Language of document : ECLI:EU:C:2008:497

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 septembre 2008 (*)

«Manquement d’État – Directive 2002/22/CE – Service universel et droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques – Article 26, paragraphe 3 – Numéro d’appel d’urgence unique européen – Mise à disposition des informations relatives à la localisation de l’appelant»

Dans l’affaire C‑274/07,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 7 juin 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. G. Braun et Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Lituanie, représentée par M. D. Kriaučiūnas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans, président de chambre, MM. L. Bay Larsen, K. Schiemann, P. Kūris et Mme C. Toader (rapporteur), juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’ayant pas veillé à assurer en pratique, dans la mesure où cela est techniquement faisable, que les informations relatives à la localisation de l’appelant soient mises à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112» et passant par les réseaux téléphoniques publics, la République de Lituanie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel») (JO L 108, p. 51).

 Le cadre juridique

 Le droit communautaire

2        Le trente-sixième considérant de la directive «service universel» énonce:

«Il est important que les utilisateurs puissent appeler le numéro d’appel d’urgence unique européen ‘112’, et tout autre numéro national d’urgence, gratuitement à partir de n’importe quel poste téléphonique, y compris d’un poste téléphonique payant public, sans avoir à utiliser de moyens de paiement. […] Les informations concernant la position de l’appelant qui doivent être mises à la disposition des services d’urgence, dans la mesure où cela est techniquement possible, amélioreront le niveau de protection et la sécurité des utilisateurs du ‘112’ et aideront les services d’urgence dans l’accomplissement de leur mission, à condition que le transfert des appels et des données associées vers les services d’urgence concernés soit garanti. […]»

3        L’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» dispose:

«Les États membres veillent à ce que les entreprises qui exploitent des réseaux téléphoniques publics mettent, dans la mesure où cela est techniquement faisable, les informations relatives à la localisation de l’appelant à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence, pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen ‘112’.»

4        Selon l’article 38, paragraphe 1, de la directive «service universel», les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette directive au plus tard le 24 juillet 2003 et en informent immédiatement la Commission. Ils appliquent ces dispositions à partir du 25 juillet 2003.

5        Conformément à l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la République slovaque, et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 33, ci-après «l’acte d’adhésion»), lu en combinaison avec l’article 54 du même acte, la République de Lituanie était tenue de se conformer à la directive «service universel» dès la date de son adhésion à l’Union européenne, à savoir le 1er mai 2004.

6        La directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive «cadre») (JO L 108, p. 33), dispose à son article 19, paragraphe 1:

«Lorsque la Commission, statuant conformément à la procédure visée à l’article 22, paragraphe 2, adresse des recommandations aux États membres relatives à l’harmonisation de la mise en œuvre des dispositions de la présente directive et des directives particulières dans la poursuite des objectifs établis à l’article 8, les États membres veillent à ce que les autorités réglementaires nationales tiennent le plus grand compte de ces recommandations dans l’exercice de leurs tâches. Lorsqu’une autorité réglementaire nationale choisit de ne pas suivre une recommandation, elle en informe la Commission en communiquant la motivation de sa position.»

7        Le dixième considérant de la recommandation 2003/558/CE de la Commission, du 25 juillet 2003, concernant le traitement des informations relatives à la localisation de l’appelant dans les réseaux de communications électroniques en vue de la prestation de services d’appels d’urgence à localisation (JO L 189, p. 49), est libellé comme suit:

«Pour une mise en œuvre efficace des services d’appel d’urgence à localisation, il faut encore que les informations sur la localisation de l’appelant, telles que les détermine le fournisseur du réseau ou du service téléphonique public, soient transmises automatiquement à tout centre de réception des appels d’urgence pouvant recevoir et utiliser les données de localisation qui lui sont fournies.»

