Language of document : ECLI:EU:C:2010:744

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 7 décembre 2010 (1)

Affaire C‑398/09

Lady & Kid A/S

Direct Nyt ApS

A/S Harald Nyborg Isenkram- og Sportsforretning

KID-Holding A/S

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle formée par l’Østre Landsret (Danemark)]

«Taxes nationales non conformes au droit de l’Union – Remboursement – Refus – Répercussion – Enrichissement sans cause – Compensation de la taxe illégale par la suppression simultanée d’autres charges légales – Taxe interne discriminatoire»






Table des matières


I –   Introduction

II – Le cadre juridique

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

IV – La procédure devant la Cour

V –   La jurisprudence sur la répétition de l’indu

A –   Le droit à la répétition de l’indu

B –   L’exception pour répercussion, fondée sur l’enrichissement sans cause

C –   L’évolution ultérieure

VI – L’examen des questions préjudicielles

A –   Sur la deuxième question préjudicielle: la «compensation» comme alternative à la répercussion

1.     L’enrichissement sans cause en tant que fondement de l’exception à la répétition de l’indu

2.     La spécificité du cas d’espèce et la nécessité d’une solution ad hoc

3.     La catégorie de la «répercussion» ne permet pas de donner une réponse satisfaisante en l’espèce

4.     La «compensation» comme éventuelle exception à l’obligation de remboursement

5.     Les conditions dans lesquelles la «compensation» peut avoir un effet semblable à la «répercussion»

6.     Conclusion

B –   Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

C –   Sur la première question préjudicielle

VII – Conclusion

I –    Introduction

1.        Trente ans après que, par l’arrêt Just (2), la Cour a ouvert la porte à la possibilité de déroger au droit au remboursement des taxes illégalement perçues par un État membre, une juridiction danoise pose à nouveau plusieurs questions préjudicielles relatives aux critères d’appréciation de l’exception pour répercussion et en général pour enrichissement sans cause.

2.        Cet arrêt Just, en partie mal compris et souvent critiqué (3), ainsi que l’abondante jurisprudence consécutive ont déclaré qu’il n’y a lieu de refuser le remboursement de la taxe illégalement perçue que lorsque ledit remboursement entraînerait un enrichissement sans cause de la personne le demandant.

3.        Jusqu’à présent, la Cour a uniquement examiné des cas dans lesquels ledit enrichissement sans cause tirait son origine d’une «répercussion» effective de la taxe illégale. Dans l’affaire actuellement soumise à la Cour, le contexte est toutefois sensiblement distinct voire même inédit, la taxe déclarée illégale apparaissant comme une pièce faisant partie d’un paquet législatif approuvé par un État membre qui, de par ses caractéristiques, est pratiquement indissociable d’autres dispositions légales adoptées simultanément. En effet, en l’espèce, la taxe nationale déclarée illégale est entrée en vigueur en même temps que la suppression d’un nombre important de charges sociales, les assujettis et les bénéficiaires desdites charges et taxe étant quasiment les mêmes.

4.        Essentiellement pour cette raison, et malgré les efforts des intervenants et de la juridiction de renvoi elle‑même, les circonstances de l’espèce s’insèrent très difficilement dans la notion de «répercussion» de la taxe. Par conséquent, je proposerai à la Cour, en application de sa jurisprudence sur l’enrichissement sans cause, de ne pas limiter l’exception de l’enrichissement sans cause aux seuls cas de «répercussion» et de permettre, dans certaines conditions, son élargissement à des cas de «compensation» de la nouvelle charge par la suppression d’autres charges légales.

5.        Enfin, le renvoi contient également un deuxième groupe de questions qui introduisent une problématique supplémentaire, en soulevant une situation discriminatoire résultant de l’ensemble de ladite réforme législative, au détriment notamment des entreprises principalement importatrices par rapport à celles qui commercialisent essentiellement des produits non importés.

II – Le cadre juridique

6.        Par la loi n° 840, du 18 décembre 1987, le Royaume de Danemark a institué, avec effet à compter du 1er janvier 1988, une taxe indirecte appelée «contribution de soutien au marché de l’emploi» (ci‑après, selon son acronyme en danois, l’«AMBI»), dont l’assiette de calcul était la même que la TVA. À la différence de cette dernière, toutefois, et dans le cas concret de produits importés, cette taxe n’était pas payée au moment de la réalisation de l’importation, mais appliquée à la valeur totale du prix desdits produits lors de leur première vente sur le territoire danois. Par ailleurs, la contribution ne devait pas faire l’objet d’une mention distincte sur la facture.

7.        Comme je l’ai indiqué, parallèlement à la création de l’AMBI, le législateur danois a supprimé diverses charges sociales qui représentaient pour les entreprises un coût approximatif de 10 200 DKK par travailleur à plein temps. Cette réforme supprimait le lien entre les charges sociales et le nombre de travailleurs, en vue d’améliorer la compétitivité des entreprises danoises.

8.        L’AMBI a été supprimée, avec effet à compter du 1er janvier 1992, par la loi n° 891, du 21 décembre 1991. Par conséquent, la contribution de soutien au marché de l’emploi a grevé les entreprises danoises pendant quatre ans.

9.        Deux entreprises importatrices, Dansk Denkavit ApS et P. Poulsen Trading ApS, avaient contesté la légalité de l’AMBI, qu’elles considéraient contraire à l’article 33 de la sixième directive (4) et aux articles 9 CE et 95 CE, et demandé le remboursement des montants versés. Dans le cadre de ce litige, l’Østre Landsret (juridiction régionale) avait posé à la Cour plusieurs questions préjudicielles, auxquelles il a été partiellement répondu par arrêt du 31 mars 1992, Dansk Denkavit et Poulsen Trading (5). La Cour y a notamment constaté que l’article 33 de la sixième directive s’opposait à l’introduction ou au maintien d’une contribution fiscale qui (comme la contribution de soutien au marché de l’emploi):

–        était acquittée tant pour des activités soumises à la TVA que pour d’autres activités à caractère industriel ou commercial consistant dans la fourniture de prestations à titre onéreux;

–        était perçue, en ce qui concerne les entreprises assujetties à la TVA, sur une assiette identique à celle qui est utilisée pour la TVA, c’est‑à‑dire sous la forme d’un pourcentage du montant des ventes réalisées, après déduction du montant des achats effectués;

–        n’était pas payée, à la différence de la TVA, lors de l’importation, mais était perçue sur la totalité du prix de vente des marchandises importées lors de la première vente effectuée dans l’État membre considéré;

–        ne devait pas, contrairement à la TVA, faire l’objet d’une mention distincte sur la facture, et

–        était recouvrée parallèlement à la TVA.

10.      Sur la base des éléments précités, la Cour a considéré que les autres questions posées par l’Østre Landsret étaient devenues sans objet. En bref, celles‑ci portaient sur la compatibilité du régime fiscal en cause avec l’interdiction de taxes d’effet équivalent à des droits de douane consacrée aux articles 9 CE et suivants (troisième question) et avec l’interdiction des impositions intérieures discriminatoires visée à l’article 95 CE (quatrième question).

11.      L’année suivante, la Cour a confirmé le contenu de cet arrêt dans le cadre d’un recours en manquement introduit par la Commission des Communautés européennes contre le Royaume de Danemark, fondé exclusivement sur la violation de l’article 33 de la sixième directive (arrêt du 1er décembre 1993, Commission/Danemark) (6).

12.      En application du premier de ces arrêts, le Royaume de Danemark a promulgué la loi n° 389, du 20 mai 1992, relative au régime légal de remboursement de l’AMBI illégalement perçue, l’arrêté n° 645, du 30 juin 1996, relatif à la procédure et aux pièces justificatives en matière de présentation de demandes de remboursement de l’AMBI, ainsi que la circulaire n° 122, du 10 juillet 1996, qui fixait les lignes directrices du traitement administratif desdites demandes.

13.      La circulaire n° 122, qui était en vigueur lors du traitement des demandes de remboursement concernées en l’espèce (7), indiquait, au point 4.2:

«Pour qu’un remboursement puisse être effectué par application de ces arrêts, les conditions suivantes doivent être réunies pour une entreprise d’importation:

–        l’entreprise doit avoir été en concurrence réelle avec les producteurs danois de produits similaires;

–        les économies réalisées par l’entreprise au titre des charges sociales et autres prélèvements doivent être inférieures aux montants qu’elle a versés au titre de l’AMBI;

–        la situation de l’entreprise du point de vue de la concurrence doit s’être détériorée du fait de la réforme, c’est-à-dire qu’il doit s’agir de produits danois à forts coûts salariaux, si bien que l’entreprise danoise a réalisé des économies plus importantes du point de vue des charges sociales que l’importateur sur les produits concurrents;

–        les concurrents danois ont réalisé, au titre des charges sociales, des économies bien supérieures aux montants qu’ils ont versés au titre de l’AMBI;

–        la perte de compétitivité ne doit pas être négligeable;

–        l’AMBI ne doit pas avoir été répercutée au moyen de hausses de prix.

