907/2006 (règlement REACH) – Restrictions applicables à la mise sur le marché et à l’utilisation de l’acrylamide – Règlement (UE) n° 366/2011 modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) nº 1907/2006»

Dans l’affaire C‑199/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 9 avril 2013,

Polyelectrolyte Producers Group, établi à Bruxelles (Belgique),

SNF SAS, établie à Andrézieux-Bouthéon (France),

Travetanche Injection SPRL, établie à Bruxelles,

représentés par Mes K. Van Maldegem et R. Cana, avocats,

parties requérantes,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. E. Manhaeve et P. Oliver, en qualité d’agents, assistés de Mes J. Stuyck et A.‑M. Vandromme, advocaten, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mmes M. Bulterman et B. Koopman, en qualité d’agents,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, M. A. Ó Caoimh et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, Polyelectrolyte Producers Group, SNF SAS et Travetanche Injection SPRL demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Polyelectrolyte Producers Group e.a./Commission (T‑368/11, EU:T:2013:53, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté comme non fondé leur recours tendant à l’annulation du règlement (UE) n° 366/2011 de la Commission, du 14 avril 2011, modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l’annexe XVII (acrylamide) (JO L 101, p. 12, ci-après le «règlement litigieux»).

 Les faits à l’origine du litige et le règlement litigieux

2        L’acrylamide est une substance employée au cours de la fabrication du polyacrylamide, qui est utilisé afin d’assurer l’étanchéité des constructions.

3        En application du règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes (JO L 84, p. 1), l’acrylamide a été inclus sur la première liste prioritaire et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été désigné comme responsable de l’évaluation de cette substance par le règlement (CE) n° 1179/94 de la Commission, du 25 mai 1994, concernant la première liste de substances prioritaires, conformément au règlement n° 793/93 (JO L 131, p. 3).

4        Les principes d’évaluation des risques pour l’homme et pour l’environnement présentés par les substances existantes conformément au règlement n° 793/93 ont été établis par le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission, du 28 juin 1994 (JO L 161, p. 3).

5        Le Royaume-Uni a conclu à la nécessité de réduire les risques découlant de l’utilisation de produits d’étanchéité à base d’acrylamide pour le milieu aquatique, les travailleurs exposés à ces produits lors de leur utilisation à petite et à grande échelle ainsi que pour les personnes exposées par l’intermédiaire de leur environnement en raison de l’utilisation à grande échelle de ces produits.

6        Sur la base de l’évaluation effectuée par le Royaume-Uni, par une recommandation 2004/394/CE de la Commission, du 29 avril 2004, relative aux résultats de l’évaluation des risques et aux stratégies de réduction des risques pour les substances acétonitrile, acrylamide, acrylonitrile, acide acrylique, butadiène, fluorure d’hydrogène, peroxyde d’hydrogène, acide méthacrylique, méthacrylate de méthyle, toluène et trichlorobenzène (JO L 144, p. 75), cette institution a préconisé d’étudier la possibilité d’introduire au niveau de l’Union européenne, dans la directive 76/769/CEE du Conseil, du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la limitation de la mise sur le marché et de l’emploi de certaines substances et préparations dangereuses (JO L 262, p. 201), des restrictions à la commercialisation et à l’utilisation de l’acrylamide dans les produits d’étanchéité pour des applications à petite et à grande échelle. S’agissant de la sécurité des travailleurs, la législation de l’Union en vigueur a été considérée comme offrant une protection adéquate pour limiter les risques présentés par l’acrylamide.

7        Le 4 février 2008, la Commission européenne a produit une analyse d’impact accompagnant un projet de décision modifiant la directive 76/769 en ce qui concerne l’acrylamide.

8        Avec effet au 1er juin 2008 et au 1er juin 2009, le règlement n° 793/93 et la directive 76/769 ont respectivement été abrogés par l’article 139 du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement nº 793/93 et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1, et rectificatifs JO 2007, L 136, p. 3, et JO 2008, L 141, p. 22, ci-après le «règlement REACH»).

