Language of document : ECLI:EU:C:2007:448

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 18 juillet 2007 (1)

Affaire C‑55/06

Arcor AG & Co. KG

contre

République fédérale d’Allemagne

[demande de décision préjudicielle formée par le Verwaltungsgericht Köln (Allemagne)]

«Télécommunications – Accès à la boucle locale»






1.        L’histoire qui donne lieu au présent renvoi du Verwaltungsgericht Köln (Allemagne) peut être synthétisée de la façon suivante: un ancien opérateur monopolistique d’un réseau téléphonique fixe est tenu, selon le droit communautaire et le droit national, de permettre aux opérateurs concurrents d’utiliser son réseau local. Il demande, cependant, un prix, qu’un opérateur concurrent bénéficiaire de l’accès au réseau conteste comme étant trop élevé. C’est cette situation qui a donné au Verwaltungsgericht Köln l’occasion de poser à la Cour un ensemble vaste et analytique de questions qui directement et indirectement concernent l’interprétation d’une notion clé dans le cadre de la libéralisation de la fourniture de services de télécommunications en Europe: à savoir que les tarifs demandés pour l’accès dégroupé à la boucle locale (i.e. les paires de fils de cuivre qui relient les abonnés aux répartiteurs principaux les plus proches) soient orientés «en fonction des coûts». C’est dans ce contexte que la Cour est appelée à se pencher, pour la première fois, sur l’interprétation du règlement (CE) n° 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale (2).

I –    Les faits, le cadre juridique et les questions préjudicielles soumises à la Cour

2.        Deutsche Telekom AG (ci‑après «Deutsche Telekom») est l’opérateur notifié au sens de l’article 2, sous a), du règlement. Il s’agit, en effet, selon cet article, d’un «opérateur de réseau téléphonique public fixe qui a été désigné par les autorités réglementaires nationales comme puissant sur le marché de la fourniture de réseaux téléphoniques publics fixes».

3.        Arcor AG & Co. KG (ci‑après «Arcor») est bénéficiaire au sens de l’article 2, sous b), du règlement. Selon cette disposition est considérée bénéficiaire une «tierce partie dûment autorisée […] ou habilitée à fournir des services de télécommunications en vertu de la législation nationale, et qui remplit les conditions nécessaires pour bénéficier d’un accès dégroupé à la boucle locale». La notion de «boucle locale» est définie par l’article 2, sous c) du règlement, comme le «circuit physique à paire torsadée métallique qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente du réseau téléphonique public fixe».

4.        Arcor fournit des connexions téléphoniques ISDN à des clients finaux, connexions qui ne peuvent toutefois être utilisées que si elle dispose de l’accès à la boucle locale correspondante sur le réseau de télécommunications de Deutsche Telekom.

5.        L’article 1er du règlement, intitulé «Portée et champ d’application», est libellé comme suit:

«1. Le présent règlement vise à renforcer la concurrence et à encourager l’innovation technologique sur le marché de l’accès local, en établissant des conditions harmonisées d’accès dégroupé à la boucle locale, afin de favoriser la fourniture concurrentielle d’un large éventail de services de communications électroniques.

2. Le présent règlement s’applique à l’accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes des opérateurs notifiés tels que définis à l’article 2, point a).

3. Le présent règlement s’applique sans préjudice du droit de l’obligation, pour les opérateurs notifiés, de respecter le principe de non‑discrimination lorsqu’ils utilisent le réseau téléphonique public fixe pour fournir à des tiers des services d’accès et de transmission à haut débit de la même façon qu’ils les fournissent à leurs propres services ou aux entreprises qui leur sont associées, conformément aux dispositions communautaires.

4. Le présent règlement s’applique sans préjudice du droit des États membres de maintenir ou d’introduire, dans le respect du droit communautaire, des mesures qui contiennent des dispositions plus détaillées que celles qui figurent dans le présent règlement et/ou qui ne relèvent pas du champ d’application de ce dernier, notamment en ce qui concerne d’autres types d’accès aux infrastructures locales.»

6.        L’article 3 du règlement, intitulé «Fourniture d’un accès dégroupé», prévoit que:

«1. Les opérateurs notifiés publient à partir du 31 décembre 2000 et tiennent à jour une offre de référence pour l’accès dégroupé à leur boucle locale et aux ressources connexes, qui inclut au minimum les éléments énumérés dans l’annexe. L’offre est suffisamment dégroupée pour que le bénéficiaire n’ait pas à payer pour des éléments ou des ressources du réseau qui ne sont pas nécessaires à la fourniture de ses services et contient une description des éléments de l’offre et des modalités, conditions et tarifs qui y sont associés.

2. À partir du 31 décembre 2000, les opérateurs notifiés accèdent à toute demande raisonnable des bénéficiaires visant à obtenir un accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes, à des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires. Les demandes ne peuvent être rejetées que sur la base de critères objectifs afférents à la faisabilité technique ou à la nécessité de préserver l’intégrité du réseau. Si l’accès est refusé, la partie lésée peut soumettre le cas aux procédures de règlement des litiges visées à l’article 4, paragraphe 5. Les opérateurs notifiés fournissent aux bénéficiaires des ressources équivalentes à celles qu’ils fournissent à leurs propres services ou à des entreprises qui leur sont associées, dans les mêmes conditions et délais.

3. Sans préjudice de l’article 4, paragraphe 4, les opérateurs notifiés orientent les tarifs de l’accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes en fonction des coûts.»

7.        Selon le droit allemand, notamment selon l’article 24, paragraphes 1 et 2, de la loi relative aux télécommunications du 25 juillet 1996 (Telekommunikationsgesetz) (3), les tarifs doivent être orientés en fonction des coûts d’une prestation de services efficace et être conformes aux exigences du paragraphe 2. Selon ce paragraphe, les tarifs ne peuvent, à moins qu’une raison objective à cet effet ne soit démontrée, 1) comporter des suppléments pouvant être imposés uniquement en raison de la politique dominante d’un fournisseur sur le marché des télécommunications en cause, en application de l’article 19 de la loi contre les restrictions de concurrence; 2) comporter des minorations qui restreignent les possibilités concurrentielles d’autres entreprises sur un marché des télécommunications ou 3) conférer à des opérateurs des avantages par rapport à d’autres opérateurs recourant à des services de télécommunications équivalents ou similaires sur le marché des télécommunications en cause.

8.        Le 30 septembre 1998, Arcor a conclu avec Deutsche Telekom un contrat relatif à l’accès aux boucles locales de cette dernière, contrat qui a été renouvelé ultérieurement avec effet à compter du 1er avril 2001. Aux termes de ce contrat, les tarifs autorisés par l’autorité réglementaire étaient réputés fixés de gré à gré.

9.        Aux termes de l’article 4 du règlement, qui concerne la «[s]urveillance par l’autorité réglementaire nationale»:

«1. L’autorité réglementaire nationale veille à ce que la tarification de l’accès dégroupé à la boucle locale favorise l’établissement d’une concurrence loyale et durable.

2. L’autorité réglementaire nationale est habilitée:

a)      à imposer des modifications de l’offre de référence pour l’accès dégroupé à la boucle locale et aux ressources connexes, y compris les prix, lorsque ces modifications sont justifiées et

b)      à demander aux opérateurs notifiés de lui fournir des informations pertinentes pour la mise en œuvre du présent règlement.

3. L’autorité réglementaire nationale peut intervenir, lorsque cela se justifie, de sa propre initiative pour assurer la non‑discrimination, une concurrence équitable ainsi que l’efficacité économique et le plus grand bénéfice pour les utilisateurs.

4. Lorsque l’autorité réglementaire nationale constate que le marché de l’accès local fait l’objet d’une concurrence suffisante, elle lève l’obligation faite aux opérateurs notifiés, à l’article 3, paragraphe 3, d’établir les prix en fonction des coûts.

[…]»

10.      Du point de vue du droit interne allemand, selon l’article 27, paragraphe 1, du TKG 1996, l’autorité réglementaire autorise les tarifs soit sur la base des coûts d’une prestation de services efficace au titre de chaque prestation, soit sur la base du niveau, fixé par elle, des taux d’évolution moyens des tarifs à acquitter pour un panier de services. Le paragraphe 4 du même article habilite le gouvernement fédéral, au moyen de règlements, à préciser le régime des types d’autorisations et à fixer les conditions auxquelles l’autorité réglementaire doit décider laquelle des procédures énoncées au paragraphe 1 s’applique.

11.      Le règlement sur la régulation tarifaire dans le domaine des télécommunications du 1er octobre 1996 (Telekommunikations‑Entgeltregulierungsverordnung) (4) prévoit dans son article 2, paragraphe 1, que l’entreprise qui a présenté la demande d’autorisation tarifaire visée à l’article 27, paragraphe 1, du TKG 1996 doit produire les documents suivants au titre de la prestation en cause dans chaque cas: 1) une description détaillée de la prestation, y compris des données quant à sa qualité ainsi qu’un projet des conditions générales, 2) des données sur le chiffre d’affaires réalisé au cours des cinq dernières années ainsi que sur celui escompté pour l’année de la demande et pour les quatre années suivantes, 3) des données sur les parts de marché et, si possible, sur l’élasticité des prix de la demande pour la période visée au point 2, 4) des données sur l’évolution des différents coûts visés au paragraphe 2 (justificatifs de coûts) et l’évolution des marges sur coûts variables pour la période visée au point 2, 5) des données sur l’impact financier pour la clientèle, s’agissant notamment de la structure de la demande des clients privés et commerciaux ainsi que pour les concurrents qui reçoivent la prestation comme prestation préalable, et 6) en cas de différenciation des tarifs, des données sur les effets pour les groupes d’utilisateurs concernés par la différenciation ainsi qu’une justification objective de la différenciation envisagée.

12.      Selon l’article 2, paragraphe 2, de la même TEntgV, «les justificatifs des coûts visés au paragraphe 1, point 4, englobent les coûts qui peuvent être imputés directement à la prestation (coûts directs) et les coûts non directement imputables (coûts communs). S’agissant des coûts communs, il y a lieu d’indiquer et d’expliquer comment ils sont imputés aux différentes prestations. Pour effectuer cette imputation, l’entreprise qui a déposé la demande doit prendre en considération les critères fixés par les directives du Conseil adoptées en vertu de l’article 6 de la directive 90/387/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative à l’établissement du marché intérieur des services de télécommunications par la mise en œuvre de la fourniture d’un réseau ouvert de télécommunications (JO L 192, p. 1). Les justificatifs de coûts visés à la première phrase doivent préciser également: 1) la méthode d’évaluation des coûts, 2) le montant des frais de personnel, des amortissements, des frais financiers afférents au capital investi, des frais matériels, 3) l’utilisation de la capacité escomptée et réalisée durant la période de référence et 4) les quantités servant de base au calcul des coûts employées pour la prestation, y compris les prix y afférents, en particulier les parties du réseau public de télécommunications […] et les coûts d’utilisation de ces parties». Selon l’article 2, paragraphe 3, de la TEntgV, «[l]’autorité réglementaire peut refuser une demande d’autorisation tarifaire lorsque l’entreprise ne produit pas les documents visés aux paragraphes 1 et 2 dans leur totalité».

13.      Enfin, l’article 3, paragraphe 1, de la TEntgV prévoit que l’autorité réglementaire est tenue d’examiner les justificatifs produits par l’entreprise ayant déposé la demande afin de déterminer si et dans quelle mesure les tarifs sollicités sont orientés en fonction des coûts d’une prestation de services efficace. Selon le paragraphe 2 de ce même article, ces coûts résultent des coûts supplémentaires à long terme de la prestation et d’un supplément raisonnable au titre des coûts communs indépendants du volume de la prestation, y compris, dans chaque cas, une rémunération raisonnable du capital investi, dans la mesure où ces coûts sont nécessaires à cette prestation. Selon le même article, paragraphe 3, dans le cadre de l’examen des justificatifs, l’autorité réglementaire devra en outre utiliser notamment, à titre comparatif, les prix et les coûts des entreprises qui offrent des prestations de même nature sur des marchés similaires. À cet égard, les particularités des marchés de référence doivent être prises en considération. Finalement, le paragraphe 4 du même article prévoit que, dans la mesure où les coûts justifiés en application de l’article 2, paragraphe 2, excèdent les coûts d’une prestation de services efficace, ils sont réputés être des dépenses non nécessaires aux fins d’une prestation de services efficace. Ce même paragraphe prévoit aussi que ces dépenses, ainsi que d’autres dépenses neutres, ne sont prises en considération dans le cadre de l’autorisation tarifaire que dans la mesure où – et tant que – il existe une obligation légale à cet effet ou que l’entreprise ayant déposé la demande fournit une autre justification objective.

14.      L’autorité réglementaire allemande, par décision du 30 mars 2001, rectifiée le 17 avril suivant, a autorisé, en partie, les tarifs de Deutsche Telekom pour l’accès à la boucle locale (abonnement mensuel pour l’utilisation de la ligne, frais uniques de mise en service et de résiliation) à compter du 1er avril 2001 pour de nombreuses variantes d’accès à des prix différents. Selon le juge de renvoi, pour ce qui est de l’abonnement mensuel, l’autorisation expirait le 31 mars 2003, et, pour le reste, au plus tard le 31 mars 2002.

