Language of document : ECLI:EU:C:2014:2106

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NIILO JÄÄSKINEN

présentées le 17 juillet 2014 (1)

Affaire C‑354/13

FOA Fag og Arbejde, agissant pour Karsten Kaltoft

contre

Kommunernes Landsforening (KL), agissant pour Billund Kommune

[demande de décision préjudicielle formée par le retten i Kolding (Danemark)]

«Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Discrimination fondée sur un handicap – Interrogation sur la question de savoir si les droits fondamentaux de l’Union comprennent une interdiction générale de discrimination sur le marché du travail fondée sur l’obésité – Champ d’application de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’Union européenne – L’obésité équivaut-elle à un ‘handicap’ au sens de l’article 1er de la directive 2000/78/CE?»





I –    Introduction

1.        L’obésité est un problème en expansion dans la société moderne (2). Dans la présente question préjudicielle, il est demandé à la Cour de déterminer, pour la première fois, quelles sont les dispositions du droit de l’Union qui, le cas échéant, s’appliquent à la discrimination fondée sur l’obésité.

2.        M. Kaltoft, partie requérante au principal, soutient d’abord que la municipalité de Billund (Danemark) a mis fin au contrat de travail d’assistant maternel qui le liait à cette dernière en raison de son obésité, et que cela équivaut à une discrimination fondée sur un handicap. M. Kaltoft déclare ensuite qu’à aucun moment durant la période où il était employé par la municipalité de Billund, il n’a pesé moins de 160 kg. Il mesure 1,72 mètre. Les parties s’accordent sur le fait que, durant les quinze années où il a été employé en qualité d’assistant maternel auprès de la municipalité de Billund, il était obèse au sens de la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (3) .

3.        La position de M. Kaltoft repose sur deux arguments principaux. En premier lieu, il est avancé que l’obésité relève de l’interdiction générale du droit de l’Union qui couvre toutes les formes de discrimination sur le marché du travail, et que cette règle a été violée par la municipalité de Billund par le licenciement de M. Kaltoft. En second lieu, M. Kaltoft soutient que l’obésité est une forme de «handicap», de sorte que la discrimination fondée sur l’obésité est interdite par les articles 1er et 2 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (4).

II – Le cadre juridique, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

A –    Dispositions applicables

1.      Le droit de l’Union

4.        Conformément à son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet «d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement», alors que son article 2 confirme qu’elle vise autant la discrimination directe que la discrimination indirecte, même si cette dernière est la seule à être soumise à la condition de justification objective.

5.        Le champ d’application de la directive 2000/78 est déterminé à l’article 3. L’article 3, paragraphe 1, sous c), dispose que, dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, y compris aux organismes publics, en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération.

2.      Le droit danois

6.        La question préjudicielle cite les articles 1er, 2, paragraphes 1, 2 bis et 7 bis, de la loi interdisant la discrimination sur le marché du travail, loi consolidée nº 1349 (lov om forbud mod forskelsbehandling på arbejdsmarkedet m.v., lovbekendtgørelse nr. 1349), du 16 décembre 2008 (ci-après la «forskelsbehandlingsloven»), comme étant les dispositions pertinentes du droit danois. La directive 2000/78 a été transposée au moyen d’une modification de la forskelsbehandlingsloven.

7.        Aux termes de la forskelsbehandlingsloven, l’on entend par «discrimination» toute discrimination directe ou indirecte fondée, entre autres, sur un handicap. Une telle discrimination par les employeurs est interdite, entre autres, en matière de licenciement.

B –    Les faits et les questions préjudicielles

8.        Le requérant, Karsten Kaltoft, qui est représenté par son syndicat, la FOA Fag og Arbejde (ci‑après la «FOA»), est employé depuis l’année 1996 en qualité d’assistant maternel par la municipalité de Billund, qui fait partie de l’administration publique du Danemark. Les assistants maternels sont employés pour prendre soin des enfants d’autres personnes à leur propre domicile. En raison de l’obésité de M. Kaltoft, la municipalité de Billund, au titre de sa politique en matière de santé, a fourni à ce dernier une assistance financière pour la période comprise entre les mois de janvier 2008 et janvier 2009 pour lui permettre de participer à des cours de remise en forme et à d’autres activités physiques.

9.        M. Kaltoft a été licencié par courrier du 22 novembre 2010. Le licenciement a eu lieu après une procédure formelle d’entretien, applicable aux licenciements d’employés du secteur public. Durant un entretien survenu dans le cadre de cette procédure, le sujet de l’obésité de M. Kaltoft a été abordé. Les parties sont en désaccord tant sur la question de savoir comment l’obésité de M. Kaltoft en est venue à être évoquée au cours de cette réunion, que sur celle de la mesure dans laquelle il a été admis que l’obésité de M. Kaltoft avait été un élément pris en compte dans le processus décisionnel. La raison exposée dans le courrier de licenciement était que celui-ci avait été décidé «après évaluation concrète motivée par la baisse du nombre d’enfants». L’obésité n’était pas mentionnée dans ce courrier, qui ne précisait pas non plus pour quelles raisons précisément le choix du licenciement s’était porté sur M. Kaltoft parmi les autres assistants maternels employés par la municipalité de Billund.

10.      M. Kaltoft soutient qu’il a fait l’objet d’une discrimination illégale en raison de son obésité, et que la municipalité de Billund doit lui verser une indemnisation en raison de la discrimination qu’elle lui a fait subir. Il a engagé une procédure devant le Retten i Kolding (Danemark) pour obtenir gain de cause.

11.      Le 25 juin 2013, le Retten i Kolding a déféré les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Est‑il contraire au droit de l’Union, tel qu’il trouve expression, par exemple, à l’article 6 TUE sur les droits fondamentaux, que, sur le marché du travail, de manière générale ou plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, il soit procédé à une discrimination fondée sur l’obésité?

2)      Une éventuelle interdiction en droit de l’Union de toute discrimination fondée sur l’obésité est‑elle directement applicable aux rapports entre un ressortissant danois et son employeur, ce dernier étant une administration publique?

