Language of document : ECLI:EU:C:2009:124

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

5 mars 2009 (*)

«Demande de décision préjudicielle ? Article 12 CE – Interdiction des discriminations en raison de la nationalité – Articles 39 CE, 43 CE, 49 CE et 56 CE – Libertés fondamentales garanties par le traité CE – Article 87 CE – Aide d’État – Directive 89/552/CEE – Exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle ? Obligation, pour les opérateurs de télévision, d’affecter une partie de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens, un taux de 60 % de ce financement étant consacré à la production d’œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles du Royaume d’Espagne et qui sont produites majoritairement par l’industrie cinématographique espagnole»

Dans l’affaire C‑222/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne), par décision du 18 avril 2007, parvenue à la Cour le 3 mai 2007, dans la procédure

Unión de Televisiones Comerciales Asociadas (UTECA)

contre

Administración General del Estado,

en présence de:

Federación de Asociaciones de Productores Audiovisuales

Radiotelevisión Española (RTVE),

Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales (Egeda),

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. C. W. A. Timmermans (rapporteur), président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, J. Makarczyk, P. Kūris et L. Bay Larsen, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 juillet 2008,

considérant les observations présentées:

–        pour l’Unión de Televisiones Comerciales Asociadas (UTECA), par Me S. Muñoz Machado, abogado, et Mme M. Cornejo Barranco, procuradora,

–        pour la Federación de Asociaciones de Productores Audiovisuales, par Mes M. A. Albaladejo et M. E. Klimt, abogados, ainsi que par M. A. Blanco Fernández, procurador,

–        pour l’Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales (Egeda), par Mes J. Suárez Lozano et M. Benzal Medina, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement belge, par Mme C. Pochet, en qualité d’agent, assistée de Mes A. Berenboom et A. Joachimowicz, avocats,

–        pour le gouvernement hellénique, par Mmes E.-M. Mamouna et O. Patsopoulou, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme A.-L. During, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. F. Arena, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. P. T. Kozek, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mme E. Montaguti, ainsi que par MM. R. Vidal Puig et T. Scharf, en qualité d’agents,

–        pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. B. Alterskjær et Mme L. Young, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 4 septembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12 CE et 87 CE, ainsi que de l’article 3 de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997 (JO L 202, p. 60, ci-après la «directive»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours formé par l’Unión de Televisiones Comerciales Asociadas (ci-après l’«UTECA») contre un décret royal imposant aux opérateurs de télévision d’affecter, d’une part, 5 % de leurs recettes d’exploitation de l’année précédente au financement de la production de longs et de courts métrages cinématographiques ainsi que de films de télévision européens et, d’autre part, 60 % de ce financement à des productions dont la langue originale est l’une des langues officielles du Royaume d’Espagne.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Le vingt-sixième considérant de la directive 89/552 prévoit:

«[…] dans le souci de promouvoir activement telle ou telle langue, les États membres doivent conserver la faculté de fixer des règles plus strictes ou plus détaillées en fonction de critères linguistiques, pour autant que ces règles respectent le droit communautaire et, notamment, ne soient pas applicables à la retransmission de programmes originaires d’autres États membres».

4        Aux termes du septième considérant de la directive 97/36:

«[…] tout cadre législatif relatif aux nouveaux services audiovisuels doit être compatible avec l’objectif principal de la présente directive, qui est de créer le cadre juridique pour la libre circulation des services».

5        Le quarante-quatrième considérant de la directive 97/36 dispose:

«[…] les États membres ont la faculté d’appliquer aux organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines coordonnés par la présente directive, y compris, notamment, des règles visant à réaliser des objectifs en matière linguistique […]».

6        Le quarante-cinquième considérant de la directive 97/36 énonce:

«[…] l’objectif d’une aide à la production audiovisuelle européenne peut être atteint dans les États membres dans le cadre de l’organisation de leurs services de radiodiffusion, entre autres en attribuant une mission d’intérêt général à certains organismes de radiodiffusion, notamment l’obligation d’investir largement dans des productions européennes».

7        L’article 3, paragraphe 1, de la directive prévoit:

«Les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par la présente directive.»

