Language of document : ECLI:EU:T:2012:348

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

6 juillet 2012 (*)

« Marque communautaire – Procédure de nullité – Marque communautaire verbale ROYAL SHAKESPEARE – Marque communautaire verbale antérieure RSC-ROYAL SHAKESPEARE COMPANY – Motifs relatifs de nullité – Marque renommée – Article 53, paragraphe 1, sous a), et article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 (CE) – Risque d’association ‑ Profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure »

Dans l’affaire T‑60/10,

Jackson International Trading Co. Kurt D. Brühl GmbH & Co. KG, établie à Graz (Autriche), représentée par Mes H.-G. Zeiner et S. Di Natale, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. D. Botis, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

The Royal Shakespeare Company, établie à Warwickshire (Royaume-Uni), représentée par Mme C. Barnett, solicitor, et M. S. Malynicz, barrister,

ayant pour objet un recours en annulation formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 19 novembre 2009 (affaire R 317/2009-1), relative à une procédure de nullité entre The Royal Shakespeare Company et Jackson International Trading Co. Kurt D. Brühl GmbH & Co. KG.

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. J. Azizi (rapporteur), président, S. Frimodt Nielsen et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 10 février 2010,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 10 juin 2010,

vu le mémoire en réponse de la partie intervenante déposé au greffe du Tribunal le 21 mai 2010,

vu la décision du 15 juillet 2010 de ne pas autoriser le dépôt d’un mémoire en réplique,

vu la désignation d’un autre juge pour compléter la chambre à la suite de l’empêchement d’un de ses membres,

à la suite de l’audience du 24 avril 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 1er août 2000, la requérante, Jackson International Trading Co. Kurt D. Brühl GmbH & Co. KG, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal ROYAL SHAKESPEARE.

3        Les produits et services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 32, 33 et 42 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        Classe 32 : « Bières, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons » ;

–        Classe 33 : « Boissons alcooliques (à l’exception des bières), dans la mesure où le whisky et les liqueurs à base de whisky sont concernés, mais uniquement du whisky écossais et des liqueurs à base de whisky écossais produits en Écosse » ;

–        Classe 42 : « Services de restauration (alimentation) ; restaurants, bars, pubs, hôtels ; hébergement temporaire ».

4        La marque communautaire demandée a été enregistrée le 24 octobre 2003.

5        Le 17 octobre 2006, l’intervenante, The Royal Shakespeare Company, a présenté une demande en nullité contre la marque communautaire enregistrée au titre de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 [devenu article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009], au motif que la marque contestée aurait été enregistrée contrairement à l’article 7, paragraphe 1, sous g) et h), du règlement n° 40/94 [devenu article 7, paragraphe 1, sous g) et h) du règlement n° 207/2009], au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 [devenu article 53, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009], au motif que l’usage de la marque contestée sans juste motif tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de ses marques antérieures jouissant d’une renommée au Royaume-Uni ou qu’il leur porterait préjudice, et au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous c), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe h), du règlement n° 40/94 [devenu article 53, paragraphe 1, sous c), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009], au motif que le droit national britannique lui permettrait d’interdire l’utilisation de la marque contestée en vertu du droit relatif à l’usurpation d’appellation (law of passing off), en particulier sur la base de sa marque non enregistrée ROYAL SHAKESPEARE COMPANY utilisée dans la vie des affaires au Royaume-Uni.

6        Les marques antérieures invoquées à l’appui de la demande en nullité sont les suivantes :

–        la marque communautaire verbale RSC-ROYAL SHAKESPEARE COMPANY, demandée le 17 août 1998 et enregistrée le 1er décembre 1999 sous le numéro 908 822, désignant notamment les services relevant de la classe 41 et correspondant à la description suivante : « Organisation et promotion d’événements culturels ; services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre ; représentations théâtrales ; spectacles cinématographiques ; présentation de diapositives ; services de télévision ; organisation d’expositions à des fins culturelles » ;

–        la marque figurative britannique, demandée le 8 février 1996 et enregistrée le 26 septembre 1997 sous le numéro 2 055 924, désignant notamment les services relevant de la classe 41 et correspondant à la description suivante : « Organisation et promotion d’événements culturels ; services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre ; représentations théâtrales ; spectacles cinématographiques ; présentation de diapositives ; services de télévision ; organisation d’expositions à des fins culturelles », telle que reproduite ci-après :

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–        la marque verbale non enregistrée ROYAL SHAKESPEARE COMPANY, utilisée dans la vie des affaires au Royaume-Uni en rapport avec les produits et services suivants : « Organisation et promotion d’événements culturels ; services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre ; représentations théâtrales ; spectacles cinématographiques ; présentation de diapositives ; services de télévision ; organisation d’expositions à des fins culturelles ; alimentation ; boissons alcooliques ; boissons non alcooliques et bières ; confiserie ; conserves ; cornichons ; restauration (alimentation) ; services de restaurants ; services de bars ; services de cafés ; location de costumes ; vêtements, parapluies ; montres ; bijoux en métaux précieux et bijoux en métaux non précieux ; sacs ; papeterie ; imprimés, posters ; livres ; jouets et jeux ; vidéos ; CD et DVD sur le théâtre et la littérature ; articles de maison, en particulier coussins, housses de coussins, tasses, sous-verres et sous-bocks, chiffons », dont la portée n’est pas seulement locale, conférant le droit d’interdire l’utilisation de la marque communautaire contestée en vertu du droit relatif à l’usurpation d’appellation (law of passing off), conformément à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 40/94.

