Language of document : ECLI:EU:C:2011:798

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

1er décembre 2011 (*)

«Compétence judiciaire en matière civile – Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 6, point 1 – Pluralité de défendeurs – Directive 93/98/CEE – Article 6 – Protection de photographies – Directive 2001/29/CE – Article 2 – Reproduction – Utilisation d’une photographie de portrait comme modèle pour établir un portrait-robot – Article 5, paragraphe 3, sous d) – Exceptions et limitations s’agissant de citations – Article 5, paragraphe 3, sous e) – Exceptions et limitations à des fins de sécurité publique – Article 5, paragraphe 5»

Dans l’affaire C‑145/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Handelsgericht Wien (Autriche), par décision du 8 mars 2010, parvenue à la Cour le 22 mars 2010, dans la procédure

Eva-Maria Painer

contre

Standard VerlagsGmbH,

Axel Springer AG,

Süddeutsche Zeitung GmbH,

Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG,

Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), E. Juhász, G. Arestis et T. von Danwitz, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Painer, par Me G. Zanger, Rechtsanwalt,

–        pour Standard VerlagsGmbH, par Me M. Windhager, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme M. Russo, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme S. Grünheid, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 avril 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), ainsi que de l’article 5, paragraphes 3, sous d) et e), et 5, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Painer, photographe indépendante, à cinq maisons de presse, à savoir Standard VerlagsGmbH (ci-après «Standard»), Axel Springer AG (ci-après «Axel Springer»), Süddeutsche Zeitung GmbH, Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG et Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG, au sujet de l’utilisation par ces dernières de photographies de Natascha K.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3        L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, figurant à l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994, a été approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1).

4        L’article 9, paragraphe 1, de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce dispose:

«Les Membres se conformeront aux articles premier à 21 de la Convention de Berne [pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (acte de Paris du 24 juillet 1971), dans sa version résultant de la modification du 28 septembre 1979 (ci-après la «convention de Berne»)] et à l’Annexe de ladite Convention. Toutefois, les Membres n’auront pas de droits ni d’obligations au titre du présent accord en ce qui concerne les droits conférés par l’article 6bis de ladite Convention ou les droits qui en sont dérivés.»

5        Aux termes de l’article 2, premier alinéa, de la convention de Berne:

«Les termes ‘œuvres littéraires et artistiques’ comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que: les livres, brochures et autres écrits; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales; les œuvres chorégraphiques et les pantomimes; les compositions musicales avec ou sans paroles; les œuvres cinématographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie; les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie; les œuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie; les œuvres des arts appliqués; les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.»

6        L’article 10, premier alinéa, de la convention de Berne stipule:

«Sont licites les citations tirées d’une œuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre, y compris les citations d’articles de journaux et recueils périodiques sous forme de revues de presse.»

7        Selon l’article 12 de la convention de Berne:

«Les auteurs d’œuvres littéraires ou artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser les adaptations, arrangements et autres transformations de leurs œuvres.»

8        En vertu de l’article 37, premier alinéa, sous c) de la convention de Berne:

«En cas de contestation sur l’interprétation des divers textes, le texte français fera foi.»

9        L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et sur les phonogrammes ainsi que le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur. Ces deux traités ont été approuvés au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO L 89, p. 6).

10      Le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur prévoit, à son article 1er, point 4, que les parties contractantes doivent se conformer aux articles 1er à 21 et à l’annexe de la convention de Berne.

 Le droit de l’Union

 Le règlement n° 44/2001

11      Les onzième, douzième et quinzième considérants du règlement n° 44/2001 énoncent:

«(11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. [...]

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

[...]

(15)      Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans deux États membres. [...]»

12      Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

13      L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement prévoit:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

14      L’article 6, point 1, de ce même règlement, qui fait partie de la section 2 du chapitre II de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales», dispose:

«[Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre] peut aussi être attraite:

1)      s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

 La directive 93/98/CEE

15      La directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO L 290, p. 9), énonce à son dix-septième considérant:

«[...] la protection des photographies dans les États membres fait l’objet de différents régimes; [...] pour obtenir une harmonisation suffisante de la durée de protection des œuvres photographiques, et notamment de celles qui, en raison de leur caractère artistique ou professionnel, ont une importance dans le cadre du marché intérieur, il est nécessaire de définir le niveau d’originalité requis dans la présente directive; [...] une œuvre photographique au sens de la convention de Berne doit être considérée comme originale si elle est une création intellectuelle de l’auteur qui reflète sa personnalité, sans que d’autres critères, tels que la valeur ou la destination, ne soient pris en compte; [...] la protection des autres photographies doit pouvoir être régie par la législation nationale».

16      L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive prévoit la protection par le droit d’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique, au sens de l’article 2 de la convention de Berne, durant toute la vie de l’auteur de cette œuvre et pendant 70 ans après sa mort.

17      L’article 6 de ladite directive dispose:

«Les photographies qui sont originales en ce sens qu’elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l’article 1er. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d’autres photographies.»

18      La directive 93/98 a été abrogée par la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins (JO L 372, p. 12), qui procède à sa codification et contient, en substance, les mêmes dispositions. La directive 2006/116 est entrée en vigueur le 16 janvier 2007.

19      Néanmoins, le litige au principal demeure régi, compte tenu de la date des faits, par la directive 93/98.

 La directive 2001/29

20      Les sixième, neuvième, vingt et unième, trente et unième, trente-deuxième et quarante-quatrième considérants de la directive 2001/29 sont rédigés comme suit:

«(6)      En l’absence d’harmonisation à l’échelle communautaire, les processus législatifs au niveau national, dans lesquels plusieurs États membres se sont déjà engagés pour répondre aux défis technologiques, pourraient entraîner des disparités sensibles en matière de protection et, partant, des restrictions à la libre circulation des services et des marchandises qui comportent des éléments relevant de la propriété intellectuelle ou se fondent sur de tels éléments, ce qui provoquerait une nouvelle fragmentation du marché intérieur et des incohérences d’ordre législatif. L’incidence de ces disparités législatives et de cette insécurité juridique se fera plus sensible avec le développement de la société de l’information, qui a déjà considérablement renforcé l’exploitation transfrontalière de la propriété intellectuelle. Ce développement est appelé à se poursuivre. Des disparités et une insécurité juridiques importantes en matière de protection sont susceptibles d’entraver la réalisation d’économies d’échelle pour les nouveaux produits et services protégés par le droit d’auteur et les droits voisins.

