Language of document : ECLI:EU:C:2018:733

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

19 septembre 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Motifs de non-exécution – Article 50 TUE – Mandat émis par les autorités judiciaires d’un État membre ayant déclenché la procédure de retrait de l’Union européenne – Incertitude quant au régime applicable aux relations entre cet État et l’Union à la suite du retrait »

Dans l’affaire C‑327/18 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 17 mai 2018, parvenue à la Cour le 18 mai 2018, dans la procédure relative à l’exécution des mandats d’arrêt européens émis à l’encontre de

RO,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, président de chambre, MM. C. G. Fernlund (rapporteur), A. Arabadjiev, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la demande de la juridiction de renvoi du 17 mai 2018, parvenue à la Cour le 18 mai 2018, de soumettre le renvoi préjudiciel à la procédure d’urgence, conformément à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour,

vu la décision du 11 juin 2018 de la première chambre de faire droit à ladite demande,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juillet 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour RO, par Mme E. Martin-Vignerte et M. J. MacGuill, solicitors, Mme C. Cumming, BL, ainsi que par M. P. McGrath, SC,

–        pour le Minister for Justice and Equality, par Mmes M. Browne et G. Hodge ainsi que par MM. A. Joyce et G. Lynch, en qualité d’agents, assistés de Mme E. Duffy, BL, et de M. R. Barron, SC,

–        pour le gouvernement roumain, par Mme L. Liţu et M. C. Canţăr, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Brandon et Mme C. Brodie, en qualité d’agents, assistés de M. J. Holmes, QC, et de M. D. Blundell, barrister,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid ainsi que par MM. R. Troosters et M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 août 2018,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 TUE et de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Irlande, de deux mandats d’arrêt européens émis par les juridictions du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à l’encontre de RO.

 Le cadre juridique

 Le traité UE

3        L’article 50, paragraphes 1 à 3, TUE prévoit :

« 1.      Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.

2.      L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, [TFUE]. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

3.      Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai. »

 La décision-cadre

4        Les considérants 10 et 12 de la décision-cadre sont libellés comme suit :

« (10)      Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. La mise en œuvre de celui-ci ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article [2 TUE], constatée par le Conseil en application de [l’article 7, paragraphe 2, TUE] avec les conséquences prévues au paragraphe [3] du même article.

[...]

(12)      La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par [les articles 2 et 6 TUE] et reflétés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [...], notamment son chapitre VI. Rien dans la présente décision-cadre ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons. »

5        L’article 1er de la décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre.

3.      La présente décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE]. »

6        L’article 26 de la décision-cadre, intitulé « Déduction de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution », prévoit, à son paragraphe 1 :

« L’État membre d’émission déduit de la durée totale de privation de liberté qui serait à subir dans l’État membre d’émission toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté. »

7        L’article 27 de la décision-cadre, intitulé « Poursuite éventuelle pour d’autres infractions », dispose, à son paragraphe 2 :

« [...] une personne qui a été remise ne peut être poursuivie, condamnée ou privée de liberté pour une infraction commise avant sa remise autre que celle qui a motivé sa remise. »

8        L’article 28 de la décision-cadre régit la remise ou l’extradition ultérieure vers un État autre que l’État membre d’exécution.

 Le droit irlandais

9        La décision-cadre a été transposée dans l’ordre juridique irlandais par l’European Arrest Warrant Act 2003 (loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      RO fait l’objet de deux mandats d’arrêt européens émis par les juridictions du Royaume-Uni à l’attention de l’Irlande.

11      Le premier, émis le 27 janvier 2016, porte sur un assassinat et un incendie volontaire qui auraient été commis le 2 août 2015. Le second, émis le 4 mai 2016, porte sur un viol qui aurait été commis le 30 décembre 2003. Chacun de ces faits est passible de la réclusion à perpétuité.

12      RO a été arrêté et placé en détention provisoire en Irlande le 3 février 2016. Depuis cette date, il demeure en détention provisoire dans cet État membre, au titre des deux mandats d’arrêt européens adoptés contre lui.

13      RO a soulevé des objections à sa remise au Royaume-Uni fondées, notamment, sur le retrait de cet État membre de l’Union et sur l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), en alléguant qu’il pourrait subir des traitements inhumains et dégradants s’il était emprisonné dans la prison de Maghaberry en Irlande du Nord.

