Language of document : ECLI:EU:C:2006:231

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO TIZZANO

présentées le 6 avril 2006 (1)

Affaires C-145/04

Royaume d’Espagne

contre

Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

soutenu par

Commission des Communautés européennes

et

C-300/04

M. G. Eman et O. B. Sevinger

contre

College van burgemeester en wethouders van Den Haag

[demande de décision préjudicielle formée par le Nederlandse Raad van State (Pays-Bas)]

«Parlement européen – Élections – Ressortissants de pays tiers résidant dans un territoire européen – Gibraltar – Ressortissants d’un État membre résidant dans un territoire d’outre-mer associé à la Communauté – Aruba – Droit de vote – Conditions»





Table des matières


I –   Le cadre juridique

A –   Le droit international

B –   Le droit communautaire

1.     La citoyenneté européenne

2.     L’élection du Parlement

3.     Le champ d’application territorial du traité

C –   Le droit national

1.     Dans l’affaire C-145/04

a)     Le statut de Gibraltar

b)     L’EPRA 2003

2.     Dans l’affaire C-300/04

a)     L’organisation constitutionnelle du Royaume des Pays‑Bas

b)     La loi électorale néerlandaise

II – Les faits et la procédure

A –   L’affaire C-145/04

B –   L’affaire C-300/04

III – Analyse juridique

A –   Observations préliminaires

B –   L’affaire C-145/04

1.     Introduction

2.     Sur le premier moyen

a)     Introduction

b)     Sur le droit de vote des citoyens communautaires aux élections européennes

c)     Sur la possibilité d’étendre le droit de vote aux citoyens d’États tiers

d)     Sur les conditions de l’extension de ce droit

e)     Sur les limites à l’extension du droit de vote

3.     Sur le second moyen

C –   L’affaire C-300/04

1.     Introduction

2.     Sur les quatre premières questions

3.     Sur la cinquième question

IV – Sur les dépens dans l’affaire C-145/04

V –   Conclusion


1.        Dans l’affaire C-145/04, introduite en vertu de l’article 227 CE, le Royaume d’Espagne reproche au Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord d’avoir violé le droit communautaire du fait des modalités d’organisation de la participation des habitants de Gibraltar aux élections du Parlement européen et, en particulier, de l’admission au vote de personnes qui résident sur ce territoire, mais ne possèdent pas la nationalité d’un État membre et ne sont pas, par conséquent, citoyens de l’Union.

2.        Dans l’affaire C-300/04, en revanche, le Nederlandse Raad van State (Pays‑Bas) a posé à la Cour, par ordonnance du 13 juillet 2004, sur le fondement de l’article 234 CE, cinq questions préjudicielles visant à savoir si un État membre (en l’espèce le Royaume des Pays-Bas) doit reconnaître le droit de voter aux élections européennes à des personnes qui, tout en possédant sa nationalité, résident dans un territoire d’outre-mer (en l’espèce Aruba) qui fait l’objet d’un régime spécial d’association avec la Communauté.

3.        Bien que ces affaires présentent manifestement chacune leur propre spécificité, nous estimons opportun de les traiter ensemble, parce qu’il nous semble qu’elles ont en commun le fait de soulever, même si c’est sous un angle différent, pour ne pas dire opposé, d’importantes questions relatives au droit de vote aux élections européennes, et en particulier aux conditions d’attribution et d’exercice du droit de vote.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit international

4.        Il convient de rappeler, pour les besoins des présentes affaires, l’article 3 du protocole nº 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après le «protocole nº 1 de la CEDH») qui est ainsi rédigé:

«Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.»

B –    Le droit communautaire

5.        Il faut également citer les trois catégories de dispositions communautaires qui concernent respectivement la citoyenneté de l’Union, l’élection du Parlement et le champ d’application territorial du traité CE.

1.      La citoyenneté européenne

6.        L’article 17 CE prévoit ceci:

«1.      Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas.

2.      Les citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité.»

7.        À ce propos, rappelons également que «la question de savoir si une personne a la nationalité de tel ou tel État membre est réglée uniquement par référence au droit national de l’État concerné. Les États membres peuvent préciser, pour information, quelles sont les personnes qui doivent être considérées comme leurs ressortissants aux fins poursuivies par la Communauté en déposant une déclaration auprès de la présidence; ils peuvent, le cas échéant, modifier leur déclaration» (2).

8.        L’article 19, paragraphe 2, CE prévoit que:

«Sans préjudice des dispositions de l’article 190, paragraphe 4, et des dispositions prises pour son application, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Ce droit sera exercé sous réserve des modalités, arrêtées par le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient» (3).

2.      L’élection du Parlement

9.        En vertu de l’article 189, premier alinéa, CE:

«Le Parlement européen, composé de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté, exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par le présent traité.»

10.      L’article 190 CE ajoute que:

«1.      Les représentants, au Parlement européen, des peuples des États réunis dans la Communauté sont élus au suffrage universel direct.

[…]

4.      Le Parlement européen élabore un projet en vue de permettre l’élection au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres ou conformément à des principes communs à tous les États membres.

Le Conseil, statuant à l’unanimité, après avis conforme du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent, arrêtera les dispositions dont il recommandera l’adoption par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.»

11.      C’est dans le but de permettre l’élection du Parlement (alors dénommé Assemblée) au suffrage universel direct qu’a été adoptée la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du 20 septembre 1976, des représentants des États membres réunis au sein du Conseil relative à l’Acte portant élection des représentants à l’Assemblée au suffrage universel direct (4), modifiée en dernier lieu par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil (5) (ci-après l’«acte de 1976»). Chacun sait cependant que cette décision n’a pas introduit une procédure électorale uniforme, mais s’est contentée d’énoncer certains «principes communs à tous les États membres» concernant, en particulier, le caractère proportionnel du scrutin (article 1er), la durée de la législature (article 5), les incompatibilités des élus (article 7), la période de tenue des élections (article 10) et le point de départ des opérations de dépouillement (article 11).

12.      Pour les «aspects non régis» par l’acte de 1976, les États membres restent libres «d’appliquer [leurs] dispositions nationales respectives» (premier considérant de la décision 2002/772).

13.      En vertu de l’article 8 de l’acte de 1976:

«Sous réserve des dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales.

Ces dispositions nationales, qui peuvent éventuellement tenir compte des particularités dans les États membres, ne doivent pas globalement porter atteinte au caractère proportionnel du mode de scrutin.»

14.      Rappelons enfin que l’annexe II de l’acte de 1976 prévoit que:

«Le Royaume‑Uni appliquera les dispositions du présent acte uniquement en ce qui concerne le Royaume‑Uni.»

3.      Le champ d’application territorial du traité

15.      L’article 299 CE définit le champ d’application territorial du traité, affirmant de manière générale que celui-ci s’applique aux États membres (paragraphe 1).

16.      Nous intéressent tout particulièrement ici les paragraphes 3 et 4 de cet article, qui prévoient ce qui suit:

«3.      Les pays et territoires d’outre-mer dont la liste figure à l’annexe II du présent traité font l’objet du régime spécial d’association défini dans la quatrième partie de ce traité.

[…]

4.      Les dispositions du présent traité s’appliquent aux territoires européens dont un État membre assume les relations extérieures.

[…]»

17.      Pour l’affaire C-145/04, il convient également de rappeler que Gibraltar constitue un territoire européen dont le Royaume‑Uni assume les relations extérieures; il s’ensuit que, en vertu de l’article 299, paragraphe 4, CE, le traité s’applique en principe à Gibraltar (6).

18.      Il convient en revanche de souligner, pour l’affaire C-300/04, qu’Aruba est un territoire d’outre-mer au sens de l’article 299, paragraphe 3, CE, qui est mentionné dans l’annexe II du traité.

C –    Le droit national

1.      Dans l’affaire C-145/04

a)      Le statut de Gibraltar

19.      Cédé par le roi d’Espagne à la Couronne de Grande-Bretagne aux termes de l’article X du traité d’Utrecht de 1713, Gibraltar jouit, à partir de 1830, du statut de Crown Colony (British Overseas Territory) (7). La ville est régie, comme on le sait, par le Gibraltar Constitution Order 1969, qui la définit dans son préambule comme «part of Her Majesty’s dominions». Si d’un côté il y a eu un important transfert de pouvoirs autonomes au profit des institutions locales démocratiquement élues dans la colonie, la Couronne conserve néanmoins les compétences en matière de relations extérieures, de défense et de sécurité publique.

b)      L’EPRA 2003

20.      Le 8 mai 2003, le Royaume‑Uni a adopté la European Parliament (Representation) Act 2003 (ci-après l’«EPRA 2003»).

21.      Pour permettre également aux habitants de Gibraltar de participer aux élections du Parlement européen (pour les motifs que nous verrons brièvement aux points 31 et suivants), l’article 9 de cette loi a institué une circonscription électorale [dénommée «circonscription combinée» («Combined Region»)] qui comprend Gibraltar et une circonscription électorale existante d’Angleterre ou du pays de Galles. Plus spécifiquement par la suite, le European Parliamentary Elections (Combined Region and Campaign Expediture) (United Kingdom and Gilbraltar) Order 2004 a rattaché Gibraltar à la circonscription sud-ouest de l’Angleterre (8).

22.      Dans le même but, les articles 14 et 15 ont créé pour Gibraltar un registre électoral spécial, tenu par un fonctionnaire local (le Clerk of the House of Assembly of Gibraltar), sur lequel doivent être inscrits les titulaires du droit de vote qui ont l’intention de participer aux élections.

23.      En vertu de l’article 16, paragraphe 1, une personne a le droit d’être inscrite si elle remplit cumulativement les conditions suivantes:

–        être résident à Gibraltar;

–        ne pas faire l’objet d’une incapacité excluant le droit de vote;

–        avoir 18 ans révolus;

–        être un citoyen de l’Union européenne ou un ressortissant du Commonwealth remplissant des conditions particulières («Qualifying Commonwealth Citizen», ci-après le «QCC»).

24.      L’article 16, paragraphe 5, définit le QCC comme étant la personne:

–        qui, conformément à la législation de Gibraltar, ne se voit pas réclamer de titre ni de permis pour entrer et séjourner à Gibraltar;

ou

–        qui possède un titre ou un permis l’autorisant à entrer et à séjourner à Gibraltar (ou qui, conformément à la réglementation de Gibraltar, aurait droit à un tel titre ou permis).

25.      Les QCC n’ont pas le statut de ressortissants du Royaume‑Uni.

2.      Dans l’affaire C-300/04

a)      L’organisation constitutionnelle du Royaume des Pays‑Bas

26.      Le Royaume des Pays‑Bas se compose de trois entités étatiques qui possèdent chacune leur propre Constitution et organisent chacune leurs propres institutions. Il s’agit des Pays-Bas, des Antilles néerlandaises et d’Aruba.

27.      Le Royaume des Pays‑Bas ainsi subdivisé ne connaît cependant qu’une seule nationalité partagée par tous les ressortissants du Royaume, la nationalité néerlandaise.

b)      La loi électorale néerlandaise

28.      Aux Pays‑Bas, l’élection du Parlement européen a lieu uniquement dans la partie continentale (les Pays-Bas) et non dans les parties insulaires (les Antilles et Aruba). La procédure électorale applicable est régie par la loi électorale néerlandaise (Nederlandse Kieswet), qui définit les titulaires du droit de vote par renvoi aux dispositions relatives aux élections parlementaires nationales.

29.      Concernant les élections du Parlement national des Pays-Bas, l’article B 1 prévoit ce qui suit:

«1.      Les membres de la Tweede Kamer der Staten-Generaal sont élus par ceux qui sont néerlandais le jour du dépôt des candidatures et qui ont atteint l’âge de 18 ans le jour du vote, à l’exception de ceux qui ont leur domicile effectif aux Antilles néerlandaises ou à Aruba le jour du dépôt des candidatures.

