Language of document : ECLI:EU:C:2017:475

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 15 juin 2017 (1)

Affaires jointes C688/15 et C109/16

Agnieška Anisimovienė e.a.

contre

BAB bankas Snoras,

Indėlių ir investicijų draudimas VĮ

et

Indėlių ir investicijų draudimas VĮ

contre

Alvydas Raišelis

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Systèmes de garantie des dépôts et d’indemnisation des investisseurs – Directive 94/19/CE – Directive 97/9/CE – Notion de “dépôt” – Notion d’“opération bancaire normale” – Notion de “fonds déposés pour le compte de l’investisseur en relation avec des opérations d’investissement” – Effet direct de la directive 94/19 et de la directive 97/9 – Fonds transférés depuis les comptes bancaires de particuliers vers un compte ouvert au nom d’un établissement de crédit et destinés au paiement d’instruments financiers émis par ledit établissement »






1.        Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) s’adresse de nouveau à la Cour de justice dans le cadre de deux litiges dont elle est saisie et qui ont pour origine la faillite d’un des établissements de crédit de cet État membre.

2.        À l’instar de l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de justice du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (2), la juridiction de renvoi sollicite l’interprétation des directives 94/19/CE (3) et 97/9/CE (4), en vue de préciser l’étendue de la protection que l’une et l’autre confèrent respectivement aux épargnants et aux investisseurs.

3.        Concrètement, la juridiction nationale souhaite savoir si ces directives peuvent s’appliquer aux sommes versées à un établissement de crédit par ses clients dans le but de financer l’acquisition d’actions ou la souscription d’obligations de celui-ci. L’insolvabilité ultérieure de l’établissement bancaire a finalement fait échec aux deux opérations.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 94/19

4.        Les premier, dix-huitième et vingtième considérants de la directive 94/19 énoncent :

« [1]      considérant que, conformément aux objectifs du traité, il convient de promouvoir un développement harmonieux des activités des établissements de crédit dans l’ensemble de la Communauté en supprimant toute restriction à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, tout en renforçant la stabilité du système bancaire et la protection des épargnants ;

[18]      considérant que, lorsqu’un État membre estime que certaines catégories de dépôts ou de déposants limitativement énumérés n’ont pas besoin d’une protection particulière, il doit pouvoir les exclure de la garantie offerte par les systèmes de garantie des dépôts ;

[20]      considérant que le principe d’une limite minimale harmonisée par déposant et non par dépôt a été retenu ; qu’il convient, dans cette optique, de prendre en considération les dépôts effectués par des déposants qui, soit ne sont pas mentionnés comme titulaires du compte, soit n’en sont pas les titulaires uniques ; que la limite doit donc être appliquée à chaque déposant identifiable ; que ceci ne devrait toutefois pas s’appliquer aux organismes de placement collectif soumis à des règles particulières de protection qui n’existent pas pour les dépôts précités ;

[...] »

5.        En vertu de l’article 1er de la directive 94/19 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)      “dépôt” : tout solde créditeur résultant de fonds laissés en compte ou de situations transitoires provenant d’opérations bancaires normales, que l’établissement de crédit doit restituer conformément aux conditions légales et contractuelles applicables, ainsi que toute créance représentée par un titre de créance émis par l’établissement de crédit.

[...]

3)      “dépôt indisponible” : un dépôt qui est échu et exigible et n’a pas été payé par un établissement de crédit dans les conditions légales et contractuelles qui lui sont applicables et lorsque :

i)      les autorités compétentes ont constaté que, de leur point de vue, pour le moment et pour les raisons liées directement à sa situation financière, cet établissement de crédit n’apparaît pas en mesure de pouvoir restituer les dépôts et qu’il n’y a pas de perspective rapprochée qu’il puisse le faire.

[...]

ou

ii)      qu’une autorité judiciaire a rendu, pour des raisons liées directement à la situation financière de l’établissement de crédit, une décision qui a pour effet de suspendre l’exercice des droits des déposants de faire valoir des créances à l’égard de l’établissement, si cette décision intervient avant le constat visé ci-dessus ;

4)      “établissement de crédit” : une entreprise dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte ;

[...] »

6.        L’article 2 de la directive 94/19 dispose :

« Sont exclus de tout remboursement par les systèmes de garantie :

–        sous réserve de l’article 8, paragraphe 3, les dépôts effectués par d’autres établissements de crédit en leur nom propre et pour leur propre compte,

–        tous les instruments qui entreraient dans la définition des “fonds propres” telle qu’elle figure à l’article 2 de la directive 89/299/CEE du Conseil, du 17 avril 1989 concernant les fonds propres des établissements de crédit,

–        [...] »

7.        L’article 3, paragraphe 1, de la directive 94/19 est libellé comme suit :

« Chaque État membre veille à l’instauration et à la reconnaissance officielle sur son territoire d’un ou de plusieurs systèmes de garantie des dépôts. À l’exception des cas envisagés au deuxième alinéa et au paragraphe 4, aucun établissement de crédit agréé dans cet État membre au titre de l’article 3 de la directive 77/780/CEE ne peut accepter de dépôts s’il n’est pas membre de l’un de ces systèmes.

[...] »

8.        En vertu de l’article 7 de la directive 94/19 :

« 1.      Les États membres veillent à ce que la garantie de l’ensemble des dépôts d’un même déposant soit d’au moins 50 000 EUR en cas d’indisponibilité des dépôts.

bis.            Au plus tard le 31 décembre 2010, les États membres veillent à ce que la garantie de l’ensemble des dépôts d’un même déposant soit fixée à 100 000 EUR en cas d’indisponibilité des dépôts.

[...]

2.      Les États membres peuvent prévoir que certains déposants ou certains dépôts sont exclus de la garantie ou sont plus faiblement garantis. La liste de ces exclusions figure à l’annexe I. »

9.        L’article 8, paragraphe 3, de la directive 94/19 prévoit :

« Lorsque le déposant n’est pas l’ayant droit des sommes déposées sur le compte, c’est la personne qui en est l’ayant droit qui bénéficie de la garantie, à condition que cette personne ait été identifiée ou soit identifiable avant la date à laquelle les autorités compétentes font le constat visé à l’article 1er, point 3 i), ou à laquelle l’autorité judiciaire rend la décision visée audit point 3 ii). S’il existe plusieurs ayants droit, il est tenu compte de la part revenant à chacun d’eux, conformément aux dispositions régissant la gestion des sommes, pour le calcul des limites prévues à l’article 7, paragraphes 1, 3 et 4.

[...] »

10.      L’annexe I de la directive 94/19 (« Liste des exclusions visées à l’article 7, paragraphe 2 ») mentionne à son point 12 les « Titres de créance émis par l’établissement de crédit et engagements découlant d’acceptations propres et de billets à ordre ».

2.      La directive 97/9

11.      Les considérants 4, 8 et 9 de la directive 97/9 énoncent :

« (4)      considérant que la protection des investisseurs et le maintien de la confiance dans le système financier sont des éléments importants de l’achèvement et du bon fonctionnement du marché intérieur dans ce domaine et que, à cette fin, il est donc essentiel que chaque État membre dispose d’un système d’indemnisation des investisseurs garantissant un niveau minimal harmonisé de protection au moins aux petits investisseurs, au cas où une entreprise d’investissement ne serait pas en mesure d’honorer ses engagements à l’égard de ses clients investisseurs ;

[...]

(8)      considérant que tous les États membres devraient dès lors être tenus de disposer d’un système ou de systèmes d’indemnisation des investisseurs, dont seraient membres toutes ces entreprises d’investissement ; que le système doit couvrir les fonds ou instruments que détient une entreprise d’investissement en relation avec les opérations d’investissement d’un investisseur et qui, au cas où une entreprise d’investissement ne serait pas en mesure d’honorer ses engagements à l’égard de ses clients investisseurs ne peuvent être restitués à l’investisseur ; que cela ne préjuge en aucune façon les règles et procédures applicables dans chaque État membre pour les décisions à prendre en cas d’insolvabilité ou de liquidation d’une entreprise d’investissement ;

(9)      considérant que la définition d’une entreprise d’investissement englobe les établissements de crédit qui sont autorisés à fournir des services d’investissement ; que ces établissements de crédit doivent également être tenus de participer au système d’indemnisation des investisseurs pour ce qui concerne leurs opérations d’investissement ; qu’il n’est, toutefois, pas nécessaire de prévoir que ces établissements de crédit adhèrent à deux systèmes distincts dès lors qu’un seul répond aux exigences de la présente directive et de la directive 94/19/CE [...] ; que, pour les entreprises d’investissement qui sont des établissements de crédit, il peut, néanmoins, être difficile, dans certains cas, d’opérer une distinction entre des dépôts couverts par la directive [94/19] et des fonds détenus en relation avec des opérations d’investissement ; qu’il convient de laisser aux États membres la faculté de déterminer celle des deux directives qui est applicable à de telles créances ;

[...] »

12.      Selon l’article 1er de la directive 97/9 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1)      “entreprise d’investissement”, une entreprise d’investissement telle que définie à l’article 1er, point 2 de la directive 93/22/CEE (5) :

–        agréée conformément à l’article 3 de la directive [93/22]

ou

–        agréée en tant qu’établissement de crédit conformément à la directive 77/780/CEE et à la directive 89/646/CEE, et dont l’agrément couvre un ou plusieurs des services d’investissement énumérés dans la section A de l’annexe de la directive [93/22] ;

2)      “opérations d’investissement”, tout service d’investissement tel que défini à l’article 1er, point 1 de la directive [93/22] et le service visé au point 1 de la section C de l’annexe de ladite directive ;

3)      “instruments”, les instruments énumérés dans la section B de l’annexe de la directive [93/22] ;

4)      “investisseur”, toute personne qui a confié des fonds ou des instruments, dans le cadre d’opérations d’investissement, à une entreprise d’investissement ;

[...] »

13.      L’article 2 de la directive 97/9 prévoit :

« 1.      Chaque État membre veille à l’instauration et à la reconnaissance officielle, sur son territoire, d’un ou de plusieurs systèmes d’indemnisation des investisseurs. À l’exception des cas envisagés au deuxième alinéa et à l’article 5, paragraphe 3, aucune entreprise d’investissement agréée dans cet État membre ne peut effectuer des opérations d’investissement si elle ne participe pas à un tel système.

[...]

