Language of document : ECLI:EU:T:2013:143

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

20 mars 2013 (*)

« Aides d’État – Aides accordées par les autorités danoises en faveur de l’entreprise publique DSB – Contrats de service public pour la prestation de services de transport ferroviaire de passagers entre Copenhague et Ystad – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur sous conditions – Application dans le temps des règles de droit matériel »

Dans l’affaire T‑92/11,

Jørgen Andersen, demeurant à Ballerup (Danemark), représenté par Mes M. Nissen, G. van de Walle de Ghelcke et J. Rivas Andrés, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. T. Maxian Rusche et Mme L. Armati, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume de Danemark, représenté par M. C. Vang, en qualité d’agent, assisté de Mes K. Lundgaard Hansen et R. Holdgaard, avocats,

et par

Danske Statsbaner (DSB), établi à Copenhague (Danemark), représenté par Mes S. Kalsmose-Hjelmborg et M. Honoré, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle de la décision 2011/3/UE de la Commission, du 24 février 2010, concernant les contrats de service public de transport entre le ministère danois des transports et Danske Statsbaner [Aide d’État C 41/08 (ex NN 35/08)] (JO 2011, L 7, p. 1),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas (rapporteur), président, V. Vadapalas et K. O’Higgins, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 décembre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, Μ. Jørgen Andersen, exerce, sous le nom commercial Gråhundbus v/Jørgen Andersen, des activités de services de transport par autocar au Danemark et à l’étranger. Il effectue, notamment, une liaison entre Copenhague (Danemark) et Ystad (Suède). Ystad est reliée par voie navigable à l’île de Bornholm (Danemark).

 Mesures en cause

2        Les Danske Statsbaner (DSB) sont l’opérateur historique dans le domaine du transport ferroviaire au Danemark. À la date des faits en cause, les DSB étaient entièrement détenus par l’État danois et n’assuraient que des services de transport de voyageurs par chemin de fer et des services connexes.

3        Depuis l’abolition du monopole des DSB le 1er janvier 2000, il existe au Danemark deux régimes pour la prestation de services de transport ferroviaire de passagers : le libre trafic, exploité sur une base commerciale, et le trafic de service public, régi par des contrats de service public pouvant prévoir le paiement de compensations pour les liaisons exploitées.

4        Pendant la période 2000‑2004, les DSB ont bénéficié d’un contrat de service public de transport concernant les grandes lignes et les lignes régionales. À partir du 15 décembre 2002, ledit contrat portait également sur la liaison entre Copenhague et Ystad qui, auparavant, était soumise à un régime de libre trafic.

5        Pour la période 2005‑2014, les DSB bénéficient d’un nouveau contrat de service public de transport concernant les grandes lignes et les lignes régionales ainsi que les liaisons internationales avec l’Allemagne et la liaison entre Copenhague et Ystad.

 Décision attaquée

6        À la suite de deux plaintes, l’une d’elles provenant du requérant, contre les contrats de service public dont bénéficient les DSB, la Commission des Communautés européennes a décidé, le 10 septembre 2008, d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

7        À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté, le 24 février 2010, la décision 2011/3/UE, concernant les contrats de service public de transport entre le ministère danois des transports et Danske Statsbaner [Aide d’État C 41/08 (ex NN 35/08)] (JO 2011, L 7, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

8        L’article 1er de la décision attaquée se lit ainsi :

« Article premier

Les contrats de service public de transport conclus entre le ministère danois des transports et Danske Statsbaner constituent des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE].

Ces aides d’État sont compatibles avec le marché intérieur en vertu de l’article 93 [TFUE] sous réserve du respect des dispositions des articles 2 et 3 de la présente décision.»

 Procédure et conclusions des parties

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 février 2011, le requérant a introduit le présent recours.

10      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 23 mai 2011, le Royaume de Danemark et les DSB ont demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission, conformément à l’article 115 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Par ordonnances du 22 juin 2011, le président de la cinquième chambre du Tribunal a admis ces interventions.

12      Le Royaume de Danemark et les DSB ont déposé leurs mémoires en intervention le 8 septembre 2011.

13      La Commission et le requérant ont déposé leurs observations sur les mémoires en intervention respectivement le 25 et le 28 novembre 2011.

14      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

15      Lors de l’audience, qui s’est déroulée le 13 décembre 2012, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal.