8        Les points 4 et 13 de la recommandation 2003/558 énoncent:

«4.      Pour tout appel d’urgence adressé au numéro d’appel d’urgence unique européen, le 112, les exploitants de réseaux téléphoniques publics doivent, au départ du réseau, transmettre (‘push’) aux centres de réception des appels d’urgence les meilleures informations dont ils disposent concernant la localisation de l’appelant, dans la mesure où cela est techniquement faisable. Pendant la période intermédiaire précédant la conclusion de l’évaluation visée au point 13 ci-dessous, il peut être admis que les exploitants ne fournissent les informations sur la localisation qu’à la demande (‘pull’).

[…]

13.      Il convient que les États membres invitent leurs autorités nationales à présenter, pour la fin de 2004, un rapport à la Commission sur l’état de mise en œuvre du numéro E112, afin que celle-ci puisse procéder à une évaluation en tenant compte des nouvelles exigences posées par les centres de réception des appels d’urgence et les services d’urgence, ainsi que des progrès accomplis et des ressources technologiques disponibles en matière de localisation.»

 Le droit national

9        L’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» a été transposé dans l’ordre juridique lituanien par l’article 65, paragraphe 4, de la loi n° IX-2135 sur les communications électroniques (Elektroninių ryšių įstatymas Nr. IX-2135), du 15 avril 2004 (Žin., 2004, Nr. 69-2382, ci-après la «loi sur les communications électroniques»), entrée en vigueur le 1er mai 2004, qui prévoit:

«Les fournisseurs de réseaux de communications publics et de services de communications électroniques accessibles au public fournissent, sans le consentement d’un abonné ou d’un utilisateur de services de communications électroniques, les informations sur la localisation (ainsi que les données de flux) aux organismes chargés de traiter les appels d’urgence, notamment aux autorités judiciaires, aux ambulances, aux pompiers ainsi qu’aux autres services d’urgence, pour que ces organismes puissent répondre aux appels d’abonnés ou d’utilisateurs de services de communications électroniques et réagir d’une manière appropriée. […]»

10      Le 1er septembre 2007, la loi n° X‑1092, du 12 avril 2007 (Žin., 2007, Nr. 46-1723), portant modification de l’article 65 de la loi sur les communications électroniques, est entrée en vigueur. Tel qu’ainsi modifié, ledit article 65 prévoit, à son paragraphe 4, que les fournisseurs de réseaux de communications publics et de services de communications électroniques accessibles au public sont tenus de fournir gratuitement les informations relatives à la localisation de l’appelant au centre commun des services d’urgence et que les frais d’acquisition, d’installation (d’adaptation), de rénovation et de fonctionnement des équipements nécessaires à cette fin sont remboursés au moyen de fonds publics.

11      Outre la loi sur les communications électroniques, la République de Lituanie a adopté plusieurs autres actes visant à mettre en œuvre l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel». Parmi ceux-ci figurent:

–        la loi n° IX-2246 relative au centre commun des services d’urgence (Bendrojo pagalbos centro įstatymas Nr. IX-2246), du 25 mai 2004 (Žin., 2004, Nr. 90-3306);

–        la résolution n° 1500 du gouvernement de la République de Lituanie relative à la création du centre commun des services d’urgence et à la stratégie d’introduction du numéro d’appel d’urgence unique 112, ainsi qu’à l’approbation de son plan de mise en œuvre (Lietuvos Respublikos Vyriausybės nutarimas Nr. 1500 dėl Bendrojo pagalbos centro įsteigimo ir vieno skubaus iškvietimo telefono numerio 112 įvedimo strategijos, jos įgyvendinimo plano patvirtinimo), du 25 septembre 2002 (Žin., 2002, Nr. 95-4114), et

–        l’arrêté n° 1V-389 du directeur de l’autorité de régulation des communications portant approbation de la procédure et des modalités de transmission des appels des abonnés et/ou des utilisateurs de services de communications aux numéros du centre commun des services d’urgence et/ou des services d’urgence [Ryšių reguliavimo tarnybos direktoriaus įsakymas Nr. 1V-389 dėl abonentų ir(ar) paslaugų gavėjų skambučių siuntimo į Bendrojo pagalbos centro ir(ar) pagalbos tarnybų numerius tvarkos ir sąlygų aprašo patvirtinimo], du 21 avril 2005 (Žin., 2005, Nr. 55-1918).