15.      Le 30 avril 2001, Arcor a introduit un recours par lequel elle a demandé notamment l’annulation en justice de la décision d’autorisation précitée. Elle fait valoir en substance que les tarifs autorisés sont trop élevés. Selon Arcor ils ont été établis sur la base d’une évaluation erronée de la valeur d’investissement de la boucle locale. Les frais financiers et la durée d’amortissement ont été calculés exclusivement sur la base des coûts actuels nécessaires pour mettre en place un réseau local moderne et efficace, de sorte que les tarifs dépasseraient les coûts financiers réels de Deutsche Telekom. Les tarifs violeraient, en somme, le principe de l’orientation en fonction des coûts prévu à l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

16.      Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une longue série de questions préjudicielles, lesquelles pourrait être reformulées afin d’assurer la simplicité des réponses à apporter par la Cour. Ces questions couvrent de façon très exhaustive et transversale tout un ensemble de problèmes posés, dans le contexte précis de la présente affaire, sur et autour de la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts.

17.      Ces questions sont essentiellement au nombre de sept. La première est en substance celle de savoir dans quelle mesure l’article 1er, paragraphe 4, du règlement autorise les États membres, lorsqu’ils adoptent une législation nationale qui précise la notion d’orientation en fonction des coûts, à s’écarter, au détriment des bénéficiaires, de la notion d’orientation en fonction des coûts telle que prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

18.      La deuxième question est celle de savoir si, selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement, l’exigence que les tarifs demandés pour l’accès à la boucle locale soient orientés en fonction des coûts comprend aussi les intérêts et les amortissements calculés. La juridiction de renvoi s’interroge ensuite sur la base du calcul de ces amortissements et intérêts. Doit‑elle être exclusivement la valeur actuelle de remplacement, exprimée en prix courant à la date de l’évaluation, ou faut‑il déduire de cette valeur de remplacement des actifs les amortissements déjà effectués avant la date de l’évaluation?

19.      La quatrième question est, en substance, celle de savoir s’il faut toujours travailler sur la base de justificatifs complets des coûts de l’opérateur notifié, ou s’il est admissible d’avoir recours à des modèles analytiques de coûts et, le cas échéant, quelles sont les exigences à respecter.

20.      La cinquième question concerne la délimitation de la marge d’appréciation des autorités réglementaires nationales lors de l’examen de l’orientation des tarifs en fonction des coûts et la délimitation du contrôle juridictionnel auquel doivent être soumises ces décisions.

21.      Par la sixième question, la juridiction de renvoi veut savoir, en substance, si les concurrents bénéficiaires de l’accès au réseau local de l’opérateur notifié, bien qu’ils ne soient pas destinataires d’une décision d’autorisation tarifaire prise par une autorité réglementaire nationale, doivent disposer d’un droit de recours contre une telle décision lorsqu’ils considèrent que les tarifs ne sont pas orientés en fonction des coûts.

22.      La dernière question concerne, en substance, la question de savoir qui doit supporter la charge de la preuve de l’orientation des tarifs en fonction des coûts, tant dans le cadre de la procédure administrative qui précède la décision d’autorisation tarifaire que dans le cadre d’un recours introduit par un concurrent affecté contre cette décision de l’autorité réglementaire nationale.

II – Analyse

23.      Je commencerais tout d’abord par quelques considérations introductives sur le règlement. Ces considérations concernent l’adoption du règlement dans le contexte de l’ancien cadre réglementaire communautaire des télécommunications, les traits et objectifs essentiels du règlement et le contexte dans lequel il recourt à la notion d’orientation en fonction des coûts. Je passerai ensuite à l’analyse des questions posées par la juridiction de renvoi.

A –    Considérations préliminaires sur le règlement

24.      Le règlement a été adopté en vue, selon son quinzième considérant, de compléter l’ancien cadre réglementaire des télécommunications, en particulier les directives 97/33/CE (5) et 98/10/CE (6). L’article 4, paragraphe 5, du règlement renvoie même expressément à la première de ces directives (7). Bien qu’appartenant à l’ancien cadre réglementaire communautaire des télécommunications, le règlement est resté en vigueur au‑delà du 25 juillet 2003 (8).

25.      La décision d’autorisation tarifaire controversée dans l’affaire au principal est du 30 mars 2001. Elle a autorisé les tarifs de Deutsche Telekom pour l’accès à sa boucle locale pour la période comprise entre le 1er avril 2001 et le 31 mars 2003 pour ce qui est de l’abonnement mensuel; et, pour le reste, au plus tard le 31 mars 2002. Par contre, les dispositions du nouveau cadre réglementaire, selon l’article 28, paragraphe 1, de la directive‑cadre, sont devenues applicables seulement à partir du 25 juillet 2003 (9). L’interprétation des dispositions du règlement doit être effectué dans le contexte et en articulation avec les instruments législatifs qui constituent l’ancien cadre réglementaire des télécommunications (10).

26.      La genèse du règlement dans le contexte de l’ancien cadre réglementaire est facile à comprendre. Les conclusions du Conseil européen tenu en mars 2000 à Lisbonne ont établi comme objectif le développement d’une économie numérique fondée sur la connaissance, en favorisant l’accès à une infrastructure de communications de qualité en Europe, notamment à l’Internet, à prix modérés (11). Le législateur communautaire était bien conscient que la boucle locale était, à l’époque, un des segments les moins concurrentiels du marché libéralisé de télécommunications (12), ce qui empêchait le développement accéléré de l’économie digitale en Europe. De la sorte, le dégroupement de la boucle locale a été considéré, au Conseil européen tenu à Santa Maria da Feira en juin 2000, comme une priorité immédiate. Le règlement est ainsi l’instrument juridique qui met en œuvre le dégroupement de l’accès à la boucle locale de façon uniforme dans tous les États membres. Ce dégroupement de l’accès devrait conduire à l’accroissement de la concurrence, à assurer l’efficacité économique et à offrir les avantages maximaux pour les utilisateurs (13). Il a été mis en place avec une célérité qui pouvait difficilement être atteinte par la voie de l’adoption d’une directive. Le règlement, qui date du 18 décembre 2000, impose aux opérateurs notifiés l’obligation de faciliter aux opérateurs concurrents l’accès à leurs réseaux locaux à partir du 2 janvier 2001.

27.      L’ouverture aux opérateurs concurrents de la boucle locale des anciens opérateurs monopolistiques s’imposait d’autant plus que, comme le rappelle le sixième considérant du règlement (14), il ne serait pas viable en 2001, pour les nouveaux arrivants, de reproduire l’infrastructure de l’accès à la boucle locale de fils de cuivre des opérateurs en place, et que les autres infrastructures (réseaux câble, satellite, boucle locale radio) n’offrent ni la même fonctionnalité ni la même densité de couverture. De plus, il importe aussi de signaler que les infrastructures de boucle locale en Europe ont été largement construites grâce aux recettes issues des prix de monopole que les clients ont dû payer au fil des années pendant lesquelles les opérateurs monopolistiques nationaux ont pu bénéficier de droits exclusifs conférés par les États membres (15).

28.      C’est dans un tel contexte que le règlement vise à réaliser son objectif essentiel: obliger les opérateurs notifiés à fournir l’accès dégroupé à la boucle locale aux opérateurs nouveaux arrivants en vue d’introduire rapidement une concurrence au niveau de la boucle locale qui était inexistante ou très faible à l’époque. Le législateur communautaire a cependant voulu exclure, à juste titre, le risque que l’imposition d’une telle obligation puisse donner lieu à une sorte d’expropriation sans compensation des opérateurs notifiés. Un opérateur notifié aura donc, selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement, le droit de percevoir des tarifs qui lui permettent de couvrir les coûts afférents à la fourniture de l’accès à sa boucle locale, tout en retirant aussi de l’opération une rémunération raisonnable (16). C’est précisément la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts qui est au cœur de la présente affaire.

B –    Sur la première question

29.      Il s’agit ici, en substance, de la question de savoir dans quelle mesure l’article 1er, paragraphe 4, du règlement autorise les États membres, lorsqu’ils adoptent une législation nationale qui précise la notion d’orientation en fonction des coûts – à travers, notamment, une notion plus spécifique de coûts d’une prestation de services efficaces –, à s’écarter, au détriment des bénéficiaires, de la notion d’orientation en fonction des coûts telle que prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

30.      Certaines notions juridiques promettent beaucoup et ont l’apparence d’une grande utilité, mais peuvent cependant devenir de simples épithètes largement vides de signification et d’effet. La notion d’orientation en fonction des coûts, telle que prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement, risque d’être une de ces notions.

31.      Cette notion ne comporte aucun renvoi au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée (17). Il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit communautaire que du principe d’égalité, qu’elle constitue, partant, une notion autonome de droit communautaire à interpréter de façon uniforme (18). Une telle interprétation autonome et uniforme doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de la notion en cause, mais aussi du contexte de la disposition dont elle fait partie et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (19).

32.      Que la notion d’orientation des prix en fonction des coûts est une notion communautaire avec une signification et une portée propres est confirmé, tout d’abord, par deux arrêts dans lesquels la Cour a eu l’occasion de se pencher sur son interprétation, également dans le domaine des télécommunications (20). Le premier est l’arrêt du 25 novembre 2004, KPN Telecom (21). Dans cet arrêt, la Cour a affirmé que les coûts afférents à l’obtention ou à l’attribution des données de base relatives aux abonnés doivent, en tout état de cause, être supportés par le prestataire d’un service de téléphonie vocale et sont déjà inclus dans les coûts et les revenus d’un tel service. Dans ces conditions, le fait de transférer les coûts relatifs à l’obtention ou à l’attribution des données aux personnes demandant l’accès à celles‑ci aboutirait à une surcompensation non justifiée des coûts en question, et serait donc incompatible avec une orientation en fonction des coûts. Selon l’arrêt KPN Telecom, il est inhérent à la notion d’orientation des prix en fonction des coûts qu’elle interdit qu’une partie, dont les prix sont tenus d’être orientés en fonction des coûts, puisse recevoir plusieurs fois la rémunération d’une seule et même prestation.

33.      L’autre arrêt dans lequel la Cour a été confrontée à l’interprétation de la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts est l’arrêt du 13 juillet 2006, Mobistar (22). Dans cet arrêt, la Cour affirme, à propos des tarifs demandés pour assurer la portabilité des numéros de téléphone, que «la directive [ 2002/22/CE] ne s’oppose pas à l’adoption d’une mesure nationale, telle que celle en cause au principal, qui fixe à l’avance et à l’aide d’un modèle théorique des coûts les prix maximaux pouvant être réclamés par l’opérateur donneur à l’opérateur receveur, au titre des coûts d’établissement, dès lors que les tarifs sont fixés en fonction des coûts de telle manière que les consommateurs ne soient pas dissuadés de faire usage de la facilité de la portabilité» (23). La Cour rappelle, cependant, qu’il importe en tout cas que «les nouveaux opérateurs aient la possibilité effective de contester l’application des prix maximaux par les opérateurs déjà présents sur le marché en démontrant que ces prix sont trop élevés par rapport à la structure des coûts de ces opérateurs» (24).

34.      En ce qui concerne la détermination de la signification et de la portée précises de la notion d’orientation en fonction des coûts, telle que prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement, elle ne s’avère pas évidente, comme d’ailleurs la présente affaire l’atteste bien. Le règlement évoque la notion de coûts sans aller plus loin en ce qui concerne sa définition, et la notion de coûts n’est pas univoque: il y a plusieurs coûts, méthodes et modèles de calcul de coûts envisageables.

35.      Lorsque le législateur communautaire n’a pas donné d’indications précises sur les éléments, les méthodes et les modèles de coûts à utiliser, je suis d’avis, tout comme, pour l’essentiel, les parties intervenantes dans la présente affaire, que le règlement laisse une inévitable marge de manœuvre aux États membres lors de la mise en œuvre de cette notion. Cette latitude permettra, a priori, aux législateurs nationaux de déterminer des éléments des coûts particuliers du fournisseur de la boucle locale à prendre en compte et, notamment, de préciser les coûts relevants de l’opérateur notifié comme étant ceux limités aux coûts d’une prestation de services efficace, et aussi de définir la méthode et les modèles de calcul des coûts afférents à la fourniture de la boucle locale à utiliser. C’est du reste l’article 1er, paragraphe 4, du règlement qui dispose expressément que les États membres ont le droit «de maintenir ou d’introduire […] des mesures qui contiennent des dispositions plus détaillées que celles qui figurent dans le présent règlement».

36.      Il se vérifie, cependant, comme cette même disposition le rappelle aussi, que cette marge d’intervention législative doit s’exercer «dans le respect du droit communautaire» (25). La marge de manœuvre dont disposent les États membres pour introduire des dispositions plus détaillées en vue de concrétiser les éléments, les méthodes et les modèles de coûts à adopter sera nécessairement balisée par les limites qui résultent de l’interprétation de la notion communautaire d’orientation en fonction des coûts.

