Language of document : ECLI:EU:C:2009:626

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 octobre 2009 (*)

«Directives 77/91/CEE, 79/279/CEE et 2004/25/CE – Principe général du droit communautaire de protection des actionnaires minoritaires – Inexistence – Droit des sociétés – Prise de contrôle – Offre obligatoire – Recommandation 77/534/CEE – Code de conduite»

Dans l’affaire C‑101/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Cour de cassation (Luxembourg), par décision du 21 février 2008, parvenue à la Cour le 5 mars 2008, dans la procédure

Audiolux SA e.a.

contre

Groupe Bruxelles Lambert SA (GBL) e.a.,

Bertelsmann AG e.a.,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. G. Arestis, J. Malenovský et T. von Danwitz (rapporteur), juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. N. Nanchev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 30 avril 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour Audiolux SA e.a., par Mes A. Elvinger et M. Elvinger, avocats,

–        pour Groupe Bruxelles Lambert SA (GBL) e.a., par Mes J. Loesch, G. Loesch et P. Van Ommeslaghe, avocats,

–        pour Bertelsmann AG e.a., par Mes G. Harles et P.-E. Partsch, avocats,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et J.-C. Gracia, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, solicitor, assisté de Mes D. Barniville, SC, et A. O’Neill, BL,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. G. Braun et Mme O. Beynet, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 juin 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la question de savoir s’il existe un principe général du droit communautaire de l’égalité des actionnaires en vertu duquel les actionnaires minoritaires sont protégés par l’obligation de l’actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d’une société d’offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation dans cette société conférant ou renforçant le contrôle de l’actionnaire dominant, et, le cas échéant, sur les effets dans le temps d’un tel principe.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant des actionnaires minoritaires de la société RTL Group (ci-après «RTL») aux sociétés Groupe Bruxelles Lambert SA (GBL) (ci-après «GBL») et Bertelsmann AG (ci-après «Bertelsmann»), ainsi qu’à RTL, au sujet de conventions conclues entre GBL et Bertelsmann.

 Le cadre juridique

3        En vertu du cinquième considérant de la deuxième directive 77/91/CEE du Conseil, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les États membres des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (JO 1977, L 26, p. 1):

«[…] il est nécessaire, au regard des buts visés à l’article 54 paragraphe 3 sous g), que, lors des augmentations et des réductions de capital, les législations des États membres assurent le respect et harmonisent la mise en œuvre des principes garantissant un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques et la protection des titulaires de créances antérieures à la décision de réduction».

4        L’article 20, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«1.      Les États membres peuvent ne pas appliquer l’article 19 [soumettant l’acquisition par une société de ses propres actions à certaines conditions]:

[…]

d)      aux actions acquises en vertu d’une obligation légale ou résultant d’une décision judiciaire visant à protéger les actionnaires minoritaires, notamment en cas de fusion, de changement de l’objet ou de la forme de la société, de transfert du siège social à l’étranger ou d’introduction de limitations pour le transfert des actions;

[…]

f)      aux actions acquises en vue de dédommager les actionnaires minoritaires des sociétés liées;

[…]»

5        L’article 42 de la directive 77/91 énonce:

«Pour l’application de la présente directive, les législations des États membres garantissent un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques.»

6        Aux termes du point 6 de la recommandation 77/534/CEE de la Commission, du 25 juillet 1977, portant sur un code de conduite européen concernant les transactions relatives aux valeurs mobilières (JO L 212, p. 37):

«[…] la Commission, par une consultation des milieux concernés, a d’ailleurs pu constater qu’il existe dans ces milieux un large consensus sur les principes du code.»

7        Le point 11, sous C, de cette recommandation dispose:

«Le troisième principe général est relatif à l’égalité des actionnaires.

La Commission a estimé, malgré certaines critiques, devoir maintenir le principe de l’égalité de traitement en illustrant son application par deux dispositions complémentaires, mettant notamment l’accent sur une obligation concrète de publicité.