Le remboursement est également envisageable lorsque des circonstances particulières ont empêché les mécanismes habituels en matière de prix de jouer. […]»

14.      Dans ses observations, le gouvernement danois a déclaré que la Commission a été consultée dans le processus de rédaction de l’ensemble de ces règles en matière de remboursement de l’AMBI. Comme le représentant de la Commission a eu l’occasion de le confirmer lors de l’audience, ce dialogue aurait permis, en 1998, une première suspension provisoire d’une autre procédure en manquement ouverte contre le Royaume de Danemark (apparemment relative aux procédures de remboursement de l’AMBI) et son abandon définitif en 2006.

15.      À ce jour, un nombre élevé de demandes de remboursement de l’AMBI a été traité par l’administration fiscale danoise en application desdites règles (plus de 27 000, selon le gouvernement danois). Suivant les données figurant dans le dossier, plus de 70 % de ces entreprises requérantes ont obtenu le remboursement total ou partiel de l’AMBI versée.

III – Le litige au principal et les questions préjudicielles

16.      Les quatre requérantes (8) dans les litiges actuellement pendants devant l’Østre Landsret sont des entreprises opérant toutes dans le commerce de détail sous la forme de grands magasins, de boutiques et de vente par correspondance, et par conséquent soumises à l’AMBI. Celle‑ci ayant été déclarée illégale, elles ont demandé le remboursement des montants indûment versés. Le Skatteministeriet a rejeté lesdites demandes au motif que, pendant la période de validité de l’AMBI, l’économie réalisée du fait de la suppression des charges sociales a été supérieure, pour ces entreprises, à l’AMBI payée au cours de la même période.

17.      Des recours ont été formés contre lesdites décisions administratives et le Københavns Byret (tribunal d’instance de Copenhague) s’est prononcé en faveur du Skatteministeriet par arrêt du 16 décembre 2002. Les sociétés en cause ont alors interjeté appel devant l’Østre Landsret.

18.      Considérant que, pour statuer sur lesdits recours, il doit se prononcer sur les conditions que le droit de l’Union impose aux législations nationales relativement au remboursement de taxes perçues en violation dudit droit, l’Østre Landsret a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes (9):

«1)      L’arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C‑192/95 à C‑218/95), doit-il être interprété en ce sens que la répercussion d’une taxe illicite sur un produit suppose que la taxe a été répercutée sur l’acheteur du produit dans le cadre de la transaction commerciale en question ou la répercussion sur les prix peut‑elle également intervenir pour ce qui est des prix d’autres marchandises à l’occasion de transactions commerciales tout à fait différentes en amont ou en aval de la vente du produit considéré, par exemple dans le cadre d’une appréciation d’ensemble de la répercussion sur une période de quatre ans en ce qui concerne un grand nombre de groupes de produits comprenant tant des produits importés que des produits non importés?

2)      La notion communautaire de ‘répercussion’ doit-elle être interprétée en ce sens qu’une taxe illicite perçue lors de la vente de produits ne peut être considérée comme répercutée que si le prix du produit est majoré par rapport au prix pratiqué immédiatement avant l’instauration de la taxe ou la taxe peut-elle également être considérée comme répercutée si, au moment de l’instauration de la taxe illicite, l’entreprise assujettie a réalisé une économie au titre d’autres prélèvements perçus sur une assiette différente et si l’entreprise n’a par conséquent pas modifié ses prix?

3)      La notion communautaire d’‘enrichissement sans cause’ doit-elle être interprétée en ce sens que le remboursement d’une taxe illicite perçue lors de la vente de produits peut être considéré comme se traduisant par un enrichissement sans cause si l’entreprise a réalisé, avant ou après la vente du produit taxé, une économie du fait de la suppression d’autres prélèvements perçus sur une autre assiette, dans l’hypothèse où cette suppression d’autres prélèvements a également bénéficié à d’autres entreprises et notamment à des entreprises qui ne payaient pas la taxe illicite ou qui la payaient dans une moindre mesure?

4)      Dans l’hypothèse où une taxe illicite a eu pour conséquence, en raison de son économie, que la charge fiscale supportée par les entreprises important des marchandises a été proportionnellement plus élevée que celle des entreprises se fournissant dans une plus large mesure sur le marché national et où l’instauration de la taxe illicite s’est accompagnée de la suppression d’un autre prélèvement licite perçu sur une autre assiette qui frappait proportionnellement les deux types d’entreprises dans la même mesure et indépendamment de la composition des achats des entreprises, il est demandé:

i)      si le droit communautaire permet de refuser, en totalité ou en partie, le remboursement de la taxe illicite à une entreprise qui importe des marchandises en invoquant la répercussion et l’enrichissement sans cause dans la mesure où le refus a pour conséquence que l’entreprise, qui a comparativement payé un montant plus important au titre de la taxe illicite qu’une entreprise similaire qui a acheté des produits similaires sur le marché national, sera, toutes choses étant égales par ailleurs, défavorisée de ce fait par l’effet de la réforme fiscale et du refus du remboursement par rapport à des entreprises similaires qui se sont fournies dans une plus large mesure sur le marché national,

ii)      si le remboursement de la taxe illicite dans la situation considérée peut, d’un point de vue conceptuel, se traduire par un ‘enrichissement sans cause’ et peut par conséquent être refusé si le remboursement – même si la taxe est considérée comme ayant été répercutée – est nécessaire pour faire en sorte que l’effet de la réforme fiscale soit le même, toutes choses étant égales par ailleurs, après le remboursement éventuel pour les entreprises qui ont importé des marchandises et pour les entreprises qui ont acheté des produits nationaux,

iii)      si le refus du remboursement dans une telle situation, qui implique que les entreprises qui se sont fournies dans une plus large mesure sur le marché national et ont bénéficié d’un avantage par rapport aux entreprises qui ont eu recours dans une plus large mesure à l’importation, est contraire au droit communautaire pour d’autres raisons, et notamment au principe d’égalité de traitement et

iv)      s’il découle de la réponse à la troisième question qu’il n’est pas permis de refuser le remboursement de la taxe indûment perçue en invoquant l’enrichissement sans cause, dans la mesure où un tel remboursement se borne à neutraliser l’avantage dont les entreprises qui se sont fournies sur le marché national ont bénéficié par rapport aux entreprises qui ont eu recours dans une plus large mesure à l’importation.»

IV – La procédure devant la Cour

19.      La demande préjudicielle a été inscrite au greffe de la Cour le 14 octobre 2009.

20.      Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement danois et la Commission, ainsi que, au moyen d’un mémoire commun, par les quatre sociétés requérantes (Lady & Kid A/S, Direct Nyt ApS, A/S Harald Nyborg Isenkram- og Sportsforretning et KID Holding A/S).

21.      Les représentants desdites sociétés (de manière conjointe), du Skatteministeriet, du Royaume du Danemark et de la Commission ont assisté à l’audience, qui s’est tenue le 28 septembre 2010, pour y être entendus dans leurs observations orales.

V –    La jurisprudence sur la répétition de l’indu

A –    Le droit à la répétition de l’indu

22.      Depuis 1960, la Cour affirme le droit au remboursement des montants perçus par un État membre en violation du droit de l’Union (10). Une abondante jurisprudence a confirmé ce principe, situant son fondement dans la règle de l’effet direct (11). En définitive, le droit d’obtenir le remboursement des taxes perçues en violation du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits reconnus aux particuliers par les dispositions interdisant lesdites taxes (12).

23.      Toutefois, si le droit au remboursement naît directement du droit de l’Union, l’action pour le réclamer se situe au contraire dans le domaine des droits nationaux (13). En effet, la jurisprudence a affirmé que, conformément au principe de coopération, il incombe aux juridictions des États membres d’assurer la protection juridique découlant, pour les justiciables, de l’effet direct des dispositions de l’Union. Ainsi, selon une jurisprudence constante, en l’absence de réglementation de l’Union relative au remboursement des taxes indûment perçues, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales applicables à de telles demandes de remboursement (14).

