Language of document : ECLI:EU:F:2014:22

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (troisième chambre)

26 février 2014 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Promotion – Décision de ne pas promouvoir le requérant au grade AD 12 – Décision implicite de rejet de la réclamation – Décision explicite de rejet de la réclamation postérieure au recours – Motivation »

Dans l’affaire F‑53/13,

ayant pour objet un recours introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis,

Alkis Diamantopoulos, fonctionnaire du Service européen pour l’action extérieure, demeurant à Bruxelles (Belgique), représenté par Mes S. Orlandi, J.‑N. Louis et D. Abreu Caldas, avocats,

partie requérante,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et E. Chaboureau, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre),

composé de MM. S. Van Raepenbusch (rapporteur), président, R. Barents et K. Bradley, juges,

greffier : Mme X. Lopez Bancalari, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 décembre 2013,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 27 mai 2013, M. Diamantopoulos demande l’annulation de la décision du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de ne pas le promouvoir au grade AD 12 au titre de l’exercice de promotion 2012.

 Faits à l’origine du litige

2        Le requérant, fonctionnaire de la Commission européenne, a, en 2002, été promu par celle-ci au grade A 5, renommé AD 11 à la suite de la réforme statutaire intervenue en 2004. Dans le cadre de l’exercice de promotion 2009, la Commission l’a placé sur la liste des fonctionnaires promouvables au grade AD 12.

3        Le requérant a été transféré au Conseil de l’Union européenne le 1er mai 2009.

4        À la suite du transfert du requérant, la Commission a retiré son nom de la liste de ses fonctionnaires promouvables en 2009, cela au motif qu’il appartenait au Conseil de décider d’une éventuelle promotion de l’intéressé, conformément aux conclusions de la réunion interinstitutionnelle des chefs d’administration du 16 octobre 2003. Le Conseil avait, quant à lui, publié le 5 avril 2009, soit avant le transfert du requérant, la liste des fonctionnaires promus au titre de l’exercice de promotion 2009. En conséquence, le requérant n’a été promu par aucune de ces deux institutions dans le cadre de cet exercice.

5        Le 5 octobre 2009, le requérant a adressé au directeur général de la direction générale (DG) « Personnel et administration » du Conseil une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »). Tirant argument du fait qu’il avait été inscrit sur la liste des fonctionnaires promouvables par la Commission et des points de promotion qu’il avait accumulés, le requérant demandait notamment que l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») du Conseil prenne la décision de le promouvoir au titre de l’exercice de promotion 2009.

6        Le 30 octobre 2009, le directeur de la direction « Administration du personnel », relevant de la DG « Personnel et Administration » du Conseil, a répondu à la demande susmentionnée. Dans cette réponse, ledit directeur rappelait les termes des conclusions de la réunion interinstitutionnelle des chefs d’administration du 16 octobre 2003 et en déduisait qu’il appartenait à la Commission d’adresser une proposition de promotion au Conseil, au vu de laquelle celui-ci déciderait de promouvoir ou non le requérant, en fonction de ses possibilités de promotion. La Commission n’ayant, toutefois, adressé aucune proposition au Conseil, l’auteur du courrier susmentionné en concluait que le Conseil ne pouvait prendre aucune décision à ce stade.

7        Le 17 décembre 2009, le directeur général de la DG « Personnel et administration » de la Commission a adressé au directeur général de la DG « Personnel et administration » du Conseil, avec copie au requérant, une note l’informant que le requérant remplissait, au sein de la Commission et durant l’exercice de promotion 2009, toutes les conditions pour être promu au grade AD 12.

8        Le 16 mars 2010, le requérant a adressé au directeur de la direction « Administration du personnel » du Conseil une lettre dans laquelle, après avoir rappelé la note susmentionnée du 17 décembre 2009, il demandait que, compte tenu de ce qu’aucune suite ne lui avait été donnée, celle-ci soit prise sérieusement en considération quand l’exercice de promotion 2010 pour la promotion au grade AD 12 commencerait.

9        Le requérant n’a pas été promu au grade AD 12 lors de l’exercice de promotion 2010.

10      Le requérant a été transféré au SEAE le 1er janvier 2011 dans le cadre du transfert général des fonctionnaires de la Commission et du Conseil exerçant certaines fonctions dans le domaine des relations extérieures.

11      Le nom du requérant a été inscrit par le SEAE sur la liste des fonctionnaires promouvables au grade AD 12 au titre de l’exercice de promotion 2012, mais n’a pas été repris sur la liste des fonctionnaires promus publiée en interne par l’AIPN du SEAE le 10 octobre 2012.

12      Le requérant a introduit une réclamation à l’encontre de la décision de l’AIPN du SEAE de ne pas le promouvoir au grade AD 12 au titre de l’exercice de promotion 2012 (ci-après la « décision attaquée »), par note du 9 janvier 2013. L’AIPN du SEAE a rejeté explicitement cette réclamation par décision du 7 juin 2013, soit, d’une part, après l’expiration du délai de quatre mois prescrit par l’article 90, paragraphe 2, deuxième alinéa, du statut, et que soit intervenue une décision implicite de rejet, et, d’autre part, après l’introduction du présent recours.