3)      Si la Cour constate une interdiction dans l’Union de la discrimination sur le marché du travail fondée sur l’obésité soit générale, soit plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, l’appréciation de la question de savoir s’il y a eu méconnaissance d’une éventuelle interdiction de la discrimination fondée sur l’obésité doit‑elle résulter d’une charge de la preuve partagée, de sorte que, dans un cas où l’existence d’une telle discrimination peut être présumée, l’application effective de cette interdiction exige que la charge de la preuve incombe à l’employeur visé par une plainte ou agissant en qualité de partie défenderesse à une procédure contentieuse (voir considérant 18 de la directive 97/80/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe, JO L 14, p. 6)?

4)      L’obésité peut‑elle être considérée comme constituant un handicap relevant de la protection de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et selon quels critères faut‑il apprécier si l’état d’obésité d’une personne a concrètement pour effet qu’elle doit bénéficier de la protection conférée par cette directive contre la discrimination fondée sur un handicap?»

12.      La FOA, agissant au nom de M. Kaltoft, la municipalité de Billund, représentée par la Kommunernes Landsforening (association des municipalités danoises), le Royaume du Danemark et la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans cette affaire. Toutes ces parties ont participé par l’intermédiaire de leurs représentants à l’audience qui s’est tenue le 12 juin 2014.

III – Analyse

A –    Observations préliminaires

13.      En premier lieu, il est important d’être attentif à la portée des questions préjudicielles. La première et les deux suivantes concernent le point de savoir si l’obésité peut être considérée comme un motif indépendant de discrimination qui, selon M. Kaltoft, est illégal du fait d’un principe général du droit de l’Union qui interdit toute forme de discrimination sur le marché du travail.

14.      La quatrième question préjudicielle, par contre, demande en substance si l’obésité est systématiquement ou dans certains cas seulement comprise dans la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78.

15.      Une réponse négative à la première question préjudicielle rend inutile de répondre aux deuxième et troisième questions telles que formulées par la juridiction nationale, étant donné qu’elles concernent également la prétendue interdiction générale du droit de l’Union qui couvre toutes les formes de discrimination sur le marché du travail. Je viendrai ensuite à la conclusion qu’il n’existe pas de principe général en droit de l’Union qui interdise la discrimination sur le marché du travail, et qui couvre la discrimination fondée sur l’obésité en tant que moyen indépendant de discrimination illégale. Cependant, selon moi, l’obésité d’une certaine gravité pourrait constituer un handicap au sens de la directive 2000/78.

B –    Existe‑t‑il une interdiction générale en droit de l’Union concernant toutes les formes de discrimination, y compris la discrimination liée à l’obésité (première question)?

16.      Il existe quatre articles dans les traités qui traitent la question du handicap. Il s’agit de l’article 10 TFUE, selon lequel «[d]ans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur […] un handicap», de l’article 19 TFUE, qui fournit les bases juridiques pour que l’Union européenne adopte les actions nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur un handicap, de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la «Charte»), qui interdit «toute discrimination fondée notamment sur […] un handicap», et de l’article 26 de la Charte qui énonce que «l’Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté».

17.      En revanche, l’obésité n’est pas mentionnée en tant que motif interdit de discrimination dans les articles précédemment exposés, ni dans aucune autre disposition du droit de l’Union. Cependant, l’article 21 de la Charte laisse une ouverture dans la mesure où il interdit «toute discrimination fondée notamment sur un handicap». Partant, sur le fondement du libellé de cet article, pris isolément, il pourrait être soutenu qu’il existe un principe général de non‑discrimination en droit de l’Union qui couvre des motifs qui ne sont pas expressément mentionnés à l’article 21 de la Charte. L’on pourrait trouver des exemples de ces motifs interdits de discrimination dans des conditions physiologiques telles que l’apparence ou la taille, des caractéristiques psychologiques telles que le tempérament ou le caractère, ou des facteurs sociaux tels que la classe sociale ou le statut social.

18.      S’il existe une interdiction générale de discrimination sur le marché du travail qui résulte du droit de l’Union, elle devrait être fondée sur i) les dispositions de la Charte sur l’interdiction de discrimination (article 21) (5) ou ii) les principes généraux du droit de l’Union résultant des traditions constitutionnelles communes aux États membres ou garanties dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après la «CEDH»). Au soutien de ce qui précède, M. Kaltoft s’appuie sur l’article 14 de la CEDH, sur le protocole nº 12 à la CEDH et sur les dispositions ouvertes des Constitutions estonienne, néerlandaise, polonaise, suédoise et finlandaise qui interdisent la discrimination.

19.      Cependant, il importe de garder à l’esprit que la Cour a affirmé que l’article 6, paragraphe 1, TUE interdit le recours à la Charte pour étendre «en aucune manière les compétences de l’Union telles que définies dans les traités» (6), tandis que l’article 51, paragraphe 2, de la Charte a été interprété de manière similaire (7). Ces dispositions établissent une limite externe aux dispositions de l’Union relatives aux droits fondamentaux qui s’appliquent au présent litige.

20.      Conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, celle‑ci ne lie les États membres que lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En vertu de la jurisprudence de la Cour jusqu’à présent, le fait que la discrimination survienne dans un domaine aussi important que le marché du travail n’est pas un fondement suffisant pour conclure qu’un État membre, en l’espèce le Royaume du Danemark, «met en œuvre» le droit de l’Union (8). De la même manière, lorsque l’objet de la procédure au principal ne concerne pas l’interprétation ou l’application d’une règle du droit de l’Union autre que celle figurant dans la Charte, ce lien est insuffisant (9).

21.      Au contraire, pour qu’une situation juridique entre dans le champ d’application des droits fondamentaux de l’Union tels qu’ils apparaissent dans la Charte, il doit exister avec le droit de l’Union un lien de rattachement d’un certain degré, dépassant le voisinage des matières visées ou les incidences indirectes de l’une des matières sur l’autre (10).