7        Le 13 février 2009, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

8        Le 17 mars 2009, l’intervenante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94 (devenus articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009), contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 19 novembre 2009 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI a annulé la décision de la division d’annulation et prononcé la nullité de la marque communautaire contestée. En particulier, elle a considéré que la marque communautaire antérieure RSC-ROYAL SHAKESPEARE COMPANY jouissait d’une renommée « exceptionnelle » au Royaume-Uni, qui constitue une partie essentielle de l’Union européenne auprès du grand public, autant dans le domaine des activités théâtrales que dans le domaine associé des « services éducatifs », « organisation et promotion d’événements culturels » et « services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre » (points 27 et 29 à 32 de la décision attaquée). Une renommée pour des « représentations théâtrales » aurait également été reconnue par l’Office des brevets du Royaume-Uni dans sa décision d’opposition n° 47239 (point 28 de la décision attaquée). Les signes en conflit seraient très similaires sur les plans visuel, phonétique et conceptuel (points 33 à 36 de la décision attaquée). Il en résulterait un risque d’association entre les signes en conflit (point 36 de la décision attaquée). Le public pertinent, auprès duquel la marque communautaire antérieure aurait acquis une renommée, serait le grand public (point 37 de la décision attaquée). Concernant le « degré de proximité des produits et services concernés », il serait « possible » que le public pertinent fasse un lien entre les produits et services couverts par la marque contestée (point 38 de la décision attaquée). L’usage de la marque contestée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire antérieure sans juste motif, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009. Dû au fort degré de similitude entre les signes en conflit et au fait qu’aucune autre entreprise n’utilise l’expression « royal shakespeare », il existerait un risque élevé d’un profit indûment tiré de la renommée de l’intervenante et de ses marques, malgré les différences de produits et de services (point 39 de la décision attaquée). La chambre de recours a prononcé la nullité de la marque contestée et n’a pas estimé nécessaire d’examiner les autres moyens (point 42 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI et l’intervenante aux dépens.

11      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter la demande en annulation dans sa totalité ;

–        condamner la requérante aux dépens.

12      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si le recours est considéré comme fondé, renvoyer l’affaire devant la chambre de recours pour rendre une décision quant au fond sur l’opposition formée sur la base de ses autres motifs, y compris ceux visés à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

 En droit

 Observations liminaires

13      À titre liminaire, il y a lieu de relever que la demande en nullité était fondée sur plusieurs droits antérieurs, ceux-ci étant, premièrement, la marque communautaire verbale RSC-ROYAL SHAKESPEARE COMPANY, deuxièmement, la marque britannique figurative RSC ROYAL SHAKESPEARE COMPANY et, troisièmement, la marque verbale britannique non enregistrée ROYAL SHAKESPEARE COMPANY. Étant donné que, dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est fondée sur la marque communautaire antérieure (ci-après la « marque antérieure »), c’est sur cette base que le Tribunal effectuera son contrôle de la légalité de la décision attaquée.

 Résumé des arguments des parties

14      À l’appui de son recours, la requérante invoque la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

15      En substance, la requérante met en doute que la marque contestée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou lui porterait préjudice. En premier lieu, la marque antérieure jouirait d’une renommée uniquement pour les services de « représentations théâtrales » et non pour d’autres produits et services, et le public ne serait pas le grand public. En deuxième lieu, les signes comparés, appréciés globalement, ne seraient pas suffisamment similaires pour engendrer un risque potentiel d’association entre les signes et les entreprises titulaires des signes. En troisième lieu, aucune « circonstance ou élément probant raisonnable » ne permettrait de démontrer ou de supposer que l’usage de la marque contestée puisse tirer profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, ou qu’il leur porterait préjudice.

16      L’OHMI et l’intervenante concluent au rejet du présent moyen de la requérante.

 Appréciation du Tribunal

 Remarques préliminaires

17      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 53, paragraphe 1, sous a), lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, une marque communautaire est déclarée nulle sur demande présentée auprès de l’OHMI lorsqu’il existe une marque antérieure visée à l’article 8, paragraphe 2, dudit règlement, si la marque communautaire et la marque antérieure sont identiques ou similaires et si la marque communautaire est enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas semblables à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’Union et, dans le cas d’une marque nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque postérieure tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice.

18      La protection élargie accordée à la marque antérieure par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 présuppose donc la réunion de plusieurs conditions. Premièrement, la marque antérieure prétendument renommée doit être enregistrée. Deuxièmement, cette dernière et celle dont l’enregistrement est demandé doivent être identiques ou similaires. Troisièmement, la marque antérieure doit jouir d’une renommée dans l’Union, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, ou dans l’État membre concerné, dans le cas d’une marque nationale antérieure. Quatrièmement, l’usage sans juste motif de la marque demandée doit conduire au risque qu’un profit puisse être indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’un préjudice puisse être porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure. Ces conditions étant cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit à rendre inapplicable ladite disposition [arrêts du Tribunal du 25 mai 2005, Spa Monopole/OHMI ‑ Spa-Finders Travel Arrangements (SPA-FINDERS), T‑67/04, Rec. p. II‑1825, point 30 ; du 22 mars 2007, SIGLA/OHMI – Elleni Holding (VIPS), T‑215/03, Rec. p. II‑711, points 34 et 35, et du 30 janvier 2008, Japan Tobacco/OHMI – Torrefacção Camelo (CAMELO), T‑128/06, non publié au Recueil, point 45].