24.      Dans certains arrêts (15), la Cour étend l’intervention du législateur national non seulement aux conditions formelles du remboursement, mais également à ses conditions matérielles. La jurisprudence a notamment confirmé que le droit national doit être appliqué en matière de délais de recours, de prescriptions et de déchéances, d’intérêts de retard et de toute autre question accessoire à la répétition de l’indu (16).

25.      Le gouvernement danois s’est fondé sur ce renvoi jurisprudentiel au droit national pour remettre en question le bien‑fondé d’une intervention de la Cour en la matière et, en tout état de cause, pour justifier sa demande d’attribution de l’affaire à la grande chambre. Plus particulièrement, ledit gouvernement considère que, conformément à la jurisprudence, c’est uniquement au législateur de l’Union ou, à défaut, à celui de chaque État membre qu’il incombe de fixer les règles procédurales et matérielles de traitement des demandes de remboursement, et que de telles règles matérielles ne peuvent être fixées par voie jurisprudentielle.

26.      Je ne crois pas que l’on puisse mettre en doute la compétence de la Cour pour se prononcer sur ces questions. Il est vrai que, par les arrêts précités, celle‑ci a autolimité ses pouvoirs d’intervention en la matière, mais il ne s’agit pas d’une limitation absolue, car le renvoi au droit national est encadré par certaines règles d’application impérative.

27.      D’une part, le législateur national doit en tout état de cause respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. Ainsi, la répétition de l’indu ne saurait être subordonnée à des conditions – de fond ou de forme – moins favorables que celles exigées pour des réclamations semblables de nature interne, et lesdites conditions ne sauraient être aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (17).

28.      D’autre part, la jurisprudence s’est prononcée sur la possibilité de déroger à la règle de la répétition de l’indu.

B –    L’exception pour répercussion, fondée sur l’enrichissement sans cause

29.      En 1980, la jurisprudence a introduit une importante limitation au droit à la répétition de l’indu. En effet, en se fondant sur les notions de répercussion de la taxe et d’enrichissement sans cause, la Cour a affirmé, dans l’arrêt Just précité, que le droit de l’Union «n’exige pas d’accorder une restitution des taxes indûment perçues dans des conditions qui entraîneraient un enrichissement sans cause des ayants droit». Il peut donc être tenu compte «du fait que la charge des taxes indûment perçues a pu être répercutée sur d’autres opérateurs économiques ou sur les consommateurs» (18).

30.      Dans de tels cas, la jurisprudence considère que «ce n’est pas l’opérateur qui a supporté la charge de la taxe indûment perçue, mais l’acheteur sur lequel la charge a été répercutée. Dès lors, rembourser à l’opérateur le montant de la taxe qu’il a déjà perçu de l’acheteur équivaudrait pour lui à un double paiement susceptible d’être qualifié d’enrichissement sans cause, sans qu’il soit pour autant remédié aux conséquences de l’illégalité de la taxe pour l’acheteur». Il incombe aux juridictions nationales «d’apprécier, à la lumière des circonstances de chaque espèce, si la charge de la taxe a été transférée, en tout ou en partie, par l’opérateur sur d’autres personnes et si, le cas échéant, le remboursement de l’opérateur constituerait un enrichissement sans cause» (19). Or, parmi de telles «circonstances», il convient de tenir également compte du préjudice que l’intéressé pourrait avoir subi «du fait même qu’il a répercuté en aval la taxe perçue par l’administration en violation du droit communautaire, parce que la majoration du prix du produit, provoquée par la répercussion de la taxe, a entraîné une diminution du volume des ventes» (20).

31.      L’arrêt Just a résolu une question préjudicielle également posée par une juridiction danoise, portant sur le point de savoir si l’exception pour répercussion, appliquée dans certains cas par la juridiction danoise, pouvait être valablement utilisée pour refuser des demandes de remboursement de taxes contraires au droit communautaire. En répondant par l’affirmative, la Cour a confirmé indirectement la possibilité pour les ordres juridiques internes de régir des aspects matériels du remboursement.

C –    L’évolution ultérieure

32.      Une abondante jurisprudence a confirmé les termes de l’arrêt Just (21), tout en introduisant certaines nuances importantes quant à ses conditions d’application. Ces précisions ont eu pour objet d’éviter que le principe d’autonomie des juridictions nationales donne lieu à des différences excessives mettant en danger le fonctionnement d’aspects essentiels de l’Union.

33.      En application du principe d’effectivité, toutes modalités de preuve de la répercussion fixées par les ordres juridiques nationaux rendant pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement sont par exemple déclarées incompatibles avec le droit de l’Union (22). En cas de taxes indirectes déclarées contraires au droit de l’Union, la possibilité de refuser leur remboursement sur la base d’une présomption de répercussion de la taxe faisant toujours peser la charge de la preuve sur l’assujetti est exclue, étant précisé que l’existence d’une obligation légale d’incorporer la taxe dans le prix ne permet pas de présumer que la totalité de la charge de la taxe a été répercutée. Le point de savoir si la répercussion d’une taxe indirecte a effectivement eu lieu ou non constitue une question de fait qui relève de l’appréciation du juge national (23).

34.      Ainsi, la Cour a conçu une interprétation autonome des notions de répercussion et d’enrichissement sans cause, transformant cette exception à la répétition de l’indu en règle juridique de l’Union et assumant comme sienne ce qui n’était initialement qu’une règle de droit national. Son intervention en la matière a toutefois pu être qualifiée de «minimaliste» (24), eu égard à l’autonomie procédurale (et matérielle) traditionnellement reconnue aux États membres dans ce domaine.

VI – L’examen des questions préjudicielles

A –    Sur la deuxième question préjudicielle: la «compensation» comme alternative à la répercussion

35.      J’examinerai en premier lieu la deuxième question préjudicielle, car elle est préalable aux autres questions posées.

1.      L’enrichissement sans cause en tant que fondement de l’exception à la répétition de l’indu

36.      La plupart des cas soumis jusqu’à présent à la Cour se sont facilement intégrés dans un schéma dans lequel la répercussion apparaît comme l’élément déterminant pour justifier le refus de remboursement, même s’il était parfois possible de déroger à ce refus lorsque, bien qu’il y avait répercussion, le remboursement n’engendrerait pas d’enrichissement sans cause (25).

37.      De nombreux arrêts ont été rendus dans ce type de contextes avec répercussion, généralisant l’idée que la répercussion et l’enrichissement sans cause sont deux conditions cumulatives fondant l’unique exception possible au droit à la répétition de l’indu dans le droit de l’Union (26).

38.      Selon moi, répercussion et enrichissement sans cause ne sont toutefois pas deux conditions distinctes pour refuser la répétition de l’indu. En réalité, l’enrichissement sans cause est le seul fondement de l’exception, et la répercussion, l’une de ses éventuelles manifestations, même si elle apparaît comme étant l’une des plus caractéristiques. Cela explique que la jurisprudence admette à son tour une limitation à l’exception (ou «exception à l’exception») lorsque, même en cas de répercussion, le remboursement n’entraînerait pas d’enrichissement sans cause, du fait de la réunion d’autres circonstances (telles qu’une perte parallèle de compétitivité).

39.      La jurisprudence a en effet fait pivoter la raison d’être ultime de l’exception au principe de répétition de l’indu dans le but d’éviter l’enrichissement sans cause de la personne demandant le remboursement (27).

40.      L’incorporation de la taxe dans le prix de vente n’est donc pas un critère unique et définitif pour déroger au remboursement; l’élément déterminant est que ce remboursement puisse effectivement engendrer un enrichissement sans cause, soit parce que la taxe a finalement été acquittée par l’acheteur du bien, soit pour une autre circonstance. En d’autres termes, l’enrichissement sans cause n’est pas seulement le fondement de l’exception, c’est l’exception même (28).

41.      Par conséquent, le remboursement de la taxe peut ne pas produire d’enrichissement sans cause, malgré l’existence d’une répercussion, tout comme il peut, à l’inverse, produire un enrichissement sans cause même s’il n’y a pas eu répercussion.

42.      Il est donc possible que la répercussion de la taxe ne soit pas nécessairement la seule exception à la répétition de l’indu.

43.      Le refus de rembourser ce qui a été indûment payé doit bien entendu, s’agissant d’une exception à la règle générale, faire l’objet d’une interprétation stricte. Toutefois, cela ne peut conduire à exclure l’existence de réglementations nationales qui prévoient d’autres cas que celui de la répercussion, mais tout aussi légitimes que celui‑ci, car fondés sur un enrichissement sans cause tout aussi injuste de l’intéressé.