2.      Le système couvre les investisseurs conformément à l’article 4 lorsque :

–        les autorités compétentes ont constaté que, de leur point de vue, pour le moment et pour des raisons directement liées à sa situation financière, une entreprise d’investissement n’apparaît pas en mesure de remplir ses obligations résultant de créances d’investisseurs et qu’il n’y a pas de perspective rapprochée qu’elle puisse le faire ou que

–        une autorité judiciaire a rendu, pour des raisons directement liées à la situation financière d’une entreprise d’investissement, une décision ayant pour effet de suspendre la possibilité pour les investisseurs de faire valoir leurs créances sur ladite entreprise d’investissement,

selon que le constat ou la décision intervient en premier lieu.

Une couverture doit être assurée pour les créances résultant de l’incapacité d’une entreprise d’investissement de :

–        rembourser aux investisseurs les fonds leur étant dus ou leur appartenant et détenus pour leur compte en relation avec des opérations d’investissement

ou

–        restituer aux investisseurs des instruments leur appartenant et détenus, administrés ou gérés pour leur compte en relation avec des opérations d’investissement,

conformément aux conditions légales et contractuelles applicables.

3.      Toute créance du type de celles visées au paragraphe 2 sur un établissement de crédit qui, dans un État membre donné, relèverait à la fois de la présente directive et de la directive 94/19/CE est imputée par ledit État membre à un système relevant de l’une ou de l’autre de ces directives, selon ce qu’il juge le plus approprié. Aucune créance ne peut faire l’objet d’une double indemnisation en vertu des deux directives.

[...] »

3.      La directive 2004/39/CE

14.      Les considérants 2, 26 et 31 de la directive 2004/39/CE (6) énoncent :

« (2)      Depuis quelques années, les investisseurs font davantage appel aux marchés financiers, où ils trouvent un éventail élargi de services et d’instruments, dont la complexité s’est accrue. Cette évolution justifie une extension du cadre juridique communautaire, qui doit englober toutes les activités offertes aux investisseurs. À cette fin, il convient d’atteindre le degré d’harmonisation nécessaire pour offrir aux investisseurs un niveau élevé de protection et pour permettre aux entreprises d’investissement de fournir leurs services dans toute la Communauté, qui constitue un marché unique, sur la base de la surveillance exercée dans l’État membre d’origine. En conséquence, la directive [93/22] devrait être remplacée par une nouvelle directive.

[...]

(26)      Afin de protéger les droits de propriété et les droits analogues d’un investisseur sur les valeurs mobilières ainsi que ses droits sur les fonds confiés à une entreprise, il convient de distinguer ces droits de ceux de l’entreprise en question. Ce principe ne devrait toutefois pas empêcher une entreprise d’opérer en son propre nom mais pour le compte d’un investisseur, lorsque la nature même de l’opération le requiert et que l’investisseur y consent, par exemple en procédant au prêt de titres.

[...]

(31)      L’un des objectifs de la présente directive est de protéger les investisseurs.

[...] »

15.      L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/39 définit comme :

« 1)      “entreprise d’investissement” : toute personne morale dont l’occupation ou l’activité habituelle consiste à fournir un ou plusieurs services d’investissement à des tiers et/ou à exercer une ou plusieurs activités d’investissement à titre professionnel ;

[...]

2)      “services et activités d’investissement” : tout service et toute activité répertoriés à la section A de l’annexe I et portant sur tout instrument visé à la section C de la même annexe ;

[...]

17)      “instruments financiers” : les instruments visés à la section C de l’annexe I ;

18)      “valeurs mobilières” : les catégories de titres négociables sur le marché des capitaux (à l’exception des instruments de paiement), telles que :

a)      les actions de sociétés et autres titres équivalents à des actions de sociétés, de sociétés de type partnership ou d’autres entités ainsi que les certificats représentatifs d’actions ;

b)      les obligations et les autres titres de créance, y compris les certificats d’actions concernant de tels titres ;

[...] »

16.      L’annexe I de la directive 2004/39 (« Liste des services, des activités et des instruments financiers ») comprend une section A (« services et activités d’investissement ») qui prévoit les points suivants :

« 1. Réception et transmission d’ordres portant sur un ou plusieurs instruments financiers.

2. Exécution d’ordres au nom de clients.

3. Négociation pour compte propre.

4. Gestion de portefeuille.

5. Conseil en investissement.

6. Prise ferme d’instruments financiers et/ou placement d’instruments financiers avec engagement ferme.

7. Placement d’instruments financiers sans engagement ferme.

8. Exploitation d’un système multilatéral de négociation (MTF). »

17.      La section C de cette même annexe (« Instruments financiers ») comprend, en son point 1, les « Valeurs mobilières ».

4.      La directive 2006/48/CE

18.      Les considérants 5 et 6 de la directive 2006/48/CE (7) prévoient :

« (5)      Les travaux de coordination en matière d’établissements de crédit devraient, tant pour la protection de l’épargne que pour créer les conditions d’égalité dans la concurrence entre ces établissements, s’appliquer à l’ensemble de ceux-ci. Il faudrait toutefois tenir compte des différences objectives existant entre leurs statuts et leurs missions propres prévues par les législations nationales.

(6)      Il convient dès lors que le champ d’application des travaux de coordination soit le plus large possible et vise tous les établissements dont l’activité consiste à recueillir du public des fonds remboursables aussi bien sous la forme de dépôts que sous d’autres formes telles que l’émission continue d’obligations et d’autres titres comparables et à octroyer des crédits pour leur propre compte. Des exceptions devraient être prévues concernant certains établissements de crédit auxquels la présente directive ne peut pas s’appliquer. La présente directive ne devrait pas porter atteinte à l’application des législations nationales lorsqu’elles prévoient des autorisations spéciales complémentaires permettant aux établissements de crédit d’exercer des activités spécifiques ou d’effectuer des types spécifiques d’opération. »

19.      L’article 5 de la directive 2006/48 dispose :

« Les États membres interdisent aux personnes ou entreprises qui ne sont pas des établissements de crédit d’exercer, à titre professionnel, l’activité de réception de dépôts ou d’autres fonds remboursables du public.

Le premier alinéa ne s’applique pas à la réception de dépôts ou autres fonds remboursables par un État membre, par des autorités régionales ou locales d’un État membre ou par des organismes publics internationaux dont un ou plusieurs États membres sont membres, ni aux cas visés expressément par les législations nationales ou communautaire, à condition que ces activités soient soumises à des réglementations et contrôles visant à la protection des déposants et des investisseurs et applicables à ces cas. »

B.      Le droit lituanien

20.      L’article 2 de la loi no IX 975, du 20 juin 2002, sur l’assurance des dépôts et des obligations à l’égard des investisseurs (8), définit :

« 3.      “Déposant” : personne physique ou morale, détenant un dépôt dans une banque, une succursale de banque ou une coopérative de crédit, à l’exception des personnes dont les dépôts ne peuvent, en vertu de la présente loi, être objet de l’assurance. Lorsque la personne physique ou morale (à l’exclusion des sociétés de gestion qui gèrent des fonds communs de placement ou fonds de pension) détient le dépôt à titre fiduciaire, le fiduciant est considéré comme déposant. Lorsqu’un groupe de personnes est, en vertu de contrats, titulaire de droits de créance sur les fonds, chacune de ces personnes est considérée comme déposant et les fonds sont partagés en parts égales entre elles, sauf si les contrats à l’origine de leurs créances ou des décisions juridictionnelles en disposent autrement.

[...]

4.      “Dépôt” : montant total des fonds (y compris les intérêts) d’un déposant, détenus dans une banque, une succursale de banque ou une banque coopérative, en vertu d’un contrat de dépôt et/ou de compte bancaire, ainsi que des autres fonds sur lesquels le déposant a un droit de créance, né de l’engagement de l’établissement de crédit d’effectuer des opérations avec les fonds du déposant ou de fournir des services d’investissement.

[...]

11.      “Investisseur” : personne physique ou morale qui a remis des fonds ou des valeurs mobilières au preneur d’assurance en vue de bénéficier de services d’investissement fournis par ce dernier. Lorsqu’un groupe de personnes est, en vertu de contrats, titulaire de droits de créance sur les fonds ou valeurs mobilières, chacune de ces personnes est considérée comme investisseur et les valeurs mobilières ou les fonds sont partagés en parts égales entre elles, sauf si les contrats à l’origine de leurs créances ou des décisions juridictionnelles en disposent autrement. Lorsque la personne qui a remis les fonds ou valeurs mobilières (à l’exclusion des sociétés de gestion qui gèrent des fonds communs de placement ou fonds de pension) agit à titre fiduciaire, le fiduciant est considéré comme investisseur.

12.      “Obligations à l’égard de l’investisseur” : obligation du preneur d’assurance qui fournit à un investisseur des services d’investissement de restituer à ce dernier les fonds ou valeurs mobilières lui appartenant. »

21.      En vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la loi lituanienne sur l’assurance des dépôts sont objet de l’assurance les dépôts des déposants en monnaie nationale et en devises. Quant au paragraphe 4 du même article, il précise que ne peuvent pas être objet de l’assurance, entre autres, les titres de créance émis par l’assuré lui-même.

22.      Conformément à l’article 9, paragraphe 1, deuxième phrase de la loi lituanienne sur l’assurance des dépôts, le droit à l’indemnité d’assurance naît dans le chef de l’investisseur le jour de la survenance de l’événement assuré uniquement dans le cas où l’assuré a transféré ou utilisé les titres et (ou) les fonds de l’investisseur sans le consentement de ce dernier.

II.    Les faits

A.      Affaire C688/15

23.      Le 21 décembre 2010, l’assemblée générale des actionnaires de BAB bankas Snoras (ci-après « Snoras ») a approuvé l’augmentation de son capital social moyennant une offre au public d’acquisition et de souscription de nouvelles actions.

24.      Le 3 février 2011, la Vertybinių popierių komisija (commission des valeurs mobilières, Lituanie) a approuvé le prospectus d’information concernant l’émission.

25.      Le 1er mars 2011, un compte a été ouvert au nom de Snoras, auprès de la banque FINASTA AB (ci-après « FINASTA »), afin d’y consigner les fonds des clients destinés à l’acquisition des actions objet de l’émission.

26.      Entre le 9 mars et le 16 mai 2011, Mme Agnieška Anisimovienė et 256 autres clients de Snoras (ci-après « et consorts ») ont conclu avec cette banque différents contrats de souscription d’actions. En vertu de ces contrats, Snoras a acquis le droit de retirer les montants correspondant au prix de ces actions des comptes que Mme Anisimovienė et consorts détenaient auprès d’elle, pour les transférer sur le compte ouvert au nom de Snoras auprès de FINASTA. Mme Anisimovienė et consorts pouvaient aussi effectuer directement le transfert sur ce compte.