9        L’article 137, paragraphe 1, sous a), du règlement REACH contient des mesures transitoires. Cette disposition prévoit que, au plus tard le 1er juin 2010, la Commission élabore, au besoin, un projet de modification de l’annexe XVII de ce règlement, conformément à toute évaluation des risques et à toute stratégie recommandée pour limiter les risques qui a été adoptée au niveau de l’Union conformément à l’article 11 du règlement n° 793/93, dans la mesure où il comprend des propositions de restriction conformément au titre VIII du même règlement, tout en n’ayant pas encore donné lieu à une décision au titre de la directive 76/769. Ainsi, la Commission a élaboré un projet de modification de ladite annexe XVII qui contient les restrictions applicables à la fabrication, à la mise sur le marché et à l’utilisation de certaines substances dangereuses et de certains mélanges et articles dangereux.

10      Le 14 avril 2011, la Commission a adopté le règlement litigieux. Par l’article 1er de celui-ci, l’annexe XVII du règlement REACH a été modifiée et le texte suivant, relatif à l’acrylamide, a été inséré dans cette annexe:

«Ne peut être mis sur le marché ni utilisé en tant que substance ou constituant de mélanges à des concentrations égales ou supérieures à 0,1 % en poids pour les applications d’étanchéisation après le 5 novembre 2012.»

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 juillet 2011, les requérants ont introduit un recours visant à l’annulation du règlement litigieux. Le Royaume des Pays-Bas est intervenu au soutien des conclusions de la Commission.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2012, Travetanche Injection SPRL a demandé qu’il soit sursis à l’exécution du règlement litigieux. Par ordonnance du 5 novembre 2012, Travetanche Injection/Commission (T‑368/11 R), le président du Tribunal a fait droit à cette demande, dans la mesure où ce règlement concerne cette entreprise.

13      Ledit recours reposait sur trois moyens.

14      Par leur premier moyen, les requérants soutenaient que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation de l’évaluation des risques sur laquelle repose le règlement litigieux. La Commission aurait omis de prendre en compte tous les éléments pertinents, commis une erreur manifeste dans l’évaluation des données relatives à l’exposition à l’acrylamide et pris en considération un produit contenant un agent d’étanchéité autre que cette substance.

15      Par les motifs exposés aux points 26 à 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce premier moyen.

16      Par leur deuxième moyen, les requérants faisaient valoir que le règlement litigieux repose sur une violation du principe de proportionnalité, dans la mesure où il serait inapproprié par rapport à ses objectifs de protection de la santé humaine et de l’environnement. Selon les requérants, ce règlement serait fondé sur des informations dépourvues de lien avec la mise sur le marché de l’acrylamide. En outre, ils soutenaient que les substances pouvant être utilisées en remplacement de l’acrylamide peuvent induire des risques encore plus élevés que cette substance et que la Commission aurait pu prendre d’autres mesures plus appropriées et moins contraignantes.

17      Le Tribunal a rejeté ce moyen par les motifs exposés aux points 75 à 98 de l’arrêt attaqué.

18      Par le troisième moyen de leur recours, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, les requérants soutenaient que la Commission n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles le règlement litigieux fixe à 0,1 % le niveau maximal de concentration en acrylamide.

19      Le Tribunal a rejeté ce moyen par les motifs figurant aux points 102 à 107 de l’arrêt attaqué.

 Les conclusions des parties

20      Les requérants demandent à la Cour:

–        à titre principal, d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que le règlement litigieux;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens, y compris ceux de première instance.

21      La Commission et le Royaume des Pays-Bas concluent au rejet du pourvoi et à la condamnation des requérants aux dépens.

 Sur le pourvoi

22      En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, rejeter totalement ou partiellement ce pourvoi par voie d’ordonnance motivée. Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

23      Les requérants soulèvent cinq moyens au soutien de leur pourvoi.

 Sur le premier moyen, relatif à l’évaluation des risques

24      Ce moyen est dirigé contre les appréciations du Tribunal aux points 30, 32 à 40 et 44 à 62 de l’arrêt attaqué. Il comporte trois branches.