44.      En effet, il ne faut pas oublier que ladite exception, bien qu’assumée comme étant sienne par la Cour, est une règle d’origine nationale. Il ne s’agit donc pas d’une règle immuable, exclusive du droit de l’Union, d’application impérative pour les États membres. Il incombe à ces derniers, comme je l’ai déjà indiqué, de fixer les conditions formelles et matérielles du remboursement. S’ils décident d’appliquer l’exception pour répercussion et enrichissement sans cause, ils devront le faire dans le respect des conditions fixées par la jurisprudence de l’Union, mais rien ne les empêche de prévoir une exception différente, dont la compatibilité avec le droit de l’Union pourrait éventuellement être examinée par la Cour.

2.      La spécificité du cas d’espèce et la nécessité d’une solution ad hoc

45.      Les questions préjudicielles posées par l’Østre Landsret tentent d’insérer les circonstances particulières du cas d’espèce dans les notions habituelles de répercussion et d’enrichissement sans cause. En définitive, la juridiction danoise demande si, dans un cas tel qu’en l’espèce, il est satisfait aux deux conditions que la jurisprudence a jusqu’à présent considérées nécessaires pour refuser le remboursement de l’AMBI: en premier lieu, s’il y a eu répercussion et, en second lieu, si un éventuel remboursement de la taxe engendrerait, en raison d’autres circonstances, un enrichissement sans cause des sociétés assujetties.

46.      Dans le cas de l’AMBI, l’élaboration d’une réponse ad hoc, précisant la jurisprudence existant à ce jour, semble toutefois nécessaire. Il en va ainsi car, comme je l’ai indiqué, nous nous trouvons face à un cas fondamentalement inédit et présentant des caractéristiques particulières, dans lequel la taxe déclarée illégale est une pièce parmi d’autres au sein d’un paquet législatif qui doit être pris en considération dans sa totalité.

47.      C’est pourquoi la deuxième question préjudicielle se place au centre du débat. En effet, elle soulève le problème du point de savoir si l’on peut considérer qu’il y a eu répercussion lorsque le montant de la taxe illégale a été «compensé» par une économie parallèle, résultant de la même réforme légale, bien que ne se traduisant pas dans les faits par une augmentation des prix. La réponse que je propose à cette deuxième question préjudicielle implique à l’évidence une reformulation des termes de ladite question, qui présente en outre un caractère préalable aux autres.

3.      La catégorie de la «répercussion» ne permet pas de donner une réponse satisfaisante en l’espèce

48.      De même que dans de nombreuses autres affaires qui ont été soumises à la Cour, l’AMBI était une taxe indirecte, présentant de grandes ressemblances avec la TVA. Sa répercussion effective est toutefois tout sauf évidente, pour deux raisons: en premier lieu, car les différents composants de la réforme légale permettaient leur neutralisation mutuelle, sans nécessité d’augmenter les prix; et, d’un point de vue formel, parce que l’AMBI, à la différence de la TVA, ne faisait pas l’objet d’une mention distincte sur les factures (29).

49.      La thèse du gouvernement danois est qu’il y a, malgré tout, eu en l’espèce «répercussion», car l’AMBI aurait «remplacé» les charges sociales parallèlement supprimées en tant que composant du prix du produit, qui a, précisément pour cette raison, pu rester le même (en ce sens, l’AMBI pouvait être considérée comme «répercutée»). Pour le reste, l’absence de mention distincte de l’AMBI sur la facture ne constituerait pas, selon le gouvernement danois, un obstacle majeur dans l’appréciation de la répercussion, car ladite appréciation pourrait être faite globalement pour l’ensemble des prix des produits des entreprises concernées pendant toute la durée d’application de la taxe.

50.      Cette approche du gouvernement danois dénature manifestement, la rendant méconnaissable, la notion habituelle de «répercussion» d’une taxe et, en tout état de cause, ce n’est pas ce que notre jurisprudence a considéré comme tel.

51.      La répercussion se définit, en technique fiscale, comme l’instrument qui permet de transférer la charge fiscale sur le contribuable final, de sorte que la taxe soit neutre pour le particulier ou l’entreprise qui la paie initialement, puis la répercute, apparaissant comme un simple échelon dans le processus de recouvrement (30). Le transfert de la charge fiscale se produit normalement via le prix de vente, que la taxe soit intégrée audit prix ou qu’elle apparaisse de manière distincte, comme pour la TVA; en tout état de cause, l’introduction de la taxe doit avoir un effet sur l’évolution du prix. Lorsque, comme il semble que cela ait été majoritairement le cas pour l’AMBI, il n’est pas évident que la charge de la taxe a été intégralement transférée sur une tierce personne, il est à tout le moins difficile de conclure qu’il y a eu une vraie «répercussion».

52.      S’y ajoutent les difficultés de preuve que pourrait faire naître la thèse du «remplacement dans la répercussion» défendue par le gouvernement danois. La longue période concernée, la diversité des produits impliqués et la différente intensité selon laquelle, comme l’ont affirmé les requérantes, l’une et l’autre charges fiscales reposaient sur les produits importés et nationaux font naître à tout le moins certains doutes quant à la possibilité de prouver ces points de manière suffisamment rigoureuse.

53.      La jurisprudence a certes insisté sur le fait que la répercussion «dépend de plusieurs facteurs qui entourent chaque transaction commerciale et la différencient d’autres cas situés dans d’autres contextes», et qu’elle «constitue une question de fait qui relève de la compétence du juge national» (31). On pourrait en déduire que, eu égard aux circonstances de chaque cas d’espèce, le juge national peut considérer qu’il y a eu répercussion par d’autres voies que celle de l’incorporation de la taxe dans le prix. Dans les arrêts cités, cette précision visait toutefois uniquement à préciser qu’une taxe indirecte ne doit pas être considérée comme automatiquement répercutée.

54.      Cette approche flexible du phénomène de la «répercussion» doit cependant, à un moment ou l’autre, trouver ses limites. En effet, malgré cette déclaration jurisprudentielle, il me semble extrêmement artificiel de soutenir que le simple «remplacement» d’un coût de charges sociales par une taxe nouvellement créée, lorsqu’ils pèsent sur le même sujet mais à des titres distincts et selon une intensité différente, est suffisant pour considérer que la nouvelle taxe a été répercutée.

55.      À l’évidence, on ne peut pas ainsi parvenir à la conclusion qu’il n’y a pas malgré tout eu, dans une mesure plus ou moins grande, un phénomène de «répercussion» au sens usuel, mais uniquement exclure la possibilité de prouver ladite répercussion sans plus d’informations que celles correspondant à ladite compensation. Dans un tel cas, nous courrions le risque d’établir une «présomption de répercussion» interdite par la jurisprudence.

56.      Dans ces conditions, il y a donc lieu d’examiner si, en l’absence de répercussion au sens usuel du terme, nous ne nous trouverions pas face à une «autre» circonstance pouvant également être assimilée à la notion d’«enrichissement sans cause». Ce serait le cas d’un phénomène chronologiquement et fonctionnellement antérieur à celui de la répercussion, à savoir la «compensation», qui fait l’objet de la deuxième question préjudicielle.

4.      La «compensation» comme éventuelle exception à l’obligation de remboursement

57.      En effet, ladite «compensation» s’insère naturellement dans la dialectique de l’enrichissement sans cause, qui, selon moi, constitue le véritable fondement de l’ensemble de la jurisprudence de la Cour relative à l’exception au droit à la répétition de l’indu.

58.      Je considère donc que la Cour devrait, à l’occasion de la présente affaire, aller au‑delà du libellé des questions posées par l’Østre Landsret, qui pourraient obliger à forcer la notion classique de répercussion pour y introduire artificiellement, et je crois en outre inutilement, un cas de figure qui ne correspond pas aux caractéristiques essentielles de la répercussion.

59.      Je dis inutilement, car, selon moi, la jurisprudence en la matière permet d’étendre l’exception au droit à remboursement à un cas distinct de la «répercussion» de la taxe concernée, mais dans lequel il pourrait cependant bien y avoir enrichissement sans cause en cas de remboursement de la taxe illégale. Tel serait le cas de la «compensation» alléguée en l’espèce.

60.      Cette idée de la compensation n’est pas entièrement nouvelle dans la jurisprudence, et est même apparue avant que l’arrêt Just ne donne corps à l’exception au droit à remboursement pour répercussion et enrichissement sans cause.

61.      À peine un an avant l’arrêt Just, il a été affirmé dans l’arrêt Pigs and Bacon Commission (32) qu’une taxe illégale peut éventuellement être «compensée» par la perception, par le même contribuable, d’autres avantages économiques. La question préjudicielle posée dans ladite affaire par la High Court (Irlande) concernait un organisme public, appelé «Pigs and Bacon Commission», qui prélevait une taxe sur tous les producteurs de bacon, n’accordant certaines subventions qu’à ceux qui réalisaient leurs opérations d’exportation par son intermédiaire.

