Language of document : ECLI:EU:C:2011:215

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 7 avril 2011 (1)

Affaires jointes C‑106/09 P et C‑107/09 P

Commission européenne (C-106/09 P),

Royaume d’Espagne (C-107/09 P)

contre

Government of Gibraltar et Royaume‑Uni

«Pourvois – Régime d’aides d’État – Réforme de l’impôt sur les sociétés de Gibraltar – Compétences des États membres dans le domaine de la fiscalité directe – Notion d’avantage – Sélectivité régionale et matérielle – Paradis fiscal – Sociétés off shore»





I –    Introduction

1.        Par leurs pourvois, la Commission européenne et le Royaume d’Espagne demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 18 décembre 2008, Government of Gibraltar et Royaume-Uni/Commission (T‑211/04 et T‑215/04, Rec. p. II‑3745, ci‑après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui‑ci a annulé la décision 2005/261/CE de la Commission, du 30 mars 2004, relative au régime d’aides que le Royaume‑Uni envisage de mettre à exécution concernant la réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar (2). Dans ladite décision, la Commission a conclu que la réforme en question constituait un régime d’aide incompatible avec le marché commun.

2.        La problématique de l’existence de l’avantage, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, ainsi que de la sélectivité sur le plan régional et matériel, au sens de ladite disposition, se trouve au cœur des présents pourvois. D’une part, la question est de savoir si un territoire au sens de l’article 299, paragraphe 4, CE (3) qui ne fait pas partie du territoire d’un État membre peut être retenu comme cadre de référence aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. Plus particulièrement, la présente affaire requiert l’examen de l’applicabilité à Gibraltar de la jurisprudence existante relative à la sélectivité régionale.

3.        D’autre part, la Cour est invitée à effectuer un choix ayant des conséquences transversales s’agissant de la méthodologie à employer dans le contexte de mesures indirectes susceptibles de constituer des aides d’État. Il s’agit de déterminer la méthode permettant d’apprécier la sélectivité matérielle d’une mesure indirecte adoptée dans le cadre d’un régime fiscal national, tout en respectant la répartition des compétences entre les États membres et l’Union européenne dans le domaine de la fiscalité directe.

4.        En effet, la Commission propose à la Cour de consacrer un nouveau concept de système fiscal «intrinsèquement discriminatoire» (4), ainsi qu’une méthode d’analyse qui s’écarte de celle figurant dans sa communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (5) (ci‑après la «méthode ad hoc»).

5.        Or, la mesure qui, sur le fondement de ce concept, est susceptible d’être qualifiée, en l’espèce, d’avantage sélectif est une mesure fiscale qui s’applique à plus de 99 % des entreprises de Gibraltar (6).

6.        La principale question posée par la présente affaire concerne donc la sélectivité matérielle et la clarification de la notion d’aide d’État par rapport au phénomène de la concurrence fiscale dommageable.

7.        Dans le cadre de mon analyse, je me propose d’examiner successivement la sélectivité régionale, puis la sélectivité matérielle, en m’affranchissant toutefois de l’ordre des moyens soulevés par les parties requérantes aux pourvois.

II – Les faits à l’origine du litige et l’arrêt attaqué

A –    La réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar

8.        Par lettre du 12 août 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié à la Commission, en application de l’article 88, paragraphe 3, CE, la réforme de l’impôt sur les sociétés que le Government of Gibraltar envisageait de mettre en œuvre (7).

9.        Le système d’imposition devant être introduit par la réforme fiscale et applicable à toutes les sociétés établies à Gibraltar se compose d’un impôt sur le nombre de salariés («payroll tax»), d’un impôt sur l’occupation de locaux professionnels («business property occupation tax», ci‑après le «BPOT») et d’une taxe d’enregistrement («registration fee») établis comme suit:

–        l’impôt sur le nombre de salariés: toutes les sociétés de Gibraltar seront assujetties à un impôt sur le nombre de salariés employés à Gibraltar à hauteur de 3 000 GBP par salarié et par an;

–        le BPOT: toutes les sociétés occupant des locaux à Gibraltar à des fins professionnelles devront acquitter un impôt sur l’occupation desdits locaux fixé à un taux équivalant à un pourcentage de leur assujettissement au taux général de l’impôt foncier à Gibraltar;

–        la taxe d’enregistrement: toutes les sociétés de Gibraltar devront acquitter une taxe d’enregistrement annuelle dont le montant s’élèvera à 150 GBP pour les sociétés non destinées à générer des revenus et à 300 GBP pour les sociétés destinées à générer des revenus.

10.      L’assujettissement à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT sera plafonné à 15 % des bénéfices. Il résulte de l’instauration de ce plafond que les sociétés paieront l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT uniquement si elles font des bénéfices.

11.      Certaines activités, à savoir les services financiers et les activités de réseau, seront assujetties à un impôt supplémentaire sur les bénéfices générés par celles-là.

12.      L’imposition totale de sociétés de services financiers (impôt sur le nombre de salariés, BPOT et impôt supplémentaire sur les bénéfices générés par les activités de services financiers à un taux compris entre 4 % et 6 % des bénéfices) sera plafonnée à 15 % des bénéfices. Les entreprises de réseau seront redevables d’un impôt supplémentaire sur les bénéfices générés par leurs activités qui sera égal à 35 % des bénéfices. Ces entreprises seront autorisées à déduire l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT de leur impôt supplémentaire (8).

B –    La décision litigieuse

13.      Après avoir examiné la notification conformément à la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission a considéré que la réforme du système de fiscalité des entreprises à Gibraltar, telle que notifiée par le Royaume‑Uni constituait un régime d’aides d’État incompatible avec le marché commun ne pouvant être, en conséquence, mis à exécution.

14.      La Commission a énoncé, en substance, aux considérants 98 à 152 de la décision litigieuse, que ladite réforme était sélective tant sur le plan régional que sur le plan matériel. D’une part, dans la mesure où la réforme prévoit un système d’impôt sur les sociétés en vertu duquel les sociétés à Gibraltar sont imposées, de manière générale, à un taux moindre que les sociétés au Royaume‑Uni, la réforme confère, selon la Commission, un avantage sélectif aux entreprises gibraltariennes.

15.      D’autre part, les aspects suivants de la réforme fiscale concernant l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT sont sélectifs sur le plan matériel, selon la Commission. Premièrement, la condition de dégager des bénéfices avant d’être assujetti favoriserait les entreprises qui ne dégagent pas de bénéfices; deuxièmement, le plafond de 15 % des bénéfices appliqué à l’assujettissement favoriserait les entreprises qui, pour l’exercice fiscal en cause, ont des bénéfices peu élevés par rapport à leur nombre de salariés et à l’occupation de locaux professionnels; troisièmement, l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT favoriseraient, par nature, les entreprises qui n’ont pas de réelle présence physique à Gibraltar et qui, de ce fait, ne sont pas redevables de l’impôt sur les sociétés.

16.      Enfin, la Commission a conclu que l’octroi des exonérations et des allégements fiscaux susvisés entraînait une perte de recettes fiscales équivalente à la consommation de ressources de l’État sous la forme de dépenses fiscales. Les mesures en cause ont été donc qualifiées d’avantage accordé par l’État et au moyen de ressources d’État.

C –    La procédure devant le Tribunal concernant l’arrêt attaqué

17.      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 9 juin 2004, le Government of Gibraltar, requérant dans l’affaire T‑211/04, et le Royaume‑Uni, requérant dans l’affaire T‑215/04, ont introduit des recours en annulation de la décision litigieuse. Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 14 décembre 2004, il a été fait droit à la demande d’intervention du Royaume d’Espagne au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 18 décembre 2006, les affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale.

18.      Le Tribunal a accueilli deux des trois moyens soulevés par les requérants en première instance relatifs respectivement à la sélectivité régionale et à la sélectivité matérielle, raison pour laquelle il s’est abstenu d’examiner le troisième moyen, tiré de la violation de formes substantielles. En conséquence, il a annulé la décision litigieuse.

III – Sur les pourvois

A –    La procédure devant la Cour

19.      Par ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2009, les affaires C‑106/09 P et C‑107/09 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt. Par ordonnance du président de la Cour du 25 septembre 2009 dans les affaires jointes C-106/09 P et C-107/09 P, l’Irlande a été admise à intervenir dans les présentes affaires au soutien des prétentions du Royaume‑Uni et du Government of Gibraltar.

20.      Dans son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique divisé en six branches portant sur l’examen effectué par le Tribunal en ce qui concerne la sélectivité matérielle et tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE. Dans son pourvoi, le Royaume d’Espagne invoque onze moyens portant sur l’examen effectué par le Tribunal sur la sélectivité tant régionale que matérielle. Il invoque également des moyens tirés d’irrégularités de procédure.

21.      Dans leur mémoire en réponse relatif aux pourvois introduits par la Commission et par le Royaume d’Espagne, le Government of Gibraltar et le Royaume‑Uni concluent au rejet desdits pourvois. L’Irlande est intervenue au soutien des conclusions du Royaume‑Uni uniquement dans l’affaire C‑106/09P.

22.      La Commission, le Government of Gibraltar, le gouvernement du Royaume-Uni, l’Irlande et le gouvernement espagnol ont présenté des observations à l’audience qui s’est tenue le 16 novembre 2010.

B –    Observations liminaires sur les aspects procéduraux des pourvois – sur les conséquences d’une annulation partielle de l’arrêt attaqué

23.      Dans son pourvoi, la Commission critique uniquement la partie de l’arrêt du Tribunal concernant la sélectivité matérielle. Selon la Commission, la décision litigieuse aurait conclu au caractère sélectif de la réforme d’un point de vue tant régional que matériel. Son annulation ne pourrait donc être retenue que si l’arrêt la censurant avait dûment établi que ces conclusions étaient toutes deux erronées. Par conséquent, dans l’hypothèse où la Cour ferait droit au pourvoi de la Commission, l’annulation de la décision litigieuse perdrait sa justification et l’arrêt devrait être cassé.

24.      À cet égard, je suis d’avis que le fait d’accueillir le pourvoi de la Commission ne saurait suffire à annuler l’intégralité de l’arrêt attaqué. Au contraire, si l’arrêt attaqué était annulé dans sa partie relative à la sélectivité matérielle, le dispositif de l’arrêt attaqué resterait inchangé, ce qui suffirait à justifier l’annulation de la décision litigieuse dès lors que la solution juridique y figurant concernant la sélectivité régionale était erronée.

25.      En effet, dans l’hypothèse d’un territoire au sens de l’article 299, paragraphe 4, CE ou de collectivités infra‑étatiques, l’analyse de la sélectivité régionale dans la décision litigieuse est un élément constitutif de l’appréciation de l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 87 CE. Afin de compléter l’aspect concernant la sélectivité régionale, la Commission devra donc adopter une nouvelle décision portant sur la légalité du régime en cause au regard de l’article 87 CE.

26.      Par ailleurs, dans l’hypothèse où le raisonnement du Tribunal relatif à la sélectivité matérielle serait rejeté par la Cour, il en découlerait l’annulation de la motivation correspondante de l’arrêt attaqué et non pas la confirmation du dispositif de la décision litigieuse. En effet, d’une part, le Tribunal n’a pas tranché le troisième moyen des requérants, soulevé devant lui en première instance et, d’autre part, il n’a pas pu examiner les conclusions de la Commission concernant la compatibilité des mesures en cause avec le marché commun dans une situation où le cadre de référence géographique était différent de celui visé dans la décision litigieuse (à savoir Gibraltar, plutôt que l’ensemble formé par le Royaume-Uni et Gibraltar).

27.      Eu égard à ce qui précède, il me semble donc que la Cour peut soit rejeter les deux pourvois dans leur ensemble, soit accueillir les pourvois tout en renvoyant au Tribunal l’examen du troisième moyen soulevé en première instance. En tout état de cause, je considère que le litige en l’état ne permet pas à la Cour de se prononcer définitivement sur tous ses aspects.

IV – Sur la sélectivité régionale (9)

A –    Sur la recevabilité du pourvoi du Royaume d’Espagne

28.      Dans ses mémoires, le Government of Gibraltar fait valoir que les arguments avancés par le Royaume d’Espagne et la Commission portant sur la sélectivité régionale se bornent à répéter en substance les arguments avancés devant le Tribunal.

29.      À cet égard, j’observe que le Royaume d’Espagne bénéficiait devant le Tribunal de la qualité de partie intervenante, tandis que la Commission y défendait la décision litigieuse. En principe, le cadre du litige devant le Tribunal n’a pas été délimité par leurs plaidoiries, mais par les moyens invoqués dans les requêtes présentées par le Government of Gibraltar et le gouvernement du Royaume‑Uni.

30.      Conformément à une jurisprudence constante, il découle de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que les intervenants devant le Tribunal sont considérés comme des parties devant cette juridiction. Ainsi, l’article 40, quatrième alinéa, dudit statut ne s’oppose pas à ce que l’intervenant fasse état d’arguments différents de ceux de la partie qu’il soutient, pourvu qu’il vise à soutenir les conclusions de cette partie (10).

31.      J’observe que, si le Royaume d’Espagne avait introduit son pourvoi en l’espèce sans être préalablement intervenu devant le Tribunal, il n’aurait été soumis à aucune autre restriction que celle liée à l’objet du litige, tel que défini par les requérants devant le Tribunal. Il en irait de même si le Royaume d’Espagne n’avait pas introduit de pourvoi contre l’arrêt attaqué, mais s’était limité à présenter des observations au soutien des conclusions de la Commission. En effet, une partie intervenante bénéficiant du droit de présenter un mémoire en réponse, en vertu de l’article 115 du règlement de procédure, doit, en l’absence d’une limitation expresse, pouvoir soulever des moyens concernant tout point de droit qui constitue le fondement de l’arrêt attaqué (11). Compte tenu de ces éléments, la position procédurale d’une partie privilégiée tel un État membre qui avait la qualité de partie intervenante devant le Tribunal implique nécessairement que la portée matérielle du pourvoi introduit par une telle partie ne peut être limitée que par l’objet du litige, et non par la portée des observations qu’elle avait déposées devant le Tribunal.

32.      De surcroît, il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée, ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, ce qui constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, échappant à la compétence de la Cour (12).

33.      Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. La procédure de pourvoi serait sinon privée d’une partie de son sens (13).

34.      Par conséquent, il convient de rejeter dans son ensemble l’argumentation relative à l’irrecevabilité du pourvoi du Royaume d’Espagne.

35.      En outre, il est reproché au Royaume d’Espagne d’avoir soulevé la violation des articles 5 CE et 307 CE tardivement, à savoir au stade de la réplique. En effet, prenant position sur les mémoires en réponse du Government of Gibraltar et du Royaume‑Uni, le Royaume d’Espagne affirme dans sa réplique que l’approche du Tribunal reviendrait à reconnaître à Gibraltar une souveraineté fiscale en dépit de son statut de «territoire non autonome», ce qui irait à l’encontre des articles 5 CE et 307 CE.

36.      Il est vrai que la Cour a pour règle d’écarter tout moyen présenté pour la première fois au stade de la réplique, sauf dans l’une des trois situations particulières suivantes: lorsqu’il apparaît soit que le moyen en question ne constitue en fait qu’une ampliation d’un moyen énoncé antérieurement (14), soit que ce moyen est un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office (15), soit qu’il se fonde sur un élément nouveau révélé en cours d’instance (16).

37.      En l’espèce, l’évocation de la violation des articles 5 CE et 307 CE pourrait être considérée comme une ampliation du premier moyen du Royaume d’Espagne énoncé antérieurement dans le pourvoi et présentant un lien étroit avec ce moyen. Toutefois, parce que cette problématique n’est pas expressément rattachée par le gouvernement espagnol audit moyen de son pourvoi, il n’appartient pas à la Cour d’établir un tel lien à la place de la requérante au pourvoi. Par conséquent, je propose de la considérer comme irrecevable.

B –    Sur l’étendue du contrôle de la Cour effectué dans le cadre du pourvoi au sujet de l’appréciation du droit national opérée par le Tribunal

38.      Compte tenu de la pertinence de l’interrogation soulevée dans le cadre du sixième moyen du Royaume d’Espagne, je propose de l’examiner à un stade préliminaire. La Cour doit à ce titre se prononcer sur la valeur à attribuer aux éléments de droit national qui ont été examinés en l’espèce par le Tribunal.

39.      Il convient de souligner d’emblée que la question qui est posée concerne un recours direct (17).

40.       Je note que, dans sa jurisprudence la plus ancienne, la Cour a jugé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les règles de droit interne et que, partant, elle ne saurait examiner le grief selon lequel, en prenant sa décision, la Haute Autorité aurait violé des principes ou des dispositions du droit constitutionnel national (18).

41.      Toutefois, il est incontestable que, dans l’exercice de ses compétences juridictionnelles, le Tribunal est amené, dans le contexte de recours directs, à se baser sur une certaine conception ou interprétation, que je qualifierais de «reconstruction interprétative», des dispositions de l’ordre juridique interne de l’État membre concerné. À cet égard, il me semble nécessaire d’opérer une distinction entre trois cas de figure.

42.      Premièrement, le Tribunal peut être amené à appliquer et à interpréter directement les règles du droit interne d’un État membre. Cette situation peut se produire par le biais d’un renvoi au droit national figurant dans une disposition du droit de l’Union ou par le biais d’une clause compromissoire (19). Dans un tel cas, le Tribunal applique le droit national comme une juridiction compétente. Une disposition du droit national équivaut donc pour le Tribunal à une norme juridique qui rattache certaines conséquences aux faits juridiquement pertinents. Il incombe donc au Tribunal d’en tirer des conclusions juridiques (20) en dépit des difficultés apparentes en ce qui concerne la vérification du contenu du droit national.

43.      La deuxième situation concerne l’application indirecte du droit national par le Tribunal. Dans un tel cas, il applique les règles du droit national comme des normes juridiques, mais il n’agit pas en qualité de juridiction compétente en ce qui concerne leur interprétation. Cette hypothèse peut être illustrée par la qualification, par le Tribunal, d’un rapport juridique relevant d’une notion qui ne constitue pas une notion autonome du droit de l’Union, telle que le mariage ou le contrat (21). Peuvent également relever de cette catégorie les situations dans lesquelles le Tribunal doit trancher une question préliminaire soit à caractère procédural, soit touchant au fond, concernant, par exemple, la qualité d’avocat du représentant d’une partie au sens du statut de la Cour de justice (22) ou l’existence d’un transfert valable du droit de propriété concernant une entreprise.

