Language of document : ECLI:EU:T:2018:269

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

16 mai 2018(*)

« Concurrence – Concentrations – Marché du transport aérien – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur sous réserve du respect de certains engagements – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Proportionnalité – Confiance légitime – Principe de bonne administration – Détournement de pouvoir »

Dans l’affaire T‑712/16,

Deutsche Lufthansa AG, établie à Cologne (Allemagne), représentée par Me S. Völcker, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Biolan, H. Leupold et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2016) 4964 final de la Commission, du 25 juillet 2016, rejetant la demande introduite par la requérante relative à l’exemption de certains engagements rendus contraignants par la décision de la Commission du 4 juillet 2005 approuvant la concentration dans l’affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, S. Papasavvas (rapporteur) et Mme O. Spineanu-Matei, juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 14 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Deutsche Lufthansa AG (ci-après « Lufthansa » ou la « requérante »), est la plus importante compagnie aérienne allemande. Elle est membre cofondatrice de Star Alliance, l’alliance de compagnies aériennes la plus importante au monde.

2        Outre l’accord Star Alliance, Lufthansa a conclu avec Scandinavian Airlines System (ci-après « SAS »), le 11 mai 1995, un accord bilatéral d’alliance (ci-après l’« accord bilatéral d’alliance ») et, le 1er juillet 1995, un accord de partage de code, un accord de commercialisation et de vente et un accord bilatéral de coentreprise (ci-après l’« accord de coentreprise »).

3        De même, outre l’accord Star Alliance, Lufthansa a conclu avec Polskie Linie Lotnicze LOT S.A. (ci-après « LOT »), le 1er juin 2002, un accord réciproque de partage de code, le 25 août 2003, un accord tarifaire spécial de répartition, le 26 septembre 2003, un accord stratégique de coopération, le 15 juin 2004, un accord-cadre relatif au programme d’encouragement et, le 1er octobre 2003, l’accord de coopération Miles and More.

 Décision autorisant l’opération de concentration entre Lufthansa et Swiss International Air Lines Ltd

4        Par décision du 4 juillet 2005 (affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss, ci-après la « décision de 2005 »), adoptée en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations ») (JO 2004, L 24, p. 1), la Commission des Communautés européennes a déclaré que l’opération de concentration (ci-après l’« opération ») par laquelle Lufthansa acquérait le contrôle de la compagnie aérienne Swiss International Air Lines Ltd (ci-après « Swiss ») était compatible avec le marché intérieur, l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) et l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien, sous réserve du respect de certaines conditions et charges.

5        Dans le cadre de l’examen de l’opération, la Commission a, d’une part, analysé les chevauchements entre les services assurés par les deux compagnies aériennes. Elle a, d’autre part, examiné dans quelle mesure l’acquisition de Swiss par Lufthansa éliminerait également la concurrence effective entre Swiss et d’autres compagnies aériennes qui ne faisaient pas partie du groupe Lufthansa, mais étaient partenaires de Star Alliance et étaient en outre liées par une série d’accords bilatéraux ou multilatéraux, à savoir SAS, LOT, Austrian Airlines, British Midland Limited (ci-après « bmi »), United Airlines et Air Canada.

6        Eu égard aux divers accords de coopération mentionnés aux points 2 et 3 ci-dessus et compte tenu de la probable future adhésion de Swiss à Star Alliance, la Commission a conclu que SAS et LOT avaient peu d’intérêt à entrer en concurrence avec Swiss après l’opération.

7        Par conséquent, les parts de marché de SAS et de LOT ont été additionnées à celles de Lufthansa dans l’appréciation concurrentielle de l’opération par la Commission, ce qui a donné lieu à deux chevauchements sur les lignes Zurich-Stockholm (ci-après « ZRH-STO ») et Zurich-Varsovie (ci-après « ZRH-WAW »). Seuls Swiss et les partenaires de Star Alliance, SAS sur la ligne ZRH-STO et LOT sur la ligne ZRH-WAW, exploitant ces lignes et les aéroports de Zurich (Suisse) et de Stockholm (Suède) étant saturés, la Commission a conclu qu’il existait des doutes sérieux quant à la compatibilité de l’opération avec le marché intérieur pour ces deux lignes.

8        Afin de dissiper ces doutes sérieux, Lufthansa et Swiss (ci-après, prises ensemble, les « parties ») ont proposé, le 13 juin 2005, des engagements en matière de créneaux horaires notamment pour les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW.