[...]

(9)      Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.

[...]

(21)      La présente directive doit définir le champ des actes couverts par le droit de reproduction en ce qui concerne les différents bénéficiaires, et ce conformément à l’acquis communautaire. Il convient de donner à ces actes une définition large pour assurer la sécurité juridique au sein du marché intérieur.

[...]

(31)      Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. [...]

(32)      La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public. Certaines exceptions ou limitations ne s’appliquent qu’au droit de reproduction, s’il y a lieu. La liste tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des États membres tout en visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Les États membres appliquent ces exceptions et limitations de manière cohérente et la question sera examinée lors d’un futur réexamen des dispositions de mise en œuvre.

[...]

(44)      Lorsque les exceptions et les limitations prévues par la présente directive sont appliquées, ce doit être dans le respect des obligations internationales. Ces exceptions et limitations ne sauraient être appliquées d’une manière qui cause un préjudice aux intérêts légitimes du titulaire de droits ou qui porte atteinte à l’exploitation normale de son œuvre ou autre objet. Lorsque les États membres prévoient de telles exceptions ou limitations, il y a lieu, en particulier, de tenir dûment compte de l’incidence économique accrue que celles-ci sont susceptibles d’avoir dans le cadre du nouvel environnement électronique. En conséquence, il pourrait être nécessaire de restreindre davantage encore la portée de certaines exceptions ou limitations en ce qui concerne certaines utilisations nouvelles d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés.»

21      L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive énonce:

«La présente directive porte sur la protection juridique du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre du marché intérieur, avec une importance particulière accordée à la société de l’information.»

22      L’article 2 de ladite directive, relatif au droit de reproduction, dispose:

«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie:

a)      pour les auteurs, de leurs œuvres;

[...]»

23      Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la même directive:

«Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.»

24      L’article 5 de la directive 2001/29, intitulé «Exceptions et limitations», énonce à son paragraphe 3, sous d) et e):

«Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus aux articles 2 et 3 dans les cas suivants:

[...]

d)      lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi;

e)      lorsqu’il s’agit d’une utilisation à des fins de sécurité publique ou pour assurer le bon déroulement de procédures administratives, parlementaires ou judiciaires, ou pour assurer une couverture adéquate desdites procédures;

[...]»

25      L’article 5, paragraphe 5, de ladite directive dispose:

«Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.»

 Le droit national

26      Les dispositions susmentionnées de la directive 2001/29 ont été transposées dans l’ordre juridique autrichien par la loi fédérale sur le droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques et droits voisins (Bundesgesetz über das Urheberrecht an Werken der Literatur und der Kunst und über verwandte Schutzrechte, Urheberrechtsgesetz).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

27      Mme Painer travaille depuis de nombreuses années comme photographe indépendante et photographie, notamment, des enfants dans des écoles maternelles et dans des garderies. Dans le cadre de cette activité, elle a pris plusieurs photographies de Natascha K. en concevant l’arrière-plan, en décidant de la position et de l’expression du visage, en maniant l’appareil photo et en développant ces photographies (ci-après les «photographies litigieuses»).

28      Mme Painer identifie de son nom, depuis plus de 17 ans, les photographies qu’elle réalise. Cette identification s’est effectuée de façons diverses et variées à travers les années, au moyen d’autocollants et/ou de gaufrures sur les pochettes et les passe-partout. Ces indications ont toujours précisé son nom et son adresse professionnelle.

29      Mme Painer a vendu les photographies qu’elle avait réalisées, mais sans conférer à des tiers des droits sur ces photographies et sans consentir à la publication de ces images. Le prix exigé pour des photographies correspondait uniquement au prix des tirages de celles-ci.

30      Après que Natascha K., alors âgée de 10 ans, a été enlevée en 1998, les autorités de sécurité compétentes ont lancé un avis de recherche, dans le cadre duquel les photographies litigieuses ont été utilisées.

31      Les défenderesses au principal sont des éditeurs de presse. Seule Standard a son siège à Vienne (Autriche). Les autres défenderesses au principal ont leur siège en Allemagne.

32      Standard publie le quotidien Der Standard qui est distribué en Autriche. Süddeutsche Zeitung GmbH publie le quotidien Süddeutsche Zeitung, qui est distribué en Autriche et en Allemagne. Spiegel-Verlag Rudolf Augstein GmbH & Co KG publie un hebdomadaire en Allemagne, Der Spiegel, qui paraît également en Autriche. Verlag M. DuMont Schauberg Expedition der Kölnischen Zeitung GmbH & Co KG édite le quotidien Express, qui est uniquement publié en Allemagne. Axel Springer publie le quotidien Bild, dont l’édition nationale n’est pas distribuée en Autriche. L’édition munichoise de ce journal, en revanche, paraît également en Autriche. Axel Springer publie, par ailleurs, un autre quotidien, Die Welt, qui est, lui aussi, distribué en Autriche et exploite également des sites d’information sur Internet.

33      En 2006, Natascha K. réussit à échapper à son ravisseur.

34      À la suite de la fuite de Natascha K., et avant sa première apparition publique, les défenderesses au principal ont publié les photographies litigieuses dans les journaux et sur les sites Internet susmentionnés, sans, toutefois, indiquer le nom de l’auteur de ces photographies ou avec l’indication d’un nom autre que celui de Mme Painer en tant qu’auteur.

35      La couverture médiatique dans les différents journaux et sur les sites Internet différait quant aux photographies litigieuses sélectionnées et au texte qui les accompagnait. Les défenderesses au principal déclarent avoir reçu les photographies litigieuses d’une agence de presse sans que le nom de Mme Painer ait été mentionné ou avec l’indication d’un nom différent de celui de Mme Painer en tant qu’auteur.

36      Plusieurs de ces journaux ont, en outre, publié un portrait, élaboré par traitement informatique à partir d’une des photographies litigieuses, qui, tant qu’il n’existait pas de photographie récente de Natascha K. jusqu’à sa première apparition publique, représentait le visage supposé de Natascha K. (ci-après le «portait-robot litigieux»).

37      Par assignation devant le Handelsgericht Wien, le 10 avril 2007, Mme Painer a demandé de constater que les défenderesses au principal devaient cesser immédiatement de reproduire et/ou de distribuer, sans son consentement et sans indication de son nom en tant qu’auteur, les photographies litigieuses ainsi que le portrait-robot litigieux.