 Sur la première branche du premier moyen, relative à la portée du contrôle juridictionnel

25      Les requérants reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit, aux points 29 et 30 de l’arrêt attaqué, en se bornant à examiner si les institutions de l’Union ont commis une erreur manifeste ou un détournement de pouvoir ou encore si elles n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Le Tribunal aurait en effet limité la portée de son contrôle en invoquant la nature hautement complexe des appréciations d’ordre scientifique et technique nécessaires pour déterminer les restrictions à l’usage de l’acrylamide, alors même que la présente affaire ne concerne que des applications élémentaires de cette substance. Admettre que le Tribunal puisse ainsi systématiquement limiter son contrôle dès lors qu’il porte sur l’application du règlement REACH poserait un problème d’accès à la justice.

26      À cet égard, il convient de rappeler, ainsi que l’a fait le Tribunal au point 29 de l’arrêt attaqué, que, dans un cadre technique complexe à caractère évolutif tel que celui relatif à l’évaluation et au contrôle des risques présentés par les substances chimiques, les institutions de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant aux éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes, pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent et que le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces institutions n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions auxquelles, seules, le traité FUE a conféré cette tâche [arrêts Enviro Tech (Europe), C‑425/08, EU:C:2009:635, point 47, et Etimine, C‑15/10, EU:C:2011:504, point 60].

27      Dès lors, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé, au point 30 de l’arrêt attaqué, que la jurisprudence citée au point précédent est applicable au présent litige, au motif que, «même si les produits d’étanchéité à base d’acrylamide ont été utilisés de la même façon depuis des décennies, la détermination de la nature et de l’étendue des mesures de restriction en cause exigeait une appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes».

28      C’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a précisé, au point 31 de l’arrêt attaqué, que «le large pouvoir d’appréciation des [institutions] de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de leur exercice, ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des disposition à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base».

29      En statuant ainsi conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal n’a manifestement pas violé le droit des requérants à l’accès à la justice, ces derniers ayant manifestement été en mesure d’attaquer le règlement litigieux afin d’assurer la défense de leurs intérêts.

30      Cette première branche du premier moyen est donc manifestement non fondée.

 Sur la deuxième branche du premier moyen, relative à l’absence de prise en compte de tous les éléments et circonstances pertinents

31      Les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 32 à 40 de l’arrêt attaqué, que la Commission a pris en considération tous les éléments pertinents permettant d’évaluer les risques liés à l’utilisation de l’acrylamide. En effet, la Commission aurait omis de prendre en compte certains éléments contenus dans une lettre qui lui avait été adressée par Polyelectrolyte Producers Group le 17 janvier 2006 concernant l’utilisation de l’acrylamide en Belgique et aux Pays-Bas dans les applications d’étanchéisation à petite échelle.

32      Toutefois, il y a lieu de rappeler que, par les motifs exposés aux points 32 à 40 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le grief selon lequel la Commission n’aurait pas, afin d’évaluer les risques relatifs à l’utilisation de l’acrylamide, pris en compte deux documents, à savoir, d’une part, un rapport du 14 mars 2000 préparé par un cabinet de conseil pour les autorités du Royaume-Uni, intitulé «La stratégie de réduction des risques et l’analyse des avantages et inconvénients de l’acrylamide», et, d’autre part, ladite lettre du 17 janvier 2006.

33      Le Tribunal a jugé, pour les motifs exposés aux points 34 et 35 de l’arrêt attaqué, que le premier de ces documents «a été pris en compte par la Commission au cours de la procédure administrative précédant l’adoption du règlement [litigieux]». Quant au second de ces documents, le Tribunal a jugé en substance, aux points 38 et 39 du même arrêt, qu’il n’était pas pertinent pour l’évaluation des risques liés à l’exposition à l’acrylamide. Il apparaît ainsi que les motifs dudit arrêt critiqués par les requérants contiennent exclusivement des appréciations factuelles.