22.      Le lien requis est établi lorsqu’il existe une disposition particulière et identifiée du droit de l’État membre, en l’espèce le droit danois, qui relève du champ d’application (matériel) d’une règle du droit de l’Union tout aussi spécifique et identifiée, qu’elle soit établie dans un acte législatif de l’Union ou dans les traités eux‑mêmes (11). Il ne ressort pas du dossier de la présente affaire que ce processus de double identification ait été effectué en l’espèce. Le recours est plutôt fondé sur l’existence d’un principe général du droit de l’Union interdisant toute discrimination sur le marché du travail.

23.      En outre, les articles 10 et 19 TFUE sont, selon moi, insuffisants pour établir qu’un État membre met en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 21 de la Charte. Ainsi que l’avocat général Wahl l’a observé dans ses conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Z (12), l’article 10 TFUE contient une clause générale qui fixe un objectif particulier de politique que l’Union s’est engagée à atteindre. Il y a lieu d’ajouter que l’article 19 TFUE établit seulement une base juridique pour les mesures visant à éviter la discrimination dans le cadre des compétences de l’Union et qu’il ne saurait être appliqué à des motifs de discrimination qui n’y sont pas expressément énoncés (13). La Cour a récemment rappelé qu’une loi nationale susceptible d’affecter indirectement le fonctionnement d’une organisation commune des marchés agricoles ne saurait constituer un lien de rattachement suffisant entre cette législation et le droit de l’Union pour déclencher l’application de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (14). De même, le fait qu’une décision d’une autorité publique d’un État membre, ici une décision licenciant M. Kaltoft, soit susceptible d’affecter la politique de l’Union en matière de lutte contre la discrimination ne peut pas davantage constituer le lien de rattachement exigé à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

24.      Conformément aux explications relatives à la Charte, l’article 21, paragraphe 1, de cet instrument «ne modifie dès lors pas l’étendue des compétences conférées par l’article 19 ni l’interprétation de cet article» (15). De surcroît, tous les actes législatifs de l’Union qui interdisent un comportement discriminatoire se réfèrent à certains motifs concrets de discrimination dans des domaines spécifiques et n’interdisent pas de manière générale tout traitement discriminatoire. Sur ce point, outre la directive 2000/78, qui établit un cadre général pour le traitement égalitaire en matière d’emploi et d’activité par rapport à une orientation religieuse, ou à une conviction, à un handicap, à un âge ou à une orientation sexuelle, je pense à des mesures telles que la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (16), et la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (17). Ces mesures interdisent la discrimination non pas de manière générale, mais pour des motifs qui figurent dans ces instruments.

25.      Ainsi, conclure à l’inverse qu’un lien général entre un État membre et le droit des marchés du travail de l’Union suffit pour pouvoir invoquer la protection des droits fondamentaux de l’Union au niveau national enfreindrait la limite externe de la législation de l’Union en matière de droits fondamentaux. En effet, la Cour a jugé que, même si la législation relative aux droits fondamentaux de l’Union comprend le principe général de non‑discrimination et que celui‑ci lie donc les États membres lorsque la situation nationale en cause dans l’affaire au principal relève du champ d’application du droit de l’Union, «toutefois, il n’en résulte pas que le champ d’application de la directive 2000/78 doive être étendu par analogie au‑delà des discriminations fondées sur les motifs énumérés de manière exhaustive à l’article 1er de celle‑ci» (18).

26.      Enfin, je n’accepte pas les arguments de M. Kaltoft selon lesquels le principe général du droit de l’Union interdisant une discrimination fondée sur l’âge, qui est désormais retranscrit à l’article 21, paragraphe 1, de la Charte et qui peut, dans certaines circonstances, avoir un effet horizontal direct entre deux parties privées, appuie sa thèse de quelque façon que ce soit (19). Il n’y a aucune disposition dans les règles pertinentes relatives à la discrimination fondée sur l’âge qui tendrait vers l’existence d’un principe général du droit interdisant la discrimination sur le marché du travail en général. Les dispositions constitutionnelles communes à une poignée d’États membres ou un protocole de la CEDH, tel que le protocole nº 12 (entré en vigueur le 1er avril 2005) ne peuvent pas non plus établir un principe général du droit qui obligerait les États membres à combattre la discrimination sur le fondement de motifs qui, à la différence de l’âge, ne sont pas énoncés dans les traités ou dans la législation de l’Union. En outre, l’article 14 de la CEDH ne saurait étendre la compétence de l’Union en ce qui concerne le principe de non‑discrimination tel qu’il est énoncé par l’article 21 de la Charte.

27.      Eu égard aux raisons qui précèdent, je propose à la Cour de répondre négativement à la première question. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire de répondre aux deuxième et troisième questions, telles qu’elles sont formulées dans la décision de renvoi (20).

C –    L’obésité peut‑elle est considérée comme un «handicap» (quatrième question)?

1.      De la notion de «handicap» dans la directive 2000/78

28.      Il y a lieu d’observer de prime abord que la signification de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 a été largement examinée dans la jurisprudence de la Cour. Ses éléments principaux sont décrits ci‑dessous.

29.      La notion de «handicap» n’est pas définie dans la directive 2000/78, pas plus que la directive ne renvoie aux lois des États membres pour sa définition (21). Partant, une interprétation autonome et uniforme de la notion de «handicap» a été développée dans la jurisprudence de la Cour, plus récemment dans le contexte de la convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, que l’Union a approuvée par sa décision du 26 novembre 2009 (ci‑après la «convention de l’ONU sur le handicap») (22). La convention de l’ONU sur le handicap fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union à compter de la date de son entrée en vigueur (23). Il y a également lieu de souligner que la directive 2000/78 doit, autant que possible, être interprétée de manière conforme à la convention de l’ONU sur le handicap (24). La Cour a jugé que cette directive a pour objet, en ce qui concerne l’emploi et le travail, «de lutter contre toutes les formes de discrimination fondées sur le handicap» (25) (mise en italique par mes soins).