37.      Au-delà des limites inhérentes à la notion générale d’orientation en fonction des coûts, révélées, notamment, par les arrêts KPN Telecom et Mobistar, précités, et de la limite évidente, selon laquelle cette notion interdit des tarifs fondés sur des éléments étrangers aux coûts (26), il y a d’autres limites qui résultent de l’interprétation de cette notion dans le contexte spécifique du règlement. L’économie globale et les finalités du règlement, déjà rappelées, nous indiquent ces limites, mettant ainsi en évidence le caractère instrumental du principe d’orientation en fonction des coûts pour la réalisation de l’objectif central visé par législateur communautaire d’assurer un dégroupement effectif et immédiat de l’accès à la boucle locale et, partant, l’introduction et le développement de la concurrence sur le marché de l’accès local (27). Le principe de l’orientation en fonction des coûts vise précisément à empêcher des tarifs excessifs que, en l’absence d’un tel outil limitatif, les opérateurs notifiés auraient une tendance naturelle à demander pour assurer le maintien de leur position privilégiée (28). Cette notion empêche, par conséquent, que, par la voie d’une demande de tarifs élevés, l’accomplissement de l’objectif central du règlement de promouvoir la concurrence au niveau du réseau local puisse être mis en cause (29).

38.      L’interprétation de cette notion communautaire fait ainsi ressortir qu’elle impose un critère substantiel de limitation des tarifs demandés par l’opérateur notifié, duquel un État membre ne peut pas s’écarter au détriment des concurrents bénéficiaires de l’accès.

39.      Je suis ainsi d’avis que la Cour doit répondre à cette première question que les articles 1er, paragraphe 4, et 3, paragraphe 3, du règlement doivent être interprétés en ce sens que la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts constitue une exigence de limitation des tarifs demandés par l’opérateur notifié pour l’accès à sa boucle locale qui, nonobstant la marge qu’elle offre en ce qui concerne sa mise en œuvre concrète au niveau national, ne peut pas être écartée au détriment des bénéficiaires de l’accès à la boucle locale.

C –    Sur la deuxième question

40.      La deuxième question a trait à la question de savoir si, selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement, l’exigence que les tarifs demandés pour l’accès à la boucle locale soient orientés en fonction des coûts comprend aussi les intérêts et les amortissements calculés. Les parties intervenantes dans la présente affaire sont d’accord sur le fait que l’application du principe de l’orientation en fonction des coûts comprend aussi les amortissements et les intérêts des capitaux investis qui font ainsi partie des coûts de l’opérateur notifié.

41.      Il s’agit ici de coûts de capital qui jouent un rôle central dans le contexte de réseaux téléphoniques qui sont, de toute évidence, des installations à forte intensité de capital. Apparemment, les amortissements des actifs utilisés et les intérêts du capital investi représentent même la partie la plus importante des coûts inhérents à la prestation de services de télécommunications.

42.      En ce qui concerne les amortissements, ils traduisent une répartition des coûts en capital des actifs immobilisés soumis à une usure au cours du temps (coûts qui sont engagés, en principe, sous la forme d’une somme globale initiale) sur la durée de la vie économique de ces actifs. Cette répartition, exprimée en montants annuels nommés «amortissements», permet d’accompagner l’obtention de revenus qui aura lieu, évidemment, non sous la forme d’une somme globale initiale, mais au long de la durée de vie des actifs immobilisés utilisés pour la fourniture du service en cause. En ce qui concerne les intérêts, si le passif d’un opérateur notifié comporte un financement par emprunt utilisé, par exemple, pour investir sur la boucle locale, les intérêts à payer aux prêteurs feront naturellement partie des coûts de l’opérateur notifié.

43.      Il est hors de doute que les amortissements et les intérêts des capitaux investis sont des frais qui relèvent de l’exploitation normale d’une entreprise et qui constituent, ainsi, des éléments de coûts de cette entreprise (30). Ils pourront de la sorte être répercutés et récupérés par l’opérateur notifié par la voie des tarifs demandés aux opérateurs concurrents pour l’accès à sa boucle locale.

44.      Je suggère donc à la Cour de répondre à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi en ce sens que l’article 3, paragraphe 3, du règlement, lorsqu’il prévoit l’exigence que les tarifs demandés pour l’accès à la boucle locale soient orientés en fonction des coûts, comprend aussi les intérêts et les amortissements calculés.

D –    Sur la troisième question

45.      Par cette question, on entre dans le nœud de l’affaire. Quelle doit être la base du calcul des amortissements et des intérêts calculés? Exclusivement la valeur actuelle de remplacement des actifs, exprimée en prix courant à la date de l’évaluation? Ou faudra‑t‑il déduire de cette valeur de remplacement les amortissements déjà effectués avant la date de l’évaluation?

46.      Le libellé du règlement ne dit rien sur la méthode de calcul des coûts à adopter pour respecter l’orientation des tarifs en fonction des coûts. Il est ainsi sans vraie surprise que l’on constate la grande diversité des avis des parties intervenantes dans cette affaire sur la réponse à apporter à cette question.

47.      Malgré l’absence d’indications expresses dans le règlement sur la méthode de calcul des coûts, la directive 97/33, qui fait partie intégrante du cadre réglementaire que le règlement visait à compléter, semble admettre, dans son annexe V, relative au système de comptabilisation des coûts de l’interconnexion, que pourront être utilisés lors de la vérification des tarifs soit les coûts de remplacement actuels (c’est‑à‑dire ceux qui sont «fondés sur une estimation des frais de remplacement du matériel ou des systèmes»), soit les coûts «fondés sur les dépenses effectives engagées pour le matériel et les systèmes».

48.      Le treizième considérant du règlement fait, en outre, une référence expresse à la recommandation 2000/417 de la Commission et à la communication de la Commission du 26 avril 2000 (31) en indiquant qu’elles donnent des orientations détaillées pour aider les autorités réglementaires nationales à réglementer l’accès à la boucle locale. Cette référence peut, à juste titre, être considérée comme une indication que le législateur communautaire préconisait, lors de l’interprétation d’une notion centrale comme celle de l’orientation des tarifs en fonction des coûts, qu’il fallait prendre en compte la position établie à cet égard par la Commission dans ces deux documents. Or, au point 6 de la recommandation 2000/417, concernant la tarification, on trouve, spécifiquement sur les coûts de capital, «qu’une approche prospective reposant sur les coûts actuels […] permettra en principe d’encourager une concurrence équitable et durable et créer de nouvelles incitations aux investissements. Cependant, si cette situation est susceptible d’entraîner des distorsions de concurrence à court terme, par exemple lorsque les tarifs pratiqués par l’opérateur notifié […] restent déséquilibrés sur la base des coûts actuels, il est recommandé que les autorités réglementaires nationales fixent […] une période d’une durée raisonnable qui permettra d’adapter progressivement les prix de l’accès à la boucle locale aux coûts actuels». Cette même recommandation décrit les coûts actuels comme ceux «que représentent, aujourd’hui, la construction d’une infrastructure moderne équivalente efficace» (32).

49.      La communication de la Commission du 26 avril 2000, pour sa part, indique, au point 6, que, en ce qui concerne les prix et les coûts, les autorités réglementaires nationales doivent respecter une série de principes. Premièrement, les règles en matière d’évaluation des coûts et de tarification doivent être transparentes et fondées sur une base objective. Deuxièmement, les règles en matière de tarification doivent permettre à l’opérateur en place de couvrir les coûts correspondants qu’il a engagés et d’obtenir en sus une rémunération raisonnable. Elles doivent aussi être compatibles avec l’objectif consistant à promouvoir une concurrence loyale et durable et à créer des incitations efficaces aux investissements dans les infrastructures. La Commission affirme, en plus, à cet égard, dans la même communication que, en principe, cet objectif est réalisable si l’on adopte un système de tarification fondé sur les coûts actuels. Cette communication suit la même notion de coûts actuels qui a aussi été énoncée dans la recommandation 2000/417. Finalement, les règles de tarification doivent garantir qu’il n’y a pas de distorsion du marché et, notamment, pas d’effet de ciseaux sur les marges entre les prix de gros et de détail des services offerts par l’opérateur en place. La Commission signale, après, que ces principes peuvent se contredire dans certains cas. Dans de telles circonstances, il se peut que les autorités réglementaires nationales soient amenées à envisager des mesures transitoires permettant d’éviter que la concurrence ne soit faussée à court terme.

50.      Les éléments que je viens de présenter révèlent que les autorités réglementaires nationales disposent d’une large marge d’appréciation pour choisir et appliquer, selon les circonstances qui sont propres à chaque État membre au moment de l’examen des tarifs, la méthode de calcul des coûts relevants de l’opérateur notifié qu’elles considèrent comme la plus appropriée. Cependant, ces mêmes éléments et, tout d’abord, le règlement considéré à la lumière de sa raison d’être et de ses objectifs, mettent également en évidence qu’il y a des limites inhérentes à la notion d’orientation en fonction des coûts, qu’il faudra, en tout cas, respecter.

51.      Il importe de retenir, en substance, qu’une décision comme celle en l’espèce qui fixe les tarifs d’accès à la boucle locale de l’opérateur notifié doit résulter d’une pondération équilibrée entre deux principes antagonistes. D’un côté, l’objectif essentiel du règlement d’assurer un dégroupement effectif et immédiat de l’accès à la boucle locale et la promotion consécutive de la concurrence sur le marché de l’accès local. D’un autre côté, il faut que les tarifs autorisés ne soient pas à un niveau tel qu’elles mettraient en échec l’investissement en infrastructures. La notion d’orientation en fonction des coûts prévue par le règlement, dûment interprétée, impose ainsi, comme limite, qu’une décision d’autorisation des tarifs d’accès en fonction des coûts résulte d’une considération équilibrée et proportionnelle de ces deux principes (33).

52.      L’adoption d’une méthode de calcul de coûts qui représentent les amortissements et les intérêts, fondée exclusivement sur la valeur de remplacement à prix courants du réseau local par un réseau équivalent efficace et moderne – c’est‑à‑dire sur les coûts bruts de remplacement des actifs –, peut respecter l’équilibre nécessaire entre ces deux principes. On peut penser, notamment, à la situation dans laquelle le réseau existant, bien que totalement amorti, était, au moment de l’imposition de l’obligation de dégroupement de l’accès à la boucle locale, très proche de la fin de sa vie utile, et ainsi avec une valeur intrinsèque très basse. Dans de telles circonstances, le fait qu’une autorité réglementaire nationale privilégie un modèle fondé sur les coûts bruts de remplacement peut s’avérer pleinement justifié et proportionnel, pourvu que l’incitation à l’investissement dans la construction de nouvelles infrastructures soit l’objectif qui jouisse vraiment de la prééminence.

53.      Cependant, lorsque est en cause, comme semble être le cas de l’espèce, un réseau local utilisable et utilisé en pratique, avec une valeur intrinsèque encore significative et déjà amortie (au moins partiellement), l’utilisation de la méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement confère, prima facie, une importance disproportionnée à l’incitation à l’investissement. La notion communautaire d’orientation en fonction des coûts implique, en effet, que les deux principes évoqués soient assurés de façon équilibrée.

54.      L’adoption d’une telle méthode est de nature à réduire la marge des opérateurs concurrents nouveaux arrivés sur le marché pour offrir aux consommateurs une diminution significative des prix qui permette de les convaincre de changer de fournisseur de services de télécommunications. Il mérite d’être signalé, à cet égard, que la Commission a considéré dans sa décision 2003/707/CE que les tarifs controversés dans la présente affaire, établis par la décision de l’entité réglementaire allemande du 30 mars 2001, ont donné lieu à un effet de ciseau, en infraction à l’article 82 CE, commis par Deutsche Telekom jusqu’en mai 2003 (34). Cette décision de la Commission fait actuellement l’objet d’un recours devant le Tribunal (35). Sans préjuger de son bien‑fondé, cette décision peut légitimement soulever des doutes sur la mesure dans laquelle la décision tarifaire controversée assure l’investissement en infrastructures de façon équilibrée et proportionnelle par rapport à l’objectif primaire du règlement de promouvoir la concurrence sur le marché de l’accès au réseau local métallique.

55.      Lorsque, dans le cadre de l’accès à un réseau local existant et utilisable comme celui de Deutsche Telekom, une autorité réglementaire nationale se fonde sur les coûts bruts de remplacement pour déterminer les intérêts et amortissements que les tarifs doivent couvrir, la décision d’autorisation tarifaire en cause ne peut pas laisser de doutes quant au respect de l’équilibre entre l’incitation à l’investissement (que l’adoption d’une telle méthode vise clairement à assurer) et la promotion de la concurrence sur le marché de l’accès à la boucle locale. L’absence de concurrence au niveau de la boucle locale en Europe, au 1er janvier 2001, était précisément la raison pour laquelle le règlement a été adopté et tout indique qu’en Allemagne, au moment de l’autorisation tarifaire en cause, le 30 mars 2001, la concurrence sur le marché du réseau local était très faible.