27.      Le 5 mai 2011, Snoras a demandé à la Lietuvos Bankas (Banque de Lituanie) l’autorisation d’enregistrer les modifications statutaires consécutives à l’augmentation de capital.

28.      Le 16 novembre 2011, la Banque de Lituanie a décidé d’imposer un moratoire sur les opérations de Snoras jusqu’au 16 janvier 2012, ainsi que l’expropriation des actions de Snoras pour des raisons d’intérêt général.

29.      Le 22 novembre 2011, la Banque de Lituanie a refusé d’accorder l’autorisation d’enregistrer les modifications statutaires susmentionnées et, par décision du 24 novembre 2011, elle a retiré son agrément à Snoras.

30.      Le 7 décembre 2011, Snoras a été placée en redressement judiciaire avec effet à compter du 20 décembre 2011.

31.      Mme Anisimovienė et consorts ont alors saisi le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius, Lituanie), en vue de se voir reconnaître le statut de déposants de la banque en question. Cette demande a été rejetée par jugement du 29 septembre 2014, le tribunal ayant considéré qu’il convenait de les considérer comme des investisseurs et que les montants qu’ils avaient versés aux fins de l’acquisition des actions n’avaient pas acquis le statut de dépôts.

32.      L’appel formé contre ce jugement a été rejeté par la Lietuvos apeliacinis teismas (Cour d’appel de Lituanie), par ordonnance du 12 mars 2015, qui a fait l’objet, à son tour, d’un pourvoi en cassation devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême).

B.      L’affaire C109/106

33.      La commission des valeurs mobilières lituanienne a approuvé, par décisions des 16 juin et 14 juillet 2011, un prospectus concernant l’émission, par Snoras, de nouvelles obligations.

34.      Sur le fondement de ce prospectus, Snoras pouvait procéder à plusieurs émissions d’obligations à moyen terme négociables, sous réserve de la publication, préalablement, des conditions définitives applicables à chaque émission.

35.      Le prospectus susmentionné indiquait que : 1) les particuliers pouvaient acquérir ces obligations auprès des succursales, agences et autres services de Snoras ; 2) le prix des obligations devait être réglé le jour de la conclusion du contrat de souscription, et, pour cela, l’acquéreur devait disposer du montant correspondant sur un compte ouvert auprès de Snoras et autoriser cette banque à l’en débiter ; 3) la date d’émission des obligations serait considérée comme la date de prise d’effet indiquée dans les conditions définitives de l’émission ; et 4) les obligations en cause devaient être inscrites à un compte-titres ouvert auprès de Snoras au nom de l’acquéreur.

36.      Le 2 novembre 2011, Snoras a publié les conditions définitives de la onzième émission d’obligations à moyen terme et à un taux d’intérêts fixe.

37.      Les 10 et 11 novembre 2011, M. Alvydas Raišelis a conclu avec Snoras des contrats de souscription d’obligations correspondant à ladite émission, dont il a versé le prix sur son compte bancaire personnel ouvert auprès de Snoras. Ces contrats prévoyaient une clause qui autorisait la banque à débiter le montant versé, sans qu’un nouveau contrat ne fût nécessaire, à titre de paiement des obligations acquises.

38.      Snoras a transféré, conformément aux contrats conclus, les montants versés par M. Raišelis vers un compte dont elle était elle-même titulaire.

39.      En conséquence des difficultés de Snoras, auxquelles nous faisions référence plus haut, les obligations souscrites par M. Raišelis n’ont pas fait l’objet d’une émission.

40.      M. Raišelis a saisi le Vilniaus miesto 2-asis apylinkės teismas (deuxième tribunal de district de la ville de Vilnius, Lituanie) pour se voir reconnaître son droit à l’indemnité d’assurance à l’encontre de Indėlių ir investicijų draudimas VĮ (entreprise publique ayant pour mission de garantir la protection des dépôts et des investissements en cas d’insolvabilité des établissements financiers, Lituanie, ci-après « IDD »).

41.      Le tribunal de district a débouté le requérant par jugement du 7 septembre 2012. Cette juridiction a considéré que, bien que l’émission d’obligations n’eût pas été menée à bien, M. Raišelis n’aurait eu droit à l’indemnité d’assurance que si Snoras avait transféré ou utilisé les titres ou les fonds de l’investisseur sans le consentement de ce dernier, ce qui n’avait pas été le cas. Selon elle, en outre, les titres de créance émis par Snoras ne pouvaient pas faire l’objet de l’assurance.

42.      Par un arrêt du 17 octobre 2013, le Vilniaus apygardos teismas (tribunal régional de Vilnius) a annulé le jugement de première instance et a reconnu à la partie appelante le droit à l’indemnité demandée.

43.      Selon le juge d’appel, malgré le fait que les obligations auraient dû être émises et inscrites au compte-titres personnel de M. Raišelis à la date de prise d’effet prévue de l’émission des titres (le 1er décembre 2011), ladite émission n’avait pas eu lieu et n’avait pas déployé ses effets en raison de la décision de la Banque de Lituanie de retirer définitivement l’agrément à Snoras. Le tribunal régional de Vilnius a déclaré qu’il fallait considérer le demandeur comme investisseur et que les fonds qu’il détenait sur le compte de Snoras, à la date de survenance du fait assuré, devaient être qualifiés de dépôts garantis, de sorte que M. Raišelis était créancier de l’indemnité qu’il réclamait.

44.      IDD a alors attaqué l’arrêt de deuxième instance devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie).

III. Les questions préjudicielles

45.      Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) a introduit deux demandes de décision à titre préjudiciel, enregistrées auprès de la Cour de justice respectivement le 21 décembre 2015 (affaire C‑688/15) et le 25 février 2016 (affaire C‑109/16), dont le libellé est le suivant :

A.      Affaire C688/15

« 1)      Les dispositions de la directive dépôts [94/19] doivent-elles être interprétées en ce sens que peuvent être considérés comme des dépôts, en vertu de cette directive, des fonds débités avec l’accord des personnes ou transférés ou versés par ces mêmes personnes sur un compte ouvert au nom d’un établissement de crédit situé dans un autre établissement de crédit ?

2)      Les dispositions de l’article 7, paragraphe 1, de la directive dépôts [94/19] lues en combinaison avec celles de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive doivent-elles être interprétées en ce sens que la garantie des dépôts à concurrence du montant prévu à l’article 7, paragraphe 1, doit couvrir chaque personne dont la créance peut être établie avant le jour de l’adoption des décisions prévues à l’article 1er, paragraphe 3, points i) et ii), de la directive dépôts [94/19] ?

3)      La définition d’une “opération bancaire normale” est-elle importante, au sens de la directive dépôts [94/19], pour interpréter la notion de “dépôt” comme un solde créditeur résultant des opérations bancaires ? Convient-il, compte tenu de cette définition, d’interpréter aussi la notion de dépôt de la législation nationale transposant la directive dépôts [94/19] ?

4)      Si la réponse à la troisième question est affirmative, comment convient-il de comprendre et d’interpréter la notion d’opération bancaire normale utilisée à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive dépôts [94/19] :

a)      quelles opérations bancaires devraient être considérées comme normales ou selon quels critères convient-il d’apprécier si une opération bancaire spécifique est normale ;

b)      la notion d’“opérations bancaires normales” doit-elle être interprétée en fonction de l’objectif des opérations bancaires effectuées ou en fonction des opérateurs entre lesquels ces opérations bancaires sont exécutées ;

c)      la notion de “dépôt” telle qu’utilisée dans la directive dépôts [94/19], en tant que solde créditeur résultant des opérations bancaires normales, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle n’englobe que les cas où toutes les opérations à l’origine de la formation de ce solde sont qualifiées de normales ?

5)      Dans l’hypothèse où les fonds ne relèveraient pas de la notion de “dépôt” en vertu de la directive dépôts [94/19], et où l’État membre aurait choisi un mode de transposition des directives dépôts [94/19] et investisseurs [97/9] dans le droit national selon lequel les fonds sur lesquels le déposant possède une créance provenant de l’engagement d’un établissement de crédit de fournir des services d’investissement sont également considérés comme des dépôts, la protection de la garantie des dépôts ne peut-elle s’appliquer que s’il est établi qu’un établissement de crédit a agi dans le cas spécifique en tant qu’entreprise d’investissement et que les fonds lui avaient été confiés en vue d’exercer une activité d’investissement, au sens des directives investisseurs et 2004/39 ? »

B.      Affaire C109/16

« 1)      Lorsqu’un établissement de crédit exerce des activités d’entreprise d’investissement, que des fonds lui ont été transférés en vue d’acquérir des titres de créance émis par l’établissement de crédit lui-même, mais que l’émission n’a pas eu lieu et que ces titres ne sont pas devenus la propriété de la personne qui avait versé les fonds, alors que ces fonds ont déjà été débités du compte bancaire de cette personne et portés au crédit d’un compte ouvert au nom de l’établissement de crédit et sont indisponibles, et que, en outre, la volonté du législateur national quant à l’application d’un système de protection donné dans cette situation n’est pas claire, est-il possible d’appliquer directement l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 et l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 97/9 pour déterminer le système de protection applicable à ces fonds et la destination des fonds est-elle à cet égard le principal critère ? Les dispositions précitées sont-elles suffisamment claires, précises, inconditionnelles et créatrices de droits subjectifs pour pouvoir être invoquées par des particuliers devant le juge national à l’appui de leurs demandes d’indemnisation à l’encontre de l’organisme de garantie institué par l’État ?

2)      Convient-il de comprendre et interpréter l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9, lequel détermine les créances couvertes par le système d’indemnisation des investisseurs, en ce sens qu’en relèvent également des créances de remboursement de fonds que l’entreprise d’investissement doit aux investisseurs et qu’elle ne détient pas au nom de ces derniers ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9, lequel précise les créances couvertes par le système d’indemnisation, est-il suffisamment clair, précis, inconditionnel et créateur de droits subjectifs pour pouvoir être invoqué par des particuliers devant le juge national à l’appui de leurs demandes d’indemnisation à l’encontre de l’organisme de garantie institué par l’État ?

4)      Convient-il de comprendre et interpréter l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 en ce sens que peuvent être considérés comme un dépôt au sens de cette directive des fonds débités du compte personnel d’une personne avec le consentement de celle-ci et portés au crédit d’un compte ouvert au sein de l’établissement de crédit au nom de ce dernier et affecté au paiement des futurs titres de créance de cet établissement ?

