Language of document : ECLI:EU:C:2018:168

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 mars 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/96/CE – Taxation des produits énergétiques et de l’électricité – Article 14, paragraphe 1, sous a) – Produits énergétiques à usage de production d’électricité – Obligation d’exonération – Article 15, paragraphe 1, sous c) – Produits énergétiques à usage de production combinée de chaleur et d’énergie – Faculté d’exonération ou de réduction du niveau de taxation – Gaz naturel destiné à la cogénération de chaleur et d’électricité »

Dans l’affaire C‑31/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 18 janvier 2017, parvenue à la Cour le 23 janvier 2017, dans la procédure

Cristal Union, venant aux droits de Sucrerie de Toury SA,

contre

Ministre de l’Économie et des Finances,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund, J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : Mme V. Giacobbo-Peyronnel, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 novembre 2017,

considérant les observations présentées :

–        pour Cristal Union, venant aux droits de Sucrerie de Toury SA, par Mes C. Lesourd et J.-M. Priol, avocats,

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier, S. Ghiandoni et A. Alidière, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par M. S. Hartikainen, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes C. Perrin et F. Tomat, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 février 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous a), et de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96/CE du Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité (JO 2003, L 283, p. 51).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cristal Union, venant aux droits de Sucrerie de Toury SA, au ministre de l’Économie et des Finances, au sujet de la taxation du gaz naturel utilisé par une installation de cogénération aux fins de la production combinée de chaleur et d’électricité.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 2 à 7, 11, 12, 24 et 25 de la directive 2003/96 sont libellés comme suit :

« (2)      L’absence de dispositions communautaires soumettant à une taxation minimale l’électricité et les produits énergétiques autres que les huiles minérales peut être préjudiciable au bon fonctionnement du marché intérieur.

(3)      Le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des objectifs des autres politiques communautaires nécessitent que des niveaux minima de taxation soient fixés au niveau communautaire pour la plupart des produits énergétiques, y compris l’électricité, le gaz naturel et le charbon.

(4)      D’importants écarts entre les niveaux nationaux de taxation de l’énergie appliqués par les États membres pourraient s’avérer préjudiciables au bon fonctionnement du marché intérieur.

(5)      La fixation à des niveaux appropriés des minima communautaires de taxation peut permettre de diminuer les écarts actuels entre les niveaux nationaux de taxation.

(6)      Conformément à l’article 6 du traité [CE], les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques de la Communauté.

(7)      En tant que partie à la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, la Communauté a ratifié le protocole de Kyoto. La taxation des produits énergétiques et, le cas échéant, de l’électricité, est un des instruments disponibles pour atteindre les objectifs de Kyoto.

[...]

(11)      Les régimes fiscaux instaurés dans le cadre de la mise en œuvre du présent cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité relèvent de la compétence de chacun des États membres. À cet égard, les États membres pourraient décider de ne pas accroître la charge fiscale globale s’ils considèrent que la mise en œuvre d’un tel principe de neutralité fiscale pourrait contribuer à la restructuration et à la modernisation de leurs systèmes fiscaux en favorisant les comportements allant dans le sens d’une plus grande protection de l’environnement et en encourageant une utilisation accrue du facteur travail.

(12)      Les prix des produits énergétiques sont des éléments clés des politiques communautaires de l’énergie, des transports et de l’environnement.

[...]

(24)       Il y a lieu de permettre aux États membres d’appliquer certaines autres exonérations ou des niveaux réduits de taxation, lorsque cela ne nuit pas au bon fonctionnement du marché intérieur et n’entraîne pas de distorsion de concurrence. 

(25)      En particulier, la production combinée de chaleur et d’énergie et, afin de promouvoir l’utilisation de sources d’énergie de substitution, les énergies renouvelables peuvent bénéficier d’un traitement privilégié. »

4        L’article 1er de la directive 2003/96 dispose :

« Les États membres taxent les produits énergétiques et l’électricité conformément à la présente directive. »

5        Aux termes de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive :

« Outre les dispositions générales de la directive 92/12/CEE [du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO 1992, L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 2000/47/CE du Conseil, du 20 juillet 2000 (JO 2000, L 193, p. 73)] concernant les utilisations exonérées de produits imposables, et sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu’ils fixent en vue d’assurer l’application correcte et claire de ces exonérations et d’empêcher la fraude, l’évasion ou les abus :

a)      les produits énergétiques et l’électricité utilisés pour produire de l’électricité et l’électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l’électricité. Toutefois, les États membres peuvent taxer ces produits pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement et sans avoir à respecter les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive. Dans ce cas, la taxation de ces produits n’entre pas en ligne de compte dans le niveau minimum de taxation de l’électricité visé à l’article 10 ».