44.      Il apparaît ainsi que, dans certains cas d’application du droit national par le Tribunal, la Cour sera amenée, dans le cadre du pourvoi, à contrôler la teneur des dispositions du droit national en tant que question de droit et non en tant que question de fait.

45.      Troisièmement, le Tribunal peut être amené à s’appuyer sur une disposition de droit national afin d’établir une situation factuelle déterminée. L’application des dispositions du droit de l’Union relatives aux aides d’État en fournit de nombreux exemples, notamment en ce qui concerne les notions d’avantage et de sélectivité. Dans ce type de situation, l’analyse du droit national est donc requise afin d’établir une situation de fait qui entre en ligne de compte dans le cadre de l’application du droit de l’Union (23).

46.      En l’espèce, il convient de mettre en exergue que la question du statut de Gibraltar tel que régi par le droit de l’Union constitue indubitablement une question de droit soumise au contrôle de la Cour.

47.      Ainsi qu’il ressort du dossier, le statut de Gibraltar est également régi, au niveau national, par les dispositions constitutionnelles qui ont fait l’objet d’un examen par le Tribunal (24). En effet, les développements du Tribunal portant sur le statut de Gibraltar sur le plan politique et administratif constituent une reconstruction interprétative du droit national destinée à établir la situation de fait de Gibraltar au regard des critères dégagés par la jurisprudence Açores (25). Le Tribunal n’applique donc pas, dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, les dispositions constitutionnelles relatives au statut juridique de Gibraltar en tant que normes juridiques. En revanche, il s’appuie sur lesdites dispositions afin d’apprécier la situation de Gibraltar au regard du droit de l’Union.

48.      Par conséquent, afin de préserver l’équilibre structurel établi entre l’ordre juridique national et le droit de l’Union, je propose à la Cour de considérer que, dans le cadre de la présente affaire, lorsque le Tribunal se livre à une reconstruction interprétative des dispositions du droit national, y compris celles de valeur constitutionnelle afin de pouvoir appliquer la jurisprudence Açores, il s’agit, aux fins du présent pourvoi, de constatations factuelles opérées par le Tribunal, dont seule la dénaturation relèverait du contrôle exercé par la Cour.

C –    Sur le statut unique de Gibraltar

49.      Il est constant que Gibraltar (26) est un territoire européen dont un État membre assume les relations extérieures au sens de l’article 299, paragraphe 4, CE et auquel les dispositions du traité CE s’appliquent (27). L’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités prévoit, toutefois, que certaines parties du traité ne s’appliquent pas à Gibraltar (28).

50.      En vertu de la déclaration n° 55 annexée au traité de Lisbonne, les traités s’appliquent à Gibraltar en tant que territoire européen dont un État membre assume les relations extérieures. Cela n’implique aucun changement des positions respectives des États membres concernés.

51.      Ainsi que la Cour  l’a résumé (29), Gibraltar a été cédé par le Roi d’Espagne à la Couronne britannique par le traité d’Utrecht conclu entre le premier et la Reine de Grande‑Bretagne le 13 juillet 1713, dans le cadre des traités mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. L’article X, dernière phrase, dudit traité précise que, si jamais la Couronne britannique avait l’intention de donner, de vendre, ou d’aliéner par un quelconque autre moyen la propriété de la ville de Gibraltar, elle serait tenue d’accorder la préférence à la Couronne d’Espagne, par priorité sur tout autre intéressé.

52.      La Cour a également indiqué que Gibraltar était actuellement une colonie de la Couronne britannique, sans faire partie du Royaume‑Uni. Le pouvoir exécutif y est exercé par un gouverneur nommé par la Reine et, pour des compétences intérieures déterminées, par un Chief minister et des ministres élus au niveau local. Ces derniers sont responsables devant la Chambre législative (House of Assembly), dont l’élection a lieu tous les cinq ans. La Chambre législative a le pouvoir de voter des lois relatives à des matières intérieures déterminées. Le gouverneur a toutefois le pouvoir de refuser de sanctionner une loi. Le Parlement du Royaume‑Uni et la Reine au sein de son Conseil privé (Queen in Council) ont en outre le pouvoir d’édicter des lois applicables à Gibraltar. Des juridictions propres à Gibraltar ont été instituées. Toutefois, une possibilité de recours contre les arrêts de la plus haute juridiction de Gibraltar existe devant la commission judiciaire du Conseil privé (Judicial Committee of the Privy Council) (30).

53.      Enfin, il importe de mentionner la résolution n° 1514 des Nations unies et le droit à une autodétermination (self‑determination) revendiqué par les autorités gibraltariennes (31). À l’occasion d’une session extraordinaire tenue le 4 août 2004, le Parlement de Gibraltar a adopté à l’unanimité une motion proclamant le «droit inaliénable à l’autodétermination du peuple de Gibraltar». Une nouvelle Constitution, la «Gibraltar Constitution Order» (32), est entrée en vigueur après avoir été approuvée au cours d’un référendum (33), et a accordé à Gibraltar une très large autonomie tout en réaffirmant la souveraineté britannique sur ce territoire (34).

D –    L’applicabilité des règles sur les aides d’État aux territoires visés à l’article 299, paragraphe 4, CE

54.      À titre liminaire, il convient de rappeler que la sélectivité régionale d’une mesure fiscale s’apprécie par rapport au taux d’imposition normal, à savoir le taux en vigueur dans la zone géographique constituant la zone de référence. La difficulté à laquelle le Tribunal était confronté en l’espèce consistait à déterminer s’il y avait lieu de raisonner comme l’avait fait la Commission en considérant que le Royaume-Uni et Gibraltar formaient un ensemble, ou s’il devait être admis que Gibraltar constituait le cadre de référence approprié.

55.      Cette question soulève, à mes yeux, une question d’interprétation autonome du droit de l’Union. En effet, le droit primaire a accordé à Gibraltar un statut particulier dans l’ordre juridique de l’Union. Les effets juridiques de ce statut quant à l’application des règles du droit de l’Union relatives aux aides d’État ne dépendent donc pas du statut de Gibraltar tel qu’il est défini en droit international et, encore moins, de celui défini dans le droit constitutionnel du Royaume‑Uni, mais procèdent exclusivement d’une interprétation du traité. Certes, le droit international et le droit constitutionnel d’un État membre concerné peuvent définir les éléments constituant les faits juridiques auxquels le droit de l’Union s’applique. Toutefois, ces éléments n’ont aucune incidence sur la nature exclusivement communautaire des questions juridiques sur lesquelles la Cour est appelée à statuer dans le cadre des présents pourvois.

56.      Dans l’arrêt Açores (35), la question fondamentale était de savoir si les réductions fiscales en cause pouvaient être considérées comme une mesure d’application générale aux Açores ou s’il s’agissait plutôt d’une mesure sélective, conférant un avantage uniquement aux opérateurs établis aux Açores, par rapport à ceux actifs au Portugal.

57.      Ainsi que l’a proposé l’avocat général Geelhoed, la région doit être autonome au sens institutionnel, procédural et économique afin de pouvoir considérer que la mesure ne revêt pas de caractère sélectif (36). En effet, dans l’arrêt Açores, la Cour a considéré que pour qu’une décision puisse être considérée comme ayant été adoptée dans l’exercice de pouvoirs suffisamment autonomes, il fallait qu’elle ait été prise par une autorité régionale ou locale dotée, sur le plan constitutionnel, d’un statut politique et administratif distinct de celui du gouvernement central. En outre, elle doit avoir été adoptée sans que le gouvernement central ne puisse intervenir directement sur son contenu. Enfin, les conséquences financières d’une réduction du taux d’imposition national applicable aux entreprises présentes dans la région ne doivent pas être compensées par des concours ou subventions en provenance des autres régions ou du gouvernement central (37). La Cour a repris ces principes, en apportant quelques précisions dans l’affaire UGT‑Rioja. S’agissant de la troisième condition, elle a notamment précisé qu’il s’agissait de «l’autonomie économique et financière» (38) .

58.      L’importance de l’arrêt Açores réside incontestablement dans le fait que, alors même qu’il ne concernait pas un État fédéral ayant une distribution symétrique des compétences fiscales, la Cour n’a pas jugé que le cadre de référence devait nécessairement correspondre à l’intégralité du territoire d’un État membre (39). En revanche, la Cour a admis que le cadre de référence d’une réglementation fiscale d’une collectivité régionale pouvait correspondre à son propre territoire lorsque cette entité était suffisamment autonome par rapport au gouvernement central de l’État membre concerné.

59.      Compte tenu de son statut visé à l’article 299, paragraphe 4, CE, les règles du traité, notamment, celles relatives aux aides d’État, s’appliquent à Gibraltar. Par ailleurs, l’adhésion du Royaume‑Uni aux Communautés européennes a été possible sans qu’il n’existe de système fiscal commun entre cet État membre et Gibraltar, qui appartient à une catégorie de territoires ayant un rapport spécifique avec l’Union européenne.

60.      Eu égard aux considérations qui précèdent, il me semble exclu qu’une interprétation conforme à l’objectif du traité permette d’exiger du Royaume‑Uni qu’il applique son propre système fiscal au territoire de Gibraltar. En revanche, dans la mesure où les traités ne prévoient pas de dérogation concernant l’application des règles relatives aux aides d’État sur le territoire en question, il me semble logique que les conditions de la sélectivité régionale soient appréciées selon les mêmes principes que ceux qui s’appliquent aux autres entités intraétatiques (40) disposant de leurs propres compétences fiscales. Cette interprétation est, selon moi, la seule qui préserve l’effet utile de l’article 299, paragraphe 4, CE, lu en combinaison avec le principe selon lequel règles du droit de l’Union régissant les aides d’État s’appliquent à Gibraltar.

61.      Par ailleurs, le fait que la Cour n’ait jamais eu à connaître auparavant du cas d’un territoire dont les relations sont assurées par un État membre ne saurait suffire, contrairement aux allégations du Royaume d’Espagne, à exclure d’emblée l’applicabilité de la jurisprudence Açores à l’égard de Gibraltar.

62.      Par conséquent, force est de constater que le Tribunal a pu appliquer ladite jurisprudence au cas de Gibraltar sans que cette approche ne soit, à elle seule, constitutive d’une violation de l’un des critères de la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. C’est à la lumière de ces observations générales que j’entame à présent l’analyse des différents moyens invoqués par le Royaume d’Espagne.

E –    Premier moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne, tiré de la méconnaissance du statut de Gibraltar

1.      Argumentation

63.      Par son premier moyen, le Royaume d’Espagne soutient que le Tribunal a violé l’article 299, paragraphe 4, CE en ce qu’il a méconnu le statut juridique de Gibraltar au regard du droit international, en négligeant l’article 74 de la charte des Nations unies, et du droit de l’Union, et en ce qu’il a érigé Gibraltar en nouvel État membre de l’Union européenne en matière de fiscalité. Il résulterait de l’approche du Tribunal que Gibraltar pourrait adopter des mesures fiscales dommageables sans qu’un contrôle effectif ne puisse être exercé.

2.      Sur la recevabilité

64.      Le Government of Gibraltar soulève l’irrecevabilité de l’argumentation du Royaume d’Espagne selon laquelle le Tribunal aurait dû se référer à l’article 74 de la charte des Nations unies. Compte tenu des considérations exposés aux points 35 et 36 des présentes conclusions, je propose de déclarer recevable cette branche du premier moyen.

3.      Sur le fond

65.      Je considère que l’aspect fondamental et seul pertinent au vu de la réponse au pourvoi du Royaume d’Espagne est celui de savoir si le Tribunal a fait une exacte application du statut de Gibraltar prévu en droit de l’Union.

66.      À cet égard, il suffit de relever que, aux points 5 à 10 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé le statut de Gibraltar en des termes analogues à ceux employés par la Cour dans l’arrêt Espagne/Royaume-Uni, précité. Au point 10 de l’arrêt attaqué, il a également rappelé, à bon droit, la situation de Gibraltar au regard de l’article 299, paragraphe 4, CE.

67.      S’agissant des points 98 à 100 de l’arrêt attaqué consacrés à l’analyse du droit national, ainsi que je l’ai exposé ci‑dessus, le contrôle de la Cour se limite à celui de la dénaturation des faits, laquelle n’a pas été alléguée et, en tout état de cause, apparaît exclue à la lecture des points pertinents.

68.      En outre, j’observe que le raisonnement du Tribunal, qui comprend un rappel de la teneur de l’article 73 de la charte des Nations unies, s’insère dans une argumentation tendant à vérifier si Gibraltar satisfaisait à la deuxième condition posée par l’arrêt Açores, précité, à savoir celle tenant à l’autonomie législative.

69.      Dans ce contexte, il suffit de rappeler que la Cour a souligné à multiples reprises que les compétences communautaires doivent s’exercer de manière conforme au droit international (41), l’exemple le plus marquant de cette jurisprudence étant l’arrêt Racke (42). Le Tribunal a donc pu valablement faire référence à la charte des Nations unies dans son analyse de l’application des conditions de l’arrêt Açores à Gibraltar. Il ne s’ensuit, toutefois, pas que le Tribunal était tenu d’élargir son analyse aux autres dispositions de ladite charte, tel que l’article 74, qui me semble, au demeurant, couvrir des aspects qui, d’une part, n’ont pas été tranchés dans la décision litigieuse et, d’autre part, ne figuraient pas dans les requêtes présentées devant le Tribunal.

70.      En effet, s’agissant du point de savoir si la réforme fiscale en cause a été conçue sans que le gouvernement central du Royaume-Uni ne puisse intervenir directement sur son contenu, la problématique du respect du bon voisinage visée à l’article 74 de la charte me paraît distincte de l’analyse effectuée par le Tribunal aux points 90 à 100 de l’arrêt attaqué. Par conséquent, à supposer qu’il convienne d’interpréter l’argumentation du Royaume d’Espagne comme visant un défaut de motivation de l’arrêt attaqué, celle‑ci ne saurait prospérer.

71.      Enfin, il ne ressort d’aucun point de l’arrêt attaqué que le Tribunal aurait assimilé Gibraltar à un nouvel État membre. En particulier, ne sauraient être interprétés en ce sens les développements effectués par le Tribunal au sujet de la sélectivité régionale, lorsque, après avoir examiné la situation de Gibraltar au regard des critères de la jurisprudence Açores, le Tribunal, au point 115 de l’arrêt attaqué, a jugé que le cadre de référence correspondait exclusivement à Gibraltar.

72.      Ce faisant, il n’a fait qu’appliquer la jurisprudence de la Cour en vertu de laquelle, dans l’appréciation de la sélectivité de la mesure, le cadre de référence ne doit pas nécessairement être défini dans les limites du territoire de l’État membre concerné (43).

73.      Eu égard à l’ensemble des éléments qui précèdent, je propose de rejeter le premier moyen du Royaume d’Espagne comme non fondé.

F –    Quatrième moyen du pourvoi de l’Espagne tiré de la méconnaissance de l’exigence selon laquelle une aide d’État doit être accordée par un État ou au moyen de ressources d’État

1.      Argumentation

74.      Par son quatrième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que le cadre de référence géographique pour l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE doit nécessairement être le territoire de Gibraltar ainsi que celui du Royaume-Uni ou du Royaume d’Espagne. En effet, la notion d’aide au sens de cet article impliquerait que les avantages soient accordés directement ou indirectement au moyen des ressources d’un État membre. Or, Gibraltar ne serait pas un État membre, mais seulement un territoire ne faisant partie d’aucun État membre, conformément à l’article 299, paragraphe 4, CE.

2.      Appréciation

75.      Ainsi que je l’ai déjà constaté ci‑dessus, la seule interprétation conforme à l’esprit de l’article 299, paragraphe 4, CE, lu en combinaison avec le principe d’applicabilité à Gibraltar des règles relatives aux aides d’État, est celle consistant à appliquer en l’espèce les principes énoncés dans la jurisprudence relative aux régions et territoires disposant de compétences fiscales propres.

76.      En conséquence, je propose de rejeter le quatrième moyen du Royaume d’Espagne comme non fondé.

G –    Cinquième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne, tiré de la violation du principe de non‑discrimination

1.      Argumentation

77.      Par son cinquième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que le Tribunal a violé le principe de non‑discrimination en ce qu’il a appliqué la jurisprudence Açores au cas d’espèce, lequel relèverait toutefois d’une situation tout à fait différente. D’une part, le Tribunal appliquerait les critères dégagés dans l’arrêt Açores conçus par la Cour à l’égard de la situation d’une région d’un État membre au cas de Gibraltar qui aurait un statut de colonie. D’autre part, l’affaire Açores aurait uniquement porté sur une réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, et non sur l’instauration d’un système complet d’imposition des sociétés.

2.      Sur la recevabilité

78.      Le Government of Gibraltar fait valoir que le cinquième moyen serait à considérer comme un moyen nouveau qui devrait donc être déclaré irrecevable.

79.       Selon l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est en effet limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (44). 

80.      Toutefois, j’observe qu’une interprétation restrictive de la jurisprudence risque de priver une partie privilégiée, telle qu’un État membre, de la possibilité d’invoquer devant la Cour des moyens distincts de ceux soulevés devant le Tribunal. Or, dès lors que ces derniers étaient dirigés contre la décision litigieuse, il me paraît naturel qu’ils évoluent au stade du pourvoi, lorsqu’ils sont dirigés contre un arrêt rendu en réponse aux premiers recours. Je considère que les moyens susceptibles d’être invoqués par un État membre à l’encontre d’un arrêt du Tribunal ne devraient pas être limités du seul fait qu’il a participé à la procédure en première instance, fût‑ce uniquement en qualité de partie intervenante.

81.      Si Gibraltar entend donc faire grief au Royaume d’Espagne d’avoir modifié le litige, ce grief ne saurait prospérer dans la mesure où aucune modification du litige ne peut résulter de l’invocation de la violation du principe de non‑discrimination en relation avec l’application de la jurisprudence Açores. Celle-ci se trouve, au contraire, au cœur du raisonnement du Tribunal, de sorte que je propose de considérer le cinquième moyen comme recevable.

3.      Sur le fond

82.      À titre liminaire, je rappelle que le principe d’égalité de traitement et de non‑discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (45).

83.      En l’espèce, le Royaume d’Espagne soulève la question de savoir si, compte tenu des différences entre le statut des Açores et celui de Gibraltar, il était juridiquement fondé de faire une application directe de la jurisprudence Açores à Gibraltar.

84.      À cet égard, il convient d’observer d’emblée que, pour autant que le Tribunal s’est référé à ladite jurisprudence, il ne s’est pas livré à un exercice de comparaison entre ces deux territoires. Je considère en conséquence que la question soulevée par le Royaume d’Espagne est dépourvue de pertinence quant à l’application des dispositions régissant les aides d’État.