16      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, second alinéa, de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens ;

–        condamner le Royaume de Danemark et les DSB à supporter leurs propres dépens ;

–        condamner le Royaume de Danemark ou les DSB à supporter les dépens exposés par lui pour répondre à leurs mémoires en intervention respectifs.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

18      Le Royaume de Danemark et les DSB se rallient aux conclusions de la Commission.

 En droit

19      À l’appui du recours, le requérant soulève trois moyens.

20      Le premier moyen est pris d’une erreur de droit en ce que la Commission aurait considéré que le gouvernement danois n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en qualifiant la liaison Copenhague-Ystad de service public et en l’incluant dans le mécanisme des contrats de service public.

21      Le deuxième moyen est pris d’une erreur de droit en ce que la Commission n’aurait pas ordonné le recouvrement de la compensation excédentaire incompatible en raison des dividendes payés par les DSB à leur actionnaire, l’État danois.

22      Le troisième moyen est pris d’une erreur de droit en ce que la Commission aurait appliqué le règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/70 du Conseil (JO L 315, p. 1), au lieu du règlement (CEE) n° 1191/69 du Conseil, du 26 juin 1969, relatif à l’action des États membres en matière d’obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par chemin de fer, par route et par voie navigable (JO L 156, p. 1).

23      Le Tribunal estime opportun de procéder tout d’abord à l’examen du troisième moyen.

24      Par ce moyen, le requérant fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en fondant son appréciation de la compatibilité des aides visées dans la décision attaquée sur le règlement en vigueur lors de l’adoption de cette dernière, à savoir le règlement n° 1370/2007. Premièrement, le requérant considère que, la décision attaquée portant sur des aides non notifiées, la Commission aurait dû appliquer les règles matérielles en vigueur à l’époque où lesdites aides ont été versées, à savoir le règlement n° 1191/69. Selon lui, le règlement n° 1370/2007 ne pouvait pas s’appliquer rétroactivement, les conditions d’une telle application n’étant pas satisfaites. Deuxièmement, considérant qu’il n’incombe pas au Tribunal de vérifier si la Commission aurait pris la même décision en vertu d’une autre base juridique, le requérant estime que les arguments de celle-ci selon lesquels une éventuelle application du règlement n° 1191/69 produirait les mêmes résultats sont inopérants. En tout état de cause, il soutient que l’application du règlement n° 1191/69 n’aurait pas abouti à un résultat identique à celui du règlement appliqué et que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée à cet égard.

25      En premier lieu, la Commission fait valoir que tout bénéficiaire d’une aide non notifiée se trouve en situation provisoire et que, dès lors, selon la jurisprudence, la compatibilité d’une telle aide doit être appréciée sur la base des règles matérielles en vigueur au moment de l’adoption de la décision de la Commission, à savoir, en l’espèce, sur la base du règlement n° 1370/2007. En deuxième lieu, elle soutient que, en tout état de cause, ce dernier, du fait de son objectif et de son économie, a un effet rétroactif et s’applique aux aides non notifiées et versées avant son entrée en vigueur. En troisième lieu, elle estime qu’elle ne pouvait pas apprécier la compatibilité des aides en question sur la base du règlement n° 1191/69, ce dernier n’étant plus en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée. En quatrième lieu, elle réfute les arguments du requérant visant à remettre en cause son appréciation selon laquelle l’application du règlement n° 1191/69 aurait abouti aux mêmes résultats que l’application du règlement n° 1370/2007, et affirme que la décision attaquée est suffisamment motivée à cet égard. Enfin, les arguments concernant cette dernière question ne seraient pas inopérants, dès lors qu’elle a apprécié la compatibilité de l’aide en question dans la décision attaquée également sur la base du règlement n° 1191/69.

26      Le Royaume de Danemark se rallie à l’argumentation de la Commission. En outre, il souligne qu’une éventuelle erreur dans le choix de la base juridique en l’espèce n’aurait aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée, dans la mesure où les exigences substantielles du règlement n° 1191/69 sont moins strictes ou coïncident avec celles du règlement n° 1370/2007, et que, dès lors, la Commission pourrait adopter exactement la même décision au titre du règlement n° 1191/69.

27      Les DSB se rallient aux arguments de la Commission selon lesquels, d’une part, l’application du règlement n° 1191/69 n’aurait pas pu conduire à une conclusion différente et, d’autre part, la décision attaquée est suffisamment motivée à cet égard. Ils ajoutent que, même en cas d’application du règlement n° 1191/69, aucune obligation de notification n’existerait au regard des mesures en cause. Toutefois, les DSB contestent l’approche de la Commission selon laquelle les règles développées dans des domaines autres que celui des transports sont applicables aux contrats de service public régis par le règlement n° 1191/69.