8        L’article 4, paragraphe 1, de la directive dispose:

«Les États membres veillent chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des œuvres européennes, au sens de l’article 6, une proportion majoritaire de leur temps de diffusion, à l’exclusion du temps consacré aux informations, à des manifestations sportives, à des jeux, à la publicité, aux services de télétexte et au télé-achat. Cette proportion, compte tenu des responsabilités de l’organisme de radiodiffusion télévisuelle à l’égard de son public en matière d’information, d’éducation, de culture et de divertissement, devra être obtenue progressivement sur la base de critères appropriés.»

9        Aux termes de l’article 5 de la directive:

«Les États membres veillent, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent au moins 10 % de leurs temps d’antenne, à l’exclusion du temps consacré aux informations, à des manifestations sportives, à des jeux, à la publicité, aux services de télétexte et au télé-achat, ou alternativement, au choix de l’État membre, 10 % au moins de leur budget de programmation, à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants d’organismes de radiodiffusion télévisuelle. Cette proportion, compte tenu des responsabilités des organismes de radiodiffusion télévisuelle à l’égard de leur public en matière d’information, d’éducation, de culture et de divertissement, devra être obtenue progressivement sur la base de critères appropriés; elle doit être atteinte en réservant une proportion adéquate à des œuvres récentes, c’est-à-dire des œuvres diffusées dans un laps de temps de cinq ans après leur production.»

 La réglementation nationale

10      Le décret royal 1652/2004, portant approbation du règlement régissant l’investissement obligatoire pour le financement anticipé de longs et courts métrages cinématographiques et de films de télévision, européens et espagnols (Real decreto 1652/2004 por el que se aprueba el Reglamento que regula la inversión obligatoria para la financiación anticipada de largometrajes y cortometrajes cinematográficos y películas para televisión, europeos y españoles), du 9 juillet 2004 (BOE n° 174, du 20 juillet 2004, p. 26264), met partiellement en œuvre la législation espagnole en matière de télévision et de cinématographie. Cette législation est constituée par la loi 25/1994, incorporant dans l’ordre juridique espagnol la directive 89/552/CEE, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (Ley 25/1994 por la que se incorpora al ordenamiento jurídico español la Directiva 89/552/CEE del Consejo, sobre la coordinación de disposiciones legales, reglamentarias y administrativas de los Estados miembros relativas al ejercicio de la actividad de radiodifusión televisiva), du 12 juillet 1994 (BOE n° 166, du 13 juillet 1994, p. 22342), telle que modifiée par la loi 22/1999, du 7 juin 1999 (BOE n° 136, du 8 juin 1999), puis par la deuxième disposition additionnelle de la loi 15/2001, visant à favoriser et à promouvoir la cinématographie et le secteur audiovisuel (Ley 15/2001 de fomento y promoción de la cinematografía y el sector audiovisual), du 9 juillet 2001 (BOE n° 164, du 10 juillet 2001, p. 24904).

11      Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la loi 25/1994, telle que modifiée par la loi 22/1999:

«1.      Les opérateurs de télévision réservent 51 % de leur temps d’antenne annuel à la diffusion d’œuvres audiovisuelles européennes.

Pour s’acquitter de cette obligation, ils affectent au moins, chaque année, 5  % du montant total des recettes perçues durant l’exercice précédent, d’après leur compte d’exploitation, au financement de longs métrages cinématographiques et de films de télévision européens.»

12      Par suite de la modification apportée par la deuxième disposition additionnelle de la loi 15/2001, l’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, de ladite loi a été remplacé par les dispositions suivantes:

«Les opérateurs de télévision ayant la responsabilité éditoriale de chaînes de télévision dont la programmation comporte des longs métrages cinématographiques de production actuelle, c’est-à-dire dont l’ancienneté est inférieure à sept ans depuis leur date de production, affectent au moins, chaque année, 5 % du montant total des recettes perçues durant l’exercice précédent, d’après leur compte d’exploitation, au financement anticipé de la production de longs et courts métrages cinématographiques et de films de télévision européens, y compris ceux relevant des hypothèses visées à l’article 5, paragraphe 1, de la loi visant à favoriser et à promouvoir la cinématographie et le secteur audiovisuel. 60 % de ce financement est affecté à des productions dont la langue originale est l’une des langues officielles de l’Espagne.

À ces fins, on entend par films de télévision les œuvres audiovisuelles dont les caractéristiques sont similaires à celles des longs métrages cinématographiques, c’est-à-dire les œuvres unitaires durant plus de soixante minutes avec un dénouement final, ayant pour particularité de donner lieu à une exploitation commerciale n’incluant pas leur projection dans des salles de cinéma; et par recettes d’exploitation, on entend celles provenant de la programmation et de l’exploitation de la chaîne ou des chaînes de télévision donnant naissance à l’obligation en cause, telles qu’elles se reflètent dans leurs comptes d’exploitation ayant fait l’objet d’un audit.