La dix-septième disposition complémentaire fait mention de la parité de traitement à offrir aux autres actionnaires en cas de transfert d’une participation de contrôle mais admet que la protection de ces actionnaires pourrait être réalisée d’une autre manière, afin de tenir compte de l’existence, en Allemagne, d’un droit limitant les pouvoirs de l’actionnaire dominant.

[…]»

8        Les premier et troisième principes généraux du code de conduite européen (ci-après le «code de conduite»), annexé à la recommandation 77/534, disposent:

«1.      L’objectif du présent code et les principes généraux devraient être respectés même dans les cas non couverts expressément par une disposition complémentaire.

Toute opération sur les marchés de valeurs mobilières implique le respect non seulement de la lettre mais également de l’esprit des dispositions légales ou réglementaires en vigueur dans chaque État, ainsi que des principes de bonne conduite en usage sur ces marchés ou recommandés par le présent code.

[…]

3.      Une égalité de traitement devrait être assurée à tout détenteur de valeurs mobilières de même nature, émises par la même société; en particulier tout acte entraînant, directement ou indirectement, le transfert d’une participation permettant un contrôle de droit ou de fait d’une société dont les valeurs mobilières sont négociées sur le marché, tiendra compte du droit de tous les actionnaires à être traités de la même manière.»

9        La dix-septième disposition complémentaire du code de conduite énonce:

«Toute transaction entraînant le transfert d’une participation de contrôle au sens du troisième principe général ne devrait pas se faire clandestinement sans information des autres actionnaires et des autorités de contrôle du marché.

Il est souhaitable que la possibilité de céder leurs titres à des conditions identiques soit offerte à tous les actionnaires de la société dont le contrôle a été transféré, sauf s’ils bénéficient par ailleurs d’une protection qui peut être considérée comme équivalente.»

10      D’après l’article 4, paragraphe 2, de la directive 79/279/CEE du Conseil, du 5 mars 1979, portant coordination des conditions d’admission de valeurs mobilières à la cote officielle d’une bourse de valeurs (JO L 66, p. 21), les émetteurs de valeurs mobilières admises à la cote officielle doivent respecter les obligations énumérées au schéma C annexé à cette directive.

11      Ladite directive contient, en effet, à son annexe, un schéma C, portant sur les «obligations de la société dont les actions sont admises à la cote officielle d’une bourse de valeurs». Au point 2, sous a), de ce schéma C, il est précisé que «la société doit assurer un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques».

12      Cette disposition a été reprise à l’article 65, paragraphe 1, de la directive 2001/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 mai 2001, concernant l’admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l’information à publier sur ces valeurs (JO L 184, p. 1), qui a abrogé à son article 111, paragraphe 1, la directive 79/279.

13      Toutefois, l’article 65 de la directive 2001/34 a été supprimé à compter du 20 janvier 2007 en vertu de l’article 32, point 5, de la directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2004, sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifiant la directive 2001/34/CE (JO L 390, p. 38). L’article 17 de la directive 2004/109, intitulé «Obligations d’information applicables aux émetteurs dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé», dispose à son paragraphe 1:

«L’émetteur d’actions admises à la négociation sur un marché réglementé assure l’égalité de traitement de tous les détenteurs d’actions qui se trouvent dans une situation identique.»

14      Aux termes des huitième et dixième considérants de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d’acquisition (JO L 142, p. 12):

«(8)      Conformément aux principes généraux du droit communautaire, et notamment au droit à un procès équitable, les décisions d’une autorité de contrôle devraient pouvoir, dans des conditions appropriées, faire l’objet d’un contrôle par une juridiction indépendante. […]

[…]

(10)      L’obligation de faire une offre à tous les détenteurs de titres ne devrait pas s’appliquer aux participations de contrôle existant déjà à la date d’entrée en vigueur de la législation nationale de transposition de la présente directive.»

