Language of document : ECLI:EU:C:2009:140

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

10 mars 2009 ?(1)

«Article 254, paragraphe 2, CE – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Article 2, paragraphe 3 – Règlement (CE) n° 622/2003 – Sûreté aérienne – Annexe – Liste des articles prohibés à bord d’aéronefs – Absence de publication – Force obligatoire»

Dans l’affaire C‑345/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Unabhängiger Verwaltungssenat im Land Niederösterreich (Autriche), par décision du 26 juillet 2006, parvenue à la Cour le 10 août 2006, dans la procédure

Gottfried Heinrich

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans (rapporteur), A. Rosas, K. Lenaerts et M. Ilešič, présidents de chambre, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. J. Malenovský, J. Klučka, A. Arabadjiev et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 novembre 2007,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement autrichien, par M. G. Eberhard, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. T. Boček et M. Smolek, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement danois, par Mme B. Weis Fogh, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes G. Alexaki et M. Tassopoulou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A’L. Hare, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par Mme J. Fazekas, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par Mmes E. Ośniecka-Tamecka et M. Kapko, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme E. Bygglin et M. J. Heliskoski, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes C. Gibbs et J. Stratford, en qualité d’agents,

–        pour le Parlement européen, par MM. K. Bradley et  U. Rösslein, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par M. M. Bauer et Mme E. Karlsson, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. C. Ladenburger et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 avril 2008,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation, d’une part, de l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), et, d’autre part, de l’article 254, paragraphe 2, CE en liaison avec la réglementation communautaire relative à la sûreté de l’aviation civile.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par M. Heinrich contre les autorités autrichiennes après que ces dernières lui eurent refusé l’accès à bord d’un avion au motif qu’il transportait des raquettes de tennis dans son bagage de cabine, ces objets étant considérés par lesdites autorités comme des articles prohibés par une annexe non publiée d’un règlement dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire relative à l’accès aux documents

3        L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001, prévoit que tout citoyen de l’Union a un droit d’accès aux documents des institutions, sous réserve des principes, des conditions et des limites définis par ce règlement.

4        L’article 2, paragraphe 3, dudit règlement précise que celui-ci «s’applique à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne».

5        Le terme «document» est défini à l’article 3, sous a), du règlement n° 1049/2001 comme «tout contenu quel que soit son support (écrit sur support papier ou stocké sous forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) concernant une matière relative aux politiques, activités et décisions relevant de la compétence de l’institution».

 La réglementation communautaire relative à la sûreté de l’aviation civile

6        Le règlement (CE) n° 2320/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2002, instaure des règles communes dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile (JO L 355, p. 1).

7        Selon l’article 1er , paragraphe 1, de ce règlement, le principal objectif de ce dernier est d’instaurer et de mettre en œuvre des mesures communautaires utiles visant à empêcher les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile.

8        L’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2320/2002 dispose:

«1.      Les normes de base communes applicables aux mesures de sûreté aérienne sont fondées sur les recommandations actuelles du document n° 30 de la Conférence européenne de l’aviation civile (CEAC) et figurent en annexe.

2.      Les mesures nécessaires pour la mise en œuvre et l’adaptation technique de ces normes de base communes sont arrêtées conformément à la procédure prévue à l’article 9, paragraphe 2, en tenant dûment compte des différents types d’opérations et du caractère sensible des mesures relatives:

a)      aux critères de performance et aux essais de réception des équipements;

b)      aux procédures détaillées comportant des informations sensibles;

c)      aux critères détaillés concernant les dérogations aux mesures de sûreté.»

9        L’article 6 du règlement n° 2320/2002 dispose:

«Les États membres peuvent appliquer, conformément au droit communautaire, des mesures plus strictes que celles prévues par le présent règlement. Dans les meilleurs délais après leur application, les États membres informent la Commission de la nature de ces mesures.»