2.      Cette exception ne joue pas pour:

a)      le Néerlandais qui a résidé au moins dix ans aux Pays-Bas;

b)      le Néerlandais qui travaille dans le service public néerlandais aux Antilles néerlandaises ou à Aruba, ainsi que son conjoint, son partenaire ou compagnon et ses enfants enregistrés pour autant que ceux-ci mènent une vie commune avec lui.»

30.      L’article Y 3 dispose, en ce qui concerne les élections des membres du Parlement européen:

«Ont le droit de voter:

a)      ceux qui ont le droit de voter à l’élection des membres de la Tweede Kamer der Staten-Generaal;

b)      les non‑Néerlandais qui sont ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne, à condition qu’ils:

1°      aient leur domicile effectif aux Pays-Bas le jour du dépôt des candidatures,

2°      aient atteint l’âge de 18 ans le jour du vote,

et

3°      ne soient pas déchus du droit de vote soit aux Pays-Bas, soit dans l’État membre dont ils sont ressortissants.»

II – Les faits et la procédure

A –    L’affaire C-145/04

31.      On rappelle que, à la suite d’un recours formé par une ressortissante britannique résidant à Gibraltar, Mme Matthews, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, par arrêt du 18 février 1999, que le fait de ne pas organiser d’élections européennes à Gibraltar constituait de la part du Royaume‑Uni une violation de l’article 3 du protocole n° 1 de la CEDH (9).

32.      Afin de se conformer à cet arrêt, le Royaume‑Uni a proposé de modifier l’annexe II de l’acte de 1976, pour supprimer l’obstacle résultant du fait que cette annexe lui imposait, comme nous l’avons vu (voir ci-dessus, point 14), de n’appliquer les dispositions en question qu’à l’intérieur du Royaume‑Uni.

33.      L’opposition ferme du Royaume d’Espagne a cependant empêché l’approbation de la proposition britannique.

34.      À la réunion du Conseil du 18 février 2002, le Royaume‑Uni a alors fait consigner par écrit la déclaration suivante, dont le Conseil et la Commission ont pris acte:

«Rappelant l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne, qui dispose: ‘L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire’, le Royaume‑Uni veillera à ce que les modifications nécessaires soient apportées en vue de permettre aux électeurs de Gibraltar de participer aux élections du Parlement européen dans le cadre d’une circonscription existante du Royaume‑Uni et dans les mêmes conditions que les autres électeurs de cette circonscription, afin d’honorer l’obligation qui lui incombe d’appliquer le jugement rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Matthews contre Royaume‑Uni, conformément au droit de l’UE» (10).

35.      Après avoir fait cette déclaration, le Royaume‑Uni a procédé à l’adoption de l’EPRA 2003, évoqué précédemment (voir points 20 et suivants).

36.      Le Royaume d’Espagne a cependant aussitôt réagi, objectant que, à son avis, en raison des modalités d’organisation de la participation des habitants de Gibraltar aux élections du Parlement européen, et en particulier du fait que sont admises à voter également des personnes qui résident sur ce territoire, mais ne possèdent pas la nationalité d’un État membre ni par conséquent la citoyenneté de l’Union, cette loi serait contraire au droit communautaire.

37.      Ses griefs n’étant pas accueillis, le Royaume d’Espagne a décidé, le 28 juillet 2003, de se tourner vers la Commission sur le fondement de l’article 227 CE.

38.      Après avoir mis les États concernés en mesure de présenter leurs observations écrites et orales dans le respect du contradictoire, la Commission a publié la déclaration suivante:

«À la suite d’un examen approfondi de la plainte de l’Espagne et d’une audition qui s’est tenue le 1er octobre, la Commission considère que le Royaume‑Uni a étendu le droit de vote aux personnes résidant à Gibraltar dans le cadre du pouvoir d’appréciation conféré aux États membres par le droit communautaire. Toutefois, eu égard au caractère sensible de la question bilatérale sous-jacente, la Commission s’abstient à ce stade d’adopter un avis motivé au sens de l’article 227 du traité et invite les parties à trouver une solution à l’amiable» (11).

39.      Non satisfait de la déclaration de la Commission, le Royaume d’Espagne a demandé à la Cour, par recours formé le 18 mars 2004, de dire et de juger que:

en adoptant l’EPRA 2003, le Royaume‑Uni a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 189 CE, 190 CE, 17 CE et 19 CE ainsi que de l’acte de 1976 du Conseil.

40.      Par ordonnance du 8 septembre 2004, le président de la Cour a autorisé la Commission à intervenir dans l’affaire C-145/04 à l’appui des conclusions du Royaume‑Uni.

41.      Les gouvernements espagnol et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission ont été entendus par la Cour à l’audience du 5 juillet 2005.

B –    L’affaire C-300/04

42.      MM. M. G. Eman et O. B. Sevinger sont des ressortissants néerlandais qui ont leur domicile effectif dans l’île d’Aruba.

43.      Souhaitant participer aux élections du Parlement européen, ils ont demandé, le 31 mars 2004, à être inscrits sur le registre électoral spécial tenu aux Pays-Bas.

44.      Par décision du 3 mai 2004, le College van burgemeester en wethouders van Den Haag a rejeté ces demandes sur le fondement des dispositions combinées des articles B 1, paragraphes 1 et 2, et Y 3, sous a), de la loi électorale néerlandaise, au motif que les requérants, bien que possédant la nationalité néerlandaise, avaient leur domicile effectif à Aruba et n’avaient pas résidé pendant au moins dix ans aux Pays-Bas.

45.      MM. Eman et Sevinger ont alors introduit un recours contre cette décision le 28 mai 2004 devant le Nederlandse Raad van State, faisant valoir que la loi électorale néerlandaise serait contraire aux dispositions du traité relatives à la citoyenneté de l’Union, lues à la lumière de l’article 3 du protocole nº 1 de la CEDH. Selon eux, ces dispositions auraient reconnu le droit de vote aux élections du Parlement européen à tous les ressortissants des États membres, y compris à ceux qui ont leur domicile dans les pays et territoires d’outre-mer (ci-après également les «PTOM»).

46.      N’ayant pas pu se prononcer avant le déroulement des élections européennes de juin 2004, le Nederlandse Raad van State a néanmoins posé à la Cour cinq questions préjudicielles afin d’exposer ses doutes quant à la légalité de l’exclusion de MM. Eman et Sevinger du bénéfice du droit de vote (voir leur libellé au point 137 ci-après).

47.      En outre, en vue de l’éventuelle organisation aux Pays-Bas d’un référendum sur le projet de traité adoptant une Constitution pour l’Europe (12), et compte tenu du risque que les requérants soient également exclus de cette consultation populaire, cette même juridiction a demandé à la Cour, par lettre du 13 juillet 1004, d’examiner les questions posées dans le cadre de la procédure accélérée prévue à l’article 104 bis du règlement de procédure.

48.      Par ordonnance du 23 août 2004, le président de la Cour a rejeté cette demande dans la mesure où elle portait sur une matière (les conditions de participation au référendum sur la Constitution) étrangère au litige au principal (qui concerne le droit de vote aux élections du Parlement européen) et prenait pour acquis un événement (l’approbation d’une loi organisant ledit référendum) qui pour le moment ne s’était pas encore matérialisé.

49.      Par lettre du 22 février 2004, le Raad van State a informé la Cour de l’entrée en vigueur de la loi relative au référendum consultatif sur le traité qui adopte une Constitution pour l’Europe (13) et lui a donc demandé à nouveau d’examiner les questions posées selon le régime de la procédure accélérée. La nouvelle loi, tout comme celle relative aux élections du Parlement européen, prévoyait en effet que seuls pouvaient participer au référendum les titulaires du droit de vote aux élections du parlement national des Pays-Bas.

50.      Puisque la demande de procédure accélérée continuait de porter sur une matière étrangère au litige au principal, le président a, par ordonnance du 18 mars 2005, également rejeté cette seconde demande.

51.      Dans l’affaire C-300/04, les gouvernements néerlandais, français, espagnol et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission ont présenté des observations écrites.

52.      À l’audience du 5 juillet 2005, la Cour a entendu M. Eman, les gouvernements néerlandais, français, espagnol et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission en leurs plaidoiries.

III – Analyse juridique

A –    Observations préliminaires

53.      Comme nous l’avons vu, à côté de la résolution de problèmes spécifiques à chacune d’elles, les affaires C-145/04 et C-300/04 présentent certains aspects communs qui nous conduisent à les traiter conjointement.

54.      En effet, dans l’affaire C-145/04 – recours formé par le Royaume d’Espagne sur le fondement de l’article 227 CE –, la Cour est appelée à déterminer, notamment, si le Royaume‑Uni pouvait légitimement admettre à voter aux élections européennes des personnes qui résident à Gibraltar (territoire européen auquel le droit communautaire s’applique), mais ne possèdent pas la nationalité d’un État membre ni par conséquent la citoyenneté de l’Union. À l’inverse, dans l’affaire C-300/04, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si un État membre est tenu d’admettre à participer à ces élections des personnes qui possèdent sa propre nationalité et ont donc la qualité de citoyens de l’Union, mais résident sur un territoire, tel qu’Aruba, qui constitue un territoire d’outre-mer faisant l’objet d’un régime spécial d’association avec la Communauté.

55.      Les deux affaires appellent donc, même si c’est sous un angle différent, une interprétation des règles du traité relatives à la citoyenneté de l’Union et aux élections du Parlement européen, en particulier en ce qui concerne l’attribution du droit de vote à ces élections et son exercice.

B –    L’affaire C-145/04

1.      Introduction

56.      Cette affaire se greffe sur une vieille controverse qui oppose le Royaume d’Espagne au Royaume‑Uni à propos de la souveraineté sur Gibraltar et constitue, en un sens, le prolongement de l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, de la Cour européenne des droits de l’homme (voir point 31 ci‑dessus). Dans cet arrêt, cette Cour a, comme nous l’avons vu, fait droit au recours formé par une ressortissante britannique résidant à Gibraltar et jugé que le Royaume‑Uni avait violé l’article 3 du protocole nº 1 de la CEDH en s’abstenant d’organiser les élections du Parlement européen à Gibraltar.

57.      À cette occasion, la Cour de Strasbourg a souligné que, à la suite des modifications introduites par le traité de Maastricht, le Parlement européen «se trouve suffisamment associé au processus législatif spécifique conduisant à l’adoption d’actes au titre des articles 189 B et 189 C du traité CE [devenus articles 251 et 252 CE], ainsi qu’au contrôle démocratique général des activités de la Communauté européenne, pour que l’on puisse considérer qu’il constitue une partie du ‘corps législatif’ (14) de territoires, tels que Gibraltar, dans lesquels les actes adoptés avec la contribution fondamentale de ce Parlement ont «un impact direct» (15), dès lors qu’ils produisent «directement [leurs] effets» et «touchent» la population locale de la même manière que ceux approuvés par les assemblées législatives locales (16).

58.      C’est pourquoi, poursuit cette Cour, il fallait organiser les élections européennes également à Gibraltar. Puisque cela n’a pas été fait, «la requérante, en sa qualité de résidente de Gibraltar, s’est vue privée de toute possibilité d’exprimer son opinion sur le choix des membres du Parlement européen». Ainsi, conclut la Cour, «il a été porté atteinte à l’essence même du droit de vote tel que le garantit à la requérante l’article 3 du Protocole n° 1» de la CEDH (17).