85.      Au contraire, dans la mesure où la solution adoptée par la Cour dans l’arrêt Açores constitue une grille d’interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE, susceptible d’être appliquée à divers territoires et collectivités, il apparaît indispensable de définir au préalable le champ d’application du droit de l’Union dans ces hypothèses.

86.      Ainsi, en ce qui concerne les territoires et régions qui bénéficient de liens particuliers avec certains États membres en raison de leur passé commun ou d’une évolution récente d’autonomie régionale, je considère qu’il convient d’appliquer un raisonnement en deux temps.

87.      Premièrement, il est nécessaire de rechercher si le traité CE s’applique à un tel territoire. Dans l’affirmative et indépendamment de la question de savoir s’il s’agit d’une entité infra‑étatique, d’un territoire autonome ou d’un territoire extérieur à celui d’un État membre, la deuxième étape consiste à identifier le cadre de référence adéquat au regard de la jurisprudence Açores.

88.      C’est pourquoi je considère que c’est à bon droit que le Tribunal, après avoir établi le statut de Gibraltar au regard du traité CE, a fait application des critères définis par la Cour dans l’arrêt Açores sans encourir le risque de la violation du principe de non-discrimination.

89.      Enfin, une éventuelle différence au niveau de l’ampleur de la réforme fiscale susceptible d’être mise en œuvre aux Açores et à Gibraltar n’a, selon moi, aucune incidence à cet égard.

90.      Par conséquent, je propose de rejeter le cinquième moyen comme non fondé.

H –    Sur le sixième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne, tiré d’une violation des conditions établies dans l’arrêt Açores

1.      Argumentation

91.      Par son sixième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que le Tribunal a violé l’article 87, paragraphe 1, CE en ce qu’il aurait considéré à tort que les conditions établies dans l’arrêt Açores étaient réunies pour conclure à l’absence de sélectivité régionale. Il critique les points 76 à 117 de l’arrêt attaqué.

2.      Appréciation

92.      Ainsi que je l’ai exposé ci‑dessus, je propose à la Cour de limiter son contrôle des développements portant sur l’interprétation du droit national par le Tribunal à la seule dénaturation des éléments dudit droit dans l’appréciation des conditions de la jurisprudence Açores.

93.      Conformément à cette jurisprudence, pour qu’une décision prise par une autorité régionale ou locale puisse être considérée comme ayant été adoptée dans l’exercice de pouvoirs suffisamment autonomes de cette autorité, les trois critères de l’autonomie institutionnelle, procédurale ainsi qu’économique et financière doivent être remplis (46).

94.      Premièrement, en ce qui concerne l’autonomie institutionnelle, le Tribunal s’est borné à constater au point 89 de l’arrêt attaqué que «les parties principales» reconnaissent que les autorités de Gibraltar disposent d’un statut distinct sur le plan constitutionnel. Toutefois, le Royaume d’Espagne met en cause l’existence d’un tel accord en employant les termes «accord entre toutes les parties» et fait valoir que, pour sa part, il n’a jamais adhéré à une thèse de l’autonomie politique et administrative de Gibraltar.

95.      À cet égard, je relève que l’accord visé au point 89 de l’arrêt attaqué se réfère aux «parties principales». Or, le Royaume d’Espagne a participé à la procédure devant le Tribunal en sa qualité d’intervenante, ce qui exclut sa prise en compte au titre dudit accord. Le point 89 de l’arrêt n’est donc entaché d’aucune dénaturation, dès lors qu’il se fonde sur l’existence d’une convergence de vues entre les parties principales, un élément qui, par ailleurs, n’est pas contesté par les autres parties à la procédure au pourvoi devant la Cour.

96.      Par ailleurs, il me faut relever le caractère contradictoire du pourvoi du Royaume d’Espagne, dans la mesure où celui-ci soutient, dans le cadre de son quatrième moyen que Gibraltar ne ferait pas partie du Royaume-Uni tout en faisant valoir, dans le cadre de son sixième moyen, que Gibraltar ne disposerait pas d’un statut politique et administratif distinct de celui du gouvernement du Royaume‑Uni.

97.      Deuxièmement, s’agissant de l’autonomie procédurale, le Tribunal, après avoir rappelé les dispositions pertinentes de la Constitution de Gibraltar, a conclu que les pouvoirs octroyés au gouverneur par les articles 33 et 34 de ladite Constitution, qui n’ont jamais été exercés en matière fiscale, ne démontrent pas une capacité d’intervention directe du gouvernement du Royaume-Uni sur le contenu de la réforme fiscale.

98.      À cet égard, je rappelle que les articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et 112, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement de procédure de la Cour imposent en particulier à un requérant, lorsqu’il allègue une dénaturation par le Tribunal, d’indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par ce dernier et de démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation (47). En effet, une dénaturation existe lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée (48).

99.      Or, à la lumière des arguments du Royaume d’Espagne qui visent essentiellement à mettre en cause le sens des dispositions nationales concernées, et en particulier à souligner l’existence hypothétique du pouvoir d’intervention du Royaume-Uni, aucune altération par le Tribunal du sens précis de la Constitution de Gibraltar ne peut être constatée.

100. S’agissant, enfin, de l’autonomie économique et financière, je relève qu’il ressort clairement de la jurisprudence que, afin de ne pas remplir la troisième condition de la jurisprudence Açores, il doit exister une compensation, c’est‑à‑dire un lien de cause à effet entre une mesure fiscale adoptée par les autorités étant à son origine et les montants mis à la charge de l’État (49). Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal s’est appuyé, au point 106 de l’arrêt attaqué, sur une telle interprétation de l’arrêt Açores.

101. Par ailleurs, dans son moyen, le Royaume d’Espagne n’invoque aucun élément susceptible d’établir une dénaturation des éléments examinés par le Tribunal aux points 108 à 113 de l’arrêt attaqué et qui lui ont servi de fondement pour parvenir à la conclusion selon laquelle en l’absence de preuve contraire apportée par la Commission, Gibraltar ne recevrait aucun soutien financier du Royaume-Uni afin de compenser les conséquences financières de la réforme fiscale.

102. Eu égard à ce qui précède, je propose de considérer le sixième moyen comme non fondé dans son intégralité.

I –    Sur les septième et neuvième moyens du Royaume d’Espagne, tirés de l’existence prétendue d’une quatrième condition dans le cadre de la jurisprudence Açores

1.      Argumentation

103. Par son septième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’arrêt Açores en ce qu’il n’aurait pas appliqué la quatrième condition dont le Royaume d’Espagne allègue l’existence. En effet, selon le Royaume d’Espagne, l’autonomie devrait être encadrée par certaines exigences minimales afin d’éviter, au niveau régional, l’existence de régimes fiscaux profondément divergents mettant en péril le marché commun.

104. Par son neuvième moyen, le Royaume d’Espagne fait valoir un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté l’existence d’une telle quatrième condition en se bornant à indiquer, au point 88 de l’arrêt attaqué, que celle-ci ne trouve aucun appui dans l’arrêt Açores.

2.      Appréciation

105. Par son septième moyen, le Royaume d’Espagne s’efforce de démontrer une erreur de droit que le Tribunal aurait commise au point 88 de l’arrêt attaqué. Le Royaume d’Espagne entend, à cet égard, tirer du point 47 de l’arrêt Açores, une quatrième condition s’ajoutant aux trois conditions posées par la Cour dans ledit l’arrêt.

106. Dans l’arrêt UGT‑Rioja, la Cour a rejeté l’existence d’une quatrième condition, en l’occurrence préalable à la mise en œuvre des trois critères établis dans l’arrêt Açores (50). La Cour a jugé que «les seules conditions qui doivent être remplies pour que le territoire relevant de la compétence d’une entité infra‑étatique soit le cadre pertinent pour apprécier si une décision adoptée par cette entité a un caractère sélectif sont les conditions d’autonomie institutionnelle, d’autonomie procédurale ainsi que d’autonomie économique et financière telles que précisées au point 67 de l’arrêt Portugal/Commission».

107. Il convient d’en conclure que la quatrième condition que le Royaume d’Espagne croit pouvoir dégager de l’arrêt Açores n’a jamais été posée par la Cour. Par conséquent, je propose de rejeter le septième moyen comme non fondé.

108. Eu égard à cette réponse, il n’y a pas lieu d’examiner le neuvième moyen.

J –    Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi du Royaume d’Espagne

109. Dans la mesure où ces deux moyens revêtent un caractère similaire, je propose de les examiner conjointement.

1.      Argumentation

110. Dans son deuxième moyen, le Royaume d’Espagne affirme que le Tribunal, en considérant qu’une comparaison ne peut pas être effectuée entre le régime fiscal applicable aux entreprises établies à Gibraltar et celui applicable aux entreprises établies au Royaume‑Uni, viderait de sa substance l’article 87, paragraphe 1, CE. L’interprétation de cette disposition devrait tenir compte du fait que Gibraltar est considéré comme un «paradis fiscal» par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et comme un «centre financier extraterritorial» par le Fonds monétaire international (FMI).

111. Par son troisième moyen, le Royaume d’Espagne soutient que le Tribunal aurait dû interpréter l’article 87 CE à la lumière de l’orientation de la Banque centrale européenne (BCE) du 16 juillet 2004. Il ressortirait de ce document constituant une norme contraignante en droit de l’Union que Gibraltar relève de la notion de «centre financier extraterritorial». Dans sa réplique, le Royaume d’Espagne fait notamment valoir que le Royaume‑Uni fait partie du Système européen de banques centrales (SEBC) et que l’article 5 du statut de celui‑ci constituerait la base juridique de l’orientation de la BCE mentionnée ci‑dessus.

2.      Appréciation

112. Par ces deux moyens, le Royaume d’Espagne reproche en substance au Tribunal d’avoir omis de tenir compte, dans son appréciation de la réforme fiscale de Gibraltar à la lumière de l’article 87, paragraphe 1, CE, des aspects relatifs à la qualification de Gibraltar par les organisations et institutions financières au niveau international.

113. Dès lors, ces moyens peuvent être lus comme tirés d’un prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué, ce qui constitue une question de droit pouvant être, en tant que telle, invoquée dans le cadre d’un pourvoi (51).

114. Toutefois, sans qu’il y ait lieu d’examiner les deuxième et troisième moyens sous l’angle d’un défaut de motivation, force est de constater que ces moyens sont inopérants, dès lors que, même s’ils étaient fondés, ils ne permettraient pas d’obtenir l’annulation de l’arrêt attaqué.

115. En effet, dans le cadre du pourvoi, la mission de la Cour se limite à examiner si le Tribunal a commis une erreur de droit à l’occasion de l’exercice de son contrôle juridictionnel. La seule question est donc celle de vérifier si le Tribunal a pu valablement juger que le projet de la réforme fiscale à Gibraltar respectait les règles applicables en matière d’aides d’État, et, par conséquent, s’il a pu valablement annuler la décision litigieuse. Or, les études internationales relevant du domaine de la lutte contre la fiscalité dommageable ne sauraient invalider la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal.

116. Partant, les deuxième et troisième moyens doivent être rejetés comme étant inopérants.

V –    La fiscalité directe et les aides d’État (52)

A –    Remarques liminaires relatives à la structure du pourvoi de la Commission

117. À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque un moyen unique tiré de la violation par le Tribunal de l’article 87, paragraphe 1, CE. Alors même que la Commission a divisé son moyen en six branches, il me paraît que la Commission met en cause principalement trois éléments du raisonnement du Tribunal.

118. Le premier aspect, qui fait l’objet de la première branche, tient à l’évaluation par le Tribunal de la relation entre les règles communautaires relatives aux aides d’État et les compétences des États membres dans le domaine de la fiscalité directe. Le deuxième aspect, qui est abordé par les deuxième à cinquième branches, concerne essentiellement l’appréciation prétendument erronée du critère de la sélectivité. Enfin, la sixième branche du moyen unique de la Commission aborde un troisième aspect, intimement lié au deuxième, à savoir un prétendu défaut de motivation en ce qui concerne l’examen des trois éléments de la sélectivité relevés dans la décision litigieuse.

119. En conséquence, je propose d’analyser le pourvoi sous l’angle de ces trois principales allégations de la Commission.

120. Je souligne d’emblée que, par son pourvoi, la Commission invite la Cour à abandonner un système établi jusqu’à présent, relatif à l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE à des mesures de soutien indirect susceptibles de constituer des aides d’État au sens de ladite disposition, telles que les exemptions, les exonérations fiscales, ou d’autres formes du soutien indirect.

121. L’appréciation de telles mesures implique une comparaison entre, d’une part, la situation des entreprises concernées en cas d’application desdites mesures et, d’autre part, un critère de référence à savoir un standard objectif tel que le régime fiscal de droit commun ou le test du comportement d’un investisseur privé. En effet, l’appréciation de mesures de soutien fiscal repose sur une comparaison entre, d’un côté, la situation factuelle des bénéficiaires des dispositifs adoptés par le États membres dans l’exercice de leurs compétences fiscales et, d’un autre côté, le régime fiscal de droit applicable sur le même territoire de référence.

B –    Sur la notion de concurrence fiscale dommageable

122. La mondialisation de l’activité économique, des échanges et des investissements, ainsi que la multiplication des entreprises qui opèrent au‑delà des frontières nationales sont des phénomènes qui posent des défis importants à la fiscalité et aux systèmes fiscaux. En effet, beaucoup d’entités susceptibles d’imposition traversent aujourd’hui les frontières pour se fixer dans les États qui offrent de meilleures conditions globales. Parmi celles‑ci, la fiscalité joue un rôle très important, quoiqu’il soit difficile, en pratique, de déterminer avec précision son impact réel (53).

123. Un grand nombre de territoires fiscalement souverains et d’États utilisent des incitations fiscales et non fiscales pour attirer des activités financières et d’autres prestations de services. Ces territoires offrent généralement à l’investisseur étranger un environnement où une imposition nulle ou minime se double fréquemment d’un allégement des contraintes réglementaires ou administratives (54). Ces «juridictions» sont généralement qualifiées de paradis fiscaux et constituent l’un des aspects cruciaux de la notion de la fiscalité dommageable (55).

124. Selon une définition doctrinale, la «concurrence fiscale» se traduit par une baisse globale du taux de la pression fiscale, afin d’améliorer la situation macroéconomique du pays en renforçant la compétitivité de l’industrie nationale et/ou en attirant les investissements étrangers (56). Cette notion joue un rôle important tant au niveau des relations économiques internationales qu’au sein du marché commun de l’Union.

125. Pour sa part, la Commission admet qu’un certain degré de concurrence fiscale au sein de l’Union est sans doute inévitable et peut contribuer à faire diminuer la pression fiscale (57). En ce qui concerne la fiscalité directe, elle souligne que, s’ils respectent les règles communautaires, les États membres peuvent librement choisir les systèmes fiscaux qu’ils considèrent comme les plus appropriés et correspondant le mieux à leurs préférences (58).

126. L’Union adopte donc des mesures visant à encadrer la concurrence fiscale, dès lors que celle‑ci est susceptible de fausser la concurrence économique et industrielle. L’objectif n’est pas de mettre fin à toute concurrence fiscale, mais de la contenir (59).

127. En ce qui concerne en particulier la fiscalité directe, après plusieurs tentatives visant à harmoniser la fiscalité des entreprises (60) qui ont échoué face à la crainte des États membres de perdre une partie de leurs recettes fiscales, la Commission a décidé d’adopter une nouvelle approche en proposant ce qu’il est convenu d’appeler un «paquet fiscal» (61), comprenant un ensemble de mesures destinées à lutter contre la concurrence fiscale dommageable dans l’Union.

128. Au nombre de ces mesures figurait le code de conduite relatif à la fiscalité des entreprises qui avait pour objectif d’améliorer la transparence dans le secteur de la fiscalité grâce à l’instauration d’un système d’information mutuelle entre les États membres (62).

129. Dans le cadre du débat sur la politique fiscale dommageable, la doctrine a critiqué un manque de clarté en ce qui concerne l’identification des conditions équitables ou de la situation comparable («level playing field») en matière de fiscalité internationale (63). Il est toutefois acquis qu’il ne s’agit pas d’appliquer un taux égal et une assiette égale dans tous les pays, dès lors que, en particulier, les petits États sont confrontés à des difficultés propres liées à la taille de leurs juridictions fiscales (64).

130. S’agissant de la lutte contre la fiscalité dommageable, il peut sembler, au vu des éléments qui précèdent, que la Commission a eu recours au seul instrument demeurant à sa portée, à savoir l’article 87, paragraphe 1, CE (65). La question qui se pose donc est celle de savoir si cette disposition constitue un instrument adapté à cette fin et, si tel était le cas, quelles devraient être les limites à son utilisation au regard de la répartition des compétences dans le domaine de la fiscalité directe.

131. Ainsi qu’il ressort de son préambule, le code est un engagement politique qui n’affecte pas les droits et obligations des États membres ni les compétences respectives des États membres et de la Communauté telles qu’elles découlent du traité. Les pratiques dommageables relevant du code visent les mesures ayant, ou pouvant avoir, une incidence sensible sur la localisation des activités économiques au sein de la Communauté. Sont également considérées comme dommageables et, partant, couvertes par le code, les mesures fiscales établissant un niveau d’imposition effective nettement inférieur, y compris une imposition nulle, par rapport à ceux qui s’appliquent normalement dans l’État membre concerné.

132. Le code vise donc la concurrence entre les États membres dans laquelle ils entreraient les uns contre les autres pour attirer les investissements ou des capitaux étrangers par la voie fiscale. L’intention du code est donc d’atteindre les mesures des États destinées à favoriser des entreprises ou des capitaux étrangers, et non pas à protéger les entreprises ou les capitaux nationaux. Cela signifie que le code entend s’appliquer à la discrimination à rebours, c’est‑à‑dire celle qui défavorise les résidents des États membres (66).

133. En revanche, le régime des aides d’État vise à protéger la concurrence entre entreprises contre des distorsions de concurrence ou d’échanges intracommunautaires générées par les États membres à travers l’octroi de mesures favorisant certaines entreprises ou certains produits au détriment des autres. Par ailleurs, il a pour but de protéger le marché intérieur contre sa segmentation par le biais des aides d’État tout en s’assurant qu’il n’y a pas de discriminations injustifiées envers des étrangers ou des non‑résidents ou de formes de protectionnisme en faveur d’entreprises ou de capitaux nationaux (67).