30.      La notion de «handicap» aux fins de la directive 2000/78 doit être comprise comme se rapportant à des limitations qui résultent, notamment, d’incapacités de longue durée (26), d’incapacités physiques, mentales ou psychologiques qui, en interaction avec diverses barrières (27), peuvent faire obstacle à la participation pleine et effective de la personne concernée à la vie professionnelle, sur une base d’égalité avec les autres travailleurs (28). La Cour a ensuite jugé que l’expression «personnes handicapées» employée à l’article 5 de la directive 2000/78 doit être interprétée comme incluant toutes les personnes atteintes d’un handicap correspondant à cette définition (29).

31.      Le champ d’application de la directive 2000/78 ne saurait être étendu par analogie, au‑delà des motifs de discrimination qui figurent à son article 1er, au moyen d’un renvoi au principe de droit général de non‑discrimination du droit de l’Union (30). Partant, en tant que telle, la maladie ne constitue pas un motif de discrimination interdit par la directive 2000/78 (31).

32.      Partant, bien que la directive 2000/78 ne comporte aucune indication laissant entendre que les travailleurs sont protégés au titre de l’interdiction de discrimination fondée sur un handicap dès qu’ils contractent une maladie quelconque (32), une jurisprudence constante indique que «si une maladie curable ou incurable» entraîne une limitation correspondant à la définition ci‑dessus, cette maladie peut relever de la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78 (33) si elle a fait l’objet d’un diagnostic médical (34) et que la limitation est une limitation de longue durée (35). La Cour a jugé qu’«il irait à l’encontre de l’objectif même de cette directive, qui est de mettre en œuvre l’égalité de traitement, d’admettre que celle‑ci puisse s’appliquer en fonction de l’origine du handicap» (36).

33.      En tenant compte de l’objectif de la directive 2000/78 qui est, notamment, de permettre à une personne handicapée d’avoir accès à un emploi ou d’y participer, la notion de «handicap» doit être entendue en ce sens qu’elle couvre non seulement l’impossibilité d’exercer une activité professionnelle, mais également une gêne à l’exercice de celle‑ci (37). La convention de l’ONU sur le handicap reconnaît à son considérant e) que «la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres». Ainsi, à l’article 1er, paragraphe 2, de la convention de l’ONU sur le handicap, l’expression «l’interaction avec diverses barrières» renvoie aux barrières comportementales et environnementales.

34.      Partant, une maladie ou un défaut anatomique ou physiologique tel que l’absence d’un organe ne constitue pas en soi un handicap au sens de la directive 2000/78 si elle n’implique pas une limitation qui gêne la participation pleine et effective de la personne à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. Par exemple, l’absence de fonction corporelle ou d’organe, ou une maladie exigeant une attention particulière, une médication continue et un contrôle peut constituer un fardeau physiologique ou psychologique pour la personne concernée mais sans rendre impossible l’exercice plein et effectif d’un emploi ou gêner sa participation sur une base d’égalité dans la vie professionnelle en général (38).

35.      Cela explique pourquoi la Cour a jugé dans l’arrêt Z (EU:C:2014:159) qu’une femme qui n’avait pas d’utérus et à qui son employeur refusait un congé maternité après être devenue mère par l’intermédiaire d’une gestation pour autrui, alors que les femmes qui devenaient mères en donnant naissance à un enfant ou en adoptant un enfant disposaient de ce droit, ne souffrait pas d’un handicap au sens de la directive 2000/78. La Cour a déclaré qu’«il ne ressort pas de la décision de renvoi que l’affection dont souffre Mme Z. ait entraîné par elle‑même une impossibilité, pour l’intéressée, d’accomplir son travail ou ait constitué une gêne dans l’exercice de son activité professionnelle» (39).

36.      Antérieurement, en légère contradiction avec le point 81 de son arrêt dans l’affaire Z (EU:C:2014:159), la Cour a déclaré que même les personnes qui s’occupent de personnes souffrant d’un handicap relèvent du champ d’application de la directive 2000/78. Ainsi, dans l’arrêt Coleman (EU:C:2008:415), aucun lien n’a été établi entre le handicap en cause et le travail particulier en cause (pas plus que ce lien n’apparaît dans l’affaire HK Danmark, EU:C:2013:222). Dans l’arrêt Coleman, la Cour examinait la question de savoir si le champ d’application de la directive 2000/78 couvrait une situation dans laquelle une employée qui n’était pas elle‑même handicapée était discriminée du fait qu’elle s’occupait d’un enfant handicapé.

37.      La Cour a estimé dans l’arrêt Coleman que le principe d’égalité de traitement dans le domaine du handicap s’appliquait non pas à une catégorie particulière de personnes mais qu’il s’appliquait en fonction des motifs énumérés à l’article 1er de la directive. En conséquence, il n’apparaît pas que le principe d’égalité de traitement qu’elle vise à garantir soit limité aux personnes ayant elles‑mêmes un handicap au sens de cette directive. Cette directive a plutôt pour objet de créer au sein de l’Union une égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (40) .

38.      Partant, il suffit qu’une maladie durable entrave la participation pleine et efficace à la vie professionnelle en général, sur une base d’égalité avec des personnes qui ne souffrent pas de cette maladie. Il n’est pas nécessaire d’établir un lien entre le travail concerné et le handicap en cause pour que la directive 2000/78 puisse s’appliquer.

39.      Par exemple, une femme, agent de voyage, en fauteuil roulant, qui est renvoyée parce que le nouveau propriétaire considère que son handicap est incompatible avec la nouvelle image qu’il souhaite donner de l’agence ne peut pas être empêchée de s’appuyer sur les articles 1er et 2 de la directive 2000/78 du seul fait que tous ses collègues effectuent également le travail requis en étant assis, de sorte que le travail en cause n’est pas affecté par sa maladie. Cela est important compte tenu des arguments avancés par la municipalité de Billund, le Royaume du Danemark et la Commission en ce qui concerne le travail d’assistant maternel correctement effectué par M. Kaltoft pendant quinze ans. Je traiterai ces points ci‑après, sous III, C, 2.