28      En l’espèce, il convient, à titre liminaire, de se prononcer sur l’argument des DSB selon lequel le requérant ne justifierait pas d’un intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle concerne l’ensemble des contrats de service public conclus avec le Royaume de Danemark depuis l’année 2000 dès lors que, selon eux, d’une part, le requérant n’est leur concurrent que s’agissant de la ligne Copenhague-Ystad et, d’autre part, cette ligne n’a été incluse dans le contrat de service public couvrant la période de 2000 à 2004 qu’à compter du 15 décembre 2002. Les DSB en concluent que le requérant n’a d’intérêt à demander l’annulation de la décision attaquée qu’en tant qu’elle concerne la ligne Copenhague-Ystad à compter du 15 décembre 2002.

29      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Cet intérêt doit être né et actuel et s’apprécie au jour où le recours est formé (voir arrêt du Tribunal du 11 mars 2009, TF1/Commission, T‑354/05, Rec. p. II‑471, point 84, et la jurisprudence citée).

30      Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

31      En l’espèce, il y a lieu de relever que, selon l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties principales. En outre, selon l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention. Ainsi, si ces dispositions ne s’opposent pas à ce que la partie intervenante présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’elle soutient, ces arguments ne doivent pas modifier le cadre du litige (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Chemie Linz/Commission, C‑245/92 P, Rec. p. 1-4643, point 32 ; arrêts du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T‑459/93, Rec. p. 11‑1675, point 21, et du 25 mars 1999, Forges de Clabecq/Commission, T‑37/97, Rec. p. 11‑859, point 92). Il s’ensuit que les DSB n’avaient pas qualité pour soulever l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’intérêt à agir du requérant et le Tribunal n’est donc pas tenu de l’examiner.

32      En tout état de cause, cette exception ne saurait prospérer. En effet, il est constant, d’une part, que le requérant exploite un service concurrent à celui des DSB pour la ligne Copenhague-Ystad et, d’autre part, que cette ligne a été incluse dans le contrat de service public couvrant la période de 2000 à 2004 à compter du 15 décembre 2002. Pour autant, si les DSB contestent l’intérêt à agir du requérant s’agissant des autres lignes incluses dans les contrats de service public en cause et, s’agissant de la ligne Copenhague-Ystad, pour la période antérieure au 15 décembre 2002, force est de constater que, pour chaque contrat, le montant des paiements contractuels versés par le Royaume de Danemark aux DSB est notamment fonction des recettes et des charges supportées par les DSB sur l’ensemble des lignes de transport et sur la totalité de la période couverte par le contrat. Dès lors, il ne ressort pas de la décision attaquée que les clauses dont le requérant aurait intérêt à demander, selon les DSB, l’annulation soient divisibles des autres clauses des contrats litigieux de sorte que le requérant aurait pu demander, et obtenir, leur annulation partielle. Par suite, il y a lieu de considérer que le requérant a intérêt à demander l’annulation de l’article 1er, second alinéa, de la décision attaquée en tant qu’il concerne l’intégralité des contrats de service public visés par ladite décision.

33      Il convient, ensuite, de se prononcer sur l’argument du requérant selon lequel c’est à tort que la Commission a apprécié la compatibilité des aides en cause sur la base du règlement n° 1370/2007, en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, si les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, il n’en est pas de même des règles de fond (arrêt de la Cour du 12 novembre 1981, Meridionale industria salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 9).

35      Ainsi, les règles de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué (arrêts de la Cour du 29 janvier 1985, Gesamthochschule Duisburg, 234/83, Rec. p. 327, point 20 ; du 15 juillet 1993, GruSa Fleisch, C‑34/92, Rec. p. I‑4147, point 22, et du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 119).

36      En revanche, la législation de l’Union européenne s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne (arrêts de la Cour du 10 juillet 1986, Licata/CES, 270/84, Rec. p. 2305, point 31, et du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p. I‑1049, point 50).

37      En l’occurrence, il n’est pas contesté que la compétence de la Commission pour adopter la décision attaquée est tirée de l’article 88 CE. Dès lors, la question qui se pose en l’espèce ne concerne pas l’applicabilité des règles de procédure, mais l’applicabilité des règles de droit matériel.

38      À cet égard, s’agissant des règles matérielles applicables pour l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, il est opportun de distinguer entre les aides notifiées et non versées et les aides versées sans notification.

