Language of document : ECLI:EU:C:2013:781

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz VillalÓn

présentées le 26 novembre 2013 (1)

Affaire C‑314/12

UPC Telekabel Wien GmbH

contre

Constantin Film Verleih GmbH,

Wega Filmproduktionsgesellschaft GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberster Gerichtshof (Autriche)]

«Société de l’information – Droits de propriété intellectuelle – Directive 2001/29/CE – Article 8, paragraphe 3 – Article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Mesures à l’encontre d’un site Internet violant massivement le droit d’auteur – Ordonnance contre un fournisseur d’accès à Internet en tant qu’intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur – Décision ordonnant le blocage d’un site Internet violant le droit d’auteur»





1.        La présente affaire est l’occasion, pour la Cour, de faire évoluer sa jurisprudence en matière de protection du droit d’auteur sur Internet (2). Au-delà du contenu et de la procédure d’adoption d’une ordonnance sur requête au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE (3), il s’agit ici de savoir s’il est seulement possible d’adopter une ordonnance à l’encontre d’un fournisseur d’accès à Internet (ci-après un «fournisseur d’accès»), qui n’est pas le gérant d’un site Internet violant massivement le droit d’auteur, mais qui fournit simplement l’accès à ce site à des utilisateurs qui se servent de ce site.

I –    Cadre juridique

A –    Droit de l’Union

2.        Le considérant 59 de la directive 2001/29 prévoit:

«Les services d’intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé. Cette possibilité doit être prévue même lorsque les actions de l’intermédiaire font l’objet d’une exception au titre de l’article 5. Les conditions et modalités concernant une telle ordonnance sur requête devraient relever du droit interne des États membres.»

3.        L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 dispose:

«Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.»

4.        L’article 15 de la directive 2000/31/CE (4) dispose, sous le titre «Absence d’obligation générale en matière de surveillance»:

«1.       Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2.       Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement.»

5.        L’article 3 de la directive 2004/48/CE (5) dispose:

«1.       Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2.       Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif.»

B –    Droit autrichien

6.        La loi fédérale autrichienne sur les droit de propriété littéraire et artistique [loi sur les droits d’auteur (Urheberrechtsgesetz) ci-après l’«UrhG»] (6) prévoit, à son article 81:

«1.       Toute personne dont un droit exclusif conféré par la présente loi a été violé ou qui redoute une telle violation peut engager une action en abstention. Le propriétaire d’une entreprise peut aussi être poursuivi en justice si la violation a été commise au cours de l’activité de son entreprise par un de ses employés ou par un mandataire ou si elle menace de l’être; l’article 81, paragraphe 1a, s’applique mutatis mutandis.

1a.       Si l’auteur d’une telle atteinte ou la personne dont une telle atteinte est à craindre utilise à cette fin les services d’un intermédiaire, une action en abstention peut également être introduite contre ce dernier au titre du paragraphe 1. Si les conditions exclusives de responsabilité, prévues aux articles 13 à 17 de l’[E‑Commerce-Gesetz], sont remplies à l’égard de cet intermédiaire, une action en justice ne peut être introduite à son encontre qu’après une mise en demeure. [...]»

7.        L’article 13 de la loi sur le commerce électronique [E-Commerce-Gesetz, ci-après l’«ECG»] (7) régit l’exclusion de la responsabilité des prestataires de services agissant comme des intermédiaires. En vertu de cette disposition:

«Un prestataire de services qui transmet, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou qui fournit un accès au réseau de communication n’est pas responsable des informations transmises, à condition qu’il

1)       ne soit pas à l’origine de la transmission,

2)       ne sélectionne pas le destinataire de la transmission et

3)       ne sélectionne ni ne modifie les informations faisant l’objet de la transmission.»

8.        L’article 355, paragraphe 1, du code relatif aux procédures d’exécution (8) dispose:

«La procédure d’exécution forcée à l’encontre de la personne tenue de cesser d’agir ou de tolérer un agissement prévoit que, pour chaque violation perpétrée après que l’obligation a acquis force exécutoire, le tribunal saisi de l’exécution, en accordant cette dernière, inflige, sur demande, une sanction pécuniaire. Pour chaque violation ultérieure, le tribunal saisi de l’exécution doit infliger, sur demande, une sanction pécuniaire supplémentaire ou une peine d’emprisonnement d’une durée totale d’un an maximum. [...]»

II – Les faits et la procédure au principal

9.        Le site Internet exploité sous le nom de domaine kino.to permettait aux utilisateurs de demander, en grande quantité, des films protégés par les droits d’auteur. Les films en question pouvaient être soit regardés en streaming, soit téléchargés. Cela impliquait, dans le premier cas, une reproduction transitoire sur l’appareil terminal, dans le second, une reproduction permanente, en général pour un usage privé.

10.      Parmi les films auxquels le site Internet en question donnait publiquement accès se trouvaient des œuvres dont les droits étaient détenus par les demanderesses au principal, à savoir Constantin Film Verleih GmbH et Wega Filmproduktionsgesellschaft GmbH (ci-après, ensemble, les «demanderesses»). Les demanderesses n’avaient pas donné leur autorisation à cet effet.

11.      UPC Telekabel GmbH (ci-après la «défenderesse») est un grand fournisseur d’accès autrichien. Elle n’a aucun lien juridique avec les exploitants du site Internet kino.to et ne leur a fourni ni un accès à Internet ni de la mémoire de stockage. D’après les constatations de la juridiction de renvoi, toutefois, on peut supposer avec une quasi-certitude que certains clients de la défenderesse ont exploité l’offre de kino.to.

12.      Les demanderesses ont demandé extrajudiciairement à la défenderesse de bloquer le site Internet kino.to. La défenderesse n’ayant pas donné suite à cette demande, les demanderesses ont saisi le Handelsgericht Wien d’une demande en référé en vue d’interdire à la défenderesse de permettre à ses clients d’accéder au site Internet kino.to, dès lors que certains films des requérantes étaient mis à la disposition desdits clients, intégralement ou par extraits, sur ce site Internet. La demande à titre principal a été spécifiée, moyennant des demandes désignées comme «subsidiaires» et ne restreignant pas la demande à titre principal, en indiquant différentes mesures de blocage [blocage par DNS («Domain Name System») du domaine, blocage de l’adresse IP («Internet Protocol») actuelle du site Internet, le cas échéant après sa communication par les requérantes].

13.      Les demanderesses fondent leur demande sur l’article 81, paragraphe 1a de l’UrhG, et la motivent en faisant valoir que la défenderesse fait fonction d’intermédiaire dans la mise à disposition illégale de contenus. La fourniture d’un tel accès serait à interdire. Des mesures concrètes ne seraient à examiner que dans le cadre de la procédure d’exécution forcée. La défenderesse fait valoir, au contraire, qu’elle n’entretient aucune relation avec les exploitants de kino.to, et qu’elle ne fournit l’accès à Internet qu’à ses propres clients, ceux-ci n’ayant pas agi de manière illégale. En outre, le blocage général de l’accès à un site Internet ne serait pas possible et ne saurait être raisonnablement exigée. Quant aux mesures concrètes sollicitées, elles seraient disproportionnées.

14.      Par ordonnance du 13 mai 2011, le Handelsgericht Wien a interdit à la défenderesse de fournir à ses clients l’accès à kino.to, dans la mesure où ce site met à leur disposition les films invoqués par les demanderesses, et ce notamment par le blocage du domaine par DNS et par le blocage des adresses IP actuelles ou futures dont la demanderesse pourrait avoir connaissance. Il a considéré, à cet égard, que ces deux mesures pouvaient être mises en œuvre sans grande difficulté, mais qu’elles pouvaient être très facilement contournées. Il s’agissait néanmoins des méthodes les plus efficaces pour empêcher l’accès. Il n’aurait pas été établi que le domaine kino.to partageait des adresses IP avec d’autres serveurs proposant des contenus légaux. Les deux parties ont formé un pourvoi contre cette ordonnance.

15.      Au mois de juin 2011, le site Internet kino.to a cessé son activité à la suite de l’intervention des autorités répressives allemandes à l’encontre de ses exploitants.