56.      Force est de constater que l’adoption d’une méthode de calcul fondée exclusivement sur les coûts actuels de remplacement implique que les opérateurs concurrents sont tenus de payer pour accéder au réseau existant le même montant qu’ils doivent payer pour construire un nouveau réseau équivalent.

57.      Or, si un opérateur concurrent décide d’investir dans une nouvelle infrastructure, il supportera, tout d’abord, des coûts inhérents à une telle construction, avant que l’infrastructure soit opérationnelle. Pour bénéficier, entre‑temps, du dégroupage de l’accès à la boucle locale prévu par le règlement, il sera tenu de payer un montant qui correspondra largement au coût d’investissement dans une nouvelle infrastructure. L’opérateur concurrent devra donc supporter les coûts de construction de son propre réseau et, en même temps, payer à l’opérateur notifié pour investir lui‑même dans une nouvelle infrastructure.

58.      Afin d’éviter de tels coûts «doubles», un opérateur concurrent aura deux possibilités. Il peut, d’abord, entamer la construction de son propre réseau et renoncer à demander l’accès à la boucle locale de l’opérateur notifié. Une telle option est de nature à faciliter à l’opérateur notifié le maintien de sa position dominante au niveau du réseau d’accès local, ce qui est précisément le contraire de ce que le règlement vise à réaliser. L’opérateur concurrent aura, comme alternative, la possibilité de renoncer à construire son propre réseau et de demander l’accès. Là, il sera tenu de payer à l’opérateur notifié un tarif qui, en tant que fondé sur les coûts bruts de remplacement, vise à permettre à l’opérateur notifié de construire un nouveau réseau. Il est clair, cependant, que l’opérateur notifié n’est évidemment pas obligé de le faire, restant ainsi libre d’utiliser le produit des tarifs reçus pour n’importe quelles autres fins.

59.      Ces considérations mettent en évidence que, sauf si la décision d’autorisation tarifaire révèle clairement que les deux principes mentionnés ont été dûment pris en compte de façon équilibrée, l’adoption d’une méthode fondée sur les coûts bruts de remplacement, lorsque le réseau local de l’opérateur notifié est encore opérationnel et utilisable, est incompatible avec le principe de l’orientation en fonction des coûts et des objectifs visés par le règlement.

60.      S’oppose à cette conclusion, cependant, l’argument avancé par Deutsche Telekom et par la République fédérale d’Allemagne, selon lequel autoriser des tarifs sur la base d’une valeur inférieure au coût actuel de remplacement, notamment par la déduction des amortissements déjà effectués, impliquerait une renonciation à l’objectif du règlement d’inciter à l’investissement en infrastructures.

61.      L’analyse de cet argument présuppose une distinction entre l’incitation à l’investissement dans les constructions de nouveaux réseaux locaux métalliques parallèles à celui de Deutsche Telekom, et l’incitation à l’investissement en infrastructures alternatives, comme la télévision par câble ou autres.

62.      Pour ce qui est du premier type d’investissement, l’adoption d’une méthode de calcul de coûts financiers fondée sur les coûts bruts de remplacement du réseau local de l’opérateur notifié serait, certes, de nature à créer une telle incitation. Il semble cependant non rentable et inefficace, pour ne pas dire une aberration en termes d’économie de ressources et de l’objectif d’assurer des prix plus bas pour les clients, de doubler une boucle locale existante lorsque celle‑ci est encore utilisable (36). Si tel était le cas au moment de l’autorisation tarifaire en Allemagne, ce qu’il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier, l’argument selon lequel il se justifie d’adopter une méthode de calcul de coûts bruts de remplacement pour inciter à l’investissement dans de nouvelles infrastructures en cuivre parallèles à celle de Deutsche Telekom tombe de lui-même.

63.      Pour ce qui est de l’incitation à l’investissement dans des infrastructures alternatives, il faut signaler que fixer les tarifs pour l’accès à la boucle locale existante en fonction des coûts actuels de remplacement par un réseau local équivalent nouveau ne reflète pas nécessairement les coûts inhérents à la construction de ces infrastructures alternatives. En effet, une décision de construire un réseau de télévision câblée, une boucle locale «wireless radio», ou autre, impliquera nécessairement de prendre en compte – au-delà du fait que la technologie en cause doit être effectivement disponible – d’une part une valeur d’investissement différente de celle qui serait nécessaire pour construire un nouveau réseau local en cuivre, et d’autre part le fait que les fonctionnalités et potentialités économiques inhérentes aux infrastructures alternatives sont différentes des fonctionnalités offertes par le réseau local en cuivre (37). Établir des tarifs à un niveau inférieur à celui qui résulterait de l’application d’une méthode exclusive de coûts actuels de remplacement de la boucle locale pourra, donc, ne pas être de nature à dissuader décisivement l’investissement dans ces infrastructures alternatives.

64.      Il appartiendra ainsi à la juridiction nationale de vérifier si la décision d’autorisation tarifaire controversée en l’espèce contient des éléments justificatifs de l’adoption de la méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement et, de la sorte, si la décision en cause révèle que les deux principes déjà mentionnés ont été, tous les deux, pris en compte de façon équilibrée et proportionnelle. En l’absence de ces justifications, procéder au calcul des amortissements et des intérêts que les tarifs doivent couvrir sur la base d’une méthode de coûts bruts de remplacement est incompatible avec le règlement.

65.      En résumé, deux possibilités de justification peuvent être avancées. Premièrement, comme je l’ai rappelé plus haut (38), il est possible que l’âge avancé du réseau justifie d’avoir recours à une méthode fondée sur les coûts bruts de remplacement. Deuxièmement, il est possible que, comme je l’ai souligné au point 63, dans les conditions propres à l’Allemagne au moment de l’autorisation tarifaire, l’investissement en technologies alternatives disponibles à l’époque et avec des fonctionnalités équivalentes à l’infrastructure locale en cuivre de Deutsche Telekom serait découragé de façon significative si les tarifs étaient fixés à un niveau inférieur à celui qui résulte de l’application d’une méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement du réseau.

66.      En l’absence d’une de ces deux justifications, il s’impose de conclure qu’il sera contraire à la notion d’orientation en fonction des coûts de prendre exclusivement comme base de calcul des coûts la valeur actuelle de remplacement des actifs, exprimée en prix courants à la date de l’évaluation.

67.      Au cas où la juridiction de renvoi conclut, à la lumière des considérations précédentes, que l’adoption par l’autorité réglementaire d’une méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement est incompatible avec l’orientation en fonction des coûts, il se pose, ensuite, la question de savoir si cette notion d’orientation en fonction des coûts impose la déduction des amortissements déjà effectués.

68.      Si la juridiction de renvoi arrive à une telle conclusion, cela implique que les tarifs autorisés devraient avoir été fixés à un niveau inférieur à la valeur résultant de l’application de la méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement des actifs. L’interprétation de la notion d’orientation en fonction des coûts ne permet pas, cependant, de préciser les éléments spécifiques de coûts qu’il faudra déduire de façon à concrétiser le passage d’une méthode de calcul fondée sur les coûts bruts de remplacement des actifs, à une méthode fondée sur les coûts nets de remplacement. Procéder à une déduction des amortissements déjà effectués aboutira, certes, à l’utilisation d’une méthode légitime de calcul fondée sur des coûts nets de remplacement. Je n’exclurais pas, cependant, que d’autres notions de coûts nets de remplacement puissent être également acceptables. Je pense, par exemple, à la notion de coûts nets de remplacement compris comme le prix à payer pour remplacer l’actif par un autre actif d’âge et de caractéristiques similaires. La valeur en coûts actuels de l’actif de l’opérateur notifié qui servirait de base pour le calcul des intérêts et des amortissements pourrait ainsi être établie en fonction de tels coûts nets de remplacement ou de la valeur intrinsèque actuelle du réseau, selon celui des deux qui est le moins important (39).

69.      En résumé, je suis d’avis que, lorsque les tarifs calculés sur la base des coûts actuels de remplacement s’avèrent déséquilibrés dans les circonstances existantes au moment de l’autorisation tarifaire, la fixation des tarifs à un montant inférieur devra avoir lieu soit par la déduction des amortissements déjà effectués, soit par une autre voie possible à définir au niveau national qui permette de fixer les prix de l’accès à la boucle locale à un niveau inférieur à ce qui résulte exclusivement de la méthode des coûts actuels de remplacement.

70.      Deutsche Telekom s’oppose à une fixation des tarifs à un niveau inférieur. Elle affirme, à cet égard, que, du fait que le réseau existant est déjà fortement amorti, déduire les amortissements antérieurs risquerait de procurer aux opérateurs concurrents un accès gratuit ou presque gratuit à sa boucle locale, ce qui l’empêcherait, illégitimement, de tirer tout profit de sa propriété. Je ne partage pas ce point de vue.

71.      Il ne fait pas de doute que le règlement reconnaît à l’opérateur notifié le droit à une rémunération raisonnable de l’opération de fourniture de la boucle locale aux opérateurs concurrents (40). Même si le réseau local de Deutsche Telekom est, éventuellement, amorti dans sa totalité, le règlement s’opposera à ce que les tarifs soient fixés à zéro ou à un niveau proche de la gratuité.

72.      Cependant, contrairement à ce qu’en substance Deutsche Telekom soutient, le règlement n’implique pas que seuls les tarifs autorisés en fonction de l’application d’une méthode de calcul fondée sur les coûts actuels bruts de remplacement du réseau sont aptes à assurer une rémunération raisonnable à l’opérateur notifié. Il y a plusieurs tarifs inférieurs qui, dans les circonstances propres à la République fédérale d’Allemagne au moment de l’autorisation tarifaire, pourraient être aptes à promouvoir la concurrence au niveau de la boucle locale sans dissuader de façon décisive l’investissement dans des infrastructures alternatives et qui, en même temps, seraient de nature à assurer une rémunération raisonnable pour l’opérateur notifié conformément au règlement. Le droit de Deutsche Telekom à obtenir une rémunération raisonnable constitue, simplement, une limite inférieure que les autorités réglementaires sont tenues de respecter lors d’une décision d’autorisation tarifaire. Il ne permet pas de considérer des tarifs fixés en fonction de coûts bruts de remplacement des actifs comme les seuls tarifs qui sont de nature à assurer une rémunération raisonnable à l’opérateur notifié. Autrement dit, ce n’est pas le tarif qui incite le plus à l’investissement en infrastructures qui est le seul qui confère une rémunération raisonnable à l’opérateur notifié. Il y a d’autres tarifs de valeur inférieure susceptibles d’assurer une telle rémunération.

73.      À la lumière des considérations qui précédent, je suggère à la Cour de répondre de la façon suivante à la troisième question: la notion d’orientation en fonction des coûts, prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement, doit être interprétée en ce sens qu’elle impose qu’une décision d’autorisation tarifaire, telle que celle en l’espèce, effectue une pondération équilibrée et proportionnelle, en fonction des circonstances existantes au moment de l’autorisation tarifaire, entre le but central du règlement de promouvoir la concurrence sur le marché de l’accès à la boucle locale, et la nécessité d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures. Il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier, à la lumière de ces considérations, si la décision d’autorisation tarifaire controversée contient des éléments justificatifs adéquats de l’adoption de la méthode de calcul des amortissements et des intérêts que les tarifs doivent couvrir comme exclusivement fondée sur la valeur actuelle de remplacement des actifs, exprimée en prix courants à la date de l’évaluation. En l’absence de tels éléments justificatifs, la notion communautaire de l’orientation des tarifs en fonction des coûts impose que les tarifs d’accès soient fixés à un montant inférieur à ce qui résulte de l’application d’une telle méthode de calcul des coûts financiers, notamment grâce à la déduction des amortissements déjà effectués avant la date de l’évaluation.

E –    Sur la quatrième question

74.      Le Verwaltungsgericht Köln veut savoir, en substance, si le droit communautaire impose que les autorités réglementaires nationales travaillent sur la base de justificatifs complets des coûts de l’opérateur notifié ou s’il est admissible d’avoir recours à des modèles analytiques de coûts et, le cas échéant, quelles seront les exigences à respecter.

75.       L’autorité réglementaire allemande, comme le rappelle le juge de renvoi, a considéré que les justificatifs des coûts présentés par Deutsche Telekom étaient incomplets et pas suffisamment probants. En l’absence de tels justificatifs, l’autorité réglementaire a donc eu recours à un modèle analytique ascendant ou «bottom up» pour calculer les coûts pertinents de l’opérateur notifié et, notamment, les amortissements et intérêts calculés. Il s’agit, en substance, d’un modèle économique théorique qui permet de déterminer la valeur de l’investissement actuellement nécessaire pour construire un réseau local en cuivre, moderne, efficace et équivalent à celui qui existe. Ce modèle se fonde donc sur les coûts qu’un opérateur efficace aurait engagés pour acquérir et faire fonctionner le réseau (41). Un tel modèle se distingue d’un modèle descendant «top down» fondé plutôt sur les coûts réels de l’opérateur notifié. Bien que ces coûts soient vérifiés sous l’angle de leur efficacité par l’utilisation, notamment, d’une approche prospective comme celle des coûts incrémentaux de long terme, ce sont, en tout cas, les coûts de l’opérateur notifié qui restent déterminants à la base.