62.      Il a été constaté dans ledit arrêt qu’un système tel que celui mis en place en Irlande porte atteinte aux règles relatives à la libre circulation des marchandises et à l’organisation commune de marché dans le secteur de la viande porcine de deux manières distinctes: d’une part, parce qu’il fausse la concurrence par l’octroi de subsides à l’exportation et, d’autre part, parce qu’il inflige un désavantage financier à tout producteur réalisant directement ses ventes à l’étranger sans utiliser les services dudit service public (en effet, le producteur doit payer la taxe, mais n’a le droit à aucun subside) (33). Puisqu’elle était affectée à des fins incompatibles avec les exigences du traité, ladite taxe ne pouvait pas être légalement imposée aux producteurs.

63.      Comme elle l’avait déjà fait dans sa jurisprudence antérieure, la Cour a laissé au juge national le soin d’apprécier «si et dans quelle mesure» ladite taxe devait être remboursée aux opérateurs économiques l’ayant payée. Cela étant dit, et ceci est particulièrement pertinent pour ce qui nous concerne, la Cour, en considération des circonstances de l’espèce, a déclaré qu’il appartenait au juge national d’apprécier si et dans quelle mesure ladite créance du contribuable pouvait éventuellement être «compensée» par d’autres montants qui lui auraient été versés au titre de subside à l’exportation (34).

64.      Il est vrai que les circonstances de l’affaire Pigs and Bacon Commission ne sont pas identiques à celles de l’affaire faisant l’objet des présentes conclusions. Dans la première, la compensation s’impose, car les producteurs avaient le droit au remboursement de la taxe mais, parallèlement, auraient dû restituer le montant des subsides illégaux.

65.      Peu de temps après, la jurisprudence a toutefois eu l’occasion d’appliquer à nouveau cette idée de la «compensation» dans un contexte sans subsides directs: il a été confirmé dans l’arrêt Apple and Pear Development Council, relatif à l’organisme britannique du même nom, qu’il appartient au juge national de déterminer «si et dans quelle mesure» il y a lieu de rembourser aux contribuables une taxe servant à financer un organisme dont une partie des activités est contraire au droit communautaire et «si et dans quelle mesure» ce droit au remboursement «est éventuellement compensé par les avantages directs que les activités dudit organisme ont procurés au contribuable intéressé» (35).

66.      On peut donc affirmer que l’idée d’éviter que le remboursement d’une taxe illégalement perçue engendre un enrichissement sans cause du contribuable sous‑tend déjà dans les arrêts précités. Cette idée apparaît en outre en marge de la notion classique de répercussion, qui, à partir de l’arrêt Just, présidera toute appréciation jurisprudentielle sur le bien‑fondé de l’exception à la répétition de l’indu.

67.      Selon moi, les deux arrêts cités montrent qu’il peut être dérogé au droit à la répétition de l’indu dans certains cas distincts de la répercussion, en raison d’autres avantages que le contribuable a pu obtenir de la même administration que celle ayant bénéficié du recouvrement de la taxe illégale (36). La conclusion finale serait que l’existence d’une répercussion de la taxe ne constitue pas la seule voie possible de refus du remboursement, qui peut être fondé sur un éventuel enrichissement sans cause découlant d’une économie parallèle (37).

5.      Les conditions dans lesquelles la «compensation» peut avoir un effet semblable à la «répercussion»

68.      Il est important de préciser immédiatement que cette exception au droit à la répétition de l’indu ne peut être acceptée que dans de strictes conditions.

69.      En premier lieu, afin d’éviter d’éventuelles fraudes ou des solutions ad hoc élaborées par les États membres, il est nécessaire que la suppression parallèle de charges légales invoquée se trouve dans une relation immédiate de cause à effet avec la taxe déclarée illégale.

70.      Il ne saurait, par conséquent, s’agir d’une quelconque mesure légale plus ou moins favorable au contribuable qui coïncide approximativement avec les dates du recouvrement illégal. L’économie parallèle qui pourrait donner lieu à un enrichissement sans cause doit être indissociablement liée, dès son origine, à la création de cette taxe illégale.

71.      Cette exigence semble évidente au vu de l’arrêt Deville qui, en faisant référence au principe d’effectivité en tant que limite à l’application de la théorie de la répercussion, souligne qu’«un législateur national ne peut adopter, postérieurement à un arrêt de la Cour dont il résulte qu’une législation déterminée est incompatible avec le traité, de règle procédurale réduisant spécifiquement les possibilités d’agir en répétition des taxes qui ont été indûment perçues en vertu de cette législation» (38). La justification du non‑remboursement ne saurait, par conséquent, être établie après la déclaration d’illégalité de la taxe.

72.      Dans le cas de l’AMBI, son lien avec la suppression de charges sociales a déjà été allégué devant la Cour dans la procédure qui a donné lieu à l’arrêt Denkavit et Poulsen Trading, précité (point 3), et n’a pas été directement contesté dans la présente procédure. En tout état de cause, rien n’empêcherait le juge national d’exiger, s’il l’estime pertinent, une preuve plus stricte de ce point (39).

73.      En deuxième lieu, il doit s’agir d’un cas dans lequel il y a une correspondance suffisante entre le cercle de bénéficiaires des charges supprimées et celui des assujettis au nouvel impôt.

74.      En troisième lieu, l’économie réalisée doit être quantifiable sans difficulté excessive, tout comme doit l’être le montant de la dette fiscale acquittée, de sorte que cette «compensation» puisse être opposée de manière fondée.

75.      Enfin, il convient de préciser que l’existence d’une «compensation» de la taxe illégale permettant de refuser ou de minorer le remboursement de cette dernière devra être appréciée par le juge national saisi, au cas par cas et à la lumière des preuves fournies par les autorités nationales. En d’autres termes, la charge de la preuve de cet éventuel enrichissement sans cause découlant d’une «compensation» de la taxe illégale incombe à l’État membre (40). Il serait sinon fait application d’une présomption expressément interdite par la jurisprudence, car elle rendrait «pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement» (41).

6.      Conclusion

76.      Au vu de l’ensemble des considérations précédentes, je considère qu’il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que l’État puisse refuser le remboursement de la taxe illégalement perçue lorsqu’il est en mesure de prouver que les montants indûment perçus peuvent être considérés comme compensés par une réduction simultanée et correspondante d’autres charges dont les mêmes sujets fiscaux ont effectivement bénéficié, à condition qu’il existe une relation immédiate de cause à effet entre la création d’une charge et la suppression de l’autre.

B –    Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

77.      Dans des termes quelque peu laborieux, les troisième et quatrième questions préjudicielles posent, en résumé, la question supplémentaire visant à savoir si une éventuelle différence de traitement de l’ensemble de la réforme légale (qui pourrait bénéficier plus à un type d’entreprises qu’à d’autres) constitue ou non un élément supplémentaire à prendre en considération dans cette appréciation de la présence ou non d’enrichissement sans cause, aux fins de la décision sur le bien‑fondé ou non du remboursement de l’AMBI.

78.      Conformément à l’arrêt Weber’s Wine World e.a., précité, l’appréciation par le juge national de l’existence et de la mesure de l’enrichissement sans cause que le remboursement d’une taxe indûment perçue engendrerait pour un assujetti ne peut être faite qu’«au terme d’une analyse économique qui tienne compte de toutes les circonstances pertinentes» (42).

79.      Jusqu’à présent, la jurisprudence a relié cette analyse économique à la preuve que l’assujetti n’a pas subi de baisse de son volume de ventes, en cas de demandes très élastiques, en raison de la répercussion de la taxe illégale et de l’augmentation conséquente de ses prix.

80.      En l’espèce, toutefois, ladite analyse économique devra prendre en considération cet autre facteur, également important, mentionné par l’Østre Landsret dans ses troisième et quatrième questions préjudicielles.

81.      En effet, l’Østre Landsret construit ces deux questions sur la base d’une hypothèse de départ classique, à savoir que l’AMBI grevait proportionnellement plus les entreprises importatrices que celles qui achetaient principalement des produits nationaux, alors que les charges sociales supprimées frappaient proportionnellement les «deux types d’entreprises dans la même mesure et indépendamment de la composition des achats des entreprises».

82.      Les parties au principal et la Commission présentent, toutefois, d’importantes divergences tant quant à la portée des questions posées par le Landsret qu’en ce qui concerne les données factuelles sur lesquelles celui‑ci se fonde.