15      Conformément à son article 1er, paragraphe 1, cette directive s’applique aux offres publiques concernant les titres d’une société relevant du droit d’un État membre lorsque ses titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé.

16      L’article 3 de cette directive, intitulé «Principes généraux», dispose à ses paragraphes 1, sous a), et 2, sous a):

«1.      Aux fins de l’application de la présente directive, les États membres veillent à ce que les principes suivants soient respectés:

a)      tous les détenteurs de titres de la société visée qui appartiennent à la même catégorie doivent bénéficier d’un traitement équivalent; en outre, si une personne acquiert le contrôle d’une société, les autres détenteurs de titres doivent être protégés;

[…]

2.      Aux fins d’assurer le respect des principes prévus au paragraphe 1, les États membres:

a)      veillent à ce que soient respectées les exigences minimales énoncées dans la présente directive […]»

17      L’article 5 de la directive 2004/25, intitulé «Protection des actionnaires minoritaires, offre obligatoire et prix équitable», dispose à ses paragraphes 1 et 4:

«1.      Lorsqu’une personne physique ou morale détient, à la suite d’une acquisition faite par elle-même ou par des personnes agissant de concert avec elle, des titres d’une société au sens de l’article 1er, paragraphe 1, qui, additionnés à toutes les participations en ces titres qu’elle détient déjà et à celles des personnes agissant de concert avec elle, lui confèrent directement ou indirectement un pourcentage déterminé de droits de vote dans cette société lui donnant le contrôle de cette société, les États membres veillent à ce que cette personne soit obligée de faire une offre en vue de protéger les actionnaires minoritaires de cette société. Cette offre est adressée dans les plus brefs délais à tous les détenteurs de ces titres et porte sur la totalité de leurs participations, au prix équitable défini au paragraphe 4.

[…]

4.      Est considéré comme le prix équitable le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l’offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période, déterminée par les États membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l’offre visée au paragraphe 1. […]»

18      L’article 16 de cette directive, intitulé «Rachat obligatoire», dispose:

«1.      Les États membres veillent, lorsqu’une offre a été adressée à tous les détenteurs de titres de la société visée pour la totalité de leurs titres, à ce que les paragraphes 2 et 3 s’appliquent.

2.      Les États membres veillent à ce qu’un détenteur de titres restants puisse exiger de l’offrant qu’il rachète ses titres pour un juste prix, dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article 15, paragraphe 2.

3.      L’article 15, paragraphes 3 à 5, s’applique mutatis mutandis

19      L’article 15, paragraphe 2, de ladite directive, auquel renvoie cet article 16, paragraphe 2, fixe le seuil de participation requis à 90 % du capital assorti de droits de vote. Ce même article 15, paragraphe 5, auquel l’article 16, paragraphe 3, de la directive 2004/25 fait référence, dispose que les États membres veillent à ce qu’un juste prix soit garanti.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

20      Audiolux SA et les autres parties requérantes dans la procédure au principal (ci-après, ensemble, «Audiolux») sont des actionnaires minoritaires dans RTL, dont les actions étaient cotées sur les marchés boursiers réglementés de Luxembourg, de Bruxelles et de Londres.

21      Ainsi qu’il ressort du dossier, GBL détenait, avant les événements qui ont donné lieu au litige au principal, 30 % des actions dans RTL. Bertelsmann détenait une participation de 80 % dans Bertelsmann Westdeutsche TV GmbH, les autres 20 % étant détenus par Westdeutsche Allgemeine Zeitungsverlagsgesellschaft E. Brost & J. Funke GmbH & Co. Bertelsmann Westdeutsche TV GmbH détenait 37 % des actions dans RTL, le groupe britannique Pearson Television en détenait 22 % et le restant, 11 % des actions, était détenu par le public, dont Audiolux.