5)      Convient-il de comprendre et interpréter les dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 94/19 en ce sens que l’indemnisation au titre de la garantie des dépôts doit être versée, dans la limite de la somme indiquée à l’article 7, paragraphe 1, de la directive 94/19, à chaque personne dont il peut être établi qu’elle est titulaire d’un droit de créance avant la date à laquelle est fait le constat ou est rendue la décision visés à l’article 1er, point 3, sous i) et ii), de la directive 94/19 ? »

IV.    La procédure devant la Cour

46.      IID, le gouvernement lituanien et la Commission ont déposé des observations écrites dans les affaires C‑688/15 et C‑109/16. Mme Anisimovienė et consorts ont présenté des observations écrites dans l’affaire C‑688/15.

47.      À l’audience qui s’est tenue le 30 mars 2017 dans les deux affaires, ont comparu Mme Anisimovienė et consorts, IID, le gouvernement lituanien et la Commission.

V.      Appréciation

48.      Dans la présente affaire préjudicielle, la question qui se pose est celle de savoir comment qualifier, aux fins de l’application des directives 94/19 et 97/9, les sommes remises par des clients à un établissement de crédit (Snoras) en vue d’acquérir soit des actions de cette banque (affaire C‑688/15), soit des obligations émises par celle-ci (affaire C‑109/16).

49.      Dans le premier cas, les fonds des clients ont été versés soit directement par eux, soit avec leur consentement, sur un compte ouvert par Snoras auprès d’un autre établissement de crédit (FINASTA), moyennant des transferts effectués par Snoras en débitant les comptes ouverts par les personnes en question auprès de ses succursales.

50.      Dans le second cas, les fonds ont été transférés, également avec le consentement du client, depuis le compte que ce dernier détenait auprès de Snoras vers un autre compte ouvert également auprès de Snoras par cette dernière en son propre nom.

51.      Dans aucun des deux cas, l’opération envisagée n’a pu être menée à bien, du moment que Snoras a perdu en 2011 son agrément et a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

52.      Il s’agit, à présent, d’établir, en premier lieu, si tant les fonds destinés à l’acquisition d’actions de Snoras (affaire C‑688/15) que ceux destinés à la souscription d’obligations de cet établissement de crédit (affaire C‑109/16) peuvent être qualifiés de « dépôt » au sens de la directive 94/19.

53.      Ensuite (et seulement au regard de l’affaire C‑109/16), il faudra décider si les sommes remises en vue de souscrire les obligations peuvent bénéficier de la protection que la directive 97/9 offre aux investisseurs.

54.      Les deux questions se posent dans le contexte d’une réglementation nationale qui a transposé dans une loi unique tant la directive dépôts (94/19) que la directive investisseurs (97/9).

55.      Les questions posées par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) peuvent, selon moi, être regroupées et reformulées en trois questions.

56.      En premier lieu, il conviendra d’apprécier : a) si les fonds objet de l’affaire C‑688/15 constituent un « dépôt » aux fins de la directive 94/19, ce qui constitue l’objet des questions 1, 3, 4 et 5 posées par la juridiction de renvoi, ainsi que, accessoirement, de la question 2 ; et b) si les fonds, dans l’affaire C‑109/16, peuvent également être qualifiés de « dépôts » au sens de la directive 94/19 (question 4 de l’affaire C‑109/16). Ce n’est que dans l’hypothèse où les uns ou les autres fonds relèveraient de la directive 94/19 qu’il y aurait lieu d’établir quels seraient les bénéficiaires de la garantie (question 2 de l’affaire C‑688/15 et question 5 de l’affaire C‑109/16).

57.      En deuxième lieu, il conviendra d’examiner si les sommes objet de l’affaire C‑109/16 sont protégées par la directive 97/9, étant donné que la juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 2, paragraphe 2, de cette directive s’applique aux fonds dus aux investisseurs par une entreprise d’investissement.

58.      Enfin, les questions 1 et 3 de l’affaire C‑109/16 portent sur le possible effet direct des directives 94/19 et 97/9.

A.      Sur la notion de « dépôt » au sens de la directive 94/19 et sur le bénéficiaire de sa garantie (questions 1 à 5 de l’affaire C688/15 et questions 4 et 5 de l’affaire C109/16)

1.      Positions des parties

59.      Mme Anisimovienė et consorts estiment que la directive 94/19 couvre les fonds qu’ils ont versés à Snoras en vertu des contrats de souscription des actions. Selon eux, ces sommes devaient leur être restituées dès le moment où les contrats en cause sont devenus sans objet au motif que la Banque de Lituanie a refusé l’inscription de l’augmentation de capital de Snoras.

60.      Pour les demandeurs, il se serait produit une « situation transitoire » dans laquelle les fonds que Snoras leur devait ne leur ont pas été restitués en raison des difficultés financières dans lesquelles se trouvait cette banque. En d’autres termes, la situation de Snoras a empêché que soit menée à bien une « opération bancaire normale », à savoir le fait de virer à Mme Anisimovienė et consorts les montants déposés sur le compte de Snoras qui n’avaient pas pu être employés à l’acquisition des actions.

61.      Selon eux, une interprétation restrictive de la réglementation applicable reviendrait à les priver non seulement de l’indemnité en tant qu’investisseurs, mais également de l’indemnisation au titre de la garantie des dépôts. Ils estiment que, lorsqu’un déposant qui souhaite devenir investisseur n’y parvient pas (ce qui serait leur cas), il bénéficierait de la protection de la directive 94/19.

62.      En outre, ils affirment qu’il y a lieu de considérer comme un déposant le titulaire d’une créance lui ouvrant le droit à la restitution des fonds à la date de la décision visée à l’article 1er, point 3, sous i) et ii), de la directive 94/19.

63.      Tant IID que le gouvernement lituanien et la Commission considèrent que les fonds en cause dans les deux procédures ne constituent pas des dépôts au sens de la directive 94/19.

64.      IID fait valoir, à l’instar de la Commission, que les fonds dans l’affaire C‑688/15 constitueraient plutôt un dépôt de Snoras auprès de FINASTA (et non un dépôt de Mme Anisimovienė et consorts), du moment que les sommes correspondantes, comme cela a été jugé dans une autre affaire, auraient été transférées à Snoras, qui en serait devenue propriétaire, de sorte qu’elles ne seraient pas couvertes par la directive 94/19.

65.      Pour IID, le gouvernement lituanien et la Commission, les fonds en question ne bénéficiaient pas de la garantie de la directive 94/19, au motif qu’ils n’étaient pas déposés sur les comptes de Mme Anisimovienė et consorts et qu’ils n’étaient pas représentés par des titres de créance émis par Snoras. La seule question qui se poserait, partant, serait celle de savoir si ces fonds peuvent être imputés à des « situations transitoires provenant d’opérations bancaires normales ». Cela ne serait pas le cas, parce que la notion d’« opération bancaire normale » ne comprend pas la réception, par une banque, de capitaux destinés à l’acquisition de ses propres actions.

66.      IDD conteste que la directive 94/19 puisse s’appliquer aux fonds objet de l’affaire C‑688/15 en considérant que Snoras aurait agi en tant qu’entreprise d’investissement et aurait reçu les fonds pour effectuer des opérations d’investissement. Selon elle, les deux systèmes de garantie en question sont de nature différente. Même si des recoupements peuvent se produire, cela n’aurait pas été le cas dans la présente affaire, du moment que les demandeurs ont transféré les fonds en vue de réaliser un investissement qui, finalement, a échoué. Le transfert de ces fonds ne constituait pas un dépôt protégé par la directive 94/19, pas plus que le risque propre à l’investissement n’était couvert par la directive 97/9.

67.      Quant à l’affaire C‑688/15, le gouvernement lituanien fait valoir que le législateur national a choisi d’appliquer la garantie des dépôts de la directive 94/19 lorsqu’un établissement de crédit s’engage à fournir des services d’investissement. Partant, selon lui, la question de la destination des fonds détenus par Snoras serait hypothétique. En tout état de cause, et à titre subsidiaire, les fonds confiés à un établissement de crédit pour acquérir des instruments financiers ou à d’autres fins pourraient donner lieu, si celui-ci devenait insolvable, à une indemnisation au titre de la directive 94/19, si l’on pouvait considérer que les fonds en cause relèvent de son champ d’application.

68.      La Commission avance, à propos de l’affaire C‑688/15, que les directives 94/19 et 97/9 n’assurent pas l’harmonisation complète en la matière. Les États membres peuvent accorder une protection accrue, sous réserve que cela ne vienne pas diminuer l’effet utile des directives ni interférer avec les domaines harmonisés par d’autres dispositions européennes.

69.      Pour la Commission, les États membres peuvent étendre la protection du système de garantie des dépôts à des fonds qui ne seraient couverts par aucune des deux directives. Si cette protection comprenait les créances nées de l’engagement d’un établissement bancaire à fournir à ses clients des services d’investissement, il ne serait pas nécessaire que ledit établissement ait agi, le cas échéant, en tant qu’entreprise d’investissement au sens de la directive 97/9.

70.      Dans l’hypothèse où les fonds litigieux pourraient être considérés comme des dépôts, le gouvernement lituanien estime que l’indemnisation ne devrait pas être accordée au titulaire du compte, mais au propriétaire de ces fonds, dont l’identité doit être établie avant la date du constat de l’insolvabilité de l’établissement de crédit.

71.      IID souligne, à cet égard, que la révocation de l’agrément de Snoras s’est produite le 24 novembre 2011, date à laquelle ni cet établissement ni FINASTA n’étaient tenus de restituer les fonds, étant donné que la décision d’augmenter le capital était valable jusqu’au 20 décembre 2011, et que seulement à ce moment Snoras aurait dû restituer les fonds à Mme Anisimovienė et consorts.

72.      Pour ce qui concerne spécifiquement les fonds dans l’affaire C‑109/16, IID, le gouvernement lituanien et la Commission s’accordent à considérer, en substance, qu’ils ne peuvent être qualifiés de dépôts. Il s’agit, selon eux, de fonds transférés, avec le consentement de la personne concernée, vers un compte de Snoras en vue d’accéder à une émission future d’obligations de cet établissement de crédit, ce qui ne relève pas de la notion de « dépôt » au sens de la directive 94/19.