6        L’article 15, paragraphe 1, sous c), de ladite directive prévoit :

« Sans préjudice d’autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation :

[...]

c)      aux produits énergétiques et à l’électricité utilisés pour la production combinée de chaleur et d’énergie ».

7        L’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive 2003/96 prévoit :

« Une entité qui produit de l’électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, [sous] a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d’électricité, pour autant qu’ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité. »

 Le droit français

8        L’article 266 quinquies du code des douanes, dans sa version applicable du 1er janvier au 31 décembre 2006, disposait :

« 1. Le gaz naturel [...] est soumis à une taxe intérieure de consommation lors de sa livraison à l’utilisateur final.

[...]

3.      [...]

Sont également exonérées les livraisons de gaz destiné à être utilisé :

[...]

c)       comme combustible pour la production d’électricité, à compter du 1er janvier 2006 et à l’exclusion des livraisons de gaz destiné à être utilisé dans les installations visées à l’article 266 quinquies A. »

9        L’article 266 quinquies A du code des douanes, dans sa version applicable à compter du 1er janvier 2006, dispose : 

« Les livraisons de gaz naturel et d’huiles minérales destinés à être utilisés dans des installations de cogénération, pour la production combinée de chaleur et d’électricité ou de chaleur et d’énergie mécanique, sont exonérées des taxes intérieures de consommation prévues aux articles 265 et 266 quinquies pendant une durée de cinq années à compter de la mise en service des installations. [...]

Cette exonération s’applique aux installations mises en service, au plus tard, le 31 décembre 2007. [...] »

10      À compter du 1er janvier 2007, l’article 266 quinquies, paragraphe 3, second alinéa, sous c), du code des douanes a été modifié comme suit :

« 3.      [...]

Sont également exonérées les livraisons de gaz destiné à être utilisé :

[...]

c)      comme combustible pour la production d’électricité, à compter du 1er janvier 2006.

L’exonération prévue [...] au présent [paragraphe 3, sous c)] ne s’applique pas aux livraisons de gaz destiné à être utilisé dans les installations visées à l’article 266 quinquies A. Toutefois, les producteurs dont l’installation ne bénéficie pas d’un contrat d’achat d’électricité [...], renonçant à bénéficier de l’exonération de taxes intérieures prévue à l’article 266 quinquies A, bénéficient du régime prévu au [paragraphe 3, sous c)]. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

11      Sucrerie de Toury, dont Cristal Union est le successeur légal, exploite une installation de cogénération de chaleur et d’électricité pour laquelle elle utilise du gaz naturel comme combustible.

12      Le gaz naturel livré à Sucrerie de Toury entre le 1er janvier 2006 et le 25 décembre 2007 a été soumis par son fournisseur, qui en a acquitté le montant, à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel, prévue à l’article 266 quinquies du code des douanes.

13      Estimant que ces livraisons de gaz auraient dû être exonérées de cette taxe en vertu de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96, Sucrerie de Toury a saisi le tribunal administratif d’Orléans (France) d’une demande tendant à la condamnation de l’État à la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait du retard mis par la République française à transposer cette disposition en droit interne.

14      Par jugement du 31 janvier 2013, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté cette demande.

15      Par arrêt du 18 décembre 2014, la cour administrative d’appel de Nantes (France) a rejeté l’appel interjeté par Sucrerie de Toury contre ce jugement, au motif, en substance, que le gaz naturel destiné à la production combinée de chaleur et d’électricité relève exclusivement de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, qui prévoit la faculté pour les États membres d’exonérer les produits énergétiques utilisés pour une telle production, et non de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, selon lequel les États membres exonèrent les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité.