10      L’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2320/2002 concernant la diffusion des informations prévoit:

«1. Sans préjudice du droit d’accès du public aux documents prévu par le règlement (CE) n° 1049/2001 […],

a)      les mesures relatives:

i)      aux critères de performance et aux essais de réception des équipements,

ii)      aux procédures détaillées comportant des informations sensibles,

iii)      aux critères détaillés concernant les dérogations aux mesures de sûreté,

visées à l’article 4, paragraphe 2;

[...]

c)      […] sont secrets et ne sont pas publiés. Ils ne sont accessibles qu’aux autorités visées à l’article 5, paragraphe 2, qui les communiquent seulement aux parties intéressées en fonction du besoin d’en connaître, conformément aux règles nationales applicables à la diffusion d’informations sensibles.»

11      Les points 4.1 et 4.3 de l’annexe, à laquelle l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2320/2002 fait référence, contiennent des normes de bases communes concernant l’inspection/filtrage de passagers en partance et de leurs bagages de cabine. Ces dispositions visent à empêcher que des articles prohibés ne soient introduits dans les zones de sûreté à accès réglementé ou à bord des aéronefs.

12      Aux termes dudit point 4.3, sous 1, «[l]es bagages de cabine de tous les passagers en partance [...] sont soumis à une inspection/filtrage avant d’être autorisés à pénétrer dans les zones de sûreté à accès réglementé ou à bord de l’aéronef. Tous les articles prohibés sont confisqués; dans le cas contraire, le passager n’est pas autorisé à pénétrer dans la zone de sûreté à accès réglementé ou dans l’aéronef, selon les cas. [...]».

13      La notion d’«article prohibé» est définie au point 1.18 de l’annexe du règlement n° 2320/2002 comme étant «un objet pouvant être utilisé pour commettre des actes d’intervention illicite et qui n’a pas été régulièrement déclaré et soumis aux lois et règlements applicables». Une liste indicative de ces articles prohibés figure à l’appendice de cette annexe, prévoyant des lignes directrices pour la classification des articles prohibés. Au point (iii) dudit appendice figure la catégorie: «Instruments contondants: Matraques, gourdins, battes de base-ball ou instruments similaires».

14      La mise en œuvre du règlement n° 2320/2002, et en particulier de son article 4, paragraphe 2, est régie par le règlement (CE) n° 622/2003 de la Commission, du 4 avril 2003, fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de la sûreté aérienne (JO L 89, p. 9), tel que modifié par le règlement (CE) n° 68/2004 de la Commission, du 15 janvier 2004 (JO L 10, p. 14, ci-après le «règlement n° 622/2003»).

15      Les deux premiers considérants du règlement n° 622/2003 énoncent:

«(1)      La Commission est tenue d’adopter des mesures pour la mise en œuvre de règles communes sur la sûreté aérienne dans l’ensemble de l’Union européenne. Un règlement est l’instrument qui convient le mieux à cette fin.

(2)      Conformément au règlement (CE) n° 2320/2002 et dans le but de prévenir les actes illicites, les mesures en annexe de ce règlement doivent être secrètes et non publiées.»

16      L’article 3 du règlement n° 622/2003, intitulé «Obligation de respecter le secret», indique que les mesures en question figurent à l’annexe et que «[c]es spécifications sont secrètes et ne sont pas publiées. Elles seront mises à la disposition des personnes dûment autorisées par un État membre ou la Commission».

17      L’article 1er du règlement n° 68/2004 confirme le caractère confidentiel des spécifications figurant à ladite annexe.

18      Les deuxième à quatrième considérants du règlement n° 68/2004 disposent:

«(2)      Conformément au règlement (CE) n° 2320/2002 et dans le but de prévenir les actes illicites, les mesures en annexe du règlement (CE) n° 622/2003 doivent être secrètes et non publiées. Tout acte modificatif est nécessairement soumis à la même règle.

(3)      Il est cependant nécessaire d’établir une liste harmonisée accessible au public indiquant séparément les articles qu’il est interdit aux passagers d’introduire dans les zones protégées et dans la cabine des aéronefs et ceux qui ne doivent pas être placés dans les bagages destinés à être transportés dans la soute de l’aéronef.