2.      Analyse de la question

a)      Sur la notion de « dépôt » au sens de la directive 94/19. Considérations d’ordre général

73.      La notion de « dépôt » comprend, en vertu de l’article 1er, point 1, de la directive 94/19, d’une part, « tout solde créditeur résultant de fonds laissés en compte ou de situations transitoires provenant d’opérations bancaires normales, que l’établissement de crédit doit restituer conformément aux conditions légales et contractuelles applicables », et, d’autre part, « toute créance représentée par un titre de créance émis par l’établissement de crédit ».

74.      Comme l’a affirmé l’avocat général Cruz Villalón dans les conclusions présentées dans la première affaire Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (9), « [d]ans les deux cas, il s’agit de créances que l’établissement de crédit doit restituer soit, dans un cas, au titulaire d’un compte sur lequel figurent des fonds, entraînant un solde créditeur, ou sur lequel des opérations bancaires normales ont été réalisées, conduisant à des situations transitoires ayant également entraîné un solde créditeur, soit, dans un autre cas, au titulaire d’un titre de créance [“certificat de dépôt” dans la version en langue espagnole de la directive] » (10).

75.      L’obligation de restitution est, partant, essentielle, dans la définition de la notion de « dépôt » (11). Cela est confirmé par l’article 1er, point 4, de la directive 94/19, en vertu duquel les établissements de crédit visés en son point 1 sont des « entreprise[s] dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables » (12).

76.      Le deuxième élément clé de la notion de « dépôt » au sens de la directive 94/19 est, précisément, le fait que le dépositaire doit être un établissement de crédit.

77.      Enfin, un troisième élément de cette notion a trait à la qualité du déposant. Sans préjudice des exclusions prévues par la directive 94/19 (13) ou admises par celle-ci (14), les déposants sont essentiellement les « épargnants », dont la protection constitue l’un des objectifs de cette directive, comme l’affirme son premier considérant (15).

78.      Il n’est pas contesté que, dans les litiges à l’origine du présent renvoi préjudiciel, l’on est en présence de deux de ces trois éléments : il s’agit de sommes remises à un établissement decrédit par des particuliers (des épargnants au sens large) qui ne sont pas exclus, en principe, du champ de protection de la directive 94/19. Il reste à voir si l’on est en présence également du troisième élément, dont l’identification est plus problématique.

79.      Parmi les soldes créditeurs mentionnés à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 se trouvent ceux confiés à un établissement de crédit en vertu d’un contrat de dépôt en compte courant ou épargne, notions qui ne s’avèrent pas particulièrement complexes. Il ne me semble pas non plus difficile d’établir – sans préjudice des problèmes linguistiques auxquels je ferai allusion plus loin – ce qu’il faut entendre par « titres de créance » [certificats de dépôt], visés in fine par la définition en question (16). Aucune de ces deux catégories n’est présente dans l’affaire C‑688/15, comme je le montrerai plus loin.

80.      Il est plus compliqué de caractériser les soldes résultant de « situations transitoires provenant d’opérations bancaires normales », c’est-à-dire ceux visés par la deuxième hypothèse prévue à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

81.      En principe, on peut convenir que les « opérations bancaires normales » sont celles effectuées par les établissements de crédit dans l’exercice de leur activité typique, qui consiste fondamentalement « à recueillir du public des fonds remboursables aussi bien sous la forme de dépôts que sous d’autres formes telles que l’émission continue d’obligations et d’autres titres comparables, et à octroyer des crédits pour leur propre compte » (17).

82.      Certes, comme l’a souligné au cours de l’audience le représentant de Mme Anisimovienė et consorts, dans l’affaire C‑688/15, la directive 2006/48 plaide, en son considérant 6, pour que le champ d’application des travaux de coordination en matière d’établissements de crédit soit « le plus large possible ». Cependant, elle dit cela dans le sens qu’il y a lieu d’inclure dans ledit champ d’application « tous les établissements dont l’activité consiste à recueillir du public des fonds remboursables » (18), et ce après avoir mentionné expressément, au considérant 5, « la protection de l’épargne ». Par conséquent, aussi variées que puissent être de nos jours les missions des établissements de crédit, aux fins de la directive 94/19 l’activité pertinente ne peut être que celle typiquement bancaire, à savoir celle liée à la collecte de fonds remboursables et à l’octroi de crédits.

83.      Quant aux « situations transitoires » résultant de ces opérations normales, on pourrait supposer qu’il s’agit de celles qui se produisent dans le laps de temps où les « opérations » en question sont en cours. Ce seraient donc les situations de transition entre deux états comptables, dont la différence tire sa cause de l’opération bancaire qui est intervenue entre eux et dans laquelle tous deux trouvent une continuité parfaite.

84.      Ainsi, dans une première approximation, les « dépôts » garantis par la directive 94/19 seraient, outre les soldes créditeurs éventuellement dégagés dans ces situations de transition, les soldes résultant de toute opération bancaire concrète, normale ou typique (effectuée sur, ou à partir des « fonds laissés en compte »), et les créances représentées par des titres de créance [certificat de dépôt] émis par l’établissement de crédit.

85.      Cela étant dit, je me dois de rappeler que, s’agissant de délimiter la notion de « dépôt » utilisée dans la directive 94/19, la clé réside dans l’obligation de restitution. Il est consubstantiel au contrat de dépôt que l’on reçoive le bien d’autrui avec l’obligation de le garder et de le restituer. Il ne faut pas oublier, en outre, que la directive 94/19 tend, fondamentalement, à protéger les épargnants en cas de fermeture d’un établissement de crédit insolvable (19). Il s’agit donc de garantir, avant tout, aux épargnants que ladite insolvabilité ne rende pas impossible le recouvrement (à tout le moins jusqu’à une certaine limite) de leurs fonds, à la restitution desquels l’établissement de crédit était légalement tenu.

86.      Du point de vue de la protection des épargnants, j’estime donc que les dépôts garantis par la directive 94/19 sont ceux remis (par les clients) à un établissement de crédit, avec la confiance et l’assurance de pouvoir les recouvrer à tout moment, sans autres conditions que celles inhérentes à une opération ordinaire de récupération.

87.      Ce sont, en définitive, des fonds que leur titulaire laisse dans un compte, pour employer l’expression utilisée dans l’article 1er, point 1, de la directive 94/19, afin qu’ils y demeurent jusqu’à ce qu’il décide de les recouvrer. Évidemment, le titulaire peut également les utiliser, tant qu’ils sont laissés sur ledit compte, pour des opérations de paiement (domiciliation de factures et autres) qu’il souhaite imputer à ce compte, en accord avec l’établissement bancaire.

88.      La directive 94/19 tend à soutenir la confiance des épargnants dans la possibilité de récupérer les fonds laissés auprès d’un établissement de crédit, y compris quand ce dernier devient insolvable. Le législateur de l’Union cherche ainsi à éviter le coût « qu’induirait un retrait massif des dépôts bancaires non seulement d’un établissement en difficulté, mais également d’établissements sains à la suite d’une perte de confiance des déposants dans la solidité du système bancaire » (20).

89.      C’est cette confiance spécifique, et non celle que mérite n’importe quelle relation juridique, que la directive 94/19 tend à assurer. Celle-ci ne garantit pas la restitution des fonds remis en contrepartie d’une quelconque obligation contractuelle, mais exclusivement la récupération des fonds confiés par les épargnants à un établissement de crédit avec la certitude qu’ils pourraient les recouvrer à tout moment.

90.      Évidemment, les fonds employés à l’exécution d’une obligation contractée dans le cadre de toute autre relation contractuelle bénéficieront de la protection générale que l’ordre juridique accorde aux contrats valablement conclus. Mais cette protection (générale) n’entre en jeu qu’à travers les voies établies dans chaque cas afin d’engager la responsabilité juridique de la personne qui manque à ses obligations ex contracto, voies parmi lesquelles ne se trouvent pas celles prévues par la directive 94/19.

b)      Sur la possible qualification comme « dépôt » des fonds litigieux dans l’affaire C688/15

91.      La Cour de justice a clairement affirmé, dans son arrêt du 21 décembre 2016 (21), que l’acquisition d’actions de sociétés n’est pas garantie par la directive 94/19. Dans le contexte de cette affaire, il s’agissait d’établir si cette directive comprenait la protection de participations dans des sociétés coopératives reconnues opérant dans le secteur financier. La Cour de justice a conclu que « [l]’acquisition de telles parts s’apparente ainsi davantage à l’acquisition d’actions de sociétés, à l’égard desquelles la directive 94/19 ne prévoit aucune garantie, qu’à un placement sur un compte bancaire » (22).

92.      Du moment que, dans l’affaire en question, il s’agissait d’élucider simplement si l’acquisition de ces participations concrètes pouvait relever de la notion de « dépôt » au sens de la directive 94/19, la Cour de justice n’a pas eu à pousser plus loin l’examen de la souscription d’actions en tant que telle, en se bornant à affirmer son exclusion de la directive 94/19. La question se pose à présent, en revanche, de manière frontale, de sorte qu’il convient de se pencher sur les raisons qui ont fondé, concrètement, cette affirmation tranchante de la Cour de justice.

93.      En nous en tenant aux circonstances de l’affaire C‑688/15, telles qu’elles ressortent de l’ordonnance de renvoi, je suis d’avis que les fonds objet de ce litige ne sauraient être qualifiés de « dépôts » au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

94.      Je rappellerai qu’il s’agit de sommes versées sur un compte ouvert auprès d’un établissement de crédit (FINESTA) au nom d’un autre (Snoras) et qui étaient destinées à l’acquisition de nouvelles actions émises par ce dernier. Le versement a été effectué soit directement (par les particuliers) sur le compte ouvert par Snoras auprès de FINASTA, soit moyennant des transferts effectués par Snoras sur ce compte, depuis les comptes que ses clients (qui donnaient leur consentement à cet effet) avaient ouverts auprès de Snoras. Avant que l’acquisition des actions n’ait pu être formalisée, le gouvernement lituanien a retiré les actions de Snoras pour des raisons d’intérêt général.

95.      D’après moi, des sommes objet de telles transactions ne constituent pas des « fonds laissés en compte [...] que l’établissement de crédit doit restituer ». De fait, les fonds en question n’avaient même pas été laissés sur les comptes des particuliers, mais sur le compte que Snoras avait ouvert auprès de FINASTA, de sorte que, comme le relèvent IID et la Commission, si dépôt il y avait, ça ne pouvait être que celui de Snoras auprès de FINASTA.