40.      Je compléterai mon analyse des dispositions juridiques clés en observant que, conformément à son considérant 17, la directive 2000/78 n’impose pas l’obligation de maintenir l’emploi d’une personne qui est incompétente pour exercer les fonctions essentielles du poste en cause, sans préjudice de l’obligation établie à l’article 5 de la directive 2000/78 de procéder aux aménagements nécessaires afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement pour les personnes handicapées. Cela signifie que les employeurs sont tenus d’adopter des mesures appropriées, en fonction des besoins de chaque situation particulière, afin de permettre à une personne handicapée d’accéder à l’emploi, de participer à un travail ou de progresser professionnellement, à moins que ces mesures n’aboutissent à l’imposition d’une charge disproportionnée pour l’employeur (41).

41.      Ainsi qu’il résulte des considérations qui précèdent, les principes élaborés par la Cour pour déterminer la signification de la notion de «handicap» reflètent un large éventail de types de situations qui relèvent de son champ d’application. Selon moi, cela signifie que la jurisprudence, tout comme le droit de l’Union pertinent, a adopté, en suivant l’approche de la convention de l’ONU sur le handicap, un modèle de handicap social et non (simplement) médical (42).

2.      La capacité d’exercer un emploi n’exclue pas le handicap

42.      Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, la jurisprudence de la Cour renvoie à l’impossibilité d’exercer un travail ou à la gêne dans l’exercice d’une activité professionnelle (43). Cela met en évidence une distinction entre l’incapacité absolue ou relative par rapport à un travail particulier et la participation entière et effective à la vie professionnelle en général.

43.      Cette distinction est importante, car la municipalité de Billund, le Royaume du Danemark et la Commission soutiennent qu’on ne saurait prétendre que l’obésité de M. Kaltoft implique une limitation qui pourrait gêner la participation entière et effective à une vie professionnelle sur une base d’égalité avec les autres salariés, car il a travaillé pendant quinze ans en qualité d’assistant maternel pour la municipalité et qu’il a participé à la vie professionnelle sur un pied d’égalité avec les autres assistants maternels qui travaillaient pour cette municipalité. En d’autres termes, l’obésité de M. Kaltoft ne peut pas avoir nécessairement empêché son travail en tant qu’assistant maternel.

44.      Il est vrai qu’en ce qui concerne l’impossibilité d’exercer un travail spécifique, ou l’existence d’obstacles à l’exercice de ce travail, l’applicabilité de la notion de «handicap» dépend des circonstances concrètes du travail en question et non pas d’une classification abstraite sur le degré d’incapacité en tant que tel à caractère médical ou aux fins de sécurité sociale. Comme l’avocat général Bot l’a récemment fait observer, tout dépend des «obstacles» qu’elle rencontre lorsqu’elle entre en contact avec cet environnement (44). Cependant, il existe certaines incapacités physiques, mentales ou psychologiques de longue durée qui ne rendent pas impossibles certains emplois, mais qui rendent plus difficile la réalisation de ce travail ou la participation aux objectifs de la vie professionnelle. Les handicaps qui affectent sérieusement la mobilité ou qui réduisent de manière importante les sens tels que la vue ou l’ouïe en sont des exemples typiques.

45.      Donc, pour revenir à l’exemple précité d’un agent de voyage en fauteuil roulant, travailler en fauteuil roulant est un obstacle à une participation pleine et effective à une vie professionnelle sur une base d’égalité avec des personnes qui ne sont pas dans le même état, étant donné que cette situation entraîne des difficultés physiques pour réaliser des tâches, même si elles n’affectent pas la capacité de la personne concernée à exercer le travail spécifique en cause.

46.      Il est établi que la directive 2000/78 est notamment destinée à garantir que les personnes handicapées aient accès à un travail et puissent participer à la vie professionnelle. Partant, la notion de «handicap» doit être entendue comme visant une gêne à l’exercice d’une activité professionnelle et non uniquement comme une impossibilité d’exercer une telle activité (45). De surcroît, l’argument avancé par la municipalité de Billund, le Royaume du Danemark et la Commission aurait pour résultat absurde d’exclure du champ d’application de la directive 2000/78 des personnes qui étaient handicapées lorsqu’elles sont parvenues à obtenir un poste particulier ou qui ont développé un handicap au cours de leur contrat de travail, mais qui ont réussi à continuer de travailler.

47.      Partant, ainsi que je l’ai précédemment indiqué, il suffit qu’une affection de longue durée entraîne des limitations à la participation pleine et effective à la vie professionnelle en général sur une base d’égalité avec des personnes qui ne souffrent pas de cette affection. En outre, il résulte de la décision de la Cour dans l’arrêt Coleman (EU:C:2008:415) que le handicap visé peut même avoir été acquis non par la personne victime de discrimination, mais par une personne à la charge de l’employée qui invoque la directive 2000/78. Par conséquent, il n’est pas nécessaire qu’il soit impossible à M. Kaltoft d’exercer son métier d’assistant maternel auprès de la municipalité de Billund pour qu’il puisse invoquer la protection contre la discrimination fondée sur le handicap prévue par la directive 2000/78. La jurisprudence exige seulement qu’il remplisse les conditions qui figurent au point 30 des présentes conclusions.

48.      Par souci d’exhaustivité, j’aborderai la question, débattue lors de l’audience, de savoir si un handicap présumé à tort et la discrimination qui en résulte relèvent du champ d’application de la directive 2000/78. En d’autres termes, y a‑t‑il une discrimination illégale, fondée sur un handicap, lorsque l’employeur considère sans raison qu’un employé souffre d’un handicap et qu’il est donc limité dans sa capacité pour effectuer les tâches de manière adéquate, ce qui conduit en conséquence à un traitement inapproprié de l’employé (46)?

49.      Selon moi, il n’est pas nécessaire de prendre position sur cette difficile question juridique dans le contexte de la présente question préjudicielle. En effet, il n’est pas contesté que M. Kaltoft souffre d’obésité. Si la juridiction nationale estime que ce problème de santé équivaut à un handicap et que M. Kaltoft a été licencié pour cette raison, alors toute différence de traitement sera fondée sur un handicap réel et non simplement présumé.