134. Il s’ensuit que la concurrence institutionnelle ou fiscale dommageable entre États membres ne relève pas, à l’évidence, du mécanisme de contrôle des aides d’État instauré par le traité (68), même s’il existe des cas susceptibles de constituer tant des mesures de concurrence fiscale dommageable que des aides d’État incompatibles avec le marché commun. Toutefois, l’objectif légitime de lutter contre la concurrence fiscale dommageable ne saurait justifier une dénaturation du cadre juridique de l’Union, établi dans le domaine du droit de la concurrence applicable aux aides d’État, ou même l’adoption de solutions ad hoc entrant en contradiction avec le principe de l’État de droit consacré à l’article 2 TUE.

135. C’est au regard de ces éléments préalables qu’il convient d’examiner le pourvoi de la Commission.

VI – Sur les compétences des États membres dans le domaine de la fiscalité directe et leur rapport avec la réglementation des aides d’État (69)

A –    Argumentation dans le cadre de la première branche du moyen unique de la Commission

136. Par la première branche de son moyen unique, la Commission fait valoir que le Tribunal aurait mal évalué la relation entre l’article 87, paragraphe 1, CE et la compétence des États membres en matière fiscale. La Commission estime, à cet égard, que les compétences des États membres en matière fiscale sont encadrées par les limites imposées par le droit de l’Union, en particulier par l’article 87, paragraphe 1, CE, et que la seule circonstance qu’une règle nationale relève du droit fiscal ne saurait soustraire cette règle au respect dudit article puisque cet article définit les mesures étatiques non pas selon leur cause ou leurs objectifs, mais selon leurs effets. Le Royaume d’Espagne partage l’analyse de la Commission, mais uniquement dans la mesure où elle se rapporte aux compétences du Royaume-Uni en tant qu’État membre en matière de fiscalité directe.

B –    Observations générales

137. Alors même que, conformément à la répartition des compétences établie dans le traité, la fiscalité directe relève de la compétence exclusive des États membres, il est constant que, dans l’exercice de leurs pouvoirs, les États membres doivent respecter le traité. Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois l’exercer dans le respect du droit de l’Union (70).

138. De surcroît, le fait qu’une mesure susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE a été adoptée au titre de l’exercice d’une compétence exclusive des États membres, ce qui me semble être fréquemment le cas, ne saurait à lui seul avoir une incidence sur l’application des règles relatives aux aides d’État.

139. Cependant, dans le domaine de la fiscalité directe, les États membres bénéficient d’un haut degré de souveraineté législative, réglementaire et administrative. Le pouvoir d’imposition fiscale reste une prérogative interne des gouvernements qui peuvent choisir les systèmes fiscaux les plus adéquats en fonction de leurs préférences, sous réserve de respecter le droit de l’Union.

140. Il est constant que les dispositions du droit de l’Union relatives aux aides d’État visent seulement à remédier aux distorsions concurrentielles qui résultent de la volonté d’un État membre d’accorder, par dérogation à ses orientations politiques générales, un avantage particulier à certaines entreprises ou productions. Par conséquent, dès lors que le système fiscal revêt un caractère général, il échappe à l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE (71). En effet, pour autant que les mesures adoptées par l’État membre concernent l’ensemble du système fiscal, elles constituent des aménagements de la politique fiscale générale et non des aides d’État (72).

141. Le même principe s’applique aux mesures fiscales dommageables, dès lors qu’elles ne remplissent pas le critère de l’avantage sélectif: le seul instrument applicable à leur encontre est le code de conduite précité (73). En effet, une part importante des mesures fiscales dommageables est constituée par des mesures fiscales générales auxquelles, selon la doctrine majoritaire, l’article 87, paragraphe 1, CE ne s’applique pas (74).

142. Les exemptions fiscales ou d’autres formes de soutien indirect accordées sur un fondement sectoriel ou régional constituent en revanche des aides d’État (75). Ainsi, une mesure qui ne s’applique pas à tous les opérateurs ne peut pas être considérée, en principe, comme une mesure générale de politique économique (76).

143. J’observe, à cet égard, qu’il a été relevé dans la doctrine que, par le biais de la notion de sélectivité, l’article 87 CE a ouvert la voie à une véritable harmonisation des règles fiscales, alors même que telle n’est pas sa finalité (77). En effet, l’application des principes régissant les aides d’État à la politique fiscale nationale est considérée comme aboutissant à une régulation de la concurrence de systèmes fiscaux, les États étant soumis à une obligation indirecte de neutralité fiscale (78).

144. Néanmoins, je considère qu’il est impossible de parvenir à une neutralité fiscale au sens économique strict dans le domaine de la fiscalité directe (79). Je suis plutôt d’avis que chaque système fiscal est fondé sur une certaine sélectivité en fonction des objectifs poursuivis par le législateur national. Ainsi, la question fondamentale est celle de l’existence d’un avantage au sens du droit de l’Union qui pourrait découler d’une configuration établie dans le système fiscal national (80).

145. En conséquence, il est essentiel de préserver la distinction entre des mesures fiscales constitutives d’une aide d’État et celles correspondant à la configuration normale que le législateur national a voulu donner à son système fiscal, cette dernière pouvant donner lieu à des différenciations nécessaires à la poursuite d’objectifs généraux d’intérêt public fixés par l’État dans l’exercice de ses droits souverains (81).

C –    Sur le raisonnement du Tribunal relatif aux compétences des États membres dans le domaine de la fiscalité directe

146. Au point 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement cité la jurisprudence selon laquelle la fiscalité directe relève de la compétence des États membres tout en soulignant que l’application des règles relatives aux aides d’État est sans préjudice du pouvoir des États de choisir leur politique économique, et, partant, le système fiscal et son régime commun ou «normal». Il a, ensuite, examiné si la Commission s’est conformée à ces principes dans l’appréciation du caractère sélectif de la mesure.

147. La citation figurant au point 146 de l’arrêt attaqué vient au soutien d’un raisonnement du Tribunal selon lequel la Commission aurait dû suivre une analyse en trois temps afin de pouvoir qualifier une mesure fiscale de sélective. Notamment, ainsi qu’il ressort du point 145 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a voulu souligner que l’omission des deux premières étapes conduirait la Commission à outrepasser ses compétences, dès lors qu’elle se substituerait à l’État membre pour ce qui est de la détermination de son système fiscal. En outre, une telle approche conduirait, selon le Tribunal, à mettre l’État membre dans l’impossibilité de justifier les différenciations en cause par la nature et par l’économie du système fiscal notifié.

148. Vu sous cet angle et indépendamment de la question de savoir si la méthodologie retenue par le Tribunal constitue un cadre de référence juridiquement correct qu’il aurait pu imposer à la Commission, le constat relatif à l’existence de la compétence fiscale par les États membres est certes incomplet, mais ne constitue pas une erreur de droit au regard de la jurisprudence ci‑dessus rappelée aux points 137 à 145 des présentes conclusions.

149. Par conséquent, je propose de rejeter la première branche du moyen unique de la Commission comme non fondée.

VII – Discussion sur la méthode permettant d’identifier la sélectivité d’un soutien fiscal susceptible de constituer une aide d’État

A –    Éléments de la décision litigieuse de la Commission

150. Selon les déclarations que la Commission a faites lors de l’audience, le nouveau système d’impôt à Gibraltar est composé d’une combinaison d’impôts sur le nombre de salariés et d’une taxe d’occupation des locaux professionnels, plafonnée à 15 % des bénéfices, ainsi que de deux types d’impôts supplémentaires pour certains types de sociétés. La Commission fait valoir que le système présenté comme étant un système unique est en fait une combinaison de régimes fiscaux différents et mutuellement incompatibles, de sorte qu’il est impossible de dégager un régime de référence et d’identifier un régime spécial. Au contraire, le régime qui est présenté comme étant un système fiscal opèrerait lui‑même une différenciation entre des catégories de sociétés, de sorte qu’il présenterait des avantages pour certaines sociétés, en particulier pour celles de l’économie off shore.

151. La Commission fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir suivi une approche formelle, inspirée de sa communication de 1998, approche qui serait étrangère à la réalité économique, alors que, selon la jurisprudence de la Cour, les mesures d’État devraient être jugées sur la base de leurs effets.

152. Au vu de la décision litigieuse, je souhaite attirer l’attention de la Cour sur un aspect qui me paraît fondamental aux fins de traiter la présente affaire et qui est intimement lié au rejet par la Commission de la méthode dérogatoire exposée dans sa communication de 1998.

153. En effet, l’appréciation de la Commission de la réforme du système fiscal de Gibraltar repose tout d’abord sur l’analyse de la sélectivité régionale et matérielle du régime. En revanche, l’existence de l’avantage est déduite, au point 153 de la décision, de la démonstration relative à la nature sélective de la réforme. La Commission examine le système fiscal de Gibraltar dans son ensemble en lui attribuant une nature intrinsèquement discriminatoire, ce qui équivaudrait, selon cette dernière, à l’existence d’un avantage sélectif, et, partant, à l’existence d’une aide d’État.

154. Or, indépendamment de la question de savoir quel devrait être le cadre de référence en l’espèce, un tel choix méthodologique me paraît erroné pour des raisons tenant à la structure de l’appréciation d’une mesure indirecte susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. La motivation de cette approche repose sur les éléments explicités ci‑dessus.

B –    Sur le rôle fondamental de l’identification de l’avantage dans l’examen de la notion de la sélectivité en cas de mesures indirectes

155. Selon la jurisprudence de la Cour, la qualification d’une mesure en tant qu’aide au sens du traité suppose que chacun des quatre critères cumulatifs visés à l’article 87, paragraphe 1, CE soit rempli (82). Sont donc visées les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres. La notion d’aide, au sens de cette disposition, est plus générale que celle de subvention parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles‑mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise par comparaison avec une entreprise se trouvant dans une situation comparable (83).

156. Afin d’apprécier si un tel avantage constitue une aide au sens de l’article 87 CE, il y a lieu de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (84). Eu égard à la spécificité des mesures fiscales, il a été suggéré par la doctrine de retenir l’existence d’une aide d’État en présence d’une perte ou d’une renonciation à des recettes fiscales par les autorités fiscales ou le gouvernement (85).

157. À cet égard, je suis convaincu que la notion clé, dans le contexte du présent pourvoi de la Commission, est la notion d’avantage.

158. En effet, je suis d’avis qu’une mesure susceptible de constituer une aide d’État qui est attribuée sous une forme indirecte, telle une mesure fiscale, ne peut pas être définie sans cadre de référence (86). Une approche opposée conduirait à une confusion entre la notion de sélectivité et celle de l’avantage puisque la sélectivité d’une mesure signifie, selon moi, une distribution inégale des avantages entre les entreprises se trouvant dans une situation comparable. Or, l’examen du critère de sélectivité est distinct de l’examen du critère de l’avantage (87).

159. En l’espèce, si la structure du système fiscal qui conduit, en définitive, à ne pas frapper d’imposition les sociétés off shore à Gibraltar devait être considérée comme une mesure constituant une aide d’État, il resterait à savoir comment quantifier le montant de l’aide présumée sans avoir au préalable identifié quel est le régime de droit commun, voire le cadre de référence général. Ainsi, en particulier, les plafonds de 15 % et 35 % ne sont pas révélateurs du montant d’aide, dès lors que font défaut, dans le système fiscal de Gibraltar, des dispositions de référence permettant de comprendre comment les sociétés off shore auraient dû être imposées.

160. En effet, il convient de relever qu’une mesure susceptible d’être considérée comme une aide fiscale doit correspondre à un coût fiscal (88). La Commission doit être en mesure d’identifier la valeur de la taxe actuellement ou potentiellement «perdue» qui représente le montant de l’aide présumée. Le seul moyen dont dispose la Commission afin d’estimer la valeur «perdue» est de se référer à un régime général applicable dans le cadre de référence faisant l’objet de l’examen.

161. À cet égard, je rappelle la jurisprudence selon laquelle même un avantage accordé au moyen d’une charge potentielle supplémentaire pour l’État est susceptible de constituer une aide d’État (89). Tel est le plus souvent le cas de garanties qui sont généralement liées à un prêt ou à une autre obligation financière contractée par un emprunteur auprès d’un prêteur (90). Grâce à la garantie de l’État, l’emprunteur peut bénéficier de taux plus bas ou offrir une sûreté moins élevée. Afin de déterminer l’existence d’une aide, il convient d’évaluer les possibilités pour une entreprise bénéficiaire d’obtenir le prêt sur le marché des capitaux en l’absence de cette garantie (91). Une simple déclaration d’un représentant des autorités publiques peut, toutefois, avoir un impact considérable en ce sens que l’entreprise regagne la confiance des marchés financiers pour pouvoir accéder à de nouveaux crédits (92).

162. Or, s’agissant de mesures à caractère fiscal, il serait erroné de considérer qu’une solution fiscale conduira automatiquement à conférer un avantage à l’entreprise concernée. C’est pour ce motif qu’il est nécessaire que la Commission dispose d’une vision d’ensemble du système «normalement» applicable.

163. Le point de départ de l’analyse des mesures fiscales doit donc être une comparaison factuelle, à savoir quelle serait la situation sans l’adoption de la mesure susceptible de constituer une aide d’État.

164. Dans l’arrêt Belgique et Forum 187 (93), la Cour a jugé que, afin d’examiner si la détermination des revenus imposables, telle que prévue dans le régime des centres de coordination, procurait un avantage à ces derniers, il convenait de comparer ledit régime à celui de droit commun fondé sur la différence entre produits et charges pour une entreprise exerçant ses activités dans des conditions de libre concurrence.

165. Il est donc nécessaire de rechercher, dans un premier temps, si un sujet aurait dû être imposé, et, dans l’affirmative, si l’absence d’imposition est constitutive d’un avantage. Ensuite, il y a lieu de rechercher si les autres entreprises se trouvant dans une situation comparable bénéficient du même avantage. Si tel n’est pas le cas, il est probable qu’il s’agisse d’un avantage sélectif. L’avantage ne peut donc être identifié que par le biais de ladite comparaison factuelle.

166. À titre d’exemple, si, dans une juridiction fiscale donnée, l’établissement d’un seuil fiscal entraîne la non‑imposition d’une moitié des entreprises, tandis que l’autre moitié paye un impôt à hauteur de 10 % des bénéfices, la première catégorie d’entreprises ne peut guère être considérée comme bénéficiant d’un avantage. En effet, si un État membre choisit de ne pas taxer un certain bien, facteur ou activité, cela n’implique pas l’existence d’un avantage car celui‑ci représenterait l’exonération de l’imposition inexistante ou inapplicable (94).

167. Un autre exemple pourrait être tiré d’une mesure de politique économique, applicable à toutes les entreprises, accordant un amortissement accéléré aux investissements réalisés au cours des années civiles A et B. Une telle mesure implique un avantage, alors que sa sélectivité est incertaine à première vue. En effet, les entreprises qui n’ont pas choisi d’investir au cours de la période de référence n’en bénéficient pas. Dès lors, la mesure me paraît économiquement sélective, mais cette sélectivité est justifiée par la logique inhérente au système fiscal, de sorte que l’existence d’une aide peut être exclue. En revanche, si la mesure continue à s’appliquer pendant l’année C dans un secteur déterminé, il s’agit là d’une aide d’État.

168. En outre, il est constant que certains secteurs ou certains types d’entreprises peuvent exiger un traitement fiscal distinct en raison de leur nature ou de leur finalité. Un bon exemple me semble être une organisation sans but lucratif ou une société coopérative (95).

169. Ainsi que je l’ai indiqué ci‑dessus, l’approche suivie par la Commission dans la décision litigieuse ne me paraît pas fondée. L’Irlande a relevé à juste titre lors de l’audience qu’il semble s’agir d’une approche ad hoc que la Commission justifie par la taille réduite de Gibraltar. Or, il me semble qu’un tel critère ne saurait fonder l’analyse à laquelle doit se livrer la Commission lors de l’examen de mesures fiscales susceptibles de relever du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE. Si la Cour optait en faveur de l’approche proposée par la Commission, cela reviendrait à introduire dans le champ de l’article 87, paragraphe 1, CE un critère supplémentaire lié à la taille de la juridiction fiscale à l’origine de la mesure litigieuse.

170. Adhérer à la thèse de la Commission fondée sur une conception d’un système intrinsèquement discriminatoire conduirait également à abandonner la méthodologie de l’examen des mesures allouées sous forme indirecte dans un cas isolé qui relève, à mon avis, non du régime des aides d’État mais de la problématique de la concurrence fiscale dommageable. En effet, je n’ignore pas que Gibraltar a été identifié par l’OCDE comme un paradis fiscal. La Cour est donc appelée à décider si elle est disposée à s’affranchir de l’analyse classique de la notion d’aide d’État sous forme indirecte afin de stigmatiser le régime fiscal de Gibraltar (96).

171. Si je partage pleinement la volonté de la Commission de renforcer la lutte contre la fiscalité dommageable au sein de l’Union, je suis d’avis qu’une interprétation novatrice de l’article 87, paragraphe 1, CE ne saurait être employée à une telle fin. La création d’une méthode ad hoc est destinée à permettre à la Commission de combattre de mauvaises pratiques fiscales et économiques, sans que cela ne se rattache au régime des aides d’État au sens strict (97).

172. Enfin, il me paraît également essentiel de souligner que, même si le système fiscal en cause conduit à ne pas imposer des entreprises off shore, les sociétés dont l’activité à Gibraltar n’exige ni l’emploi de salariés ni l’occupation de locaux à Gibraltar se trouvent exactement dans la même situation. Par exemple, les sociétés holdings qui semblent constituer, d’un point de vue quantitatif, la catégorie la plus importante parmi les entreprises gibraltariennes (98) sont placées dans la même situation fiscale, car celle‑ci ne dépend pas du fait que les valeurs mobilières ou les biens mobiliers ou immobiliers appartenant à ces sociétés sont localisés à Gibraltar ou en dehors de son territoire. Le système n’est donc pas sélectif en ce sens que ses effets différeraient selon le lieu d’exercice des activités. De surcroît, une exclusion similaire des activités off shore pourrait être réalisée par le biais d’un système de fiscalité des entreprises faisant uniquement entrer dans l’assiette fiscale des critères relatifs à la consommation d’énergie ou à la production des déchets.

173. Dans le cas de Gibraltar, le système fiscal a retenu comme approche générale une imposition quasi nulle, tout en admettant que les entités qui utilisent des facteurs de production locaux tels que la main-d’œuvre et les locaux soient davantage imposées. Paradoxalement, un tel système présente, à mes yeux, essentiellement des désavantages, de sorte qu’il pourrait être caractérisé comme constitutif d’un système «anti‑aide d’État».