 Conclusions des parties

13      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le SEAE aux dépens.

14      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        statuer sur les dépens.

 En droit

15      Le requérant soulève deux moyens tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation et, le second, de la violation de l’article 45 du statut, du principe d’égalité de traitement, de l’erreur manifeste d’appréciation et de la violation de la décision de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du 16 mai 2012, relative à l’exercice de promotion 2012.

16      Dans le cadre du premier moyen, le requérant fait valoir que, si l’AIPN n’est pas tenue de motiver les décisions de promotion à l’égard des candidats non promus, celle-ci serait, en revanche, tenue de motiver sa décision portant rejet d’une réclamation introduite en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut par un tel candidat. Or, en l’espèce, la réclamation ayant été rejetée par une décision implicite, la situation s’apparenterait à une absence totale de motivation.

17      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation a pour objet, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour apprécier le bien-fondé de l’acte lui faisant grief et l’opportunité d’introduire un recours devant le Tribunal et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de l’acte. Il s’ensuit que l’obligation de motivation ainsi édictée constitue un principe essentiel du droit de l’Union, auquel il ne saurait être dérogé qu’en raison de considérations impérieuses (arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Barbin/Parlement, F‑81/07, point 26, et la jurisprudence citée).

18      S’agissant, comme en l’espèce, des décisions de ne pas promouvoir un fonctionnaire, il a plus précisément été jugé que, si l’AIPN n’est pas dans l’obligation de motiver les décisions de promotion à l’égard des candidats non promus, elle est, en revanche, tenue de motiver sa décision portant rejet d’une réclamation déposée en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut, par un candidat non promu, la motivation de la décision rejetant la réclamation étant censée coïncider avec la motivation de la décision contre laquelle la réclamation était dirigée (arrêt Barbin/Parlement, précité, point 27, et la jurisprudence citée).

19      En outre, si, compte étant tenu de ce que les promotions se font au choix, la motivation du rejet de la réclamation ne doit, en principe, concerner que la réunion des conditions légales auxquelles le statut subordonne la régularité de la procédure et si l’AIPN n’est pas tenue de révéler l’appréciation comparative qu’elle a portée, elle doit néanmoins indiquer au fonctionnaire concerné le motif individuel et pertinent justifiant le refus de le promouvoir (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 16 septembre 2013, Bouillez/Conseil, T‑31/13 P, point 26).

20      Il y a, en effet, lieu de rappeler que l’étendue de l’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances concrètes de l’espèce. Or, celles-ci comportent, notamment, non seulement le contenu de l’acte attaqué, mais aussi l’intérêt que le destinataire peut avoir à recevoir des explications, ainsi que le contexte factuel et juridique dans lequel s’inscrit l’adoption de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 19 septembre 2013, Gheysens/Conseil, F‑83/08, point 55).

21      Enfin, en cas d’absence totale de motivation avant l’introduction d’un recours, cette absence ne peut être couverte par des explications fournies par l’AIPN après l’introduction du recours. En effet, à ce stade, de telles explications ne rempliraient plus la fonction de la motivation rappelée au point 17 ci-dessus. De surcroît, la possibilité de suppléer à l’absence totale de motivation après la formation d’un recours porterait atteinte aux droits de la défense, puisque le requérant serait privé de la possibilité de présenter ses moyens à l’encontre de la motivation dont il ne prendrait connaissance qu’après l’introduction de la requête. Le principe d’égalité des parties devant le juge de l’Union s’en trouverait ainsi affecté (arrêt Barbin/Parlement, point 17 supra, point 28).

22      En l’espèce, le SEAE prétend que le fait que le rejet de la réclamation n’ait pas été communiqué au requérant dans le délai de quatre mois imparti par l’article 90, paragraphe 2, deuxième alinéa, du statut ne signifierait pas que la décision de ne pas le promouvoir était dénuée de motivation et que les raisons de cette décision ont été explicitées dans la réponse donnée à la réclamation du requérant le 7 juin 2013.

23      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a toutefois lieu d’estimer que le SEAE a violé l’obligation de motivation qui lui incombait. En effet, d’une part, la décision attaquée elle-même n’est pas motivée et, d’autre part, le SEAE a omis de répondre explicitement à la réclamation du requérant avant l’introduction du recours. Ce n’est que par décision du 7 juin 2013 que le SEAE a explicitement rejeté cette réclamation, c’est-à-dire après l’introduction du présent recours, laquelle est intervenue le 27 mai 2013.