Le gouvernement, après consultation de tous les secteurs intéressés, pourra établir par voie réglementaire les durées exigibles pour qu’une œuvre audiovisuelle soit considérée comme un film de télévision.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      L’UTECA a intenté un recours contre le décret royal 1652/2004 devant le Tribunal Supremo. Dans sa requête, elle demande que tant ce décret royal que les dispositions législatives sur lesquelles il est fondé soient déclarés inapplicables, en faisant valoir que les obligations d’investissement imposées par ceux-ci enfreignent non seulement certaines dispositions de la Constitution espagnole, mais aussi certaines dispositions du droit communautaire.

14      Aux prétentions de l’UTECA se sont opposées à la fois l’Administración General del Estado (Administration générale de l’État) ainsi que la Federación de Asociaciones de Productores Audiovisuales Españoles (Fédération des associations des producteurs audiovisuels espagnols) et l’Entidad de Gestión de Derechos de los Productores Audiovisuales (Entité de gestion des droits des producteurs audiovisuels), ces dernières étant intervenues pour défendre la validité des dispositions attaquées.

15      Le Tribunal Supremo, ayant des doutes, d’une part, quant aux marges de manœuvre dont disposent les États membres pour imposer des normes plus strictes dans les domaines coordonnés par la directive, eu égard en particulier à l’article 3, paragraphe 1, de celle-ci, ainsi que, d’autre part, quant à la compatibilité avec les articles 12 CE et 87 CE de l’obligation de réserver 60 % du financement obligatoire à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles du Royaume d’Espagne, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 3 de la directive […] permet-il aux États membres d’imposer aux opérateurs de télévision l’obligation d’affecter un pourcentage de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens?

2)      Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la question précédente, une réglementation nationale qui, outre qu’elle prévoit l’obligation susmentionnée de financement anticipé, réserve 60 % dudit financement obligatoire à des œuvres dont la langue originale est une langue espagnole, est-elle conforme à ladite directive et à l’article 12 CE lu en combinaison avec les autres dispositions particulières auxquelles celui-ci fait référence?

3)      L’obligation imposée par une réglementation nationale aux opérateurs de télévision consistant à ce que ceux-ci affectent un pourcentage de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques, dont 60 % doit être affecté spécifiquement à des œuvres dont la langue originale est une langue espagnole et qui sont majoritairement produites par l’industrie cinématographique espagnole, constitue-t-elle une aide de l’État au bénéfice de cette industrie au sens de l’article 87 CE?»

 Sur les première et deuxième questions

16      Par ses première et deuxième questions préjudicielles, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive et, plus particulièrement, son article 3 ainsi que l’article 12 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre.

17      Il y a lieu de constater, tout d’abord, que la directive ne contient aucune disposition réglant la question de savoir dans quelle mesure un État membre peut imposer aux opérateurs de télévision d’affecter une partie de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ou dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre. En particulier, les articles 4 et 5 de la directive ne concernent pas ce cas de figure.

18      Ensuite, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive, les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus détaillées ou plus strictes dans les domaines couverts par celle-ci. Toutefois, une telle compétence doit être exercée dans le respect des libertés fondamentales garanties par le traité CE (voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 1999, ARD, C‑6/98, Rec. p. I‑7599, point 49, et du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética, C‑500/06, non encore publié au Recueil, point 31).

19      Enfin, il y a lieu de rappeler que la directive ne procède pas à une harmonisation complète des règles relatives aux domaines qu’elle couvre, mais qu’elle édicte des prescriptions minimales pour les émissions qui émanent de la Communauté européenne et qui sont destinées à être captées à l’intérieur de celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 9 février 1995, Leclerc-Siplec, C‑412/93, Rec. p. I‑179, points 29 et 44, ainsi que du 9 juillet 1997, De Agostini et TV-Shop, C‑34/95 à C‑36/95, Rec. p. I‑3843, point 3).

20      Il s’ensuit que, indépendamment de la question de savoir si une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, relève des domaines couverts par la directive, les États membres restent, en principe, compétents pour adopter une telle mesure, à condition qu’ils respectent les libertés fondamentales garanties par le traité.