174. En revanche, ainsi que je l’ai exposé ci‑dessus, il ne fait guère de doute, à mes yeux, que le législateur de Gibraltar a entendu se doter d’un système de concurrence fiscale déloyale par rapport aux États membres (99).

175. Dans la mesure où le droit de l’Union ne comporte aucun système fiscal par défaut, le cadre de référence doit rester le cadre de référence national ou celui identifié conformément à la jurisprudence Açores. Par conséquent, si la Cour considère que Gibraltar peut constituer, à lui seul, un cadre de référence approprié, il convient de s’en tenir à l’analyse classique de l’avantage et de la sélectivité.

C –    La sélectivité matérielle dans le domaine de la fiscalité directe

176. L’article 87, paragraphe 1, CE interdit les aides d’État «favorisant certaines entreprises ou certaines productions», c’est‑à‑dire les aides sélectives. La condition de sélectivité est constitutive de la notion d’aide d’État (100). En dépit de l’abondance de la jurisprudence à ce sujet, la notion de sélectivité apparaît difficile à cerner, notamment en ce qui concerne les mesures fiscales.

177. La notion de sélectivité est examinée sous l’angle matériel, s’agissant de mesures applicables à certains secteurs de l’économie ou à certaines formes d’entreprises (101) ou sous l’angle régional (géographique) (102). La sélectivité matérielle peut couvrir aussi bien des mesures fiscales limitées aux entreprises caractérisées par certains types d’activité (sélectivité sectorielle) que celles applicables en fonction de situations prédéfinies dans lesquelles les entreprises sont susceptibles de se trouver (sélectivité horizontale), par exemple dans l’hypothèse d’incitations fiscales ou dans le cas de mesures destinées à favoriser un certain type de main‑d’œuvre (103).

178. Compte tenu de la diversité des mesures fiscales, tracer une ligne de partage entre mesures générales et mesures sélectives s’avère de plus en plus complexe (104). En conséquence, la détermination du cadre de référence, si difficile soit‑elle, est donc fondamentale pour savoir si le régime en cause est «anormal», et donc «sélectif».

179. Il découle de la jurisprudence que le respect de l’exigence de sélectivité doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas, visant à vérifier si, de par sa nature, son champ d’application, ses modalités de mise en œuvre et ses effets, la mesure en cause comporte ou non des avantages au profit exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité (105).

180. La sélectivité de l’avantage conféré par la mesure en question est susceptible d’être justifiée, à une étape suivante, par la nature du système sous réserve que la mesure soit, d’une part, accordée sur la base de critères objectifs (conformité interne de la mesure à l’économie du système) et, d’autre part, compatible avec la nature du régime (conformité externe de la mesure) (106). En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’aide d’État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises lorsque cette différenciation résulte de la nature et de l’économie du système de charges dans lequel elles s’inscrivent. Dans cette hypothèse, la mesure en question ne peut en principe être considérée comme sélective, alors même qu’elle procure un avantage aux entreprises qui peuvent s’en prévaloir (107).

181. Il convient donc d’apprécier le caractère sélectif de l’avantage conféré par la mesure en question en deux phases successives.

182. Dans le cadre de l’appréciation de la condition de sélectivité en matière fiscale, depuis les conclusions de l’avocat général Darmon dans l’affaire Sloman Neptun, le critère retenu est celui de la «dérogation» au système général d’imposition (108). Selon l’avocat général Darmon, «le seul élément fondamental requis pour l’application de l’article 92, paragraphe 1, est le caractère dérogatoire de la mesure, dans sa nature même, par rapport à l’économie du système général dans lequel elle s’insère».

183. Cette méthodologie a été reprise dans la communication de la Commission de 1998, qui s’inspire également de l’approche de l’OCDE (109). Selon la communication de 1998, ce qui importe avant tout aux fins de l’application de l’article 86, paragraphe 1, CE à une mesure fiscale, c’est de savoir si ladite mesure instaure en faveur de certaines entreprises de l’État membre une exception à l’application du système fiscal (110).

184. Cette approche dérogatoire est critiquée dans la doctrine dès lors que ni la Commission ni la Cour ne seraient parvenues à déterminer précisément ce que couvre la notion de «dérogation de la norme», ni ce qui constitue la «norme» ou «un système général» (111). Les auteurs ont également souligné la difficulté à déterminer un taux d’imposition «normalement applicable» afin de fixer le taux pouvant être considéré comme s’écartant de la norme (112).

185. En outre, il ressort d’une analyse de la jurisprudence que plusieurs solutions ont été proposées par les avocats généraux. Au‑delà d’une approche dérogatoire, il a été suggéré de considérer une mesure comme générale lorsqu’elle découle de la logique interne du régime fiscal (113) ou lorsqu’elle vise à réaliser l’égalité entre les opérateurs économiques (114).

186. Parmi les approches proposées par la doctrine, il a été notamment suggéré de considérer qu’une mesure revêt un caractère général aussi longtemps que toute entreprise quel que ce soit son secteur d’activité, est éligible à son bénéfice. Il conviendrait de procéder à un examen en deux étapes, la première consistant à identifier les objectifs ou cibles de la mesure («revealed potential targets»), la seconde visant, pour sa part, à identifier la portée de la mesure («revealed potential scope»). En effet, ce serait au niveau de la seconde étape qu’il serait possible d’identifier les raisons qui sous‑tendent la mesure proposée par l’État membre (115).

187. Selon une autre proposition, une analyse en trois étapes successives consisterait, d’abord, à rechercher si la mesure est susceptible de s’appliquer à toutes les entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable, ensuite, à vérifier si certaines entreprises bénéficient d’un traitement plus favorable (discrimination) et, enfin, à s’assurer que la mesure peut être justifiée par la nature ou la structure du régime fiscal (116).

188. J’admets que le critère de la dérogation, qui sert principalement à la détermination de l’avantage, peut s’avérer incertain, lorsqu’il s’agit de savoir à quelle règle il est dérogé (117). Toutefois, c’est bien à l’intérieur d’un système fiscal défini par le cadre de référence, qui est le plus souvent le système fiscal national, qu’il convient de rechercher un éventuel sous‑système et, par conséquent, des exceptions ou dérogations.

189. En dépit des critiques ci‑dessus évoquées, l’approche dérogatoire me paraît être la plus conforme à la répartition des compétences entre les États membres et la Commission. En effet, tout en admettant que les États membres restent compétents pour déterminer leurs régimes fiscaux il me semble justifié de considérer que l’autorité que tire la Commission de l’article 87, paragraphe 1, CE doit être circonscrite aux seules mesures constitutives d’une dérogation au système généralement applicable.

190. De surcroît, je suis d’avis que la justification de l’approche visant à identifier, dans un premier temps, un régime général et, dans un second temps, une dérogation audit régime découle de la logique sous‑tendant la notion d’aide d’État, qui exige d’identifier l’existence de l’avantage avant de rechercher s’il s’agit d’un avantage sélectif.

VIII – Sur la méthode retenue pour établir la sélectivité de la réforme fiscale – Aanalyse des moyens

A –    Sur la méthode permettant d’identifier le système fiscal «général» d’un État membre (118)

1.      Argumentation de la Commission figurant dans les deuxième et troisième branches du moyen unique

191. Par la deuxième branche de son moyen unique, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, reproche au Tribunal d’avoir considéré de façon erronée qu’elle était tenue d’identifier, au préalable, le régime fiscal commun ou «normal» et, ensuite, de démontrer le caractère dérogatoire des mesures en cause par rapport à ce régime. Une telle approche méconnaîtrait, selon la Commission, la possibilité de voir un État membre ou un territoire autonome d’un État membre mettre en place un système fiscal intrinsèquement discriminatoire du fait même de sa structure. En effet, grâce à une sélection judicieuse des critères à appliquer dans son système d’imposition soi‑disant «normal», Gibraltar serait, selon elle, parvenue à reproduire dans une large mesure les effets d’un régime qui incorporerait manifestement une aide d’État en faveur de certaines catégories d’entreprises (119).

192. Selon la Commission, aucun principe du droit de l’Union n’imposerait de suivre l’approche définie par le Tribunal. En outre, la Commission rejette le caractère contraignant de la communication de 1998. En réponse au mémoire en intervention de la République d’Irlande, la Commission observe, également, que la communication de 1998 n’envisageait pas un cas particulier analogue à celui du régime fiscal de Gibraltar, et que, en tout état de cause, elle ne saurait déroger à l’article 87 CE. La particularité du cas d’espèce exigerait une approche novatrice afin d’éviter une faille dans le contrôle des aides d’État, une telle approche devant être limitée aux cas de sélectivité particulièrement clairs.

193. Par la troisième branche de son moyen unique, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, fait valoir que le Tribunal a enfreint le principe selon lequel les mesures nationales doivent être examinées au regard de leurs effets et non de l’objectif poursuivi (120). Selon la Commission, le Tribunal aurait considéré que la Commission était tenue de prendre comme point de départ de son analyse le système dont l’État membre ou le territoire autonome affirme qu’il constitue le régime commun ou «normal» (121). Ce serait, selon elle, à tort que le Tribunal aurait considéré que la logique inhérente à un système fiscal et le régime commun ou «normal» prévu par celui‑ci peuvent être identifiés par référence aux objectifs prétendument poursuivis par les autorités nationales ou locales.

194. En réponse aux arguments de l’Irlande, la Commission fait valoir qu’il ne serait pas justifié de craindre que les États membres ne puissent plus poursuivre des objectifs légitimes au moyen de leur régime fiscal, dès lors que l’approche défendue par la Commission ne vaudrait que dans des cas exceptionnels, sans pour autant encadrer davantage ces «cas exceptionnels».

2.      Appréciation

195. J’observe tout d’abord que, aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait un rappel exempt de toute dénaturation des termes de la communication de 1998 dont il ressort que la qualification par la Commission d’une mesure fiscale de sélective suppose, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalables du régime commun pour pouvoir, dans un deuxième temps, apprécier et établir le caractère sélectif de l’avantage octroyé. Le Tribunal a, ensuite, correctement reproduit au point 144 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence admettant de justifier la nature sélective d’une mesure par la nature ou par l’économie du système fiscal dans lequel elle s’inscrit.

196. C’est au regard de ces principes que le Tribunal, au point 170 de l’arrêt attaqué, a reproché à la Commission, à la lumière des éléments soumis par le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni, de ne pas s’être correctement acquittée de son devoir d’analyse du système fiscal en cause au regard de l’article 87 CE.

197. À cet égard, en premier lieu, dans la mesure où j’admets la nécessité et la légalité de l’approche dérogatoire fondée sur une analyse comparative à l’égard de mesures de soutien indirect susceptibles de constituer des aides d’État et compte tenu des développements qui précèdent, je propose à la Cour de juger que c’est à bon droit que le Tribunal a reproché à la Commission de ne pas avoir suivi l’approche préconisée dans la communication de 1998.

198. J’observe que, en l’espèce, l’argumentation du Tribunal est davantage fondée sur la problématique de la répartition des compétences entre les États membres et la Commission dans le domaine de la fiscalité que sur le seul statut de la communication de 1998.

199. En tout état de cause, il ressort clairement de la jurisprudence que, en adoptant des règles de conduite et en annonçant, par leur publication, qu’elle les appliquera aux cas concernés par celles‑ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice du pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation des principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (122). Les juridictions communautaires ont précisé à de nombreuses reprises que la Commission était liée par ses communications sur les questions de droit de la concurrence, par exemple, en matière d’amendes (123).

200. Il résulte de cette jurisprudence, dans le domaine spécifique des aides d’État, que la Commission est tenue par les encadrements et les communications qu’elle adopte, dans la mesure où ils ne s’écartent pas des normes du traité (124). Il s’ensuit que la Commission ne peut pas être liée de manière définitive par ses communications.

201. La problématique du caractère intrinsèquement discriminatoire du régime fiscal de Gibraltar a été abordée implicitement par la Commission dans la décision litigieuse. Ce n’est que lors de l’audience que la Commission s’est expliquée à ce sujet.

202. Selon moi, admettre une telle approche reviendrait à réaliser une révolution méthodologique dans l’application des règles relatives aux aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Suivant cette approche, l’existence d’un avantage ne serait plus appréciée sur la base d’une comparaison entre la mesure et le régime fiscal généralement applicable, mais en vertu d’une comparaison entre le régime fiscal tel qu’il se présente et un autre système, hypothétique et inexistant. Or, une telle approche exigerait la construction d’un tertium comparationis fiscal pour l’Union afin de pouvoir apprécier l’effet prétendument discriminatoire découlant des choix opérés quant à l’assiette fiscale (ou quant aux taux d’imposition) dans le domaine de la fiscalité des entreprises. Or, un tel critère commun n’existe pas et l’application du cadre juridique relatif aux aides d’État ne justifie pas l’adoption de facto d’une telle mesure d’harmonisation fiscale (125).

203. L’argument selon lequel cette approche ne serait applicable que dans des cas exceptionnels ne saurait être retenu. La méthodologie juridique établie jusqu’à présent est directement fondée sur l’économie de l’article 87, paragraphe 1, CE, et apparaît conforme aux objectifs du droit de la concurrence de l’Union. Elle ne saurait être abandonnée pour la seule raison qu’elle n’aboutit pas au résultat souhaité par la Commission dans un cas individuel.

204. S’agissant de la prétendue erreur de droit dénoncée par la troisième branche du moyen unique de la Commission, il est constant que, selon une jurisprudence bien établie, la finalité poursuivie par des interventions étatiques ne suffit pas à les faire échapper d’emblée à la qualification d’«aides» au sens de l’article 87 CE. En effet, l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (126).

205. Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, je suis d’avis que les allégations visées par la troisième branche du moyen unique de la Commission reposent sur une lecture incorrecte des points 145, 146 et 171 à 174 de l’arrêt attaqué.

206. En effet, le point 145 dudit arrêt s’insère dans le raisonnement suivi par le Tribunal pour établir en quoi il incombait à la Commission d’appliquer les trois étapes de l’approche dérogatoire dans le cadre de l’examen de la nature sélective du régime en cause. Le Tribunal a indiqué que, en se limitant à la troisième étape de l’approche ci‑dessus évoquée, la Commission risquerait de priver l’État membre concerné de la possibilité de justifier les différenciations du régime fiscal, dès lors que la Commission n’aurait préalablement ni identifié le régime commun ou «normal» ni établi le caractère dérogatoire des différenciations en cause. Par ailleurs, rien ne permet de conclure que le Tribunal aurait imposé à la Commission de suivre une position prédéfinie sans pouvoir faire usage de ses prérogatives d’analyse découlant du traité.

207. Eu égard aux éléments qui précèdent, je propose de rejeter comme non fondées les deuxième et troisième branches du moyen unique de la Commission.

B –    Sur la nature de l’examen d’un régime fiscal opéré par la Commission (127)

1.      Argumentation développée dans la quatrième branche du moyen unique de la Commission

208. Par la quatrième branche du moyen unique, la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, reproche au Tribunal d’avoir considéré à tort que la logique inhérente à un système fiscal et le régime commun ou «normal» dans le cadre dudit système peut ressortir de l’application de techniques différentes à divers contribuables. Selon elle, une telle approche conduirait à considérer que toute caractéristique du système, sans égard à l’avantage qu’elle confère à certains bénéficiaires, constitue automatiquement une partie intégrante du système et non une dérogation et échappe, par conséquent, à l’application des règles relatives aux aides d’État (128).

209. Par ailleurs, la Commission conteste avoir soulevé la problématique de la charge de la preuve. Elle reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit non pas en constatant que la Commission ne s’était pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait, mais en excluant d’emblée que le régime fiscal «normal» d’une collectivité territoriale puisse être considéré comme relevant de la notion d’aide d’État.

2.      Appréciation sur la quatrième branche du moyen unique

210. Par cette quatrième branche, la Commission critique les points 175 à 183 de l’arrêt attaqué. Aux termes du point 175 dudit arrêt, le Tribunal a souligné que ni les considérations reprises dans la décision litigieuse ni les arguments avancés par la Commission et par le Royaume d’Espagne n’ont suffi à remettre en cause le bien-fondé de la définition du régime commun ou «normal» du système fiscal notifié.

211. Il ressort du point 187 de l’arrêt attaqué que la problématique en cause est liée à la charge de la preuve. Or, à cet égard, il convient de rappeler que, en principe, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits. Il est également seul à pouvoir apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui sont soumis, dès lors que les preuves qu’il a retenues à l’appui de ces faits ont été obtenues régulièrement et que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés (129). La Cour peut uniquement exercer, en vertu de l’article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique desdits faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (130).

212. S’agissant du premier élément de l’argumentation du Tribunal visé au point 176 de l’arrêt attaqué, j’observe que le Tribunal a jugé, au point 177 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas écarté à suffisance de droit l’argument de Gibraltar selon lequel la condition de dégager les bénéfices était inhérente à la logique d’un système fondé sur le nombre de salariés et la surface occupée. En outre, le Tribunal a indiqué au point 178 de l’arrêt attaqué que la simple affirmation de la Commission selon laquelle, dans un système fiscal tel que proposé par les autorités de Gibraltar, plus une entreprise emploie de personnes et plus elle occupe de locaux, plus son obligation fiscale devra être importante ne suffirait pas à remettre en cause le bien‑fondé du choix opéré par lesdites autorités quant aux éléments constituant le régime commun ou «normal» dudit système fiscal.

213. S’agissant du deuxième élément de l’argumentation du Tribunal figurant aux points 179 à 181 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la qualification du système fiscal de Gibraltar en tant que système hybride ne démontrait pas à elle seule qu’un tel système ne saurait constituer un régime commun ou «normal». Le Tribunal a également reproché à la Commission et au Royaume d’Espagne d’avoir soulevé des arguments purement hypothétiques au sujet de deux objectifs assignés au système fiscal et au régime commun introduits par la réforme.

214. S’agissant du troisième élément du raisonnement du Tribunal figurant aux points 182 à 185 de l’arrêt attaqué, après avoir cité certains points de la décision litigieuse sans les dénaturer, le Tribunal a jugé que les arguments de la Commission n’étaient pas de nature à remettre en cause la position des autorités de Gibraltar.

215. Dès lors qu’aucune dénaturation des éléments sur lesquels s’est prononcé le Tribunal n’est alléguée par la Commission en l’espèce, la quatrième branche du moyen unique pourrait être d’emblée qualifiée de non fondée.