14      En raison de son état de santé, RO n’a pas pu être entendu avant le 27 juillet 2017.

15      Par une décision du 2 novembre 2017, la High Court (Haute Cour, Irlande), après avoir examiné les allégations de RO relatives au traitement qu’il pourrait subir en Irlande du Nord, a considéré que, suivant des informations précises et récentes sur les conditions de détention dans la prison de Maghaberry, il était permis de penser que, en raison de sa fragilité, RO risquait réellement de subir des traitements inhumains ou dégradants. Elle a estimé nécessaire, à la lumière de l’arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198), de demander des éclaircissements aux autorités du Royaume‑Uni sur les conditions de détention de RO en cas de remise.

16      Le 16 avril 2018, l’autorité judiciaire d’émission des mandats d’arrêt européens en cause, le Laganside Court in Belfast (tribunal de Laganside à Belfast, Royaume-Uni), a communiqué des informations sur la manière dont l’administration pénitentiaire d’Irlande du Nord gérerait le risque que RO subisse des traitements inhumains ou dégradants en Irlande du Nord.

17      La High Court (Haute Cour) indique qu’elle a rejeté chacune des objections soulevées par RO à l’encontre de sa remise, sauf celles relatives au retrait du Royaume-Uni de l’Union et celle se rapportant à l’article 3 de la CEDH, estimant qu’elle ne pouvait pas se prononcer à leur égard avant d’obtenir la réponse de la Cour sur plusieurs questions préjudicielles.

18      La High Court (Haute Cour) rappelle que, le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié au président du Conseil européen son intention de se retirer de l’Union, en se fondant sur l’article 50 TUE, et que cette notification devrait conduire au retrait du Royaume-Uni de l’Union à compter du 29 mars 2019.

19      Cette juridiction indique que, s’il est procédé à la remise de RO, celui-ci sera très vraisemblablement encore en prison au Royaume-Uni après cette date.

20      La High Court (Haute Cour) observe, également, que des accords seront peut-être conclus entre l’Union et le Royaume-Uni pour régir les relations entre ces parties immédiatement après ce retrait ou à plus long terme, dans des domaines tels que celui couvert par la décision-cadre.

21      Néanmoins, à ce jour, cette éventualité demeurerait incertaine et la nature des mesures qui seraient prises, notamment en ce qui concerne la compétence de la Cour pour statuer sur une question préjudicielle, ne serait pas connue.

22      La High Court (Haute Cour) indique que, selon le Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande), il convient d’appliquer le droit tel qu’il existe aujourd’hui et non pas tel qu’il pourrait exister à l’avenir après le retrait du Royaume-Uni de l’Union. Selon la juridiction de renvoi, ledit ministre en déduit, à juste titre, que la remise de RO s’impose sur le fondement du droit national mettant en œuvre la décision-cadre.

23      Cette juridiction expose que, à l’inverse, selon RO, compte tenu de l’incertitude quant au régime juridique qui existera au Royaume-Uni après le retrait de cet État membre de l’Union, il ne peut pas être garanti que les droits dont il jouit en vertu du droit de l’Union pourront, en pratique, être mis en œuvre en tant que tels, si bien que la remise ne doit pas être exécutée.

24      La juridiction de renvoi précise que RO a identifié quatre aspects du droit de l’Union qui pourraient théoriquement être invoqués, à savoir :

–        le droit à déduction de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution, prévu à l’article 26 de la décision-cadre ;

–        la règle dite « de spécialité », visée à l’article 27 de la décision-cadre ;

–        le droit limitant la remise ou l’extradition ultérieure, visé à l’article 28 de la décision-cadre, et

–        le respect des droits fondamentaux de la personne remise conformément à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

25      Selon cette juridiction, la question se pose de savoir si, dans l’éventualité d’un litige au sujet de l’un de ces quatre aspects et en l’absence de mesures donnant compétence à la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur ceux-ci, la remise d’une personne, telle que RO, crée pour celle-ci un risque significatif de subir une injustice et non pas un risque purement théorique, de sorte que la demande de remise ne devrait pas être accueillie.