16.      Par ordonnance du 27 octobre 2011, l’Oberlandesgericht Wien, en tant que juridiction d’appel, a réformé l’ordonnance de la juridiction de première instance en interdisant la fourniture de l’accès au site kino.to sans indiquer des mesures concrètes à prendre à cet effet. Selon cette juridiction, l’article 81, paragraphe 1a, de l’UrhG, a transposé l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et doit être interprété de manière conforme au droit de l’Union au sens du considérant 59 de cette directive. La juridiction de deuxième instance estime que la défenderesse donne à ses clients la possibilité d’accéder à des contenus mis à disposition illégalement, ce qui fait d’elle un intermédiaire au sens de la loi, indépendamment de la question de savoir si ses clients ont eux-mêmes agi de manière illégale. Selon elle, il convient d’interdire à la défenderesse de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle des demanderesses d’une façon générale, sans indiquer de mesures précises. L’ordonnance comporte donc pour elle une obligation de résultat (à savoir empêcher la violation de droits de propriété intellectuelle). Le choix des moyens pour obtenir ce résultat est laissé à la défenderesse, qui est tenue de faire tout ce qui est possible et raisonnable à cet effet. Le fait de savoir si une mesure particulière qui lui aurait été imposée afin d’éviter la violation est disproportionnée devrait être tranchée, selon le juge de deuxième instance, seulement dans le cadre de la procédure dite d’exécution forcée, où l’on examinerait la question de savoir si toutes les mesures raisonnables ont été entreprises ou bien si l’on est présence d’une violation de l’ordonnance.

17.      La défenderesse a saisi l’Oberster Gerichtshof d’un recours en «Revision» contre cette décision, en demandant le rejet de toutes les conclusions des demanderesses.

III – Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

18.      L’Oberster Gerichtshof a sursis à statuer et a saisi la Cour, à titre préjudiciel, des questions suivantes:

«1)      L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit-il être interprété en ce sens qu’une personne qui met des objets protégés à la disposition du public sur Internet sans l’autorisation du titulaire de droits (article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29) utilise les services du fournisseur d’accès des personnes qui consultent ces objets?

2)      En cas de réponse négative à la première question:

Une reproduction effectuée pour un usage privé [article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29] et une reproduction transitoire ou accessoire (article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/29) ne sont-elles licites que si l’exemplaire servant à la reproduction a été reproduit, diffusé ou mis à la disposition du public en toute légalité?

3)      En cas de réponse affirmative à la première ou à la deuxième question, c’est-à-dire dans le cas où une ordonnance judiciaire doit être rendue à l’encontre du fournisseur d’accès de l’utilisateur conformément à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29:

Est-il conforme au droit de l’Union et notamment à la nécessaire mise en balance des droits fondamentaux des parties concernées d’interdire au fournisseur d’accès dans des termes très généraux (c’est-à-dire sans prescription de mesures concrètes) d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet dont l’intégralité ou une partie substantielle du contenu n’a pas été autorisé par le titulaire de droits lorsque le fournisseur d’accès peut échapper aux astreintes visant à réprimer la violation de cette interdiction en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables?

4)      En cas de réponse négative à la troisième question:

Est-il conforme au droit de l’Union et notamment à la nécessaire mise en balance des droits fondamentaux des parties concernées d’imposer à un fournisseur d’accès des mesures concrètes visant à rendre plus difficile à ses clients l’accès à un site Internet dont le contenu a été illégalement mis à disposition lorsque ces mesures, qui requièrent des moyens non négligeables, peuvent facilement être contournées sans connaissances techniques spécifiques?»

19.      Les demanderesses, la défenderesse, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

20.      Lors de l’audience du 20 juin 2013, les demanderesses, la défenderesse, la République d’Autriche et la Commission sont intervenues.

IV – Appréciation juridique

A –    Considérations préliminaires et aspects techniques

21.      Peu d’inventions ont modifié nos habitudes et notre usage des médias aussi profondément que celle d’Internet. Ce réseau, qui n’a pas encore 30 ans, tel que nous le connaissons (9), permet de communiquer et d’échanger des informations au niveau planétaire. En peu de temps, les nouvelles formes de communication sont devenues pour nous tellement évidentes que le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion considère l’accès à l’information par Internet comme essentiel dans une société démocratique (10).

22.      Les nouvelles technologies donnent cependant également la possibilité de commettre des abus. C’est le cas notamment pour ce qui concerne la violation des droits d’auteur sur Internet. On est rarement en présence de cas aussi flagrants que dans la présente espèce. Selon les données fournies par les demanderesses, le site Internet kino.to, qui a enregistré par moments plus de 4 millions de contacts, a offert plus de 130 000 œuvres filmographiques en «streaming» ou au téléchargement, sans l’accord des titulaires des droits. Les exploitants de ce site ont tiré annuellement de cette offre des revenus publicitaires chiffrés en millions d’euros, avant que le site Internet n’ait pu être fermé en juin 2011 à l’issue d’une information du parquet général de Dresde déclenchée sur dénonciation. Aucune des parties à la procédure ne prétend que les contenus du site Internet en question sont licites. Au contraire, ses exploitants ont déjà été condamnés pénalement, en République fédérale d’Allemagne, pour la commercialisation non autorisée d’œuvres protégées par des droits d’auteur (11).

23.      Les titulaires des droits s’insurgent contre des sites Internet violant le droit d’auteur aussi massivement. Les personnes qui sont derrière ces sites, ainsi que celles leur fournissant l’accès à Internet, opèrent toutefois souvent depuis l’extérieur de l’Union européenne ou bien dissimulent leur identité. Les titulaires de droits tentent donc d’atteindre leur objectif en agissant contre les fournisseurs d’accès pour qu’il leur soit ordonné de bloquer l’accès aux offres violant leurs droits. Dans de nombreux États membres, le débat quant à la licéité de telles décisions ordonnant au fournisseur d’accès de bloquer ce dernier est très animé (12).

24.      Le fait que des blocages de sites Internet par des fournisseurs d’accès ne soit pas sans présenter des problèmes rend la question encore plus complexe (13). La juridiction de renvoi mentionne à cet égard, notamment, la possibilité du blocage de l’adresse IP et du blocage par DNS.

25.      Les adresses IP sont des adresses numériques qui sont attribuées aux appareils en réseau sur Internet afin de permettre la communication entre ces derniers (14). Dans le cas d’un blocage par un fournisseur d’accès, les demandes envoyées à l’adresse IP bloquée ne sont plus transmises par ce fournisseur d’accès. Les blocages par DNS visent quant à eux le nom de domaine, qui est employé par les utilisateurs à la place des adresses IP qui sont difficiles à manier. Les serveurs DNS, qui sont gérés par les fournisseurs d’accès, «traduisent» les noms de domaine en adresses IP. En cas de blocage par DNS, c’est cette traduction qui est empêchée. Outre ces deux méthodes pour bloquer l’accès à un site Internet, il est possible également de faire transiter l’ensemble des échanges Internet d’un fournisseur d’accès par un serveur proxy et de les filtrer. Toutes ces méthodes peuvent cependant être contournées (15). D’après les constatations de la juridiction de renvoi, les utilisateurs peuvent facilement atteindre le site Internet illicite même sans avoir de connaissances techniques particulières. Les exploitants du site Internet illicite peuvent aussi rendre ce dernier disponible sous une autre adresse.

26.      Le législateur de l’Union a mis en place, avec la directive 2001/29, un régime spécial pour la protection du droit d’auteur dans la société de l’information. Outre une harmonisation des droits d’auteur et des droits de reproduction (article 2), du droit de communication d’œuvres au public et du droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés (article 3) et du droit de distribution (article 4), la directive prévoit des exceptions et limitations (article 5), et dispose également que les États membres doivent prévoir des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations qu’elle prévoit et veiller à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires «dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin» (article 8, et, notamment, article 8, paragraphe 3). De la même manière, en vertu de la directive 2004/48, les États membres sont tenus de prévoir des mesures loyales, équitables, effectives, proportionnées et dissuasives pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle (article 3), mesures qui comprennent aussi les injonctions (article 11).

27.      En même temps, le législateur a tenu compte de l’importance particulière de l’infrastructure d’Internet et a adopté, avec les articles 12 à 15 de la directive 2000/31, des dispositions visant la responsabilité des prestataires intermédiaires dans le domaine du commerce électronique, que n’affectent ni la directive 2001/29, en vertu de son considérant 16, ni la directive 2004/48, en vertu de son article 2, paragraphe 3, sous a). Nonobstant ces dispositions, dans la pratique, les fournisseurs d’accès sont confrontés à des règles différentes, selon les États membres, s’agissant du traitement des contenus illégaux dont ils ont connaissance (16).

28.      Enfin, le blocage de sites Internet constitue une atteinte aux droits fondamentaux et doit être apprécié également de ce point de vue.

B –    Recevabilité

29.      À première vue, on pourrait douter de la recevabilité de la présente demande de décision à titre préjudiciel. Les demanderesses dans l’affaire au principal ont en effet demandé qu’il soit interdit à la défenderesse, par ordonnance de référé, de permettre l’accès à un site Internet qui n’est plus accessible depuis le mois de juin 2011. On peut dès lors se demander si l’on est bien en présence d’un intérêt légitime.