59.      À la suite de cet arrêt, le Royaume‑Uni s’est engagé, comme nous l’avons vu (point 34), par déclaration du 18 février 2002, à faire le nécessaire «en vue de permettre aux électeurs de Gibraltar de participer aux élections du Parlement européen dans le cadre d’une circonscription existante du Royaume‑Uni et dans les mêmes conditions que les autres électeurs de cette circonscription».

60.      Ce n’est pas tout: en application de cette déclaration, le Royaume‑Uni a adopté l’EPRA 2003. Cette loi a, comme nous l’avons déjà dit (points 20 et suivants), créé une nouvelle circonscription électorale qui comprend Gibraltar et une circonscription existante d’Angleterre ou du pays de Galles (la «circonscription combinée»), et institué un registre électoral spécial, tenu par un fonctionnaire local (le «Clerk of the House of Assembly of Gibraltar»), sur lequel doivent être inscrits les titulaires du droit de vote. Au nombre de ces derniers figurent précisément les QCC, c’est‑à‑dire les citoyens de pays du Commonwealth qui peuvent entrer et séjourner à Gibraltar sans aucun titre ni permis ou qui possèdent un titre ou permis les autorisant à entrer à Gibraltar (voir point 24 ci‑dessus).

61.      Dans son recours fondé sur l’article 227 CE, le gouvernement espagnol fait deux griefs à l’EPRA 2003:

–        selon le premier moyen, l’élargissement du droit de vote aux élections du Parlement européen à des personnes qui, comme les QCC, ne sont pas des ressortissants du Royaume‑Uni serait contraire aux articles 17 CE, 19 CE, 189 CE et 190 CE;

–        selon le second moyen, cet élargissement et l’inclusion de Gibraltar dans une circonscription électorale existante d’Angleterre ou du pays de Galles seraient illégaux, car contraires à l’annexe II de l’acte de 1976 et aux engagements souscrits par le Royaume‑Uni avec la déclaration du 18 février 2002 (voir point 34 ci-dessus).

2.      Sur le premier moyen

a)      Introduction

62.      Le gouvernement espagnol soutient, dans le cadre de ce moyen, que les articles 17 CE 19 CE, 189 CE et 190 CE, lus de manière systématique, reconnaîtraient le droit de vote uniquement aux citoyens de l’Union et interdiraient par conséquent aux États membres de l’étendre à d’autres sujets. Ainsi, en accordant le droit de vote aux élections du Parlement européen à des personnes qui, à l’instar des QCC, ne possèdent pas sa nationalité, le Royaume‑Uni aurait violé ces dispositions.

63.      Le gouvernement du Royaume‑Uni réfute toutefois ce grief, objectant que la détermination des titulaires du droit en question est entièrement laissée à l’appréciation des États membres. À son avis, en effet, «pour tous les aspects non régis» de façon uniforme par le droit communautaire, les élections européennes sont gouvernées par les «dispositions nationales» de chaque État membre (voir le premier considérant de la décision 2002/772 ainsi que l’article 8 de l’acte de 1976). En l’absence de dispositions communautaires, il appartiendrait donc aux États membres de décider qui peut participer à la consultation européenne et, par conséquent, également d’élargir cette participation à des sujets qui, comme les QCC, sont des ressortissants de pays tiers. Il s’agirait en définitive de l’exercice légitime du pouvoir discrétionnaire reconnu aux États membres par le droit communautaire en cette matière.

64.      Pour notre part, pas plus que le gouvernement espagnol et la Commission, nous ne pouvons souscrire intégralement à une thèse qui conduit à reconnaître aux États membres une liberté absolue en ce domaine. Nous pensons, en effet, que, bien que la réglementation en la matière reste pour le moment assez limitée, le droit communautaire peut fournir certaines indications précises et utiles à cet égard et, en particulier, reconnaître certaines limites au pouvoir des États membres d’attribuer (ou de ne pas attribuer) le droit de vote aux élections du Parlement européen.

65.      Ces indications sont d’ailleurs, à notre avis, à double sens: en positif, dans le sens des limites apportées à la liberté des États membres de refuser ce droit; en négatif, dans le sens des limites posées à leur liberté de le reconnaître.

66.      Même si cette affaire (à la différence de l’affaire C-300/04) intéresse principalement la deuxième hypothèse, nous dirons également un mot de la première, dans le but notamment de situer l’analyse des deux hypothèses (et des deux affaires) dans le cadre d’une appréciation plus globale du système et des principes dont il s’inspire.

b)      Sur le droit de vote des citoyens communautaires aux élections européennes

67.      Commençons donc par les limites positives. Nous estimons que l’on peut déduire directement de l’ensemble des principes et règles communautaires, et au-delà donc d’éventuelles indications différentes dans les législations nationales, l’obligation de reconnaître le droit de vote en question aux ressortissants des États membres et, par conséquent, aux citoyens de l’Union.

68.      Il est vrai qu’aucune disposition communautaire n’affirme ouvertement et directement que ce droit figure parmi ceux reconnus aux citoyens de l’Union en vertu de l’article 17, paragraphe 2, CE. On peut néanmoins observer que l’article 19, paragraphe 2, CE, lorsqu’il accorde aux ressortissants d’un État membre le droit de voter aux élections européennes dans un autre État membre où ils ont leur résidence aux mêmes conditions que les nationaux de cet État, considère d’une certaine manière comme acquis le fait que le droit en question est accordé aux citoyens de l’Union. Nous pourrions argumenter dans le même sens sur le fondement des articles 189 CE et 190 CE, qui prévoient que le Parlement est composé de représentants des «peuples» et donc (pour le moins) des citoyens «des États réunis dans la Communauté».

69.      Cependant, indépendamment de ces références qui pourraient éventuellement être complétées, il nous semble que le droit pour les citoyens de l’Union de voter aux élections européennes résulte principalement des principes démocratiques sur lesquels l’Union est fondée (18), et, en particulier, pour reprendre les termes de la Cour de Strasbourg, du principe du suffrage universel, qui constitue «désormais le principe de référence» des systèmes démocratiques modernes (19), également codifié dans l’ordre juridique communautaire, puisqu’il est inscrit aux articles 190, paragraphe 1, CE et 1er de l’acte de 1976, qui disposent précisément que les membres du Parlement européen sont élus «au suffrage universel direct». Cette règle milite, en effet, en faveur de l’octroi du droit de vote «au plus grand nombre» (20) et donc, en principe tout au moins, à tous les membres de la communauté étatique.

70.      Cette indication de principe trouve en outre une confirmation dans le fait que le droit en question constitue un droit fondamental garanti par la CEDH, en particulier par l’article 3 du protocole nº 1 de la CEDH, qui consacre l’engagement des «Hautes Parties contractantes […] à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif». Il s’agit donc d’un des «outils fondamentaux permettant de préserver un ‘régime politique véritablement démocratique’» (21) et, plus précisément, d’un «droit subjectif» «crucia[l] pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par l’État de droit» (22).

71.      Nous croyons par conséquent pouvoir affirmer que, en vertu des seuls principes fondamentaux et des dispositions que nous venons d’évoquer (23), les citoyens de l’Union sont pour ainsi dire les titulaires «nécessaires» du droit de vote aux élections du Parlement européen, en ce sens que, en principe au moins, ils peuvent tous prétendre à ce droit. Cela sans préjudice bien entendu des éventuelles limitations qu’il est d’usage et légitime d’imposer en la matière (âge, résidence, conditions d’éligibilité, incompatibilités, etc.) ni de l’existence de situations particulières (telles que celles dont nous parlerons plus loin: voir point 153 ci-après).

c)      Sur la possibilité d’étendre le droit de vote aux citoyens d’États tiers

72.      Venons-en à présent aux limitations en sens négatif pouvant être déduites éventuellement du même droit communautaire.

73.      Dans cette affaire, le gouvernement espagnol tire en effet des textes une indication de ce type. Il affirme en particulier que les États membres ne seraient pas autorisés à accorder le droit de vote à des sujets qui (comme, en l’espèce, les QCC) ne possèdent pas la nationalité d’un État membre ni, par conséquent, la citoyenneté de l’Union.

74.      À cette fin, il tire argument des articles 17 CE, 19 CE, 189 CE et 190 CE, ainsi que de l’annexe II de l’acte de 1976, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Nous devons cependant préciser que les articles en question du traité sont évoqués en relation avec le premier moyen, tandis que l’annexe II est citée dans le cadre du second moyen. Dans la suite de la discussion, nous conserverons également cette distinction, non seulement pour respecter la structure du recours, mais aussi et surtout parce que, comme nous le verrons, ni les termes ni la solution de la question ne coïncident dans les deux cas.

75.      En premier lieu donc, ce gouvernement objecte que, en prévoyant que les ressortissants des États membres sont citoyens de l’Union et jouissent des droits prévus par le traité, l’article 17 CE établirait un lien étroit entre la citoyenneté de l’Union ainsi que la nationalité d’un État membre, d’une part, et la jouissance des droits prévus par le traité, d’autre part. En raison de ce lien, le droit de vote aux élections du Parlement européen ne pourrait être reconnu qu’aux citoyens de l’Union. Ce lien serait également établi par l’article 19, paragraphe 2, CE, en vertu duquel seul le «citoyen de l’Union» est autorisé à voter aux élections européennes dans l’État membre dans lequel il réside et dont il n’a pas la nationalité.

76.      En second lieu, poursuit ce gouvernement, lorsque les articles 189 CE et 190 CE prévoient que le Parlement est composé de représentants des «peuples des États réunis dans la Communauté», ils n’entendent pas viser de manière générale la population qui réside sur un territoire donné, mais les personnes qui partagent la même nationalité, c’est-à-dire les nationaux de cet État. L’emploi du terme «peuple» au sens de «nation» dans les Constitutions de nombreux États membres en serait la preuve évidente.

77.      Pour notre part, et indépendamment pour l’instant de la question spécifique des QCC (sur laquelle, comme nous le verrons par la suite, nous estimons au contraire que les objections espagnoles sont fondées), nous ne pensons pas que l’on puisse déduire des principes et règles générales du traité, comme le soutient le gouvernement requérant, une interdiction absolue d’étendre le droit de vote au‑delà du cercle des ressortissants des États membres. Et ce pour les raisons que nous allons tenter d’expliquer.

78.      Pour commencer, les conclusions que le gouvernement espagnol tire de l’expression «peuples des États réunis dans la Communauté», employée aux articles 189 CE et 190 CE, nous semblent peu convaincantes.

79.      Tout d’abord, la tentative d’attribuer à cette expression le sens d’un choix de nature pour ainsi dire idéologique, assimilant le «peuple» dont parlent ces articles à la notion de «nation», nous paraît douteuse. Sans nous lancer ici dans de longs développements théoriques, il nous suffira d’observer que l’on entend d’habitude par «nation» l’ensemble des individus liés entre eux par une communauté de tradition, de culture, de langue, d’ethnie, de religion, etc., indépendamment de leur appartenance à la même organisation étatique (et indépendamment, par conséquent, de leur statut de ressortissants de celle-ci). Or, s’il en est ainsi, il nous paraît évident que telle ne peut pas être la signification du terme «peuple» employé par les articles précités du traité. Si tel était le cas, en effet, il faudrait, d’une part, inclure dans ce dernier terme également des sujets qui ne sont pas ressortissants des États membres, étant donné que tous les individus présentant les traits communs en question font partie de la «nation», même si, pour des raisons historico‑politiques, ils appartiennent à des entités étatiques différentes. D’autre part, il faudrait exclure des individus (voire des communautés tout entières!) qui n’appartiennent pas à la «nation», mais qui sont néanmoins ressortissants de l’État (nous pensons par exemple aux minorités ethniques et linguistiques). À l’évidence, et indépendamment de toute autre considération, ce n’est pas ce que vise le traité, ni ce qui se produit dans la pratique ni, nous semble-t-il, ce que veut dire le gouvernement requérant.