76.       Je suis d’avis que ni le texte du règlement ni sa raison d’être ni la jurisprudence de la Cour sur la notion d’orientation en fonction des coûts ne sont de nature à empêcher les autorités réglementaires d’utiliser des modèles théoriques de coûts, notamment des modèles du type ascendant.

77.      Ces modèles peuvent servir, notamment, pour limiter, selon un critère d’efficacité, des tarifs qui, selon les coûts réels invoqués par l’opérateur notifié, seraient plus élevés. La recommandation 98/322 (42) révèle précisément comment l’application d’un modèle économique ascendant peut apporter des informations sur des inefficacités qui résulteraient de l’application d’un modèle qui comprendrait des actifs excessifs par rapport aux besoins. Une telle utilisation d’un modèle théorique ascendant de coûts reflète précisément une application coordonnée ou hybride du modèle analytique ascendant avec un modèle descendant fondé sur les données relatives aux coûts de l’opérateur notifié (43).

78.      Aussi bien l’arrêt Mobistar, précité, s’oriente en ce sens d’une utilisation analogue d’un modèle analytique. Dans cet arrêt, la Cour accepte, à propos des tarifs demandés en vue d’assurer la portabilité des numéros de téléphone, la fixation à l’avance de prix maximaux pouvant être réclamés par l’opérateur à l’aide d’un modèle théorique des coûts, dès lors que les tarifs sont fixés en fonction des coûts de telle manière que les consommateurs ne soient pas dissuadés de faire usage de la facilité de la portabilité. La Cour souligne aussi qu’il n’est pas du tout exclu que ces prix maximaux puissent s’avérer «trop élevés» par rapport à la structure des coûts des opérateurs (44). Dans ce cas, il faudra évidemment que les prix soient fixés, selon les coûts réels de l’opérateur, au‑dessous de la valeur qui résulte de l’application du modèle théorique ascendant de coûts.

79.      La question qui se pose dans la présente affaire n’est pas, cependant, celle de savoir si le droit communautaire permet aux autorités réglementaires d’utiliser de tels modèles. Ce qui est en cause, c’est le problème de savoir si, lorsqu’une autorité réglementaire nationale constate que les justificatifs que l’opérateur a présentés, relatifs aux coûts allégués comme base de calcul des intérêts et des amortissements calculés, sont incomplets et pas suffisamment probants, elle peut autoriser des tarifs sur la base alternative des coûts «efficaces» qui résultent de l’application d’un modèle théorique ascendant basé sur la valeur d’investissement dans la construction d’un nouveau réseau local. Il s’agit donc de déterminer si le droit communautaire impose des limites à un remplacement de justificatifs de coûts réels de l’opérateur notifié par l’utilisation d’un modèle théorique de coûts d’un opérateur efficace et, le cas échéant, quelles sont ces limites.

80.      Il y a un large consensus des parties intervenantes dans la présente affaire en ce sens qu’il ne serait pas acceptable que toute demande d’autorisation de tarifs doive être refusée lorsqu’elle ne serait pas justifiée à cent pour cent par des justificatifs des coûts de l’opérateur notifié. Toutefois, un minimum d’éléments justificatifs des coûts réels de l’opérateur notifié sera, évidemment, indispensable pour que l’autorité réglementaire nationale puisse vérifier si les tarifs respectent l’exigence de l’orientation en fonction des coûts. Les autorités réglementaires nationales disposent, donc, d’une marge d’appréciation pour déterminer quels justificatifs de coûts réels de l’opérateur sont dispensables et susceptibles d’être remplacés par l’utilisation d’un modèle analytique de coûts ascendant. Cette marge d’appréciation trouve, cependant, des limites qui résultent du règlement. Au-delà des exigences de transparence, de non‑discrimination et d’objectivité, l’exercice de cette marge d’appréciation doit aussi respecter les limites qui découlent de l’interprétation de la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts avec la signification autonome et les objectifs déjà identifiés.

81.      Selon l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement, une autorité réglementaire nationale est habilitée «à demander aux opérateurs notifiés de lui fournir des informations pertinentes pour la mise en œuvre du présent règlement». Parmi ces informations se trouvent évidemment celles qui sont nécessaires, dans le cadre d’une procédure d’autorisation de tarifs pour l’accès à la boucle locale, pour attester de la conformité des tarifs à l’orientation en fonction des coûts, prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement. Le règlement ne contient pas de dispositions plus précises sur les justificatifs de coûts nécessaires pour déterminer les coûts afférents à la fourniture de l’accès à la boucle locale vers lesquels les tarifs doivent s’orienter.

82.      Cependant, l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33 affirme expressément que «la charge de la preuve que les redevances sont déterminées en fonction des coûts réels, y compris un rendement raisonnable des investissements», incombe à l’opérateur notifié. Les États membres, selon l’article 7, paragraphe 5, deuxième phrase, de cette même directive, sont aussi tenus de veiller à l’adoption de systèmes de comptabilisation de coûts qui conviennent à la mise en œuvre, notamment, des exigences d’orientation en fonction des coûts et qui s’appuient sur des documents suffisamment détaillés, tels qu’indiqués à l’annexe V. Cette annexe V prévoit, notamment, les éléments qui, en vue d’assurer la transparence du calcul des redevances d’interconnexion, doivent figurer dans les informations publiées.

83.      La comptabilisation des coûts des opérateurs joue ainsi un rôle central dans le cadre réglementaire des télécommunications (45), y compris, naturellement, le régime légal du dégroupement de l’accès à la boucle locale établi par le règlement. Les coûts afférents à la fourniture de la boucle locale par l’opérateur notifié, c’est-à-dire ses coûts passibles d’être identifiés dans ses instruments comptables, assument un caractère central lors de la vérification de l’orientation des tarifs d’accès à la boucle locale en fonction des coûts (46). Je partage, à cet égard, l’avis d’Arcor selon lequel la préoccupation du législateur communautaire d’assurer l’adoption de systèmes de comptabilisation de coûts appuyés sur des documents suffisamment détaillés deviendrait inutile si, lorsque l’opérateur notifié se limite à fournir des justificatifs incomplets sur sa structure de coûts et, notamment, sur les amortissements et les intérêts relatifs à son réseau local, l’autorité réglementaire nationale faisait tout simplement usage d’un modèle théorique de coûts d’un opérateur efficace virtuel pour établir ces amortissements et intérêts.

84.      Le principe d’orientation en fonction des coûts se réfère d’abord aux coûts de l’opérateur notifié, c’est‑à‑dire aux coûts réels «afférents» à sa fourniture d’accès à une boucle locale existante qui est la sienne (47). Or, afin de vérifier la compatibilité des tarifs avec les coûts de l’opérateur notifié, on ne peut que prendre comme point de départ pour les établir des documents comptables de l’opérateur notifié. Il serait méthodologiquement incorrect de prendre comme fondement central pour établir les coûts de l’opérateur notifié afférents à la fourniture de l’accès à son réseau, non les documents justificatifs de ses coûts mais, plutôt, un modèle analytique ascendant qui indique les coûts afférents à la fourniture d’une boucle locale moderne et efficace à construire de nouveau par un opérateur efficace virtuel. En effet, les coûts réels afférents à un réseau local existant peuvent être très inférieurs aux coûts calculés selon un tel modèle théorique ascendant.

85.      Lorsque le réseau local existant est déjà largement amorti, bien qu’il maintienne encore une valeur intrinsèque élevée, prendre comme base essentielle pour calculer les intérêts et amortissements calculés un modèle théorique ascendant et non les justificatifs des coûts réels produirait des conséquences contraires aux objectifs visés par le principe de l’orientation en fonction des coûts. Les tarifs ainsi autorisés sur la base d’un tel modèle seraient plus élevés que ceux qui résulteraient de la considération de la structure de coûts financiers réels de l’opérateur notifié.

86.      L’utilisation d’un modèle analytique ascendant dans de telles circonstances ne serait pas, donc, de nature à apporter des corrections, selon des critères d’efficacité, lors du calcul des amortissements et des intérêts résultant de la considération de la structure de coûts réels de l’opérateur notifié. L’utilisation d’un tel modèle ne servirait pas, non plus, à établir la valeur des amortissements et des intérêts actuellement supportés par l’opérateur notifié relatifs à son réseau existant, déjà amorti (au moins en partie) et encore utilisable.

87.      Je voudrais souligner aussi que, lorsqu’une autorité réglementaire nationale utilise un modèle théorique ascendant en substitution des justificatifs des amortissements et des intérêts que l’opérateur notifié doit supporter relatifs à son réseau local largement amorti et encore utilisable, cela incite ce dernier à sélectionner stratégiquement les justificatifs de coûts à fournir à l’autorité réglementaire, de sorte que les tarifs soient, à la fin, autorisés en fonction des coûts réels ou en fonction des coûts efficaces, selon ceux des deux qui sont lesplus élevés. L’opérateur notifié peut, de son propre fait, ne pas apporter certains justificatifs relatifs à sa structure de coûts quand l’application d’un modèle de coûts analytique «bottom up» est susceptible d’indiquer des coûts de capital plus élevés et, par conséquent, aussi des tarifs d’accès plus élevés.

88.      L’autorité réglementaire nationale dispose certes, comme je l’ai déjà affirmé, d’une marge d’appréciation en ce qui concerne des justificatifs qu’elle ne considère pas indispensables. L’exercice de cette liberté ne doit pas, cependant, faciliter l’adoption de comportements stratégiques par les opérateurs notifiés lors du calcul des coûts financiers représentatifs des amortissements et des intérêts relatifs à la boucle locale concrète de l’opérateur notifié.

89.      Je pense, finalement, que la réponse à la présente question est nécessairement dépendante de l’analyse à conduire par la juridiction de renvoi dans le cadre de la question précédente. Si, en effet, la décision d’autorisation tarifaire justifie de façon adéquate, à la lumière des considérations que j’ai exposées dans la réponse à la question précédente, l’adoption d’une méthode de calcul d’amortissements et d’intérêts fondée sur les coûts bruts de remplacement des actifs, le recours, par la même autorité réglementaire, à un modèle analytique de coûts ascendants me semble, en principe, également justifié (48).

90.      En revanche, lorsque l’adoption d’une méthode de calcul des amortissements et des intérêts fondée sur les coûts bruts de remplacement des actifs ne s’avère pas justifiée, le remplacement, par l’autorité réglementaire nationale, des justificatifs de coûts incomplets de l’opérateur notifié par l’utilisation d’un modèle théorique ascendant de coûts pour calculer les amortissements et les intérêts de l’opérateur notifié doit être considéré comme incompatible avec le principe de l’orientation des tarifs d’accès à la boucle locale en fonction des coûts de l’opérateur notifié lorsque son réseau local encore opérationnel est déjà amplement amorti. Voilà, en substance, la réponse que je suggère à la Cour de donner à la quatrième question posée.

F –    Sur la cinquième question

91.      Cette question concerne la délimitation de la marge d’appréciation des autorités réglementaires nationales lors de l’examen de l’orientation des tarifs en fonction des coûts et la délimitation du contrôle juridictionnel auquel doivent être soumises ces décisions.

92.      L’article 4, paragraphe 1, du règlement dispose que les autorités réglementaires nationales veillent à ce que la tarification de l’accès dégroupé à la boucle locale favorise l’établissement d’une concurrence loyale et durable. Cet article prévoit, de la sorte, dans son paragraphe 2, qu’elles sont habilitées à imposer des modifications, notamment aux prix demandés par les opérateurs notifiés pour l’accès dégroupé à la boucle locale (49). Une telle modification des tarifs d’accès demandés par l’opérateur notifié pourra naturellement se justifier quand l’autorité réglementaire nationale constate que les tarifs ne sont pas conformes au principe de l’orientation en fonction des coûts imposé par l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

93.       La réponse à la présente question présente un lien étroit avec l’analyse conduite à propos des questions précédentes. Cette analyse a mis en évidence que les autorités réglementaires nationales disposent d’une indiscutable latitude lors de la mise en œuvre du principe de l’orientation en fonction des coûts, tant au niveau de la détermination des éléments des coûts particuliers du fournisseur de la boucle locale à prendre en compte qu’au niveau de la définition de la méthode à suivre pour calculer les coûts afférents à la fourniture de la boucle locale. À la lumière des considérations déjà faites dans le cadre de l’analyse des questions précédentes, je ne vois pas de raison pour que cette latitude ne s’étende pas aussi à la détermination des intérêts calculés et à la fixation des périodes d’amortissement raisonnables. Comme l’affirme Arcor dans ses observations, pour ce qui concerne ces dernières, le fait qu’une période d’amortissement soit fondée sur une estimation de la durée d’utilisation future de l’actif implique par nature un jugement de prognose et, de la sorte, l’exercice d’une marge d’appréciation.