 La procédure précontentieuse

12      Par lettre de mise en demeure du 10 avril 2006, la Commission a fait part à la République de Lituanie de son inquiétude quant à l’application incorrecte de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel». Cette inquiétude était due au fait que, lorsque les appels d’urgence adressés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112» proviennent d’un téléphone mobile, les informations sur la localisation de l’appelant ne sont pas fournies aux services d’urgence.

13      Dans leur réponse transmise en date du 11 juillet 2006, les autorités lituaniennes ont confirmé cette circonstance, tout en expliquant que tous les exploitants de réseaux de communications publics et de services de communications électroniques accessibles au public ne disposaient pas des installations techniques nécessaires à cette fin et que les autorités ne s’étaient pas mises d’accord avec lesdits exploitants concernant la prise en charge des coûts liés à la localisation de l’appelant. En date du 25 septembre de la même année, le gouvernement lituanien a transmis à la Commission des informations plus récentes, en indiquant les mesures envisagées pour assurer la mise en œuvre de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

14      Le 18 octobre 2006, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle constatait que la République de Lituanie n’était pas en mesure de garantir, en pratique, la mise à disposition des informations sur la localisation de l’appelant lorsque les appels d’urgence adressés au numéro «112» proviennent d’un téléphone mobile, manquant ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel». En même temps, elle a invité cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

15      Dans sa réponse du 12 janvier 2007, la République de Lituanie a indiqué qu’un projet de loi modifiant l’article 65 de la loi sur les communications électroniques avait été déposé devant le Parlement lituanien, prévoyant la prise en charge par le budget national des coûts relatifs au service de transmission des informations sur la localisation de l’appelant supportés par les fournisseurs de services de réseaux publics de téléphonie mobile. À cette lettre était annexé un accord relatif aux services de localisation de l’appelant, conclu le 4 décembre 2006 entre le centre commun des services d’urgence et les opérateurs de téléphonie mobile.

16      Estimant toutefois que la situation demeurait insatisfaisante, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

17      La République de Lituanie fait valoir que le recours devrait être rejeté comme irrecevable, au motif que les griefs formulés dans l’avis motivé différeraient, dans leur contenu, de ceux soulevés dans la requête. En effet, tandis que la motivation de l’avis motivé aurait mis l’accent sur la circonstance que, en Lituanie, pour les appels au numéro «112» provenant d’un téléphone mobile, les informations sur la localisation de l’appelant ne sont pas fournies selon la méthode «pull», la requête énoncerait à cet égard une obligation d’appliquer la méthode «push».

18      La Commission réplique que l’avis motivé et la requête mentionnent les deux méthodes – «push» et «pull» – indiquées dans la recommandation 2003/558, en laissant à la République de Lituanie le choix quant à celle de ces méthodes qu’il y a lieu d’appliquer pour mettre en œuvre l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

19      Dans sa duplique, la République de Lituanie soutient que c’est seulement au stade de la réplique que la Commission a clarifié son nouveau point de vue, selon lequel les États membres non seulement peuvent, mais même doivent, prendre les mesures techniques les plus simples pour assurer la localisation de l’appelant, c’est-à-dire appliquer la méthode «pull». La position de la Commission étant par conséquent demeurée imprécise jusqu’à ce stade, les griefs qu’elle a émis ne respecteraient pas l’exigence d’une formulation précise de l’objet du recours en manquement.

 Appréciation de la Cour

20      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure précontentieuse a pour but de donner à l’État membre concerné l’occasion, d’une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d’autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission (voir, notamment, arrêt du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑484/04, Rec. p. I‑7471, point 24 et jurisprudence citée).

21      La régularité de cette procédure constitue une garantie essentielle voulue par le traité CE, non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini (voir arrêt du 15 février 2007, Commission/Pays-Bas, C‑34/04, Rec. p. I‑1387, point 49 et jurisprudence citée).