3.      L’obésité équivaut‑elle à un handicap?

50.      L’obésité est habituellement mesurée par rapport à l’indice de masse corporelle (IMC), qui est le résultat du poids d’une personne exprimé en kilogrammes, divisé par le carré de sa taille en mètres (kg/m2). L’OMS répartit l’obésité en trois classes en fonction de l’IMC. Les personnes avec un IMC compris entre 30 et 34,99 sont des obèses de classe I, les personnes avec un IMC compris entre 35 et 39,99 sont des obèses de classe II et les personnes avec un IMC supérieur à 40 sont des obèses de classe III (47), cette obésité étant parfois désignée sous le nom d’obésité sévère, extrême ou morbide.

51.      Conformément à la question préjudicielle et aux observations écrites de M. Kaltoft, ce dernier a été obèse pendant toute la durée de son contrat de travail auprès de la municipalité de Billund. En 2007, son IMC était de 54, ce qui représente une obésité extrême. M. Kaltoft explique ensuite dans ses observations écrites que durant la période où il était employé, des professionnels de santé lui ont conseillé de se soumettre à une opération gastrique pour réduire le volume de son estomac. Néanmoins, l’opération n’a pas pu être menée à terme en raison d’un incident médical grave survenu au cours de sa réalisation. Selon moi, la juridiction nationale devrait tenir compte de cet élément pour déterminer si la maladie de M. Kaltoft a été médicalement diagnostiquée conformément au critère établi par la Cour dans l’arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222) sur les circonstances dans lesquelles une maladie de longue durée peut être considérée comme un handicap.

52.      M. Kaltoft soutient que l’OMS estime que l’obésité est une maladie chronique et durable. De surcroît, il souligne dans ses observations écrites que l’obésité a été estimée être un handicap en vertu du droit des États‑Unis d’Amérique (48). M. Kaltoft soutient que l’obésité peut entraîner des limitations physiques qui créent des obstacles à une participation pleine et effective à la vie professionnelle, que ce soit à cause d’une mobilité réduite ou des pathologies ou symptômes qui en découlent, et elle peut également entraîner des limitations sur le marché du travail en raison des préjudices fondés sur l’apparence physique.

53.      Le gouvernement du Danemark et la Commission semblent concorder sur le fait que l’obésité d’une certaine sévérité peut remplir les critères exposés dans la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la notion de «handicap» au sens de la directive 2000/78, néanmoins, la détermination de ce point incombe aux juridictions nationales.

54.      Il y a lieu d’indiquer que la classification de l’obésité en tant que maladie par l’OMS n’est pas en tant que telle suffisante pour faire de l’obésité un handicap aux fins de la directive 2000/78. En effet, comme expliqué ci‑dessus, les maladies en tant que telles ne sont pas comprises dans le champ d’application de la directive 2000/78.

55.      J’estime également que, dans les cas où l’état d’obésité a atteint un niveau tel que, en combinaison avec des barrières liées à l’attitude et au comportement, comme indiqué dans la convention de l’ONU sur le handicap, elle rend manifestement difficile la pleine participation à la vie professionnelle sur une base d’égalité avec d’autres employés en raison des limites physiques ou psychologiques qu’elle entraîne, alors cette obésité peut être considérée comme un handicap.

56.      Cependant, la «simple» obésité au sens de l’obésité de classe I de l’OMS est insuffisante pour remplir les critères établis par la jurisprudence de la Cour sur le «handicap», au sens de la directive 2000/78. En effet, pour une personne de la taille de M. Kaltoft (1,72 m), un poids de 89 kg suffit à aboutir à un IMC supérieur à 30. Selon moi, il est très probable que seule l’obésité de classe III, conformément à la classification de l’OMS, qui est une obésité sévère, extrême ou morbide, créera des limitations, telles que des problèmes de mobilité, d’endurance et d’humeur, qui équivalent à un «handicap» aux fins de la directive 2000/78.

57.      Cette position n’entraîne pas une extension des fondements de discrimination énumérés exhaustivement à l’article 1er de la directive 2000/78, au sens exclu par l’arrêt Chacón Navas (49). La Cour a déjà observé, au considérant e) de la convention de l’ONU sur le handicap, qu’elle reconnaît que la notion de «handicap» est évolutive (50).

58.      Enfin, j’ai déjà indiqué au point 32 des présentes conclusions que la Cour a jugé qu’«il irait à l’encontre de l’objectif même de cette directive, qui est de mettre en œuvre l’égalité de traitement, d’admettre que celle‑ci puisse s’appliquer en fonction de l’origine du handicap» (51). Partant, en ce qui concerne l’obésité, il n’est pas pertinent aux fins de la directive 2000/78 que la personne concernée soit devenue obèse en raison de simples apports excessifs en énergie par rapport à l’énergie dépensée, ou si cette obésité peut être expliquée par un problème psychologique ou métabolique, ou en raison de l’effet secondaire d’un traitement médicamenteux (52). La notion de «handicap» en vertu de la directive 2000/78 est objective et ne dépend pas de savoir s’il a été «auto‑infligé», en ce sens que la personne a contribué à l’acquisition du handicap. Autrement, les handicaps physiques résultant de prises de risques conscientes et négligentes dans le cadre de la circulation routière ou des sports, par exemple, pourraient être exclus de la notion de «handicap» au sens de l’article 1er de la directive 2000/78.

59.      Au cours de l’audience, le représentant de l’employeur s’inquiétait de ce que l’admission de l’obésité sous quelque forme que ce soit comme constituant un handicap conduirait à des résultats intolérables car l’alcoolisme et les addictions à la drogue pourraient, en tant que maladies graves, être couverts par cette notion. J’estime que cette inquiétude n’est pas pertinente. Il est vrai qu’en termes médicaux, l’alcoolisme et l’addiction à des substances psychotropes sont des maladies. Cependant, cela ne signifie pas qu’un employeur est tenu de tolérer une violation par un employé de ses obligations contractuelles en raison de ces pathologies. Par exemple, un licenciement fondé sur le fait qu’un employé soit venu travailler alors qu’il était sous les effets de l’alcool ou de drogues est fondé non pas sur l’alcoolisme ou la toxicomanie en tant que telle, mais sur une violation du contrat de travail que l’employé aurait pu éviter en s’abstenant de consommer de l’alcool ou les substances en cause. En présence de ces maladies, comme dans le cas des autres maladies, tout employeur peut légitimement attendre de l’employé qu’il recherche le traitement médical adéquat nécessaire pour lui permettre d’accomplir correctement ses obligations en vertu de son contrat de travail. Il y a lieu de rappeler que l’article 5 de la directive 2000/78 exige seulement que les employeurs fournissent des «aménagements raisonnables» pour les personnes handicapées.