38      Mme Painer a en outre demandé de condamner les défenderesses au principal à une reddition des comptes, à un versement d’une rémunération appropriée et à une indemnisation du préjudice subi.

39      En même temps, Mme Painer a introduit une procédure de référé qui a déjà été tranchée en dernière instance par un arrêt du 26 août 2009 de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême).

40      Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’Oberster Gerichtshof a jugé, en application des dispositions nationales applicables, que les défenderesses au principal n’avaient pas besoin du consentement de Mme Painer pour publier le portrait-robot litigieux.

41      Selon cette juridiction, la photographie litigieuse, qui avait servi de modèle lors de la réalisation du portrait-robot litigieux, était, certes, une œuvre photographique protégée par le droit d’auteur. Toutefois, la réalisation et la publication du portrait-robot litigieux constituaient non pas une adaptation, qui aurait requis le consentement de Mme Painer en tant qu’auteur de l’œuvre photographique, mais une libre utilisation, qui était possible sans son consentement.

42      En effet, la qualification d’adaptation ou de libre utilisation dépendrait de l’activité créatrice s’exprimant dans le modèle initial. Plus le niveau d’activité créatrice est élevé, moins une libre utilisation du modèle est envisageable. S’agissant de photographies de portrait, telles que la photographie litigieuse, le créateur n’a que des possibilités réduites de création artistique originale. Pour cette raison, la portée de la protection conférée par le droit d’auteur à cette photographie est restreinte. En outre, le portrait-robot litigieux établi sur la base de cette photographie constituait une œuvre nouvelle, autonome et elle-même protégée par un droit d’auteur.

43      C’est dans ces conditions que le Handelsgericht Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter l’article 6, point 1, du [règlement n° 44/2001], en ce sens que le fait que les demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques reposent sur des bases juridiques qui diffèrent selon les pays, mais dont le contenu est en substance identique – comme c’est le cas dans tous les États européens en ce qui concerne le droit d’obtenir la cessation du comportement en cause indépendamment de toute faute du défendeur, le droit à une rémunération appropriée au titre des actes portant atteinte au droit d’auteur et le droit à dommages et intérêts au titre de l’utilisation illégale de l’œuvre – ne fait pas obstacle à l’application dudit article et dès lors à ce que ces demandes soient instruites et jugées en même temps?

2)      a) Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 [...], convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous d), de cette même directive en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à son application que l’article de presse citant une œuvre ou un autre objet protégé ne soit pas une œuvre littéraire protégée par un droit d’auteur?

b) Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous d), de cette même directive en ce sens qu’il ne fait pas obstacle à son application que le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète de l’œuvre ou autre objet protégé cité ne soit pas indiqué?

3)      a) Eu égard à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, convient-il d’interpréter l’article 5, paragraphe 3, sous e), de cette même directive en ce sens que l’application dudit article dans l’intérêt de la justice pénale dans le cadre de la sécurité publique requiert un appel concret, actuel et exprès des autorités de sécurité à publier la photographie, c’est-à-dire que la photographie doit être publiée à des fins d’enquête à l’initiative des autorités, et que l’atteinte au droit d’auteur est constituée si tel n’est pas cas?

b) En cas de réponse négative à la question [sous a)] ci-dessus: des médias peuvent-ils se prévaloir de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 également dans le cas où ils décident de leur propre initiative, sans avis de recherche des autorités, si des photographies sont publiées ‘dans l’intérêt de la sécurité publique’?

c) En cas de réponse positive à la question [sous b)] ci-dessus: dans ce cas, suffit-il que des médias affirment a posteriori que des photographies aient été publiées à des fins d’enquête ou est-il en tout état de cause nécessaire qu’un appel concret ait été adressé aux lecteurs, leur demandant de contribuer à élucider une infraction pénale et que cet appel ait été directement associé à la publication de la photographie?

4)      Eu égard, en particulier, à l’article 1er du premier protocole additionnel, du 20 mars 1952, à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [signée à Rome le 4 novembre 1950] ainsi qu’à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, convient-il d’interpréter les dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 1, et 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29 et de l’article 12 de la convention de Berne [...] en ce sens que le droit d’auteur confère à des œuvres photographiques et/ou à des photographies, en particulier des photographies de portrait, une protection ‘moindre’, voire nulle, du fait que, en ce qui concerne la ‘photographie réaliste’, celles-ci offrent des possibilités de création artistique trop réduites?»

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

44      Dans leurs observations, les défenderesses au principal contestent, à divers titres, la recevabilité à la fois de la demande de décision préjudicielle et de plusieurs questions préjudicielles.

45      En premier lieu, les défenderesses au principal soutiennent que la demande de décision préjudicielle doit être rejetée comme irrecevable car, d’une part, la juridiction de renvoi n’a pas suffisamment donné d’explications sur les raisons la faisant douter de l’interprétation du droit de l’Union et, d’autre part, cette juridiction n’a pas établi de lien suffisant entre les dispositions de droit national applicables au litige au principal et celles du droit de l’Union. En particulier, ladite juridiction n’aurait pas cité les normes pertinentes du droit national.

46      À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêts du 17 février 2005, Viacom Outdoor, C‑134/03, Rec. p. I‑1167, point 22; du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 29, ainsi que du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C‑453/03, C‑11/04, C‑12/04 et C‑194/04, Rec. p. I‑10423, point 45).

47      La Cour a également insisté sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. Ainsi, la Cour a jugé qu’il est indispensable que le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation et sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (voir, notamment, arrêts du 21 janvier 2003, Bacardi-Martini et Cellier des Dauphins, C‑318/00, Rec. p. I‑905, point 43, ainsi que ABNA e.a., précité, point 46).

48      En l’espèce, force est de relever que la décision de renvoi expose le cadre factuel et réglementaire national dans lequel s’insèrent les questions posées. En outre, la juridiction de renvoi indique les raisons qui l’ont amenée à estimer nécessaire de poser les questions préjudicielles à la Cour, dans la mesure où elle fait état des points de vue opposés défendus par les parties au principal quant à la compatibilité avec les dispositions du droit de l’Union visées par lesdites questions des dispositions nationales pertinentes telles qu’interprétées par l’Oberster Gerichtshof dans le cadre de la procédure de référé.

49      Il s’ensuit que la Cour dispose d’éléments suffisants lui permettant d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi.

50      Dans ces conditions, l’exception soulevée par les défenderesses au principal sur ce point ne peut qu’être écartée, de sorte que la demande de décision préjudicielle s’avère recevable.