216. Si, toutefois, la Cour jugeait utile de se prononcer sur les conséquences de droit qui ont été tirées par le Tribunal des arguments soulevés par le Government of Gibraltar, il ressort clairement du point 184 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a fondé son rejet des arguments de la Commission sur l’erreur méthodologique que la Commission aurait commise, selon lui, en l’espèce.

217. À cet égard, tout en partageant l’analyse du Tribunal quant à l’approche méthodologique erronée suivie par la Commission, je relève, sous l’angle de la répartition de la charge de la preuve, que c’était à la Commission qu’il incombait d’identifier l’existence d’une mesure conférant un avantage à caractère sélectif. Il incombait ensuite à l’État membre concerné, qui a introduit une différenciation entre entreprises en matière de charges fiscales, de démontrer que cette différenciation est effectivement justifiée par la nature et l’économie du système en cause (131). Or, en ne suivant pas les étapes requises aux fins d’établir le caractère sélectif de l’avantage conféré par la réforme fiscale de Gibraltar, la Commission a rendu impossible l’application de ce principe.

218. Ainsi, dans la mesure où la Commission n’a pas suivi le raisonnement relatif à l’identification du régime commun ou «normal» et de ses dérogations, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 184 de l’arrêt attaqué que celle‑ci avait imposé sa propre logique quant au contenu et au fonctionnement du système fiscal notifié.

219. De surcroît, ainsi qu’il ressort de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas présenté d’argument plausible permettant d’appréhender en quoi un régime fiscal tel que celui en cause serait constitutif d’une aide d’État.

220. Eu égard aux développements figurant aux points 122 et suivants des présentes conclusions relatifs aux mesures destinées à lutter contre la fiscalité dommageable dans l’Union ainsi qu’aux compétences des États membres dans le domaine de la fiscalité directe, je considère que c’est à bon droit que le Tribunal a constaté que les allégations de la Commission ne pouvaient pas être fondées sur le régime des aides d’État du traité. En effet, l’article 87 CE a pour objectif de prévenir que les échanges entre États membres soient affectés par des avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions (132). À défaut d’avoir établi un tel avantage, la Commission ne saurait critiquer l’aménagement d’un régime fiscal réalisé par un État membre ou un territoire sur lequel s’applique le traité CE.

221. Certes, si l’État ou le territoire en question établit un régime fiscal dommageable et invoque l’appartenance des mesures en cause à un régime fiscal général à titre de justification, ledit régime échappera au contrôle exercé par la Commission au titre des règles relatives aux aides d’État. Par conséquent, un tel cas relève des règles du code de conduite, dès lors que le problème posé par un tel régime fiscal a trait à une éventuelle concurrence fiscale dommageable, et non au régime des aides d’État.

222. Pour les raisons ci‑dessus exposées, je propose de rejeter comme non fondée la quatrième branche du moyen unique de la Commission.

3.      Argumentation développée dans le cadre de la cinquième branche du moyen unique de la Commission

223. Par la cinquième branche de son moyen unique, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré à tort que la Commission n’aurait ni identifié le régime fiscal commun ou «normal» ni démontré que des caractéristiques données de la réforme constituaient des dérogations à ce régime. En effet, la Commission aurait clairement et régulièrement identifié le système fiscal notifié comme fondé sur l’imposition de la main-d’œuvre employée et de l’occupation des locaux professionnels. En outre, la Commission souligne que le motif invoqué pour l’annulation de la décision litigieuse n’était pas un défaut de motivation, mais une erreur de droit (133).

224. Le Royaume d’Espagne considère que la Commission a effectué un examen complet de la réforme fiscale, ce qui lui aurait permis de parvenir à la conclusion selon laquelle le régime normal serait le système d’imposition des sociétés fondé sur les critères du nombre de salariés et de la surface occupée, sous réserve de l’application du plafond de 15 % des bénéfices. De tels critères favoriseraient différents types d’entreprises: celles qui n’ont pas de revenus, celles qui en l’absence dudit plafond seraient davantage imposées, ainsi que les entreprises off shore.

4.      Appréciation sur la cinquième branche du moyen unique

225. Quoique liée à la deuxième branche du moyen unique relative à l’application de l’approche méthodologique, la cinquième branche porte plutôt sur la démonstration de l’identification de la nature du régime fiscal en cause. Toutefois, au regard de la réponse apportée à la deuxième branche du moyen unique, je considère d’emblée que la présente branche ne saurait prospérer, dans la mesure où la critique de la Commission repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

226. En effet, en faisant grief à la Commission de ne pas avoir suivi l’approche décrite dans la communication de 1998, le Tribunal n’a pas constaté que la Commission s’était abstenue de mener une analyse approfondie du régime fiscal en cause. Au contraire, plusieurs points de l’arrêt attaqué reproduisent les passages de la décision litigieuse, confirmant ainsi que le Tribunal a procédé à une appréciation de l’examen mené par la Commission.

227. Aux fins de l’analyse de la cinquième branche du moyen unique de la Commission, il convient toutefois uniquement de déterminer si la Commission s’est conformée aux principes d’analyse de la sélectivité rappelés par le Tribunal aux points 143 à 145 de l’arrêt attaqué. Dans la mesure où la Commission elle‑même milite dans son pourvoi en faveur de l’application d’une méthode ad hoc qui s’écarte desdits principes, la cinquième branche du moyen unique apparaît manifestement non fondée.

IX –  Les trois éléments de sélectivité relevés dans la décision litigieuse 

A –    Argumentation développée dans la sixième branche du moyen unique de la Commission ainsi que dans le huitième moyen du Royaume d’Espagne

228. Par la sixième branche du moyen unique, qualifiée d’«essentielle» par la Commission elle‑même, celle-ci fait valoir que le Tribunal aurait omis d’examiner les trois éléments de sélectivité relevés dans la décision litigieuse, en ayant notamment omis d’analyser les constatations de la Commission fondées sur les effets concrets de la mesure, à savoir qu’elle prévoit des niveaux d’imposition différents pour différents secteurs de l’économie gibraltarienne et qu’elle procure un avantage sélectif aux entreprises de l’économie off shore n’ayant pas de salariés et n’occupant pas de locaux à Gibraltar.

229. La Commission reproche au Tribunal de ne pas avoir pris position sur les aspects sélectifs ainsi identifiés, alors même qu’il aurait reproduit les passages pertinents de la décision litigieuse aux points 157 à 162 de l’arrêt attaqué. Seul le point 186 de l’arrêt attaqué comporterait une observation à cet égard, mais la jurisprudence évoquée ne serait pas pertinente. À cet égard, la Commission admet qu’une comparaison avec le système antérieur n’est pas en soi pertinente aux fins de l’appréciation de la sélectivité d’une mesure, mais rappelle qu’elle aurait souligné, en se référant au système antérieur, que le régime examiné dans la décision litigieuse visait à perpétuer la situation antérieure, en produisant les mêmes effets tout en usant d’une technique différente. En somme, l’approche du Tribunal accorderait un poids décisif à des considérations de technique fiscale au détriment du contenu alors que, selon une jurisprudence bien établie, une aide d’État devrait être appréciée au regard de ses effets.

230. Le Government of Gibraltar et le gouvernement du Royaume-Uni considèrent comme erronée la thèse défendue par la Commission selon laquelle le régime fiscal serait à considérer comme sélectif en raison du fait que l’économie off shore ne serait pas imposée. En effet, dans tout système fiscal, les sociétés qui ne disposent pas d’une assiette correspondant à celle définie par le régime fiscal national ne versent pas d’impôt sur ce territoire. Ainsi, la thèse de la Commission revient à imposer aux États membres, en violation de leur souveraineté fiscale, ses propres thèses quant au choix de l’assiette fiscale. Le fait que différents types de sociétés seraient imposés de manière différente ne permettrait pas, à lui seul, de conclure à la sélectivité.

231. Par son huitième moyen, le Royaume d’Espagne reproche au Tribunal d’avoir considéré que les conditions de l’article 87, paragraphe 1, CE n’étaient pas réunies du point de vue de la sélectivité matérielle. En effet, la grande majorité des entreprises établies à Gibraltar, à savoir 28 798 sur 29 000, parviendrait à obtenir un taux d’imposition nul. Par conséquent, le régime que le Tribunal qualifie de «général» serait, en réalité, un régime spécial créant une «sélectivité de facto».

B –    Appréciation

232. La sixième branche du moyen unique de la Commission semble être tirée d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué. Il appartient à la Cour d’exercer son contrôle à cet égard dans le cadre du pourvoi.

233. Dans la décision litigieuse, la Commission avait relevé trois éléments de sélectivité, résumés au point 15 des présentes conclusions. S’agissant de l’avantage sélectif susceptible d’avoir été accordé aux entreprises relevant de l’économie off shore qui n’ont pas de salariés et n’occupent pas de locaux à Gibraltar, la Commission a soutenu que le système présentait également une sélectivité matérielle en maintenant de facto des niveaux d’imposition très faibles pour les «sociétés exonérées» et, plus généralement, en prévoyant des niveaux d’imposition différents selon les secteurs, ce qui conférerait un avantage sélectif aux entreprises appartenant aux secteurs auxquels des taux moins élevés sont applicables. La Commission a, en conséquence, considéré que le système constituait un régime d’aides d’État et que, dès lors qu’aucune des dérogations prévues par le traité n’était applicable, l’aide était incompatible avec le marché commun.

234. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a tout d’abord rappelé, aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué les principes régissant selon lui l’examen du caractère sélectif d’une mesure fiscale susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Afin d’apprécier si la Commission s’est conformée à ces principes, le Tribunal a cité, sans les dénaturer, les passages pertinents de la décision litigieuse aux points 148 à 162 de l’arrêt attaqué.

235. Aux points 163 à 168 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a entamé l’analyse de l’avantage sélectif en présentant l’argumentation défendue principalement par le Government of Gibraltar selon laquelle l’ensemble des éléments susmentionnés de la réforme fiscale constituerait un système fiscal à part entière qu’il convient de considérer comme étant le régime fiscal commun ou «normal» introduit par la réforme fiscale sur le territoire de Gibraltar. Dans le cadre de ce régime, il n’y aurait pas de taux «normal» d’imposition et il n’y aurait pas d’impôt «principal» et d’impôt «secondaire» ou «dérogatoire». La charge fiscale d’une société au cours d’une année donnée serait déterminée en fonction de deux éléments liés: le nombre de salariés employés et la surface foncière occupée par la société, d’une part, et les bénéfices réalisés par elle, d’autre part.

236. C’est au regard de ce constat que le Tribunal a reproché à la Commission, au point 170 de l’arrêt attaqué, de ne pas s’être acquittée de son devoir d’identifier au préalable et, le cas échéant, de remettre en cause la qualification par les autorités de Gibraltar du régime commun ou «normal» du système notifié.

237. Dans la mesure où le Tribunal s’est surtout employé, à bon droit, à réfuter la méthode ad hoc de la Commission, je considère qu’il n’a pas commis d’erreur de droit en s’abstenant d’analyser les aspects considérés comme sélectifs par la Commission.

238. Dès lors que le Tribunal a jugé erronée la méthodologie même retenue par la Commission dans la décision litigieuse, il lui était loisible de se borner à constater, ainsi que cela ressort du point 187 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas établi l’existence d’avantages sélectifs découlant des trois aspects litigieux de la réforme fiscale.

239. Par ailleurs, l’argument du Royaume d’Espagne concernant la «sélectivité de facto» du régime fiscal en cause ne saurait prospérer, dès lors qu’il détache la notion d’aide fiscale de l’octroi d’un avantage, ce qui, pour les raisons exposées ci‑dessus, est exclu en l’absence d’une détermination préalable d’un système constituant un cadre de référence. De surcroît, sous l’angle de ses effets économiques, le régime gibraltarien semble plutôt avoir pour objet d’octroyer des «désavantages sélectifs» dès lors que moins de 1 % des sociétés sont effectivement imposées.

240. Par conséquent, je propose de rejeter la sixième branche du moyen unique de la Commission ainsi que le huitième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne.

X –    Sur la violation du délai raisonnable et la non suspension de la procédure devant le Tribunal (134)

A –    Argumentation

241. Par son dixième moyen, le Royaume d’Espagne invoque la violation du droit de toute personne, consacré par l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l’homme (ci‑après la «CEDH»), à ce qu’il soit statué sur le recours dans un délai raisonnable et, en particulier, du droit à un procès dans un délai raisonnable. En effet, l’arrêt a été rendu 54 mois après introduction de l’affaire devant le Tribunal, alors même que celle‑ci devait faire l’objet d’un traitement prioritaire. Cette circonstance aurait eu une incidence sur le litige puisque la durée excessive de la procédure a permis à la Cour de rendre son arrêt dans l’affaire Açores à un moment où le Tribunal aurait déjà dû avoir statué.

242. Le onzième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne est tiré d’une violation de l’article 77, sous a) et d), du règlement de procédure du Tribunal, en ce que ce dernier n’aurait pas ordonné formellement la suspension de la procédure après avoir entendu les parties, au lieu de «la laisser en sommeil». En effet, le Tribunal, en ne traitant pas l’affaire sans une suspension formelle, aurait privé les parties de la faculté offerte par l’article 78 du règlement de procédure de faire valoir leur point de vue avant que le Tribunal ne procède à la suspension de l’affaire.

B –    Appréciation

243. Tout d’abord, je souhaiterais préciser la portée de l’article 6 de la CEDH pour ensuite me prononcer sur une éventuelle violation du droit à ce qu’il soit statué sur le recours dans un délai raisonnable, dans le cadre de la procédure juridictionnelle devant le Tribunal.

244. S’agissant de l’irrégularité invoquée dans le cadre du dixième moyen, la Cour a jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (135).

245. Toutefois, force est de constater que, en l’espèce, le moyen tiré d’une violation de la garantie figurant à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH est soulevé par le gouvernement d’un État membre. Or, je considère qu’un sujet de droit public, dans l’exercice de ses prérogatives et jouissant du statut d’État cocontractant, ne saurait invoquer directement les dispositions de la CEDH à son profit.

246. Dans le système de la protection des droits de l’homme, l’article 34 de la CEDH exclut la recevabilité des requêtes portées par des organismes publics défendant leurs droits humains (136). En outre, je considère qu’il ressort de l’article 1er de la CEDH que les États sont les garants des droits énumérés dans la convention, et non les bénéficiaires directs de ses dispositions. Ils n’y trouvent pas la source de leur protection, mais celle de leurs obligations.

247. Ce raisonnement vaut également, selon moi, mutatis mutandis, à l’égard de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (137). En effet, l’Union ainsi que les États membres sont liés par la charte ce qui exclut qu’ils jouissent des droits garantis par la charte.

248.  Ce constat de principe n’exclut pas qu’une disposition de la charte puisse refléter un principe général du droit qui protège également les États membres. Toutefois, d’un point de vue conceptuel, il est important de préserver la distinction entre, d’une part, les sujets qui sont liés par les droits fondamentaux, à savoir les sujets passifs et, d’autre part, ceux qui en bénéficient, à savoir les sujets actifs, c’est‑à‑dire, les personnes physiques et morales à l’exception des entités publiques exerçant des prérogatives de puissance publique.

249. Le principe général du droit de l’Union selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, qui s’inspire de ces droits fondamentaux, et notamment du droit à un procès dans un délai raisonnable, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel (138). En effet, le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, découlant des traditions constitutionnelles communes aux États membres, qui a été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (139) et qui a également été réaffirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

250. Il apparaît ainsi que les droits afférents à la protection juridictionnelle effective, notamment le droit à un procès équitable, le respect des droits de la défense, le droit d’être entendu, peuvent utilement être invoqués par des sujets de droit tels que les États membres dans le cadre de procédures juridictionnelles (140).

251. Dans l’arrêt Der Grüne Punkt ‑ Duales System Deutschland/Commission (141), la Cour a indiqué qu’il ressortait de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et de la jurisprudence que la Cour était compétente pour contrôler si des irrégularités de procédure portant atteinte aux intérêts de la requérante avaient été commises par le Tribunal et devait s’assurer que les principes généraux du droit communautaire avaient été respectés (142). Il convient, toutefois, de rappeler que le caractère raisonnable du délai de jugement doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité du litige et le comportement des parties (143).

252. À cet égard, la Cour a précisé que la liste des critères pertinents n’était pas exhaustive et que l’appréciation du caractère raisonnable dudit délai n’exigeait pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d’eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d’un seul. Ainsi, la complexité de l’affaire ou un comportement dilatoire du requérant peut être retenue pour justifier un délai de prime abord trop long (144).

253. En l’espèce, la durée de la procédure a eu comme point de départ le dépôt, au greffe du Tribunal, des requêtes en annulation du Government of Gibraltar et du gouvernement du Royaume-Uni, le 9 juin 2004. La procédure s’est achevée le 18 décembre 2008, date du prononcé de l’arrêt attaqué. La procédure devant le Tribunal a donc duré environ quatre ans et six mois.

254. Il ne me semble donc pas que la durée de procédure puisse être qualifiée de particulièrement longue pour une affaire présentant un tel degré de complexité et d’importance. Par ailleurs, l’argumentation du Royaume d’Espagne ne me paraît pas convaincante en ce qui concerne les conséquences de ladite durée sur l’issue du litige. Au contraire, la complexité et les enjeux de l’affaire dont a été saisi le Tribunal militent, à mon avis, plutôt en faveur d’une justification de la durée de procédure.

255. Ainsi, je suis d’avis qu’une violation du principe général de droit de l’Union relatif au droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ne peut pas être constatée en l’espèce.

256. Enfin, s’agissant du onzième moyen, je considère qu’aucune violation des droits des parties à la procédure ne saurait être alléguée. En effet, tel aurait été le cas si le Tribunal avait suspendu la procédure sans avoir entendu lesdites parties au préalable. Or, le fait de ne pas recourir à l’application de l’article 78 du règlement de procédure n’implique aucune violation d’une règle procédurale qui serait constitutive d’une erreur de droit relevant du contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi.

XI – Conclusion

257. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de:

–        rejeter comme irrecevable le grief tiré par le Royaume d’Espagne d’une violation des articles 5 CE et 307 CE;

–        rejeter pour le surplus les pourvois de la Commission européenne dans l’affaire C‑106/09 et du Royaume d’Espagne dans l’affaire C‑107/09;

–        condamner chacune des parties à supporter ses propres dépens.


1 – Langue originale: le français.


2 – (JO 2005 L 85, p. 1), ci après la «décision litigieuse».


3 – Dans la mesure où l’arrêt attaqué a été rendu le 18 décembre 2008, les références aux dispositions du traité CE suivent la numérotation applicable avant l’entrée en vigueur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.