39      S’agissant, d’une part, des aides notifiées et non versées, dans le cadre du système de l’Union de contrôle des aides d’État, la date à laquelle les effets de l’aide envisagée deviennent établis coïncide avec le moment où la Commission adopte la décision se prononçant sur la compatibilité de ladite aide avec le marché commun. En effet, les règles, principes et critères d’appréciation de la compatibilité des aides d’État en vigueur à la date à laquelle la Commission prend sa décision peuvent, en principe, être considérés comme mieux adaptés au contexte concurrentiel (arrêt de la Cour du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, Rec. p. I‑9465, points 50 à 53). Cela est dû au fait que l’aide en question ne donnerait lieu à des avantages ou à des désavantages réels dans le marché commun qu’au plus tôt à la date à laquelle la Commission décide ou non de l’autoriser (arrêt du Tribunal du 3 février 2011, Italie/Commission, T‑3/09, Rec. p. II‑95, point 60).

40      S’agissant, d’autre part, des aides versées sans être notifiées, les règles de droit matériel applicables sont celles en vigueur au moment où l’aide a été versée, dès lors que les avantages et désavantages suscités par une telle aide se sont matérialisés durant la période au cours de laquelle l’aide en question a été versée (arrêts du Tribunal du 15 avril 2008, SIDE/Commission, T‑348/04, Rec. p. II‑625, points 58 à 60, et Italie/Commission, précité, point 61).

41      En l’occurrence, il est constant que les mesures en cause ont été versées sans faire l’objet d’une notification à la Commission avant leur mise en œuvre. En outre, il découle de la décision attaquée que ces mesures constituent des aides au sens de l’article 87 CE. La Commission a d’ailleurs réitéré cette appréciation dans les mémoires produits devant le Tribunal. Sur ce dernier point, le royaume de Danemark et les DSB font valoir que les contrats de service public litigieux n’étaient pas soumis à une obligation de notification. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il découle de la jurisprudence que l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour de justice et l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure ne s’opposent pas à ce que la partie intervenante présente des arguments nouveaux ou différents de ceux de la partie qu’elle soutient, dès lors que ces arguments ne modifient pas le cadre du litige (voir la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus). Or, il est constant que, dans le cadre du présent litige, la Commission puis le Tribunal ont été saisis de la question de la compatibilité des contrats de service public de transport conclus entre le Royaume de Danemark et les DSB avec les règles du droit de l’Union concernant les aides d’État et non de celle de savoir si ces contrats étaient soumis à une obligation de notification. L’argumentation des intervenants relative à ce dernier point est donc irrecevable.

42      Par conséquent, il y a lieu de considérer que le cas d’espèce s’inscrit dans le cas de figure des aides versées sans être notifiées exposé au point 40 ci-dessus.

43      Dès lors, la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur aurait dû, en principe, être appréciée sur la base des règles matérielles en vigueur au moment de leur versement, à moins que les conditions exceptionnelles de l’application rétroactive ne soient remplies.

44      D’une part, il doit être relevé que les deux contrats de service public, conclus, le premier, pour la période 2000‑2004, et, le second, pour la période 2005‑2014, et qualifiés d’aides d’État dans la décision attaquée, ont déjà été mis à exécution pour ces deux périodes respectives. Ainsi, force est de constater que les aides d’État en cause ont été octroyées sous l’empire du règlement n° 1191/69, dont les dispositions étaient, en principe, applicables jusqu’à son abrogation par le règlement n° 1370/2007, le 3 décembre 2009.

45      D’autre part, il y a lieu de constater qu’aucune disposition du règlement n° 1370/2007 ne lui confère un caractère rétroactif. Sur ce point, la Commission fait valoir, par une interprétation a contrario de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1370/2007 relatif aux dispositions transitoires applicables aux contrats de service public conclus antérieurement à l’entrée en vigueur dudit règlement, que les dispositions de ce règlement, à l’exception de celles du paragraphe 2 de l’article 8, précité, sont applicables de manière rétroactive. À cet égard, il convient de rappeler que les règles nouvelles ne peuvent être appliquées rétroactivement que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, finalités ou économie qu’un tel effet doit leur être attribué (voir la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus). En l’occurrence, force est de constater qu’il ne ressort clairement d’aucune disposition du règlement n° 1370/2007 que celui-ci pourrait s’appliquer de manière rétroactive. Ainsi, l’interprétation a contrario des dispositions de l’article 8, paragraphe 3, du règlement n° 1370/2007 par la Commission ne permet pas de considérer que sont satisfaites les exigences de la jurisprudence pour l’attribution d’un effet rétroactif à un acte. Par conséquent, contrairement à ce que fait valoir la Commission, ledit règlement ne saurait être considéré comme ayant un caractère rétroactif.