(4)      Il est entendu qu’une telle liste ne saurait en aucun cas être exhaustive. L’autorité compétente doit dès lors être habilitée à interdire d’autres articles que ceux figurant dans la liste. Il convient de fournir aux passagers, avant et pendant l’enregistrement, des informations claires concernant tous les articles prohibés.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      Le 25 septembre 2005, le requérant dans la procédure au principal s’est soumis au contrôle de sûreté de l’aéroport de Vienne-Schwechat. Ce contrôle a révélé que celui-ci transportait des raquettes de tennis dans son bagage de cabine. Ces raquettes faisant partie, selon les autorités nationales, des articles prohibés visés aux points 4.1 et 4.3 de l’annexe du règlement n° 2320/2002 et énumérés à l’annexe du règlement n° 622/2003, le passage du contrôle de sûreté a été refusé au requérant. Lorsque ce dernier est quand même monté dans l’avion avec les raquettes de tennis dans son bagage de cabine, il lui a été demandé de quitter l’avion.

20      Il ressort du dossier de la procédure au principal que, par son recours devant la juridiction nationale, le requérant cherche à obtenir une déclaration d’illégalité des mesures prises à son encontre.

21      En examinant cette requête, l’Unabhängiger Verwaltungssenat im Land Niederösterreich a estimé que le contenu du règlement n° 622/2003 ne s’adressait pas seulement aux organes étatiques, mais aussi aux particuliers. Il fait toutefois observer que ces derniers se trouvent dans l’impossibilité de se conformer à ce règlement, l’annexe de celui-ci n’ayant pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne.

22      Selon la juridiction de renvoi, la non-communication de règles de conduite, dont le respect est exigé des sujets de droit, constitue une atteinte si grave aux principes les plus élémentaires d’un État de droit, dont le respect s’impose également à la Communauté européenne, que des règlements ou parties de règlements qui – contrairement à la prescription de l’article 254, paragraphes 1 et 2, CE – n’ont pas été publiés au Journal officiel de l’Union européenne n’ont aucune existence juridique et ne sauraient dès lors revêtir une force obligatoire.

23      La juridiction de renvoi est ensuite d’avis que cela conduit également à ce que la possibilité de limiter le droit du citoyen de l’Union d’«accéder à des documents des institutions communautaires» au sens du règlement n° 1049/2001, possibilité dont, selon elle, la Commission voulait manifestement faire usage en l’espèce, ne saurait concerner les actes qui lient juridiquement la personne et qui, notamment pour cette raison, doivent être publiés au Journal officiel de l’Union européenne.

24      Dans ces conditions, l’Unabhängiger Verwaltungssenat im Land Niederösterreich a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les actes qui, en application de l’article 254 CE, doivent faire l’objet d’une publication au [Journal officiel de l’Union européenne], représentent-ils des ‘documents’ au sens de l’article 2, paragraphe 3, du [règlement n° 1049/2001]?

2)      Les règlements ou parties de règlements qui – contrairement à la prescription de l’article 254, paragraphe 2, CE – n’ont pas été publiés au [Journal officiel de l’Union européenne] ont-ils force obligatoire?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

25      Les gouvernements allemand, français et du Royaume Uni soutiennent que le renvoi préjudiciel est irrecevable au motif que la décision de renvoi ne précise ni les conditions dans lesquelles M. Heinrich a saisi la juridiction de renvoi ni l’objet du litige. Le contexte factuel et juridique des questions préjudicielles n’étant pas suffisamment clair, il ne serait pas possible de déterminer si celles-ci répondent à un besoin objectif pour la solution du litige au principal.

26      Deux de ces gouvernements expriment, en outre, des doutes en ce qui concerne la pertinence des questions posées pour la solution du litige.

27      Le gouvernement allemand considère que la base juridique des sanctions litigieuses se trouve dans le droit autrichien et non dans les règlements cités par la juridiction de renvoi. Cette dernière n’aurait pas exposé en quoi une possible nullité de ces règlements pourrait conduire à une nullité de la loi autrichienne sur la sûreté aérienne.