30.      La présente demande de décision à titre préjudiciel n’en est pas moins recevable pour autant. En effet, on peut rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 267 TFUE, la juridiction de renvoi peut poser une question d’interprétation du droit de l’Union, dès lors qu’elle estime que celle-ci est nécessaire pour rendre son jugement. Selon la jurisprudence constante de la Cour, il appartient en principe aux juridictions nationales qui sont saisies d’un litige d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, la nécessité d’une décision préjudicielle et la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (17).

31.       La Cour ne peut s’écarter de ce principe que s’il apparaît «de manière manifeste» (18) que l’interprétation du droit de l’Union est sans intérêt pour la résolution de l’affaire pendante au principal, que les questions posées sont de nature purement hypothétique (19), voire que le litige a été créé de manière artificielle (20).

32.      La juridiction de renvoi affirme cependant avoir rendu son ordonnance sur la base de la situation existant au moment de la décision rendue en première instance, c’est-à-dire à un moment où le site Internet objet du litige était encore accessible. On est dès lors en présence d’un vrai litige pour lequel les questions posées à titre préjudiciel sont certainement pertinentes.

C –    Sur la première question préjudicielle

33.      La juridiction de renvoi souhaite savoir si l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le fournisseur d’accès d’une personne consultant une œuvre qui porte atteinte à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29 doit être considéré comme un intermédiaire dont les services sont «utilisés» par les auteurs de la violation du droit d’auteur.

34.      Si tel était le cas, une ordonnance sur requête, au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, pourrait être rendue également à l’encontre du fournisseur d’accès de l’utilisateur d’Internet qui consulte le site illicite, et non pas seulement à l’encontre du fournisseur d’accès dudit site Internet. En soutien de la licéité d’une telle ordonnance à l’encontre de ces fournisseurs d’accès, on peut prendre en considération deux types d’arguments sur lesquels se basent les deux premières questions préjudicielles. En premier lieu, et c’est là le sens de la première question préjudicielle, on pourrait faire valoir qu’une ordonnance à l’encontre du fournisseur d’accès de l’utilisateur d’Internet procédant à la consultation est licite, au motif qu’il s’agit d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par les exploitants du site Internet illicite aux fins de la violation du droit d’auteur. En deuxième lieu, et c’est là-dessus que la juridiction de renvoi fonde sa deuxième question, une telle ordonnance pourrait être également justifiée par le fait que les clients du fournisseur d’accès qui consultent le site Internet illicite agissent à leur tour illégalement, de sorte que les services du fournisseur d’accès sont utilisés par ses propres clients aux fins d’une violation du droit d’auteur, ce qui relève tout à fait du champ d’application de la directive 2001/29.

35.      Les demanderesses, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Commission estiment qu’une personne qui rend accessible sur Internet une œuvre protégée, sans l’autorisation du titulaire des droits, utilise les services du fournisseur d’accès de la personne qui consulte l’œuvre en question. La juridiction de renvoi penche également pour ce point de vue. Seule la défenderesse est d’un avis différent.

36.      Nous sommes aussi d’avis que le fournisseur d’accès de l’utilisateur doit être considéré comme un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur. Cela découle de la lettre, du contexte, du sens et de l’objectif de la disposition en cause. Avant d’analyser ce point, il convient de rappeler la jurisprudence pertinente à ce jour.

1.      La jurisprudence de la Cour à ce jour

37.      La présente affaire n’est pas la première dans laquelle la Cour a eu l’occasion de se pencher sur la question du rôle d’un fournisseur d’accès en tant qu’intermédiaire «dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur», au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

38.      Dans l’affaire LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten, la Cour a dit pour droit qu’«un fournisseur d’accès, qui se limite à procurer aux utilisateurs l’accès à l’Internet, sans proposer d’autres services tels que, notamment, des services de courrier électronique, de téléchargement ou de partage des fichiers, ni exercer un contrôle de droit ou de fait sur le service utilisé, doit être considéré comme un ‘intermédiaire’ au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29» (21).

39.      La Cour a motivé cela en affirmant que le fournisseur d’accès fournit au client un service susceptible d’être employé par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur. Cela découle, selon la Cour, notamment du considérant 59 de la directive 2001/29, étant donné que le fournisseur d’accès procure à l’utilisateur la connexion qui lui permettra de porter atteinte aux droits en question (22). Contrairement à la présente espèce, l’affaire précitée avait pour objet des systèmes de partage de fichiers, où les utilisateurs du fournisseur d’accès mettent eux aussi les œuvres portant atteinte au droit d’auteur à disposition sur Internet.

40.      L’interprétation de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 donnée dans l’affaire LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten, précitée, a été confirmée dans l’arrêt Scarlet Extended, précité. Dans cet arrêt, la Cour a en outre constaté que, selon les articles 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et 11, troisième phrase, de la directive 2004/48, les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires, tels que les fournisseurs d’accès, qui visent non seulement à mettre fin aux atteintes déjà portées, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes (23).

41.      De la même manière, des exploitants de plateformes de réseaux sociaux en ligne relèvent, selon la jurisprudence de la Cour, de la notion d’intermédiaire au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 (24).

42.      En résumé, on peut conclure que la jurisprudence a déjà précisé que les fournisseurs d’accès doivent être considérés généralement comme des «intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur», au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, pouvant dès lors être visés par une ordonnance sur requête au sens de cette même disposition. Il reste cependant à clarifier, comme l’expose fort à propos la juridiction de renvoi, si l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 vise également une ordonnance sur requête à l’encontre d’un fournisseur d’accès, lorsque ce dernier n’a pas fourni l’accès à Internet à la personne qui a porté atteinte au droit d’auteur, mais seulement à la personne qui a consulté l’offre illicite, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de la disposition, si la personne qui propose des contenus portant atteinte au droit d’auteur utilise à cet effet les services du fournisseur d’accès de l’utilisateur qui consulte ces contenus.

2.      Interprétation de la disposition

a)      Interprétation selon la lettre

43.      La défenderesse estime qu’un tel fournisseur d’accès ne saurait être visé par une ordonnance sur requête au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, au motif que, à défaut de relation contractuelle avec l’auteur de l’atteinte au droit d’auteur, il n’a aucune possibilité de l’influencer et que l’atteinte est perpétrée en mettant l’œuvre en question à la disposition du public en l’absence de toute intervention de sa part. Les services du fournisseur d’accès, selon la défenderesse, n’auraient donc pas été «utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur». En effet, une interprétation aussi large de l’expression «être utilisés» inclurait également les services des fournisseurs d’électricité, les services de messagerie et autres.

44.      Ce point de vue n’est pas convaincant. Comme nous l’avons répété à maintes reprises, selon l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, il faut pouvoir demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires «dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur». Cette disposition n’exige donc pas explicitement l’existence d’une relation contractuelle entre l’intermédiaire et la personne qui porte atteinte au droit d’auteur (25).

45.      On peut se demander toutefois si les services du fournisseur d’accès de la personne qui consulte une information portant atteinte à un droit d’auteur sont également «utilisés», aux fins de ladite atteinte, par la personne qui met cette information à la disposition du public, enfreignant ainsi l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29.

46.      À cet égard, la juridiction de renvoi comme la défenderesse manifestent des doutes, étant donné que la situation visée à l’article 3 de la directive 2001/29 est constituée dès lors que l’exploitant du site Internet portant atteinte au droit d’auteur rend ce site accessible moyennant son fournisseur d’accès.

47.      Certes, il est exact qu’un site Internet, dès lors qu’il est mis en ligne par le fournisseur d’accès de l’exploitant du site, est déjà mis «à la disposition du public [...] de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement», au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29. Toutefois, cette mise à disposition du public s’effectue principalement par l’intermédiaire du propre fournisseur d’accès dudit public. Si ce n’est pas en écartant un fournisseur d’accès particulier que le site en question cesse d’être accessible, il est certain que, collectivement, les fournisseurs d’accès des utilisateurs d’Internet sont nécessaires à la «mise à la disposition du public» (26). La juridiction de renvoi note, à juste titre, à cet égard, que d’un point de vue factuel, la mise à disposition ne devient pertinente que dès l’instant où des internautes peuvent avoir accès au contenu en question.

48.      Cela signifie, toutefois, que, d’après la lettre de la disposition, même les services du fournisseur d’accès de l’utilisateur d’Internet sont utilisés par l’auteur de l’atteinte au droit d’auteur aux fins de cette atteinte (27), indépendamment du fait de savoir si ledit auteur de l’atteinte a lui-même une relation contractuelle avec ce fournisseur d’accès.

b)      Interprétation selon le contexte

49.      Le contexte de la disposition en cause plaide également en faveur de cette interprétation.

50.      Dans ce contexte, il convient de renvoyer, tout d’abord, au considérant 59 de la directive 2001/29, selon lequel «les services d’intermédiaires peuvent [...] être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre d’un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une œuvre protégée ou d’un autre objet protégé».