96.      On pourrait soutenir, malgré tout, que les sommes « déposées » par Snoras auprès de FINASTA continuaient à appartenir, en réalité, aux particuliers qui les avaient versées. La garantie octroyée par l’article 8, paragraphe 3, de la directive 94/19 devrait, par conséquent, protéger les demandeurs. Toutefois, il y a deux arguments qui s’opposent à cette affirmation.

97.      En premier lieu, les fonds versés auprès de FINASTA ne pourraient bénéficier, le cas échéant, de la garantie de la directive 94/19 que si FINASTA elle-même, en sa qualité de dépositaire, devenait insolvable et ne pouvait, partant, les restituer, ce qui n’a pas été le cas.

98.      En second lieu (et indépendamment de ce que les juges semblent avoir affirmé que les fonds en question sont la propriété de Snoras) (23), l’obligation de restitution qui pourrait incomber à Snoras trouve sa cause dans l’inexécution du contrat d’acquisition d’actions conclu entre cette banque et ses clients. Cette obligation ne saurait être confondue avec celle de restituer les fonds confiés à un établissement de crédit dans l’assurance de pouvoir les récupérer à tout moment, qui est le trait caractéristique des fonds protégés par la directive 94/19.

99.      En d’autres termes, les fonds remis à Snoras par Mme Anisimovienė et consorts ne l’ont pas été dans la confiance que celle-ci s’engageait à les restituer à n’importe quel moment futur, à leur demande, mais en sachant qu’ils les versaient en tant que contrepartie (paiement du prix) de l’acquisition de la propriété d’un certain nombre d’actions de Snoras. Le fait que cette acquisition n’ait finalement pas pu être menée à bien pourra donner lieu à une inexécution contractuelle, dont la réparation devra suivre le cheminement prévu par la législation civile ou commerciale lituanienne, mais non la voie de la protection octroyée par la directive 94/19 aux dépôts bancaires.

100. La situation générée par le manquement aux engagements pris par Snoras en vertu des contrats de souscription d’actions ne saurait non plus relever, selon moi, des « situations transitoires » auxquelles fait référence l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

101. Les demandeurs font valoir que Snoras était tenue de restituer les fonds qu’ils lui avaient confiés, au motif que leur versement constituait une « opération bancaire normale », même si elle n’a pu être menée à bien, puisque, entre le versement des fonds et leur restitution (une « situation transitoire »), les opérations de Snoras ont été d’abord suspendues, puis la procédure d’insolvabilité a été ouverte à son égard.

102. Je crois, toutefois, que si Snoras devait restituer les fonds reçus en contrepartie d’une émission d’actions qui a échoué par la suite, ce ne serait pas pour avoir effectué une « opération bancaire normale » au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 94/19. Comme je l’ai exposé plus haut, la qualification de « normale » est attribuée aux opérations effectuées par les établissements de crédit dans l’exercice de leur activité typique (recueillir des fonds remboursables et octroyer des crédits pour leur propre compte), et non à la souscription d’actions.

103. Dans l’affaire au principal, les fonds n’ont pas été recueillis comme de tels fonds remboursables, mais comme des sommes d’argent que Snoras a reçues pour augmenter son capital social, augmentation reflétée par les nouvelles actions acquises par les clients. Les montants remis par Mme Anisimovienė et consorts constituaient, dès lors, le paiement d’une contrepartie étrangère à la garde, au maintien et, le cas échéant, à la restitution d’un dépôt.

104. La « situation transitoire » à laquelle fait référence l’article 1er, point 1, de la directive 94/19, est, encore une fois, celle qui se déroule entre des opérations bancaires « normales », et non celle qui se produit entre la naissance d’une obligation en conséquence de l’inexécution d’un contrat d’acquisition d’actions, d’une part, et l’exécution effective de cette obligation, d’autre part. Il ne s’agit pas, en l’espèce, de deux « opérations bancaires normales » entre lesquelles se serait instaurée une « situation transitoire », mais plutôt du reflet du déploiement dans le temps d’une inexécution contractuelle et la matérialisation de sa conséquence juridique.

105. Enfin, il ne me semble pas qu’il y ait matière à discussion quant au fait que les fonds en cause ne sauraient être qualifiés de « créance[s] représentée[s] par un titre de créance émis par [un] établissement de crédit », de sorte qu’ils ne relèvent pas de la troisième hypothèse prévue à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

106. En définitive, à mon avis, les fonds litigieux dans l’affaire C‑688/15 ne constituent pas un dépôt conformément à la directive 94/19.

107. Cela étant dit, la juridiction de renvoi souhaite savoir également, sachant que le législateur national a transposé les directives 94/19 et 97/9 dans un seul texte législatif (24), si le législateur national peut inclure dans la notion de « dépôt » les « fonds sur lesquels le déposant a un droit de créance, né de l’engagement de l’établissement de crédit d’effectuer des opérations avec les fonds du déposant ou de fournir des services d’investissement ». Cela est ainsi énoncé, comme l’affirme le juge a quo, à l’article 2, paragraphe 4, de la loi lituanienne sur l’assurance des dépôts.

108. Selon la juridiction de renvoi, le législateur lituanien aurait voulu étendre, par cette formule, la garantie du système des dépôts à tous les fonds présents sur les comptes bancaires, indépendamment de la finalité des fonds crédités sur chaque compte. Cela inclurait donc également les fonds liés à des services d’investissement fournis par les banques à leurs clients.

109. Je suis d’accord avec la Commission sur le fait que, la directive 94/19 ne prévoyant pas davantage qu’une harmonisation minimale, les États membres sont libres d’augmenter l’étendue de la protection qu’elle garantit, à la condition de ne pas « compromettre l’efficacité pratique du régime de garantie des dépôts que ladite directive leur impose d’instaurer » (25).

110. Sous cette réserve spécifique, si le législateur national décide de qualifier de « dépôt » les fonds liés à la prestation de services d’investissement, la directive 94/19 ne l’en empêche pas. De la même manière, aux fins de l’application de sa réglementation interne, il ne sera pas indispensable d’interpréter ce que l’on entend par « activité d’investissement » dans les termes précis de la directive 97/9.

111. Partant, si la juridiction de renvoi estime que, en mettant de côté la directive 97/9, Snoras a agi en tant qu’entreprise d’investissement et que les fonds litigieux lui ont été remis pour être investis, elle devra décider si, au regard du droit national, cela suffit pour qu’ils bénéficient d’une protection qui, sans être celle garantie par la directive 94/19, ne doit pas porter atteinte au système de cette dernière.

c)      Sur la possible qualification comme « dépôt » des fonds litigieux dans l’affaire C109/16

112. Dans l’affaire C‑109/16, M. Raišelis souhaitait souscrire des obligations à taux fixe et à moyen terme émises par Snoras, en consentant, à cet effet, au transfert de certains fonds depuis un compte dont il était titulaire (auprès de Snoras) vers un autre compte appartenant à cet établissement de crédit. La juridiction de renvoi souhaite savoir si, dans ces circonstances, les fonds en cause peuvent être qualifiés comme « dépôts » conformément à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

113. Selon moi, les raisons qui portent à réfuter le caractère de dépôt des fonds dans l’affaire C‑688/15 sont également applicables dans l’affaire C‑109/16.

114. Dans ce cas non plus, il ne s’agissait pas de dépôts laissés sur le compte de M. Raišelis, puisque, au moment où l’agrément a été retiré à Snoras et où la procédure d’insolvabilité a été ouverte, les fonds avaient déjà été versés sur un compte au nom de cet établissement de crédit. Partant, je dois répéter ici ce qui a été exposé quant à la nature de l’obligation de restitution qui pouvait incomber à Snoras.

115. De manière analogue, les raisons exposées plus haut sur la notion de « situation transitoire » qui est censée s’instaurer entre la naissance de cette obligation ex contracto et son exécution effective sont applicables ici.

116. Les fonds en cause en l’espèce ne peuvent pas davantage être qualifiés comme une « créance représentée par un titre de créance », quoique cette affirmation requière des explications supplémentaires, étant donné que, à la différence de la situation dans l’affaire C‑688/15, M. Raišelis n’a pas cherché à acquérir des actions de Snoras, mais à souscrire des obligations (26) émises par cet établissement.

117. Les fonds en question visaient à constituer une forme de « titres de créance », selon l’expression employée à l’article 4, paragraphe 1, point 18, de la directive 2004/39 en mentionnant certaines valeurs mobilières sur le marché des capitaux (« les obligations et les autres titres de créance, y compris les certificats d’actions [“certificats de dépôt” dans la version en langue espagnole de la directive] concernant de tels titres »).

118. Cette circonstance pourrait être pertinente aux fins de la directive 94/19, du moment que, parmi les créances auxquelles fait référence son article 1er, paragraphe 1, en définissant la notion de « dépôt », figurent précisément celles correspondant aux « titres de créance » [« certificats de dépôt »].

119. D’un point de vue matériel, il est clair que la créance existait depuis le moment où M. Raišelis et Snoras avaient conclu les contrats de souscription et où le prix total des obligations a été versé sur le compte de l’établissement de crédit.

120. Toutefois, il est certain que, d’un point de vue strictement formel, la créance n’a pas donné lieu à un « titre », même si c’était précisément ce que l’on essayait de faire. Partant, selon moi, nous ne sommes pas en présence de la situation de fait visée à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19.

121. J’admets, malgré cela, que, en toute hypothèse, il pourrait être envisagé une interprétation moins stricte de la règle où l’on affirmerait que, en exigeant que la créance soit « représentée » par un titre de créance, la directive 94/19 tend, au final, à garantir (jusqu’à une certaine limite) les créances dont l’existence est suffisamment établie.

122. Au regard de la finalité de protection des épargnants, mentionnée plus haut, une interprétation extensive du terme « représentée » permettrait, peut-être, d’englober toute « preuve suffisante » de la réalité d’une créance que l’établissement de crédit est tenu de rembourser.

123. Cependant, même de ce point de vue, il incomberait à la juridiction nationale d’apprécier si, par la conclusion du contrat de souscription d’obligations entre M. Raišelis et Snoras, et par le fait que le premier a exécuté son obligation contractuelle de verser au second les fonds stipulés, l’existence d’une créance pourrait être considérée comme établie dans la même mesure que si le versement des fonds par M. Raišelis à Snoras avait été acté dans un titre de créance [certificat de dépôt].

124. En outre, en admettant cette interprétation de l’article 1er, point 1, de la directive 94/19, il faudrait tenir compte de ce que la législation lituanienne, faisant usage de la possibilité offerte par l’article 7, paragraphe 2, de cette même directive 94/19, n’inclut pas la garantie des titres de créance [certificats de dépôt] émis par un établissement de crédit (27).