34      Or, il résulte des articles 256 TFUE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (ordonnance Dow AgroSciences e.a./Commission, C‑584/11 P, EU:C:2013:281, point 72 et jurisprudence citée).

35      La Cour n’est donc pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (arrêts Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, point 70, ainsi que Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, EU:C:2013:866, point 38 et jurisprudence citée).

36      Les requérants n’ayant invoqué aucune dénaturation des éléments de preuve soumis au Tribunal, cette deuxième branche du premier moyen, dirigée contre des appréciations de nature factuelle, est donc manifestement irrecevable.

 Sur la troisième branche du premier moyen, relative à la violation du règlement n° 1488/94

37      Les requérants font valoir que le Tribunal a commis deux erreurs d’interprétation du règlement n° 1488/94. La première aurait consisté à accepter l’utilisation exclusive de données d’exposition liées aux applications à petite échelle de produits d’étanchéité en provenance d’un État tiers. La seconde erreur aurait consisté à se fonder sur certaines données utilisées pour l’évaluation des risques et liées aux applications à grande échelle de produits d’étanchéité ayant provoqué des accidents en Suède et en Norvège.

–       Sur les données d’exposition liées aux applications à petite échelle des produits d’étanchéité

38      Les requérants reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 44 à 49 de l’arrêt attaqué, accepté l’utilisation, par la Commission, de données provenant des États-Unis concernant l’exposition à l’acrylamide lors d’applications à petite échelle de cette substance. Selon eux, il incombait à la Commission de prouver que ces données portaient sur des conditions relatives à une exposition «connue ou raisonnablement prévisible à la lumière des informations disponibles sur la substance», conformément à l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94. Or, de telles données concerneraient des situations différentes de celles connues dans l’Union. Par ailleurs, le Tribunal se serait contredit en acceptant l’utilisation de ces données, alors même que, au point 96 dudit arrêt, il a jugé que «la gestion des risques ne suit cependant pas les mêmes principes et règles aux États-Unis que dans l’Union dès lors que les cadres légaux et les politiques sont différents».

39      À cet égard, il convient de rappeler que, au point 42 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est prononcé comme suit:

«En vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1488/94, ‘l’évaluation des risques comprend l’identification du danger et, le cas échéant, l’évaluation du rapport dose (concentration)-réponse (effet), l’évaluation de l’exposition et la caractérisation du risque’. Elle doit être fondée ‘sur les informations sur la substance transmises en application des articles 3 et 4, de l’article 7, paragraphes 1 et 2, de l’article 9, paragraphes 1 et 2, et de l’article 10, paragraphe 2, du règlement n° 793/93 ainsi que sur toute autre information disponible et elle est normalement effectuée conformément aux procédures prévues aux articles 4 et 5 du [règlement n° 1488/94]’. En vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94, ‘lors de l’évaluation de l’exposition, le rapporteur tient compte des populations humaines ou des composantes de l’environnement dont l’exposition à la substance est connue ou raisonnablement prévisible à la lumière des informations disponibles sur la substance, et plus particulièrement sur sa fabrication, son transport, son stockage, son incorporation dans une préparation ou son utilisation dans un autre procédé, son usage et son élimination ou sa récupération.’»

40      Le Tribunal, au point 46 de l’arrêt attaqué, a pu déduire du libellé desdites dispositions ainsi que des dispositions pertinentes du règlement n° 793/93 que «l’évaluation des risques pouvait, en principe, également être fondée sur des données autres que celles transmises en vertu du règlement n° 793/93 et qu’il n’était pas exigé que ces données proviennent de l’Union». C’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal, au point 47 du même arrêt, a considéré que les dispositions en cause «ne font pas référence à des données d’exposition provenant de l’Union et [qu’]il n’est donc pas exigé que de telles données soient disponibles pour qu’une évaluation des risques soit entreprise». Outre le fait qu’elle ne s’appuie sur aucun élément tiré du libellé des dispositions en cause, l’interprétation de l’article 3, paragraphes 1 et 3, du règlement n° 1488/94, préconisée par les requérants, conduirait à ignorer des informations disponibles au seul motif qu’elles proviennent d’un État tiers. Une telle interprétation serait manifestement contraire à la lettre et à l’esprit de cet article 3, paragraphes 1 et 3.