51.      Ce considérant souligne que la directive 2001/29 vise les intermédiaires comme étant les meilleurs destinataires de mesures tendant à faire cesser les atteintes au droit d’auteur principalement au motif qu’ils transmettent des données «dans un réseau». Les termes choisis soulignent qu’il s’agit non pas seulement de la première transmission dans un réseau, mais également de la transmission ultérieure dans le réseau. Cela apparaît encore plus clairement dans les versions en langue anglaise et en langue espagnole de ladite directive où l’on peut lire, respectivement, «who carries a third party’s infringement of a protected work [...] in a network» et «que transmita por la red la infracción contra la obra [...] cometida por un tercero». Or, de cette manière, les fournisseurs d’accès des utilisateurs qui consultent les contenus litigieux sont également visés.

52.      Les règles de responsabilité pour les intermédiaires fixées par la directive 2000/31 ne s’opposent pas, en principe, à l’adoption d’une ordonnance sur requête, au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 à l’encontre de fournisseurs d’accès. Certes, l’article 12 de cette directive contient des dispositions spéciales concernant la responsabilité des intermédiaires pour la simple transmission d’informations. Cependant, en vertu du paragraphe 3 de cet article, ces dispositions n’affectent pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation.

53.      La possibilité de rendre une ordonnance à l’encontre d’un fournisseur d’accès est également envisagée par la directive 2004/48, qui prévoit à son article 11, troisième phrase, des injonctions à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

54.      L’interprétation systématique plaide donc également en ce sens que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 vise les fournisseurs d’accès comme destinataires potentiels d’une ordonnance sur requête même lorsqu’ils sont non pas les fournisseurs d’accès des auteurs de l’atteinte au droit d’auteur, mais ceux des utilisateurs qui consultent le site Internet illicite.

c)      Interprétation selon le sens et l’objectif de la disposition

55.      Enfin, le sens et l’objectif de la disposition plaident également pour une interprétation de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 en ce sens que l’auteur de l’atteinte au droit d’auteur utilise les services du fournisseur d’accès de l’utilisateur qui consulte le site Internet.

56.      Une telle interprétation est conforme à l’intention du législateur d’assurer un niveau élevé de protection du droit d’auteur (28). Selon la volonté du législateur, un système «efficace et rigoureux» de protection du droit d’auteur est nécessaire pour garantir la création et la production culturelles européennes (29).

57.      La directive 2001/29 doit assurer un tel niveau élevé de protection précisément au regard des défis de la société de l’information (30). Comme il ressort du considérant 59 de la directive 2001/29, le législateur a considéré que, eu égard au progrès technique, les intermédiaires qui transmettent les informations sont souvent les mieux à même d’agir contre des informations portant atteinte à des droits. L’exemple d’un site Internet mis en ligne par un fournisseur d’accès en dehors de l’Union montre pourquoi le législateur estime que l’intermédiaire joue un tel rôle clé: dans un tel cas de figure, le site Internet en question et ses exploitants sont souvent hors d’atteinte de la justice. Aussi, le fournisseur d’accès demeure-t-il une référence appropriée.

58.      Il est évident que l’intermédiaire qui n’a aucune relation contractuelle avec l’auteur de l’atteinte au droit d’auteur ne saurait en aucun cas être tenu pour responsable, inconditionnellement, de la cessation de cette atteinte. Dans le cadre de nos propositions de réponse aux troisième et quatrième questions, nous exposerons un certain nombre de considérations quant aux conditions à prendre en compte à cet égard.

59.      Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle en disant pour droit que l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui met des objets protégés à la disposition du public sur Internet sans l’autorisation du titulaire de droits, violant ainsi des droits découlant de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29, utilise les services du fournisseur d’accès des personnes qui consultent ces objets. Du moment que nous répondons ainsi par l’affirmative à la première question, nous passerons directement à l’appréciation de la troisième question préjudicielle.

D –    Sur la troisième question préjudicielle

60.      La complexité de la troisième question préjudicielle ressort déjà de la manière dont elle est formulée. Elle met en relation deux éléments. En effet, la juridiction de renvoi demande, dans un premier temps, s’il est conforme au droit de l’Union, et notamment aux droits fondamentaux, d’interdire judiciairement au fournisseur d’accès, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, dans des termes très généraux, d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet dont l’intégralité ou une partie substantielle du contenu n’a pas été autorisé par le titulaire de droits. La juridiction de renvoi qualifie l’ordonnance judiciaire ainsi formulée d’«Erfolgsverbot» (interdiction de laisser se produire un certain résultat), étant entendu par là que le destinataire de l’interdiction est tenu d’empêcher un certain résultat (à savoir l’accès au site Internet), sans que les mesures que ledit destinataire doit prendre à cet effet ne soient indiquées (31).

61.      Cette question se pose cependant, et c’est là le deuxième terme de la question, dans un contexte procédural particulier. Le fournisseur d’accès, en effet, peut échapper aux astreintes pour non-respect de l’«Erfolgsverbot» en démontrant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour s’y conformer. Cet élément s’apprécie au regard des dispositions nationales particulières s’appliquant à l’adoption et à l’exécution d’une ordonnance comme celle décrite ici par la juridiction de renvoi.

62.      Nous présenterons ci-dessous, dans un premier temps, les points de vue des différents intervenants, pour ensuite exposer, brièvement et de manière simplifiée, aux fins d’une meilleure compréhension, les dispositions nationales. Enfin, nous procéderons à l’appréciation juridique de la question.

1.      Le point de vue des intervenants

63.      Les intervenants ont défendu des points de vue différents sur cette question.

64.      La République italienne, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni considèrent, pour l’essentiel, qu’il appartient au juge national d’apprécier la nature de l’ordonnance judiciaire, en tenant compte, dans le cas concret, de certaines exigences, et notamment du principe de proportionnalité et de la mise en balance des intérêts des parties en cause. La République italienne et le Royaume des Pays-Bas ont abordé les troisième et quatrième questions ensemble.

65.      Les demanderesses et la République d’Autriche estiment qu’un «Erfolgsverbot» tel qu’il est présenté en l’espèce est conforme au droit de l’Union. Les demanderesses invoquent, au soutien de cette thèse, l’intérêt à des voies de recours effectives contre les atteintes au droit d’auteur, ainsi qu’une approche jurisprudentielle neutre sur le plan technique. Selon elles, la procédure ne serait pas contestable, car les juridictions nationales, en ordonnant le blocage, auraient apprécié la proportionnalité de la mesure, c’est-à-dire la question de savoir si le site Internet en question a donné accès à des contenus dont l’intégralité ou une partie substantielle n’avait pas été autorisée par le titulaire de droits. Eu égard au caractère éclatant des violations de droits et à l’objectif d’ouverture technique, le fournisseur d’accès aurait à supporter l’incertitude quant aux mesures à prendre. D’après les défenderesses, les intérêts légitimes du fournisseur d’accès auraient été pris en compte dans la procédure d’exécution forcée. La République d’Autriche estime également, pour sa part, que la procédure est licite dans l’intérêt de la protection juridictionnelle effective lorsqu’on est en présence de violations massives du droit d’auteur, le fournisseur d’accès se trouvant dans une meilleure position que le titulaire des droits pour choisir la mesure de blocage appropriée.

66.      La défenderesse et la Commission excluent la licéité d’un «Erfolgsverbot» selon la procédure décrite. De l’avis de la défenderesse, une interdiction générale de laisser se produire un certain résultat ne satisfait pas aux exigences de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. Le fournisseur d’accès n’entretient aucune relation contractuelle avec l’auteur des atteintes au droit d’auteur. L’interdiction en cause ferait peser sur lui, au-delà de ce qui est raisonnable, la charge d’apprécier quelles seraient les mesures de blocage raisonnables, avec le risque, en cas d’erreur d’appréciation, de voir sa responsabilité engagée au regard du respect de l’«Erfolgsverbot» ou à l’égard du client. La Commission estime que le fait que la juridiction nationale n’ait pas été en mesure d’apprécier la proportionnalité, étant donné sa méconnaissance de la portée des mesures nécessaires, constitue une violation du principe de proportionnalité. La possibilité d’échapper aux astreintes ne saurait remédier à l’absence d’une juste appréciation de la proportionnalité au moment de l’adoption de l’ordonnance.

2.      Le droit autrichien

67.      Aux fins d’une meilleure compréhension notamment des aspects procéduraux de la question préjudicielle posée par le juge de renvoi, il nous semble utile d’exposer quelques considérations sur le droit autrichien (32).