26      Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Compte tenu :

–        de la notification effectuée par le Royaume-Uni conformément à l’article 50 TUE ;

–        de l’incertitude quant aux accords qui seront mis en place entre l’Union et le Royaume-Uni pour régir leurs relations après le retrait du Royaume-Uni, et

–        de l’incertitude consécutive quant à la mesure dans laquelle RO pourrait, en pratique, jouir des droits accordés par les traités, la Charte ou toute législation pertinente, s’il était remis au Royaume-Uni et s’il restait incarcéré après le retrait du Royaume-Uni,

un État requis est-il tenu de refuser, en application du droit de l’Union, la remise au Royaume-Uni d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen dont la remise serait par ailleurs obligatoire en application du droit national de cet État membre :

a)      Dans tous les cas ?

b)      Dans certains cas, en fonction des circonstances particulières de l’espèce ?

c)      En aucun cas ?

2)      Si la réponse à la première question est celle énoncée sous b), quels sont les critères ou les éléments devant être appréciés par un tribunal dans l’État requis pour décider si la remise est interdite ?

3)      Dans le cadre de la deuxième question, le tribunal de l’État requis est-il tenu de différer la décision finale sur l’exécution du mandat d’arrêt européen dans l’attente de plus de précisions sur le régime juridique pertinent qui doit être mis en place après le retrait de l’Union de l’État requérant concerné :

a)      Dans tous les cas ?

b)      Dans certains cas, en fonction des circonstances particulières de l’espèce ?

c)      En aucun cas ?

4)      Si la réponse à la troisième question est celle énoncée sous b), quels sont les critères ou les éléments devant être appréciés par un tribunal dans l’État requis pour décider s’il est obligatoire de différer la décision finale sur l’exécution du mandat d’arrêt européen ? »

 Sur la procédure d’urgence

27      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

28      À l’appui de sa demande, cette juridiction a invoqué le fait que l’intéressé est actuellement en détention provisoire en Irlande sur la seule base des mandats d’arrêt européens émis par le Royaume-Uni en vue d’exercer des poursuites pénales et que sa remise à cet État membre dépend de la réponse de la Cour. Elle a souligné que la procédure ordinaire allongerait nettement la durée de détention de l’intéressé alors que celui-ci bénéficie de la présomption d’innocence.

29      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte sur l’interprétation de la décision-cadre, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce renvoi est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

30      En second lieu, quant au critère relatif à l’urgence, il importe, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, de prendre en considération la circonstance que la personne concernée est actuellement privée de liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal. Par ailleurs, la situation de la personne concernée est à apprécier telle qu’elle se présente à la date de l’examen de la demande visant à obtenir que le renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure d’urgence (arrêt du 10 août 2017, Zdziaszek, C‑271/17 PPU, EU:C:2017:629, point 72 et jurisprudence citée).

31      Or, en l’occurrence, il est constant, d’une part, que, à cette date, RO était en détention provisoire en Irlande et, d’autre part, que le maintien de celui-ci dans cette situation dépend de la décision qui sera prise quant à sa remise au Royaume-Uni, laquelle est suspendue en l’attente de la réponse de la Cour dans la présente affaire.

32      Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 11 juin 2018, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

 Sur les questions préjudicielles

33      Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 TUE doit être interprété en ce sens que la notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à cet article a pour conséquence que, en cas d’émission par cet État membre d’un mandat d’arrêt européen à l’encontre d’une personne, l’État membre d’exécution doit refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt européen ou différer son exécution dans l’attente de précisions sur le régime juridique qui sera applicable dans l’État membre d’émission après son retrait de l’Union.

34      À cet égard, il importe de rappeler, ainsi qu’il ressort de l’article 2 TUE, que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre [arrêts du 6 mars 2018, Achmea, C‑284/16, EU:C:2018:158, point 34, et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 35].

35      Le principe de confiance mutuelle entre les États membres impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États membres de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit [voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 36].

36      Il ressort, en particulier, de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, et des considérants 5 et 7 de la décision-cadre que celle-ci a pour objet de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 par un système de remise entre les autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle. La décision-cadre tend ainsi, par l’instauration de ce dernier système simplifié et plus efficace, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, points 39 et 40].