46      Partant, conformément à la jurisprudence, en l’absence d’effet rétroactif du règlement n° 1370/2007, la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur aurait dû être appréciée au regard des règles matérielles en vigueur au moment de leur versement, à savoir le règlement n° 1191/69.

47      Or, il est constant, que, en l’espèce, la compatibilité des aides en cause a été appréciée sur la base du règlement n° 1370/2007. Ainsi, il y a lieu de constater que la Commission a effectué l’appréciation de la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur au titre d’une base légale erronée.

48      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant le règlement n° 1370/2007 pour apprécier la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur.

49      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la Commission.

50      S’agissant, premièrement, de l’argument de la Commission selon lequel celle-ci aurait apprécié la compatibilité des aides en cause parallèlement sur la base des règlements nos 1191/69 et 1370/2007, il convient de relever que le considérant 398 de la décision attaquée, auquel la Commission se réfère pour étayer son argument, se borne à affirmer que les règles d’appréciation du règlement n° 1370/2007 sont en substance semblables à celles du règlement n° 1191/69 et que l’application de ce dernier n’aurait pas conduit à une conclusion différente. Or, ainsi qu’il a déjà été relevé (voir point 47 ci-dessus), il ressort clairement et sans équivoque de la décision attaquée que l’appréciation des aides en cause a été effectuée uniquement sur la base du règlement n° 1370/2007. Dès lors, la simple référence au règlement n° 1191/69 au considérant 398 de la décision attaquée, sans que celui-ci soit effectivement appliqué au regard de la compatibilité des aides en cause, ne suffit pas pour établir que la Commission a procédé à une application parallèle de ces deux règlements au cas d’espèce. Partant, ledit argument de la Commission n’est pas fondé.

51      S’agissant, deuxièmement, de l’argument de la Commission selon lequel elle ne pouvait pas fonder son appréciation de la compatibilité des aides en question sur le règlement n° 1191/69 du fait que ce dernier n’était plus en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée, force est de constater qu’il est contredit par la jurisprudence aux termes de laquelle, s’agissant des aides versées sans être notifiées, les règles de droit matériel applicables sont celles en vigueur au moment où l’aide a été versée (voir points 34 à 36 ci-dessus). Cet argument est, dès lors, non fondé.

52      S’agissant, troisièmement, de l’argumentation de la Commission selon laquelle les règles matérielles applicables aux aides d’État, à l’exception des aides existantes, sont celles en vigueur au moment de l’adoption de la décision sur leur compatibilité, sans distinction entre aides notifiées et non versées et aides versées sans notification, force est de constater que celle-ci est contraire à la jurisprudence et n’est pas de nature à infirmer l’appréciation du Tribunal.

53      En effet, la Commission tire son argumentation des arrêts de la Cour Commission/Freistaat Sachsen, précité, et du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission (C‑465/09 P à C‑470/09 P, non publié au Recueil). En outre, la Commission s’est prévalue, lors de l’audience, des ordonnances de la Cour du 22 mars 2012, Cantiere navale De Poli/Commission (C‑167/11 P), et Italie/Commission (C‑200/11 P) (non publiées au Recueil).

54      D’une part, en ce qui concerne l’arrêt Commission/Freistaat Sachsen, précité, et les ordonnances Cantiere navale De Poli/Commission et Italie/Commission, précitées, il convient de relever que ceux-ci portent sur l’application des règles matérielles aux aides notifiées et non versées. Or, en l’occurrence, les mesures en cause n’ont pas fait l’objet d’une notification. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence (voir points 39 et 40 ci-dessus), il y a une différence entre les aides notifiées et non versées et les aides versées sans notification au regard du choix des règles applicables pour l’appréciation de leur compatibilité avec le marché intérieur. Dès lors, les principes énoncés dans l’arrêt Commission/Freistaat Sachsen, précité, et dans les ordonnances Cantiere navale De Poli/Commission et Italie/Commission, précitées, ne sont pas transposables au cas d’espèce.