68.      Pour la protection de droits absolus, c’est-à-dire des droits que leurs titulaires peuvent invoquer à l’encontre de quiconque (33), le droit autrichien prévoit en principe la possibilité d’imposer une interdiction de laisser se produire un résultat déterminé (Erfolgsverbot). D’après l’exposé de la défenderesse, une telle interdiction est généralement infligée à la personne qui a porté directement atteinte à un droit absolu. Cette interdiction oblige son destinataire à empêcher qu’un certain résultat se produise. Les moyens à déployer pour empêcher ce résultat sont laissés à l’appréciation du destinataire de l’interdiction. La question de savoir si cet empêchement est seulement possible ou si les mesures nécessaires à cet effet tiennent compte des droits fondamentaux des personnes concernées n’est pas appréciée avant d’ordonner l’«Erfolgsverbot» (34).

69.      Dans le cas où le résultat qu’il fallait empêcher se produit néanmoins (c’est-à-dire, dans la présente espèce, si un utilisateur parvient à accéder au site Internet litigieux), on est en présence d’une violation de l’«Erfolgsverbot» et il peut être demandé (dans le cadre de la procédure d’exécution forcée) que le destinataire de l’interdiction soit condamné à une astreinte (35). La charge de la preuve incombe alors, selon l’exposé de la République d’Autriche, au bénéficiaire de l’ordonnance. Ce n’est qu’alors, au stade de la procédure d’exécution, que le destinataire de l’interdiction peut faire valoir judiciairement le fait d’avoir pris toutes les mesures qu’on pouvait attendre de lui afin d’empêcher le résultat interdit et échapper ainsi aux astreintes.

70.      À première vue, il semblerait préférable d’apprécier séparément la conformité au droit européen de l’interdiction de laisser se produire un certain résultat («Erfolgsverbot») et des particularités procédurales. Toutefois, l’interdiction en cause dans la présente affaire comporte la possibilité d’éviter une astreinte a posteriori, dans le cadre de la procédure d’exécution. Cela constitue donc (nonobstant les particularités d’une procédure organisée de manière très défavorable au fournisseur d’accès) une mesure moins contraignante qu’un «Erfolgsverbot» strict. Nous laisserons donc de côté les autres particularités procédurales pour apprécier, ci-dessous, comme le fait également la juridiction de renvoi, la compatibilité avec le droit européen de l’«Erfolgsverbot» avec la possibilité de s’exonérer a posteriori.

3.      Appréciation juridique

71.      Nous sommes d’avis que l’interdiction de laisser se produire un résultat précis, l’«Erfolgsverbot», sans indication des mesures à prendre à cet effet, dès lors qu’elle vise un fournisseur d’accès qui n’est pas en relation contractuelle avec l’auteur de l’atteinte aux droit d’auteur, ne satisfait pas aux exigences posées par la jurisprudence dans le cadre de l’application de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. La possibilité de faire valoir ultérieurement, lors de la procédure d’exécution, le caractère déraisonnable des mesures nécessaires au respect de l’interdiction n’empêche pas l’«Erfolgsverbot» d’être contraire au droit de l’Union.

72.      En principe, les conditions et les modalités des ordonnances sur requête que doivent prévoir les États membres au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, tout comme les hypothèses et la procédure à suivre à cet effet, relèvent du droit national de ces derniers. Cela découle du considérant 59 de la directive 2001/29 et, d’une façon analogue, du considérant 23 de la directive 2004/48 (36).

73.      Cependant, la formation de ces injonctions ou ordonnances n’est pas intégralement laissée au pouvoir d’appréciation des États membres. En effet, ces règles nationales, de même que leur application par les juridictions nationales, doivent respecter les limitations découlant des directives 2001/29 et 2004/48, ainsi que des sources de droit auxquelles ces directives font référence (37). En outre, il convient de toujours prendre en considération les droits fondamentaux conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), et à l’article 6 TUE.

74.      Nous nous pencherons ci-dessous sur trois de ces limitations au pouvoir d’appréciation des États membres pour les apprécier en suivant le même ordre que dans la jurisprudence citée: l’interprétation de la directive dans le sens d’une poursuite effective de ses objectifs, l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, ainsi que les droits fondamentaux. C’est vis-à-vis de ces derniers que la mesure examinée ici s’avère incompatible.

a)      Protection effective du droit d’auteur

75.      Il faut considérer, tout d’abord, que la directive 2001/29 doit être interprétée dans l’optique de la réalisation de sa finalité, à savoir la protection juridique effective du droit d’auteur (article 1er, paragraphe 1) (38). Ainsi, les sanctions doivent être «efficaces, proportionnées et dissuasives» (39). En outre, en vertu de l’article 3 de la directive 2004/48, les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle doivent être loyales, équitables, effectives, proportionnées et dissuasives, ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés, et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. Il s’ensuit, entre autres, que les États membres, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le constater, doivent prévoir des mesures qui visent non seulement à mettre fin aux atteintes déjà portées, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes (40).

76.      D’un autre côté, et comme le sous-entendaient déjà les exigences de proportionnalité, de loyauté et du caractère équitable, les mesures en question doivent assurer un juste équilibre entre les différents droits et intérêts des parties concernées, ainsi que la Cour l’a affirmé avec constance à partir de l’arrêt Promusicae (41).

b)      L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31

77.      Il convient en outre de prendre en considération l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31, selon lequel les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires de services une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. En vertu du considérant 16 de la directive 2001/29 et de l’article 2, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/48 (article 15, paragraphe 1), cette disposition n’est pas affectée par ces dernières directives (42).

78.      On serait en présence d’une telle mesure illicite si le juge avait imposé au fournisseur d’accès de rechercher activement d’éventuelles copies de la page Internet illicite, sous d’autres noms de domaines, ou de filtrer toutes les données transmises sur son réseau constituant des transmissions d’œuvres filmographiques précises et de les bloquer. Or, il n’est pas question d’une telle mesure dans la présente espèce. La juridiction de renvoi est plutôt appelée à statuer sur le blocage d’un site Internet précis. Cette mesure n’est donc pas contraire à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31.

c)      Les droits fondamentaux

79.      En revanche, la mesure en question ici est contraire aux exigences relatives aux droits fondamentaux auxquelles doivent être soumises, d’après la jurisprudence (43), les ordonnances sur requête au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. De ce point de vue, la mesure en cause n’est ni «loyale et équitable» ni «proportionnée» au sens de l’article 3 de la directive 2004/48.

80.      Les droits fondamentaux, qui sont désormais garantis au même titre que les traités en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, s’appliquent aux États membres dans la mise en œuvre du droit de l’Union. Les États membres sont dès lors tenus au respect de droits fondamentaux garantis par la Charte lorsqu’ils rendent des ordonnances au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. Il incombe en particulier aux juridictions nationales de prendre en considération ces droits (44).

81.      À cet égard, il faut prendre en considération qu’une ordonnance au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 tend à la protection du droit d’auteur. La protection de la propriété intellectuelle est assurée, au titre des droits fondamentaux, par l’article 17, paragraphe 2, de la Charte (45). Selon la jurisprudence de la Cour, ce droit n’est toutefois pas intangible et sa protection ne doit donc pas être assurée de manière absolue. En effet, la protection du droit fondamental de propriété, dont font partie les droits de propriété intellectuelle, doit être mise en balance avec celle d’autres droits fondamentaux afin d’assurer, dans le cadre des mesures adoptées pour protéger les titulaires de droits d’auteur, un juste équilibre entre la protection de ce droit et celle des droits fondamentaux de personnes qui sont affectées par de telles mesures (46).

82.      Du côté du fournisseur d’accès contre qui est adoptée une mesure au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, il convient tout d’abord de considérer une possible restriction de la liberté d’expression et de la liberté d’information (article 11 de la Charte). En l’espèce il est certes question d’expression et d’information des clients du fournisseur d’accès, ce dernier peut toutefois également se prévaloir de ce droit fondamental en vertu de sa fonction consistant à rendre publiques les opinions de ses clients et à leur transmettre des informations (47). Ce qu’il faut garantir, dans ce contexte, c’est que la mesure de blocage atteigne effectivement du matériel illicite et qu’il n’existe pas de risque de bloquer l’accès à du matériel licite (48).

83.      Selon la jurisprudence, il convient de tenir compte, en outre, de la liberté d’entreprise du fournisseur d’accès, garantie par l’article 16 de la Charte (49).

84.      Dans ce contexte, d’après la jurisprudence, il y a lieu d’assurer un juste équilibre entre la protection de ces droits que le fournisseur d’accès peut invoquer et le droit de propriété intellectuelle (50).

85.      Or, on ne saurait considérer qu’il existe un tel équilibre en présence d’une interdiction, prononcée à l’encontre d’un fournisseur d’accès, de laisser se produire un résultat précis («Erfolgsverbot»), sans indication des mesures à adopter à cet effet.