22      Au moyen de plusieurs transactions qui ont eu lieu au courant du premier semestre de l’année 2001, GBL a cédé sa participation de 30 % dans le capital de RTL à Bertelsmann en échange de 25 % du capital de cette dernière.

23      Par la suite, Bertelsmann a acquis, au mois de décembre 2001, la participation détenue par Pearson Television et RTL a procédé au «delisting» de ses titres de la Bourse de Londres qui est devenu effectif le 31 décembre 2002.

24      La cession de la participation détenue par GBL à Bertelsmann a fait l’objet d’un jugement du tribunal d’arrondissement (Luxembourg) du 8 juillet 2003 qui a rejeté les demandes introduites par Audiolux aux motifs qu’elles ne s’appuyaient sur aucune norme ou principe de droit reconnu en droit luxembourgeois. Ces demandes portaient, notamment, sur la validité des transactions entraînant la cession de cette participation et sur la réparation du préjudice causé par le non-respect de l’obligation d’offrir aux demandeurs d’échanger leurs actions dans RTL contre des actions de Bertelsmann aux mêmes conditions que celles consenties à GBL.

25      Selon ce jugement, le droit positif luxembourgeois des sociétés ne prévoit pas, lorsqu’un actionnaire important cède ses titres à un autre actionnaire important, un droit des actionnaires minoritaires à céder leurs titres dans les mêmes conditions. De même, la réglementation boursière luxembourgeoise ne saurait servir de base juridique aux demandes sous examen. Ledit jugement constate, en particulier, qu’aucune disposition du droit luxembourgeois n’est venue mettre en œuvre la recommandation 77/534.

26      Le «delisting» des titres de RTL de la Bourse de Londres a fait l’objet d’un jugement du tribunal d’arrondissement du 30 mars 2004, lequel rejetait les demandes introduites par Audiolux portant, notamment, sur l’obligation d’augmenter la diffusion dans le public des titres de RTL et de ne pas retirer ces titres de la cote de la Bourse de Londres.

27      La cour d’appel (Luxembourg), après avoir joint ces deux affaires, a confirmé ces jugements en indiquant, en ce qui concerne celui du 8 juillet 2003, que l’affaire porte sur l’existence d’un principe général en vertu duquel les actionnaires minoritaires d’une société luxembourgeoise cotée en bourse peuvent réclamer un droit à un traitement égal de la part des actionnaires majoritaires lors d’une cession d’une participation importante dans cette société. À cet égard, la cour d’appel estime qu’aucun principe général d’égalité des actionnaires ne peut valoir comme droit positif et servir de fondement juridique aux prétentions des parties appelantes.

28      Le pourvoi en cassation, déposé par Audiolux, est seulement dirigé contre les dispositions de cet arrêt, confirmant le jugement du 8 juillet 2003. Audiolux y fait valoir la violation d’un principe général d’égalité des actionnaires et exige que lui soit accordé le même traitement dont avait bénéficié GBL lors de la cession de sa participation dans RTL à Bertelsmann, moyennant une prime de contrôle.

29      Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les références à l’égalité des actionnaires et plus spécifiquement à la protection des minoritaires,

a)      dans la deuxième directive ‘sociétés’ 77/91 […] en ses articles 20 et 42,

b)      dans la recommandation [77/534], en son ‘troisième principe général’ et en sa ‘dix-septième disposition complémentaire’,

c)      dans la directive 79/279 […] en son annexe schéma C, point 2, sous a), reprise dans la directive [2001/34],

d)      dans la directive 2004/25 […] en son article 3, paragraphe 1, sous a), à la lumière de son huitième considérant,

procèdent-elles d’un principe général de droit communautaire?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, ce principe général de droit communautaire doit-il trouver application seulement dans les rapports entre une société et ses actionnaires ou, au contraire, s’impose-t-il également dans les rapports entre actionnaires majoritaires exerçant ou acquérant le contrôle d’une société et les actionnaires minoritaires de cette société, spécialement dans le cas d’une société dont les actions sont cotées à une bourse de valeurs?