19      Il y a lieu de rappeler que les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre les marques antérieure et postérieure, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre ces deux marques, c’est-à-dire établit un lien entre celles-ci, alors même qu’il ne les confond pas (arrêt de la Cour du 12 mars 2009, Antartica/OHMI, C‑320/07 P, non publié au Recueil, point 43 ; ordonnance de la Cour du 30 avril 2009, Japan Tobacco/OHMI, C‑136/08 P, non publiée au Recueil, point 25 ; voir aussi, par analogie, arrêt de la Cour du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, Rec. p. I‑8823, point 30, et la jurisprudence qui y est citée).

20      L’existence d’un tel lien dans l’esprit du public constitue une condition nécessaire, mais, à elle seule, non suffisante pour qu’il soit conclu à l’existence de l’une des atteintes contres lesquelles l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 assure la protection en faveur des marques renommées, et doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir, par analogie, arrêts de la Cour du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, Rec. p. I‑5185, point 37, et du 27 novembre 2008, Intel Corporation, point 19 supra, point 32).

21      Parmi les facteurs pertinents dans l’appréciation globale visant à établir l’existence dudit lien entre les marques en conflit, figurent le degré de similitude entre les marques en conflit, la nature des produits ou des services couverts par les marques en conflit, y compris le degré de proximité ou de dissemblance de ces produits ou services ainsi que le public concerné, l’intensité de la renommée de la marque antérieure, le degré de caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage, de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, point 42).

22      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’apprécier, en l’espèce, la légalité de la décision attaquée. Ainsi, il y a lieu de traiter d’abord la comparaison des signes en conflit et le risque d’association, ensuite la renommée de la marque antérieure ainsi que le prétendu profit indûment tiré de cette renommée et enfin l’absence de juste motif.

 Sur la comparaison des signes en conflit et le risque d’association

23      Dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est ralliée à la constatation de la décision de la division d’annulation selon laquelle les signes en conflit seraient très similaires sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, la marque contestée reproduisant les deux premiers mots de la marque antérieure, sans élément supplémentaire (point 33 de la décision attaquée). Sur les plans visuel et phonétique, le groupe de lettres « rsc » serait perçu comme l’abréviation des termes « royal shakespeare company » et la marque antérieure serait prononcée « royal shakespeare company » (point 34 de la décision attaquée). Sur le plan conceptuel, les signes en conflit feraient référence à un parrainage royal et au nom du dramaturge William Shakespeare (point 35 de la décision attaquée). Bien que le terme « royal » soit commun, l’association de termes « royal shakespeare » serait unique. Le terme « company » à la fin de la marque antérieure, évoquant une association exerçant une activité commerciale ou industrielle, ne pourrait être considéré comme un élément distinguant les signes en conflit (point 36 de la décision attaquée).

24      La requérante conteste la décision attaquée quant à la similitude des signes et au risque d’association. Les signes seraient suffisamment différents pour exclure un risque d’association par le consommateur au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009. Sur le plan visuel, les signes en conflit diffèreraient quant à leur nombre de termes, « leur longueur et leur structure », et le terme « rsc » serait l’élément dominant de la marque antérieure. Cela vaudrait également sur le plan phonétique. Sur le plan conceptuel, la requérante allègue que le groupe de lettres « rsc » des signes antérieurs ne serait pas perçu comme l’abréviation des termes « royal shakespeare company ». Le terme « royal » serait laudatif et pas distinctif, de même que le terme « shakespeare ».

25      Le Tribunal rappelle que les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre les signes, selon lequel le public concerné effectue un rapprochement entre ceux-ci, de façon à établir un lien entre eux, alors même qu’il ne les confond pas. L’existence d’un tel lien doit, à l’instar du risque de confusion visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. En revanche, la protection conférée par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’est pas subordonnée à la constatation d’un degré tel de similitude entre la marque renommée et la marque demandée qu’il existe un risque de confusion entre ceux-ci dans l’esprit du public concerné. Il suffit que le degré de similitude entre la marque renommée et la marque demandée ait pour effet que le public concerné établit un lien entre eux (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon et Adidas Benelux, C‑408/01, Rec. p. I‑12537, points 29, 30 et 31, et la jurisprudence qui y est citée).

26      S’agissant du degré de similitude entre les marques en conflit, plus celles-ci sont similaires, plus il est vraisemblable que la marque postérieure évoquera, dans l’esprit du public pertinent, la marque antérieure renommée (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 27 novembre 2008, Intel Corporation, point 19 supra, point 44).