22      Il s’ensuit, premièrement, que l’objet d’un recours intenté en application de l’article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition. Dès lors, le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que l’avis motivé (voir arrêts du 20 juin 2002, Commission/Allemagne, C‑287/00, Rec. p. I‑5811, point 18, et du 9 février 2006, Commission/Royaume-Uni, C‑305/03, Rec. p. I‑1213, point 22).

23      Deuxièmement, l’avis motivé doit contenir un exposé cohérent et détaillé des raisons ayant amené la Commission à la conviction que l’État membre intéressé a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire (voir arrêts précités Commission/Allemagne, point 19, et du 7 septembre 2006, Commission/Royaume-Uni, point 26).

24      En l’espèce, il convient de constater que le grief émis à l’encontre de la République de Lituanie est demeuré inchangé tout au long des procédures précontentieuse et contentieuse. En effet, tant dans le cadre de la procédure précontentieuse que devant la Cour, la Commission a reproché à cet État membre de manquer aux obligations résultant de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» en n’assurant pas en pratique, dans la mesure où cela est techniquement faisable, que, pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112», les informations relatives à la localisation de l’appelant soient mises à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence.

25      En ce qui concerne le contenu concret et la motivation de ce grief, la Commission a soutenu, dans la lettre de mise en demeure et l’avis motivé, qu’il était techniquement faisable, pour les opérateurs de téléphonie fixe et mobile actifs en Lituanie, de fournir ces informations à tout le moins selon la méthode «pull», visée dans la recommandation 2003/558. Ce faisant, elle n’a toutefois aucunement imposé cette dernière méthode à la République de Lituanie, mais s’est limitée à expliciter que, de son point de vue, l’obligation énoncée à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» trouve effectivement à s’appliquer en l’espèce, dès lors qu’il est satisfait à la condition de faisabilité technique à laquelle cette disposition soumet ladite obligation.

26      Contrairement à ce qu’allègue la République de Lituanie, la Commission n’a pas non plus affirmé, dans le cadre de la procédure devant la Cour, qu’il existe une obligation pour les États membres de mettre en œuvre une méthode spécifique pour se conformer à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel». En effet, la requête et le mémoire en réplique, comme précédemment la lettre de mise en demeure et l’avis motivé, font simplement référence au point 4 de la recommandation 2003/558, sans pour autant exiger que l’une ou l’autre méthode mentionnée à ce point soit appliquée.

27      Ainsi, la Commission a soutenu, notamment dans son mémoire en réplique, non que la République de Lituanie doit recourir à la méthode «pull», mais que cet État membre est tenu de mettre en œuvre au moins les mesures techniques les plus simples pour assurer que, à partir de la date fixée dans l’acte d’adhésion, les informations relatives à la localisation de l’appelant soient effectivement transmises. Or, cette position correspond parfaitement à celle exprimée par la Commission dans le cadre de la procédure précontentieuse.

28      Il résulte de ce qui précède que l’exception d’irrecevabilité soulevée par la République de Lituanie doit être écartée.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

29      La Commission considère qu’il est techniquement faisable pour les exploitants lituaniens de réseaux publics de téléphonie mobile de fournir les informations sur la localisation de l’appelant lorsque celui-ci forme le numéro «112» à partir d’un téléphone portable. Ainsi, il résulterait des informations communiquées par la défenderesse elle-même que les réseaux de téléphonie mobile en Lituanie ne présentent pas de caractéristiques spécifiques qui empêcheraient, d’un point de vue technique, la transmission de ces informations.