94.      Un tel pouvoir d’appréciation des autorités réglementaires nationales doit, en tout état de cause, respecter les exigences, déjà mentionnées, de transparence, de non‑discrimination et d’égalité de traitement, et les limites qui découlent de l’interprétation de la notion communautaire d’orientation en fonction des coûts avec la signification et la portée qui lui sont propres dans le cadre du règlement. En particulier, il faut que la décision d’autorisation tarifaire respecte une pondération équilibrée entre le but essentiel de promotion de la concurrence dans le marché de l’accès à la boucle locale et le but d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures.

95.      Il se pose, maintenant, la question de déterminer quel doit être le contrôle juridictionnel des juridictions nationales à l’égard des décisions des autorités réglementaires nationales adoptées dans l’exercice d’une telle marge d’appréciation.

96.      Ni le règlement ni les directives pertinentes de l’ancien cadre réglementaire n’envisagent une harmonisation des systèmes nationaux relatifs aux procédures juridictionnelles et, plus précisément, la détermination de la portée et de l’intensité du contrôle juridictionnel des décisions des autorités réglementaires nationales, notamment lorsqu’elles résultent de l’exercice d’une marge d’appréciation. La réponse à apporter à cette question ressort ainsi, tout d’abord, du domaine de la compétence des systèmes procéduraux nationaux.

97.      En général, les règles nationales de procédure qui définissent l’intensité et la portée du contrôle juridictionnel des décisions des autorités réglementaires nationales doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. Ces règles ne peuvent pas, lorsqu’elles garantissent des droits qui découlent du droit communautaire, être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne. Elles ne peuvent pas davantage rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (50).

98.      De façon plus spécifique, le droit communautaire prévoit expressément que les États membres sont tenus d’établir des voies de recours contre les décisions des autorités réglementaires dans le secteur des télécommunications. Une telle obligation était déjà imposée par l’ancien cadre réglementaire. En effet, l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387, telle que modifiée par la directive 97/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997 (51), prévoyait que «[l]es États membres garantissent l’existence, au niveau national, de mécanismes adéquats permettant à une partie touchée par une décision de l’autorité réglementaire nationale de se pourvoir devant une instance indépendante des parties intéressées» (52). Il s’agit d’une manifestation du principe général de droit communautaire selon lequel les États membres ont la responsabilité d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits dérivés de l’ordre juridique communautaire (53).

99.      Il n’est pas exigible, cependant, que le contrôle juridictionnel que le droit communautaire impose aux juridictions nationales en vue d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits qui découlent des dispositions communautaires soit plus étendu que le contrôle juridictionnel pratiqué par les juridictions communautaires dans des cas similaires. La Cour rappelle, à cet égard, que, lorsque est en cause le contrôle juridictionnel de décisions d’autorités communautaires qui font des évaluations complexes, ces autorités jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice est normalement soumis à un contrôle juridictionnel limité (54). Un tel contrôle juridictionnel limité se justifie par des raisons d’ordre pratique tenant à la complexité économique ou technique des évaluations effectuées dans certains domaines qui, en plus, pourront être souvent soumises à une évolution rapide (55). En tout cas, le fait que le droit procédural national applicable restreint l’intensité du contrôle juridictionnel ne peut pas avoir comme effet que les décisions des autorités réglementaires échappent à un contrôle juridictionnel effectif. La Cour souligne, à cet égard, que toute procédure nationale de contrôle juridictionnel d’une décision d’une autorité réglementaire doit, en tout état de cause, permettre à la juridiction saisie du recours «d’appliquer effectivement, dans le cadre du contrôle de la légalité de celle‑ci, les principes et les règles du droit communautaire pertinentes» (56).

100. Lors de l’analyse d’un recours contre une décision d’autorisation tarifaire, comme celle en cause en l’espèce, les organes juridictionnels nationaux compétents doivent ainsi avoir la possibilité de contrôler si l’exercice de la marge d’appréciation dont dispose l’autorité réglementaire nationale a respecté les limites qui découlent de l’interprétation de la notion communautaire d’orientation en fonction des coûts et si la décision d’autorisation tarifaire a respecté les critères et objectifs du règlement. Il importe de distinguer, à cet égard, entre l’exercice d’une marge d’appréciation et l’interprétation des critères juridiques pertinents qui détermine précisément les limites de cette marge d’appréciation. Les organes juridictionnels nationaux compétents doivent, de la sorte, exercer un contrôle juridictionnel qui leur permette de vérifier si une décision d’autorisation tarifaire délivrée par une autorité réglementaire nationale a opéré une pondération équilibrée, selon les circonstances spécifiques nationales existantes au moment de l’autorisation, entre le but essentiel de promotion de la concurrence dans le réseau local et le but d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures.

101. Je suggère ainsi à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi en ce sens que, lors de l’examen de l’orientation des tarifs en fonction des coûts, l’autorité réglementaire nationale dispose d’une marge d’appréciation qui porte, notamment, sur la méthode de calcul des coûts ainsi que sur des questions relatives à la détermination d’intérêts calculés et de périodes d’amortissements raisonnables. Un contrôle juridictionnel effectif d’une décision d’autorisation tarifaire doit permettre de vérifier si la décision d’autorisation tarifaire en cause ne viole pas les objectifs visés par le règlement et les critères de non-discrimination et d’égalité de traitement. Il doit aussi permettre de vérifier si les limites qui découlent de l’interprétation de la notion communautaire d’orientation en fonction des coûts ont été respectées et, notamment, si la décision révèle qu’une pondération équilibrée entre le but essentiel de promotion de la concurrence dans le réseau local et le but d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures à été effectuée.

G –    Sur la sixième question

102. Par cette question, la juridiction de renvoi veut savoir, en substance, si les concurrents bénéficiaires de l’accès au réseau local de l’opérateur notifié, bien qu’ils ne soient pas destinataires d’une décision d’autorisation tarifaire prise par une autorité réglementaire nationale, doivent disposer d’un droit de recours contre une telle décision lorsqu’ils considèrent que les tarifs ne sont pas orientés en fonction des coûts.

103. Dans mes conclusions, du 15 février 2007, présentées dans l’affaire Tele2 UTA Telecommunication (57), je me suis penché sur un problème, dans le contexte de la procédure d’analyse de marché dans le nouveau cadre réglementaire, qui est largement équivalent au problème qui fait l’objet de la présente question. Pour plus de développements, je renvoie ainsi à mes conclusions dans l’affaire Tele2 UTA Telecommunication, précitée (58).

104. J’ai déjà remarqué, dans les présentes conclusions, que, selon l’article 5 bis de la directive 90/387, appartenant à l’ancien cadre réglementaire des télécommunications que le règlement vise à compléter, les États membres doivent garantir «l’existence, au niveau national, de mécanismes adéquats permettant à une partie touchée par une décision de l’autorité réglementaire nationale de se pourvoir devant une instance indépendante des parties intéressées» (59). Dans l’arrêt Connect Austria, précité, la Cour, se penchant sur cette dernière disposition, a rappelé que les États membres portent la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective des «droits individuels, dérivés de l’ordre juridique communautaire» (60) et que l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387 oblige «les États membres à garantir l’existence, au niveau national, de mécanismes adéquats permettant à une partie touchée par une décision de l’autorité réglementaire nationale de se pourvoir devant une instance indépendante». La Cour a ensuite conclu que les «exigences d’une interprétation du droit national conforme à la directive 90/387 et d’une protection effective des droits des justiciables imposent aux juridictions nationales de vérifier si les dispositions pertinentes de leur droit national permettent de reconnaître aux justiciables un droit de recours contre les décisions de l’autorité réglementaire nationale qui réponde aux critères de l’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387» (61).

105. L’article 5 bis, comme d’ailleurs l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre, constitue une émanation du principe général de droit communautaire selon lequel les États membres ont la responsabilité d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire (62). Or, une décision d’une autorité réglementaire nationale, comme celle en l’espèce au principal qui fixe les tarifs que l’opérateur notifié a le droit de percevoir des opérateurs concurrents bénéficiaires, est une décision qui, selon le droit communautaire, doit pouvoir être contestée devant une instance juridictionnelle indépendante. La question qui se pose en l’espèce est, cependant, celle plus spécifique de savoir si les concurrents bénéficiaires de l’accès, tels que Arcor, bien qu’ils ne soient pas les destinataires de cette décision d’autorisation tarifaire, doivent disposer d’un tel droit de contester en justice les tarifs d’accès fixés sur le fondement qu’ils ne sont pas orientés en fonction des coûts en violation de l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

106. Il importe de rappeler, tout d’abord, que Deutsche Telekom et Arcor étaient parties cocontractantes au moment de l’autorisation tarifaire du 30 mars 2001. Selon la juridiction de renvoi, les tarifs autorisés par l’autorité réglementaire nationale dans la présente affaire ont été donnés comme fixés de gré à gré entre Deutsche Telekom et Arcor dans leur rapport contractuel. En conséquence, lorsque la décision de l’autorité réglementaire nationale fixe les tarifs en conformité avec le règlement, elle établit effectivement le prix que Arcor est tenue de payer pour accéder à la boucle locale de Deutsche Telekom. Le prix plus ou moins élevé à payer par Arcor à Deutsche Telekom est le résultat non de la négociation entre Deutsche Telekom et Arcor, mais de la décision de l’autorité réglementaire nationale qui est censée respecter l’exigence d’orientation en fonction des coûts imposée par l’article 3, paragraphe 3, du règlement.

107. Contrairement à ce qu’affirment Deutsche Telekom, le gouvernement allemand et la République fédérale d’Allemagne en tant que partie au litige devant la juridiction de renvoi, je suis d’avis que le droit communautaire confère aux concurrents bénéficiaires de l’accès à la boucle locale, comme Arcor dans le cas de l’espèce, le droit de contester en justice des tarifs non orientés en fonction des coûts.

108. L’article 3, paragraphe 3, du règlement, lorsqu’il exige que les tarifs d’accès soient orientés en fonction des coûts, est de nature à protéger non seulement les intérêts de l’opérateur notifié, en l’assurant que ses coûts seront couverts, mais aussi les intérêts des concurrents bénéficiaires de l’accès à la boucle locale de l’opérateur notifié (63).

109. Aussi bien Deutsche Telekom, que Arcor, sont des cocontractants qui se voient affectés dans leur rapport contractuel par la décision de l’autorité réglementaire qui fixe les tarifs (64). Ils doivent disposer tous les deux du droit de contester en justice cette décision sur le fondement qu’elle autorise des tarifs qui ne respectent pas l’exigence d’orientation en fonction des coûts imposée par l’article 3, paragraphe 3, du règlement. 

110. Le règlement poursuit l’objectif de promouvoir la concurrence sur le marché de l’accès local. L’exigence de l’orientation des tarifs en fonction des coûts est instrumentale pour la réalisation de cet objectif et, comme le rappelle expressément l’article 4, paragraphe 1, du règlement, les autorités réglementaires nationales sont tenues de veiller à ce que la tarification de l’accès dégroupé à la boucle locale favorise l’établissement d’une concurrence loyale et durable. Il ne serait pas soutenable, à la lumière de ces objectifs, que l’opérateur notifié se voie conférer le droit de contester en justice les tarifs comme non compatibles avec l’orientation en fonction des coûts et, par contre, que les opérateurs concurrents, nouveaux arrivés sur le marché, qui sont tenus de payer les tarifs fixés par l’autorité réglementaire, ne disposent pas du même droit (65). Il s’ensuit que, lorsqu’un opérateur concurrent maintient avec un opérateur notifié des rapports contractuels pour l’accès à la boucle locale de ce dernier avec des tarifs fixés par une décision d’autorisation tarifaire de l’autorité réglementaire nationale, l’opérateur bénéficiaire de l’accès doit se voir reconnaître un droit de recours contre une telle décision en vue de contester la non‑conformité des tarifs fixés avec l’exigence d’orientation en fonction des coûts imposée par le règlement.

111. Je pense, en outre, que compte tenu des objectifs de promotion de la concurrence visés par le règlement et du rôle instrumental joué, à cet égard, par l’exigence de l’orientation des tarifs d’accès en fonction des coûts, même les opérateurs concurrents de l’opérateur notifié qui ne maintiennent pas des rapports contractuels avec celui‑ci doivent aussi disposer d’une possibilité effective de contester en justice des tarifs d’accès non orientés en fonction des coûts. De tels opérateurs concurrents qui n’ont pas encore des rapports contractuels avec l’opérateur notifié sont aussi des bénéficiaires directs des dispositions du règlement destinées à promouvoir la concurrence dans ce segment du marché des télécommunications qu’est le réseau d’accès local (66). Autrement dit, pour être réputé «bénéficiaire» de l’accès dégroupé à la boucle locale établi par les dispositions du règlement, il n’est pas nécessaire d’avoir un quelconque rapport contractuel d’accès avec l’opérateur notifié (67).

112. Or, lorsqu’une décision d’autorisation tarifaire impose des tarifs qui ne sont pas orientés en fonction des coûts, cette décision affectera aussi négativement ces opérateurs concurrents qui pourraient vouloir accéder à la boucle locale de l’opérateur notifié. En effet, au cas où un concurrent se voit confronté avec une décision d’autorisation tarifaire qui lui rend plus difficile d’établir un rapport contractuel envisagé avec l’opérateur notifié, il doit pouvoir également bénéficier de la possibilité de contester en justice une éventuelle absence d’orientation des tarifs en cause avec les coûts. De la sorte, ces opérateurs concurrents doivent aussi disposer d’un droit de recours, tout comme ceux qui maintenaient déjà des rapports contractuels avec l’opérateur notifié.