4 – Par cette notion de système «intrinsèquement discriminatoire», la Commission entend un régime fiscal qui par sa structure même procurerait un avantage à une ou plusieurs catégories d’entreprises par le biais d’une sélection des critères à appliquer dans le système d’imposition prétendument «normal».


5 – Communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3 à 9, ci‑après la «communication de 1998»).


6 – Si j’admets que, conformément à la jurisprudence, la qualification d’une mesure étatique au regard de l’article 87 CE doit être fondée sur ses effets économiques sur la concurrence sans que le nombre significatif d’entreprises pouvant prétendre bénéficier de la mesure puisse mettre en cause le caractère sélectif de la mesure (voir arrêt du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, Rec. p. I‑1627, point 42), il n’en demeure pas moins que, si les effets économiques sont déterminants, une mesure couvrant la quasi‑totalité des entreprises ne me semble pas pouvoir être qualifiée d’avantage sélectif.


7 – Il convient de noter que, antérieurement à cette notification, le 11 juillet 2001, la Commission avait décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’encontre de deux réglementations appliquées à Gibraltar relatives à l’impôt sur les sociétés et portant, respectivement, sur les «sociétés exemptées» (JO 2002, C 26, p. 13) et les «sociétés qualifiées» (JO 2002, C 26, p. 9). Par arrêt du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II-2309), le Tribunal a, d’une part, annulé la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen relative aux sociétés exemptées et, d’autre part, rejeté la demande en annulation dirigée contre la décision d’ouverture relative aux sociétés qualifiées. Le 27 avril 2002, le Government of Gibraltar a annoncé son intention d’instaurer un régime fiscal entièrement nouveau pour toutes les sociétés de Gibraltar. Cette réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar fait l’objet du présent litige.


8 – La législation relative à la réforme fiscale sera appliquée par le Government of Gibraltar après avoir été adoptée par la House of Assembly. Il convient de noter, à titre complémentaire, que, conformément aux observations du Government of Gibraltar, en juin 2009, le Chief Minister of Gibraltar a annoncé que la réforme n’entrerait pas en vigueur, mais qu’un nouveau système d’impôt sur les sociétés entrera en vigueur en 2010.


9 – Premier à septième et neuvième moyens du pourvoi du Royaume d’Espagne.


10 – Arrêt du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission (C-245/92 P, Rec. p. I-4643).


11 – Arrêt du 11 février 1999, Antillean Rice Mills e.a./Commission (C‑390/95 P, Rec. 1999 p. I‑769, points 21 et 22).


12 – Voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, points 34 et 35), ainsi que du 30 septembre 2003, Eurocoton e.a./Conseil (C‑76/01 P, Rec. p. I‑10091, points 46 et 47). Voir aussi arrêts du 19 janvier 2006, Comunità montana della Valnerina/Commission (C‑240/03 P, Rec. p. I‑731, points 105 et 106), et du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, non encore publié au Recueil, point 24).


13 – Voir, notamment, arrêts du 16 mai 2002, ARAP e.a./Commission (C‑321/99 P, Rec. p. I‑4287, point 49); du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C‑487/06 P, Rec. p. I‑10505, points 121 et suiv.), et Deutsche Telekom/Commission (précité à la note 12, point 25). Voir également arrêt Comunità montana della Valnerina/Commission (précité à la note 12, point 107), ainsi que, ex multis, ordonnances du 11 novembre 2003, Martinez/Parlement (C‑488/01 P, Rec. p. I‑13355, point 39), et du 13 juillet 2006, Front national e.a./Parlement et Conseil (C‑338/05 P, point 23).


14 – Arrêt du 30 septembre 1982, Amylum/Conseil (108/81, Rec. p. 3107, point 25).


15 – Arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix (C‑166/95 P, Rec. p. I‑983, point 24).


16 – Arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, points 369 à 379).


17 – Par conséquent, les éléments de jurisprudence concernant les recours indirects, tels que les affaires préjudicielles, n’apparaissent guère décisifs (voir arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C‑475/99, Rec. p. I‑8089, point 10; du 2 juin 2005, Dörr et Ünal, C‑136/03, Rec. p. I‑4759, point 46; du 22 juin 2006, Conseil général de la Vienne, C‑419/04, Rec. p. I‑5645, point 24, ainsi que du 14 février 2008, Dynamic medien, C‑244/06, Rec. p. I-505, point 19).


18 – Affaire 1/58 ainsi que affaires jointes 36/59 à 38/59 et 40/59.


19 – Voir, dans le domaine du droit des marques, arrêts du Tribunal du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI–Hoo Hing (Golden Elephant Brand) (T‑303/08, non encore publié au Recueil); du 14 mai 2009, Fiorucci/OHMI–Edwin (ELIO FIORUCCI) (T‑165/06, Rec. p. II‑1375). Cet arrêt a fait l’objet du pourvoi, enregistré sous le numéro d’affaire C‑263/09 P; voir points 49 à 78 des conclusions de l’avocat général Kokott du 27 janvier 2011 dans cette affaire. Voir, dans le domaine des marchés publics, ordonnance du Tribunal du 2 juillet 2009, Evropaïki Dynamiki/BCE (T‑279/06). Cette ordonnance a fait l’objet du pourvoi enregistré sous le numéo d’affaire C‑401/09 P; voir points 66 à 76 des conclusions de l’avocat général Mengozzi du 27 janvier 2011 dans cette affaire. Voir également, récemment encore, dans le domaine de la clause compromissoire: arrêt du Tribunal du 10 juin 2009, ArchiMEDES/Commission (T‑396/05 et T‑397/05) ainsi que arrêt de la Cour du 18 novembre 2010, ArchiMEDES/Commission (C‑317/09 P, non encore publié au Recueil); arrêts du Tribunal du 17 décembre 2010, Commission/Acentro Turismo (T‑460/08, non encore publié au Recueil), et du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T‑19/07, non encore publié au Recueil). Voir note 10, Clause compromissoire, Europe, janvier 2011, p. 19.


20 – Je note que la différence principale entre le premier et le deuxième cas de figure repose sur l’autorité de la chose jugée que revêt, à mon avis, l’arrêt du Tribunal dans la première hypothèse. Dans la deuxième hypothèse, l’arrêt jouit d’une autorité considérable dans les faits, mais n’établit pas de manière définitive les conclusions juridiques qui découlent des faits juridiquement pertinents de l’affaire conformément à une norme du droit national.


21 – Voir arrêt du Tribunal du 21 avril 2004, M/Cour de justice (T‑172/01,Rec. p. II‑1075), ainsi que arrêt du 14 avril 2005, Gaki‑Kakouri/Cour de justice (C‑243/04 P). Voir, également, s’agissant de la jurisprudence du Tribunal de la fonction publique, arrêt du 14 octobre 2010, W/Commission (F‑86/09, non encore publié au Recueil) sur l’analyse de la notion d’accès au mariage civil et les implications des dispositions de l’ordre juridique d’un État tiers. Dans le domaine des aides d’État, voir, notamment, arrêt du Tribunal du 3 mars 2010, Bundesverband deutscher Banken/Commission (T‑163/05, non encore publié au Recueil) où le Tribunal a dû examiner les dispositions du droit national afin d’établir l’existence d’un avantage.


22 – En ce qui concerne le statut d’avocat, voir ordonnance du Tribunal du 28 février 2005, ET/OHMI – Aparellaje eléctrico (UNEX) (T‑445/04, Rec. p. II‑677, points 7 et 9); arrêt du Tribunal du 27 septembre 2005, Cargo Partner/OHMI (CARGO PARTNER) (T‑123/04, Rec. p. II‑3979, points 20 et 22); ordonnance du Tribunal du 9 septembre 2004, Alto de Casablanca/OHMI – Bodegas Chivite (VERAMONTE) (T‑14/04, Rec. p. II‑3077, point 11); arrêts du Tribunal du 8 juin 2005, Wilfer/OHMI (ROCKBASS) (T‑315/03, Rec. p. II‑1981, point 11), et du 3 février 2010, Enercon/OHMI–Hasbro (ENERCON) (T‑472/07, points 12 à 15), ainsi que ordonnance du 10 juillet 2009, Hasbro (C‑59/09 P).


23 – Par exemple, au point 82 de l’arrêt du 11 septembre 2008, Unión General de Trabajadores de la Rioja (C‑428/06 à C‑434/06, Rec. p. I‑6747, ci-après l’«arrêt UGT-Rioja»), la Cour a constaté que «ce sont les normes applicables telles qu’interprétées par les juridictions nationales qui déterminent les limites des compétences d’une entité infraétatique et doivent être prises en considération pour vérifier si cette dernière dispose d’une autonomie suffisante».


24 – Aux points 98 à 100 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est livré à l’interprétation desdites dispositions nationales en liaison avec les dispositions de la charte des Nations unies. Il n’incombe pas au juge de l’Union, dans le cadre de la compétence exclusive que prévoit l’article 220 CE, de contrôler la légalité d’un tel acte adopté par l’organe international. Voir arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 287). Par ailleurs, en ce qui concerne la qualification de Gibraltar comme «territoire d’outre‑mer» en droit constitutionnel britannique retenue par le Tribunal au point 5 de l’arrêt attaqué, force est de constater que le ministère des Affaires étrangères espagnol utilise la même qualification. Voir, à cet égard, «The Question of Gibraltar», Gobierno de España, Ministerio de asuntos exteriores y de cooperación, Madrid, 2008, p. 15.


25 – Arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission (C‑88/03, Rec. p. I‑7115, ci‑après l’«arrêt Açores»).


26 – Il convient de souligner que l’étendue géographique de Gibraltar fait l’objet d’une contestation entre le Royaume‑Uni et le Royaume d’Espagne, ce dernier ne reconnaissant pas l’appartenance de l’isthme qui unit le rocher de Gibraltar à la péninsule ibérique au territoire cédé à la couronne britannique par le Royaume d’Espagne en vertu du traité d’Utrecht de 1713.


27 – Lors de la création de la Communauté économique européenne en 1957, la disposition dudit paragraphe 4 ne visait aucune hypothèse concrète, scellant plutôt une forme de pétition de principe, héritage du traité CECA qui contenait une précision identique dans son article 79, précision qui, en 1951, était destinée à couvrir le cas de la Sarre. C’est l’adhésion du Royaume‑Uni aux Communautés qui lui a permis d’acquérir une portée utile. Voir, à cet égard, Ziller, J., «Champ d’application du droit communautaire», Juris Classeur, éd. 1991, n° 36.


28 – (JO 1972, L 73, p. 14). Gibraltar bénéficie donc d’un traitement dérogatoire. Voir, également, rapport spécial n° 2/93 de la Cour des comptes sur le territoire douanier communautaire (JO 1993, C 347). Il convient de souligner que, si aucune dérogation explicite n’est prévue en ce qui concerne les règles de concurrence, l’exclusion de Gibraltar de l’union douanière emporte des restrictions ratione materiae dans ce domaine. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Tizzano dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume‑Uni (C‑30/01, Rec. p. I‑9481).


29 – Voir arrêt du 12 septembre 2006, Espagne/Royaume‑Uni (C‑145/04, Rec. p. I‑7917, points 14 à 19).


30 – Voir arrêt Espagne/Royaume Uni, précité (points 14 à 19).


31 – Lincoln, S., «The Legal Status of Gibraltar, Whose Rock is it anyway ?», Fordham International Law Journal, 1994‑1995, volume 18, n°1‑5, p. 285‑330, p. 319.


32 – Dans le préambule, on peut lire «this order […] gives the people of Gibraltar that degree of self‑government which is compatible with British sovereignty of Gibraltar and with the fact that the United Kingdom remains fully responsible for Gibraltar’s external relations».


33 – Les deux autres référendums ont eu lieu en 1967 et en 2002. J’observe que la Constitution de 2007 n’est pas applicable au cas d’espèce.


34 – Lombart, L., «Gibraltar et le droit à l’autodétermination – perspectives actuelles», Annuaire français du droit international, LIII‑2007, p. 157.


35 – Arrêt précité à la note 25.


36 – Conclusions dans l’affaire Açores (précitée à la note 25, point 54).


37 – Arrêt Açores, précité (points 67 et 68).


38 – Arrêt arrêt UGT‑Rioja, précité ( point 51).


39 – Je note que, dans les États ayant une décentralisation symétrique, qui constitue un modèle de la souveraineté fiscale partagée, il n’existe pas de système de référence commun au niveau national. En effet, dans un système de décentralisation symétrique, tel qu’un État fédéral, les pouvoirs sont distribués de manière uniforme. La décentralisation asymétrique vise, en revanche, un modèle où il existe des entités infra‑étatiques qui bénéficient de pouvoirs autonomes, le reste du territoire de l’État membre étant soumis à un régime général. Voir les arguments avancés par la Commission figurant aux points 22 à 24 de l’arrêt Açores, précité, ainsi que l’argumentation de la Cour figurant aux points 64 à 65 du même arrêt.


40 – Je considère que la notion d’entité intra‑ ou infra‑étatique dans le contexte des aides d’État renvoie aux sujets de droit public autres que les États souverains.


41 – Arrêts du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation (C‑286/90, Rec. p. I‑6019); du 5 juillet 1994, Anastasiou e.a. (C‑432/92, Rec. p. I‑3087, point 43); du 2 août 1993, Levy (C‑158/91, Rec. p. I‑4287, point 19); du 9 août 1994, France/Commission (C‑327/91, Rec. p. I‑3641, point 25). Voir, également, arrêt du Tribunal du 22 janvier 1997, Opel Austria/Conseil (T‑115/94, Rec. p. II‑39, points 79, 90 à 93).


42 – Arrêt du 16 juin 1998 (C‑162/96, Rec. p. I‑3655). Le principe du respect du droit international a été réaffirmé récemment dans l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 291).


43 – Voir arrêt Açores, précité (point 57).


44 – Voir, en ce sens, notamment, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a. (C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59); du 26 octobre 2006, Koninklijke Coöperatie Cosun/Commission (C‑68/05 P, Rec. p. I‑10367, point 96), ainsi que du 12 novembre 2009, SGL Carbon/Commission (C‑564/08 P, Rec. p. I-191*, , point 22).


45 – Arrêt du 17 décembre 1959, Société des fonderies de Pont‑à‑Mousson/Haute Autorité (14/59, Rec. p. 445). Voir également, ex multis, arrêts du 9 septembre 2004, Espagne/Commission (C‑304/01, non encore publié au Recueil, point 31); du 14 décembre 2004, Swedish Match (C‑210/03, non encore publié au Recueil, point 70), et du 14 avril 2005, Belgique/Commission (C‑110/03, Rec. p. I‑2801, point 71).


46 – Arrêts Açores, précité (point 67), ainsi que UGT-Rioja, précité (point 51).


47 – Arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission (C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 50).


48 – Arrêt du 6 avril 2006, General Motors/Commission (C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 54).


49 – Arrêt UGT‑Rioja, précité (point 129).


50 – Arrêt UGT‑Rioja, précité (points 53 à 60): «Contrairement à ce que soutient la Commission, les points 58 et 66 de l’arrêt Portugal/Commission, précité, n’instaurent aucune condition préalable à la mise en œuvre des trois critères précisés au point 67 du même arrêt».


51 – Voir, notamment, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM et FIAMM Technologies/Conseil et Commission (C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec. p. I‑6513, point 90).


52 – Six branches du moyen unique du pourvoi de la Commission et huitième moyen du pourvoi du Royaume d’Espagne.


53 – Carlos dos Santos, A., «Aides d’État, Code de conduite et concurrence fiscale dans l’Union européenne», Revue internationale de Droit Économique, 2004, p. 9 à 45.


54 – Rapport OCDE – concurrence fiscale dommageable, point 47.


55 – Aux termes du rapport OCDE, quatre facteurs essentiels aident à identifier les régimes fiscaux préférentiels dommageables: a) le taux d’imposition effectif imposé par le régime sur les revenus considérés est faible ou nul; b) le régime est «cantonné»; c) le fonctionnement du régime n’est pas transparent, et d) le pays qui applique ce régime ne procède pas à un véritable échange de renseignements avec les autres pays.


56 – Pinto, C., Tax Competition and EU Law, p. 1.


57 – Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social – Politique fiscale de l’Union européenne – Priorités pour les prochaines années, COM(2001) 260 final, point 2.3.


58 – Communication (2001)260, point 2.4. Toutefois, lors des négociations d’adhésion, la République de Finlande a pris l’engagement envers les États membres qu’elle ne laisserait pas les Îles d’Åland se transformer en un paradis fiscal. Voir, Kuosmanen, A., Finland’s Journey to the European Union, Maastricht 2001, p. 262 et 264.


59 – Lors de l’adoption de la résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil du 1er décembre 1997 sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises (JO 1998, C 2, p. 2, ci‑après le «code de conduite»), le Conseil a reconnu qu’une concurrence loyale pouvait avoir des effets bénéfiques. C’est pourquoi le code a été spécifiquement conçu pour ne dépister que les mesures qui faussent la localisation des activités économiques dans la Communauté par le fait qu’elles visent uniquement les non‑résidents et leur accordent un traitement fiscal plus favorable que celui qui est normalement applicable dans l’État membre en cause. Le code définit des critères pour inventorier ces mesures potentiellement dommageables. Lors de la réunion du Conseil «Ecofin» du 14 mars 2008, les ministres des Finances ont défini la «bonne gouvernance» dans le domaine fiscal comme étant fondée sur les principes de transparence, d’échange d’informations et de concurrence fiscale loyale. La Commission a adopté également en 2008 une communication à cet égard. Voir Lambert, Th., «Réflexions sur la concurrence fiscale», Recueil Dalloz, 2010, p. 1733.


60 – Schön, W., «The European Commission Report», European Taxation, 2002.


61 – Conclusions du Conseil «Ecofin» du 1er décembre 1997, en matière de politique fiscale (JO 1998, C 2, p. 1). Le paquet comprenait un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, une proposition de directive relative à la fiscalité de l’épargne ainsi qu’une proposition de directive concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents.


62 – Résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil du 1er décembre 1997 sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises (JO 1998, C 2, p. 2). C’est en vertu du code de conduite que la Commission a pris l’engagement de publier les lignes directrices pour l’application des règles sur les aides d’État aux mesures relatives à l’imposition directe. Voir communication sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3).


63 – Ces conditions sont assurées dans le domaine de la fiscalité des entreprises lorsque tous les pays font application du même taux marginal effectif d’imposition (marginal effective tax rate, METR) aux fins de l’imposition de la dernière unité de l’investissement transfrontalier.