28      Selon le gouvernement français, la première question est de toute façon irrecevable, les juridictions nationales ne disposant d’aucune compétence en ce qui concerne des demandes d’accès aux documents couverts par le règlement n° 1049/2001. La seconde question serait irrecevable au motif que, même si la liste figurant à l’annexe du règlement n° 622/2003 était inopposable aux particuliers, les autorités autrichiennes resteraient compétentes pour interdire l’introduction de certains articles à bord d’un aéronef.

29      Sans soulever explicitement la question de la recevabilité, le gouvernement suédois affirme éprouver des difficultés à apprécier la question de savoir si la non-publication de l’annexe du règlement n° 622/2003 présentait une quelconque signification directe en ce qui concerne les possibilités pour le requérant de prendre connaissance de ses obligations, la décision de renvoi ne révélant rien des prétentions du requérant ou des conséquences juridiques possibles.

30      Il convient d’abord de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse, C-237/04, Rec. p. I-2843, point 17 et jurisprudence citée).

31      Les informations fournies par la décision de renvoi doivent non seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais aussi de donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition susmentionnée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (voir, notamment, arrêt Enirisorse, précité, point 18 et jurisprudence citée).

32      À cet égard, il ressort du dossier de la procédure au principal que M. Heinrich demande une déclaration d’illégalité du comportement des fonctionnaires nationaux de sécurité qui lui ont, d’abord, refusé le passage du contrôle de sûreté, puis, après qu’il fût quand même monté à bord de l’aéronef, sommé de quitter celui-ci.

33      Dans sa décision, la juridiction de renvoi précise, en outre, que la décision des autorités compétentes de refuser à M. Heinrich le passage du contrôle de sûreté avec ses raquettes de tennis a été fondée sur les règlements nos 2320/2002 et 622/2003. Elle indique que lesdits règlements ne s’adressent pas seulement aux autorités nationales, mais imposent aussi des obligations aux particuliers. Toutefois, ces derniers ne seraient pas en mesure de se conformer auxdites obligations à défaut de publication de l’annexe du règlement n° 622/2003.

34      Il s’ensuit que la juridiction de renvoi a défini de façon suffisante le cadre tant factuel que juridique dans lequel elle formule sa demande d’interprétation du droit communautaire et qu’elle a fourni à la Cour toutes les informations nécessaires pour mettre celle-ci en mesure de répondre utilement à ladite demande.

35      De plus, il ressort des observations présentées conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice par les gouvernements susmentionnés et par les autres parties intéressées que les informations contenues dans la décision de renvoi leur ont permis de prendre utilement position sur lesdites questions.

36      En ce qui concerne la pertinence des questions déférées, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle, dans le cadre de la procédure instituée par l’article 234 CE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 15 novembre 2007, International Mail Spain, C‑162/06, Rec. p. I-9911, point 23 et jurisprudence citée).

37      Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (voir, notamment, arrêt du 8 novembre 2007, Amurta, C‑379/05, Rec. p. I-9569, point 64 et jurisprudence citée).

38      La première question posée par la juridiction de renvoi résulte de la constatation faite par cette dernière que l’absence de publication de l’annexe du règlement n622/2003 repose sur l’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2320/2002, qui exclut, pour des motifs visant la protection de la sûreté aérienne, la publication de certaines catégories de mesures et d’informations, sans préjudice du droit d’accès du public aux documents prévu par le règlement n° 1049/2001. La pertinence pour la solution du litige de cette question, par laquelle la juridiction de renvoi s’interroge, en substance, sur la possibilité de justifier, au regard de ce dernier règlement, la non-publication d’actes communautaires qui doivent être publiés en vertu de l’article 254 CE, ne saurait être mise en doute.

39      La seconde question concerne la force obligatoire des règlements ou parties de règlements qui n’ont pas été publiés au Journal officiel de l’Union européenne et, donc, l’opposabilité des obligations prévues par ces règlements à l’encontre des particuliers. Étant donné qu’il relève de la responsabilité de la juridiction de renvoi de définir le cadre réglementaire applicable au litige au principal et que celle-ci a établi que les autorités autrichiennes ont invoqué les règlements en cause pour justifier leur refus à M. Heinrich de passer le contrôle de sûreté de l’aéroport de Vienne-Schwechat, le rapport de cette question avec l’objet du litige au principal ne saurait être contesté.