51      En deuxième lieu, les défenderesses au principal estiment, plus particulièrement, que la première question est irrecevable car la juridiction de renvoi n’est pas habilitée à saisir la Cour d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du règlement n° 44/2001. En effet, seules les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne seraient habilitées, en vertu de l’article 68, paragraphe 1, CE, à demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur une interprétation dudit règlement. Or, en l’espèce, les jugements rendus par la juridiction de renvoi, qui serait une juridiction de première instance, seraient susceptibles de recours juridictionnel de droit interne.

52      À cet égard, il y a lieu de relever que le règlement n° 44/2001, sur lequel porte la demande de décision préjudicielle, a été adopté sur le fondement de l’article 65 CE, lequel relève du titre IV de la troisième partie du traité CE.

53      Certes, selon l’article 68, paragraphe 1, CE, les juridictions de première instance ne disposent pas d’un droit de saisine à titre préjudiciel lorsque sont en cause des actes adoptés dans le domaine du titre IV du traité CE.

54      Toutefois, la demande préjudicielle a été présentée le 22 mars 2010, soit après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Or, à compter du 1er décembre 2009, date de l’entrée en vigueur de ce dernier, l’article 68 CE a été abrogé. Ce sont désormais les règles générales gouvernant la demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE qui s’appliquent aux demandes préjudicielles d’interprétation des actes adoptés dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile. Par voie de conséquence, l’article 267 TFUE s’applique également dans le cadre de demandes relatives au règlement n° 44/2001.

55      Partant, les juridictions, telles que la juridiction de renvoi, sont habilitées à saisir la Cour d’une question préjudicielle sur l’interprétation du règlement n° 44/2001.

56      Dans ces conditions, il y a lieu de relever que la première question doit être considérée comme étant recevable.

57      En troisième lieu, les défenderesses au principal font valoir que la deuxième question, sous a), est dépourvue de pertinence et, dès lors, irrecevable, en raison du fait que la juridiction de renvoi n’a pas constaté que les articles de presse en cause dans l’affaire au principal ne sont pas protégés par un droit d’auteur.

58      Toutefois, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération instituée en vertu de l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir arrêts du 5 février 2004, Schneider, C‑380/01, Rec. p. I‑1389, point 21; du 30 juin 2005, Längst, C‑165/03, Rec. p. I‑5637, point 31, ainsi que du 16 octobre 2008, Kirtruna et Vigano, C‑313/07, Rec. p. I‑7907, point 26).

59      Il s’ensuit que les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, Rec. p. I‑11421, point 25; du 7 juin 2007, van der Weerd e.a., C‑222/05 à C‑225/05, Rec. p. I‑4233, point 22, ainsi que Kirtruna et Vigano, précité, point 27).

60      Or, le simple fait que la décision de renvoi ne contient pas une constatation formelle selon laquelle les articles de presse en cause dans l’affaire au principal ne sont pas protégés par un droit d’auteur n’est pas de nature à faire apparaître de manière manifeste que la deuxième question, sous a), est hypothétique ou sans rapport avec la réalité ou l’objet du litige.

61      Partant, la circonstance selon laquelle la juridiction de renvoi n’a pas constaté que les articles en cause dans l’affaire au principal ne sont pas protégés par un droit d’auteur, n’est pas de nature à rendre la deuxième question, sous a), irrecevable.

62      Dans ces conditions, la deuxième question, sous a), doit être considérée comme recevable.

63      En quatrième lieu, la deuxième question, sous b), est, selon les défenderesses au principal, également irrecevable car dans la mesure où la réponse à cette question découle du libellé même de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

64      Toutefois, il n’est nullement interdit à une juridiction nationale de poser à la Cour une question préjudicielle dont, selon l’opinion des défenderesses au principal, la réponse ne laisse place à aucun doute raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2008, UGT-Rioja e.a., C‑428/06 à C‑434/06, Rec. p. I‑6747, points 42 et 43).

65      Ainsi, même à supposer que la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, cette question ne devient pas pour autant irrecevable.

66      Dans ces conditions, la deuxième question, sous b), doit être considérée comme recevable.

67      En cinquième lieu, les défenderesses au principal soutiennent que la quatrième question est irrecevable car elle est trop générale et s’avère sans incidence sur la solution du litige au principal.

68      Toutefois, cette question ne relève d’aucun des cas de figure mentionnés au point 59 du présent arrêt.

69      En effet, la juridiction nationale souhaite savoir si la distinction opérée par l’Oberster Gerichtshof, telle qu’elle ressort des points 41 et 42 du présent arrêt, entre libre utilisation et reproduction d’une photographie de portrait est compatible avec le droit de l’Union. Or, une telle distinction dépend de l’existence et/ou de la portée de la protection conférée selon les critères conférés par le droit de l’Union à un tel objet.

70      La quatrième question posée par la juridiction de renvoi, dans la mesure où elle vise précisément à voir clarifier l’existence et/ou la portée de cette protection, ne saurait, dès lors, être regardée comme n’ayant aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ni comme étant de nature hypothétique.

71      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la quatrième question est recevable.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

72      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que le fait que des demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs, en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques, reposent sur des bases juridiques nationales qui diffèrent selon les États membres s’oppose à l’application de cette disposition.

73      La règle de compétence visée à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 prévoit qu’un défendeur peut être attrait, s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’entre eux à la condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

74      Cette règle spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 2 du règlement n° 44/2001, est d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (voir arrêt du 11 octobre 2007, Freeport, C‑98/06, Rec. p. I‑8319, point 35 et jurisprudence citée).

75      En effet, ainsi qu’il ressort du onzième considérant du règlement n° 44/2001, les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement.

76      Il ne ressort pas du libellé de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 que l’identité des fondements juridiques des actions introduites contre les différents défendeurs fasse partie des conditions prévues pour l’application de cette disposition (arrêt Freeport, précité, point 38).

77      Concernant son objectif, la règle de compétence visée à l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, d’une part, répond, conformément aux douzième et quinzième considérants de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

78      D’autre part, cette même règle ne saurait cependant être appliquée de telle sorte qu’elle permette au requérant de former une demande dirigée contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 1988, Kalfelis, 189/87, Rec. p. 5565, points 8 et 9, ainsi que du 27 octobre 1998, Réunion européenne e.a., C‑51/97, Rec. p. I‑6511, point 47).