64 – Vording, H., «A Level Playing Field for Business Taxation in Europe», European Taxation, novembre 1999.


65 – Ainsi que l’a constaté le Conseil au point J du code de conduite, «une partie des mesures fiscales couvertes par le code est susceptible de rentrer dans le champ d’application des dispositions […] du traité relatives aux aides d’État».


66 – Carlos dos Santos, A., «Aides d’État, Code de conduite et concurrence fiscale», op. cit., p. 29.


67 – Voir, Carlos dos Santos, A., L’Union européenne et la régulation de la concurrence fiscale, Bruxelles, 2009, p. 428.


68 – Voir à propos des différences et points communs entre le régime du code de conduite et celui des aides d’État, Carlos dos Santos, A., «Aides d’État, code de conduite et concurrence fiscale», op. cit., p. 30 et suiv.


69 – Première branche du moyen unique de la Commission.


70 – Voir, notamment, arrêts du 7 septembre 2004, Manninen (C‑319/02, Rec. p. I‑7477, point 19); du 6 mars 2007, Meilicke e.a. (C‑292/04, Rec. p. I‑1835, point 19); du 24 mai 2007, Holböck (C‑157/05, Rec. p. I‑4051, point 21), et du 11 octobre 2007, ELISA (C‑451/05, Rec. p. I‑8251, point 68). Voir également arrêts du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a. (C‑397/98 et C‑410/98, Rec. p. I‑1727, point 37); du 13 décembre 2005, Marks & Spencer (C‑446/03, Rec. p. I‑10837, point 29); du 12 septembre 2006 (Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C‑196/04, Rec. p. I‑7995, point 40), et du 13 mars 2007, Test Claimants in the Thin Cap Group Litigation (C‑524/04, Rec. p. I‑2107, point 25).


71 – Voir, dans la doctrine, Schön, W., «Taxation and State aid Law in the European Union», CMLR, 36(1999), p. 911; O’Brien, M., «Company taxation, State aid and fundamental freedoms», ELRev, 2005, p. 209, et Quigley, C., European State Aid Law, 2009, p. 65.


72 – A contrario, lorsque les autorités bénéficient d’un pouvoir discrétionnaire, il s’agit de mesures «spécifiques». Voir arrêt du 26 septembre 1996, France/Commission (C‑241/94, Rec. p. I‑4551).


73 – La doctrine a relevé la réticence de la Commission à appliquer le code aux mesures fiscales générales classiques, comme dans le cas de l’Irlande qui a introduit un taux d’imposition de 12,5 % nettement inférieur à celui des autres États membres, mais qui, pour autant, ne semble pas entrer dans le champ d’application du code, sauf à démontrer son caractère dommageable. Voir Carlos dos Santos, A., «Aides d’État, Code de conduite et concurrence fiscale», op. cit., p. 35.


74 – Voir, Carlos dos Santos, A., L’Union européenne et la régulation de la concurrence fiscale, op. cit., p. 501.


75 – Arrêt du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne (70/72, Rec. p. 813). Voir également Nicolaides, Ph., «Fiscal Aid in the EC, A Critical Review of Current Practice», World Competition, 24(3) 2001, p. 319 à 342.


76 – Arrêts du 15 décembre 2005, Italie/Commission (C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 10); du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano (C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 49), et du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a. (C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 135). La définition ainsi retenue par la jurisprudence me paraît trop vaste puisque, d’une manière générale, les mesures fiscales ne s’appliquent pas à toutes les entreprises, mais uniquement à celles qui répondent à certaines conditions. Ainsi, par exemple, une réforme de la fiscalité des sociétés de capitaux ne saurait être qualifiée de mesure non générale du seul fait qu’elle ne bénéficie pas aux sociétés de personne ou à des entrepreneurs individuels. Voir, Schön, W., Die «Auswirkungen des gemeinschaftsrechtlichen Beihilferechts auf das Steuerrecht», Österreichischer Juristentag (Hrsg.): Verhandlungen des Siebzehnten Österreichischen Juristentages Wien 2009, IV/2 Steuerrecht, Wien, Manzsche Verlags‑ und Universitätsbuchhandlung, 2010, p. 21 à 46.


77 – Waelbroeck D., «La condition de sélectivité de la mesure», Aides d’État, 2005, p. 90.


78 – «Les aides d’État sous forme fiscale», Revue de droit fiscal, n° 48, 2008. En outre, lors de l’audience, il convient de relever que l’agent de la Commission a affirmé que, en matière de fiscalité directe, les États membres devaient mener une politique de neutralité fiscale.


79 – Voir, Nicolaides, Ph., «Fiscal Aid in the EC», op. cit., p. 332 à 333. Selon l’auteur, d’un point de vue économique, aucune mesure fiscale étatique n’est neutre puisqu’elle modifie les conditions du comportement économique des opérateurs sur le marché. En outre, les effets d’une mesure fiscale dépendent des circonstances particulières, propres aux sujets concernés. Il en découle que tout système de fiscalité directe est nécessairement basé sur des choix politiques discrétionnaires ayant des effets économiques différents selon les entreprises concernées. Voir, également, Carlos dos Santos, A., L’Union européenne et la régulation de la concurrence fiscale, op. cit., p. 47, note 100, qui rappelle que la neutralité fiscale est toujours une neutralité relative.


80 – Je note que, à moins que le système ne soit complètement uniforme, une différence de traitement entre des entreprises sur des critères autres que sectoriels ou régionaux peut néanmoins donner lieu à la violation d’autres dispositions du traité. Voir arrêt du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273).


81 – Merola, M., Capelletti, L., «Une analyse des derniers développements en matière d’aides d’États fiscales», Fiscalité européenne, Bruylant, Bruxelles, p. 87.


82 – Voir, notamment, arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse (C‑237/04, Rec. p. I‑2843, points 38 et 39, ainsi que jurisprudence citée). Voir également arrêt du 17 novembre 2009, Presidente del Consiglio dei Ministri (C‑169/08, Rec. p. I‑10821, point 52).


83 – Arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España (C‑387/92, Rec. p. I‑877, point 13); du 29 juin 1999, DM Transport (C‑256/97, Rec. p. I‑3913, point 19); du 14 septembre 2004, Espagne/Commission (C‑276/02, Rec. p. I‑8091, point 24); du 8 novembre 2001, Adria‑Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (C‑143/99, Rec. p. I‑8365, point 38), et du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium (C‑393/04 et C‑41/05, Rec. p. I‑5293, point 29).


84 – Sur la pertinence de la constatation de l’avantage dans l’examen de la sélectivité: voir arrêts du 8 novembre 2001, Adria‑Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, point 41; du 13 février 2003, Espagne/Commission (C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 47); Açores, précité, point 54 à 56; UGT‑Rioja, précité, point 46; ainsi que British Aggregates/Commission , précité (point 82).


85 – Nicolaides, Ph., «Fiscal Aid in the EC», op. cit., p. 325.


86 – Voir également Carlos dos Santos, A., L’Union européenne et la régulation, op. cit., p. 506.


87 – L’examen du critère la sélectivité est distinct de l’examen de l’avantage, alors même que selon la jurisprudence «afin d’apprécier la sélectivité, il convient d’examiner si dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure constitue un avantage pour certaines entreprises par rapport à d’autres» (voir arrêt British Aggregates/Commission, précité, point 82). Ainsi qu’il ressort du paragraphe 12 de la communication de 1998, la possibilité de justifier la nature sélective sur la base de la nature générale du régime fait partie de l’appréciation de la sélectivité.


88 – Ceci est pertinent en particulier dans la perspective d’un remboursement éventuel d’une aide présumée illégale.


89 – Arrêt du 1er décembre 1998, Ecotrade (C‑200/97, Rec. p. I‑7907, point 43), et arrêt du Tribunal du 13 juin 2000, EPAC/Commission (T‑204/97 et T‑270/97, Rec. p. II‑2267, point 80).


90 – Voir communication de la Commission sur l’application des articles 87 et 88 CE aux aides d’État sous forme de garantie (JO 2000, C 71, p. 14). Une garantie de l’État présente, selon la Commission, l’avantage de faire supporter par l’État le risque associé à la garantie qui devrait normalement être rémunéré. Lorsque l’État y renonce, il y a à la fois avantage pour l’entreprise et ponction sur les ressources publiques. Voir point 2.1.2 de la Communication.


91 – Arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C‑288/96, Rec. p. I‑8237), point 30 et suiv.


92 – Arrêt du Tribunal du 21 mai 2010, France e.a./Commission (T‑425/04, T‑444/04, T‑450/04 et T‑456/04, non encore publié au Recueil). Cependant, les déclarations doivent être suffisamment claires, précises et fermes pour manifester l’existence d’un engagement crédible de l’État. Il convient de noter que l’arrêt France e.a./Commission, précité, a fait l’objet d’un pourvoi enregistré sous le numéro d’affaire C‑399/10 P.


93 – Arrêt du 22 juin 2006 (C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. I‑5479, point 95).


94 – En ce qui concerne l’imposition des personnes physiques, la même constatation vaut pour les juridictions fiscales qui connaissent l’imposition sur la fortune des contribuables les plus fortunés. Il n’est pas possible de considérer que les contribuables non imposables en raison du seuil fixé bénéficient d’un avantage quelconque.


95 – Arrêt du Tribunal du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission (T‑67/94, Rec. p. II‑1). Voir également mes conclusions dans les affaires jointes C‑78/08 à C‑80/08, Paint Graphos e.a.


96 – Du reste, ainsi que je l’ai déjà relevé ci‑dessus, il est probable que le régime en cause n’entre jamais en vigueur.


97 – Il convient de noter que, dans son rapport sur la mise en œuvre de la communication de la Commission sur l’application des règles en matière d’aide d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises [C (2004) 434], la Commission a indiqué qu’il était tout à fait possible qu’une mesure qualifiée de dommageable au regard du code de conduite ne relève pas de la notion d’aide d’État (voir point 66 dudit rapport).


98 – À l’audience, le représentant du Government of Gibraltar a confirmé qu’une grande partie des entreprises enregistrées à Gibraltar se bornent à détenir des actifs représentant des résidences secondaires, des yachts ou des bateaux. Dès lors qu’il n’y a pas d’activité commerciale ni de profits, ce ne sont pas des sujets imposables, quel que soit le régime fiscal retenu. Leur situation ne relève donc pas du droit de la concurrence.


99 – Pour autant, il convient de reconnaître, dans le même temps, qu’un territoire d’environ 5 km² avec une population d’environ 27 500 personnes ne dispose guère d’options en ce qui concerne sa stratégie de développement économique.


100 – Arrêt Açores, précité (point 54).


101 – Arrêt Adria‑Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité.


102 – Arrêt UGT‑Rioja, précité.


103 – Les mesures peuvent être toutefois également s’avérer sélectives sans être formellement limitées à certains secteurs. Voir décision de la Commission du 17 février 2003 au sujet du régime des centres de coordination belges (JO L 282). Selon la jurisprudence, ni le nombre important des entreprises bénéficiaires ni la diversification et l’importance des secteurs industriels auxquels appartiennent ces entreprises ne garantissent le caractère général d’une mesure. Voir, à ce sujet, Rossi‑Maccanico, P., «Community Review of direct Business Tax Measures», EStAL, 4/2009, p. 497.  La doctrine souligne qu’un système qui s’applique à la quasi‑totalité des opérateurs ne peut pas être considéré comme sélectif. Voir, Schön, W., «Auswirkungen des gemeinschaftsrechtlichen Beihilferechts auf das Steuerrecht», op. cit., p. 29.


104 – Pour des développements sur la sélectivité, voir, ex multis, Waelbroeck, D., «La condition de sélectivité de la mesure», op. cit.


105 – Conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt British Aggregates/Commission, précité, point 82.


106 –      Voir, Rossi‑Maccanico, P., «Community Review of direct Business Tax Measures», op. cit., p. 497.


107 – En ce sens, arrêt du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C‑72/91 et C‑73/91, Rec. p. I‑887, point 21). Voir arrêt du 13 février 2003, Espagne/Commission (C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 52). Une partie de la doctrine a même suggéré qu’il ne peut y avoir d’avantage, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, lorsque la mesure découle de l’économie générale du système, voir, en ce sens, Schön, W, «Auswirkungen des gemeinschaftsrechtlichen Beihilferechts auf das Steuerrecht», op. cit.


108 – Conclusions dans l’affaire C‑72/91, Sloman Neptun, précitée (point 50).


109 – Sur l’approche de l’OCDE, voir First Survey on State Aids in the European Community, Commission of the European Communities, Luxembourg, Office of Official Publications, 1989, p. 6 à 8 et 13: «tax expenditure is usually defined as a departure from the generally accepted or benchmark tax structure, which produces a favourable tax treatment of particular types of activities or groups of payers».


110 – Communication de 1998, point 16.


111 – Bacon, «State Aids and General Measures», YEL,1997, Vol.17 (ed. Barav and Wyatt) Clarendon Press, Oxford, pp. 269-321; Schön, W., «Taxation and State aid Law in the European Union», op. cit., p. 911‑936.


112 – Schön, W., «Taxation and State aid Law in the European Union», op. cit., pp. 911 à 936.


113 – Conclusions de l’avocat général Colomer dans l’affaire Italie/Commission (arrêt du 19 mai 1999, C‑6/97, Rec. p. I‑2981, point 27).


114 – Conclusions de l’avocat général La Pergola dans l’affaire Belgique/Commission (arrêt du 17 juin 1999, dit «Maribel», C‑75/97, Rec. p. I‑3671).


115 – Nicolaides, Ph., «Fiscal Aid in the EC. A Critical Review of Current Practice», op. cit., p. 319 à 342.


116 – Voir Bousin, J., et Piernas, J., «Developments in the Notion of Selectivity», EStAL, 4/2008, p. 634 et suiv.


117 – Voir, également à ce sujet, Aldestam, M., EC State aid rules applied to taxes, Uppsala, 2005, p. 182.


118 – Deuxième et troisième branches du moyen unique du pourvoi de la Commission


119 – La Commission vise les points 170 à 174 de l’arrêt attaqué ainsi que les points 143 à 146.


120 – Voir, notamment, arrêt British Aggregates/Commission, précité.


121 – La Commission vise les points 145 et 146, ainsi que les points 171 à 174 de l’arrêt attaqué.


122 – Voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2008, Allemagne/Kronofrance (C‑75/05 P et C‑80/05 P, Rec. p. I‑6619, point 60), et du 2 décembre 2010, Holland Malt/Commission (C‑464/09 P, non encore publié au Recueil, point 46).


123 – Arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri (C‑189/02 P, Rec. p. I‑ 5425, points 211 à 213). Voir également arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang (T‑220/00, Rec. p. II‑ 2473, point 77). Dans le domaine des aides d’État, voir arrêts du 13 février 2003, Espagne/Commission (C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 95); du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑91/01, Rec. p. I‑ 4355, point 45), et du 26 septembre 2002, Espagne/Commission (C‑351/98, Rec. p. I‑ 8031, point 53). Voir également arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Technische Glaswerke (T‑198/01, Rec. p. II‑ 2717, point 149); du 18 novembre 2004, Ferriere Nord (T‑176/01, Rec. p. II‑ 3931, point 134), et du 14 octobre 2004, Pollmeier Malchow (T‑137/02, Rec. p. II‑ 3541, point 54).


124 – Arrêts du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission (C‑288/96, Rec. p. I‑8237, point 62), Allemagne e.a./Kronofrance, précité (point 61), et Holland Malt/Commission, précité (point 47).


125 – Une telle approche a été parfois proposée dans la doctrine. L’argument décisif aux fins de la rejeter est tiré de son incompatibilité avec la division des compétences entre les États membres et l’Union dans le domaine de la fiscalité directe. Voir Carlos dos Santos, A., L’Union européenne et la régulation, op. cit., p. 505 à 508 et p. 522 à 528.


126 – Arrêt British Aggregates/Commission, précité, points 84 et 85 ainsi que jurisprudence citée.


127 – Quatrième et cinquième branche du moyen unique de la Commission.


128 – La Commission vise les points 175 à 183 de l’arrêt attaqué.


129 – Arrêts du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission (C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 107 et jurisprudence citée), et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission (C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 41 et jurisprudence citée).


130 – Voir, notamment, arrêts précités JCB Service/Commission (point 106 et jurisprudence citée), ainsi que SGL Carbon/Commission (point 41 et jurisprudence citée).


131 – Arrêt du 29 avril 2004, Pays‑Bas/Commission (C‑159/01, Rec. p. I‑4461, point 43).


132 – Arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, Rec. p. 709).


133 – La Commission vise les points 170 à 174 de l’arrêt attaqué.


134 – Dixième et onzième moyens du pourvoi du Royaume d’Espagne.


135 – Arrêt du 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt ‑ Duales System Deutschland/Commission (C‑385/07 P, Rec. p. I‑6155, point 177).


136 – Voir, notamment, décision de la Cour européenne des droits de l’homme sur la recevabilité de la requête n° 55346/00 présentée par Ayuntamiento de Mula contre l’Espagne; décision partielle sur la recevabilité de la requête n° 48391/99 et 48392/99 présentée par Christos Hatzitakis et les Mairies de Thermaikos et Mikra contre Grèce.


137 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO, C 364, p. 1, ci-après la «charte»).


138 – Voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 21), et du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a. (C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I -4777, point 45).


139 – Arrêts du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, points 18 et 19); du 15 octobre 1987, Heylens e.a. (222/86, Rec. p. 4097, point 14); du 27 novembre 2001, Commission/Autriche (C‑424/99, Rec. p. I‑9285, point 45); du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 39), et du 19 juin 2003, Eribrand (C‑467/01, Rec. p. I‑6471, point 61).


140 – Voir, à cet égard, la jurisprudence rendue dans le cadre de recours en constatation de manquement contre les États membres, en vertu des articles 226 CE et 228 CE, et les garanties procédurales applicables.


141 – Précité (points 176 à 179).


142 – Arrêts Baustahlgewebe/Commission, précité (point 19); du 15 juin 2000, TEAM/Commission (C‑13/99 P, Rec. p. I‑4671, point 36)..


143 – Voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, point 116 et jurisprudence citée), ainsi que ordonnance du 26 mars 2009, Efkon/Parlement et Conseil (C‑146/08 P, Rec. p. I -49*, point 54).


144 – Arrêts Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité (point 188), et du 2 octobre 2003, Thyssen Stahl/Commission (C‑194/99 P, Rec. p. I‑10821, point 156).