113. Je suggère ainsi à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi en ce sens que le droit communautaire impose que les concurrents bénéficiaires d’un droit d’accès à la boucle locale de l’opérateur notifié disposent du droit de contester en justice des tarifs d’accès autorisés par décision d’une autorité réglementaire nationale au motif qu’ils ne sont pas orientés en fonction des coûts.

H –    Sur la septième question

114. La juridiction de renvoi veut savoir, en substance, qui doit supporter la charge de la preuve de l’orientation des tarifs en fonction des coûts, tant dans le cadre de la procédure administrative qui précède la décision d’autorisation tarifaire que dans le cadre d’un recours introduit par un concurrent affecté contre cette décision de l’autorité réglementaire nationale.

115. Le règlement ne contient aucune disposition qui affirme à qui incombe la charge d’apporter la preuve des coûts en fonction desquels les tarifs doivent être orientés. C’est à l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33, qui fait partie du cadre réglementaire des télécommunications que le règlement vise à compléter, que l’on trouve expressément établi que «la charge de la preuve que les redevances sont déterminées en fonction des coûts réels, y compris un rendement raisonnable des investissements, incombe à l’organisme qui fournit l’interconnexion avec ses installations» (68).

116. Compte tenu du fait que la notion d’orientation en fonction des coûts concerne les coûts de l’opérateur notifié, c’est‑à‑dire les coûts «afférents» à sa fourniture d’accès à une boucle locale existante qui est la sienne, c’est évidemment l’opérateur notifié qui est le mieux placé pour fournir les informations concernant ses coûts. Il incombe ainsi à l’opérateur notifié, lors de la procédure de surveillance de la tarification à conduire, selon l’article 4 du règlement, par l’autorité réglementaire nationale, de faire la preuve des coûts afférents à sa fourniture d’accès à sa boucle locale, en fonction desquels les tarifs qu’il demande aux concurrents doivent s’orienter.

117. En ce qui concerne le problème de savoir à qui appartient la charge de la preuve de l’orientation des tarifs en fonction des coûts dans le cadre d’une procédure juridictionnelle initiée par l’introduction d’un recours juridictionnel contre une décision d’autorisation tarifaire, ni le règlement ni les autres instruments juridiques de l’ancien cadre réglementaire ne donnent d’indication à cet égard. Le droit communautaire n’impose pas, de la sorte, que la règle qui fait peser sur l’opérateur notifié la charge de la preuve des coûts en fonction desquels les tarifs d’accès qu’il demande doivent être orientés lors de la phase administrative qui précède la décision tarifaire de l’autorité réglementaire nationale, s’applique également lors d’une éventuelle phase juridictionnelle ultérieure. Il appartiendra aux dispositions du droit procédural national pertinent d’établir les modalités de preuve applicables, y compris la répartition de la charge de la preuve entre l’autorité réglementaire nationale qui a émis la décision d’autorisation tarifaire et la partie affectée par cette décision qui conteste en justice l’orientation des tarifs autorisés avec les coûts de l’opérateur notifié.

118. Le droit national, dans la solution de répartition de l’onus probandi qu’il apporte, devra, en tout état de cause, respecter les principes communautaires de l’effectivité et de l’équivalence. Les États membres doivent ainsi s’assurer que les modalités de preuve, et notamment les règles sur la répartition de la charge de la preuve, applicables aux recours portant sur des litiges relatifs à une violation du droit communautaire, en premier lieu ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne et, en second lieu, ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice par le justiciable des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (69).

119. Je suggère ainsi à la Cour de répondre à la septième question que le règlement doit être interprété en ce sens que, lors d’une procédure de surveillance de la tarification conduite par une autorité réglementaire nationale selon l’article 4 du règlement, il incombe à l’opérateur notifié de faire la preuve de ses coûts afférents à la fourniture de l’accès à sa boucle locale, en fonction desquels les tarifs qu’il demande aux concurrents doivent s’orienter. Il appartiendra au droit procédural national d’établir, dans le respect des principes communautaires de l’effectivité et de l’équivalence de la protection juridictionnelle, le régime de répartition de la charge de la preuve lors d’une contestation en justice de l’orientation en fonction des coûts des tarifs d’accès fixés par décision d’une autorité réglementaire nationale.

III – Conclusion

120. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Verwaltungsgericht Köln de la manière suivante:

«1)      Les articles 1er, paragraphe 4, et 3, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 2887/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif au dégroupage de l’accès à la boucle locale, doivent être interprétés en ce sens que la notion d’orientation des tarifs en fonction des coûts constitue une exigence de limitation des tarifs demandés par l’opérateur notifié pour l’accès à sa boucle locale qui, nonobstant la marge qu’elle offre en ce qui concerne sa mise en œuvre concrète au niveau national, ne peut pas être écartée au détriment des bénéficiaires de l’accès à la boucle locale.

2)      L’article 3, paragraphe 3, du règlement nº 2887/2000, lorsqu’il prévoit l’exigence que les tarifs demandés pour l’accès à la boucle locale soient orientés en fonction des coûts, doit être interprété en ce sens que dans la notion de coûts figurent aussi les intérêts et les amortissements calculés.

3)      La notion d’orientation en fonction des coûts, prévue à l’article 3, paragraphe 3, du règlement nº 2887/2000, doit être interprétée en ce sens qu’elle impose qu’une décision d’autorisation tarifaire, telle que celle en l’espèce, effectue une pondération équilibrée et proportionnelle, en fonction des circonstances existantes au moment de l’autorisation tarifaire, entre le but central du règlement de promouvoir la concurrence sur le marché de l’accès à la boucle locale, et la nécessité d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures. Il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier, à cette lumière, si la décision d’autorisation tarifaire controversée contient des éléments justificatifs adéquats de l’adoption de la méthode de calcul des amortissements et des intérêts que les tarifs doivent couvrir exclusivement fondée sur la valeur actuelle de remplacement des actifs, exprimée en prix courants à la date de l’évaluation. En l’absence de tels éléments justificatifs, la notion communautaire de l’orientation des tarifs en fonction des coûts impose que les tarifs d’accès soient fixés à un montant inférieur à ce qui résulte de l’application d’une telle méthode de calcul des coûts financiers, notamment grâce à la déduction des amortissements déjà effectués avant la date de l’évaluation.

4)      Lorsque la juridiction nationale conclut, à la lumière des éléments de réponse à la question précédente, que l’adoption d’une méthode de calcul des amortissements et des intérêts fondée sur les coûts bruts de remplacement des actifs ne s’avère pas justifiée, le remplacement, par l’autorité réglementaire nationale, des justificatifs de coûts incomplets de l’opérateur notifié par l’utilisation d’un modèle théorique ascendant de coûts pour calculer les amortissements et les intérêts de l’opérateur notifié doit être considéré comme incompatible avec le principe de l’orientation des tarifs d’accès à la boucle locale en fonction des coûts de l’opérateur notifié lorsque son réseau local encore opérationnel est déjà amplement amorti.

5)      Lors de l’examen de l’orientation des tarifs en fonction des coûts, l’autorité réglementaire nationale dispose d’une marge d’appréciation qui porte, notamment, sur la méthode de calcul des coûts ainsi que sur des questions relatives à la détermination d’intérêts calculés et de périodes d’amortissements raisonnables. Un contrôle juridictionnel effectif d’une décision d’autorisation tarifaire doit permettre de vérifier si la décision d’autorisation tarifaire en cause ne viole pas les objectifs visés par le règlement nº 2887/2000 et les critères de non‑discrimination et d’égalité de traitement. Il doit aussi permettre de vérifier si les limites qui découlent de l’interprétation de la notion communautaire d’orientation en fonction des coûts ont été respectées et, notamment, si la décision révèle qu’une pondération équilibrée entre le but essentiel de promotion de la concurrence dans le réseau local et le but d’assurer le niveau nécessaire d’investissement en infrastructures a été effectuée.

6)      Les concurrents bénéficiaires d’un droit d’accès à la boucle locale de l’opérateur notifié disposent du droit de contester en justice des tarifs d’accès autorisés par décision d’une autorité réglementaire nationale au motif qu’ils ne sont pas orientés en fonction des coûts.

7)      Le règlement nº 2887/2000 doit être interprété en ce sens que, lors d’une procédure de surveillance de la tarification conduite par une autorité réglementaire nationale selon l’article 4 du règlement, il incombe à l’opérateur notifié de faire la preuve de ses coûts afférents à la fourniture de l’accès à sa boucle locale, en fonction desquels les tarifs qu’il demande aux concurrents doivent s’orienter. Il appartiendra, cependant, au droit procédural national d’établir, dans le respect des principes communautaires de l’effectivité et de l’équivalence de la protection juridictionnelle, le régime de répartition de la charge de la preuve lors d’une contestation en justice de l’orientation en fonction des coûts des tarifs d’accès fixés par décision d’une autorité réglementaire nationale.»


1 – Langue originale: le portugais.


2 – JO L 336, p. 4, ci‑après le «règlement».


3 – BGBl. 1996 I, p. 1120, ci‑après le «TKG 1996».


4 – BGBl. 1996 I, p. 1492, ci‑après la «TEntgV».


5 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) (JO L 199, p. 32).


6 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 1998, concernant l’application de la fourniture d’un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale et l’établissement d’un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel (JO L 101, p. 24).


7 – Cet article dispose en effet que «[l]es litiges entre entreprises relatifs à des questions relevant du présent règlement font l’objet des procédures nationales de règlement des litiges établies conformément à la directive 97/33 et sont traitées avec célérité, équité et transparence».


8 – Selon l’article 27 de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33, ci‑après la «directive‑cadre»), «[l]es opérateurs de réseaux téléphoniques publics fixes reconnus par l’autorité réglementaire nationale comme puissants sur le marché de la fourniture de réseaux et de services téléphoniques publics fixes […] continuent d’être considérés comme des ‘opérateurs notifiés’ aux fins du règlement jusqu’au terme de la procédure d’analyse visée à l’article 16, après quoi ils cessent d’être considérés comme tels aux fins dudit règlement». Le quarante-troisième considérant de la directive‑cadre précise, en outre que la Commission peut présenter au moment opportun une proposition visant à abroger le règlement. Les obligations prévues dans le règlement sont dès lors maintenues en vigueur pendant la période nécessaire pour évaluer la concurrence et décider sur la base de cette évaluation si les obligations en question doivent être maintenues ou pas. Voir, aussi, douzième considérant de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive «accès») (JO L 108, p. 7).


9 – Voir aussi arrêt du 19 septembre 2006, i‑21 Germany et Arcor (C‑392/04 et C‑422/04, Rec. p. I‑8559, point 24), dans lequel la Cour rappelle que la directive‑cadre ne s’applique qu’aux situations créées à partir du 25 juillet 2003.


10 – Voir le raisonnement similaire de la Cour dans l’arrêt du 8 décembre 2005, Commission/Luxembourg (C‑33/04, Rec. p. I‑10629, points 81 et 82).


11 – Voir premier considérant du règlement.


12 – Voir troisième considérant du règlement et de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relative au dégroupage de l’accès à la boucle locale [COM(2000) 394 final, JO C 365 E, p. 212].


13 – Voir deuxième considérant du règlement.


14 – Qui reproduit à peu de choses près le huitième considérant de la recommandation 2000/417/CE de la Commission, du 25 mai 2000, relative au dégroupage de l'accès à la boucle locale: permettre la fourniture concurrentielle d'une gamme complète de services de communications électroniques, tels que les services multimédias à large bande et l'Internet à haut débit (JO L 156, p. 44).


15 – Cette situation est expressément rappelée au troisième considérant du règlement, lorsqu’il souligne que l’absence signalée de concurrence au niveau de la boucle locale est due au fait que les opérateurs ont pu, pendant des périodes relativement longues, déployer leurs réseaux d’accès local en bénéficiant de la protection de droits exclusifs et qu’ils ont pu financer leurs dépenses d’investissement grâce à des rentes de monopole.


16 – Voir onzième considérant du règlement. L’article 7 de la directive 97/33, en vigueur à la date des faits pertinents dans la présente affaire, adopte une orientation similaire. Il prévoit que les redevances d’interconnexion seront déterminées en fonction des coûts réels, y compris un rendement raisonnable des investissements.


17 – Cette notion a fait son apparition dans le cadre réglementaire communautaire des télécommunications, pour la première fois à l’annexe II, point 4, deuxième alinéa, de la directive 90/387, où il est établi que «les tarifs doivent se fonder sur des critères objectifs et […] être en principe orientés vers les coûts».


18 – Voir, en ce sens, sur la notion analogue de «rémunération équitable», arrêt du 6 février 2003, SENA (C‑245/00, Rec. p. I‑1251, points 23 et 24). Voir aussi, tout particulièrement, les conclusions de l’avocat général Tizzano, dans cette affaire, aux points 32 et 45 à 48.