16      Le 10 févier 2015, Sucrerie de Toury a saisi le Conseil d’État (France) d’un pourvoi contre cet arrêt.

17      Dans ces conditions, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les produits énergétiques utilisés pour la production combinée de chaleur et d’électricité relèvent-ils exclusivement de la faculté d’exonération ouverte [à l’article 15, paragraphe 1, sous c)] de la directive 2003/96 ou entrent-ils également, s’agissant de la part de ces produits dont la consommation correspond à la production d’électricité, dans le champ de l’obligation d’exonération prévue [à l’article 14, paragraphe 1, sous a)] de cette directive ? » 

 Sur la question préjudicielle

18      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que l’exonération obligatoire prévue à cette disposition s’applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée de celle-ci et de chaleur, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

19      Selon le gouvernement français, les produits énergétiques utilisés à cette dernière fin par une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal, relèvent exclusivement de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96, de telle sorte que, nonobstant l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, un État membre n’est pas tenu d’exonérer la part de ces produits utilisée pour la production d’électricité.

20      En revanche, Cristal Union, le gouvernement finlandais et la Commission européenne estiment que l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 n’exclut pas l’application de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive, lequel impose aux États membres d’exonérer la part des produits énergétiques utilisée par une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal, pour la production d’électricité. Ledit article 15, paragraphe 1, sous c), aurait pour seul objet de donner aux États membres l’option supplémentaire d’exonérer partiellement ou totalement la part des produits énergétiques correspondant à la production de chaleur.

21      Selon une jurisprudence constante, les dispositions concernant les exonérations prévues par la directive 2003/96 doivent recevoir une interprétation autonome, fondée sur leur libellé ainsi que sur l’économie de cette directive et les finalités poursuivies par celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 3 avril 2014, Kronos Titan et Rhein-Ruhr Beschichtungs-Service, C‑43/13 et C‑44/13, EU:C:2014:216, point 25, ainsi que du 13 juillet 2017, Vakarų Baltijos laivų statykla, C‑151/16, EU:C:2017:537, point 24 et jurisprudence citée).

22      En premier lieu, il convient de relever qu’il ressort des termes mêmes de la première phrase de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 que les États membres ont l’obligation d’exonérer de la taxation prévue par cette directive les « produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité ».

23      Force est de constater qu’un tel libellé n’exclut nullement du champ d’application de cette exonération obligatoire les produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité par une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal. En effet, il demeure qu’une telle installation utilise des « produits énergétiques pour produire de l’électricité », au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96.

24      En deuxième lieu, concernant l’économie de la directive 2003/96, il convient de rappeler que, certes, celle-ci ne vise pas à instituer des exonérations de caractère général (voir, en ce sens, arrêts du 1er décembre 2011, Systeme Helmholz, C‑79/10, EU:C:2011:797, point 23, et du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft, C‑250/10, non publié, EU:C:2011:862, point 19).

25      Aussi, dès lors que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/96 énonce de manière limitative les exonérations obligatoires s’imposant aux États membres dans le cadre de la taxation des produits énergétiques et de l’électricité (voir arrêts du 5 juillet 2007, Fendt Italiana, C‑145/06 et C‑146/06, EU:C:2007:411, point 36, ainsi que du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems, C‑5/14, EU:C:2015:354, point 45), ses dispositions ne sauraient être interprétées de manière extensive, sous peine de priver la taxation harmonisée instituée par cette directive de tout effet utile.

26      Cela étant, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96, en ce qu’il impose aux États membres l’exonération obligatoire des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité, prévoit une obligation précise et inconditionnelle, de telle sorte que cette disposition confère aux particuliers le droit de s’en prévaloir directement devant les juridictions nationales (voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 2008, Flughafen Köln/Bonn, C‑226/07, EU:C:2008:429, points 29 à 33).

27      En outre, il y a lieu d’observer que, lorsque le législateur de l’Union a entendu permettre aux États membres de déroger à ce régime d’exonération obligatoire, il l’a prévu de manière explicite, respectivement à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de la directive 2003/96, selon lequel ceux-ci peuvent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement, et à l’article 21, paragraphe 5, troisième alinéa, de cette directive, en vertu duquel les États membres qui exonèrent l’électricité produite par les petits producteurs d’électricité doivent taxer les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité.