80.      Si l’on veut donc donner un sens juridique précis à l’expression «peuples des États réunis dans la Communauté» (ce qui nous semble, à vrai dire, douteux), il est beaucoup plus vraisemblable de considérer qu’elle se réfère tout simplement à la notion de «peuple», c’est-à-dire à la communauté d’individus politiquement organisée à l’intérieur d’un cadre territorial déterminé qui est unie par le lien juridique de la nationalité. On peut donc estimer que, en principe, les notions de «peuple» et de «nationaux» se superposent.

81.      Cela nous fournit cependant bien peu d’indications pour la question qui nous intéresse ici, à savoir l’étendue du droit de vote aux élections européennes. En effet, on ne peut pas considérer que cette superposition s’étend automatiquement, par une sorte de transitivité, également aux rapports entre le «peuple» et le «corps électoral», en imposant une stricte coïncidence entre les deux notions et, par conséquent, l’impossibilité d’élargir le second au-delà des limites du premier.

82.      Plusieurs raisons invitent à rejeter une telle conclusion. Nous nous contenterons d’observer que, si elle était exacte, les restrictions qui, comme nous l’avons vu, s’imposent normalement en matière électorale seraient difficilement justifiables, tout comme, à l’inverse, il serait difficile, sinon impossible, de justifier les approches plus généreuses parfois adoptées par les États membres eux-mêmes. Sans parler, en outre, du paradoxe qui consiste, d’un côté, à reconnaître à l’État membre un large pouvoir discrétionnaire pour décider des critères, limites et modalités d’attribution de sa propre nationalité, et ainsi également de l’extension du statut de citoyen de l’Union avec tout ce qu’il contient et implique, et, de l’autre, à lui refuser la possibilité d’accorder un seul des droits (fût‑il le plus important) connexes à ce statut.

83.      Dans ces conditions, il convient de considérer que la coïncidence entre «peuple/ressortissants nationaux» et «corps électoral» ne peut pas être érigée en règle absolue et impérative. Elle implique très certainement (comme nous l’avons déjà noté) que les nationaux doivent en principe se voir reconnaître le droit de vote; mais elle n’implique pas pour autant que ce droit doive être exercé par chacun d’eux, ni qu’il doive leur être nécessairement réservé de façon exclusive.

84.      En d’autres termes, non seulement cette coïncidence ne constitue pas une règle absolue, mais elle peut faire défaut, dans un sens ou dans l’autre. Il est vrai que, normalement, la différence aura pour origine une limitation du cercle des nationaux pouvant prétendre au droit en question, puisque les États s’attachent d’ordinaire (pour leurs nationaux précisément) à fixer les modalités d’exercice du droit de vote et par conséquent d’appartenance au «corps électoral» (voir ci-dessus, point 71, et surtout ci-après points 148 et suivants, à propos de l’affaire C‑300/04). On ne peut exclure cependant que, en raison de situations nationales particulières ou de choix politiques du législateur, la différence se traduise aussi dans le sens d’un élargissement de la base électorale.

85.      Cela se vérifie d’ailleurs, ainsi que l’ont rappelé à juste titre le Royaume‑Uni et la Commission, dans l’expérience de certains États membres. Même si la tendance à réserver le droit de vote aux seuls nationaux (avec certaines exclusions) est largement prédominante, il ne manque pas d’exemples dans lesquels, en réalité, le corps électoral est défini en termes plus larges.

86.      C’est ce qui se produit, par exemple, au Royaume‑Uni, où sont admis à participer à toutes les élections non seulement les ressortissants britanniques, mais aussi – s’ils sont résidents – les ressortissants irlandais et les QCC, c’est-à-dire les ressortissants des pays du Commonwealth qui ne se voient réclamer aucun titre ni permis pour entrer ou séjourner au Royaume‑Uni ou qui possèdent un titre ou permis les autorisant à entrer au Royaume‑Uni et à y séjourner.

87.      On pourrait également citer les débats en cours (et parfois même les propositions formulées) dans plus d’un État membre au sujet de l’opportunité d’accorder, sous certaines conditions, le droit de vote aux étrangers (non communautaires) qui justifient d’un certain nombre d’années de résidence dans l’État.

88.      Tout cela nous conduit à conclure que, lorsqu’ils affirment que le Parlement est «composé de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté», les articles 189 CE et 190 CE ne prétendent pas, à l’évidence (pour les motifs que nous avons énoncés), que tous les ressortissants de ces États ont effectivement le droit de voter et d’être représentés à cette assemblée, d’une part, et ne limitent pas nécessairement ce droit aux seuls ressortissants, d’autre part.

89.      Passant aux autres arguments avancés par le gouvernement espagnol, nous devons ajouter que cette dernière conclusion n’est aucunement invalidée, contrairement à ce que prétend ce gouvernement, par le fait que l’article 19, paragraphe 2, CE permet uniquement aux «citoyens de l’Union» de voter aux élections européennes dans l’État membre où ils résident, même s’ils ne sont pas ressortissants de cet État. Il s’agit en réalité d’un régime spécial de faveur accordé (cette fois) aux seuls citoyens de l’Union et dont ne peuvent bénéficier les autres personnes. Cela n’a toutefois rien à voir avec la possibilité d’exercice du droit de vote que l’État accorde à d’autres personnes sur son propre territoire.

90.      Il ne nous semble pas non plus, sur un plan plus général, que l’article 17 CE aille à l’encontre de la thèse qui est ici soutenue. Comme l’ont en effet observé le gouvernement du Royaume‑Uni et la Commission, en prévoyant que les «citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le présent traité», cette disposition consacre certes la reconnaissance d’une série de droits, précisés ailleurs (en particulier aux articles 18 CE à 21 CE), au profit de ces personnes. Cependant, elle n’implique nullement que seuls les citoyens de l’Union peuvent jouir de ces droits.

91.      Cela découle d’ailleurs du traité lui-même, qui étend expressément certains de ces droits au‑delà de la sphère des citoyens de l’Union. Il suffit de rappeler à titre d’exemple, que, aux termes des articles 194 CE et 195 CE, le droit de soumettre une pétition au Parlement et le droit de saisir d’une plainte le Médiateur européen sont reconnus à «toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre».

92.      L’extension des droits énumérés aux articles 18 CE à 21 CE à des personnes n’ayant pas le statut de citoyens de l’Union n’est donc pas – comme le prétend le gouvernement espagnol – un phénomène exceptionnel qui «morcelle» le caractère unitaire de la notion de citoyenneté. Au contraire, le fait que certains de ces droits, considérés comme des attributs du statut juridique des citoyens de l’Union, soient étendus par le droit communautaire lui-même en dehors de ce cercle confirme que les droits en question ne constituent pas nécessairement une prérogative exclusive des citoyens. De plus, on peut également conclure que, si, pour certains de ces droits, c’est le droit communautaire qui procède à ladite extension, on ne peut exclure en principe que pour d’autres (tels que le droit de vote précisément) un État membre puisse prendre une telle décision de manière autonome.

93.      Et ce d’autant plus que cette extension semble en accord avec le principe démocratique du suffrage universel, sur lequel l’Union européenne est également fondée. Ce principe milite en effet – comme nous l’avons vu plus haut (voir point 69) – en faveur de la reconnaissance du droit de vote «au plus grand nombre» (24) et, par conséquent, éventuellement aussi aux étrangers établis dans un État membre donné (25) qui, tout comme les citoyens, sont effectivement assujettis aux actes approuvés par les organes législatifs nationaux et communautaires.

d)      Sur les conditions de l’extension de ce droit

94.      Cela étant, il reste à déterminer par qui et à quelles conditions le droit de vote pourra éventuellement être étendu.

95.      Le gouvernement espagnol estime en effet que, à supposer qu’elle soit admissible, l’extension du droit de vote devrait relever de la compétence exclusive de la Communauté et résulter expressément du traité lui-même ou d’une disposition communautaire de droit dérivé. Dans le cas contraire, ajoute ce gouvernement, le droit communautaire pourrait connaître jusqu’à 25 réglementations différentes en matière de définition de l’électorat du Parlement et donc d’attribution d’un droit d’origine communautaire tel que le droit de vote.

96.      Or, cette objection du gouvernement espagnol ne nous paraît pas non plus convaincante. Elle oublie en effet que la diversité des réglementations qui est déplorée est avant tout le résultat d’une situation qui est, pour ainsi dire, légitimée tant par le traité lui-même que par le législateur communautaire.

97.      Le premier charge le Parlement d’élaborer un projet destiné à permettre son élection au suffrage universel «selon une procédure uniforme dans tous les États membres ou conformément à des principes communs à tous les États membres», projet qui est ensuite soumis à l’approbation du Conseil et que les États membres se voient invités, par recommandation, à adopter conformément à leurs règles constitutionnelles respectives (article 190, paragraphe 4, CE).

98.      Chacun sait cependant que la procédure uniforme n’a pas vu le jour, tout au moins pour le moment. L’acte de 1976 relatif à l’élection des représentants aux Parlement, tel que modifié en dernier lieu par la décision 2002/772, a opté pour la deuxième solution prévue à l’article 190, paragraphe 4, CE et s’est donc contentée d’énoncer certains «principes communs» (26) relatifs, en particulier, au caractère proportionnel du mode de scrutin (article 1er), à la durée de la législature (article 5), aux incompatibilités touchant les élus (article 7), à la période de tenue des élections (article 10) et au point de départ des opérations de dépouillement (article 11).

99.      Pour tous les autres «aspects non régis» par cet acte, les États membres restent libres d’appliquer «[leurs] dispositions nationales respectives» (premier considérant de la décision 2002/772). En vertu de l’article 8, en effet, «[s]ous réserve des dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales» qui «peuvent éventuellement tenir compte des particularités dans les États membres».

100. Il s’ensuit que, à ce jour, il n’existe toujours pas parmi les États membres de coïncidence entre les règles qui définissent les titulaires du droit de vote aux élections du Parlement, de même qu’il n’existe pas non plus de règles uniformes en ce qui concerne les personnes éligibles, puisque l’article 7 de l’acte de 1976 énumère certaines causes d’incompatibilité avec le mandat de député européen, mais renvoie pour le surplus aux États membres pour l’énonciation d’autres motifs éventuels d’incompatibilité (ainsi que d’inéligibilité).

101. Or, il nous semble que, dans ce contexte et aussi longtemps qu’une éventuelle loi électorale uniforme n’aura pas été approuvée, on ne peut pas contester à un État membre le pouvoir de définir, pour ce qui le concerne, l’électorat des élections européennes en admettant un nombre de titulaires du droit de vote éventuellement plus important (ou, comme nous le verrons, plus restreint) que le cercle de ses nationaux, eu égard aux spécificités de son système juridique.

e)      Sur les limites à l’extension du droit de vote

102. Naturellement, l’exercice de ce pouvoir ne peut pas être sans limites: d’une part, sur un plan général, parce que l’élection du Parlement n’est pas l’affaire d’un seul État membre, mais concerne et affecte l’ensemble de l’Union; et, d’autre part, sur un plan particulier, parce que les textes communautaires eux-mêmes, que nous avons analysés, montrent clairement qu’ils considèrent que l’hypothèse «normale» est l’attribution du droit de vote aux citoyens de l’Union.

103. Nous estimons donc que ce pouvoir ne peut être exercé qu’à titre exceptionnel, dans le cadre de limites et à des conditions compatibles avec le droit communautaire. Cela implique que les principes généraux du droit communautaire doivent toujours être respectés – notamment, en l’espèce, les principes de raison, de proportionnalité et de non‑discrimination – ainsi, bien entendu, que les éventuelles dispositions communautaires spécifiques en la matière (comme celles qui résultent pour le Royaume‑Uni de l’annexe II de l’acte de 1976, sur lesquelles nous reviendrons aux points 112 et suivants).