55      D’autre part, en ce qui concerne l’arrêt Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, précité, force est de remarquer que, même s’il concerne des aides versées sans être notifiées, il n’est pas transposable au cas d’espèce. Ainsi, il convient de rappeler que la question qui se pose dans le présent litige concerne l’applicabilité dans le temps des règles de droit constituant la base légale pour l’appréciation de la compatibilité des aides d’État. En revanche, l’arrêt Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, précité, concernait une question de sécurité juridique et portait sur l’applicabilité de lignes directrices, lesquelles, comme la Cour l’a affirmé au point 120 de ce même arrêt, ne sauraient être qualifiées de règles de droit. En outre, lesdites lignes directrices comportaient une clause expresse concernant les conditions de leur application dans le temps indiquant qu’elles avaient un effet rétroactif au regard des aides versées sans être notifiées. L’affirmation de la Cour au point 127 dudit arrêt doit, ainsi, être comprise en ce sens que les États membres ne peuvent pas s’attendre à ce que de nouvelles règles ne puissent en aucun cas s’appliquer aux aides versées sans être notifiées. Or, force est de constater que, contrairement aux allégations de la Commission, ladite affirmation de la Cour n’infirme pas la jurisprudence déjà citée (voir point 40 ci-dessus) selon laquelle, à moins que les conditions exceptionnelles de l’application rétroactive ne soient remplies, les règles matérielles applicables aux aides versées sans notification sont celles en vigueur au moment de leur versement. Les lignes directrices concernées dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, précité, ayant une prévision rétroactive expresse, c’est dans ce contexte particulier que s’inscrit la conclusion de la Cour selon laquelle un État membre ne pouvait pas invoquer le principe de sécurité juridique pour empêcher l’application de ces règles rétroactives. Or, dans le cadre du présent litige, le règlement n° 1370/2007 ne pouvant s’appliquer rétroactivement (voir point 45 ci-dessus), les principes énoncés dans l’arrêt Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, précité, ne sont pas transposables au cas d’espèce.

56      Dès lors, force est de constater qu’aucun élément de la jurisprudence invoquée par la Commission ne permet de remettre en cause les principes issus de celle mentionnée aux points 34 à 36 ci-dessus sur la base desquels le Tribunal s’est fondé pour apprécier la base légale appropriée en l’espèce. Les arguments que la Commission en tire ne sont donc pas fondés.

57      Ainsi, aucun de ces arguments n’étant susceptible de remettre en cause la conclusion du Tribunal selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit en appliquant le règlement n° 1370/2007 pour l’appréciation de la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur, il convient d’accueillir le troisième moyen du recours.

58      Enfin, s’agissant des conséquences à tirer de cette erreur de droit de la Commission, il y a lieu de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de l’application de l’article 87 CE, la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310/85, Rec. p. 901, point 18, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 83). Ainsi, le Tribunal ne peut pas substituer son appréciation à celle de la Commission, ni déterminer si une aide est compatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Espagne/Commission, C‑169/95, Rec. p. I‑135, point 34). Dans ces conditions, il convient de rejeter les arguments de la Commission, du Royaume de Danemark et des DSB visant à démontrer que la décision de la Commission serait la même en cas d’appréciation de la compatibilité des aides en cause sur la base du règlement n° 1191/69 ainsi que celui soulevé à l’audience par les DSB tendant à affirmer qu’une erreur quant au choix de la base juridique n’est pas de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée.

59      Au vu de ce qui précède, il convient d’annuler l’article 1er, second alinéa, de la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens du recours.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

61      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, dudit règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Par ailleurs, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, de ce même règlement, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supportera ses propres dépens.

62      La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à ses propres dépens ainsi qu’à ceux exposés par le requérant, conformément aux conclusions de ce dernier, à l’exception des dépens causés par les interventions.

63      Le Royaume de Danemark et les DSB, qui sont intervenus au soutien de la Commission, supporteront leurs propres dépens ainsi que les dépens exposés par le requérant dans le cadre des interventions, conformément aux conclusions de ce dernier.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er, second alinéa, de la décision 2011/3/UE de la Commission, du 24 février 2010, concernant les contrats de service public de transport entre le ministère danois des transports et Danske Statsbaner [Aide d’État C 41/08 (ex NN 35/08)] est annulé.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Jørgen Andersen, à l’exception de ceux causés par les interventions.

3)      Le Royaume de Danemark est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Andersen en raison de son intervention.

4)      Les Danske Statsbaner (DSB) sont condamnés à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Andersen en raison de leur intervention.

Papasavvas

Vadapalas

O’Higgins

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.