30      Notamment, l’accord relatif aux services de localisation de l’appelant, conclu le 4 décembre 2006 entre le centre commun des services d’urgence et les fournisseurs de services de réseaux publics de téléphonie mobile, signalerait qu’il est techniquement possible de transmettre lesdites informations, mais que cela pourrait nécessiter des investissements supplémentaires. Or, le défaut d’investissements et les retards dans l’acquisition des installations nécessaires à cette fin ne pourraient pas être considérés comme une absence de faisabilité technique au sens de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

31      Dans sa réplique, la Commission expose que le point 4 de la recommandation 2003/558, auquel elle s’est référée dans sa requête, ne peut, eu égard au caractère non contraignant de cette recommandation, obliger les États membres à appliquer la méthode «push» plutôt que la méthode «pull» pour transmettre les informations sur la localisation de l’appelant. La République de Lituanie étant dès lors libre quant au choix de la méthode, elle serait toutefois tenue, conformément à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», de mettre en œuvre au moins les mesures techniques les plus simples pour assurer que les opérateurs de réseaux téléphoniques publics fixes et mobiles fournissent ces informations à partir de la date fixée dans l’acte d’adhésion.

32      La République de Lituanie fait valoir que le grief invoqué par la Commission est infondé du seul fait qu’il n’est pas formulé de manière appropriée. Étant donné que cet État membre aurait adopté toutes les mesures juridiques, techniques et organisationnelles possibles afin de s’acquitter des obligations édictées à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», ledit grief aurait dû être formulé de façon à faire constater un manquement consistant à n’avoir pas veillé à ce que les entreprises qui exploitent des réseaux téléphoniques publics mettent les informations relatives à la localisation de l’appelant à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence.

33      En ce qui concerne la faisabilité technique, la République de Lituanie expose que le centre commun des services d’urgence dispose des moyens techniques pour recevoir les informations sur la localisation d’une personne appelant le numéro «112». Cependant, les exploitants de réseaux publics de téléphonie mobile opérant en Lituanie ne disposeraient toujours pas des moyens techniques pour fournir ces informations.

34      Cet État membre précise que l’adaptation de la méthode «pull», utilisée par certains opérateurs à des fins commerciales, aurait été nettement plus simple comparée au passage à un système fondé sur la méthode «push». Toutefois, en même temps qu’il a été décidé de recourir à cette dernière méthode, plus moderne, il a été refusé de réaliser des investissements supplémentaires pour adapter la méthode «pull» aux besoins de la localisation des appels au numéro «112».

35      Dans ce contexte, la République de Lituanie souligne que les moyens techniques nécessaires pour transmettre les informations en cause diffèrent radicalement en fonction de la méthode utilisée, «pull» ou «push», et que les deux systèmes nécessitent des investissements et un certain temps de préparation. Il conviendrait de prendre en considération cet élément lié à la faisabilité technique lors de l’examen des raisons pour lesquelles les opérateurs lituaniens de téléphonie mobile ne sont pas prêts à transmettre les informations aux services d’urgence.

36      En outre, il faudrait tenir compte de l’incertitude suscitée par la recommandation 2003/558 quant à la manière dont les obligations découlant de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» doivent être mises en œuvre et au délai à respecter à cet égard. En effet, il ne saurait être question d’un manquement que s’il était connu d’emblée quelle méthode peut et doit être appliquée et à partir de quelle date. Selon la République de Lituanie, s’il avait été clairement établi dès le départ que les États membres sont libres d’appliquer la méthode «pull», plus simple d’un point de vue technique, elle aurait pu faire usage de cette possibilité, ce qui aurait permis d’épargner un temps considérable.

37      Par ailleurs, il conviendrait d’interpréter les points 4 et 13 de la recommandation 2003/558 comme signifiant que les objectifs de la directive «service universel» ne sont pas atteints de manière efficace en employant la méthode «pull» et qu’il est de ce fait nécessaire d’introduire la méthode «push» aussi largement que possible. Étant donné que du temps additionnel serait nécessaire pour la mise en œuvre de cette dernière méthode, la Commission aurait prévu, dans ladite recommandation, un délai supplémentaire.

 Appréciation de la Cour

38      Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», il incombe aux États membres de veiller à ce que les entreprises qui exploitent des réseaux téléphoniques publics mettent, dans la mesure où cela est techniquement faisable, les informations relatives à la localisation de l’appelant à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112».