83.      D’une part, les entreprises requérantes considèrent qu’il est attesté que les entreprises principalement importatrices ont payé au fisc des montants bien plus élevés au titre de l’AMBI que ceux versés par des entreprises se fournissant majoritairement en produits nationaux. La différence serait déterminée par le fait que, contrairement à ce qui se passe avec la TVA dans les opérations intracommunautaires, l’AMBI n’était pas perçue au moment de l’importation, mais lors de la première vente des biens importés au Danemark, et que l’importateur, à la différence du producteur national, ne pouvait donc pas déduire de l’assiette de calcul de l’AMBI la valeur des produits importés.

84.      Le gouvernement danois nie, quant à lui, catégoriquement que l’AMBI frapperait différemment les produits danois et les produits importés, affirmant que ce n’est pas l’AMBI, mais «la suppression des charges sociales – dont la licéité n’est pas contestée – qui a réduit les coûts de production au Danemark et, partant, bénéficié aux produits fabriqués au Danemark».

85.      La Commission, qui s’aligne sur ce point sur le gouvernement danois, a expliqué lors de l’audience que la raison pour laquelle certaines entreprises ont payé proportionnellement plus d’AMBI que d’autres consiste en ce que, dans le cas des produits danois, la charge de la taxe était répartie sur les différents maillons de la chaîne commerciale, alors que, dans le cas des produits d’importation, l’ensemble de l’AMBI était recouvré au moment de la première vente sur le territoire danois. Selon la Commission, cela ne signifie pas que les produits importés étaient plus taxés que les produits nationaux, mais uniquement que les entreprises importatrices payaient des montants plus élevés. Ce facteur ne permettrait toutefois pas de considérer qu’il y a un «problème de discrimination», car les règles en matière de remboursement de la taxe sont les mêmes pour toutes les entreprises, indépendamment du montant d’AMBI qu’elles ont indûment versé. Ainsi, la Commission centre exclusivement la réponse à ces deux dernières questions sur le doute quant au point de savoir s’il y a ou non discrimination dans le mécanisme de remboursement en tant que tel.

86.      À ce stade, il est important d’indiquer que le caractère éventuellement discriminatoire de l’AMBI au sens de l’article 110 TFUE (43) n’a pas été invoqué en l’espèce, à la différence de ce qui s’est passé dans la question préjudicielle qui a donné lieu à l’arrêt Dansk Denkavit et Poulsen Trading, précité, qui tire également son origine d’un renvoi préjudiciel de l’Østre Landsret. Cet arrêt s’est toutefois limité à constater qu’une taxe telle que l’AMBI portait atteinte à l’article 33 de la sixième directive en raison de sa similarité avec la TVA, mais ne s’est pas prononcé, ne l’estimant pas nécessaire, sur l’éventuel caractère discriminatoire (et donc contraire à l’ex-article 95 CE) d’une telle taxe, point sur lequel la Cour avait également été interrogée (44). Par ailleurs, la Commission a ouvert diverses procédures d’infraction contre le Royaume de Danemark en raison de cette réforme fiscale, mais seule l’une d’elles (celle portant sur la violation de l’article 33 de la sixième directive) a été soumise à la Cour, s’achevant par le jugement de condamnation correspondant.

87.      Avec ce nouveau renvoi préjudiciel, la juridiction danoise, même sans poser expressément la question du caractère discriminatoire de l’AMBI, la situe à nouveau dans le point de mire de la Cour, par la voie indirecte des règles en matière de répétition de l’indu.

88.      Lors de l’audience, le gouvernement danois a insisté sur le risque de «répondre à une question qui n’a pas été posée par le Landsret», faisant ainsi probablement allusion à l’inopportunité de reposer le problème du caractère discriminatoire de la taxe.

89.      Selon moi, le problème que nous pose l’Østre Landsret en l’espèce n’est pas de déterminer si l’ensemble de la réforme légale avait un caractère discriminatoire ni, comme le soutient la Commission, s’il y a discrimination dans le mécanisme de remboursement en tant que tel. D’une manière ou d’une autre, la seule chose que demande l’Østre Landsret est d’établir si les effets de la réforme légale, le cas échéant proportionnellement plus avantageux pour les entreprises ayant un moins grand volume de produits importés que pour celles principalement importatrices, doivent être un facteur à prendre en considération lors du calcul du montant du remboursement de ce qui a été versé au titre de l’AMBI afin d’éviter un enrichissement sans cause.

90.      Il n’est pas difficile de répondre par l’affirmative à cette question. Comme je l’ai déjà indiqué, l’enrichissement sans cause est dès le départ configuré en tant qu’exception à l’obligation étatique de répétition de l’indu, et la répercussion de la taxe est, depuis 1980, le cas le plus caractéristique d’enrichissement sans cause. Toutefois, en tant qu’exception, ce dernier doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. Ainsi, lorsque, bien qu’il y ait eu répercussion, la hausse des prix produit une perte de compétitivité de l’entreprise, cette situation doit être prise en considération et peut entraîner la non‑application de l’exception s’il est prouvé que le remboursement dans les circonstances de l’espèce ne donnerait pas lieu à un enrichissement sans cause (45).

91.      Dans la présente affaire, les requérantes n’invoquent pas une perte de compétitivité dans les termes décrits, mais l’existence d’une amélioration relative de la position de leurs concurrentes en raison des coûts d’entreprise et fiscaux proportionnellement moins élevés que leur imposerait la réforme. Malgré cette différence, la logique est, en définitive, la même dans les deux cas et la réponse doit par conséquent également l’être.

92.      J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer comment l’exception au droit à remboursement en cas de répercussion trouve sa propre limite lorsque ladite répercussion entraîne une perte de compétitivité de l’entreprise concernée qui permet d’exclure un enrichissement sans cause en cas de remboursement. De manière similaire, l’application de l’exception pour «compensation» de la taxe illégale doit également trouver sa propre limite si la réforme légale concernée a proportionnellement plus bénéficié aux entreprises concurrentes, entraînant une perte de compétitivité de l’entreprise concernée susceptible, dans ce cas aussi, d’exclure entièrement ou partiellement son enrichissement sans cause en cas de remboursement de la taxe. Dans ce cas, la catégorie de l’enrichissement sans cause rétablit, dans la mesure du possible, le droit au remboursement, afin de neutraliser cette éventuelle différence de traitement.

93.      Bien entendu, cette modulation dépend de la manière d’apprécier, sous cet angle, les effets de la réforme légale en cause, tâche qui revient exclusivement au juge national.

C –    Sur la première question préjudicielle

94.      La réponse à la deuxième question préjudicielle que je propose rendrait fondamentalement superflue la réponse à la première question posée par l’Østre Landsret, qui porte sur la manière, individualisée ou globale, de procéder à l’appréciation d’une éventuelle répercussion de l’AMBI.

95.      Toutefois, puisque, comme j’ai déjà eu l’occasion de le signaler, on ne peut exclure que des phénomènes de «répercussion» au sens usuel du terme se soient produits, j’examine ci‑après ladite première question préjudicielle.

96.      La juridiction danoise demande si, pour apprécier l’existence de la répercussion, il suffit de procéder à une appréciation globale des transactions faites par l’assujetti sur une période de quatre ans et relativement à un grand nombre de produits, ou s’il est nécessaire de procéder à une appréciation spécifique de la transaction concernée au cas par cas.

97.      Curieusement, tant le gouvernement danois que les entreprises requérantes se fondent sur le point 25 de l’arrêt Comateb e.a. précité, dans lequel il est affirmé que la répercussion «dépend de plusieurs facteurs qui entourent chaque transaction commerciale et la différencient d’autres cas situés dans d’autres contextes».

98.      Le gouvernement danois considère que cette référence au contexte de chaque transaction commerciale permet de procéder à une appréciation globale de la répercussion lorsque la détermination des prix a, elle aussi, été faite globalement. Au contraire, les entreprises requérantes estiment que cette référence (46) oblige précisément à analyser le comportement du prix dans chaque transaction, dans chaque opération de vente, et qu’il n’est pas possible de procéder à une appréciation globale fondée sur l’idée que la répercussion des charges supprimées a simplement été remplacée par la répercussion de l’AMBI, étant donné que les charges sociales supprimées affectaient de la même manière les produits importés et ceux non importés, alors que l’AMBI grevait proportionnellement plus les premiers.

99.      Selon moi, la référence que l’arrêt Comateb e.a. fait aux circonstances de chaque transaction doit être interprétée plus comme un élément de flexibilisation de la notion de répercussion que comme une référence à une appréciation de la répercussion strictement individualisée, c’est‑à‑dire produit par produit, vente par vente.