40      Dans ces conditions, la demande préjudicielle doit être considérée comme recevable.

 Sur le fond

 Sur la seconde question

41      Par sa seconde question, qu’il convient de traiter en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’annexe du règlement n° 622/2003, qui n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne a force obligatoire, pour autant qu’elle vise à imposer des obligations aux particuliers.

42      Il convient de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 254, paragraphe 2, CE, les règlements du Conseil et de la Commission sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne et qu’ils entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le vingtième jour suivant leur publication. Il résulte de la lettre même des dispositions de cet article qu’un règlement communautaire ne peut sortir d’effets de droit que s’il a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (voir arrêt du 11 décembre 2007, Skoma-Lux, C‑161/06, Rec. p. I‑10841, point 33).

43      En outre, un acte émanant d’une institution communautaire ne peut pas être opposé aux personnes physiques et morales dans un État membre avant que ces dernières aient la possibilité d’en prendre connaissance par une publication régulière au Journal officiel de l’Union européenne (arrêt Skoma-Lux, précité, point 37).

44      En particulier, le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation communautaire permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose. Les justiciables doivent, en effet, pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 21 juin 2007, ROM-projecten, C‑158/06, Rec. p. I‑5103, point 25 et jurisprudence citée).

45      Le respect de ces principes s’impose avec les mêmes conséquences lorsqu’une réglementation communautaire oblige les États membres à prendre, pour sa mise en œuvre, des mesures imposant des obligations aux particuliers. En effet, les mesures adoptées par les États membres en exécution du droit communautaire doivent respecter les principes généraux de ce droit (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2002, Mulligan e.a., C‑313/99, Rec. p. I‑5719, points 35 et 36, ainsi que du 11 janvier 2007, Piek, C‑384/05, Rec. p. I‑289, point 34). Dès lors, des mesures nationales qui, en exécution d’une réglementation communautaire, imposent des obligations aux particuliers doivent être publiées afin que les intéressés puissent en prendre connaissance (voir, en ce sens, arrêt Mulligan e.a., précité, points 51 et 52).

46      En outre, dans une telle situation, les intéressés doivent également avoir la possibilité de s’informer sur la source des mesures nationales leur imposant des obligations, étant donné que c’est en exécution d’une obligation imposée par le droit communautaire que les États membres ont pris de telles mesures.

47      Cela est d’autant plus nécessaire, s’agissant de règlements communautaires, que les intéressés doivent, le cas échéant, pouvoir faire vérifier par les juridictions nationales la conformité des mesures nationales de mise en œuvre d’un règlement communautaire avec ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 1979, Eridania-Zuccherifici nazionali et Società italiana per l’industria degli zuccheri, 230/78, Rec. p. 2749, point 34). Doivent alors être publiés, dans une telle situation, non seulement la réglementation nationale en cause, mais aussi le règlement communautaire qui oblige les États membres à prendre des mesures imposant des obligations aux particuliers.

48      Il convient d’examiner, s’agissant de la liste des articles prohibés, si la réglementation communautaire en cause au principal qui n’a pas fait l’objet d’une publication, à savoir l’annexe du règlement nº 622/2003, a pu viser à imposer des obligations aux particuliers.

49      Selon l’article 1er du règlement n° 2320/2002, le principal objectif de celui-ci est d’instaurer et de mettre en œuvre des mesures communautaires utiles visant à empêcher les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Ce règlement vise, en outre, à fournir une base pour l’interprétation commune des dispositions pertinentes de la convention de Chicago, du 7 décembre 1944, relative à l’aviation civile internationale, et, notamment, de l’annexe 17 de celle-ci, cette annexe prévoyant des normes minimales ayant pour but d’assurer la sûreté de l’aviation civile. Les moyens mis en œuvre pour atteindre ces objectifs sont, d’une part, la définition de normes de base communes applicables aux mesures de sûreté aérienne et, d’autre part, la mise en place de mécanismes appropriés de contrôle de conformité.