37      Le principe de reconnaissance mutuelle trouve application à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base de ce principe et conformément aux dispositions de la décision-cadre. Les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent donc, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre et l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions qui y sont limitativement énumérées. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 41].

38      Ainsi, la décision-cadre énonce explicitement, à son article 3, les motifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen, à ses articles 4 et 4 bis, les motifs de non-exécution facultative de celui-ci, ainsi que, à son article 5, les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers [arrêts du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, point 51, et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 42].

39      La Cour a, en outre, admis que des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre États membres puissent être apportées « dans des circonstances exceptionnelles » [arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 82, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 43].

40      La Cour a ainsi reconnu, sous certaines conditions, la faculté pour l’autorité judiciaire d’exécution de mettre fin à la procédure de remise instituée par la décision-cadre, lorsqu’une telle remise risque de conduire à un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, de la personne recherchée [arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 104, ainsi que du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 44].

41      À cet effet, la Cour s’est fondée, d’une part, sur l’article 1er, paragraphe 3, de la décision-cadre, qui prévoit que celle-ci ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés aux articles 2 et 6 TUE et, d’autre part, sur le caractère absolu du droit fondamental garanti par l’article 4 de la Charte [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 45].

42      Afin d’apprécier l’existence d’un risque réel qu’une personne concernée par un mandat d’arrêt européen fasse l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant, l’autorité judiciaire d’exécution doit, notamment, à l’instar de la juridiction de renvoi dans le litige au principal, en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre, solliciter, auprès de l’autorité judiciaire d’émission, toute information complémentaire qu’elle juge nécessaire pour l’évaluation de l’existence d’un tel risque [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 76].

43      Toutefois, RO fait valoir que, en raison de la notification par le Royaume-Uni de son intention de se retirer de l’Union en vertu de l’article 50 TUE, il court un risque que plusieurs droits dont il bénéficie en vertu de la Charte et de la décision-cadre ne soient plus respectés après le retrait de l’Union du Royaume-Uni. Selon RO, le principe de la confiance mutuelle, lequel est à la base de la reconnaissance mutuelle, a été irrémédiablement ébranlé par cette notification, si bien que la remise prévue par la décision-cadre ne doit pas être exécutée.

44      À cet égard, la question se pose de savoir si la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE est susceptible de justifier, en vertu du droit de l’Union, un refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis par cet État membre au motif que la personne remise ne pourrait plus, après ce retrait, invoquer dans l’État membre d’émission les droits qu’elle tire de la décision-cadre et faire contrôler par la Cour la conformité de leur mise en œuvre par cet État membre avec le droit de l’Union.

45      Dans ce contexte, il convient de relever qu’une telle notification n’a pas pour effet de suspendre l’application du droit de l’Union dans l’État membre ayant notifié son intention de se retirer de l’Union et que, par conséquent, ce droit, dont font partie les dispositions de la décision-cadre ainsi que les principes de confiance et de reconnaissance mutuelles inhérents à cette dernière, reste pleinement en vigueur dans cet État jusqu’à son retrait effectif de l’Union.

46      En effet, ainsi qu’il ressort de ses paragraphes 2 et 3, cet article 50 prévoit une procédure de retrait comportant, premièrement, la notification au Conseil européen de l’intention de retrait, deuxièmement, la négociation et la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait en tenant compte des relations futures entre l’État concerné et l’Union et, troisièmement, le retrait proprement dit de l’Union à la date de l’entrée en vigueur de cet accord ou, à défaut, deux ans après la notification effectuée auprès du Conseil européen, sauf si ce dernier, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.

47      Or, un tel refus d’exécution du mandat d’arrêt européen équivaudrait, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 55 de ses conclusions, à une suspension unilatérale des dispositions de la décision-cadre et se heurterait, de plus, au libellé du considérant 10 de cette dernière, selon lequel il appartient au Conseil européen de constater une violation dans l’État membre d’émission des principes énoncés à l’article 2 TUE aux fins de la suspension, au regard de cet État membre, de l’application du mandat d’arrêt européen [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 71].

48      Dès lors, la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à l’article 50 TUE ne saurait être considérée, en tant que telle, comme constituant une circonstance exceptionnelle, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 39 et 40 du présent arrêt, susceptible de justifier un refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen émis par cet État membre.