104. Ainsi, il nous semblerait conforme à ces principes d’exclure la possibilité d’étendre le droit de vote à des personnes qui n’ont aucun lien effectif avec la Communauté, ce qui est également cohérent avec la logique du système et en accord avec les dispositions qui, comme nous venons de le voir (point 91), étendent les droits des nationaux à d’autres sujets sur le fondement de ce critère précisément.

105. Il nous semblerait également juste, toujours en conformité avec les critères précités, de limiter l’extension du droit en question aux cas où la même extension est prévue aussi pour l’élection du parlement national.

106. Tout cela ne réduira certes pas les disparités résultant de l’absence persistante de réglementation commune achevée. Il y aura donc encore des États membres dans lesquels les résidents étrangers et/ou les nationaux résidant dans le pays tiers peuvent voter, tandis que, dans d’autres, l’une ou l’autre des hypothèses, ou les deux, seront exclues. Ainsi également, dans certains États membres, seuls pourront voter ou être élus les ressortissants d’un certain âge, tandis que, dans d’autres États membres il en ira autrement, de même que pourront être prévues, ou non, certaines causes d’incompatibilité ou d’inéligibilité.

107. Tout cela constitue cependant une conséquence négative du caractère incomplet de la réglementation communautaire en la matière, mais ne représente pas, ni dans un cas ni dans l’autre, une violation de cette réglementation.

108. Pour toutes ces raisons, nous estimons donc que les articles 17 CE, 19 CE, 189 CE et 190 CE ne s’opposent pas en principe à ce que le Royaume‑Uni – conformément à ce qui est prévu pour les élections législatives nationales – reconnaisse le droit de voter aux élections du Parlement européen à des personnes qui, comme les QCC, ne sont pas ressortissants du Royaume‑Uni ni d’aucun autre État membre, mais résident au Royaume‑Uni ou sur un autre territoire, tel que Gibraltar, dont celui-ci assume les relations extérieures.

109. Naturellement, au vu de cette conclusion, l’objection du gouvernement espagnol, selon laquelle le Royaume‑Uni n’a pas inclus, dans sa déclaration de 1982, les QCC parmi les catégories de personnes à considérer comme des «ressortissants du Royaume‑Uni» au sens du droit communautaire (27) tombe. En effet, l’analyse qui précède concerne l’attribution du droit de vote à des sujets autres que les nationaux.

110. Nous pensons donc pouvoir conclure sur ce point que le grief du Royaume d’Espagne tiré de l’illégalité de l’extension du droit de vote à des personnes telles que les QCC, pour violation des articles 17 CE, 19 CE, 189 CE et 190 CE, ne peut pas être retenu.

111. Reste à déterminer sur ce point si le même grief ne peut pas trouver un fondement dans la prétendue violation de l’annexe II de l’acte de 1976. De ce point de vue cependant, comme nous l’avons déjà relevé (voir ci-dessus point 74), la question ne se pose pas dans les mêmes termes et est étroitement liée, dans le cadre du recours, au second moyen soulevé par le Royaume d’Espagne; nous allons donc le traiter lors de l’examen de ce second moyen.

3.      Sur le second moyen

112. Par son second moyen, le Royaume d’Espagne soutient que, en intégrant Gibraltar à une circonscription électorale existante du Royaume‑Uni, l’EPRA 2003 a violé l’acte de 1976 ainsi que la déclaration faite par le gouvernement anglais le 18 février 2002.

113. À cet égard, le gouvernement espagnol rappelle d’abord que, en vertu de l’annexe II, le Royaume‑Uni ne peut appliquer les dispositions de l’acte de 1976 relatives à l’élection du Parlement européen qu’«en ce qui concerne le Royaume‑Uni», à l’exclusion, par conséquent, de Gibraltar qui ne fait pas partie de ce royaume. Cela ne signifie pas que le Royaume‑Uni ne devait pas se conformer à l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, ni organiser par conséquent les élections européennes également dans la colonie; mais le Royaume d’Espagne soutient qu’il fallait le faire selon les modalités que le gouvernement britannique avait lui-même précisées dans sa déclaration du 18 février 2002, c’est-à-dire «en vue de permettre aux électeurs de Gibraltar de participer aux élections du Parlement européen dans le cadre d’une circonscription existante du Royaume‑Uni» (28).

114. Autrement dit, le gouvernement requérant estime que, pour se conformer à l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni sans violer l’annexe et la déclaration de 2002, le Royaume‑Uni aurait dû intégrer dans une circonscription électorale existante non pas le territoire de Gibraltar, mais uniquement les électeurs de Gibraltar ressortissants du Royaume‑Uni, et aurait dû le faire sans associer de quelque manière que soit les autorités de la colonie à la procédure électorale.

115. Pour résumer, le gouvernement requérant est donc d’avis que le Royaume‑Uni n’aurait pas dû:

–        créer pour les élections européennes une nouvelle circonscription électorale qui rattache Gibraltar à une circonscription d’Angleterre ou du pays de Galles (article 9 de l’EPRA 2003) et annexe, de facto, le territoire de la colonie à celui du Royaume‑Uni;

–        permettre de voter à Gibraltar (article 15);

–        étendre ce droit à des électeurs qui n’ont pas la nationalité du Royaume‑Uni ni d’aucun autre État membre de l’Union (article 16);

–        instituer à Gibraltar un registre électoral tenu par un fonctionnaire local (articles 13 et 14);

–        reconnaître quelque compétence que ce soit aux juridictions de Gibraltar.

116. À ces griefs, le Royaume‑Uni, soutenu par la Commission, répond que l’annexe II de l’acte de 1976 doit se comprendre dans le respect des droits fondamentaux tels que garantis par la CEDH et interprétés par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni. En outre, dans un système tel que le système anglais, basé sur des circonscriptions électorales régionales, il n’était pas possible d’organiser les élections à Gibraltar (ni par conséquent de garantir l’exercice de ce droit), à moins de créer une circonscription combinée qui rattache la colonie à une circonscription existante du Royaume‑Uni. Pour la même raison, poursuit ce gouvernement, il a également fallu instituer à Gibraltar un registre électoral et admettre la possibilité de former les recours en matière électorale devant les juridictions de la colonie. Attribuer les mêmes compétences à des autorités situées au Royaume‑Uni, à des milliers de kilomètres de distance, aurait été contraire à l’exigence élémentaire d’une procédure praticable et transparente.

117. Pour notre part, nous observons d’abord que, dans la présente affaire, il n’est pas contesté que, antérieurement à l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, l’annexe II précitée (point 113) ne permettait au Royaume‑Uni d’organiser les élections du Parlement que sur son territoire. Il n’est pas non plus contesté, cependant, que, à la suite de cet arrêt, le gouvernement britannique était tenu d’organiser les élections européennes également à Gibraltar et devait donc adopter les règles nécessaires à cet effet.

118. Dans ces conditions, il convient de se demander si le Royaume‑Uni pouvait procéder ainsi qu’il l’a fait en l’absence de modifications formelles du texte de l’annexe II. Nous pensons que la réponse affirmative à cette question ne peut pas être mise en doute, si l’on considère la place privilégiée qui est accordée à la protection des droits fondamentaux dans le droit communautaire.

119. En effet, reprenant quasiment à la lettre une orientation claire de la jurisprudence, déjà traduite dans le préambule de l’Acte unique européen, l’article F, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE) déclare que «[l]’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».

120. De même, la jurisprudence communautaire juge de manière constante que «les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect», ceux-ci s’inspirant «des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré». La CEDH revêt dans ce contexte «une signification particulière» (29).

121. Il s’ensuit que, en droit communautaire, le respect des droits fondamentaux ainsi reconnus «s’impose» à titre primaire «tant à la Communauté qu’à ses États membres» (30) et que, par conséquent, cet ordre juridique n’admet pas les «mesures incompatibles avec le respect» de ces droits (31).

122. Il convient d’ajouter que cela est particulièrement vrai dans le cas d’espèce, puisqu’il a pour point de départ un arrêt de la Cour de Strasbourg, qui s’est prononcée précisément sur la question du droit de vote au Parlement européen eu égard au statut de Gibraltar et a constaté «une violation de la Convention» découlant de l’«annexe à l’acte de 1976, auquel le Royaume‑Uni a souscrit» (32), consistant à priver une ressortissante britannique «en sa qualité de résidente de Gibraltar […] de toute possibilité d’exprimer son opinion sur le choix des membres du Parlement européen» (33).

123. Par conséquent, ainsi que l’admettent également les parties en cause, malgré l’absence de modification de l’annexe II, le Royaume‑Uni non seulement pouvait, mais devait adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir le plein respect effectif de ce droit fondamental.

124. Cela étant, il convient de se pencher spécifiquement à présent sur la légalité de ces mesures, au vu de ce que leur reproche le Royaume d’Espagne.

125. Il nous semble que, de ce point de vue, la législation anglaise en question ne peut être approuvée qu’en partie. Ainsi, paraissent compatibles avec les principes précités et donc légitimes: la création de la circonscription combinée, l’organisation du scrutin à Gibraltar, l’institution – toujours à Gibraltar – du registre électoral et, enfin, la reconnaissance de la possibilité de déposer les recours électoraux devant les juridictions de la colonie. En revanche, l’admission au vote de personnes telles que les QCC, qui ne sont pas citoyens de l’Union, nous semble illégale.

126. Et ce pour les motifs suivants. S’agissant de la circonscription combinée, nous concédons au Royaume‑Uni et à la Commission que, dans un système tel que le système anglais, dans lequel les électeurs votent à l’intérieur de circonscriptions régionales au scrutin proportionnel, la seule solution possible pour étendre le vote aux électeurs de Gibraltar était de modifier une des circonscriptions électorales existantes au Royaume‑Uni, de façon à y inclure la colonie. Puisque, en raison du faible nombre d’électeurs à Gibraltar, il n’était pas possible d’y créer une circonscription électorale autonome, le Royaume‑Uni ne pouvait faire autrement que d’«élargir» à la colonie une des circonscriptions préexistantes. Le Royaume d’Espagne n’a pas réfuté ces arguments, et n’a pas non plus indiqué quelles solutions alternatives concrètes s’offraient au Royaume‑Uni.

127. S’agissant ensuite des autres mesures inhérentes au vote dans la colonie (création d’un registre, reconnaissance de compétences juridictionnelles, organisation du vote sur le territoire de la colonie), le Royaume‑Uni et la Commission ont, à notre avis, encore raison lorsqu’ils observent que ces mesures sont nécessaires pour garantir l’effectivité du droit de vote. En effet, il nous semble que l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni n’aurait pas été pleinement respecté si les électeurs avaient été contraints de se rendre au Royaume‑Uni ou de s’acquitter par correspondance des démarches relatives au vote (inscription sur le registre électoral, vote, éventuelles contestations). De cette manière, en effet, l’exercice du droit en question se serait avéré excessivement difficile et onéreux, et peut-être aussi moins transparent. Par ailleurs, comme l’a souligné la Commission, il n’aurait pas été justifié d’imposer aux électeurs de Gibraltar la procédure du vote par correspondance, dans la mesure où cette procédure n’est généralement utilisée qu’en l’absence d’autres solutions possibles (dans le cas, par exemple, des personnes hospitalisées, des détenus, des électeurs résidant à l’étranger) (34).

128. En revanche, nous devons prendre nos distances avec la position du Royaume‑Uni et de la Commission pour ce qui est de l’extension du droit de vote à des personnes qui, comme les QCC, ne sont pas des ressortissants du Royaume‑Uni ni d’aucun autre État membre de l’Union. En effet, nous sommes d’avis que cette extension n’est pas imposée par la nécessité de garantir l’exercice d’un droit fondamental, et ne justifie donc pas que l’on déroge à l’annexe II.