79      À cet égard, la Cour a indiqué que, pour que des décisions soient considérées comme inconciliables, au sens de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution du litige, mais encore faut-il que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir arrêt Freeport, précité, point 40).

80      Or, lors de l’appréciation de l’existence du lien de connexité entre différentes demandes, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément, l’identité des fondements juridiques des actions introduites n’est qu’un facteur pertinent parmi d’autres. Elle n’est pas une condition indispensable de l’application de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 (voir, en ce sens, arrêt Freeport, précité, point 41).

81      Ainsi, une différence de fondements juridiques entre des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas, en soi, obstacle à l’application de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, pour autant toutefois qu’il était prévisible pour les défendeurs qu’ils risquaient de pouvoir être attraits dans l’État membre où au moins l’un d’entre eux a son domicile (voir, en ce sens, arrêt Freeport, précité, point 47).

82      Il en va ainsi à plus forte raison lorsque, comme dans l’affaire au principal, les réglementations nationales sur lesquelles sont fondées les actions introduites contre les différents défendeurs s’avèrent, selon la juridiction de renvoi, en substance identiques.

83      Il incombe, par ailleurs, à la juridiction nationale d’apprécier, au regard de tous les éléments du dossier, l’existence du lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si lesdites demandes étaient jugées séparément. Dans ce cadre, le fait que les défendeurs auxquels le titulaire d’un droit d’auteur reproche des atteintes matériellement identiques à son droit ont, ou non, agi de façon indépendante peut être pertinent.

84      Au regard des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que le seul fait que des demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs, en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques, reposent sur des bases juridiques nationales qui diffèrent selon les États membres ne s’oppose pas à l’application de cette disposition. Il incombe à la juridiction nationale, au regard de tous les éléments du dossier, d’apprécier l’existence d’un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément.

 Sur la quatrième question

85      La quatrième question, qu’il convient de traiter en deuxième lieu, a été posée par la juridiction de renvoi en vue d’apprécier le bien-fondé de la position selon laquelle les défenderesses au principal n’avaient pas besoin du consentement de Mme Painer pour publier le portrait-robot litigieux élaboré à partir d’une photographie de portrait, car la portée de la protection conférée à une telle photographie était restreinte, voire nulle, en raison des possibilités de création réduites que ladite photographie permettait.

86      Dès lors, il convient de comprendre la question de la juridiction de renvoi comme visant à savoir, en substance, si l’article 6 de la directive 93/98 doit être interprété en ce sens qu’une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d’être protégée par le droit d’auteur et, dans l’affirmative, si, en raison des possibilités de création artistique prétendument trop réduites que de telles photographies peuvent offrir, cette protection, notamment en ce qui concerne le régime de la reproduction de l’œuvre prévu à l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, est inférieure à celle dont bénéficient d’autres œuvres, notamment photographiques.

87      S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si les photographies réalistes, notamment les photographies de portrait, bénéficient de la protection du droit d’auteur en vertu de l’article 6 de la directive 93/98, il importe de relever que la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International (C‑5/08, Rec. p. I‑6569, point 35), que le droit d’auteur n’est susceptible de s’appliquer que par rapport à un objet, telle une photographie, qui est original en ce sens qu’il est une création intellectuelle propre à son auteur.

88      Ainsi qu’il résulte du dix-septième considérant de la directive 93/98, une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci.

89      Or, tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs (voir, a contrario, arrêt du 4 octobre 2011, Football Association Premier League e.a, C‑403/08 et C‑429/08, non encore publié au Recueil, point 98).

90      S’agissant d’une photographie de portrait, il y a lieu de relever que l’auteur pourra effectuer ses choix libres et créatifs de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation.

91      Au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels.

92      À travers ces différents choix, l’auteur d’une photographie de portrait est ainsi en mesure d’imprimer sa «touche personnelle» à l’œuvre créée.

93      Par conséquent, s’agissant d’une photographie de portrait, la marge dont dispose l’auteur pour exercer ses capacités créatives ne sera pas nécessairement réduite, voire inexistante.

94      Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de considérer qu’une photographie de portrait est susceptible, en vertu de l’article 6 de la directive 93/98, d’être protégée par le droit d’auteur à condition, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d’espèce, qu’une telle photographie soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie.

95      S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si une telle protection est inférieure à celle dont bénéficient d’autres œuvres, notamment les autres œuvres photographiques, il convient d’emblée de relever que l’auteur d’une œuvre protégée bénéficie notamment, en vertu de l’article 2, sous a), de la directive 2001/29, du droit exclusif d’en autoriser ou d’en interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie.

96      À cet égard, la Cour a jugé que la protection conférée par cette disposition doit avoir une portée large (voir arrêt Infopaq International, précité, point 43).

97      En outre, il y a lieu de constater qu’aucun élément dans la directive 2001/29 ou dans une autre directive applicable en la matière ne permet de considérer que l’étendue d’une telle protection serait tributaire d’éventuelles différences dans les possibilités de création artistiques, lors de la réalisation de diverses catégories d’œuvres.

98      Dès lors, s’agissant d’une photographie de portrait, la protection conférée par l’article 2, sous a), de la directive 2001/29 ne saurait être inférieure à celle dont bénéficient d’autres œuvres, y compris les autres œuvres photographiques.

99      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 6 de la directive 93/98 doit être interprété en ce sens qu’une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d’être protégée par le droit d’auteur, à condition, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d’espèce, qu’elle soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie. Dès lors qu’il a été vérifié que la photographie de portrait en cause présente la qualité d’une œuvre, la protection de celle-ci n’est pas inférieure à celle dont bénéficie toute autre œuvre, y compris photographique.

 Sur la troisième question, sous a) et b)

100    Par la troisième question, sous a) et b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que, dans une affaire telle que celle au principal, son application requiert un appel concret, actuel et exprès, émanant des autorités de sécurité, à publier à des fins d’enquête une photographie et, dans l’hypothèse où une telle condition n’est pas exigée, si les médias peuvent se prévaloir de cette disposition dans le cas où ils décident de leur propre initiative, sans avis de recherche des autorités, qu’une photographie est publiée dans l’intérêt de la sécurité publique.