60.      Pour les raisons qui précèdent, je propose de répondre à la quatrième question en ce sens que seule une obésité sévère peut être considérée comme équivalente à un handicap au sens de l’article 1er de la directive 2000/78 et uniquement si elle satisfait à tous les critères établis dans la jurisprudence de la Cour sur la notion de «handicap». Il incombe à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas pour M. Kaltoft.

IV – Conclusion

61.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux première et quatrième questions de la demande de renvoi préjudiciel du Retten i Kolding comme suit:

1)      Le droit de l’Union ne contient pas de principe général interdisant aux employeurs de procéder à une discrimination fondée sur l’obésité sur le marché du travail.

2)      L’obésité sévère peut constituer un handicap couvert par la protection offerte par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail si, en interaction avec plusieurs barrières, elle rend difficile une participation pleine et effective de la personne concernée à la vie professionnelle sur une base d’égalité avec les autres travailleurs. Il incombe à la juridiction nationale de déterminer si tel est le cas de la partie requérante dans la procédure au principal.


1 –      Langue originale: l’anglais.


2 –      Pour une vision d’ensemble sur le plan européen, voir notamment le livre blanc de la Commission intitulé «Une stratégie européenne sur les problèmes de santé liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité» [COM(2007) 279 final].


3 –      L’obésité n’est pas un phénomène clairement défini mais recouvre un éventail allant de la simple condition de grave surpoids à l’obésité morbide. Pour plus de détails, notamment pour savoir comment l’OMS définit l’obésité, voir ci-après, sous III, C, 3.


4 –      JO L 303, p. 16. Voir notamment arrêts Chacón Navas (C‑13/05, EU:C:2006:456); Coleman (C‑303/06, EU:C:2008:415); Odar (C‑152/11, EU:C:2012:772); HK Danmark (C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222); Commission/Italie (C‑312/11, EU:C:2013:446); Z (C‑363/12, EU:C:2014:159) et Glatzel (C‑356/12, EU:C:2014:350).


5 –      Il y a lieu d’observer que la Cour a récemment jugé que l’article 26 de la Charte, sur l’intégration de personnes souffrant de handicap, «ne saurait, en lui‑même, conférer aux particuliers un droit subjectif invocable en tant que tel» (arrêt Glatzel, EU:C:2014:350, point 78).


6 –      Arrêt Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, point 23, mise en italique par mes soins).


7 –      Idem. Voir, également, arrêt Pringle (C‑370/12, EU:C:2012:756, point 179).


8 –      Voir, notamment, orientations dégagées dans l’arrêt Åkerberg Fransson (EU:C:2013:105).


9 –      Arrêt Torralbo Marcos (C‑265/13, EU:C:2014:187, point 33).


10 –      Arrêt Siragusa (C‑206/13, EU:C:2014:126, point 24).


11 –      Voir, notamment, l’analyse entreprise par la Cour aux points 24 à 28 de l’arrêt Åkerberg Fransson (EU:C:2013:105). Voir, également, arrêt Texdata Software (C‑418/11, EU:C:2013:588), dans lequel la Cour a jugé au point 44 que la situation à traiter était «spécifiquement régie» par une directive (spécifique). Pour des exemples de cas jusqu’à la date d’aujourd’hui, dans lesquels aucun lien n’a été établi avec le droit de l’Union pour cause de non‑satisfaction de cette double condition d’identification, voir arrêt Vinkov (C‑27/11, EU:C:2012:326); ordonnances Pedone (C‑498/12, EU:C:2013:76); Gentile (C‑499/12, EU:C:2013:77) et Sociedade Agrícola e Imobiliária da Quinta de S. Paio (C‑258/13, EU:C:2013:810).


12 –      C‑363/12, EU:C:2013:604, point 112.


13 –      Voir, en ce sens, arrêt Chacón Navas (EU:C:2006:456, point 55).


14 –      Voir arrêts Siragusa (EU:C:2014:126, point 29), qui cite les arrêts Annibaldi (C‑309/96, EU:C:1997:631, point 22) et Kremzow (C‑299/95, EU:C:1997:254, point 16).


15 –      JO 2007 C 303, p. 17, explications relatives à l’article 21.


16 –      JO L 180, p. 22.


17 –      JO L 204, p. 23.


18 –      Arrêt Chacón Navas (EU:C:2006:456, point 56). Voir aussi, notamment, arrêt Betriu Montull (C‑5/12, EU:C:2013:571), dans lequel la Cour a jugé au point 73 qu’à la date des faits du litige au principal, ni le traité CE, ni aucune directive de l’Union, ni aucune autre disposition du droit de l’Union ne prohibait les discriminations entre le père adoptif et le père biologique en ce qui concerne le congé de maternité. Au point 72, la Cour a jugé que la situation sur laquelle elle se prononçait ne relevait pas du champ d’application du droit de l’Union.


19 –      Arrêts Mangold (C‑144/04, EU:C:2005:709) et Kücükdeveci (C‑555/07, EU:C:2010:21).


20 –      Je rappelle néanmoins que la question de la charge de la preuve pour l’application de la directive 2000/78 a été abordée de manière exhaustive dans l’arrêt Coleman (EU:C:2008:415).


21 –      Voir arrêt Chacón Navas (EU:C:2006:456, point 39).