129. Comme nous l’avons vu, on ne peut admettre une telle dérogation qu’à la condition qu’elle soit imposée par une norme supérieure, telle que précisément la protection d’un droit fondamental. Or, dans le cas qui nous intéresse ici, nous ne sommes pas en présence d’un droit de cette nature.

130. En effet, comme nous avons tenté de le démontrer plus haut, l’évolution des régimes démocratiques modernes permet, sous certaines conditions, d’étendre la jouissance des droits de participation politique aux étrangers établis dans l’État (voir point 93 ci-dessus). Il n’en reste pas moins toutefois que cette éventualité représente à ce jour le résultat d’un choix politique libre, de surcroît assez peu répandu à ce jour dans la pratique des États membres. Dans ces circonstances, la réglementation nationale en matière électorale peut parfaitement prévoir que les ressortissants d’États tiers sont exclus du vote, sans que cela n’entraîne, comme nous l’avons rappelé, aucun risque de contrariété avec les principes de la CEDH (35).

131. Il s’ensuit que si, pour les raisons déjà évoquées, celle-ci impose la participation des citoyens de l’Union aux élections du Parlement européen organisées à Gibraltar, permettant sur ce point de déroger à l’annexe II, on ne peut en dire autant en revanche de la participation à ces élections de ressortissants de pays tiers tels que les QCC. À leur égard, l’annexe conserve en réalité sa valeur d’interdiction, rendant illégales les dispositions législatives anglaises qui autorisent une telle participation.

132. C’est pourquoi nous estimons que le second moyen soulevé par le Royaume d’Espagne doit être accueilli dans la partie qui touche à l’illégalité, pour violation de l’annexe II, de la reconnaissance du droit de vote à Gibraltar à des personnes telles que les QCC qui ne sont pas des ressortissants du Royaume‑Uni ni d’aucun autre État membre de l’Union (article 16, paragraphes 1 et 5, de l’EPRA 2003).

133. Nous proposons donc à la Cour de dire et de juger que, en reconnaissant à des personnes telles que les QCC, qui ne sont pas des ressortissants du Royaume‑Uni ni d’aucun autre État membre de l’Union, le droit de voter aux élections du Parlement européen à Gibraltar (article 16, paragraphes 1 et 5, de l’EPRA 2003), le Royaume‑Uni a manqué aux obligations qui découlent pour lui de l’annexe II de l’acte de 1976.

C –    L’affaire C-300/04

1.      Introduction

134. Comme nous l’avons déjà indiqué, l’affaire C‑300/04 concerne elle aussi la question du droit de vote pour l’élection du Parlement européen. Elle trouve en effet son origine dans des dispositions particulières de la loi électorale néerlandaise qui modulent la reconnaissance du droit de vote aux personnes possédant la nationalité de l’État en fonction de la partie de l’État dans laquelle elles ont fixé leur résidence.

135. Comme nous l’avons dit ci-dessus (voir points 26 et 27), l’organisation constitutionnelle du Royaume des Pays‑Bas présente deux particularités: d’une part, la division du Royaume en trois entités étatiques qui sont les Pays-Bas, les Antilles néerlandaises et Aruba; d’autre part, l’existence d’une seule nationalité indivise, la nationalité néerlandaise.

136. Ces particularités ont un impact sur la reconnaissance du droit de vote aux nationaux. En application de la loi électorale néerlandaise, en effet, seuls les ressortissants néerlandais qui résident aux Pays-Bas ou dans des pays tiers peuvent participer à l’élection du parlement des Pays-Bas, à l’exclusion des nationaux résidant aux Antilles néerlandaises ou à Aruba (36) (article B 1, paragraphes 1 et 2). La même règle vaut également pour les élections européennes, dès lors que ne sont admis à voter à ces élections que ceux qui ont le droit de voter aux élections législatives des Pays-Bas [article Y 3, sous a)].

137. En raison précisément de ces dispositions, MM. Eman et Sevinger, ressortissants néerlandais résidant à Aruba, n’ont pas été inscrits sur les registres électoraux et se sont donc vu exclure du vote pour les élections européennes de juin 2004. C’est dans le cadre du contentieux né de cette exclusion que le Nederlandse Raad van State a décidé de s’adresser à la Cour de justice sur le fondement de l’article 234 CE pour lui soumettre les questions suivantes:

«1)       La deuxième partie du traité s’applique-t-elle à des personnes qui possèdent la nationalité d’un État membre et qui résident ou qui sont domiciliées dans un territoire appartenant aux PTOM, visé à l’article 299, paragraphe 3, CE et qui entretient des relations particulières avec cet État membre?

2)       Si la première question appelle une réponse négative, est-il loisible aux États membres, au regard de l’article 17, paragraphe l, deuxième phrase, CE, d’accorder leur nationalité à des personnes qui résident ou qui sont domiciliées dans les PTOM visés à l’article 299, paragraphe 3, CE?

3)       Faut-il interpréter l’article 19, paragraphe 2, CE, lu à la lumière des articles 189 CE et 190, paragraphe 1, CE, en ce sens que – abstraction faite des exceptions non inhabituelles dans les ordres juridiques internes liées notamment à la déchéance du droit de vote assortissant une condamnation pénale ou une incapacité civile – la qualité de citoyen de l’Union résidant ou ayant son domicile dans les PTOM confère purement et simplement le droit de vote passif et actif aux élections du Parlement européen?

4)       Les dispositions combinées des articles 17 CE et 19, paragraphe 2, CE, considérées au regard de l’article 3, alinéa 1er, du protocole dans l’interprétation qu’en donne la Cour européenne des droits de l’homme, s’opposent-elles à ce que des personnes qui ne sont pas citoyennes de l’Union aient un droit de vote actif et passif aux élections du Parlement européen?

5)       Le droit communautaire pose-t-il des exigences quant à la nature du rétablissement des droits [rechtsherstel] à offrir si le juge national estime – compte tenu notamment des réponses données par la Cour de justice aux questions énoncées ci-dessus – que c’est à tort que les personnes qui résident ou qui sont domiciliées dans les Antilles néerlandaises et à Aruba et qui ont la nationalité néerlandaise n’ont pas été inscrites pour les élections tenues le 10 juin 2004?»

2.      Sur les quatre premières questions

138. Avant de procéder à l’examen analytique de ces questions, il convient d’observer que la formulation de certaines d’entre elles ne paraît pas parfaitement claire et laisse ainsi place au doute quant à leur portée réelle.

139. Nous ne visons pas ici la première question, par laquelle le Conseil d’État demande très clairement si la deuxième partie du traité est applicable à des personnes possédant la nationalité d’un État membre et ayant leur résidence ou domicile dans un territoire d’outre-mer qui entretient des relations particulières avec cet État.

140. Cependant, la juridiction néerlandaise demande aussitôt après si, en cas de réponse négative à cette question (et par conséquent, littéralement, dans le cas où l’on considère que la deuxième partie du traité ne s’applique pas aux personnes en question), l’État peut accorder sa nationalité à des personnes ayant leur résidence ou leur domicile dans un territoire du type mentionné (deuxième question).

141. Or, sauf erreur de compréhension, il nous semble que cette question pose problème. De deux choses l’une: soit elle se réfère, comme cela semble être le cas, aux personnes se trouvant dans la situation décrite dans la première question, et dans cette hypothèse, on ne voit pas l’utilité de cette question pour des personnes possédant déjà la nationalité de l’État membre en cause. Soit, malgré sa formulation, elle entend se référer à des personnes qui, tout en résidant sur le territoire en question, ne possèdent pas la nationalité de l’État concerné, et elle vise dans ce cas à savoir si cette nationalité peut leur être accordée conjointement aux droits prévus dans la deuxième partie du traité. Mais, s’il en va ainsi, nous nous interrogeons sur le rapport qu’elle peut avoir avec le litige, étant donné que nous examinons ici le cas de personnes possédant déjà cette nationalité.

142. La troisième question nous semble également manquer de clarté. Le Conseil d’État souhaite savoir, par cette question, si l’article 19, paragraphe 2, CE, lu à la lumière des articles 189 CE et 190, paragraphe 1, CE, doit être interprété comme signifiant que la qualité de citoyen de l’Union résidant dans un pays ou territoire d’outre-mer implique le droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen.

143. En effet, comme l’ont relevé également les gouvernements néerlandais, français et du Royaume‑Uni, l’article 19, paragraphe 2, CE n’est pas applicable au cas d’espèce. Nous avons déjà rappelé, en effet, que cette disposition reconnaît à «tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant» le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État. Or, dans le cas d’espèce, ceux qui demandent à bénéficier du droit de vote sont des ressortissants néerlandais résidant aux Pays‑Bas (ou plus précisément dans un démembrement territorial de ce royaume), c’est-à-dire des personnes qui résident dans l’État membre dont ils ont la nationalité. On ne voit donc pas à quel titre ces personnes pourraient se prévaloir de cette règle, ni l’utilité qu’il y a à s’interroger sur ce point.

144. La quatrième question nous paraît également dépourvue de pertinence. La juridiction néerlandaise souhaite en effet savoir si les articles 17 CE et 19, paragraphe 2, CE, considérés au regard de l’article 3, premier alinéa, du protocole nº 1 de la CEDH, s’opposent à ce que le droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen soit reconnu à des personnes qui ne sont pas citoyennes de l’Union. Or, comme nous l’avons vu dans ce qui précède, et comme l’ont également observé le gouvernement néerlandais et la Commission, dans le cas d’espèce, les personnes qui demandent que leur soit reconnu le droit de voter aux élections européennes possèdent la nationalité néerlandaise et sont donc des citoyens de l’Union. Les requérants étant des citoyens de l’Union, il n’est pas nécessaire, pour résoudre le litige au principal, de déterminer si ce droit peut éventuellement être attribué aussi à des non‑citoyens (37).

145. En réalité, au-delà des doutes formulés jusqu’à présent, un problème émerge clairement de la décision de renvoi, sur lequel il convient de donner une réponse à la juridiction néerlandaise. La Cour doit déterminer si un État membre qui reconnaît le droit de vote aux élections nationales, et par conséquent aussi aux élections européennes, à ses nationaux qui résident sur la partie européenne de son territoire (ainsi qu’à ceux qui résident dans des pays tiers) peut refuser ce droit à ses nationaux qui résident dans une partie de l’État constituant un territoire d’outre-mer associé à la Communauté.

146. Ayant ainsi défini la question centrale, nous pouvons observer tout d’abord, eu égard à la première question, que les personnes qui ont la nationalité d’un État membre sont citoyens de l’Union et jouissent en principe, indépendamment de leur lieu de résidence, de tous les droits prévus pour ces citoyens par le droit communautaire, y compris naturellement ceux qui sont énoncés par la deuxième partie du traité.

147. Ces droits incluent, comme nous avons tenté de le démontrer dans le cadre de l’analyse de l’affaire C-145/04 (voir points 67 à 71 ci‑dessus), le droit de voter aux élections du Parlement; il s’ensuit que les ressortissants des États membres, et par conséquent les citoyens de l’Union, doivent en principe en être titulaires, en vertu du droit communautaire.

148. Nous avons tenté de démontrer, dans l’analyse de cette affaire également, que le droit communautaire, dans certaines limites et sous certaines conditions, n’empêche pas les États membres d’étendre le nombre de titulaires du droit en question et d’admettre par conséquent également des ressortissants de pays tiers à voter (voir points 72 à 107 ci-dessus). Dans la présente affaire, en revanche, il convient de se demander si et à quelles conditions les États membres peuvent à l’inverse – et, nous semble-t-il ici aussi, exceptionnellement – limiter le nombre de titulaires de ce droit en excluant certaines catégories de leurs propres nationaux.