27      En outre, plus la marque antérieure présente un caractère distinctif fort, plus il est vraisemblable que, confronté à une marque postérieure identique ou similaire, le public pertinent l’associera avec ladite marque antérieure. Dès lors, aux fins d’apprécier l’existence d’un lien entre les marques en conflit, il convient de prendre en considération le degré de caractère distinctif de la marque antérieure. À cet égard, l’aptitude d’une marque à identifier les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et utilisée comme provenant du titulaire de ladite marque et, partant, son caractère distinctif sont d’autant plus forts si cette marque est unique (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, points 54 à 56). Cependant, il n’est pas nécessaire que la marque antérieure soit unique. En effet, une marque renommée a nécessairement un caractère distinctif, caractère à tout le moins acquis par l’usage. Partant, même si une marque antérieure renommée n’est pas unique, l’usage d’une marque identique ou similaire postérieure peut être de nature à affaiblir le caractère distinctif dont jouit ladite marque antérieure. Cependant, plus la marque antérieure présente un caractère unique, plus l’usage d’une marque postérieure identique ou similaire sera susceptible de porter préjudice à son caractère distinctif (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, points 72 à 74).

28      Dans le cas d’espèce, la marque antérieure renommée est constituée des termes « royal shakespeare company » et la marque contestée des termes « royal shakespeare ». Il existe une identité partielle entre les signes en conflit par l’identité de l’expression « royal shakespeare », la marque contestée étant constituée de ces deux termes contenus dans la marque antérieure. Les signes en conflit partagent cette expression comme élément commun. Or, cet élément commun, « royal shakespeare », est la partie la plus distinctive de la marque antérieure. En effet, le groupe de lettres « rsc » est perçu comme simple abréviation des termes « royal shakespeare company » et le terme « company » comme une simple référence au fait qu’il s’agit d’une société. En effet, ni la combinaison de trois lettres « rsc » ni le terme « company » n’ont de fort caractère distinctif. Le terme « royal » est un adjectif pouvant faire référence à quelque chose de « royal », voire un adjectif laudatif, qui renvoie, comme dans le cas d’espèce, à un parrainage royal. Le nom de famille du célèbre poète, dramaturge et écrivain anglais William Shakespeare est connu et, en tant que tel, à lui seul, pas très distinctif pour des services de représentations de théâtre. Bien que les termes « royal » et « shakespeare » ne soient pas très distinctifs pris isolément et en tant que tels, leur combinaison crée un signe distinctif. L’élément central et le plus distinctif de la marque antérieure est donc l’expression « royal shakespeare », qui est reprise telle quelle par la marque contestée, sans aucun ajout et aucune différenciation.

29      La marque contestée étant exclusivement constituée de l’élément central et distinctif de la marque antérieure, à savoir l’expression « royal shakespeare », les signes en conflit sont visuellement, phonétiquement et conceptuellement similaires. Partant, le consommateur moyen établira un lien entre les signes en conflit.

30      Il s’ensuit que la chambre de recours était en droit de trouver les signes en conflit similaires et de conclure à l’existence d’un risque d’association.

 Sur la renommée de la marque antérieure

–       Sur le public pertinent pour la renommée de la marque antérieure

31      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que le public auprès duquel la marque antérieure est renommée pour les services de représentations théâtrales ainsi que pour les services d’« organisation et [de] promotion d’événements culturels » et d’« éducation et de formation dans le domaine du théâtre » était le grand public (points 30 à 32 de la décision attaquée).

32      La requérante conteste la définition du public pertinent pour la renommée de la marque antérieure, telle que retenue par la chambre de recours dans la décision attaquée. Ce public ne serait pas le grand public, mais uniquement une partie restreinte des consommateurs britanniques, à savoir les « habitués du théâtre » ayant un certain intérêt pour la culture et le théâtre et un niveau d’éducation supérieur et pouvant « accéder » à des représentations. Dans ce contexte, la requérante affirme que « la grande majorité des personnes n’[irait] jamais au théâtre », qu’il s’agirait de « services de luxe », compte tenu des prix des billets, compris entre 5 et 42 livres sterlings, qui ne « sauraient être des produits au quotidien ».

33      À cet égard, le Tribunal rappelle que le public auprès duquel la marque antérieure doit avoir acquis une renommée est celui concerné par cette marque, c’est-à-dire, en fonction du produit ou du service commercialisé, soit le grand public, soit un public plus spécialisé, par exemple un milieu professionnel donné (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 14 septembre 1999, General Motors, C‑375/97, Rec. p. I‑5421, point 24).