86.      Comme nous le mentionnions en introduction, il est toute une série de mesures de blocage d’un site Internet, et donc susceptibles de mettre en application l’«Erfolgsverbot», qui peuvent être prises en considération. Parmi celles-ci se trouvent des méthodes très complexes, telles que la déviation du trafic Internet vers un serveur proxy, mais aussi d’autres mesures moins difficiles à mettre en œuvre. Les mesures sont donc très différentes au regard de l’intensité de l’atteinte aux droits fondamentaux du fournisseur d’accès. En outre, il n’est pas exclu qu’une exécution pleine et complète de l’interdiction en cause soit impossible d’un point de vue purement factuel.

87.      Comme nous le constations, dans la présente affaire, il est question non pas d’un «Erfolgsverbot» pur et simple, mais d’un «Erfolgsverbot» où le destinataire de l’interdiction peut faire valoir judiciairement, dans le cadre de la procédure d’exécution, le fait d’avoir pris toutes les mesures qu’on pouvait attendre de lui afin d’empêcher le résultat interdit. On peut dès lors se demander si cette possibilité de défense a posteriori dont bénéficie le destinataire de l’interdiction satisfait l’exigence d’équilibre nécessaire.

88.      La réponse à cette question est négative. La simple logique s’oppose à une telle «reconstitution» de l’équilibre nécessaire. L’équilibre des droits fondamentaux doit être apprécié, selon la jurisprudence, dès l’adoption de l’injonction. Or, dans la procédure en cause, celui-ci n’est expressément pas pris en compte et de nombreuses considérations pertinentes au regard des droits fondamentaux ne sont appréciées qu’ultérieurement. Cela est contraire à l’obligation d’assurer un équilibre entre les droits des parties concernées dans le cadre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29.

89.      Si l’on se penche sur la situation du fournisseur d’accès, on s’aperçoit également que cette possibilité procédurale ne saurait assurer un équilibre des droits fondamentaux. En effet, le fournisseur d’accès doit supporter une injonction à son égard qui ne précise pas quelles mesures il est censé prendre. S’il décide d’adopter une mesure de blocage moins drastique afin de respecter la liberté d’information de ses clients, il aura à craindre qu’une astreinte ne lui soit infligée à l’issue de la procédure d’exécution. S’il décide, à l’inverse, de mettre en œuvre une mesure de blocage plus intensive, il aura à craindre une situation de conflit avec ses clients. Le fait qu’il existe une possibilité de défense dans le cadre de la procédure d’exécution ne change rien au dilemme devant lequel se trouve le fournisseur d’accès. Certes, l’auteur peut faire valoir, à juste titre, le risque d’une violation massive de ses droits par le site Internet en cause. Cependant, dans des cas comme la présente espèce, le fournisseur d’accès n’a aucun rapport avec les exploitants du site Internet portant atteinte au droit d’auteur et n’a lui-même pas commis de violation de ce droit. Dans un tel contexte, s’agissant de la mesure en question ici, on ne saurait parler d’un juste équilibre entre les différents droits des parties concernées.

90.      Eu égard à ces considérations, il convient de répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens qu’il n’est pas conforme à la nécessaire mise en balance des droits fondamentaux des parties concernées, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, d’interdire au fournisseur d’accès dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet précis qui porterait atteinte au droit d’auteur. Cela vaut également lorsque le fournisseur d’accès peut échapper aux astreintes visant à réprimer la violation de cette interdiction en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables afin de se conformer à l’interdiction en question.

E –    Sur la quatrième question préjudicielle

91.      Après s’être penchée, dans sa troisième question préjudicielle, sur la licéité d’une interdiction de laisser se produire un résultat précis («Erfolgsverbot»), la juridiction de renvoi évoque, dans sa quatrième question, des mesures de blocage concrètes. Elle demande si le fait d’imposer à un fournisseur d’accès des mesures concrètes visant à rendre plus difficile à ses clients l’accès à un site Internet dont le contenu a été illégalement mis à disposition est conforme à la mise en balance des droits fondamentaux, notamment lorsque ces mesures, qui requièrent des moyens non négligeables, peuvent facilement être contournées sans connaissances techniques spécifiques. Il s’agit là simplement, pour la juridiction de renvoi, de recevoir des lignes directrices pour l’appréciation de la proportionnalité de mesures de blocage concrètes, le contexte factuel n’étant pas encore définitivement clarifié à cet égard.

92.      Seule la défenderesse estime que le fait d’ordonner des mesures de blocage concrètes n’est pas compatible, dans les circonstances données, avec les droits fondamentaux des parties concernées. Les demanderesses, la République italienne, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, le Royaume-Uni et la Commission considèrent qu’une telle mesure concrète n’est pas à exclure en principe et fournissent des éléments détaillés concernant les lignes directrices à suivre par les juridictions nationales.

93.      Nous sommes également d’avis qu’une injonction de blocage n’est pas exclue dans les circonstances de l’espèce.

94.      Comme nous l’exposions plus haut, la Cour a déjà fourni des indications détaillées concernant l’appréciation de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29. L’une des indications que les autorités et les juridictions nationales doivent suivre est que ces dernières doivent assurer un juste équilibre entre la protection des droits de propriété intellectuelle dont bénéficient les titulaires de droits d’auteur, et la protection des droits fondamentaux du fournisseur d’accès. Ce dernier peut invoquer, comme nous le disions, notamment la liberté d’entreprise des opérateurs économiques conformément à l’article 16 de la Charte, ainsi que la liberté d’expression et d’information (article 11 de la Charte). En vertu de cette dernière, un blocage d’accès ne saurait affecter notamment des informations protégées. La question de la juridiction de renvoi vise le coût des mesures concrètes pour le fournisseur d’accès et la possibilité de contourner un blocage. La juridiction de renvoi vise ici expressément l’appréciation de la proportionnalité. Les considérations susmentionnées s’appliquent à l’appréciation des deux droits fondamentaux en question. En outre, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/48 exige que les moyens de recours tendant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle soient proportionnés. Afin d’éviter des répétitions, nous limiterons notre exposé ci-dessous à l’article 16 de Charte, la juridiction de renvoi n’ayant pas soulevé de question quant à la liberté d’expression et d’information.

95.      Dans les affaires précitées Scarlet Extended et SABAM, la Cour a qualifié d’atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise l’injonction, faite à un fournisseur d’accès, de mettre en place un système de filtrage pour la surveillance des données complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais (51). Une mesure de blocage concrète qui requiert des moyens non négligeables peut certes constituer une atteinte moins importante, elle a néanmoins pour objectif et pour effet d’opérer une limitation du droit et constitue, dès lors, une intervention dans le domaine de protection (52) du droit en cause (53).

96.      Selon la jurisprudence constante de la Cour, la liberté d’entreprise ne constitue pas une prérogative absolue, mais doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société et – notamment au regard de la lettre de l’article 16 de la Charte – est soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles «d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique» (54).

97.      Il convient, à cet égard, de tenir compte des exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à savoir le respect de la réserve de légalité et du principe de proportionnalité. Sur la réserve de légalité, nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer dans le détail dans nos conclusions présentées dans l’affaire Scarlet Extended (55). Quant à la formulation de la question qui est posée ici, nous pensons devoir limiter notre exposé dans la présente affaire à la question de la proportionnalité.

98.      Selon la jurisprudence constante de la Cour, les mesures adoptées par les États membres en vue de la protection du principe de proportionnalité ne sauraient dépasser «les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés» (56). Pour ce qui nous concerne, cela correspond à la disposition de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, selon laquelle les limitations doivent être nécessaires et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

1.      Caractère approprié

99.      Les injonctions en cause ici, en ce qu’elles visent la protection du droit d’auteur, et donc des «droits d’autrui» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, poursuivent sans aucun doute un objectif licite. La question se pose cependant de savoir si elles sont appropriées aux fins de cet objectif, c’est-à-dire si elles contribuent à l’atteindre (57). Les doutes à cet égard proviennent de ce que les mesures de blocage en cause, selon le propre constat de la juridiction de renvoi, «peuvent facilement être contournées, même sans connaissances techniques spécifiques». Ainsi, d’une part, les utilisateurs d’Internet peuvent sans grandes difficultés contourner la mesure de blocage et, d’autre part, les exploitants du site Internet portant atteinte au droit d’auteur peuvent proposer leur site Internet dans une forme identique mais sous une autre adresse IP ou sous un autre nom de domaine.