149. Pour les raisons que nous allons exposer ci-après, nous pensons que, dans ce cas aussi, la réponse doit être positive.

150. Nous partons de l’idée, qui nous semble généralement admise, que le traité n’a pas retiré aux États membres le pouvoir de définir les limites de leur propre nationalité; au contraire, «conformément au droit international» (38), ils conservent cette compétence, tout en étant tenus de l’exercer «dans le respect du droit communautaire». Il s’ensuit que, chaque fois que le traité fait référence aux «ressortissants des États membres», la question de savoir si une personne possède ou non la nationalité de tel ou tel État membre et, par conséquent, la qualité de citoyen de l’Union ne peut pas être résolue – en tout cas en l’état actuel du droit communautaire – sur le fondement de critères autonomes de ce droit, mais dépend «uniquement» du contenu du «droit national de l’État membre concerné», qui peut en outre varier dans le temps (39).

151. Ainsi, quand l’article 17 CE déclare que «[e]st citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre» et que «[l]es citoyens de l’Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par le […] traité», il ne fait en réalité que renvoyer à la réglementation interne des États membres pour ce qui est de la définition du champ d’application ratione personae de la citoyenneté de l’Union. En d’autres termes, le droit communautaire présuppose une telle réglementation qu’il accepte en tant que telle, pour la définition des citoyens de l’Union.

152. Cependant, à y regarder de plus près, ce renvoi ne concerne pas uniquement la définition du statut de citoyen de l’Union, mais aussi l’éventuelle modulation de droits connexes dérivant de ce statut. En effet, il faut se référer à la législation nationale non seulement pour s’assurer qu’une personne possède la citoyenneté de l’Union, mais aussi pour vérifier si, conformément aux éventuelles dispositions nationales en la matière, elle jouit de tous les droits attachés à ce statut.

153. En d’autres termes, il convient de considérer que, lorsque la législation d’un État membre prévoit des restrictions aux droits attachés à sa nationalité sur la base de critères objectifs (tels que, comme dans cette affaire, l’organisation constitutionnelle de l’État), le droit communautaire admet que de telles restrictions soient apportées – sous réserve du respect de ses principes fondamentaux – à l’attribution des droits découlant de la citoyenneté de l’Union.

154. Dans le cas d’espèce, cela signifie que le droit communautaire accepte non seulement le choix du Royaume des Pays‑Bas concernant l’attribution de sa propre nationalité, mais aussi la manière dont cet État a décidé de moduler les attributs inhérents à ce droit en raison des rapports particuliers qui le lient aux territoires d’Aruba et des Antilles néerlandaises. En effet, il aurait pu n’attribuer sa nationalité qu’aux seuls citoyens de la métropole, ou encore la moduler selon des nuances diverses entre ces derniers et les habitants des PTOM. Il a choisi en revanche, pour des motifs relevant de sa souveraineté, d’introduire une nationalité formellement indivise, mais en réalité différenciée quant à l’exercice des droits connexes (parmi lesquels le droit de vote tant au niveau national que communautaire).

155. Le droit communautaire ne peut alors pas ne pas reconnaître cet aménagement du statut de ressortissant dudit État. Et ce d’autant plus qu’il ne se traduit pas par des restrictions touchant (exclusivement) les droits attribués par le droit communautaire, mais constitue la transposition exacte des restrictions existant sur le plan national.

156. Il convient en outre de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme a admis que les droits de vote peuvent être limités pour des «groupes ou catégories […] de la population», à condition que les limites prévues poursuivent un but légitime, avec des moyens non disproportionnés et en tout cas ne limitent pas ces droits «au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité» (40).

157. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé en particulier que les États contractants peuvent retenir le critère de la résidence pour restreindre le cercle des titulaires du droit de vote et ne reconnaître ainsi ce droit qu’aux «personnes qui présentent un lien suffisamment strict et continu avec le pays» (41). À cet égard, elle a souligné que la possibilité d’exclure les non-résidents se justifie pour des «raisons» telles que, précisément, le fait qu’un citoyen non-résident n’est pas «directement visé par les actes des organes politiques» à élire et, plus généralement, est «concerné moins directement ou moins continuellement par les problèmes quotidiens de son pays» (42).

158. Or, il nous semble que les limites introduites par la loi électorale néerlandaise sont en principe compatibles avec ce qui précède. En effet, cette loi octroie le droit de vote aux ressortissants néerlandais précisément en fonction de leur lieu de résidence, en excluant des élections (des Pays-Bas et, par voie de conséquence, européennes) ceux qui résident dans une autre partie du Royaume (Aruba et les Antilles néerlandaises), qui n’est pas directement touchée par les actes approuvés par les Assemblées à élire, c’est-à-dire le parlement néerlandais et le Parlement européen.

159. M. Eman est cependant d’un autre avis. Il a en effet soutenu à l’audience qu’Aruba est affectée par les actes adoptés avec le concours du Parlement européen, dans la mesure où – si nous avons bien compris – le législateur local s’en inspire quand il doit approuver les lois en vigueur sur l’île. Tel aurait été le cas, par exemple, – toujours si nous avons bien compris – en matière d’épargne. Dans ce secteur, le législateur d’Aruba aurait volontairement calqué la législation locale sur la réglementation communautaire si bien que, même si c’est de manière indirecte, cette dernière se verrait appliquée sur ce territoire. Ainsi le Parlement européen devrait-il être considéré comme partie du «corps législatif» d’Aruba et les ressortissants néerlandais ayant leur résidence sur l’île devraient-ils pouvoir participer également à son élection, conformément à l’article 3 du protocole n° 1 de la CEDH.

160. À notre avis, pareille thèse ne peut pas être accueillie.

161. Nous nous contenterons de rappeler que, dans l’arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, la Cour de Strasbourg a jugé que, pour que le Parlement européen puisse être considéré comme «corps législatif» d’un territoire donné, il ne suffit pas que, sur ce territoire, les actes approuvés avec son concours fondamental aient un impact seulement indirect, comme ce serait le cas des mesures communautaires à Aruba. Il faut, en effet, (tout comme dans le cas de Gibraltar qui était précisément en cause) que, sur le territoire en question, lesdites mesures produisent «directement» «leurs effets» et «touchent la population» locale de la même manière que les actes adoptés par l’assemblée législative locale (43).

162. Or, il n’existe pas d’actes du Parlement européen qui produisent des effets de ce type pour Aruba. Comme l’ont justement rappelé les gouvernements néerlandais et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission, du point de vue du droit communautaire, Aruba est un territoire d’outre-mer auquel, en général, les dispositions du traité ne s’appliquent pas, pas plus que celles du droit dérivé (44), qu’elles soient adoptées avec ou sans la contribution fondamentale du Parlement européen. En vertu de l’article 299, paragraphe 3, CE, seules s’appliquent à cette île, en effet, les dispositions de la quatrième partie de traité qui définissent un régime spécial d’association des PTOM avec la Communauté (articles 182 CE à 188 CE), ainsi que les mesures spécifiques que le Conseil a prises pour réglementer la procédure et les modalités de cette association (voir article 187) (45).

163. Il résulte donc des observations qui précèdent que, en raison de son agencement constitutionnel particulier, un État membre peut – en principe – reconnaître le droit de vote aux élections nationales et, par voie de conséquence, aux élections européennes à ses ressortissants résidant dans la partie européenne de son territoire et le refuser, en revanche, à ses ressortissants qui résident dans une partie de l’État qui constitue un territoire d’outre-mer associé à la Communauté.

164. Cela dit, nous devons toutefois concéder à la Commission que la réglementation néerlandaise en question soulève quand même un problème de compatibilité avec le droit communautaire. Elle est en effet susceptible de comporter la violation d’un principe fondamental du droit communautaire, à savoir le principe d’égalité en vertu duquel il est garanti aux citoyens de l’Union qui «se trouvent dans la même situation [le droit] d’obtenir […] le même traitement» (46), à moins qu’un régime différent ne «soit objectivement justifié» (47).

165. En effet, à y regarder de plus près, cette réglementation reconnaît le droit de vote aux élections européennes non seulement aux ressortissants néerlandais qui résident aux Pays-Bas, mais aussi à ceux qui résident dans des pays tiers, ne le refusant en définitive qu’à ceux qui résident à Aruba et aux Antilles néerlandaises. Ce faisant, elle reconnaît ce droit aux ressortissants qui résident dans des pays tiers par rapport aux Pays-Bas et à la Communauté, mais le refuse à ceux qui résident dans les îles précitées, alors qu’ils se trouvent dans la même situation que les autres (ils constituent eux aussi des ressortissants néerlandais résidant hors des Pays-Bas) et peuvent au surplus se prévaloir du fait que les territoires sur lesquels ils résident entretiennent des relations privilégiées avec le Royaume des Pays-Bas et la Communauté.

166. La réglementation néerlandaise en question a une autre conséquence tout à fait paradoxale. Ainsi que l’a admis le gouvernement néerlandais à l’audience, si d’un côté cette réglementation refuse le droit de vote aux ressortissants néerlandais qui résident à Aruba et aux Antilles néerlandaises, elle leur accorde, de l’autre côté, ce même droit s’ils quittent ces îles et établissent leur résidence dans un État tiers. Cela a pour conséquence, par exemple, que, s’il reste sur l’île, un habitant d’Aruba ne pourra pas voter aux élections du Parlement européen, alors qu’il aura cette possibilité s’il déménage, y compris définitivement, dans un pays tiers.

167. Dans ce contexte, il ne nous semble pas que l’on puisse invoquer, pour justifier cette inégalité de traitement, le fait que le législateur néerlandais a pour objectif de préserver le droit de vote des ressortissants néerlandais qui, bien qu’ayant quitté les Pays-Bas, pourraient vouloir y retourner ultérieurement. Une telle justification se concilie mal en réalité avec le fait que le droit en question est également garanti aux Néerlandais originaires d’Aruba qui ne se sont jamais rendus en Europe et ont cependant leur domicile dans un pays tiers. On ne comprend pas dans ce cas pourquoi seuls les ressortissants néerlandais qui continuent à résider sur l’île devraient être exclus du droit de voter.

168. Au vu de ces considérations, nous pensons donc pouvoir conclure que le droit communautaire, et en particulier le principe général d’égalité, s’oppose à ce qu’un État membre, qui reconnaît le droit de voter aux élections nationales et, par voie de conséquence, aux élections européennes à ses nationaux qui résident sur le territoire européen de l’État ainsi qu’à ceux qui résident dans les pays tiers, refuse – sans justification objective – le droit de voter aux élections du Parlement européen à ses nationaux qui résident dans une autre partie de l’État constituant un territoire d’outre-mer associé à la Communauté.

3.      Sur la cinquième question

169. Par sa cinquième question, enfin, la juridiction nationale demande si le droit communautaire pose des conditions en ce qui concerne la «nature du rétablissement des droits» dont doit bénéficier une personne qui, en vertu d’une disposition nationale contraire au droit communautaire, n’a pas été inscrite sur les registres électoraux et a été ainsi exclue de la participation aux élections du Parlement européen.

170. À cet égard, nous devons dire que nous avons du mal à comprendre à quoi le Conseil d’État néerlandais fait référence lorsqu’il parle de «rétablissement des droits». Nous nous demandons, en particulier, s’il pense à une éventuelle indemnisation des préjudices moraux, à une rectification des résultats des élections, à l’organisation de nouvelles élections ou à autre chose encore.