9        À la suite des observations des tiers intéressés, les parties ont complété les engagements sur les créneaux horaires, le 27 juin 2005, par des engagements tarifaires, contenus dans la clause 11.1 des engagements présentés par les parties, prévoyant que l’entité fusionnée appliquera, chaque fois qu’elle réduira un tarif publié sur une ligne de référence comparable, une réduction équivalente (en pourcentage) sur les tarifs correspondants sur les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW. Ladite clause précise que cette obligation prendra fin lorsqu’un nouveau prestataire de services aériens aura commencé des activités sur lesdites lignes.

10      Les engagements présentés par les parties (ci-après les « engagements ») prévoient la désignation d’un mandataire chargé de contrôler le respect des engagements par les parties sous la surveillance de la Commission (ci-après le « mandataire »).

11      Les engagements contiennent, par ailleurs, les clauses de révision 15.1 et 15.2 (ci-après, respectivement, la « clause de révision 15.1 » et la « clause de révision 15.2 »), rédigées comme suit :

« 15.1      La Commission peut, en réponse à une demande de l’entité fusionnée, justifiée par des circonstances exceptionnelles ou un changement radical dans les conditions du marché, telle que l’exploitation d’un service aérien concurrentiel sur une paire de villes européennes ou long-courrier spécifique et identifiée, lever, modifier ou remplacer un ou plusieurs des présents engagements.

15.2      À la demande de l’entité fusionnée, la Commission peut réexaminer, lever ou modifier tous les engagements proposés dans le présent document en se fondant sur l’évolution du marché à long terme. En particulier, la Commission lèvera l’obligation de mettre des créneaux horaires à disposition si elle constate que les relations contractuelles, sur lesquelles elle a fondé sa conclusion d’une réduction des incitations à la concurrence entre l’entité fusionnée par la décision de 2005 et les transporteurs de l’alliance de Lufthansa concernés, ont changé sur un point substantiel de sorte à supprimer les préoccupations indiquées par la Commission. »

 Décision attaquée

12      Le 4 novembre 2013, les parties ont présenté à la Commission une demande d’exemption des engagements tarifaires et, si possible, des engagements sur les créneaux horaires et d’autres mesures correctives accessoires en matière d’accès applicables aux lignes ZRH-STO et ZRH-WAW. Le présent recours ne concerne que la demande d’exemption des engagements tarifaires applicables aux lignes ZRH-STO et ZRH-WAW (ci-après la « demande d’exemption »).

13      La demande d’exemption était fondée sur trois motifs, à savoir, en premier lieu, la résiliation de l’accord de coentreprise, en deuxième lieu, la modification de la politique de la Commission en matière de traitement des partenaires d’alliance dans l’examen des opérations de concentration ainsi que l’appréciation portée par la Commission, à cet égard, dans sa décision C(2009) 4608 final, du 22 juin 2009, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et l’accord EEE (affaire COMP/M.5335, Lufthansa/SN Airholding, ci-après la « décision Lufthansa/Brussels Airlines »), et, en troisième lieu, l’existence d’une concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part.

14      Lufthansa a répondu le 14 février 2014 aux questions de la Commission du 22 novembre 2013 et le 27 avril 2014 aux questions supplémentaires du 26 février 2014.

15      Lors d’une réunion tenue le 12 septembre 2014, Lufthansa a proposé de résilier l’accord bilatéral d’alliance si cette résiliation permettait à la Commission d’accéder à la demande d’exemption concernant la ligne ZRH-STO. Le 16 octobre 2014, Lufthansa a complété sa demande d’exemption par de nouvelles conclusions. Le 26 janvier 2015, elle a répondu à une question de la Commission par un courriel et, le 18 mai 2015, elle a informé cette dernière d’un projet de modification de sa structure tarifaire.

16      Le 5 mars 2015, la Commission a informé Lufthansa que l’exemption demandée pourrait lui être accordée si elle apportait certaines modifications aux accords de partage de code conclus avec SAS et LOT. Lufthansa a répondu, par un courriel du 28 avril 2015, qu’elle n’envisageait pas de telles modifications.

17      Lufthansa a répondu le 29 juin 2015 aux questions de la Commission du 22 mai 2015.

18      Le 22 octobre 2015, la Commission a signifié aux parties son intention de rejeter la demande d’exemption. Les parties ont présenté des observations les 20 et 24 novembre 2015.

19      Le mandataire a communiqué des observations sur la demande d’exemption de Lufthansa le 27 juin 2014 et le 3 mai 2016.