39      Ainsi qu’il ressort du trente-sixième considérant de la directive «service universel», ledit article 26, paragraphe 3, vise à améliorer le niveau de protection et la sécurité des utilisateurs du numéro «112» et à aider les services d’urgence dans l’accomplissement de leur mission.

40      Il découle du libellé ainsi que de cet objectif de ladite disposition que celle-ci impose aux États membres, sous la condition de faisabilité technique, une obligation de résultat, laquelle ne se limite pas à la mise en place d’un cadre réglementaire approprié, mais exige que les informations sur la localisation de tous les appelants au numéro «112» soient effectivement transmises aux services d’urgence.

41      Or, en l’espèce, la République de Lituanie ne conteste pas que, à l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé, ces informations n’étaient pas transmises en cas d’appel provenant d’un téléphone mobile.

42      S’agissant, en premier lieu, de l’argument de cet État membre selon lequel le grief de la Commission ne serait pas formulé de manière appropriée dès lors que la République de Lituanie a adopté toutes les mesures juridiques, techniques et organisationnelles nécessaires à la transposition de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», celui-ci ne saurait prospérer. En effet, il ressort clairement de la formulation comme de la motivation de ce grief que la Commission reproche à la République de Lituanie non pas d’avoir transposé incorrectement ou insuffisamment ladite disposition, mais de ne pas être en mesure de garantir en pratique que les informations en cause soient effectivement mises à la disposition des services d’urgence.

43      En deuxième lieu, en ce qui concerne la condition de faisabilité technique dont est assortie l’obligation imposée aux États membres par l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», il convient de constater que, selon les indications fournies par la République de Lituanie, la non-transmission des informations sur la localisation des appels provenant des réseaux publics de téléphonie mobile est due au fait que les exploitants de ces réseaux ne disposent pas des installations techniques nécessaires, lesquelles demanderaient des investissements importants.

44      Il a été exposé à cet égard que, après un désaccord initial entre ces exploitants et les autorités lituaniennes au sujet de la prise en charge des coûts correspondant à ces investissements, le législateur a modifié l’article 65, paragraphe 4, de la loi sur les communications électroniques, avec effet au 1er septembre 2007, lequel prévoit désormais que les exploitants fournissent gratuitement les informations en cause au centre commun des services d’urgence et que les frais d’acquisition, d’installation ou d’adaptation, de rénovation et de fonctionnement des équipements nécessaires à cette fin sont remboursés au moyen de fonds publics.

45      Il résulte de ces éléments, sans qu’il y ait besoin d’analyser l’accord relatif aux services de localisation de l’appelant, conclu le 4 décembre 2006 entre le centre commun des services d’urgence et les fournisseurs de services de réseaux publics de téléphonie mobile, dont l’interprétation est controversée entre les parties, que la non-transmission des informations sur la localisation des appels provenant de ces réseaux résulte non des caractéristiques techniques de ces réseaux, lesquelles empêcheraient objectivement la transmission desdites informations, mais bien de l’absence des investissements requis pour acquérir ou adapter les installations permettant cette transmission.

46      Or, ainsi que la Commission l’a souligné à juste titre, la non-acquisition ou la non-adaptation des installations nécessaires ne saurait être considérée comme un défaut de faisabilité technique au sens de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

47      S’agissant, en dernier lieu, des arguments développés par la République de Lituanie quant à la méthode devant être employée pour transmettre les informations sur la localisation de l’appelant au numéro «112», il convient de constater que l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» ne contient aucune indication à cet égard et, partant, laisse aux États membres le choix en ce qui concerne la manière dont ils veulent concrètement assurer la transmission de ces informations.

48      La recommandation 2003/558 fait référence, à son point 4, à deux méthodes. La première, désignée comme la méthode «push», consiste dans la transmission automatique desdites informations par les exploitants de réseaux téléphoniques publics, tandis que, selon la seconde, désignée comme la méthode «pull», ces informations ne sont fournies qu’à la demande des centres de réception des appels d’urgence.