19 – Voir, en ce sens aussi, arrêt SENA, précité, point 23 et jurisprudence citée. Plus récemment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 50); du 27 février 2003, Adolf Truley (C‑373/00, Rec. p. I‑1931, point 35); du 27 novembre 2003, Zita Modes (C‑497/01, Rec. p. I‑14393, point 34); du 6 juillet 2006, Commission/Portugal (C‑53/05, Rec. p. I‑6215, point 20), et du 7 décembre 2006, SGAE (C‑306/05, Rec. p. I‑11519, point 34).


20 – Au‑delà de l’arrêt du 6 décembre 2001, Commission/France (C‑146/00, Rec. p. I‑9767, point 60).


21 – C‑109/03, Rec. p. I‑11273.


22 – C‑438/04, Rec. p. I‑6675.


23 – Idem, point 37.


24 – Idem, point 35.


25 – C’est moi qui souligne.


26 – Voir, en ce sens, arrêt Commission/France, précité, point 60, sur le mode de calcul du coût net du service universel dans le cadre de la directive 97/33. La Cour a aussi constaté que, lors du calcul du coût net du service universel, la directive 97/33 interdit d’établir des coûts «de manière forfaitaire ou imprécise, sans effectuer un calcul spécifique».


27 – La liaison entre cet objectif central du règlement de promotion de la concurrence à court terme et l’exigence d’orientation des tarifs en fonction des coûts est mise en évidence par l’article 4, paragraphe 4, du règlement, qui prévoit expressément que l’obligation imposée aux opérateurs notifiés d’établir les tarifs en fonction des coûts doit être levée lorsque l’autorité réglementaire nationale constate que le marché de l’accès local fait l’objet d’une concurrence suffisante.


28 – Le dixième considérant du règlement affirme, en effet, que, bien que la négociation commerciale soit la méthode préférée pour parvenir à un accord sur les aspects […] tarifaires de l’accès à la boucle locale, l’expérience montre que le déséquilibre de pouvoir entre l’opérateur notifié et le nouvel arrivant ne permet pas de s’en remettre à une telle solution de marché.


29 – Voir Nihoul, P., et Rodford, P., EU electronic communications law: competition and regulation in the European telecommunications market, Oxford, 2004, p. 396, et p. 417, qui rappellent l’importance stratégique des tarifs. Les opérateurs notifiés essaient, en effet, par la voie de tarifs élevés, de maintenir leurs avantages sans formellement nier l’accès au réseau.


30 – Le point 4 de l’annexe V de la directive 97/33 montre comment les amortissements et frais financiers sont inclus dans le système de comptabilisation des coûts.


31 – Dégroupage de l'accès à la boucle locale: permettre la fourniture concurrentielle d'une gamme complète de services de communications électroniques, notamment les services multimédias à large bande et l'Internet à haut débit (JO C 272, p. 55).


32 – Voir note 15 de la recommandation, c’est moi qui souligne. Dans l’appendice d’une recommandation antérieure – la recommandation 98/322/CE de la Commission, du 8 avril 1998 (JO L 141, p. 6), qui a été adoptée sur la base de la directive 97/33 –, on trouve une notion différente de coût actuel. Le coût actuel est décrit comme soit la valeur intrinsèque de l’actif, soit le coût net de remplacement, selon celui des deux qui est le moins important. Le coût actuel de l’actif est limité par le montant du coût net de remplacement et ce dernier est décrit comme «le prix à payer pour remplacer l’actif par un autre actif d’âge et de caractéristiques similaires», c’est moi qui souligne. C’est sur cette recommandation de 1998 que, pour l’essentiel, Arcor ancre sa position.


33 – Voir, dans un sens analogue, la position adoptée par la Cour dans l’arrêt SENA, précité, point 36 et, plus récemment, du 14 juillet 2005, Lagardère Active Broadcast (C‑192/04, Rec. p. I‑7199, point 49).


34 – Décision du 21 mai 2003, relative à une procédure d’application de l’article 82 du traité CE (Affaires COMP/C-1/37.578, 37.579 – Deutsche Telekom AG) (JO L 263, p. 9). Voir, notamment, considérants 24, 199, 207 et 211 et les articles 1er, 2 et 3 de cette décision.


35 – Deutsche Telekom/Commission (T-271/03).


36 – C’est le règlement lui‑même qui le constate, lorsqu’il affirme, dans son sixième considérant, qu’«il ne serait pas économiquement viable pour les nouveaux arrivants de reproduire l’infrastructure d’accès local métallique des opérateurs en place, dans sa totalité et dans un laps de temps raisonnable». En outre, l’article 4, paragraphe 3, signale expressément le caractère central de l’objectif d’assurer «l’efficacité économique et le plus grand bénéfice pour les utilisateurs».


37 – Le sixième considérant du règlement affirme précisément que «les autres infrastructures, telles que télévision par câble, satellite, boucle locale, radio, n’offrent en général ni la même fonctionnalité, ni la même densité de couverture, pour le moment, bien que les situations dans les États membres puissent être différentes».


38 – Voir supra, point 52.


39 – Voir, notamment, la méthode de calcul de la valeur des actifs en coûts actuels prévue au point 1 de l’appendice de la recommandation 98/322.


40 – Voir, expressément, onzième considérant du règlement.


41 – Voir cinquième considérant de la recommandation 98/322, qui mentionne précisément les modèles économiques/techniques ascendants qui deviennent hautement perfectionnés tout en restant imparfaits. Le point 5 de cette même recommandation mentionne aussi expressément que ces modèles ascendants donnent une indication de coûts efficaces.


42 – Voir point 5, note 1.


43 – La recommandation 2005/698/CE de la Commission, du 19 septembre 2005, concernant la séparation comptable et les systèmes de comptabilisation des coûts au titre du cadre réglementaire pour les communications électroniques (JO L 266, p. 64), huitième considérant, point 3 et note 3 est visiblement favorable à une telle coordination. La position commune ERG (05) 29 de 2005 du Groupe des régulateurs européens «Guidelines for implementing the Commission recommendation C (2005) 3480 on Accounting Separation & Cost Accounting Systems under the regulatory framework for electronic communications» semble aussi donner la préférence à une telle approche hybride.


44 – Voir arrêt Mobistar, précité, point 35.


45 – Voir, à titre d’exemple, la recommandation 98/322 sur la séparation comptable et la comptabilisation des coûts. Voir aussi Nihoul, P., et Rodford, P., EU electronic communications law, op. cit., p. 240 et 241, qui signalent que, avant la libéralisation du marché des télécommunications en Europe, les opérateurs monopolistiques, en tant qu’opérateurs étatiques, n’avaient pas l’obligation de respecter des systèmes de comptabilisation de coûts, exactement parce que leur objectif n’était pas celui de réaliser un profit mais d’offrir un service.


46 – La directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51), révèle bien cette liaison entre orientation en fonction des coûts et système de comptabilisation des coûts de l’opérateur notifié, lorsque dans l’annexe VII, point 2, elle dispose que: «Les autorités réglementaires nationales veillent […] à ce que les tarifs des lignes louées visées […] obéissent au principe fondamental de la tarification en fonction des coûts. À cette fin, elles veillent à ce que les entreprises jugées puissantes sur le marché […] élaborent et appliquent un système approprié de comptabilité des coûts».


47 – Comme le texte du onzième considérant du règlement l’explicite. Bien évidemment, cela résulte aussi de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 97/33, lorsqu’il prévoit que c’est l’entreprise régulée qui supporte la charge de la preuve que les tarifs sont déterminés en fonction des coûts réels. La recommandation 98/195/CE de la Commission, du 8 janvier 1998, concernant l’interconnexion dans un marché des télécommunications libéralisé (Partie 1 – Tarification de l’interconnexion) (JO L 73, p. 42), adoptée sur la base de l’article 7, paragraphe 5, de la directive 97/33 prévoit, dans son point 2, que, «lorsqu’il est appliqué à l’interconnexion, le principe d’orientation en fonction des coûts signifie que les redevances d’interconnexion doivent refléter la façon dont les coûts d’interconnexion sont réellement encourus».


48 – Dans un tel contexte, où l’incitation à l’investissement en infrastructures alternatives jouit d’une prédominance justifiée sur l’objectif de promotion de la concurrence à court terme sur le marché d’accès au réseau local, la priorité donnée à la valeur d’investissement dans un nouveau réseau moderne et efficace, au détriment des coûts financiers réels de l’opérateur notifié, devrait être considérée compatible avec le principe de l’orientation des tarifs en fonction des coûts.


49 – L’article 4, paragraphe 3, du règlement confère à l’autorité réglementaire nationale un droit assez général d’intervenir, de sa propre initiative, en vue d’assurer la non‑discrimination, une concurrence équitable ainsi que l’efficacité économique et le plus grand bénéfice pour les utilisateurs.


50 – Voir, en général, sur ces principes, arrêts du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, Rec. 1995 p. I‑4599, point 12 et jurisprudence citée); du 15 septembre 1998, Edis (C‑231/96, Rec. p. I‑4951, points 19 et 34); du 1er décembre 1998, Levez (C‑326/96, Rec. p. I‑7835, point 18 et jurisprudence citée); du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, Rec. p. I‑6297, point 29); du 24 septembre 2002, Grundig Italiana (C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 33); du 10 avril 2003, Steffensen (C‑276/01, Rec. p. I‑3735, point 60); du 4 décembre 2003, Evans (C‑63/01, Rec. p. I‑14447, point 45), et du 17 juin 2004, Recheio – Cash & Carry (C‑30/02, Rec. p. I‑6051, point 17).


51 – JO L 295, p. 23. L’article 5 bis, paragraphe 3, de la directive 90/387 a été abrogé en vertu de l’article 26 de la directive‑cadre au moment de l’entrée en vigueur de celle‑ci, et a été remplacé par l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre.


52 – De façon similaire, l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre, qui lui a succédé, prévoit que «[l]es États membres veillent à ce que des mécanismes efficaces permettent, au niveau national, à tout utilisateur ou à toute entreprise qui fournit des réseaux et/ou des services de communications électroniques, et qui est affecté(e) par une décision prise par une autorité réglementaire nationale, d’introduire un recours auprès d’un organisme indépendant des parties intéressées. Cet organisme, qui peut être un tribunal, dispose des compétences appropriées pour être à même d’exercer ses fonctions. Les États membres veillent à ce que le fond de l’affaire soit dûment pris en considération et à ce qu’il existe un mécanisme de recours efficace».


53 – Voir, notamment, arrêt du 22 mai 2003, Connect Austria (C‑462/99, Rec. p. I‑5197, point 35).


54 – Arrêt du 21 janvier 1999, Upjohn (C‑120/97, Rec. p. I‑223, point 34 et jurisprudence citée et point 35).


55 – Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Léger dans l’affaire Upjohn, précitée, points 50 et 51.


56 – Arrêt Upjohn, précité, point 36.


57 – C-426/05, actuellement pendante devant la Cour.


58 – Plus précisément aux points 14 à 40.


59 – Une garantie identique est établie par l’article 4, paragraphe 1, de la directive‑cadre, qui grosso modo succède, dans le nouveau cadre réglementaire des télécommunications, à l’article 5 bis, paragraphe 1, de la directive 90/387.


60 – Point 35.


61 – Ibidem, point 42.


62 – Voir mes conclusions dans l’affaire Tele2 UTA Telecommunication, précitée.


63 – En effet, cette exigence, comme on l’a vu supra au point 37, offre un critère de limitation des tarifs excessifs.


64 – Voir, par analogie, arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (11/82, Rec. p. 207, points 19 et 31).


65 – Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Connect Austria (précitée, point 48), dans lesquelles il a affirmé qu’«il n’est guère concevable que les tiers intéressés directement affectés par les décisions ne puissent pas se pourvoir contre elles. Qui plus est, l’article 5 bis, paragraphe 3, [de la directive 90/387] vise précisément à protéger également les intérêts des nouveaux venus sur le marché tels que Connect Austria».


66 – Voir aussi mes conclusions dans l’affaire Tele2 UTA Telecommunication, précitée, points 37 à 40.


67 – Il suffit de considérer, à cet égard, la notion de «bénéficiaire» à l’article 2, sous b), du règlement, qui le caractérise comme «une tierce partie dûment autorisée […] ou habilitée à fournir des services de télécommunications […] et qui remplit les conditions nécessaires pour bénéficier d’un accès dégroupé à la boucle locale».


68 – Dans le nouveau cadre réglementaire, l’article 13, paragraphe 3, de la directive 2002/19, dispose que «[l]orsqu’une entreprise est soumise à une obligation d’orientation des prix en fonction des coûts, c’est à elle qu’il incombe de prouver que les redevances sont déterminées en fonction des coûts, en tenant compte d’un retour sur investissements raisonnable».


69 – Voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 14); du 9 février 1999, Dilexport (C‑343/96, Rec. p. I‑579, points 48 et 54), et du 3 février 2000, Dounias (C‑228/98, Rec. p. I‑577, point 69).