101    À cet égard, force est de constater que les dispositions de la directive 2001/29 n’énoncent pas les circonstances dans lesquelles il est possible d’invoquer un intérêt de sécurité publique en vue de l’utilisation d’une œuvre protégée, de sorte que les États membres qui décident de prévoir une telle exception disposent d’une large marge d’appréciation à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 16 juin 2011, Stichting de Thuiskopie, C‑462/09, non encore publié au Recueil, point 23).

102    En effet, une telle marge d’appréciation est, d’une part, conforme à la conception selon laquelle chaque État membre est le mieux à même de déterminer, conformément à ses besoins nationaux, les exigences de sécurité publique, à la lumière de considérations historiques, économiques, juridiques ou sociales, qui lui sont propres (voir, par analogie, arrêt du 16 décembre 2008, Michaniki, C‑213/07, Rec. p. I‑9999, point 56).

103    D’autre part, cette marge d’appréciation s’avère conforme à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en l’absence de critères suffisamment précis dans une directive pour délimiter les obligations découlant de celle-ci, il appartient aux États membres de déterminer, sur leur territoire, les critères les plus pertinents pour assurer le respect de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, Rec. p. I‑1251, point 34, et du 16 octobre 2003, Commission/Belgique, C‑433/02, Rec. p. I‑12191, point 19).

104    Cela étant, la marge d’appréciation dont jouissent les États membres lorsqu’ils font usage de l’exception visée à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29 doit s’exercer dans les limites imposées par le droit de l’Union.

105    À cet égard, il importe de relever, premièrement, qu’il est de jurisprudence constante que, lorsqu’elles adoptent des mesures d’application d’une réglementation de l’Union, les autorités nationales sont tenues d’exercer leur pouvoir discrétionnaire dans le respect des principes généraux du droit de l’Union, parmi lesquels figure le principe de proportionnalité (voir, notamment, arrêts du 20 juin 2002, Mulligan e.a., C‑313/99, Rec. p. I‑5719, points 35 et 36; du 25 mars 2004, Cooperativa Lattepiú e.a., C‑231/00, C‑303/00 et C‑451/00, Rec. p. I‑2869, point 57, ainsi que du 14 septembre 2006, Slob, C‑496/04, Rec. p. I‑8257, point 41).

106    Conformément à ce principe, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter doivent être aptes à réaliser l’objectif visé et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêts du 14 décembre 2004, Arnold André, C‑434/02, Rec. p. I‑11825, point 45; Swedish Match, C‑210/03, Rec. p. I‑11893, point 47, ainsi que du 6 décembre 2005, ABNA e.a., précité, point 68).

107    Deuxièmement, la marge d’appréciation dont jouissent les États membres ne saurait être utilisée de manière à compromettre l’objectif principal de la directive 2001/29 qui, ainsi qu’il ressort du neuvième considérant de celle-ci, est celui d’instaurer un niveau élevé de protection en faveur, notamment, des auteurs, qui est essentielle à la création intellectuelle.

108    Troisièmement, l’exercice de ladite marge d’appréciation doit respecter l’exigence de sécurité juridique pour les auteurs en ce qui concerne la protection de leurs œuvres, visée par les quatrième, sixième et vingt et unième considérants de la directive 2001/29. Une telle exigence requiert que l’utilisation d’une œuvre protégée, à des fins de sécurité publique, ne soit pas tributaire d’une intervention discrétionnaire de l’utilisateur de l’œuvre protégée lui-même (voir, en ce sens, arrêt Infopaq International, précité, point 62).

109    Quatrièmement, l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, en ce qu’il constitue une dérogation au principe général établi par cette même directive, à savoir l’exigence d’une autorisation du titulaire du droit d’auteur pour toute reproduction d’une œuvre protégée, doit, selon une jurisprudence constante, faire l’objet d’une interprétation stricte (arrêts du 29 avril 2004, Kapper, C‑476/01, Rec. p. I‑5205, point 72, et du 26 octobre 2006, Commission/Espagne, C‑36/05, Rec. p. I‑10313, point 31).

110    Cinquièmement, la marge d’appréciation dont jouissent les États membres est limitée par l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2001/29, qui subordonne l’instauration de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de cette directive à une triple condition, à savoir, tout d’abord, que cette exception ne soit applicable que dans certains cas spéciaux, ensuite, qu’elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et, enfin, qu’elle ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit d’auteur.

111    Au vu de toutes ces exigences et précisions évoquées, il ne saurait être permis à un media, tel que, en l’occurrence, un éditeur de presse, de s’attribuer la protection de la sécurité publique. En effet, seul l’État, dont les autorités compétentes sont dotées de moyens appropriés et de structures coordonnées, doit être considéré comme apte et responsable pour assurer l’accomplissement d’un tel objectif d’intérêt général par des mesures adaptées, y compris, par exemple, la diffusion d’un avis de recherche.

112    Un tel éditeur ne saurait, dès lors, utiliser, de sa propre initiative, une œuvre protégée par un droit d’auteur en invoquant un objectif de sécurité publique.

113    Cela étant, eu égard à la vocation de la presse, dans une société démocratique et un État de droit, d’informer, sans restrictions autres que celles strictement nécessaires, le public, il ne saurait être exclu qu’un éditeur de presse puisse contribuer ponctuellement à l’accomplissement d’un objectif de sécurité publique en publiant une photographie d’une personne recherchée. Toutefois, il doit être exigé que cette initiative, d’une part, s’insère dans le contexte d’une décision prise ou d’une action menée par les autorités nationales compétentes et visant à assurer la sécurité publique et, d’autre part, soit prise en accord et en coordination avec lesdites autorités, afin d’éviter le risque d’aller à l’encontre des mesures prises par ces dernières. Un appel concret, actuel et exprès, émanant des autorités de sécurité, à publier à des fins d’enquête une photographie n’est pas pour autant nécessaire.

114    L’argument des défenderesses, selon lequel, au nom de la liberté de la presse, les médias doivent pouvoir se prévaloir de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, sans avis de recherche des autorités de sécurité, n’est pas susceptible de conduire à une conclusion différente. En effet, ainsi que l’a relevé Mme l’avocat général, au point 163 de ses conclusions, cette disposition a pour seul objectif d’assurer la protection de la sécurité publique et non pas pour objet de mettre en balance la protection de la propriété intellectuelle et la liberté de la presse.

115    Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des articles 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la liberté de la presse n’est pas appelée à s’exercer pour protéger la sécurité publique, mais ce sont les exigences de la protection de la sécurité publique qui sont susceptibles de justifier une restriction à ladite liberté.