49      Toutefois, il incombe encore à l’autorité judiciaire d’exécution d’examiner, à l’issue d’une appréciation concrète et précise du cas d’espèce, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que, après le retrait de l’Union de l’État membre d’émission, la personne faisant l’objet de ce mandat d’arrêt risque d’être privée des droits fondamentaux et des droits tirés, en substance, des articles 26 à 28 de la décision-cadre, tels qu’invoqués par RO et rappelés au point 24 du présent arrêt [voir, par analogie, arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 73].

50      S’agissant des droits fondamentaux figurant à l’article 4 de la Charte, lesquels correspondent à ceux inscrits à l’article 3 de la CEDH (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 86), dans le cas où la juridiction de renvoi estimerait, ainsi qu’il semble ressortir du libellé de ses questions préjudicielles et du dossier transmis à la Cour, que les informations reçues lui permettent d’écarter l’existence d’un risque réel que RO fasse l’objet, dans l’État membre d’émission, d’un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte, il n’y aurait pas lieu, en principe, de refuser d’exécuter la remise à ce titre, sans préjudice de la possibilité pour RO, une fois remis, d’exploiter, dans l’ordre juridique de l’État membre d’émission, les voies de recours qui lui permettent de contester, le cas échéant, la légalité des conditions de sa détention dans un établissement pénitentiaire de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 103).

51      Toutefois, il convient encore d’examiner si la juridiction de renvoi pourrait remettre en question cette constatation au motif que les droits dont bénéficie une personne à la suite de sa remise en vertu de la décision-cadre ne seraient plus garantis après le retrait de l’Union de l’État membre d’émission.

52      À cet égard, il convient de relever que, en l’occurrence, l’État membre d’émission, à savoir le Royaume-Uni, est partie à la CEDH et, ainsi qu’il l’a souligné lors de l’audience devant la Cour, cet État membre a incorporé les dispositions de l’article 3 de la CEDH dans son droit national. Le maintien de sa participation à cette convention n’étant aucunement lié à son appartenance à l’Union, la décision dudit État membre de se retirer de cette dernière n’a pas d’incidence sur son obligation de respecter l’article 3 de la CEDH, auquel correspond l’article 4 de la Charte, et, par voie de conséquence, ne saurait justifier le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen au motif que la personne remise encourrait un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de ces dispositions.

53      S’agissant des autres droits invoqués par RO, et tout d’abord de la règle de spécialité visée à l’article 27 de la décision-cadre, il convient de rappeler que celle-ci est liée à la souveraineté de l’État membre d’exécution et confère à la personne recherchée le droit de n’être poursuivie, condamnée ou privée de liberté que pour l’infraction ayant motivé sa remise (arrêt du 1er décembre 2008, Leymann et Pustovarov, C‑388/08 PPU, EU:C:2008:669, point 44).

54      Ainsi qu’il ressort dudit arrêt, il importe qu’une personne puisse faire valoir une méconnaissance de cette règle devant les juridictions de l’État membre d’émission après sa remise.

55      Il y a lieu, toutefois, de relever que la décision de renvoi et les observations de RO devant la Cour ne font état d’aucun litige actuel portant sur ladite règle et qu’elles ne présentent pas non plus d’indices tangibles permettant d’envisager un litige à ce sujet.

56      Il en va de même du droit visé à l’article 28 de la décision-cadre relatif aux limites à la remise ou à l’extradition ultérieure vers un État autre que l’État membre d’exécution, aucun indice à ce sujet n’étant évoqué dans la décision de renvoi.

57      Il convient, par ailleurs, de souligner que les dispositions des articles 27 et 28 de la décision-cadre reflètent respectivement celles des articles 14 et 15 de la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957. Or, ainsi qu’il a été rappelé lors de l’audience devant la Cour, le Royaume-Uni a ratifié cette convention et a transposé ces dernières dispositions dans son droit national. Il s’ensuit que les droits invoqués par RO dans ces domaines sont, en substance, couverts par la législation nationale de l’État membre d’émission, indépendamment du retrait de cet État membre de l’Union.