28      Il ressort ainsi de l’économie de la directive 2003/96 que, à l’exclusion de ces deux cas spécifiques, l’exonération obligatoire des produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de cette directive s’impose aux États membres de manière inconditionnelle.

29      En troisième lieu, s’agissant des finalités poursuivies par la directive 2003/96, il convient, tout d’abord, d’observer que cette directive, en prévoyant un régime de taxation harmonisé des produits énergétiques et de l’électricité, vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 à 5 et 24, à promouvoir le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie, en évitant, notamment, les distorsions de concurrence (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 3 avril 2014, Kronos Titan et Rhein-Ruhr Beschichtungs-Service, C‑43/13 et C‑44/13, EU:C:2014:216, points 31 et 33 ; du 2 juin 2016, ROZ-ŚWIT, C‑418/14, EU:C:2016:400, point 32, ainsi que du 7 septembre 2017, Hüttenwerke Krupp Mannesmann, C‑465/15, EU:C:2017:640, point 26).

30      À cette fin, s’agissant de la production d’électricité, le législateur de l’Union a fait le choix, ainsi qu’il ressort, notamment, de la page 5 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques (JO 1997, C 139, p. 14), d’imposer aux États membres, conformément à l’article 1er de la directive 2003/96, la taxation de l’électricité produite, les produits énergétiques utilisés pour la production de celle-ci devant, corrélativement, être exonérés de la taxation, et cela dans le but d’éviter, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 56 à 62 de ses conclusions, la double taxation de l’électricité.

31      Or, si les produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité par une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal, n’étaient pas exonérés de la taxation au titre de l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96, il en résulterait précisément un risque de double taxation, dès lors que l’électricité ainsi produite serait, conformément à l’article 1er de cette directive, également taxée.

32      Certes, la directive 2003/96 n’exclut pas tout risque de double taxation, dès lors que, comme il a déjà été indiqué au point 27 du présent arrêt, un État membre, conformément à l’article 14, paragraphe 1, sous a), deuxième phrase, de cette directive, peut taxer les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité pour des raisons ayant trait à la protection de l’environnement (voir arrêt du 4 juin 2015, Kernkraftwerke Lippe-Ems, C‑5/14, EU:C:2015:354, point 51).

33      Toutefois, il demeure que, si une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal, était privée de l’exonération prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96, au seul motif qu’elle produit non pas uniquement de l’électricité, mais de manière combinée de la chaleur et de l’électricité, il pourrait en résulter, comme le font ressortir les circonstances de l’affaire au principal, une inégalité de traitement entre les producteurs d’électricité, ce qui serait une source de distorsions de concurrence préjudiciables au fonctionnement du marché intérieur dans le secteur de l’énergie (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, Haltergemeinschaft, C‑250/10, non publié, EU:C:2011:862, points 17 et 18).

34      Par ailleurs, il convient de rappeler que la directive 2003/96 vise également à atteindre l’objectif, tel qu’énoncé aux considérants 6, 7, 11 et 12 de celle-ci, visant à encourager des objectifs de politique environnementale (arrêt du 7 septembre 2017, Hüttenwerke Krupp Mannesmann, C‑465/15, EU:C:2017:640, point 26).

35      Or, la taxation des produits énergétiques lorsqu’ils sont utilisés pour la production d’électricité par une installation de cogénération, telle que celle en cause au principal, eu égard au risque de double taxation qu’elle implique, serait contraire à cet objectif.

36      En effet, le droit de l’Union vise, ainsi qu’il ressort, en particulier, de la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relative à l’efficacité énergétique, modifiant les directives 2009/125/CE et 2010/30/UE et abrogeant les directives 2004/8/CE et 2006/32/CE (JO 2012, L 315, p. 1), à promouvoir la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l’énergie, dès lors que la cogénération à haut rendement offre un potentiel important d’économies d’énergie primaire.

37      En outre, il est constant que, ainsi qu’il ressort du considérant 20 de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), la cogénération génère moins d’émissions de CO2 par unité produite que la production séparée de chaleur et d’électricité.