49      S’il ressort du libellé du point 4 ainsi que du dixième considérant de la recommandation 2003/558 que la Commission juge plus efficace l’application de la première méthode et recommande aux États membres d’imposer celle-ci, à tout le moins après une période intermédiaire, aux exploitants de réseaux téléphoniques publics opérant sur leur territoire, il est tout aussi évident que ladite recommandation, compte tenu de sa nature non contraignante, ne saurait obliger les États membres à recourir à une méthode spécifique pour mettre en œuvre l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

50      Cette absence d’effet contraignant de la recommandation 2003/558 non seulement résulte de l’article 249, cinquième alinéa, CE, mais est également explicitement confirmée à l’article 19 de la directive «cadre», sur la base duquel ladite recommandation a été adoptée. En effet, il ressort clairement du paragraphe 1 de cet article 19 qu’une autorité réglementaire nationale peut choisir de ne pas suivre une recommandation adoptée par la Commission sur la base de cette dernière disposition, à charge toutefois pour elle d’en informer la Commission et de lui communiquer la motivation de sa position.

51      Si les États membres sont dès lors libres de choisir la méthode à utiliser par les exploitants de réseaux téléphoniques publics pour transmettre les informations sur la localisation des appelants au numéro «112», ils sont toutefois liés par l’obligation de résultat claire et précise énoncée à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» qui leur impose d’assurer que ces informations soient effectivement mises à la disposition des services d’urgence.

52      Un État membre ne saurait en particulier justifier un éventuel retard dans l’exécution de cette obligation par le fait qu’il a décidé de mettre en œuvre la méthode «push», basée sur la transmission automatique des informations sur la localisation de l’appelant.

53      À cet égard, il convient de constater que, contrairement à ce que fait valoir la République de Lituanie, la recommandation 2003/558 n’accorde pas de délai supplémentaire aux États membres ayant opté pour la méthode «push». Non seulement la Commission n’aurait pas compétence pour prolonger valablement le délai contraignant imparti aux États membres pour se conformer à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», mais il ressort en outre du libellé du point 4 de cette recommandation que celle-ci ne vise aucunement à dispenser du respect de ce délai. En effet, si ledit point 4 mentionne la possibilité de prévoir l’application de la méthode «push» seulement après une période intermédiaire, il expose en même temps que, pendant cette période, les informations sur la localisation de l’appelant doivent à tout le moins être fournies sur demande des services d’urgence, c’est-à-dire selon la méthode «pull».

54      Enfin, quant aux prétendues incertitudes concernant la méthode et le délai pour mettre en œuvre l’obligation énoncée à l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel», il y a lieu de constater que cette disposition ainsi que la recommandation 2003/558 ne suscitent aucun doute objectif à cet égard. Dans ces conditions, et considérant notamment que la République de Lituanie a exposé elle-même dans son mémoire en défense que la recommandation 2003/558 n’a pas de force contraignante à l’égard des États membres, elle ne saurait utilement faire valoir que son retard dans la mise en œuvre effective de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel» est justifié par une mauvaise compréhension de ses obligations.

55      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas veillé à assurer en pratique, dans la mesure où cela est techniquement faisable, que les informations relatives à la localisation de l’appelant soient mises à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112» et passant par les réseaux téléphoniques publics, la République de Lituanie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de la directive «service universel».

 Sur les dépens

56      En vertu de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Lituanie et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      En n’ayant pas veillé à assurer en pratique, dans la mesure où cela est techniquement faisable, que les informations relatives à la localisation de l’appelant soient mises à la disposition des autorités intervenant en cas d’urgence pour tous les appels destinés au numéro d’appel d’urgence unique européen «112» et passant par les réseaux téléphoniques publics, la République de Lituanie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 26, paragraphe 3, de la directive 2002/22/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive «service universel»).

2)      La République de Lituanie est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le lituanien.