116    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question, sous a) et b), que l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’un media, tel qu’un éditeur de presse, ne peut pas utiliser, de sa propre initiative, une œuvre protégée par le droit d’auteur en invoquant un objectif de sécurité publique. Toutefois, il ne saurait être exclu qu’il puisse contribuer ponctuellement à la réalisation d’un tel objectif en publiant une photographie d’une personne recherchée. Il doit être exigé que cette initiative, d’une part, s’insère dans le contexte d’une décision prise ou d’une action menée par les autorités nationales compétentes et visant à assurer la sécurité publique et, d’autre part, soit prise en accord et en coordination avec lesdites autorités, afin d’éviter le risque d’aller à l’encontre des mesures prises par ces dernières, sans qu’un appel concret, actuel et exprès, émanant des autorités de sécurité, à publier à des fins d’enquête une photographie soit pour autant nécessaire.

 Sur la troisième question, sous c)

117    Eu égard à la réponse apportée à la troisième question, sous a) et b), il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question, sous c).

 Sur la deuxième question

 Observations liminaires

118    À titre liminaire, il y a lieu de relever que, par la deuxième question, sous a) et b), la Cour est amenée à interpréter la même disposition du droit de l’Union, à savoir l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29.

119    En vertu de cette disposition, les États membres ont la faculté de prévoir une exception au droit de reproduction exclusif de l’auteur sur son œuvre, lorsqu’il s’agit de citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi.

120    Ladite disposition vise ainsi à empêcher que le droit de reproduction exclusif conféré aux auteurs fasse obstacle à ce que, au moyen de la citation, des extraits d’une œuvre déjà à la portée du public puissent être publiés et assortis de commentaires ou de critiques.

121    Il est constant que l’œuvre évoquée dans l’affaire au principal est une photographie de portrait de Natascha K.

122    Or, il convient d’observer que la juridiction de renvoi part de l’hypothèse selon laquelle une œuvre photographique relève du champ d’application de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29. Par ailleurs, une telle hypothèse n’est contestée par aucune des parties au principal, par aucun des États membres ayant déposé des observations, ni par la Commission européenne.

123    C’est dans cette perspective, sans se prononcer sur le bien-fondé de ladite hypothèse ni sur la question de savoir si les photographies litigieuses ont été effectivement utilisées dans le but de citation, qu’il convient de répondre à la deuxième question, sous a) et b).

124    À ce titre liminaire, il convient également de préciser le sens de la notion de «mise à la disposition du public» visée dans la version française de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29.

125    À cet égard, il importe de relever que ni l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 ni aucune disposition de portée générale de celle-ci ne définit ce qu’il faut entendre par l’expression française de «mise à la disposition du public». En outre, cette notion y est utilisée dans plusieurs contextes et ne reçoit pas un contenu identique, ce qu’illustre notamment l’article 3, paragraphe 2, de cette directive.

126    Dans ces conditions, conformément à une jurisprudence constante, l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doit être interprété, dans la mesure du possible, à la lumière des règles applicables du droit international, et en particulier celles figurant dans la convention de Berne (voir arrêts du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05, Rec. p. I‑11519, points 35, 40 et 41, ainsi que Football Association Premier League e.a, précité, point 189), étant entendu que, en vertu de son article 37, la version française fait foi en cas de contestation sur l’interprétation des différentes versions linguistiques.

127    Or, il ressort du texte français de l’article 10, premier alinéa, de la convention de Berne, ayant un champ d’application ratione materiae comparable à celui de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, que seules sont licites, sous certaines conditions, les citations tirées d’une œuvre déjà rendue licitement accessible au public.

128    Dans ces conditions, il convient d’entendre par l’expression française de «mise à la disposition du public d’une œuvre», au sens de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, le fait de rendre cette œuvre accessible au public. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée non seulement par l’expression «made available to the public» mais également par l’expression «der Öffentlichkeit zugänglich gemacht» utilisées indistinctement dans les versions anglaise et allemande tant dudit article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29 que de l’article 10, premier alinéa, de la convention de Berne.

 Sur la deuxième question, sous a)

129    Par la deuxième question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le fait qu’un article de presse citant une œuvre ou un autre objet protégé n’est pas une œuvre littéraire protégée par le droit d’auteur ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

130    À cet égard, il convient de relever d’emblée que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 énonce une série de conditions pour son application, parmi lesquelles ne figure pas l’exigence selon laquelle une œuvre ou un autre objet protégé doivent être cités dans le cadre d’une œuvre littéraire protégée par le droit d’auteur.

131    Contrairement à ce que fait valoir le gouvernement italien dans ses observations écrites, le membre de phrase «pour autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé ayant déjà été licitement mis à la disposition du public», qui figure audit article 5, paragraphe 3, sous d), vise sans équivoque l’œuvre ou l’autre objet protégé faisant l’objet de la citation et non l’objet dans lequel la citation est faite.

132    S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort du trente et unième considérant de cette directive, en appliquant ladite directive il convient de maintenir un «juste équilibre» entre les droits et les intérêts des auteurs, d’une part, et ceux des utilisateurs d’objets protégés, d’autre part.

133    Il importe de relever également que, s’il est vrai que les conditions énumérées à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 doivent, selon la jurisprudence de la Cour telle que rappelée au point 109 du présent arrêt, faire l’objet d’une interprétation stricte dans la mesure où cette disposition constitue une dérogation à la règle générale établie par cette directive, il n’en reste pas moins que l’interprétation desdites conditions doit également permettre de sauvegarder l’effet utile de l’exception ainsi établie et de respecter sa finalité (voir, en ce sens, arrêt Football Association Premier League e.a, précité, points 162 et 163).

134    Or, l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 vise à réaliser un juste équilibre entre le droit à la liberté d’expression des utilisateurs d’une œuvre ou d’un autre objet protégé et le droit de reproduction conféré aux auteurs.

135    Ce juste équilibre est assuré, en l’occurrence, en privilégiant l’exercice du droit à la liberté d’expression des utilisateurs par rapport à l’intérêt de l’auteur à pouvoir s’opposer à la reproduction d’extraits de son œuvre qui a déjà été licitement rendue accessible au public, tout en assurant à cet auteur le droit de voir, en principe, son nom indiqué.

136    Dans cette perspective bipolaire, le point de savoir si la citation est faite dans le cadre d’une œuvre protégée par le droit d’auteur ou, au contraire, d’un objet non protégé par un tel droit, est dépourvu de pertinence.