22 –      Voir décision nº 2010/48/CE du Conseil, du 26 novembre 2009 (JO 2010 L 23, p. 35). Ensuite, conformément à l’annexe II de la décision 2010/48, dans le domaine, entre autres, de l’emploi, la directive 2000/78 est l’un des instruments de l’Union qui renvoie à des questions soumises à la convention de l’ONU sur le handicap (voir arrêt HK Danmark, EU:C:2013:222, point 31).


23 –      Voir arrêts HK Danmark (EU:C:2013:222, point 30 et jurisprudence citée) ainsi que Glatzel (EU:C:2014:350, point 68).


24 –      Voir arrêts HK Danmark (EU:C:2013:222, point 32) et Z (EU:C:2014:159, point 75). La Cour l’a récemment confirmé dans l’arrêt Glatzel (EU:C:2014:350, point 70), même si elle y a réaffirmé au point 69 que les dispositions de la convention de l’ONU sur le handicap «ne constituent pas, du point de vue de leur contenu, des dispositions inconditionnelles et suffisamment précises permettant un contrôle de la validité de l’acte du droit de l’Union au regard des dispositions de ladite convention» (arrêt Z, EU:C:2014:159, points 89 et 90).


25 –      Arrêt Coleman (EU:C:2008:415, point 38)


26 –      Cela résulte de l’article 1er, paragraphe 2, de la convention de l’ONU sur le handicap. Les incapacités ne doivent pas cependant être permanentes. Il suffit qu’elles soient «durables». Voir arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 39).


27 –      Conformément au considérant e) du préambule de la convention de l’ONU sur le handicap, ces obstacles peuvent résulter d’une attitude ou d’un environnement particulier. Voir arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 37).


28 –      Arrêts Z (EU:C:2014:159, point 80) et Commission/Italie (EU:C:2013:446, point 56) citant l’arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, points 38 et 39).


29 –      Arrêt Commission/Italie (EU:C:2013:446, point 57, mise en italique par mes soins).


30 –      Arrêt Chacón Navas (EU:C:2006:456, point 56).


31 –      Ibidem (point 57).


32 –      Ibidem (point 46). Pour une discussion sur la relation entre la maladie et le «handicap», voir points 77 à 80 des conclusions de l’avocat général Geelhoed qu’il a présentées dans l’affaire Chacón Navas (EU:C:2006:184) ainsi que points 30 à 38 et 46 des conclusions de l’avocat général Kokott qu’elle a présentées dans l’affaire HK Danmark (EU:C:2012:775).


33 –      Arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 41).


34 –      Ibidem (point 47). Voir, également, point 28 des conclusions de l’avocat général Kokott qu’elle a présentées dans cette affaire (EU:C:2012:775).


35 –      Arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 41).


36 –      Ibidem (point 40). Voir, également, point 32 des conclusions de l’avocat général Kokott qu’elle a présentées dans cette affaire (EU:C:2012:775).


37 –      Arrêt Z (EU:C:2014:159, point 77), qui cite l’arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 44).


38 –      Voir à cet égard arrêt Z (EU:C:2014:159, points 79 et 80). Ainsi que l’avocat général Geelhoed l’a observé dans ses conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Chacón Navas (EU:C:2006:184, point 62), «[t]ant que la déficience génétique n’est pas établie, la personne en question ne sera pas confrontée à la discrimination. Cela peut changer d’un coup, lorsqu’elle est connue, parce que les employeurs ou les assureurs ne souhaitent pas supporter les risques accrus de l’embauche ou de l’assurance de la personne en question».


39 –      Point 81. Voir aussi point 80.


40 –      Arrêt Coleman (EU:C:2008:415, points 38 et 47).


41 –      Arrêt Chacón Navas (EU:C:2006:456, points 49 et 50).


42 –      Sur cette distinction, voir points 83 à 85 des conclusions de l’avocat général Wahl qu’il a présentées dans l’affaire Z (EU:C:2013:604).


43 –      Arrêt Z (EU:C:2014:159, point 81).


44 –      Point 36 des conclusions de l’avocat général Bot qu’il a présentées dans l’affaire Glatzel (EU:C:2013:505). Voir, dans un sens similaire, point 27 des conclusions de l’avocat général Kokott qu’elle a présentées dans l’affaire HK Danmark (EU:C:2012:775), point 84 des conclusions de l’avocat général Wahl qu’il a présentées dans l’affaire Z (EU:C:2013:604) et point 58 des conclusions de l’avocat général Geelhoed qu’il a présentées dans l’affaire Chacón Navas (EU:C:2006:184), dans lesquelles ce dernier a indiqué que «[i]l n’est pas à exclure à cet égard que certaines déficiences physiques ou psychiques aient la nature d’un ‘handicap’ dans un contexte social donné, alors qu’elles ne l’auront pas dans un autre».


45 –      Arrêt Z (EU:C:2014:159, point 77) qui renvoie à l’arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 44).


46 –      Voir point 4.5 du rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la Directive du Conseil 2000/43 et de la directive 2000/78 [COM(2014) 2 final].


47 –      Voir http://apps.who.int/bmi/index.jsp?introPage=intro_3.html. Voir également http://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/mm5917a9.htm.


48 –      Il renvoie à loi américaine sur le handicap (American Disabilities Act), de 1990, et à l’arrêt de l’United States Disctrict Court for the Eastern District of Louisiana, E.E.O.V. v. Resources for Human Dev., Inc. 827 F. Supp. 2d 688, 693‑94 (E.D. La. 2011).


49 –      EU:C:2006:456, point 56.


50 –      Arrêt HK Danmark (EU:C:2013:222, point 37).


51 –      Ibidem (point 40).


52 –      Par exemple, selon une étude, «la prise de poids est associée à l’utilisation de nombreux médicaments psychotropes, y compris des antidépresseurs, des stabilisateurs d’humeur, des drogues antipsychotiques, et peut avoir des conséquences graves durables». Extrait de Ruetsch e.a., «Psychotropic drugs induce weight gain: a review of the literature concerning epidemiological data, mechanisms and management», Encéphale, 2005, accessible à l’adresse en ligne suivante: http:/www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16389718.