34      Dans le cas d’espèce, il s’agit avant tout de la renommée de la marque antérieure pour les services de représentations théâtrales, qui sont, contrairement aux allégations de la requérante, des services dirigés vers le grand public, et non seulement vers une partie restreinte des consommateurs ou vers une élite. À notre époque, aller au théâtre est une activité en principe ouverte aux masses. L’accès aux théâtres est libre à tous et, en principe, à travers des prix abordables pour le consommateur moyen. En effet, les prix d’un billet pour assister à une représentation de théâtre de l’intervenante ne sont pas nécessairement plus élevés que ceux d’un billet pour le cinéma, un concert, une manifestation sportive ou une autre représentation ou activité culturelle ou sportive de divertissement. La requérante elle-même a confirmé cela en indiquant les prix peu élevés des billets pour des pièces de théâtre organisées par l’intervenante. Par conséquent, ces activités sont à la portée du consommateur moyen et donc du public en général. En outre, la renommée d’une marque ne dépend pas uniquement des personnes qui achètent et utilisent les produits ou sollicitent les services pour lesquels la marque en question est protégée et utilisée, mais également de la connaissance de la marque par le public en général et des clients potentiels, même s’ils n’ont pas assisté ou n’assistent pas à une représentation de l’intervenante dans le cas d’espèce. En effet, il y a lieu de noter que la renommée d’une marque peut aller au-delà du public concerné par les produits ou les services pour lesquels cette marque a été enregistrée (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, point 51). Ainsi, même si la marque antérieure était enregistrée pour des produits ou services adressés à un public restreint, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, c’est précisément à cause de sa renommée qu’elle sera connue par un public plus large, voire le grand public.

35      Dans le cas d’espèce, l’intervenante avait soumis de nombreux documents à l’appui de la preuve de sa renommée pour les services de représentations de théâtre auxquels elle fait également référence dans la procédure devant le Tribunal. Ces documents relatifs à la renommée peuvent également être considérés comme un élément soutenant et renforçant le fait que le public pertinent pour les services de spectacles de théâtre de l’intervenante est le grand public. Ainsi, il ressort notamment des coupures de presse que les activités de l’intervenante étaient annoncées, présentées et commentées dans de nombreux journaux destinés au public en général, et non seulement à un public spécialisé. Il ressort également des preuves soumises par l’intervenante que celle-ci a fait des tournées dans différentes régions du Royaume-Uni et a joué devant un large public au Royaume-Uni. Une activité à grande échelle, et donc un service rendu au grand public, se reflète également dans le chiffre d’affaires élevé et le grand nombre d’entrées vendues. En outre, il ressort de documents soumis par l’intervenante que cette dernière a reçu des ressources annuelles de parrainage de la part d’entreprises de divers secteurs atteignant également le grand public, tels que des banques, des entreprises dans le domaine des boissons alcooliques ainsi que des producteurs de voitures. Partant, contrairement à ce que soutient la requérante, le public pertinent pour apprécier la renommée de services de représentations théâtrales ne se limite pas à un cercle restreint et exclusif, mais est constitué par le grand public.

36      À titre surabondant, le Tribunal attire en outre l’attention sur le fait que, ainsi qu’il en a été débattu avec les parties lors de l’audience, il apparaît constant que, comme c’est le cas pour de nombreux spectacles théâtraux en général, les représentations de théâtre de l’intervenante sont également diffusées par voie de télévision et de radio. Le Tribunal note que ces médias s’adressent également au grand public.

37      Il s’ensuit que c’est à bon droit que la chambre de recours a constaté dans la décision attaquée que la renommée de la marque communautaire antérieure s’étend au grand public.

–       Sur la portée de la renommée

38      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a qualifié, sur la base des preuves produites, d’« exceptionnelle » la renommée de la marque antérieure RSC-ROYAL SHAKESPEARE COMPANY de l’intervenante (points 27 à 29 de la décision attaquée). Cette renommée existerait auprès du grand public, et non pas uniquement auprès du « public amateur de théâtre » (point 30 de la décision attaquée). À cet égard, la chambre de recours renvoie à de nombreuses preuves. Elle se réfère notamment à une enquête d’où il ressortirait que l’intervenante serait « synonyme de qualité et d’excellence artistique », jouirait d’une « réputation d’excellence depuis longtemps » et serait « reconnue pour sa contribution au patrimoine anglais » (point 29 de la décision attaquée). En outre, la chambre de recours a indiqué, dans la décision attaquée, que la marque antérieure n’aurait pas seulement une renommée exceptionnelle dans les activités théâtrales, mais aussi dans « le domaine associé des services éducatifs » (point 31 de la décision attaquée). La chambre de recours a conclu à une renommée exceptionnelle au Royaume-Uni de la marque antérieure auprès du grand public, non seulement pour des représentations théâtrales, mais également pour les services d’« organisation et [de] promotion d’événements culturels » et les « services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre » (point 32 de la décision attaquée).

39      La requérante ne conteste pas la renommée de la marque antérieure pour les services de « représentations théâtrales ». Cependant, elle conteste la renommée concernant d’autres services, notamment les services d’organisation et de promotion d’événements culturels ainsi que les services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre. En outre, la requérante admet que la renommée au Royaume-Uni vaut pour l’Union, le Royaume-Uni constituant une partie substantielle du territoire de l’Union.

40      Concernant la renommée des marques antérieures de l’intervenante, la requérante invoque la procédure d’opposition devant l’UK Patent Office (Office des brevets du Royaume-Uni) entre la requérante et l’intervenante, dans laquelle UK Patent Office avait rejeté l’opposition de l’intervenante contre la demande d’enregistrement de la requérante, et allègue que l’OHMI aurait dû tenir compte des constatations de l’UK Patent Office.

41      Concernant cette décision de l’UK Patent Office, force est de constater que la chambre de recours a fait référence à cette décision au point 28 de la décision attaquée uniquement pour indiquer que la renommée de la marque antérieure pour des représentations théâtrales aurait été reconnue par la requérante dans ladite procédure.