58      S’agissant de la déduction par l’État membre d’émission de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution, conformément à l’article 26 de la décision-cadre, le Royaume-Uni a indiqué qu’il avait également incorporé cette obligation dans son droit national et qu’il l’appliquait indépendamment du droit de l’Union à toute personne extradée sur son territoire.

59      Les droits résultant des articles 26 à 28 de la décision-cadre ainsi que les droits fondamentaux visés à l’article 4 de la Charte étant protégés par des dispositions de droit national dans les cas non seulement de remise, mais aussi d’extradition, ils ne sont pas subordonnés à l’application de la décision-cadre dans l’État membre d’émission. Il apparaît donc, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, qu’il n’existe pas d’indices tangibles tendant à démontrer que RO sera privé de la faculté d’invoquer ces droits devant les juridictions de cet État membre après le retrait de l’Union de ce dernier.

60      La circonstance que lesdits droits ne pourront sans doute pas, en l’absence d’un accord à ce sujet entre l’Union et le Royaume-Uni, faire l’objet d’une question préjudicielle devant la Cour, après le retrait de cet État membre de l’Union, n’est pas susceptible de modifier cette analyse. En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point précédent, la personne remise devrait pouvoir invoquer l’ensemble de ces mêmes droits devant une juridiction dudit État membre. D’autre part, il convient de rappeler que le recours au mécanisme de la procédure préjudicielle devant la Cour n’a pas toujours été ouvert aux juridictions chargées d’appliquer le mandat d’arrêt européen. En particulier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 76 de ses conclusions, ce n’est que le 1er décembre 2014, soit cinq ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que la Cour a obtenu pleine juridiction pour interpréter la décision-cadre alors que cette dernière devait être mise en œuvre dans les États membres dès le 1er janvier 2004.

61      Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 70 de ses conclusions, dans une affaire telle que celle au principal, pour décider s’il y a lieu d’exécuter un mandat d’arrêt européen, il importe que, au moment de prendre cette décision, l’autorité judiciaire d’exécution puisse présumer que, à l’égard de la personne devant faire l’objet de la remise, l’État membre d’émission appliquera, en substance, le contenu des droits tirés de la décision-cadre applicables à la période postérieure à la remise, après le retrait de cet État membre de l’Union. Une telle présomption est permise si le droit national de l’État membre d’émission incorpore, en substance, le contenu de ces droits, notamment en raison du maintien de la participation dudit État membre à des conventions internationales, telles que la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 et la CEDH, même après le retrait de ce dernier de l’Union. Ce n’est qu’en présence d’indices tangibles tendant à démontrer le contraire que les autorités judiciaires d’exécution peuvent refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen.

62      Il y a lieu, partant, de répondre aux questions posées que l’article 50 TUE doit être interprété en ce sens que la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union conformément à cet article n’a pas pour conséquence que, en cas d’émission par cet État membre d’un mandat d’arrêt européen à l’encontre d’une personne, l’État membre d’exécution doive refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt européen ou différer son exécution dans l’attente de précisions sur le régime juridique qui sera applicable dans l’État membre d’émission après son retrait de l’Union. En l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet dudit mandat d’arrêt européen risque d’être privée des droits reconnus par la Charte et la décision-cadre à la suite du retrait de l’Union de l’État membre d’émission, l’État membre d’exécution ne saurait refuser d’exécuter ce même mandat d’arrêt européen tant que l’État membre d’émission fait partie de l’Union.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 50 TUE doit être interprété en ce sens que la seule notification par un État membre de son intention de se retirer de l’Union européenne conformément à cet article n’a pas pour conséquence que, en cas d’émission par cet État membre d’un mandat d’arrêt européen à l’encontre d’une personne, l’État membre d’exécution doive refuser d’exécuter ce mandat d’arrêt européen ou différer son exécution dans l’attente de précisions sur le régime juridique qui sera applicable dans l’État membre d’émission après son retrait de l’Union européenne. En l’absence de motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet dudit mandat d’arrêt européen risque d’être privée des droits reconnus par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, à la suite du retrait de l’Union européenne de l’État membre d’émission, l’État membre d’exécution ne saurait refuser d’exécuter ce même mandat d’arrêt européen tant que l’État membre d’émission fait partie de l’Union européenne.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.