38      En conséquence, il convient de constater qu’il résulte tant du libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96 que de l’économie et des finalités de cette directive que les produits énergétiques utilisés pour la production combinée de chaleur et d’électricité relèvent du champ d’application de l’exonération obligatoire prévue à cette disposition.

39      Cette interprétation n’est pas susceptible d’être remise en cause par l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96.

40      En effet, le régime facultatif prévu à cette disposition, en vertu duquel les États membres peuvent exonérer partiellement ou totalement ou réduire le niveau de taxation des produits énergétiques utilisés pour la production combinée de chaleur et d’électricité, ne saurait constituer un élément déterminant pour définir la portée des exonérations obligatoires prévues à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/96 (voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2007, Jan De Nul, C‑391/05, EU:C:2007:126, point 29).

41      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de faire l’objet de plusieurs interprétations, il convient de privilégier celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (voir, notamment, arrêts du 18 décembre 2008, Afton Chemical, C‑517/07, EU:C:2008:751, point 43, et du 10 septembre 2014, Holger Forstmann Transporte, C‑152/13, EU:C:2014:2184, point 26).

42      Or, ainsi qu’il ressort des points 26 à 28 du présent arrêt, l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96 impose aux États membres l’obligation inconditionnelle d’exonérer les produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité.

43      Sous peine de priver cette disposition de son effet utile, le régime facultatif prévu à l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive ne peut donc avoir qu’un caractère résiduel, en ce sens qu’il se borne à permettre aux États membres d’appliquer, ainsi qu’il ressort du considérant 25 de ladite directive, un « traitement privilégié » aux produits énergétiques utilisés pour la production combinée de chaleur et d’électricité, par l’adoption, en vue d’encourager les objectifs de politique environnementale rappelés aux points 34 à 37 du présent arrêt, d’un régime spécifique qui prévoit soit l’exonération de ces produits énergétiques, soit la réduction du niveau de leur taxation, pour autant que le niveau de taxation retenu garantisse l’exonération obligatoire de la part desdits produits utilisée pour la production d’électricité (voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2007, Jan De Nul, C‑391/05, EU:C:2007:126, point 29).

44      L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/96 vise ainsi à accorder aux États membres une possibilité supplémentaire de déroger à la taxation des produits énergétiques prévue à l’article 1er de cette directive et non à écarter l’application du régime d’exonération obligatoire prévu à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de ladite directive.

45      À cet égard, il y a lieu de préciser que les éventuelles difficultés d’ordre pratique qu’implique la nécessité d’identifier la part des produits énergétiques utilisée par une installation de cogénération pour la production d’électricité par rapport à celle utilisée pour la production de chaleur, mises en exergue par le gouvernement français, ne sauraient, en aucun cas, dispenser les États membres de leur obligation d’exonérer de manière inconditionnelle les produits énergétiques utilisés pour produire de l’électricité, conformément à l’article 14, paragraphe 1, sous a), première phrase, de la directive 2003/96. Au demeurant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 74 de ses conclusions, il ressort des éléments fournis par la Commission et Cristal Union, lors de l’audience, qu’il n’apparaît nullement impossible d’évaluer, selon des modalités qu’il appartient, en l’absence de précision dans cette directive, aux États membres de déterminer, la quantité de produits énergétiques, laquelle est susceptible de varier en fonction des caractéristiques des installations de cogénération, qui est nécessaire pour produire une quantité donnée d’électricité ou une quantité donnée de chaleur.

46      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96 doit être interprété en ce sens que l’exonération obligatoire prévue à cette disposition s’applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée de celle-ci et de chaleur, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/96/CEdu Conseil, du 27 octobre 2003, restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, doit être interprété en ce sens que l’exonération obligatoire prévue à cette disposition s’applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d’électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée de celle-ci et de chaleur, au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

Silva de Lapuerta

Fernlund

Bonichot

Arabadjiev

 

Regan

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 mars 2018.

Le greffier

Le président de la Ière chambre

A. Calot Escobar

 

R. Silva de Lapuerta


*      Langue de procédure : le français.