42      À cet égard, le Tribunal rappelle que, ainsi que l’a reconnu la jurisprudence, le régime communautaire des marques est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national [arrêts du Tribunal du 5 décembre 2000, Messe München/OHMI (electronica), T‑32/00, Rec. p. II‑3829, point 31 ; du 24 novembre 2005, Sadas/OHMI ‑ LTJ Diffusion (ARTHUR ET FELICIE), T‑346/04, Rec. p. II‑4891, point 70, et du 11 juillet 2007, Mülhens/OHMI – Minoronzoni (TOSCA BLU), T‑150/04, Rec. p. II‑2353, point 40]. Dès lors, le caractère enregistrable d’un signe en tant que marque communautaire ne doit être apprécié que sur le fondement de la réglementation communautaire pertinente (arrêt ARTHUR ET FELICIE, précité, point 70). Les enregistrements d’ores et déjà effectués dans des États membres ne constituent que des éléments qui, sans être déterminants, peuvent seulement être pris en considération aux fins de l’enregistrement d’une marque communautaire [arrêts du Tribunal du 16 février 2000, Procter & Gamble/OHMI (Forme d’un savon), T‑122/99, Rec. p. II‑265, point 61, et du 19 septembre 2001, Henkel/OHMI (Tablette ronde rouge et blanc), T‑337/99, Rec. p. II‑2597, point 58]. Ainsi, la chambre de recours n’avait aucune obligation de suivre la décision de l’UK Patent Office.

43      Le Tribunal constate ensuite que la requérante reconnaît la renommée de la marque antérieure de l’intervenante pour les services de « représentations théâtrales ». En effet, dans sa requête, la requérante a expressément indiqué qu’elle « ne conteste pas que la marque antérieure [… de l’intervenante] jouisse d’une renommée en ce qui concerne les ‘représentations théâtrales’ auprès du public pertinent dans le territoire du Royaume-Uni ».

44      Le Tribunal considère en outre que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que la renommée de la marque antérieure au Royaume-Uni est suffisante pour établir une renommée au niveau de l’Union, le Royaume-Uni constituant une partie substantielle de l’Union, ce que la requérante admet. En effet, il a été reconnu par la jurisprudence qu’une marque communautaire jouissant d’une renommée dans l’Union doit être connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou les services couverts par elle dans une partie substantielle du territoire de l’Union et que le territoire d’un État membre peut être considéré comme constituant une partie substantielle du territoire de l’Union (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 6 octobre 2009, PAGO International, C‑301/07, Rec. p. I‑9429, points 30 et 32).

45      Il s’ensuit que, dans le cas d’espèce, la conclusion de la chambre de recours dans la décision attaquée concernant la renommée « exceptionnelle » de la marque communautaire antérieure pour les services de « représentations théâtrales » n’est pas contestée par la requérante. Dès lors que, par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute cette appréciation, il y a lieu de la retenir.

46      En outre, la renommée de la marque communautaire antérieure pour les services de représentations de théâtre, admise et non contestée par la requérante, est suffisante pour une application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, dans le cas d’espèce. Il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur la renommée de la marque communautaire antérieure pour les autres services relevant de la classe 41, tels que l’« organisation et [la] promotion d’événements culturels » et les « services d’éducation et de formation dans le domaine du théâtre », contestée par la requérante.

 Sur le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou sur le préjudice porté

–       Généralités

47      Aux fins de bénéficier de la protection instaurée par l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, le titulaire de la marque antérieure doit rapporter la preuve que l’usage de la marque postérieure « tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice » (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, point 37). Un seul de ces trois types d’atteintes suffit pour que l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 soit applicable (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., point 20 supra, points 38 et 42). Ainsi, cette dernière condition d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 vise trois types de risques distincts et alternatifs, à savoir que l’usage sans juste motif de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, qu’il porte préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure ou qu’il porte préjudice à la renommée de la marque antérieure.

48      Le profit indu tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure réside dans le fait que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits désignés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation puisse être facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée.

49      Il convient cependant de souligner que, dans aucun de ces cas, l’existence d’un risque de confusion entre les marques en conflit n’est requise, le public pertinent devant seulement pouvoir établir un lien entre elles sans toutefois devoir forcément les confondre (voir arrêt VIPS, point 18 supra, points 36 à 42, et la jurisprudence qui y est citée).

–       Sur le public pertinent

50      L’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, dans la mesure où ce qui est prohibé est l’avantage tiré de cette marque par le titulaire de la marque postérieure, doit être appréciée eu égard au consommateur moyen des produits ou des services pour lesquels la marque postérieure est enregistrée, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé [voir, par analogie, arrêts de la Cour du 27 novembre 2008, Intel Corporation, point 19 supra, points 35 et 36, et du 12 mars 2009, Antartica/OHMI, C‑320/07 P, non publié au Recueil, points 46 à 48 ; arrêt du Tribunal du 7 décembre 2010, Nute Partecipazioni et La Perla/OHMI – Worldgem Brands (NIMEI LA PERLA MODERN CLASSIC), T‑59/08, non encore publié au Recueil, point 35]. Dans le cas d’espèce, il s’agit du grand public, celui-ci étant le public pertinent des produits et services de la marque contestée.