50      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 2320/2002, lesdites normes de base communes sont fondées sur les recommandations actuelles du document nº 30 de la Conférence européenne de l’aviation civile et figurent à l’annexe dudit règlement. À l’exception d’une section dédiée aux définitions, ladite annexe prévoit des mesures de sûreté, de contrôle et d’inspection relatives, notamment, aux passagers et aux bagages de cabine.

51      Il découle des points 4.1 et 4.3 de ladite annexe que tous les passagers en partance ainsi que leur bagage de cabine sont soumis à une inspection/filtrage pour empêcher que des articles prohibés ne soient introduits dans les zones de sûreté à accès réglementé ou à bord des aéronefs. Tous les articles prohibés sont confisqués; dans le cas contraire, le passager n’est pas autorisé à pénétrer dans la zone de sûreté à accès réglementé ou dans l’aéronef, selon les cas. Une liste indicative de ces articles prohibés figure à l’appendice de ladite annexe. Même si ces dispositions paraissent s’adresser en premier lieu aux autorités compétentes des États membres, il ne saurait être contesté qu’elles visent en tout état de cause à imposer des obligations aux particuliers.

52      Le règlement n° 2320/2002 confère, par son article 4, paragraphe 2, une compétence d’exécution à la Commission en vue d’arrêter, selon la procédure prévue à l’article 9 de ce règlement, les mesures nécessaires pour la mise en œuvre et l’adaptation technique des normes de base communes mentionnées au point 49 du présent arrêt.

53      Dans l’exercice de cette compétence, la Commission a adopté le règlement nº 622/2003, lequel fixe les mesures nécessaires pour la mise en œuvre et l’adaptation technique des règles communes concernant la sûreté aérienne. Ces mesures figurent à l’annexe de ce règlement et ne sont pas publiées. Cette annexe a été modifiée conformément à l’annexe du règlement nº 68/2004, cette dernière annexe n’ayant pas non plus été publiée.

54      Il résulte de ce qui précède qu’il ne saurait être exclu que les mesures prévues par le règlement nº 622/2003 concernent également la liste des articles prohibés figurant à l’appendice de l’annexe du règlement nº 2320/2002.

55      Constitue au moins un indice à cet égard le fait que le règlement n° 68/2004, dans son troisième considérant, précise qu’il est nécessaire d’établir une liste harmonisée accessible au public indiquant séparément les articles qu’il est interdit aux passagers d’introduire dans les zones protégées et dans les cabines des aéronefs. En effet, la nécessité, soulignée dans ce considérant du règlement n° 68/2004, d’établir une liste harmonisée implique que la liste annexée au règlement n° 2320/2002 a effectivement fait l’objet de modifications.

56      Par ailleurs, s’il en était ainsi, il convient de souligner l’incohérence manifeste de la réglementation d’exécution de la Commission à cet égard, celle-ci, d’une part, estimant nécessaire de garder secrètes les mesures relatives aux articles prohibés et, d’autre part, proclamant la nécessité d’établir une liste harmonisée de ces articles accessible au public.

57      En tout état de cause, les éventuelles modifications susvisées dans la liste annexée au règlement n° 2320/2002 n’ont pas été publiées au Journal officiel de l’Union européenne.

58      Il y a lieu de relever, ensuite, que le règlement n° 2320/2002 définit avec précision, à son article 8, le régime de confidentialité en énumérant les catégories de mesures et d’informations qui sont qualifiées de secrètes et qui ne sont pas publiées. Ainsi que la Commission l’a admis elle-même lors de l’audience en réponse à une question posée par la Cour, force est de constater que la liste des articles prohibés dans les zones de sûreté à accès réglementé ou à bord des aéronefs n’entre dans aucune de ces catégories. Cette liste ne relève donc pas du régime de confidentialité prévu par l’article 8 du règlement n° 2320/2002, ce que confirme d’ailleurs le fait que la liste indicative de ces articles qui figure à l’appendice de l’annexe dudit règlement a été publiée sans aucune restriction au Journal officiel de l’Union européenne.