24      De surcroît, il échet de relever que, si, dans le rejet de la réclamation, l’AIPN évoque l’ancienneté du requérant dans le grade AD 11, elle ne se prononce pas sur la circonstance, non dépourvue de pertinence, qui le caractérise de manière individuelle et qu’il soulignait dans sa réclamation, selon laquelle ses mérites étaient tels qu’il aurait été promu par la Commission au grade AD 12 dès l’exercice de promotion 2009 s’il n’avait été transféré au Conseil avant la clôture de cet exercice.

25      La méconnaissance, par le SEAE, de son obligation de motivation n’est pas infirmée par les autres arguments invoqués par ce dernier.

26      Selon le SEAE, la question de la motivation d’une décision de ne pas promouvoir un fonctionnaire serait intrinsèquement liée à la question d’une violation éventuelle de l’article 45 du statut. Or, la décision de ne pas promouvoir le requérant durant l’exercice de promotion 2012 reposerait sur les critères prévus à l’article 45 du statut ainsi que sur la décision de la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, du 16 mai 2012, relative à l’exercice de promotion 2012.

27      Toutefois, il y a lieu de rappeler que la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Partant, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, cette dernière question relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, points 67 ; ordonnance Bouillez/Conseil, point 19 supra, point 20). Dès lors, les arguments, tels ceux invoqués par le SEAE, visant à établir le bien-fondé de la décision attaquée, sont dénués de pertinence dans le cadre du présent moyen tiré du défaut de motivation.

28      Par ailleurs, le SEAE a fait valoir, lors de l’audience, qu’une violation de l’obligation de motivation ne saurait, en l’espèce, justifier l’annulation de la décision attaquée. En se fondant sur l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 26 janvier 2000, Gouloussis/Commission (T‑86/98), le SEAE a soutenu qu’une telle annulation aurait uniquement pour conséquence de l’amener à adopter une nouvelle décision identique à la décision attaquée, mais qui serait motivée, alors que le requérant a déjà eu connaissance des motifs justifiant cette décision par le rejet explicite de sa réclamation le 7 juin 2013.

29      Cependant, il doit être relevé que dans l’arrêt Gouloussis/Commission, précité, le Tribunal de première instance a rejeté le recours après avoir constaté, au point 76 de l’arrêt, que le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation avait été soulevé uniquement aux fins de critiquer la tardiveté de la communication de la motivation dont le requérant ne contestait pas le caractère suffisant. Dans ce contexte, le Tribunal de première instance a pu considérer que le défaut de motivation ne constituait pas un vice susceptible de porter aux droits statutaires de l’intéressé une atteinte d’une gravité telle qu’elle justifiait l’annulation de la décision litigieuse (voir également, s’agissant de l’interprétation de l’arrêt Gouloussis/Commission, précité, arrêt Barbin/Parlement, point 17 supra, point 31).

30      Or, à l’inverse, dans le présent litige, la tardiveté de la motivation présente un degré de gravité qui justifie l’annulation de la décision attaquée dans la mesure où le requérant n’a pas soulevé le moyen tiré du défaut de motivation uniquement pour mettre en exergue la tardiveté de la motivation et dans la mesure où il ne ressort pas de la motivation tardive fournie dans la décision de rejet de la réclamation du 7 juin 2013 que le SEAE aurait pris en considération la situation particulière du requérant, notamment en ce qu’il aurait été promu par la Commission au grade AD 12 dès l’exercice de promotion 2009 s’il n’avait été transféré au Conseil avant la clôture de cet exercice (voir point 24 du présent arrêt).

31      Enfin, s’agissant du fait que les postes vacants dans le grade AD 12 au titre de l’exercice de promotion 2012 ont tous été pourvus, il importe de rappeler que, lorsque l’exécution d’un arrêt d’annulation présente des difficultés particulières, il est de jurisprudence constante que l’institution concernée peut satisfaire à ses obligations découlant de l’article 266 TFUE en prenant, le cas échéant, une décision de nature à compenser équitablement le désavantage résultant pour l’intéressé de la décision annulée (arrêts du Tribunal du 24 juin 2008, Andres e.a./BCE, F‑15/05, point 132, et du 13 septembre 2011, AA/Commission, F‑101/09, point 81).

32      Il découle de tout ce qui précède que le premier moyen est fondé et qu’il y a donc lieu d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen soulevé par le requérant.

 Sur les dépens

33      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

34      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que le SEAE a succombé dans sa défense. En outre, le requérant a, dans ses conclusions, expressément demandé que le SEAE soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, le SEAE doit supporter ses propres dépens et être condamné à supporter les dépens exposés par le requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision du Service européen pour l’action extérieure de ne pas promouvoir M. Diamantopoulos au grade AD 12 au titre de l’exercice de promotion 2012 est annulée.

2)      Le Service européen pour l’action extérieure supporte ses propres dépens et est condamné à supporter les dépens exposés par M. Diamantopoulos.

Van Raepenbusch

Barents

Bradley

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2014.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       S. Van Raepenbusch


* Langue de procédure : le français.