–       Sur le profit indûment tiré

51      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a conclu à l’existence d’un risque d’association entre les signes en conflit dû à la renommée de la marque antérieure et aux similitudes entre les signes en conflit (point 36 de la décision attaquée). Concernant la proximité des produits et services concernés, il serait possible que le public pertinent des produits et services de la marque contestée, celui-ci étant le grand public, fasse un lien entre les produits et services couverts par la marque contestée et les services de la marque antérieure. Le public comprendrait et s’attendrait à ce que des activités de bar et de restauration soient disponibles avant et après une représentation théâtrale ainsi que pendant l’entracte (point 38 de la décision attaquée). L’usage de la marque contestée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure sans juste motif. Du fait du fort degré de similitude entre les signes en conflit et du fait qu’aucune autre entreprise n’utilise l’expression « royal shakespeare », il existerait un risque élevé d’un tel profit indûment tiré de la renommée de l’intervenante et de ses marques, malgré les différences des produits et services (point 39 de la décision attaquée).

52      La requérante conteste l’existence d’un quelconque indice portant à croire que, à travers l’usage de la marque contestée pour les produits et services couverts, elle puisse obtenir un quelconque profit indu de la renommée des marques antérieures de l’intervenante. La renommée des marques antérieures pour les représentations théâtrales ne saurait être transférée à la marque contestée couvrant des produits et services relevant des classes 32, 33 et 42. Les produits et services couverts par la marque contestée seraient de « consommation de masse » et le public serait le grand public. À cet égard, la requérante fait valoir que le consommateur moyen « de produits alimentaires et de boissons » connaîtrait « William Shakespeare », mais non la « Royal Shakespeare Company ». La chambre de recours aurait mal apprécié les circonstances de l’espèce et rien ne démontrerait une intention ou une possibilité de la part de la requérante de tirer indûment profit de la renommée des signes antérieurs de l’intervenante. En outre, les marques antérieures auraient un faible caractère distinctif. Par ailleurs, il n’y aurait aucun risque que la marque contestée porte préjudice au caractère distinctif des marques antérieures. Un tel prétendu préjudice ne pourrait être établi. La requérante conteste également un préjudice à la renommée de la marque antérieure dû à la « distance » et à la différence entre les produits et services des signes en conflit qui ne permettraient pas au consommateur d’établir un lien entre les signes.

53      Le Tribunal rappelle que le titulaire de la marque antérieure n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, mais qu’il doit apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de préjudice. Une telle conclusion peut être établie notamment sur la base de déductions logiques résultant d’une analyse des probabilités et en prenant en compte les pratiques habituelles dans le secteur commercial pertinent ainsi que toute autre circonstance de l’espèce [arrêt du Tribunal du 16 décembre 2010, Rubinstein/OHMI – Allergan (BOTOLIST), T‑345/08 et T‑357/08, non encore publié au Recueil, point 82]. En effet, lorsqu’il est prévisible qu’une telle atteinte découlera de l’usage que le titulaire de la marque postérieure peut être amené à faire de sa marque, le titulaire de la marque antérieure ne saurait être obligé d’en attendre la réalisation effective pour pouvoir faire interdire ledit usage. Le titulaire de la marque antérieure doit, toutefois, établir l’existence d’éléments permettant de conclure à un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, point 38).

54      Afin de déterminer si l’usage du signe contesté tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés. S’agissant de l’intensité de la renommée et du degré de caractère distinctif de la marque, la Cour a déjà jugé que, plus le caractère distinctif et la renommée de cette marque seront importants, plus l’existence d’une atteinte sera aisément admise. Il résulte également de la jurisprudence que, plus l’évocation de la marque par le signe est immédiate et forte, plus est important le risque que l’utilisation actuelle ou future du signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (voir, en ce sens, par analogie, arrêts de la Cour du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., point 20 supra, point 44, et Intel Corporation, point 19 supra, points 67 à 69).

55      Il a également été reconnu par la jurisprudence que, lorsqu’un tiers tente par l’usage d’un signe semblable à une marque renommée de se placer dans le sillage de celle-ci afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque antérieure pour créer et entretenir l’image de cette marque, le profit résultant dudit usage doit être considéré comme indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., point 20 supra, point 49).

56      Ainsi, l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, correspondant à l’article 5, paragraphe 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), doit être interprété en ce sens que l’existence d’un profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, au sens de cette disposition, ne présuppose ni l’existence d’un risque de confusion, ni celle d’un risque de préjudice porté à ce caractère distinctif ou à cette renommée ou, plus généralement, au titulaire de la marque. Le profit résultant de l’usage par un tiers d’un signe semblable à une marque renommée est tiré indûment par ce tiers desdits caractère distinctif ou renommée lorsque celui-ci tente par cet usage de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière, et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de celle-ci (voir, par analogie, arrêt L’Oréal e.a., point 20 supra, point 50).

57      En l’espèce, il y a lieu de rappeler que la renommée « exceptionnelle » de la marque antérieure de l’intervenante a été établie à bon droit par la chambre de recours (voir point 45 ci-dessus). Cela renforce le caractère distinctif de la marque antérieure, qu’il y a lieu de considérer comme élevé.