3)      En cas de réponse affirmative aux deux questions précédentes, ce principe général de droit communautaire doit-il, au regard du développement dans le temps des références visées par la première question, être considéré comme ayant existé et comme s’imposant dans les rapports entre actionnaires majoritaires et minoritaires dans le sens de la deuxième question, dès avant l’entrée en vigueur de la directive 2004/25 CE précitée et, en l’occurrence, dès avant les faits litigieux se situant au premier semestre de l’année 2001?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

30      Bertelsmann conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, soutenant qu’il n’y est pas décrit, de manière suffisante, le cadre juridique et factuel qui se rapporte aux questions posées.

31      S’il est vrai qu’une question préjudicielle posée par une juridiction nationale est irrecevable lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêt du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C‑217/05, Rec. p. I‑11987, point 28 et jurisprudence citée), il convient de relever que, en l’espèce, la décision de renvoi permet de déterminer la portée des questions posées et a donné effectivement aux parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice, comme l’atteste le contenu des observations présentées dans la présente procédure. Dès lors, la Cour dispose de suffisamment d’éléments concernant le cadre juridique et les faits du litige au principal pour interpréter les règles communautaires concernées et apporter une réponse utile aux questions posées.

 Sur les première et deuxième questions

32      Par ces questions qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il existe un principe général du droit communautaire de l’égalité des actionnaires en vertu duquel les actionnaires minoritaires sont protégés par l’obligation de l’actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d’une société d’offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation dans cette société conférant ou renforçant le contrôle de l’actionnaire dominant.

33      À cet égard, la juridiction de renvoi fait référence à plusieurs dispositions de droit communautaire dérivé, à savoir les articles 20 et 42 de la directive 77/91, le troisième principe général et la dix-septième disposition complémentaire du code de conduite, le point 2, sous a), du schéma C figurant à l’annexe de la directive 79/279 ainsi que l’article 3, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/25, lu à la lumière du huitième considérant de celle-ci.

34      D’emblée, il y a lieu de relever que la simple circonstance que le droit communautaire dérivé prévoit certaines dispositions afférentes à la protection des actionnaires minoritaires ne suffit pas, en soi, à établir l’existence d’un principe général du droit communautaire, notamment si leur champ d’application est limité à des droits bien déterminés et certains. Dès lors, l’examen des dispositions énoncées par la juridiction de renvoi a pour seul objet de vérifier si ces dispositions donnent des indications concluantes de l’existence du principe recherché. À cet égard, il y a lieu de préciser que ces dispositions ne revêtent une valeur indicative que dans la mesure où elles sont rédigées de manière contraignante (voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑149/96, Rec. p. I‑8395, point 86, ainsi que du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C‑189/01, Rec. p. I‑5689, point 74), faisant ressortir le contenu bien déterminé du principe recherché (voir, en ce sens, arrêt Jippes e.a., précité, point 73).

35      Premièrement, force est de constater que la portée des dispositions susmentionnées des directives 77/91 et 79/279 est limitée à des situations bien déterminées et qu’elles n’ont pas trait à une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

36      En effet, les références à la protection des actionnaires minoritaires à l’article 20 de la directive 77/91, loin de donner une indication sur l’existence d’un principe général du droit communautaire, visent simplement à préciser, ainsi qu’il ressort de leur libellé, les objectifs en vue desquels les États membres peuvent, sous certaines conditions, déroger à l’application de l’article 19 de cette directive.

37      De même, l’obligation, énoncée à l’article 42 de la directive 77/91, de garantir un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des conditions identiques s’applique, ainsi qu’il ressort de l’incise «pour l’application de la présente directive», seulement dans le cadre de cette directive, c’est-à-dire, ainsi qu’il est précisé au cinquième considérant de celle-ci, lors d’opérations d’augmentation ou de réduction de capital. Ainsi, ledit article s’applique à des situations tout à fait différentes de celles visées par l’obligation qui incomberait, dans l’affaire au principal, à l’actionnaire dominant en vertu du prétendu principe général du droit communautaire allégué par Audiolux.