21      Dans ces conditions, il convient d’examiner si ladite mesure respecte ces libertés fondamentales.

22      S’agissant d’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, pour autant qu’elle oblige les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens, le dossier soumis à la Cour ne contient aucun élément selon lequel une telle mesure constituerait, dans la pratique, une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité.

23      Au demeurant, il convient de souligner qu’il résulte d’une lecture combinée des septième et quarante-cinquième considérants de la directive 97/36 que l’objectif principal de cette dernière est de créer un cadre juridique pour la libre circulation des services, mention étant faite en même temps, notamment, de l'objectif d’«une aide à la production audiovisuelle européenne», ce dernier pouvant être atteint par, entre autres, «l’obligation d’investir largement dans des productions européennes».

24      En revanche, s’agissant d’une mesure, telle que celle en cause au principal, en tant qu’elle concerne l’obligation d’affecter à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de l’État membre concerné 60 % des 5 % des recettes d’exploitation affectées au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens, une telle mesure constitue, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général aux points 78 à 87 de ses conclusions, une restriction à plusieurs libertés fondamentales, à savoir la libre prestation des services, la liberté d’établissement, la libre circulation des capitaux et la libre circulation des travailleurs.

25      Cependant, une telle restriction à des libertés fondamentales garanties par le traité peut être justifiée dès lors qu’elle répond à des raisons impérieuses d’intérêt général, pour autant qu’elle est propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C‑250/06, Rec. p. I‑11135, point 39 et jurisprudence citée).

26      Selon le gouvernement espagnol, la mesure en cause au principal est fondée sur des raisons culturelles de défense du multilinguisme espagnol.

27      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a reconnu comme constituant une raison impérieuse d’intérêt général l’objectif, poursuivi par un État membre, de défendre et de promouvoir l’une ou plusieurs de ses langues officielles (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 1989, Groener, C‑379/87, Rec. p. 3967, point 19, ainsi que United Pan-Europe Communications Belgium e.a., précité, point 43).

28      Ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 91 de ses conclusions, un tel objectif a également été reconnu comme étant légitime par le législateur communautaire, ainsi que le démontrent le vingt-sixième considérant de la directive 89/552 et le quarante-quatrième considérant de la directive 97/36.

29      Or, une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, en tant qu’elle instaure une obligation d’investir dans des films cinématographiques et de télévision dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre apparaît propre à garantir la réalisation d’un tel objectif.

30      De même, il n’apparaît pas que, dans les circonstances de l’affaire au principal, une telle mesure aille au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif.

31      En effet, en imposant aux opérateurs de télévision d’affecter à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de l’État membre concerné 60 % des 5 % des recettes d’exploitation affectées au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens, une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, concerne, en fin de compte, 3 % des recettes d’exploitation de ces opérateurs. Or, le dossier soumis à la Cour ne contient aucun élément permettant de conclure qu’un tel pourcentage aurait un caractère disproportionné par rapport à l’objectif dont la réalisation est poursuivie.

32      Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la Commission des Communautés européennes, une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, du seul fait qu’elle ne prévoit pas de critères permettant de classer les œuvres concernées en tant que «produits culturels».

33      En effet, la langue et la culture étant intrinsèquement liées, ainsi que le rappelle, notamment, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée lors de la Conférence générale de l’Unesco tenue le 20 octobre 2005 à Paris et approuvée au nom de la Communauté par la décision 2006/515/CE du Conseil, du 18 mai 2006 (JO L 201, p. 15), qui énonce au quatorzième alinéa de son préambule que «la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle», il ne saurait être considéré que l’objectif, poursuivi par un État membre, consistant à défendre et à promouvoir l’une ou plusieurs de ses langues officielles doit nécessairement être assorti d’autres critères culturels pour qu’il puisse justifier une restriction à l’une des libertés fondamentales garanties par le traité. Au demeurant, la Commission n’a pu préciser, dans le cadre de la présente procédure, quels devraient être, concrètement, ces critères.

34      Une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, ne va pas non plus au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, du seul fait que les bénéficiaires du financement concerné sont majoritairement des entreprises productrices de cinéma établies dans cet État membre.

35      En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général au point 110 de ses conclusions, le critère retenu par une telle mesure est un critère linguistique.