58      Concernant le public, il y a lieu de noter que le public concerné par la marque contestée est le même que celui concerné par la marque antérieure, à savoir le grand public. En effet, le consommateur visé par les produits et services de la requérante, ceux-ci étant des boissons ainsi que des services de restauration et d’hébergement temporaire, est le grand public. De même, ainsi qu’il a été établi dans la partie traitant de la renommée de la marque antérieure, celle-ci s’adresse également au grand public avec ses services de représentations de théâtre pour lesquelles elle est renommée.

59      Eu égard aux produits et services dans le cas d’espèce, ceux de la requérante ne semblent pas directement et immédiatement liés aux services de représentations de théâtre de l’intervenante. Or, malgré les différences de nature de ces produits et services, il y a néanmoins une certaine proximité et un certain lien entre eux. À cet égard, il a déjà été reconnu par la jurisprudence qu’il y avait une certaine similitude entre les services de divertissement et la bière en raison de leur complémentarité [voir arrêt du Tribunal du 4 novembre 2008, Group Lottuss/OHMI – Ugly (COYOTE UGLY), T‑161/07, non publié au Recueil, points 31 à 37]. En effet, il est courant que sont offerts, également dans des salles de théâtre, des services de bar et de restauration avant le spectacle, à l’entracte et aussi après le spectacle.

60      En outre, indépendamment de cela, au vu de la renommée établie de la marque antérieure, le public pertinent, à savoir le grand public au Royaume-Uni, pourrait faire un lien avec l’intervenante en voyant une bière avec la marque contestée, soit dans un supermarché, soit dans un bar.

61      En effet, dans le cas d’espèce, la requérante bénéficierait du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de la marque antérieure pour ses propres produits, comme la bière et autres boissons, ainsi que pour ses services. En effet, sur le marché des boissons, les produits attireraient l’attention du consommateur par l’association à l’intervenante et sa marque antérieure, ce qui lui procurerait un avantage commercial par rapport aux produits de concurrents. Cet avantage économique consisterait dans l’exploitation de l’effort déployé par l’intervenante pour établir la renommée et l’image de sa marque antérieure, sans aucune compensation en échange. Or, cela correspond à un profit indûment tiré par la requérante de la renommée de la marque antérieure au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

62      Il découle des considérations ci-dessus qu’il existe un risque d’association entre les signes en conflit en raison de la renommée de la marque antérieure.

63      Il y a donc lieu de conclure que c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré qu’il existe un risque élevé que l’usage de la marque contestée tirerait indûment profit de la renommée de la marque antérieure.

64      Il reste encore à déterminer si l’usage de la marque contestée a, en l’espèce, un juste motif.

 Sur l’absence de juste motif

65      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que la requérante n’aurait pas démontré que l’usage de la marque contestée reposerait sur un juste motif (point 41 de la décision attaquée).

66      Concernant le juste motif, la requérante fait valoir que la motivation de la décision attaquée consisterait en une simple phrase indiquant que la partie requérante n’aurait pas démontré l’usage avec juste motif de la marque contestée. La requérante allègue également avoir démontré comment et pour quel produit la marque contestée avait été utilisée dans le passé.

67      Le Tribunal rappelle que, lorsque le titulaire de la marque antérieure est parvenu à démontrer l’existence soit d’une atteinte effective et actuelle à sa marque, soit, à défaut, d’un risque sérieux qu’une telle atteinte se produise dans le futur, il appartient au titulaire de la marque postérieure d’établir que l’usage de cette marque a un juste motif (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, point 19 supra, point 39).

68      En l’espèce, la requérante n’avait avancé aucun juste motif devant la chambre de recours de l’OHMI, alors qu’il lui appartenait d’en établir un. Devant le Tribunal, la requérante allègue uniquement avoir « démontré comment et pour quel produit la marque contestée avait été utilisée dans le passé », sans aucune indication ou explication supplémentaire, à supposer même cet aspect pertinent. Or, il ne s’agit pas, pour l’établissement d’un juste motif, de l’usage de la marque contestée, mais d’une raison pour laquelle l’usage de cette marque serait justifié.

69      Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas établi de juste motif pour l’usage de la marque contestée.

70      Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de considérer que la chambre de recours a pu conclure à bon droit, dans la décision attaquée, à la nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, en référence à l’article 8, paragraphe 5, dudit règlement.

71      Le moyen tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 n’étant pas fondé, il convient de rejeter les conclusions de la requérante tendant à l’annulation de la décision attaquée.

 Sur les dépens

72      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Jackson International Trading Co. Kurt D. Brühl GmbH & Co. KG est condamnée aux dépens.

Azizi

Frimodt Nielsen

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juillet 2012.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Conclusions des parties

En droit

Observations liminaires

Résumé des arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Remarques préliminaires

Sur la comparaison des signes en conflit et le risque d’association

Sur la renommée de la marque antérieure

– Sur le public pertinent pour la renommée de la marque antérieure

– Sur la portée de la renommée

Sur le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou sur le préjudice porté

– Généralités

– Sur le public pertinent

– Sur le profit indûment tiré

Sur l’absence de juste motif

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.