38      Le constat selon lequel, d’après l’intention du législateur communautaire, la règle du traitement égal des actionnaires prévue audit article 42 n’a pas vocation à être appliquée en dehors du cadre de la directive 77/91 est conforté par l’objet de cette directive.

39      En effet, ladite directive a seulement pour objet d’assurer un niveau minimal de protection des actionnaires dans l’ensemble des États membres (voir arrêts du 12 mars 1996, Pafitis e.a., C‑441/93, Rec. p. I‑1347, point 38; du 19 novembre 1996, Siemens, C‑42/95, Rec. p. I‑6017, point 13, ainsi que du 18 décembre 2008, Commission/Espagne, C‑338/06, non encore publié au Recueil, point 23).

40      En outre, il convient de souligner que, même dans le cadre de la directive 77/91, l’article 42 de celle-ci ne saurait être considéré comme l’expression d’un principe général du droit communautaire. En effet, la Cour a rejeté une interprétation large de cet article 42 au motif qu’elle aurait pour conséquence de priver de son effet utile l’article 29, paragraphe 4, de cette directive, relatif aux conditions permettant de limiter le droit préférentiel (voir arrêt Commission/Espagne, précité, points 32 et 33).

41      Quant au point 2, sous a), du schéma C figurant à l’annexe de la directive 79/279, selon lequel la société doit assurer un traitement égal des actionnaires qui se trouvent dans des situations identiques, il suffit de relever que cette disposition a été abrogée entre-temps et remplacée par l’article 17 de la directive 2001/34 qui s’applique, conformément à son intitulé, seulement à l’obligation de fournir des informations aux détenteurs de titres.

42      Ainsi, tant les dispositions de la directive 77/91 que celles de la directive 79/279, évoquées par la juridiction de renvoi, s’appliquent à des situations bien déterminées et nettement différentes de celle en cause dans l’affaire au principal. En outre, et ainsi que le relève Mme l’avocat général au point 84 de ses conclusions, ces dispositions se limitent, en substance, à réglementer des cas de figure très précis du droit des sociétés en mettant certaines obligations à la charge de la société pour protéger tous les actionnaires. Elles sont donc dépourvues du caractère général qui est par nature inhérent aux principes généraux de droit.

43      Deuxièmement, s’agissant du troisième principe général et de la dix-septième disposition complémentaire du code de conduite ainsi que de la directive 2004/25, il convient de remarquer que ni ce code ni cette directive ne font expressément état de l’existence d’un principe général du droit communautaire relatif à la protection des actionnaires minoritaires.

44      En ce qui concerne le code de conduite, il convient de souligner, d’une part, que son premier principe général opère, à son deuxième alinéa, une distinction entre les dispositions légales ou réglementaires en vigueur et les principes de bonne conduite. À cet égard, ce premier principe met sur un pied d’égalité les principes de bonne conduite en usage sur les marchés et ceux recommandés par le code de conduite. Il en découle que, d’après ce code, ces principes revêtent, en tant que sources de droit, la même valeur que ceux en usage sur les marchés. Or, un tel constat relatif à la nature juridique desdits principes s’avère inconciliable avec l’hypothèse selon laquelle le troisième principe général et la dix-septième disposition complémentaire dudit code seraient sous-tendus par un principe général du droit communautaire.

45      D’autre part, ni le troisième principe général ni la dix-septième disposition complémentaire du code de conduite n’expriment l’obligation d’un traitement égal dans des termes absolus et contraignants. Notamment, aux termes du deuxième alinéa de la dix-septième disposition complémentaire de ce code, il n’est que «souhaitable» d’offrir à tous les actionnaires la possibilité de céder leurs titres et cela seulement dans la mesure où les actionnaires minoritaires ne bénéficient pas d’une protection équivalente.