41      Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le Tribunal ne s’est pas contredit en affirmant, au point 96 de l’arrêt attaqué, que la «gestion des risques ne suit cependant pas les mêmes principes et règles aux États-Unis que dans l’Union dès lors que les cadres légaux et les politiques [y] sont différents». En effet, alors que, aux points 46 et 47 du même arrêt, le Tribunal a statué sur la légalité de l’utilisation par la Commission de certaines données d’exposition aux fins de l’évaluation des risques, il a, audit point 96, répondu aux critiques des requérants concernant la légalité des mesures de gestion des risques arrêtées par la Commission au regard du principe de proportionnalité, critiques qui étaient fondées sur le fait que les autorités des États-Unis n’avaient pas jugé nécessaire d’interdire l’utilisation des produits d’étanchéité à base d’acrylamide afin de protéger la santé des employés qui les manipulaient.

42      Quant à la question de savoir si les données collectées aux États-Unis correspondaient à des conditions d’exposition à l’acrylamide comparables à celles existantes sur le territoire de l’Union, le Tribunal est parvenu, au point 49 de l’arrêt attaqué, à la conclusion selon laquelle «la Commission a pris en compte des données relatives à une exposition à l’acrylamide raisonnablement prévisible, en vertu de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94, et n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation». Cette conclusion repose sur des motifs de fait exposés au point 48 du même arrêt. Il s’ensuit que les critiques des requérants, dirigées contre ces appréciations factuelles, sont manifestement irrecevables.

–       Sur les données d’exposition liées aux applications à grande échelle des produits d’étanchéité

43      Les requérants reprochent au Tribunal d’avoir rejeté, aux points 50 à 62 de l’arrêt attaqué, leurs arguments visant à démontrer que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en s’appuyant sur des informations relatives à des scénarios d’exposition lors de l’utilisation à grande échelle de produits d’étanchéité. La Commission se serait fondée sur des données tirées d’accidents liés à l’utilisation de tels produits lors de la construction de tunnels en Suède et en Norvège. Or, ces produits auraient été utilisés, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 57 dudit arrêt, dans des conditions incorrectes. Dès lors, ces données ne pouvaient être considérées comme représentatives d’un usage normal puisqu’elles se rapportaient à une exposition qui n’était pas «connue ou raisonnablement prévisible» au sens de l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94. Le Tribunal aurait donc méconnu cette disposition en ne retenant pas l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation de la Commission.

44      Cette argumentation des requérants soulève la question de savoir si l’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94 s’oppose à ce que la Commission, afin d’évaluer les risques liés à l’utilisation d’une substance, prenne en compte des données relatives à une exposition à une telle substance découlant d’un usage incorrect du produit dans lequel elle est présente.

45      L’article 3, paragraphe 3, du règlement n° 1488/94 impose de tenir compte des données relatives à l’exposition «connue ou raisonnablement prévisible à la lumière des informations disponibles sur la substance [...] et plus particulièrement [...] son usage». Cette disposition ne distingue pas selon que l’usage ayant entraîné une exposition à une substance était conforme ou non aux normes d’utilisation et de sécurité applicables et il suffit que cette exposition soit «connue ou raisonnablement prévisible».

46      C’est donc sans se contredire ni commettre d’erreur de droit que le Tribunal, au point 61 de l’arrêt attaqué, a jugé, en se référant au point 71 de l’arrêt Etimine (EU:C:2011:504), que «la Commission doit prendre en considération l’ensemble des manipulations et des utilisations qui peuvent être faites dans des circonstances normales, ce qui inclut, notamment, la nécessité de tenir compte des accidents réalistes et prévisibles».