100. Nous sommes d’avis que ces considérations ne suffisent toutefois pas à considérer toute mesure de blocage comme inappropriée. Cela vaut, en premier lieu, pour ce qui concerne les possibilités de contournement par les utilisateurs. Certes, un grand nombre d’utilisateurs est, potentiellement, en mesure de contourner un blocage. Cela n’entraîne cependant nullement que chacun de ces utilisateurs le contournera effectivement. Des utilisateurs qui prendraient conscience de l’illégalité du site Internet en question du fait du blocage pourraient très bien renoncer à y accéder. On ne saurait présumer la volonté, dans le chef de chaque utilisateur, d’atteindre un site Internet nonobstant le blocage de celui-ci, et supposer ainsi la volonté de chaque utilisateur d’encourager une violation du droit. Enfin, on relèvera que, si les utilisateurs en mesure de contourner un blocage peuvent être nombreux, ce n’est de loin pas le cas de tous.

101. La possibilité, également, que l’exploitant propose le site Internet en question dans une forme identique sous une autre adresse IP ou sous un autre nom de domaine n’est pas de nature à exclure, en principe, le caractère approprié de la mesure de blocage. Tout d’abord, dans ce cas également, des utilisateurs pourraient, du fait du blocage, prendre conscience du caractère illicite du site Internet en cause et renoncer à le visiter. Ensuite, les utilisateurs doivent recourir à des moteurs de recherche pour trouver la page en question. En présence de multiples mesures de blocage, une telle recherche peut s’avérer plus difficile.

102. Eu égard à ces considérations, une injonction de blocage indiquant les mesures concrètes à prendre aux fins du blocage n’est pas en principe inappropriée pour atteindre l’objectif de protection des droits d’auteur.

2.      Caractère nécessaire et non démesuré

103. En outre, la mesure ordonnée doit être nécessaire, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi (58), sachant que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante  (59). Enfin, les inconvénients causés par la mesure en cause ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (60).

104. Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier ces exigences au regard des mesures prévues dans le cas concret dont elle est saisie. Tant au regard de la répartition des compétences entre les juridictions dans la relation de coopération entre la Cour et les juridictions des États membres qu’au regard de la clarification des faits de l’espèce, qui s’avère incomplète dans la présente affaire, ainsi que du défaut d’indications concernant la mesure concrète, il n’est ni souhaitable ni possible de procéder, ici, à un examen du caractère nécessaire et non démesuré. On pourra, tout au plus, exposer à la juridiction de renvoi quelques considérations à cet égard. Cependant, il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive des points de vue à prendre en compte. Le juge national devra prendre en considération de manière complète toutes les circonstances pertinentes du cas d’espèce.

105. Tout d’abord, force est de relever que la possibilité de contournement ne s’oppose pas, en principe, à ce qu’une mesure de blocage soit ordonnée. Nous en avons exposé les motifs dans le paragraphe concernant le caractère approprié. L’estimation quantitative de l’efficacité d’une mesure de blocage est un élément qu’il convient d’inclure dans l’appréciation.

106. Selon la jurisprudence de la Cour, la complexité, le coût et la durée de la mesure sont également à prendre en compte (61). Il faut, à cet égard, prendre en considération le fait que la mesure de blocage en question ne constituera très probablement pas un cas isolé qui visera la seule défenderesse. Le juge national doit partir du principe qu’il s’agit là d’un cas d’école et que, dans le futur, de nombreuses affaires similaires, contre des fournisseurs d’accès, pourraient être traitées devant les juridictions nationales, de sorte que de nombreuses mesures de blocage pourraient être ordonnées. Si une mesure en particulier devait s’avérer disproportionnée eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, il convient d’apprécier si le fait de mettre ledit coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire des droits est une mesure susceptible de rétablir la proportionnalité.

107. Quant aux demanderesses, il convient de prendre en considération que le titulaire des droits ne saurait être laissé sans protection devant un site Internet portant massivement atteinte à ses droits. D’un autre côté, dans des cas comme celui qui nous occupe, il convient de tenir compte du fait que le fournisseur d’accès n’a pas de relation contractuelle avec l’exploitant du site Internet illicite. Si, dans un cas comme celui-ci, il n’est pas totalement exclu que l’on puisse demander des comptes au fournisseur d’accès, le titulaire du droit d’auteur est tenu de poursuivre prioritairement, pour autant que cela soit possible, les exploitants du site Internet illicite ou leur fournisseur d’accès.

108. Enfin, il convient de prendre en considération le fait que l’article 16 de la Charte protège la libre entreprise. Une injonction de blocage n’est, en tout état de cause, pas proportionnée si elle remet en cause l’activité entrepreneuriale du fournisseur d’accès en tant que telle, c’est-à-dire l’activité commerciale consistant à mettre à disposition un accès à Internet. Un fournisseur d’accès peut invoquer, à cet égard, l’importance de son activité dans la société: comme nous le constations dans nos remarques introductives, l’accès à l’information par Internet est considéré comme essentiel, de nos jours, dans une société démocratique. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté à cet égard qu’une étude de droit comparé menée dans 20 États membre du Conseil de l’Europe fait apparaître que le droit à l’accès à Internet est théoriquement inclus dans la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression et d’information (62). Pour la Cour européenne des droits de l’homme, Internet joue un rôle essentiel pour l’accès et la diffusion d’informations (63).

109. Eu égard aux considérations exposées ci-dessus, il convient de répondre à la quatrième question préjudicielle en ce sens que le fait d’ordonner à un fournisseur d’accès de prendre une mesure de blocage concrète, au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, à l’encontre d’un site Internet déterminé, n’est pas, en principe, disproportionné du simple fait que cette mesure requiert des moyens non négligeables, mais peut facilement être contournée sans connaissances techniques spécifiques. Il incombe aux juridictions nationales de mettre en balance, dans chaque cas concret et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, les différents droits fondamentaux des parties concernées et de garantir un juste équilibre entre ces droits fondamentaux.

V –    Conclusion

110. Pour les motifs exposés ci-dessus, nous suggérons à la Cour de répondre aux questions posées par l’Oberster Gerichtshof de la manière suivante:

1)      L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’une personne qui met des objets protégés à la disposition du public sur Internet sans l’autorisation du titulaire de droits, violant ainsi des droits découlant de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/29, utilise les services du fournisseur d’accès des personnes qui consultent ces objets.

2)      Il n’est pas conforme à la nécessaire mise en balance des droits fondamentaux des parties concernées, dans le cadre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, d’interdire au fournisseur d’accès dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet précis qui porterait atteinte au droit d’auteur. Cela vaut également lorsque le fournisseur d’accès peut échapper aux astreintes visant à réprimer la violation de cette interdiction en prouvant qu’il a pris toutes les mesures raisonnables afin de se conformer à l’interdiction en question.

3)      Le fait d’ordonner à un fournisseur d’accès de prendre une mesure de blocage concrète, au titre de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29, à l’encontre d’un site Internet déterminé, n’est pas, en principe, disproportionné du simple fait que cette mesure requiert des moyens non négligeables, mais peut facilement être contournée sans connaissances techniques spécifiques. Il incombe aux juridictions nationales de mettre en balance, dans chaque cas concret et en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, les différents droits fondamentaux des parties concernées et de garantir un juste équilibre entre ces droits fondamentaux.


1 – Langue originale: l’allemand.


2 – Arrêts du 16 février 2012, SABAM (C‑360/10), et du 24 novembre 2011, Scarlet Extended (C‑70/10, Rec. p. I‑11959).


3 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).


4 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1).


5 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45).


6 – BGBl. no 111/1936.


7 – BGBl. no 152/2001.


8 – RGBl. no 79/1896.


9 – Pour l’histoire d’Internet, voir Naughton, J., A Brief History of the Future, Phoenix, Londres, 2e éd. 2000.


10 – Rapport du 10 août 2011 établi par le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression (UN Doc. A/66/290, point 87).


11 – Voir arrêt du Landesgericht Leipzig, du 11 avril 2012, 11 KLs 390 Js.


12 – Heidinger, R., Die zivilrechtliche Inanspruchnahme von Access-Providern auf Sperre urheberrechtsverletzender Webseiten, ÖBl 2011, p. 153; Maaßen, S. et Schoene, V., Sperrungsverfügung gegen Access-Provider wegen Urheberrechtsverletzung?, GRUR-Prax 2011, p. 394; Stadler, T., Sperrungsverfügung gegen Access-Provider, MMR 2002, p. 343; Kulk, S., Filtering for copyright enforcement in Europe after the Sabam cases, EIPR 2012, p. 791; Barrio Andrés, M., Luces y sombras del procedimiento para el cierre de páginas web, La Ley 48/2012, Castets-Renard, C., Le renouveau de la responsabilité délictuelle des intermédiaires de l’internet, Recueil Dalloz 2012, p. 827.