46      Or, une telle rédaction s’oppose, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 34 du présent arrêt, à ce que l’on puisse inférer de ces dispositions l’existence d’un principe général du droit communautaire relatif à la protection des actionnaires minoritaires. Ainsi, le constat fait au point 6 de la recommandation 77/534 selon lequel il existe un large consensus dans les milieux concernés sur les principes du code de conduite est dépourvu de pertinence.

47      Quant à la directive 2004/25, elle instaure, à son article 5, l’obligation pour l’actionnaire ayant acquis le contrôle d’une société de lancer une offre obligatoire. À son article 16, elle prévoit le rachat obligatoire.

48      Or, d’une part, les deuxième, neuvième à onzième et vingt-quatrième considérants de la directive 2004/25 relatifs à l’offre et au rachat obligatoires n’indiquent ni explicitement ni implicitement que les règles instaurées par cette directive procèderaient d’un principe général du droit communautaire. En outre, ces considérants ne font aucune référence au code de conduite ou aux directives 77/91 et 79/279, et ne permettent donc pas de considérer la directive 2004/25 comme la réalisation d’un projet entamé par le code de conduite ou les directives susmentionnées.

49      D’autre part, conformément à l’article 1er de la directive 2004/25, le champ d’application tant de l’offre obligatoire que du rachat obligatoire est limité à des sociétés cotées en bourse. En outre, l’offre obligatoire s’applique, selon l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, seulement lorsqu’une personne détient, à la suite d’une acquisition, une participation lui conférant le contrôle de cette société et, selon les articles 15 et 16 de ladite directive, le rachat obligatoire ne vaut que pour des situations où un actionnaire acquiert, lors d’une offre publique, plus de 90 % du capital assorti de droits de vote.

50      Ainsi, ces dispositions de la directive 2004/25 s’appliquent à des situations spécifiques, de sorte qu’il ne peut en être déduit un principe général d’un contenu déterminé. Elles sont également, ainsi qu’il a déjà été constaté pour les dispositions des directives 77/91 et 79/279 au point 42 du présent arrêt, dépourvues du caractère général qui est par nature inhérent aux principes généraux de droit.

51      S’agissant, en particulier, des dispositions de la directive 2004/25 auxquelles la juridiction de renvoi fait référence, il convient de relever que, si le huitième considérant de cette directive fait allusion aux principes généraux du droit communautaire, il n’en reste pas moins que ce considérant ne vise que les garanties procédurales et n’a pas trait à un quelconque principe de traitement égal des actionnaires. De même, l’on ne saurait déduire de l’utilisation des termes «principes généraux» à l’article 3 de cette directive que le législateur communautaire viserait ainsi à assimiler les principes énoncés à cet article à des principes généraux du droit communautaire. Il s’agit, ainsi qu’il ressort des termes «aux fins de l’application de la présente directive», seulement des principes directeurs pour l’application de ladite directive par les États membres.

52      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que les dispositions de droit communautaire dérivé auxquelles la juridiction de renvoi fait référence ne donnent pas d’indications concluantes de l’existence d’un principe général d’égalité de traitement des actionnaires minoritaires.

53      En outre, il convient encore d’examiner si le traitement revendiqué par Audiolux peut être compris comme une expression spécifique, en matière de droit des sociétés, du principe général d’égalité de traitement.

54      D’après une jurisprudence constante, le principe général d’égalité de traitement impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée).

55      En l’occurrence, il convient de remarquer que le traitement revendiqué par Audiolux vise à établir une obligation incombant uniquement à l’actionnaire acquérant ou renforçant son contrôle dans une société. Cette obligation lui imposerait de contracter avec tous les actionnaires minoritaires aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation conférant ou renforçant le contrôle et entraînerait un droit correspondant de tous les actionnaires de vendre leurs actions à l’actionnaire dominant.