171. En tout cas, en l’absence de règles communautaires en la matière, nous sommes d’accord avec le gouvernement néerlandais et la Commission pour considérer que la définition des éventuelles mesures de réparation de l’illégalité des dispositions nationales fait partie des questions dépendant de la législation interne des États membres.

172. Et ce sous réserve toutefois des limites que la Cour impose depuis longtemps lorsqu’il s’agit de garantir des droits fondés sur des dispositions communautaires. Il faut donc que la réglementation respecte les principes dits «d’équivalence» (les garanties «ne peuvent pas être moins favorables que celles qui concernent les recours analogues de nature interne») et «d’effectivité de la protection» (celle-ci ne doit pas subir de limitations de nature à «rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice» du droit en question) (48).

173. Sur la base de ces éléments, nous pensons donc qu’il convient de répondre à la juridiction de renvoi que, en l’absence de réglementation communautaire, il incombe au droit national de définir les mesures permettant le rétablissement des droits d’une personne qui, en raison d’une disposition nationale contraire au droit communautaire, n’a pas été inscrite sur les listes électorales et a donc été exclue de la participation aux élections du Parlement européen. Ces mesures doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité.

IV – Sur les dépens dans l’affaire C-145/04

174. Puisque, dans l’affaire C-145/04, nous estimons que le Royaume d’Espagne et le Royaume‑Uni succombent tous deux partiellement, il nous paraît équitable de proposer en outre que, en vertu de l’article 69, paragraphe 3, du règlement de procédure, chacun supporte ses propres dépens.

175. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, la Commission, qui est intervenue en la cause, doit elle aussi supporter ses propres dépens.

V –    Conclusion

176. Au vu des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de déclarer:

–        Dans l’affaire C-145/04 que:

«1)      En reconnaissant à des personnes, telles que les Qualifying Commonwealth Citizens, qui n’ont pas la qualité de ressortissants du Royaume‑Uni ni la nationalité d’aucun autre État membre de l’Union européenne, le droit de voter aux élections du Parlement européen à Gibraltar [article 16, paragraphes 1 et 5, de la European Parliament (Representation) Act 2003], le Royaume‑Uni a manqué aux obligations qui découlent pour lui de l’annexe II de la décision des représentants des États membres réunis au sein du Conseil, 76/787/CECA, CEE, Euratom, du 20 septembre 1976, relative à l’acte portant élection des représentants à l’Assemblée au suffrage universel direct.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Le Royaume d’Espagne et le Royaume‑Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord supporteront chacun leurs propres dépens.

4)      La Commission des Communautés européennes supportera ses propres dépens.»

–        Dans l’affaire C-300/04 que:

«1)      Le droit communautaire et, en particulier le principe général d’égalité, s’oppose à ce qu’un État membre, qui reconnaît le droit de vote aux élections nationales et, par voie de conséquence, européennes à ses propres ressortissants qui résident sur la partie européenne de son territoire ainsi qu’à ceux qui résident dans des pays tiers, refuse – sans justification objective – le droit de voter aux élections du Parlement européen à ses ressortissants qui résident sur une autre partie du territoire constituant un territoire d’outre-mer associé à la Communauté.

2)      En l’absence de réglementation communautaire, il appartient au droit interne de chaque État membre de définir les mesures permettant le rétablissement des droits d’une personne qui, en raison d’une disposition nationale contraire au droit communautaire, n’a pas été inscrite sur les registres électoraux et a donc été exclue de la participation aux élections du Parlement européen. Ces mesures doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité.»


1 – Langue originale: l’italien.


2 – Déclaration nº 2 relative à la nationalité d’un État membre, annexée au traité de Maastricht (JO 1992, C 191, p. 45).


3 –      Conformément à cette disposition, le Conseil a adopté la directive 93/109/CE, du 6 décembre 1993, fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants (JO L 329, p. 34).


4 – JO L 278, p. 1.


5 – Décision du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002, modifiant l’acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision 76/787 (JO L 283, p. 1).


6 – Pour un rappel complet du cadre juridique communautaire relatif à Gibraltar, nous nous permettons de renvoyer à nos conclusions du 16 janvier 2003, dans l’affaire Commission/Royaume‑Uni, qui a donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2003 (C‑30/01, Rec. p. I‑9481, en particulier p. I-9483).


7 – Sur la situation coloniale de Gibraltar, voir la résolution de 2429 (XXIII) du 18 décembre 1968 des Nations unies.


8 – SI 2004/366.


9 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Matthews c. Royaume‑Uni [CG], nº 24833/94, CEDH 1999-I.


10 –      Note sans objet dans la version française.


11 –      Note sans objet dans la version française.


12 – JO 2004, C 310.


13 – Wet raadplegend referendum Europese Grondwet (Stb. 2005, p. 44).


14 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, point 54.


15 – Ibidem, point 53.


16 – Ibidem, points 34 et 64.


17 – Ibidem, points 64 et 65.


18 – L’article 6, paragraphe 1, UE prévoit en effet que «L’Union est fondée sur les principes de liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres».


19 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique du 2 mars 1987, série A n° 11, p. 22 et 23, § 51 et Hirst c. Royaume‑Uni du 6 octobre 2005 (nº 2), 74025/01, § 59.


20 – Arrêts Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, précité, § 51, et Hirst c. Royaume‑Uni, § 59.


21 – Arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, § 43.


22 – Arrêt Hirst c. Royaume‑Uni, précité, § 58.


23 – Il est à peine nécessaire de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, UE, «L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire».


24 – Voir Cour eur. D. H., arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, précité, § 59.


25 – Voir lignes directrices du code de bonne conduite en matière électorale adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le biais du droit du Conseil de l’Europe (connue sous le nom de Commission de Venise) dans sa 52e session (Venise, 18‑19 octobre 2002) (§ 1) et le rapport explicatif y afférent.


26 – L’article 138, paragraphe 3, du traité, dans sa version initiale, ne prévoyait pas expressément cette seconde option, disposant simplement que «[l]e Parlement européen élaborera des projets en vue de permettre l’élection au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres». Le Conseil et le Parlement ont toutefois interprété cette disposition comme permettant l’introduction progressive d’une procédure uniforme.


27 – Dans la «nouvelle déclaration du gouvernement du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord concernant la définition du terme «ressortissants» (JO 1983, C 23, p. 1) de 1982, qui a remplacé, à compter du 1er janvier 1983, la déclaration de 1972 annexée à l’acte final du traité relatif à l’adhésion du Royaume‑Uni, il est précisé que, «[e]n ce qui concerne le Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, les termes ‘ressortissants’, ‘ressortissants des États membres’ ou ‘ressortissants des États membres et des pays et territoires d’outre-mer’, lorsqu’ils sont utilisés dans le traité instituant la Communauté économique européenne, le traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique ou le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier ou dans tout acte communautaire découlant de ces traités, doivent être compris comme se référant aux: a) citoyens britanniques; b) personnes qui sont des sujets britanniques en vertu de la quatrième partie de la loi de 1981 sur la nationalité britannique et qui possèdent le droit de résidence au Royaume‑Uni et sont de ce fait dispensés du contrôle d’immigration du Royaume‑Uni; c) citoyens des territoires dépendants britanniques acquérant leur citoyenneté du fait d’un lien avec Gibraltar».


28 – C’est nous qui mettons en italique.


29 – Arrêt du 14 octobre 2004, Omega (C-36/02, Rec. p. I-9609, point 33). Il s’agit d’une jurisprudence bien établie: voir, parmi les plus récents, arrêts du 18 juin 1991, ERT (C-260/89, Rec. p. I-2925, point 41); du 6 mars 2001, Connolly/Commission (C‑274/99 P, Rec. p. I-1611, point 37); du 22 octobre 2002, Roquette Frères (C‑94/00, Rec. p. I-9011, point 25), et du 12 juin 2003, Schmidberger (C-112/00, Rec. p. I-5659, point 71).


30 – Arrêts précités Schmidberger, point 74, et Omega, point 35.


31 – Arrêts Schmidberger, précité, point 73; ERT, précité, point 41, et du 29 mai 1997, Kremzow (C‑299/95, Rec. p. I-2629, point 14).


32 – Arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, point 33.


33 – Ibidem, point 64.


34 – Sur le caractère exceptionnel du recours au vote par correspondance, voir lignes directrices du code de bonne conduite en matière électorale et rapport explicatif y afférent (point 38), précités note 25.


35 – À cet égard, voir lignes directrices du code de bonne conduite en matière électorale [paragraphe 1, point 1, sous b)] et rapport explicatif y afférent [paragraphe 1, point 1, sous b)], précités note 25.


36 – Sauf s’ils ont résidé pendant au moins dix ans aux Pays-Bas ou travaillent dans la fonction publique.


37 – Nous nous sommes déjà prononcé sur cette question plus haut, dans le cadre de l’analyse du premier moyen soulevé par le gouvernement espagnol dans l’affaire C‑145/04 (voir points 62 et suiv.).


38 – Arrêt du 7 juillet 1992, Micheletti e.a. (C‑369/90, Rec. p. I‑4239, point 10); du 20 février 2001, Kaur (C‑192/99, Rec. p. I‑1237, point 19), et du 19 octobre 2004, Zhu et Chen (C‑200/02, Rec. p. I‑9925, point 37).


39 – Déclaration n° 2 relative à la nationalité d’un État membre, annexée au traité de Maastricht.


40 – Cour eur. D. H., arrêt Hirst c. Royaume‑Uni, précité, § 62.


41 – Cour eur. D. H., décision Hilbe c. Lichtenstein, n° 31981/96, CEDH 1999 – VI, ainsi qu’arrêts Melnitchenko c. Ukraine du 19 octobre 2004, n° 17707/02, § 56, CEDH 2004 – X, et Hirst, précité, § 52.


42 – Cour eur. D. H., arrêt Melnitchenko c. Ukraine, précité, § 56.


43 – Cour eur. D. H., arrêt Matthews c. Royaume‑Uni, précité, § 34 et 64.


44 – Arrêts du 12 février 1992, Leplat (C‑260/90, Rec. p. I‑643, point 10), et du 22 novembre 2001, Pays‑Bas/Conseil (C‑110/97, Rec. p. I‑8763, point 49).


45 – Voir, en dernier lieu, décision 2001/822/CE du Conseil, du 27 novembre 2001, relative à l’association des pays et territoires d’outre‑mer à la Communauté européenne («décision d’association outre‑mer») (JO L 314, p. 1).


46 – Arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C‑184/99, Rec. p. I‑6193, point 31), et du 11 juillet 2002, Dhoop (C‑224/98, Rec. p. I‑6191, point 28).


47 – Arrêts du 29 juin 1995, SCAC (C‑56/94, Rec. p. I‑1769, point 27); du 17 avril 1997, EARL de Kerlast (C‑15/95, Rec. p. I‑1961, point 35); du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a. (C‑354/95, Rec. p. I‑4559, point 61), et du 13 avril 2000, Karlsson e.a. (C‑292/97, Rec. p. I‑2737, point 39).


48 – Arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C‑312/93, Rec. p. I‑4599, point 12). Voir, également, dans le même sens, arrêts du 16 décembre 1976, Rewe (33/76, Rec. p. 1989, point 5) et Comet (45/76, Rec. p. 2043, points 12 à 16); du 27 février 1980, Just (68/79, Rec. p. 501, point 25); du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 14); du 25 février 1988, Bianco et Girard (331/85, 376/85 et 378/85, Rec. p. 1099, point 12); du 24 mars 1988, Commission/Italie (104/86, Rec. p. 1799, point 7); du 14 juillet 1988, Jeunehomme et EGI (123/87 et 330/87, Rec. p. 4517, point 17), et du 9 juin 1992, Commission/Espagne (C‑96/91, Rec. p. I‑3789, point 12).