59      Le règlement nº 2320/2002, et plus particulièrement son article 4, paragraphe 2, ne confère dès lors aucune base juridique permettant à la Commission, dans l’exercice de sa compétence d’exécution en vertu de cette disposition, d’appliquer le régime de confidentialité prévu par l’article 8 de ce règlement à des mesures d’adaptation de la liste des articles prohibés annexée au règlement n° 2320/2002.

60      Il en résulte que, dans le cas où le règlement nº 622/2003 apporterait effectivement des adaptations à ladite liste des articles prohibés, prémisse sur laquelle s’est fondée la juridiction de renvoi, ce règlement serait, pour autant, nécessairement invalide.

61      En outre, et sans qu’il soit nécessaire de répondre à la question de savoir si l’obligation de publication d’un règlement en vertu de l’article 254, paragraphes 1 et 2, CE peut connaître des exceptions, de telles mesures d’adaptation, dans la mesure où elles visent à imposer des obligations aux particuliers, doivent en tout état de cause être publiées au Journal officiel de l’Union européenne. La question de savoir si ces mesures et les règles qu’elles concernent imposent directement des obligations aux particuliers ou obligent les États membres à le faire, est sans pertinence à cet égard ainsi qu’il résulte des points 42 à 47 du présent arrêt. En effet, dans les deux cas, leur publication au Journal officiel de l’Union européenne s’impose.

62      Il s’ensuit que, l’annexe du règlement nº 622/2003 n’ayant pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, des mesures d’adaptation de la liste des articles prohibés, pour autant qu’elles figurent à cette annexe, ne peuvent pas être opposées aux particuliers.

63      Dès lors, il convient de répondre à la seconde question que l’annexe du règlement nº 622/2003, qui n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, n’a pas de force obligatoire pour autant qu’elle vise à imposer des obligations aux particuliers.

 Limitation des effets dans le temps

64      Pour le cas où la Cour déclarerait le règlement n° 622/2003 invalide, les gouvernements autrichien et polonais, ainsi que le gouvernement du Royaume Uni, demandent que, en application de l’article 231, second alinéa, CE, toutes les mesures figurant dans l’annexe de ce règlement, ainsi que les mesures prises en vertu dudit règlement, soient considérées comme définitives jusqu’à l’adoption de nouvelles mesures par la Commission.

65      À cet égard, il convient tout d’abord de relever que, dans le présent arrêt, la Cour ne procède pas à une déclaration d’invalidité intégrale ou partielle du règlement n° 622/2003.

66      Il y a lieu d’ajouter qu’une déclaration d’absence de force obligatoire de l’annexe du règlement n° 622/2003, pour autant que cette annexe vise à imposer des obligations aux particuliers, n’affecte pas les obligations imposées aux États membres par le règlement n° 2320/2002 dans le domaine de la sûreté de l’aviation civile, notamment celles relatives à la prévention de l’introduction des articles prohibés dans les zones de sûreté des aéroports et à bord des aéronefs.

67      En outre, les lignes directrices figurant à l’appendice de l’annexe du règlement n° 2320/2002 fournissent des indications détaillées à cet égard, de sorte que les autorités nationales sont en mesure d’assurer la sûreté de l’aviation civile, conformément aux objectifs du règlement n° 2320/2002.

68      Enfin, il serait contraire aux exigences de la sécurité juridique de laisser subsister les effets de l’annexe du règlement n° 622/2003, pour autant que cette annexe vise à imposer des obligations aux particuliers, en attente de l’adoption par la Commission des mesures éventuellement nécessaires pour lui conférer une force obligatoire à l’égard des particuliers.

69      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de limiter dans le temps les effets du présent arrêt.

 Sur la première question

70      Eu égard à la réponse donnée à la seconde question, il n’y a pas lieu de répondre à la première question.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

L’annexe du règlement (CE) n° 622/2003 de la Commission, du 4 avril 2003, fixant des mesures pour la mise en œuvre des règles communes dans le domaine de la sûreté aérienne, tel que modifié par le règlement (CE) n° 68/2004 de la Commission, du 15 janvier 2004, qui n’a pas été publiée au Journal officiel de l’Union européenne, n’a pas de force obligatoire pour autant qu’elle vise à imposer des obligations aux particuliers.

Signatures


1? langue de procédure: l’allemand