100. Cela étant dit, comme je l’ai indiqué précédemment, cette approche flexible du phénomène de répercussion n’est pas absolue et est soumise à certaines limites, notamment celles découlant de la notion même de «répercussion».

101. C’est pourquoi le type d’appréciation de la répercussion que les autorités danoises pourraient faire, selon le libellé de la première question, excède de beaucoup ces limites de la notion, en intégrant les données d’une période excessivement longue (quatre ans), relatives à un «grand nombre de produits» et même à des «transactions commerciales tout à fait différentes en amont ou en aval de la vente du produit considéré».

102. Aussi large que soit la définition du «contexte» et des «facteurs qui entourent chaque transaction commerciale» auxquels se réfère le point 25 de l’arrêt Comateb e.a., précité, elle permettrait difficilement de couvrir des cas tels que ceux visés dans cette première question préjudicielle. Il serait tout au plus possible de procéder à une appréciation par groupes de produits ou de transactions gardant un certain lien, et pour des périodes moins longues, car il ne semble pas possible d’affirmer que la fixation des prix se fait globalement, pour toutes les transactions de l’entreprise, pour une période de quatre ans.

103. L’invocation du principe de libre appréciation de la preuve par le juge national n’infirme pas, selon moi, la conclusion précédente. Sur ce point, il y a lieu de rappeler que, «[b]ien que la question de savoir si une taxe a été répercutée soit une question de fait qui relève de la compétence de la juridiction nationale» et qu’il lui appartienne, et à elle seule, d’apprécier les éléments de preuve à cet effet, «les modalités de preuve [de la répercussion] ne peuvent pas avoir pour effet de rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de la taxe» perçue en violation du droit de l’Union (47).

104. En marge des circonstances de l’espèce, une appréciation globale d’opérations très distinctes, relatives à des produits complètement différents, sur une période de quatre ans pourrait mettre l’assujetti dans l’impossibilité d’apporter des preuves infirmant la conclusion selon laquelle il y a eu répercussion de la taxe.

VII – Conclusion

105. En conséquence, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles de l’Østre Landsret comme suit:

«1)      Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’il soit dérogé au remboursement d’une taxe illicite lorsque ladite taxe a pu être compensée en raison de la suppression simultanée d’autres charges légales, également quantifiables, et que le remboursement entraînerait un enrichissement sans cause. Il appartiendra au juge national d’apprécier si ces conditions sont réunies, à la lumière des éléments fournis par les autorités nationales, sur qui pèse la charge de la preuve.

2)      La constatation d’une différence de traitement au détriment d’un certain groupe d’entreprises constitue un élément devant être pris en considération par le juge national aux fins de sa décision sur le bien‑fondé ou non du remboursement de la taxe illégale.

3)      L’arrêt de la Cour du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C‑192/95 à C‑218/95), ne peut pas être interprété en ce sens que la répercussion sur les prix peut également intervenir pour ce qui est des prix d’autres marchandises à l’occasion de transactions commerciales tout à fait différentes en amont ou en aval de la vente du produit considéré, par exemple dans le cadre d’une appréciation d’ensemble de la répercussion sur une période de quatre ans en ce qui concerne un grand nombre de groupes de produits comprenant tant des produits importés que des produits non importés.»


1 – Langue originale: l’espagnol.


2 – Arrêt du 27 février 1980 (68/79, Rec. p. 501).


3 – Voir, par exemple, Hubeau, F., «La répétition de l’indu en droit communautaire», Revue trimestrielle de droit européen, 1981, p. 448.


4 – Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).


5 – C‑200/90, Rec. p. I‑2217.


6 – C‑234/91, Rec. p. I‑6273.


7 – Elle a été abrogée avec effet à compter du 2 janvier 2007.


8 – Lady & Kid A/S, Direct Nyt ApS, A/S Harald Nyborg Isenkram- og Sportsforretning et KID‑Holding A/S.


9 – L’ordonnance de renvoi de ces questions préjudicielles a été attaquée devant le Højesteret (juridiction suprême danoise), qui a rejeté le recours par ordonnance du 11 février 2010 (Sag 344/2009), en s’appuyant sur l’arrêt Cartesio (arrêt du 16 décembre 2008, C-210/06, Rec. p. I‑9641) et au vu du système procédural danois.


10 – Arrêt du 16 décembre 1960, Humblet/État belge (6/60, Rec. p. 1125, notamment p. 1146).


11 – Arrêts du 16 décembre 1976, Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral (33/76, Rec. p. 1989, point 5) et Comet (45/76, Rec. p. 2043, points 12 et 13); du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, Rec. p. 1205, point 12); du 10 juillet 1980, Ariete (811/79, Rec. p. 2545, points 9, 12 et 14) et Mireco (826/79, Rec. p. 2559, point 10), ainsi que du 29 juin 1988, Deville (240/87, Rec. p. 3513, point 11).


12 – Arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 12); du 14 janvier 1997, Comateb e.a. (C‑192/95 à C‑218/95, Rec. p. I‑165, point 20), et du 2 décembre 1997, Fantask e.a. (C‑188/95, Rec. p. I‑6783, point 38).


13 – Spitzer, J.-P., «La responsabilité indirecte de l’État pour violation du droit communautaire: la répétition de l’indu», La protection juridictionnelle des droits dans le système communautaire, Bruylant, Bruxelles, 1997.


14 – Arrêts du 21 mai 1976, Roquette frères/Commission (26/74, Rec. p. 677, point 11); Rewe-Zentralfinanz et Rewe-Zentral, précité, point 5; Comet, précité, points 12 et 13; du 5 mars 1980, Ferwerda (265/78, Rec. p. 617, point 10); du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, Rec. p. I‑4599, point 12); Fantask e.a., précité, point 39; du 24 septembre 2002, Grundig Italiana (C‑255/00, Rec. p. I‑8003, point 33), et du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a. (C‑147/01, Rec. p. I‑11365, point 103).


15 – Par exemple, arrêts du 12 juin 1980, Express Dairy Foods (130/79, Rec. p. 1887, point 11); Ariete, précité, point 9, ou San Giorgio, précité, point 12.


16 – Arrêt Express Dairy Foods, précité, points 11 et 17.


17 – Voir jurisprudence citée à la note 15.


18 – Arrêt Just, précité, points 26 et 27.


19 – Arrêt Comateb e.a., précité, points 22 et 23.


20 – Ibidem, point 31. Dans le même sens, arrêt Just, précité, point 26.


21 – Arrêts Denkavit italiana, précité, point 26; Express Dairy Foods, précité, point 13; Ariete, précité, point 17; Mireco, précité, point 16; du 27 mai 1981, Essevi et Salengo (142/80 et 143/80, Rec. p. 1413, point 35), et Comateb e.a., précité, points 21 et suiv.


22 – Arrêt San Giorgio, précité, point 14.


23 – Arrêt du 25 février 1988, Bianco et Girard (331/85, 376/85 et 378/85, Rec. p. 1099, point 17), et Comateb e.a., précité, point 25.


24 – Hubeau, op. cit., p. 448.


25 – Notamment lorsque, en raison de la répercussion et de l’augmentation consécutive des prix, les ventes de l’assujetti avaient diminué.


26 – Le libellé de certains arrêts est particulièrement clair. Par exemple, il est indiqué au point 94 de l’arrêt Weber’s Wine World e.a., précité: «Cette obligation de remboursement ne connaît […] qu’une seule exception. Un État membre ne peut s’opposer au remboursement d’une taxe indûment perçue au regard du droit communautaire que lorsqu’il est établi par les autorités nationales que la totalité de la charge de la taxe a été supportée par une personne autre que l’assujetti et que le remboursement de la taxe entraînerait, pour ce dernier, un enrichissement sans cause». Dans son commentaire sur cet arrêt, D. Simon reprend la même idée lorsqu’il affirme que «la Cour, en rendant les conditions cumulatives, laisse entendre que la répercussion ‘ne neutralise pas nécessairement les effets économiques de l’imposition sur l’assujetti’» (Simon, D., Europe, décembre 2003, comm. 378).