36      Or, le fait qu’un tel critère puisse constituer un avantage pour des entreprises productrices de cinéma, qui travaillent dans la langue visée par ledit critère et qui, dès lors, peuvent, en pratique, être majoritairement originaires de l’État membre dont cette langue constitue une langue officielle, apparaît comme étant inhérent à l’objectif poursuivi. Une telle situation ne saurait constituer, en elle-même, la preuve du caractère disproportionné de la mesure en cause au principal, sous peine de vider de son sens la reconnaissance, en tant que raison impérieuse d’intérêt général, de l’objectif, poursuivi par un État membre, de défendre et de promouvoir l’une ou plusieurs de ses langues officielles.

37      Enfin, s’agissant de l’article 12 CE, dont la juridiction de renvoi demande également l’interprétation et qui consacre le principe général de non-discrimination en raison de la nationalité, il y a lieu de rappeler que cette disposition n’a vocation à s’appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règle spécifique de non-discrimination (arrêt du 11 janvier 2007, Lyyski, C‑40/05, Rec. p. I‑99, point 33 et jurisprudence citée).

38      Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre, dans les domaines de la libre circulation des travailleurs, du droit d’établissement, de la libre prestation des services et de la libre circulation des capitaux, respectivement, par les articles 39, paragraphe 2, CE, 43 CE, 49 CE et 56 CE (voir, s’agissant de l’article 39, paragraphe 2, CE, arrêt Lyyski, précité, point 34; en ce qui concerne l’article 49 CE, arrêt du 11 décembre 2003, AMOK, C‑289/02, Rec. p. I‑15059, point 26, ainsi que, s’agissant des articles 43 CE et 56 CE, arrêt du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec. p. I‑289, point 99).

39      Dès lors qu’il résulte de ce qui précède qu’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, n’apparaît pas contraire auxdites dispositions du traité, elle ne saurait non plus être considérée comme étant contraire à l’article 12 CE.

40      Il convient, par conséquent, de répondre aux première et deuxième questions que la directive et, plus particulièrement, son article 3 ainsi que l’article 12 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre.

 Sur la troisième question

41      Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5  % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre constitue une aide d’État au bénéfice de l’industrie cinématographique de ce même État membre.

42      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la qualification d’aide requiert que toutes les conditions visées à l’article 87 CE soient remplies, à savoir que, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, que, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, que, troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire et que, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, C‑280/00, Rec. p. I‑7747, points 74 et 75 ainsi que jurisprudence citée).

43      Plus particulièrement, il résulte de la jurisprudence de la Cour que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, la distinction établie dans cette disposition entre les «aides accordées par les États» et les aides accordées «au moyen de ressources d’État» ne signifie pas que tous les avantages consentis par un État constituent des aides, qu’ils soient ou non financés au moyen de ressources étatiques, mais vise seulement à inclure dans cette notion les avantages qui sont accordés directement par l’État ainsi que ceux qui le sont par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État (arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C‑379/98, Rec. p. I‑2099, point 58 et jurisprudence citée).

44      Or, il n’apparaît pas que l’avantage que procure une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, à l’industrie cinématographique de ce même État membre constitue un avantage qui est accordé directement par l’État ou par l’intermédiaire d’un organisme public ou privé, désigné ou institué par cet État.

45      En effet, un tel avantage résulte d’une réglementation générale imposant aux opérateurs de télévision, que ceux-ci soient publics ou privés, d’affecter une partie de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision.

46      En outre, pour autant qu’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, s’applique à des opérateurs de télévision publics, il n’apparaît pas que l’avantage concerné dépende du contrôle exercé par les pouvoirs publics sur de tels opérateurs ou de directives données par ces mêmes pouvoirs à de tels opérateurs (voir, par analogie, arrêt du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, 67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219, point 37).

47      Il convient, par conséquent, de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre ne constitue pas une aide d’État au bénéfice de l’industrie cinématographique de ce même État membre.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, telle que modifiée par la directive 97/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, et, plus particulièrement, son article 3 ainsi que l’article 12 CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre.

2)      L’article 87 CE doit être interprété en ce sens qu’une mesure prise par un État membre, telle que celle en cause au principal, obligeant les opérateurs de télévision à affecter 5 % de leurs recettes d’exploitation au financement anticipé de films cinématographiques et de télévision européens ainsi que, plus spécifiquement, 60 % de ces 5 % à des œuvres dont la langue originale est l’une des langues officielles de cet État membre ne constitue pas une aide d’État au bénéfice de l’industrie cinématographique de ce même État membre.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.