125. L’interprétation fonctionnelle que je viens de mentionner excéderait, probablement, les limites dans lesquelles le législateur européen a encadré la définition des éléments de fait visés à l’article 1er, point 1, de la directive 94/19. On parle en effet, à cet endroit, d’une « créance représentée par un titre de créance », c’est-à-dire d’une créance qui non seulement existe matériellement en tant que telle, mais qui peut être établie de façon formelle moyennant un titre spécifique.

126. La version espagnole de cette disposition semble particulièrement rigoureuse dans la définition de ce titre, qui doit être un « certificat de dépôt ». D’autres versions linguistiques paraissent moins restrictives : la version française, par exemple, vise « toute créance représentée par un titre de créance » (28). Toutefois, il est toujours question d’un « titre », soit un document qui doit « représenter » une créance, c’est-à-dire l’attester formellement.

127. Il ne semble pas suffisant, en définitive, que l’existence de la créance puisse être constatée autrement que moyennant la production d’un document. Cela exclut, a contrario, la simple démonstration de la volonté de formaliser la créance ou, dans le cas qui nous occupe ici, l’exécution de l’obligation de paiement par le souscripteur des obligations émises par l’établissement de crédit (29).

128. En somme, j’estime que les fonds dans l’affaire C‑109/16 ne peuvent pas non plus être qualifiés de « dépôt » au sens de la directive 94/19, sans préjudice du fait que cette directive ne s’oppose pas à ce que, dans le respect de l’efficacité du système de garantie qu’elle établit, la législation nationale puisse traiter comme un dépôt tant ces fonds que ceux en cause dans l’affaire C‑688/15.

B.      Sur la couverture du système d’indemnisation des investisseurs de la directive 97/9 (question 2 dans l’affaire C109/16)

129. Le considérant 9 de la directive 97/9 reconnaît que, dans certains cas, « il peut [...] être difficile, […] d’opérer une distinction entre des dépôts couverts par la directive [94/19] et des fonds détenus en relation avec des opérations d’investissement ». De plus, certaines créances seront susceptibles de protection tant par la directive 94/19 que par la directive 97/9. L’article 2, paragraphe 3, de cette dernière proscrit, dans un pareil cas, la double indemnisation.

130. La juridiction de renvoi demande si les fonds litigieux dans l’affaire C‑109/16, qui, comme je l’ai avancé, ne constituent pas un dépôt conformément à la directive 94/19, relèvent du champ d’application de la directive 97/9.

1.      Positions des parties

131. IID soutient que les fonds en question ne sont pas couverts par la directive 97/9. Snoras n’aurait pas agi en tant qu’entreprise d’investissement, mais en tant qu’établissement émetteur d’obligations, de sorte que le préjudice subi par les clients aurait pour cause la réalisation du risque de l’investissement, qui est exclu, en tant que tel, de la couverture de ladite directive.

132. Dans le même sens, pour le gouvernement lituanien, Snoras ne peut être considérée comme une entreprise prestataire de services d’investissement, puisqu’elle ne correspond pas au profil exigé par la directive 2004/39 en ayant agi en tant qu’émetteur d’obligations et non en tant qu’entreprise de services d’investissement. Le préjudice subi par M. Raišelis est celui inhérent au risque propre à tout investissement.

133. La Commission fait valoir que, indépendamment de la lettre de sa version lituanienne, l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9 doit être interprété dans le sens qu’une couverture doit être assurée pour les créances résultant de l’incapacité d’une entreprise d’investissement de rembourser aux investisseurs les fonds leur étant dus ou leur appartenant, et qui sont détenus pour leur compte en relation avec des opérations d’investissement. Selon elle, il est sans importance que le compte sur lequel sont déposés les fonds soit au nom de l’entreprise d’investissement ou de l’investisseur.

2.      Appréciation de la question

134. La directive 97/9, comme l’indique son titre (30), n’a pas pour objet la protection des investissements, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas à couvrir ou éliminer le risque financier inhérent à tout investissement mobilier. Sa finalité est de protéger les investisseurs, plus concrètement, ou notamment, les « petits investisseurs », conformément au considérant 4 de cette directive.

135. Il s’agit, en effet, de garantir une protection au cas où « une entreprise d’investissement ne serait pas en mesure d’honorer ses engagements à l’égard de ses clients investisseurs » (31), c’est-à-dire de les protéger face à l’inexécution des obligations de « fournir [des] services d’investissement » ou d’« exercer [des] activités d’investissement » (32). Il s’agit donc de protéger l’investisseur dans l’éventualité où l’entreprise à laquelle il a demandé de l’aide pour investir deviendrait insolvable ou, d’une manière générale, « [...] ne serait pas en mesure d’honorer ses engagements à l’égard de ses clients investisseurs ».

136. En définitive, il est assuré que les épargnants (ou, au moins, certains d’entre eux) (33) peuvent investir en ayant confiance dans l’existence d’un système qui les protège, jusqu’à certaines limites, et qui couvre « les fonds ou instruments que détient une entreprise d’investissement » (34) lorsque celle-ci ne peut honorer ses engagements.

137. Il s’agit, partant, d’une garantie qui se superpose, une fois de plus, à l’utilisation des mécanismes habituels que le droit civil, ou commercial, offre aux parties à un contrat. Au-delà de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle des entreprises de services d’investissement qui n’agiraient pas, à l’égard de leurs clients, avec l’honnêteté, l’impartialité et la professionnalité exigée, ou qui leur fourniraient des informations ambiguës ou trompeuses sur les risques qu’ils encourent, le système de garantie de la directive 97/9 s’applique dans des termes objectifs. Mais elle ne conjure pas pour autant le risque que l’investissement, une fois effectué, ne souffre des rigueurs des logiques du marché.

138. Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) semble considérer comme un fait établi que, dans les circonstances de l’affaire C‑109/16, Snoras agissait en tant qu’entreprise d’investissement (35). Ses doutes portent précisément sur la qualification de M. Raišelis en tant qu’investisseur et, par conséquent, sur son droit éventuel à la protection de la directive 97/9.

139. La Cour de justice doit dès lors tenir pour acquis, en vue de répondre à la question concrète que lui pose la juridiction de renvoi, que Snoras réunissait, en l’espèce, les conditions nécessaires pour être qualifiée d’établissement d’investissement (36).

140. En partant de ce qui précède, il y a lieu de souligner que l’opération financière dans laquelle s’est lancé M. Raišelis n’a pas pu être menée à bien à cause de l’insolvabilité d’un établissement (Snoras) qui était, en même temps, l’émetteur des obligations que son client entendait souscrire et l’entreprise d’investissement à laquelle ce dernier avait confié cette transaction.

141. Dans ces conditions, il est difficile de discerner si la perte économique subie par M. Raišelis était due à l’un ou l’autre des rôles joués par Snoras à son égard. Il incombe à la juridiction de renvoi de le déterminer au regard des circonstances de l’affaire au principal. Si elle estime finalement, en premier lieu, que Snoras a agi en tant qu’établissement d’investissement et, en second lieu, que la souscription d’obligations s’inscrivait dans le cadre du contrat de services financiers conclu avec M. Raišelis, il lui incombera d’établir jusqu’à quel point l’« incapacité » survenue de Snoras fait naître une obligation d’indemnisation. Ce pourquoi la juridiction de renvoi demande l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9.

142. Cette question se pose dans le contexte d’une différence notable entre le libellé en lituanien de la disposition en cause et le reste des versions linguistiques. Dans ces dernières, on peut lire qu’il convient d’assurer « [u]ne couverture [...] pour les créances résultant de l’incapacité d’une entreprise d’investissement de rembourser aux investisseurs les fonds leur étant dus ou leur appartenant et détenus pour leur compte en relation avec des opérations d’investissement » (37). Dans le texte en lituanien, on parle seulement de fonds appartenant aux investisseurs, sans qu’il soit fait mention de ceux que l’entreprise d’investissement leur doit (38).

143. Comme je l’exposerai ci-après, la lettre de la disposition applicable contient la référence aux fonds dus aux investisseurs (39), qui sont ceux auxquels s’intéresse concrètement la juridiction de renvoi. Cette dernière, faute de trouver cette référence dans la version lituanienne de la disposition en question, demande à la Cour de justice s’il y a lieu de la déduire par voie d’interprétation.

144. Le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) souhaite savoir si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9 doit être interprété « en ce sens qu’en relèvent également des créances de remboursement de fonds que l’entreprise d’investissement doit aux investisseurs et qu’elle ne détient pas au nom de ces derniers » (40).

145. La réponse affirmative s’impose, d’une part, eu égard à la coïncidence des libellés de la disposition en cause dans la plupart des versions linguistiques (à l’exception de celle lituanienne). En pareil cas, il n’est pas besoin de soumettre à interprétation une règle qui doit être considérée comme intégrée, sans équivoque ni réserve, dans la lettre même de la disposition qui l’énonce. D’autre part, il s’agit de la solution la plus compatible avec la finalité de cette disposition, qui est de protéger l’investisseur.

146. Au reste, l’article en question est suffisamment clair, précis et inconditionnel pour qu’il puisse être invoqué par les particuliers, comme je l’expliquerai ci-après.

C.      Sur l’effet direct des directives 94/19 et 97/9 (questions 1 et 3 de l’affaire C109/16)

147. La juridiction de renvoi demande également si l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9 peut être invoqué directement par les particuliers devant les juridictions.

148. D’après la Commission, c’est le cas, étant donné que la référence faite par cette disposition aux « conditions légales et contractuelles applicables » n’empêche pas que la partie de la disposition relative à l’obligation de rembourser soit suffisamment claire, précise, inconditionnelle et créatrice de droits subjectifs, du moment que les « conditions » en question ne visent autre chose que les modalités de paiement de l’indemnisation.

149. La question a été résolue par l’arrêt du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (41), dans lequel la Cour de justice a déclaré que « la directive 97/9 est, en tant qu’elle est relative à la détermination des cas protégés, suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour être invoquée directement par les particuliers ».

150. Il en va de même de l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 et de la définition de « dépôt » qui y est établie, dont la juridiction de renvoi se demande également si elle est d’effet direct.

151. En tout état de cause, et comme ce fut le cas dans l’affaire Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (42), il appartiendra à la juridiction de renvoi de « vérifier si IID, dont il est constant qu’il a pour mission celle de garantir la protection des dépôts et des investissements à l’égard des investisseurs en cas d’insolvabilité des établissements financiers », remplit les conditions auxquelles sont soumises « des entités qui peuvent se voir opposer les dispositions d’une directive susceptibles d’avoir des effets directs ». Entre autres, il doit s’agir d’« un organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été chargé en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers » (43).