56      Il importe de déterminer si les éléments relevés au point précédent du présent arrêt peuvent être considérés comme l’expression du principe général d’égalité de traitement.

57      En ce qui concerne l’instauration de l’obligation de l’actionnaire dominant et la fixation des conditions y afférentes, il convient de constater que le principe général d’égalité de traitement ne saurait, à lui seul, ni faire naître une obligation particulière dans le chef de l’actionnaire dominant au bénéfice des autres actionnaires ni déterminer la situation spécifique à laquelle une telle obligation se rattache.

58      En effet, le fait d’instaurer une obligation incombant à l’actionnaire dominant ainsi que de fixer les conditions déclenchant cette obligation nécessiterait une décision sur le point de savoir si, dans la situation particulière dans laquelle un actionnaire acquiert ou renforce son contrôle dans une société, les actionnaires minoritaires ont besoin d’une protection particulière devant être réalisée par l’imposition d’une obligation à l’actionnaire dominant. Une telle décision présupposerait la pondération tant des intérêts des actionnaires minoritaires et de l’actionnaire dominant que des conséquences considérables dans le domaine des acquisitions d’entreprises, et nécessiterait une expression spécifique, conformément au principe de sécurité juridique, afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (voir, en ce qui concerne les exigences du principe de la sécurité juridique, arrêt du 10 mars 2009, Heinrich, C‑345/06, non encore publié au Recueil, point 44).

59      De même, à supposer que les actionnaires minoritaires nécessitent une protection particulière, il n’en reste pas moins que différents moyens d’assurer cette protection, parmi lesquels un choix s’impose, sont envisageables.

60      En effet, le code de conduite fait référence, à sa dix-septième disposition complémentaire, à une «protection équivalente» dont peuvent bénéficier les actionnaires minoritaires et la recommandation 77/534 évoque, à son point 11, sous C, comme exemple d’une telle protection équivalente, la limitation des pouvoirs de l’actionnaire dominant.

61      Dès lors, le principe général d’égalité ne saurait pas non plus déterminer le choix entre différents moyens concevables de protection des actionnaires minoritaires, tels que ceux préconisés par ces actes de droit communautaire dérivé.

62      Un principe tel que celui préconisé par Audiolux présuppose des choix d’ordre législatif, reposant sur une pondération des intérêts en jeu et la fixation d’avance de règles précises et détaillées (voir, par analogie, arrêts du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 18 à 20; du 5 mars 1980, Ferwerda, 265/78, Rec. p. 617, point 9, ainsi qu’ordonnance du 5 mars 1999, Guérin automobiles/Commission, C‑153/98 P, Rec. p. I‑1441, points 14 et 15), et ne saurait être déduit du principe général d’égalité de traitement.

63      En effet, les principes généraux du droit communautaire se situent au rang constitutionnel tandis que le principe préconisé par Audiolux est caractérisé par un degré de détail nécessitant une élaboration législative qui se fait, au niveau communautaire, par un acte de droit communautaire dérivé. Dès lors, le principe préconisé par Audiolux ne saurait être regardé comme un principe général autonome du droit communautaire.

64      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions que le droit communautaire ne contient pas de principe général de droit selon lequel les actionnaires minoritaires sont protégés par l’obligation de l’actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d’une société d’offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation conférant ou renforçant le contrôle de l’actionnaire dominant.

65      Eu égard à cette réponse, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

 Sur les dépens

66      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

Le droit communautaire ne contient pas de principe général de droit selon lequel les actionnaires minoritaires sont protégés par l’obligation de l’actionnaire dominant acquérant ou exerçant le contrôle d’une société d’offrir à ceux-ci de racheter leurs actions aux mêmes conditions que celles convenues lors de l’acquisition d’une participation conférant ou renforçant le contrôle de l’actionnaire dominant.

Signatures


* Langue de procédure: le français.