27 – Cette motivation apparaît clairement au point 26 de l’arrêt Just, précité: «La protection des droits garantis en la matière par l’ordre juridique communautaire n’exige pas d’accorder une restitution de taxes indûment perçues dans des conditions qui entraîneraient un enrichissement sans cause des ayants droit. Rien ne s’oppose donc, du point de vue du droit communautaire, à ce que les juridictions nationales tiennent compte, conformément à leur droit national, du fait que des taxes indûment perçues ont pu être incorporées dans les prix de l’entreprise redevable de la taxe et répercutées sur les acheteurs […]». L’utilisation de l’expression «donc» dans le point cité me semble très révélatrice à cet effet, car elle indique que ce qui précède (l’exception pour enrichissement sans cause) est la cause de ce qui suit (l’exception pour répercussion). La Cour s’est prononcée dans les mêmes termes dans l’arrêt Denkavit italiana, précité, point 26. Dans les deux cas, le dispositif de l’arrêt se réfère exclusivement au cas de la répercussion, mais un examen de la motivation conduit à la conclusion que l’exception est formulée dans des termes plus généraux. L’idée apparaît également clairement dans les arrêts Comateb e.a., précité, point 22; du 21 septembre 2000, Michaïlidis (C‑441/98 et C‑442/98, Rec. p. I‑7145, point 31), et du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, Rec. p. I‑6297, point 30).


28 – Ce fondement de l’exception a été fortement contesté par la doctrine et par certains avocats généraux. En résumé, l’idée est que, si le droit même au remboursement d’une taxe illégale est fondé sur l’objectif d’éviter un «enrichissement sans cause» de l’État qui l’a perçue, il serait à tout le moins audacieux de limiter ce droit précisément pour éviter un enrichissement sans cause de l’assujetti (en ce sens, voir Hubeau, F., op. cit., p. 449; Berlin, D., «Chronique de jurisprudence fiscale européenne», Revue trimestrielle de droit européen, 1997, p. 167, et conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Comateb e.a., présentées le 27 juin 1996). Sans préjudice de l’éventuelle pertinence théorique de certaines de ces critiques, l’exception au droit au remboursement pour enrichissement sans cause est aujourd’hui solidement ancrée dans la jurisprudence.


29 – Contrairement à ce qui se passe pour la TVA, la répercussion ne semble pas avoir été un élément constitutif dans la configuration de l’AMBI. Si cette dernière porte, comme la TVA, sur les différentes phases de commercialisation d’un produit, tout assujetti pouvant avoir tendance à la répercuter sur le maillon suivant de la chaîne économique, la répercussion constitutive qui caractérise la TVA (avec recouvrement échelonné, mais destiné à grever uniquement le consommateur final) n’est pas présente ici.


30 – Voir, par exemple, Pérez Royo, F., dir., «Curso de Derecho Tributario. Parte Especial», Tecnos, 4e édition, 2010, p. 741.


31 – Arrêts précités Bianco et Girard, point 17; Comateb e.a., point 25, et Weber’s Wine World e.a., point 96.


32 – Arrêt du 26 juin 1979, McCarren, dit «Pigs and Bacon Commission» (177/78, Rec. p. 2161).


33 – Ibidem, points 19 et 20.


34 – Ibidem, point 25.


35 – Arrêt du 13 décembre 1983 (222/82, Rec. p. 4083, points 40 et 41).


36 – Sur ce point, une partie de la doctrine défend l’idée selon laquelle le droit à la répétition de l’indu est un droit compensable. Voir, par exemple, Martínez‑Carrasco Pignatelli, J. M., «La devolución de lo indebido tributario en el Derecho comunitario», Septem Ediciones, Oviedo, 2003, point 294, et De Wolf, M., Souveraineté fiscale et principe de non‑discrimination dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour suprême des États-Unis, Bruylant, Bruxelles-LGDJ, Paris, 2005, p. 416.


37 – Bien plus, la «compensation» en tant qu’exception à l’obligation de la répétition de l’indu ne se verrait pas opposer certaines des critiques faites à la «répercussion», car, à la différence de cette dernière, dans la compensation, il n’y aurait pas de tiers impliqués sur lesquels la charge de la taxe illégale pourrait finalement peser.


38 – Arrêt du 29 juin 1988 (240/87, Rec. p. 3513, point 13, l’italique est de mon fait). Voir, également, arrêts du 17 novembre 1998, Aprile (C‑228/96, Rec. p. I‑7141, point 16), et du 9 février 1999, Dilexport (C‑343/96, Rec. p. I‑579, point 38). Dans le même sens, il a été déclaré dans la résolution du Parlement européen, du 9 février 1983, sur la responsabilité des États membres en matière d’application et d’observance du droit communautaire que, si la Cour a déclaré certaines taxes incompatibles avec le traité, toute disposition législative nationale approuvée postérieurement et qui limite le droit au remboursement du montant des taxes indûment perçues – permettant ainsi aux États membres de retenir indûment le produit desdites taxes indues – est incompatible avec l’esprit de la Communauté et devrait être abrogée (JO 1983, C 68, p. 32).


39 – Le mémoire du gouvernement danois mentionne, par exemple, l’existence d’une indication en ce sens dans les travaux préparatoires de la loi créant l’AMBI.


40 – Sans préjudice, bien entendu, de la possibilité pour les requérantes de fournir les documents qu’elles jugent utiles, qui pourront également être pris en considération par le juge national (sur ce point, voir arrêt Michaïlidis, précité, point 41).


41 – Arrêts précités San Giorgio, point 14; Bianco et Girard, point 17, et Comateb e.a., point 25.


42 – Point 100.


43 – Article 95 du traité CE, devenu, après modification, article 90 CE. Conformément à la jurisprudence, cette disposition interdit tout régime fiscal qui, directement ou indirectement, défavorise le produit importé par rapport au produit national, que ce soit parce qu’il s’agit du seul produit grevé, qu’il est grevé dans une plus grande mesure ou parce que les conditions pour le paiement ou le calcul de la taxe sont moins favorables. Arrêts du 16 juin 1966, Lütticke (57/65, Rec. p. 293); du 22 juin 1976, Bobie Getränkevertrieb (127/75, Rec. p. 1079); du 8 janvier 1980, Commission/Italie (21/79, Rec. p. 1); du 27 février 1980, Commission/Irlande (55/79, Rec. p. 481); du 12 juillet 1983, Commission/Royaume-Uni (170/78, Rec. p. 2265); du 3 juillet 1985, Commission/Italie (277/83, Rec. p. 2049); du 17 juillet 1997, Haahr Petroleum (C‑90/94, Rec. p. I‑4085); du 2 avril 1998, Outokumpu (C‑213/96, Rec. p. I‑1777); du 17 juin 1998, Grundig Italiana (C‑68/96, Rec. p. I‑3775); du 27 février 2002, Commission/France (C‑302/00, Rec. p. I‑2055); du 19 septembre 2002, Tulliasiamies et Siilin (C‑101/00, Rec. p. I‑7487, point 54); du 5 octobre 2006, Nádasdi et Németh (C‑290/05 et C‑333/05, Rec. p. I‑10115), et du 18 janvier 2007, Brzeziński (C‑313/05, Rec. p. I‑513). La Cour a notamment constaté qu’il y a violation dudit article «lorsque l’imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire sont calculées de façon différente et suivant des modalités différentes aboutissant, ne fût-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé». Arrêts du 17 février 1976, Rewe‑Zentrale (45/75, Rec. p. 181, point 15); Commission/Irlande (précité, point 8); du 26 juin 1991, Commission/Luxembourg (C‑152/89, Rec. p. I‑3141, point 20) et Commission/Belgique (C‑153/89, Rec. p. I‑3171, point 12); du 12 mai 1992, Commission/Grèce (C‑327/90, Rec. p. I‑3033, point 12), et du 23 octobre 1997, Commission/Grèce (C‑375/95, Rec. p. I‑5981, point 20).


44 – Dans ses conclusions dans ladite affaire, présentées le 30 janvier 1992, l’avocat général Tesauro a bien abordé ce point, confiant toutefois au juge national le soin de «vérifier in concreto si la réglementation de la contribution litigieuse est telle qu’elle exclut dans tous les cas une discrimination du produit importé». À cet égard, Tesauro rappelle que, conformément à la jurisprudence, un régime fiscal ne peut être considéré comme compatible avec l’article 95 CE (article 110 TFUE) que s’il est prouvé que sa structure est telle qu’il est exclu en toute hypothèse que les produits importés puissent faire l’objet d’une discrimination. En tout état de cause, lorsque les modalités d’application ne sont pas transparentes, il incombe à l’État qui a institué ce régime d’apporter la preuve qu’il ne comporte en aucun cas des effets discriminatoires (point 11 des conclusions précitées).


45 – Arrêts précités Just, point 26, et Comateb e.a., point 31.


46 – Unie à certaines expressions utilisées par la jurisprudence, comme répercussion «sur l’acheteur», «sur le consommateur final», etc.


47 – Arrêt Michaïlidis, précité, point 40.