137    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question, sous a), que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le fait qu’un article de presse citant une œuvre ou un autre objet protégé n’est pas une œuvre littéraire protégée par le droit d’auteur ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

 Sur la deuxième question, sous b)

138    Par la deuxième question, sous b), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le fait que le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète d’une œuvre ou d’un autre objet protégé qui sont cités n’est pas indiqué s’oppose à l’application de cette disposition.

139    Les dispositions de l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 établissent l’obligation de principe selon laquelle il faut indiquer, en cas de citation, la source, y compris le nom de l’auteur, sauf si cela s’avère impossible, étant entendu que l’œuvre ou l’autre objet protégé qui sont cités ont déjà été licitement rendus accessibles au public.

140    À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que les défenderesses au principal déclarent, sans d’autres précisions, avoir reçu les photographies litigieuses d’une agence de presse.

141    Or, dans la mesure où les photographies litigieuses avaient été, préalablement à leur utilisation par les défenderesses au principal, en possession d’une agence de presse, qui les a ensuite, selon celles-ci, transmises à ces dernières, il est légitime de présumer que c’est à la suite d’une mise à disposition licite que cette agence est entrée en possession desdites photographies. Il doit, dès lors, être considéré que le nom de l’auteur des photographies litigieuses a été indiqué à cette occasion. En effet, à défaut d’une telle indication, la mise à la disposition du public en question serait illicite et, par conséquent, l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29 ne serait pas applicable.

142    Ainsi, le nom de l’auteur des photographies litigieuses étant déjà indiqué, il n’a nullement été impossible pour l’utilisateur ultérieur de ces photographies de l’indiquer, conformément à l’obligation prévue à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29.

143    Il convient toutefois de relever également que le litige au principal présente la particularité de s’inscrire dans le contexte d’une enquête criminelle, dans le cadre de laquelle, à la suite de l’enlèvement de Natascha K., en 1998, un avis de recherche, avec reproduction des photographies litigieuses, a été lancé par les autorités de sécurité nationales compétentes.

144    Par conséquent, il ne saurait être exclu que les autorités de sécurité nationales aient été à l’origine de la mise à la disposition du public des photographies litigieuses, lesquelles ont fait l’objet d’utilisation ultérieure de la part des défenderesses au principal.

145    Or, une telle mise à disposition ne requiert pas, selon l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, contrairement à l’article 5, paragraphe 3, sous d), de ladite directive, l’indication du nom de l’auteur.

146    Par conséquent, l’omission, par l’utilisateur original, qui est en droit d’invoquer ledit article 5, paragraphe 3, sous e), d’indiquer, lors de la mise à la disposition du public d’une œuvre protégée, le nom de son auteur, n’a pas d’incidence sur la licéité de cet acte.

147    En l’espèce, dans l’hypothèse où les photographies litigieuses ont été, conformément à l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, à l’origine, mises à la disposition du public par les autorités de sécurité nationales compétentes et, dans l’hypothèse où, lors de cette utilisation originale licite, le nom de l’auteur n’a pas été indiqué, une utilisation ultérieure de ces mêmes photographies par la presse a certes exigé, en accord avec l’article 5, paragraphe 3, sous d), de ladite directive, l’indication de leur source, mais pas nécessairement le nom de leur auteur.

148    En effet, dès lors qu’il n’appartient pas à la presse de vérifier l’existence des raisons d’une telle omission, il s’avère impossible pour elle, dans une pareille situation, d’identifier et/ou d’indiquer le nom de l’auteur et, partant, elle doit être considérée comme exempte de l’obligation de principe d’indiquer le nom de l’auteur.

149    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question, sous b), que l’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que son application est subordonnée à l’obligation que la source, y compris le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète, de l’œuvre ou de l’autre objet protégé cités soit indiquée. Toutefois, si, en application de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, ce nom n’a pas été indiqué, ladite obligation doit être considérée comme respectée si seule la source est indiquée.

  Sur les dépens

150    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 6, point 1, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que le seul fait que des demandes introduites à l’encontre de plusieurs défendeurs, en raison d’atteintes au droit d’auteur matériellement identiques, reposent sur des bases juridiques nationales qui diffèrent selon les États membres ne s’oppose pas à l’application de cette disposition. Il incombe à la juridiction nationale, au regard de tous les éléments du dossier, d’apprécier l’existence d’un risque de décisions inconciliables si les demandes étaient jugées séparément.

2)      L’article 6 de la directive 93/98/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, doit être interprété en ce sens qu’une photographie de portrait est susceptible, en vertu de cette disposition, d’être protégée par le droit d’auteur, à condition, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas d’espèce, qu’elle soit une création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie. Dès lors qu’il a été vérifié que la photographie de portrait en cause présente la qualité d’une œuvre, la protection de celle-ci n’est pas inférieure à celle dont bénéficie toute autre œuvre, y compris photographique.

3)      L’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens qu’un media, tel qu’un éditeur de presse, ne peut pas utiliser, de sa propre initiative, une œuvre protégée par le droit d’auteur en invoquant un objectif de sécurité publique. Toutefois, il ne saurait être exclu qu’il puisse contribuer ponctuellement à la réalisation d’un tel objectif en publiant une photographie d’une personne recherchée. Il doit être exigé que cette initiative, d’une part, s’insère dans le contexte d’une décision prise ou d’une action menée par les autorités nationales compétentes et visant à assurer la sécurité publique et, d’autre part, soit prise en accord et en coordination avec lesdites autorités, afin d’éviter le risque d’aller à l’encontre des mesures prises par ces dernières, sans qu’un appel concret, actuel et exprès, émanant des autorités de sécurité, à publier à des fins d’enquête une photographie soit pour autant nécessaire.

4)      L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que le fait qu’un article de presse citant une œuvre ou un autre objet protégé n’est pas une œuvre littéraire protégée par le droit d’auteur ne fait pas obstacle à l’application de cette disposition.

5)      L’article 5, paragraphe 3, sous d), de la directive 2001/29, lu à la lumière de l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, doit être interprété en ce sens que son application est subordonnée à l’obligation que la source, y compris le nom de l’auteur ou de l’artiste interprète, de l’œuvre ou de l’autre objet protégé cités soit indiquée. Toutefois, si, en application de l’article 5, paragraphe 3, sous e), de la directive 2001/29, ce nom n’a pas été indiqué, ladite obligation doit être considérée comme respectée si seule la source est indiquée.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.