13 – L’analyse technique du blocage ordonné reste de la compétence de la juridiction de renvoi. Voir nos conclusions présentées le 14 avril 2011 dans l’affaire Scarlet Extended (arrêt du 24 novembre 2011, C‑70/10, Rec. p. I‑11959, point 50). En tout état de cause, les aspects techniques d’Internet influencent directement ses structures juridiques. Lessig, L., Code, version 2.0, Basic Books New York, 2006.


14 – Voir conclusions de l’avocat général Kokott présentées le 18 juillet 2007 dans l’affaire Promusicae (arrêt du 29 janvier 2008, C‑275/06, Rec. p. I‑271, en particulier points 30 et 31).


15 – Les différentes méthodes de filtrage sont décrites exhaustivement dans l’ordonnance du Handelsgericht Wien. Voir également Ofcom, «Site Blocking» to reduce online copyright infringement, 27 mai 2010.


16 – COM(2011) 942 final, du 11 janvier 2012, p. 14.


17 – Arrêts du 29 novembre 1978, Redmond (83/78, Rec. p. 2347, point 25), et du 30 novembre 1995, Esso Española (C‑134/94, Rec. p. I‑4223, point 9).


18 – Arrêt du 16 juin 1981, Salonia (126/80, Rec. p. 1563, point 6).


19 – Arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke (C‑83/91, Rec. p. I‑4871, points 31 à 34).


20 – Arrêt du 11 mars 1980, Foglia (104/79, Rec. p. 745, points 10 et 11).


21 – Ordonnance du 19 février 2009 (C‑557/07, Rec. p. I‑1227, point 46).


22 – Ibidem (points 43 à 45).


23 – Arrêt Scarlet Extended (précité à la note 2, points 30 et 31). Voir également arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C‑324/09, Rec. p. I‑6011, point 131).


24 – Arrêt SABAM (précité à la note 2, point 28). Voir, au regard de l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/28, arrêt L’Oréal e.a. (précité à la note 23, point 144).


25 – Il convient de relever que, dans son rapport sur l’application de la directive 2004/48, la Commission constate que même les intermédiaires qui n’ont aucun lien contractuel ni aucune relation avec le contrevenant sont soumis aux dispositions prévues par la directive. COM(2010) 779 final, du 22 décembre 2010, p. 6.


26 – Voir également nos conclusions présentées le 21 juin 2012 dans l’affaire Football Dataco e.a. (arrêt du 18 octobre 2012, C‑173/11, point 58) concernant la notion de «mise à la disposition du public» dans le cadre d’une «réutilisation» au sens de la directive 96/9/CE.


27 – En ce sens, voir également High Court of justice, Chancery Division, Twentieth Century Fox contre British Telecommunications, HC10C04385, du 28 juin 2011, point 113, confirmé par High Court of justice, EMI Records contre British Sky Broadcasting, HC12F4957 à HC12F4959, du 28 février 2013, point 82.


28 – Considérants 4 et 9 de la directive 2001/29.


29 – Considérant 11 de la directive 2001/29.


30 – Article 1er, paragraphe 1, de la directive 2001/29.


31 – Voir Klicka, T., in Angst, P. (éditeur), Kommentar zur Exekutionsordnung, ManzscheVerlags- und Universitätsbuchhandlung, Vienne, 2e éd. 2008, § 355, point 4.


32 – La présente analyse du droit national se fonde, sauf indication contraire, sur l’exposé du juge de renvoi et sur les observations des intervenants qui ne le contredisent pas.


33 – Cela inclut, en droit autrichien, les droits matériels, les droits de la personnalité et les droits portant sur les biens immatériels. Holzammer, R., et Roth, M., Einführung in das Bürgerliche Recht mit IPR, Springer, Wien, 5e edition, 2000, p. 29.


34 – Les demanderesses relèvent que le juge aurait à tout le moins apprécié, en décidant l’interdiction en cause, si l’accès aux informations légales aurait été affecté de manière sensible par le blocage. Aussi, une appréciation de la proportionnalité aurait-elle lieu dès la décision sur le blocage de l’accès, ou en plusieurs étapes, voire une seconde fois dans la procédure d’exécution forcée.


35 – L’exécution de l’«Erfolgsverbot» s’opère conformément à l’article 355 du code autrichien relatif aux procédures d’exécution.


36 – Voir arrêts Scarlet Extended (précité à la note 2, point 32), et SABAM (précité à la note 2, point 30). De même, pour ce qui concerne l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48, voir arrêt L’Oréal e.a. (précité à la note 23, point 135). Voir également considérant 45 de la directive 2000/31, selon lequel «la possibilité d’actions en cessation de différents types», et notamment le retrait des informations illicites ou le blocage de l’accès à ces dernières, reste sans préjudice.


37 – Arrêts Scarlet Extended (précité à la note 2, point 33), et L’Oréal e.a. (précité à la note 23, point 138).


38 – Ordonnance LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten (précitée à la note 21, point 45), et arrêt L’Oréal e.a., (précité à la note 23, point 136).


39 – Voir considérant 58 de la directive 2001/29.


40 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, point 29); Scarlet Extended (précité à la note 2, point 31), et L’Oréal e.a. (précité à la note 23, point 144) (concernant l’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48).


41 – Arrêts précités Promusicae (points 65 à 70) et L’Oréal e.a. (point 143).


42 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, points 32 et 36 à 38), et Scarlet Extended (précité à la note 2, point 36).


43 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, point 39), et Scarlet Extended (précité à la note 2, point 41).


44 – Arrêt Promusicae (précité à la note 41, point 68).


45 – Voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2006, Laserdisken (C‑479/04, Rec. p. I‑8089, point 65).


46 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, points 41 à 43), et Scarlet Extended (précité à la note 2, points 43 à 45).


47 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Öztürk c. Turquie, du 28 septembre 1999, no 22479/93, Recueil des arrêts et décisions 1999-VI, point 49.


48 – Voir, pour ce qui concerne les éventuels dommages collatéraux d’une mesure de blocage, Cour eur. D. H., arrêt Yildirim c. Turquie, du 18 décembre 2012, requête no 3111/10.


49 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, points 43 et 44), et Scarlet Extended (précité à la note 2, points 45 et 46). Concernant d’autres droits fondamentaux susceptibles d’être pertinents dans le cadre des injonctions ou ordonnances de blocage, nous renvoyons à nos conclusions présentées dans l’affaire Scarlet Extended (précitée à la note 13, points 69 à 86).


50 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, points 43 et 44), et Scarlet Extended (précité à la note 2, points 45 et 46).


51 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, point 46), et Scarlet Extended (précité à la note 2, point 48).


52 – La portée du droit visé à l’article 16 de la Charte a fait l’objet d’une analyse attentive de notre part dans nos conclusions présentées le 19 février 2013 dans l’affaire Alemo-Herron e.a. (arrêt du 18 juillet 2013, C‑426/11, points 48 à 58). Voir également Oliver, P., «What Purpose Does Article 16 of the Charter Serve», in Bernitz, U. e.a. (éditeur), General Principles of EU Law and European Private Law, Wolters Kluwer, Alphen aan den Rijn, 2013, p. 281; Jarass, H., Die Gewährleistung des unternehmerischen Freiheit in der Grundrechtcharta, EuGRZ 2011, p. 360.


53 – Voir, sur l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, arrêts du 28 octobre 1992, Ter Voort (C‑219/91, Rec. p. I‑5485, point 37), et du 28 avril 1998, Metronome Musik (C‑200/96, Rec. p. I‑1953, point 28).


54 – Arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, points 45 et 46). Voir également arrêts du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil (C‑184/02 et C‑223/02, Rec. p. I‑7789, points 51 et 52), et du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor (C‑544/10, point 54).


55 – Conclusions précitées à la note 13.


56 – Arrêt du 21 juillet 2011, Azienda Agro-Zootecnica Franchini et Eolica di Altamura (C‑2/10, Rec. p. I‑6561, point 73); du 15 juin 2006, Dokter e.a. (C‑28/05, Rec. p. I‑5431, point 72), et du 14 décembre 2004, Arnold André (C‑434/02, Rec. p. I‑11825, point 45).


57 – Jarass, H., Charta der Grundrechte der Europäischen Union, C. H. Beck, Munich, 2e éd. 2013, article 52, point 37.


58 – Arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a. (C‑265/08, Rec. p. I‑3377, point 36).


59 – Arrêt du 29 octobre 1998, Zaninotto (C‑375/96, Rec. p. I‑6629, point 63).


60 – Idem.


61 – Arrêts SABAM (précité à la note 2, point 46), et Scarlet Extended (précité à la note 2, point 48).


62 – Cour eur. D. H., arrêt Yildirim c. Turquie, précité (point 31).


63 – Ibidem, point 48. Voir également Cour eur. D. H., arrêt Times Newspapers Ltd. c. Royaume‑Uni, du 10 mars 2009, requêtes no 3002/03 et no 23676/03, point 27.