VI.    Conclusion

152. Eu égard à tout ce qui a été exposé ci-dessus, je suggère à la Cour de justice de répondre au Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) de la manière suivante :

1)      L’article 1er, point 1, de la directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 1994, relative aux systèmes de garantie des dépôts, telle que modifiée par la directive 2009/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2009, doit être interprété dans le sens que la notion de « dépôt » ne comprend pas :

–        les fonds transférés depuis un compte bancaire personnel, avec le consentement de son titulaire, vers un autre compte bancaire ouvert au nom d’un établissement de crédit en vue de souscrire à l’émission future d’obligations dudit établissement ;

–        les fonds transférés dans ces mêmes conditions, en vue d’acquérir les actions d’un établissement bancaire qui ont fait l’objet d’une offre d’acquisition au public.

2)      La directive 94/19 ne s’oppose pas à ce que la législation d’un État membre puisse protéger lesdits fonds en tant que dépôts garantis, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’efficacité du système de garantie qu’elle établit.

3)      L’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 3 mars 1997, relative aux systèmes d’indemnisation des investisseurs, s’applique en cas d’incapacité d’une entreprise d’investissement à rembourser à ses clients les fonds qu’elle leur doit.

4)      Tant l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 que l’article 2, paragraphe 2, de la directive 97/9 sont suffisamment clairs, précis et inconditionnels pour qu’ils puissent être invoqués directement devant les organes juridictionnels par les particuliers, face à des organismes qui, quelle que soit leur forme juridique, ont été chargés d’accomplir un service d’intérêt public et qui disposent, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers, ce qu’il incombe à la juridiction nationale d’établir.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      C‑671/13, EU:C:2015:418.


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 1994, L 135, p. 5), telle que modifiée par la directive 2009/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2009 (JO 2009, L 68, p. 3) (ci-après la « directive 94/19 »).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 3 mars 1997 relative aux systèmes d’indemnisation des investisseurs (JO 1997, L 84, p. 22).


5      Directive du Conseil, du 10 mai 1993, concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières (JO 1993, L 141, p. 27).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers, modifiant les directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 93/22/CEE du Conseil (JO 2004, L 145, p. 1).


7      Directive du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice (JO 2006, L 177, p. 1).


8      Žin., 2002, no 65-2635. Loi sur l’assurance des dépôts et des obligations à l’égard des investisseurs, qui transpose dans le droit de la République de Lituanie les directives 94/19 et 97/9 (ci-après la « loi lituanienne sur l’assurance des dépôts »).


9      C‑671/13, EU:C:2015:129, point 36.


10      « Coïncidant sur ce point – poursuivait l’avocat général Cruz Villalón –, lesdites créances se distinguent toutefois par le fait que seuls les titres de créances [“certificats de dépôt” dans la version en langue espagnole de la directive] constituent des créances susceptibles d’être cédées ou, le cas échéant, négociées. »


11      Il n’est pas déterminant, en revanche, qu’il s’agisse d’instruments cessibles ou incessibles. En effet, si, en principe, l’« obligation de restitution exclut la possibilité que la créance puisse être cédée ou négociée, étant donné qu’il s’agit, au sens strict, d’un dépôt confié à l’établissement » [conclusions de l’avocat général Cruz Villalón présentées dans l’affaire C‑671/13 (EU:C:2015:129, point 37)], l’article 1er, point 1, de la directive 94/19 vise également les titres de créance [certificats de dépôt], c’est-à-dire des titres qui font partie du genre « dépôt » caractérisés par leur cessibilité [conclusions de l’avocat général Cruz Villalón présentées dans l’affaire C‑671/13 (EU:C:2015:129, point 39)], ce qui, aux termes de l’arrêt du 25 juin 2015, rendu dans cette affaire (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 36), rend possible « la circulation du droit de crédit incorporé ». La cessibilité a constitué, en outre, un fait pertinent pour la Cour de justice qui a considéré que les dispositions combinées de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 94/19 et du point 12 de l’annexe I de celle-ci ne s’opposent pas à une législation nationale qui exclut de la garantie des dépôts les titres de créance [certificats de dépôt] émis par l’assuré lui-même, « pourvu que de tels titres soient cessibles » [arrêt du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 38)].


12      Suivant la même ligne, l’article 5 de la directive 2006/48 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, réserve aux « établissements de crédit [le droit] d’exercer, à titre professionnel, l’activité de réception de dépôts ou d’autres fonds remboursables » (mis en italique par mes soins).


13      C’est le cas, dans certaines circonstances, des établissements de crédit eux-mêmes, comme il ressort de l’article 2 de la directive.


14      Celles énumérées à l’annexe I et auxquelles renvoie l’article 7, paragraphe 2, de la directive 94/19.


15      Il est fait également référence à la protection des « consommateurs » au seizième considérant de la directive 94/19.


16      Il s’agit d’instruments financiers définis par Cortés, L. J. : « Contratos bancarios (II) », in Uría, R. y Menéndez, A. : Curso de Derecho Mercantil, vol. II, Civitas, Madrid, 2001, p. 541, comme des « titres à ordre transmissibles par endos, de sorte que le titulaire peut les céder en récupérant les fonds investis ou déposés à terme sans annuler ou mettre fin au contrat avec l’établissement de crédit ».


17      Considérant 6 de la directive 2006/48.


18      Mise en italique par mes soins.


19      Premier et deuxième considérants de la directive 94/19.


20      Quatrième considérant de la directive 94/19.


21      Vervloet e.a. (C‑76/15, EU:C:2016:975, point 67).


22      Voir arrêt du 21 décembre 2016, Vervloet e.a. (C‑76/15, EU:C:2016:975, point 67)..


23      C’est ce qu’affirme IID au point 70 de ses observations écrites dans l’affaire C‑688/15, en citant l’arrêt rendu par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême) le 2 octobre 2013 (affaire civile no 3K 3 470/2013). La Commission a également fait allusion à cet arrêt lors de l’audience.


24      C’est là une formule à laquelle le droit de l’Union ne s’oppose pas, même si la Cour de justice a rappelé qu’« il convient toutefois, ainsi que cela est souligné au considérant 9 de la directive 97/9, que le régime institué par cet acte réponde aux exigences des deux directives » [arrêt du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 45)].


25      Voir, dans ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Vervloet e.a. (C‑76/15, EU:C:2016:975, point 83).


26      L’obligation est un instrument financier représentant, en substance, le prêt d’un capital composé de fonds qui devront être restitués au prêteur à la date et aux conditions stipulées à cet effet.


27      Comme cela a été constaté dans l’arrêt du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 38), l’article 3, paragraphe 4, de la loi lituanienne sur l’assurance des dépôts « exclut de la garantie des dépôts les “titres de créance (certificats de dépôt) émis par l’assuré lui-même” ». La Cour de justice a jugé cette exclusion compatible avec la directive 94/19, dans la mesure où « de tels titres [sont] cessibles ». Lors de l’audience, le gouvernement lituanien a confirmé que la législation lituanienne n’a pas été modifiée sur ce point. Il appartiendrait donc à la juridiction de renvoi de vérifier si les obligations litigieuses satisfont ou non cette condition en vue de leur possible exclusion de la garantie des dépôts.


28      De la même manière, les versions italienne et portugaise parlent respectivement de « débiti rappresentati da titoli » et de « dívidas representadas por títulos ».


29      D’autres versions linguistiques confirment l’importance de la forme. Ainsi, la version anglaise dispose « any debt evidenced by a certificate » et celle allemande « Forderungen, die das Kreditinstitut durch Ausstellung einer Urkunde verbrieft hat ».


30      Directive « relative aux systèmes d’indemnisation des investisseurs ».


31      Considérant 4 de la directive 97/9.


32      Article 4, paragraphe 1, point 1, de la directive 2004/39.


33      En vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 97/9, « [l]es États membres peuvent prévoir que certains investisseurs soient exclus de la couverture du système ou soient plus faiblement couverts. La liste de ces exclusions figure à l’annexe I ».


34      Considérant 8 de la directive 97/9.


35      D’après ce qu’on peut lire au point 22 de l’ordonnance de renvoi, M. Raišelis avait conclu avec Snoras, outre le contrat de souscription d’obligations, un contrat de services financiers à un client non professionnel.


36      Cet aspect n’est pas présent dans l’affaire C‑688/15, dans laquelle tout indique que Snoras n’avait pas fourni de services d’investissement. C’est peut-être pour cette raison que la juridiction de renvoi a centré les questions de cette affaire sur le champ d’application de la directive 94/19 et sur la possible qualification des fonds litigieux en tant que « dépôts ».


37      C’est le cas, par exemple, dans la version espagnole et dans d’autres versions, comme la version anglaise (« repay money owed to or belonging to investors and held on their behalf in connection with investment business ») ; la version allemande (« Gelder zurückzuzahlen, die Anlegern geschuldet werden oder gehören und für deren Rechnung im Zusammenhang mit Wertpapiergeschäften gehalten werden ») ; la version italienne (« rimborsare i fondi dovuti o appartenenti agli investitori e detenuti per loro conto in relazione ad operazioni d’investimento ») ; ou la version portugaise (« reembolsar os investidores dos fundos que lhes sejam devidos ou que lhes pertençam e que sejam detidos por sua conta no âmbito de operações de investimento »).


38      « [G]rąžinti pinigus, priklausančiusinvestuotojams ir laikomus jų vardu ryšium su investicine veikla ». Ces mêmes termes sont utilisés dans l’article 2, paragraphe 12 de la loi lituanienne sur l’assurance des dépôts.


39      Comme le rappelle la Cour de justice dans son arrêt du 7 juillet 2016, Ambisig (C‑46/15, EU:C:2016:530, point 48), « la formulation utilisée dans une des versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union ne saurait servir de base unique à l’interprétation de cette disposition ou se voir attribuer un caractère prioritaire par rapport aux autres versions linguistiques. Les dispositions du droit de l’Union doivent en effet être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. Ainsi, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ».


40      Libellé de la deuxième question dans l’affaire C‑109/16 ; mise en italique par mes soins.


41      C‑671/13, EU:C:2015:418, point 58.


42      Arrêt du 25 juin 2015 (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 59).


43      Arrêt du 25 juin 2015, Indėlių ir investicijų draudimas y Nemaniūnas (C‑671/13, EU:C:2015:418, point 59).