47      L’argumentation des requérants étant ainsi manifestement non fondée, la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.

48      Dans ces conditions, le premier moyen du pourvoi doit être rejeté comme étant, pour partie, manifestement irrecevable et, pour partie, manifestement non fondé.

 Sur les deuxième à cinquième moyens

49      Par leur deuxième moyen, dirigé contre les motifs énoncés aux points 65 à 69 de l’arrêt attaqué, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur dans l’appréciation des faits en refusant, au point 66, de considérer que l’acrylamide est uniquement présent dans les produits à base de N‑(hydroxylméthyl)acrylamide (NMA) en tant qu’impureté.

50      Selon les requérants, la procédure de restriction prévue aux articles 68 et 69 du règlement REACH ne serait applicable qu’aux substances «telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles», mais ne le serait pas aux impuretés. Par conséquent, les risques encourus du fait de l’utilisation de produits d’étanchéité à base de NMA ne pourraient servir de base pour évaluer les risques présentés par l’acrylamide en tant que substance «telle quelle ou contenue dans une préparation ou un article». En concluant que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation lorsqu’elle a examiné les données relatives à l’utilisation de produits d’étanchéité à base de NMA pour justifier les restrictions concernant l’acrylamide, le Tribunal aurait commis une erreur d’interprétation de ces articles 68 et 69.

51      En outre, dans la mesure où l’acrylamide est une impureté et non un composant des produits d’étanchéité à base de NMA, les requérants soutiennent que:

–        le règlement litigieux ne remplit pas son objectif de protection de la santé humaine ou de l’environnement et, contrairement à ce que le Tribunal a jugé aux points 74 à 80 de l’arrêt attaqué, il serait donc contraire au principe de proportionnalité (troisième moyen);

–        le considérant 4 du règlement litigieux n’est pas motivé de manière à permettre de comprendre la portée et les justifications des mesures que ce règlement édicte, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 102 dudit arrêt (quatrième moyen), et

–        le Tribunal a donné une interprétation erronée du règlement litigieux en jugeant, aux points 100 à 106 du même arrêt, qu’il couvre les produits d’étanchéité à base de NMA qui contiennent de l’acrylamide (cinquième moyen).

52      À cet égard, il convient de relever que, par leur deuxième moyen, les requérants contestent l’appréciation effectuée par le Tribunal aux points 66 à 69 de l’arrêt attaqué quant à la question de savoir si l’acrylamide est uniquement présent en tant qu’impureté dans les produits d’étanchéité à base de NMA. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 34 de la présente ordonnance, la Cour n’est pas compétente pour contrôler une telle appréciation factuelle dans le cadre d’un pourvoi. Le deuxième moyen invoqué au soutien du présent pourvoi est donc manifestement irrecevable.

53      Quant aux troisième à cinquième moyens du pourvoi, ils reposent sur la prémisse selon laquelle le Tribunal aurait commis une erreur dans l’appréciation des faits. La Cour n’étant pas compétente, dans le cadre d’un pourvoi, pour contrôler l’exactitude d’une telle prémisse d’ordre factuel, ces moyens, quand bien même seraient-ils fondés, ne sauraient donc conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué. Ils doivent dès lors être rejetés comme inopérants.

54      Aucun des cinq moyens invoqués par les requérants au soutien de leur pourvoi n’étant susceptible d’être accueilli, il y a lieu de rejeter celui-ci dans son ensemble comme étant, pour partie, manifestement irrecevable et, pour partie, manifestement non fondé.

 Sur les dépens

55      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu du paragraphe 1 dudit article 184, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérants et ceux-ci ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

56      Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi, disposition selon laquelle les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens, il y a lieu de décider que le Royaume des Pays-Bas supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Polyelectrolyte Producers Group, SNF SAS et Travetanche Injection SPRL sont condamnés aux dépens.

3)      Le Royaume des Pays-Bas supporte ses propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.