20      Par décision C(2016) 4964 final, du 25 juillet 2016, la Commission a rejeté la demande de Lufthansa relative à l’exemption de certains engagements rendus contraignants par la décision de 2005 (ci-après la « décision attaquée »).

21      S’agissant de la demande d’exemption des parties au titre de la seconde phrase de la clause de révision 15.2, fondée sur un changement dans les accords de coopération conclus par Lufthansa, la Commission a estimé que la résiliation de l’accord de coentreprise conclu entre Lufthansa et SAS à propos du trafic entre l’Allemagne et la Scandinavie était insuffisante pour éliminer les problèmes exposés dans la décision de 2005 concernant la ligne ZRH-STO et que l’absence d’entrée d’un nouveau transporteur pourrait, en outre, être considérée, en soi, comme un motif justifiant le maintien des engagements sur les tarifs (considérant 68 de la décision attaquée). Il est indiqué, en outre, que, si les parties résiliaient effectivement l’accord bilatéral d’alliance, la clause de révision 15.2 pourrait, en principe et sous réserve d’une décision distincte de la Commission, déclencher un examen des engagements relatifs à la ligne ZRH-STO, étant précisé que la résiliation de l’accord bilatéral d’alliance déclencherait uniquement l’application de la clause de révision 15.2, ce qui ne serait pas suffisant en soi pour conclure que l’exemption demandée par les parties devrait effectivement être accordée (considérant 69 de la décision attaquée).

22      S’agissant de la demande d’exemption des parties au titre de la première phrase de la clause de révision 15.2, fondée sur une modification de la politique de la Commission en matière d’appréciation du rôle des partenaires d’alliance dans l’examen des concentrations depuis la décision de 2005, il est exposé que chaque opération est évaluée sur la base de ses propres qualités (considérant 77 de la décision attaquée), que la Commission n’a pas exclu, par principe, les relations entre les partenaires d’alliance de sa compétence, ni l’impact de ces relations sur l’incitation de leurs partenaires à se faire concurrence après la concentration (considérant 79 de la décision attaquée), et que les engagements soumis en l’espèce exigent une évolution du marché à long terme dont les parties n’ont pas rapporté la preuve (considérants 82 et 83 de la décision attaquée).

23      Par ailleurs, la Commission a souligné que, même si les conditions permettant de demander la levée des engagements sur les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW étaient considérées comme remplies, il conviendrait de tenir compte, dans l’appréciation de la demande d’exemption, des accords de partage de code conclus par Swiss avec les partenaires de Lufthansa, SAS, en 2006, et LOT, en 2007 (considérants 95 et 96 de la décision attaquée). En raison de l’impact éventuel de ces accords de partage de code sur la concurrence sur chacune des deux lignes, la Commission a estimé qu’ils étaient pertinents pour évaluer la concentration et a conclu que l’existence de ces accords révélait que le degré de coopération entre Lufthansa et SAS et LOT n’avait pas baissé (considérants 99 et 100 de la décision attaquée). La Commission a ainsi conclu qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour accorder l’exemption demandée. Elle a précisé que, d’une part, étant donné qu’aucune nouvelle compagnie aérienne concurrente n’était entrée sur le marché et qu’aucune autre circonstance exceptionnelle ni aucun changement radical dans les conditions du marché ne s’étaient produits, les conditions d’une levée des engagements prévues par la clause de révision 15.1 n’étaient pas remplies (considérant 108 de la décision attaquée). Elle a précisé que, d’autre part, les parties n’avaient pas démontré que les conditions requises pour réexaminer, lever ou modifier les engagements en vertu de la clause de révision 15.2 étaient satisfaites (considérant 109 de la décision attaquée).

24      La Commission a fondé cette conclusion sur cinq motifs rédigés comme suit :

« 111.      Premièrement, la résiliation de l’accord de coentreprise conclu avec SAS n’[affecte pas la base contractuelle pour une plus grande coopération] qui a été examinée dans la décision de 2005, et elle est donc insuffisante pour entraîner un réexamen fondé sur la clause de révision 15.2.

112.      Deuxièmement, même si la résiliation de l’accord de coentreprise était théoriquement considérée comme pertinente en l’espèce, la situation concurrentielle existant sur les deux lignes soulèverait toujours des doutes sérieux à propos de la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur […] de sorte que les conditions de la clause de révision 15.2 ne seraient pas remplies. En effet, seuls deux transporteurs assurent respectivement les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW, et ils ont conclu des accords de partage de code parallèles de plate-forme à plate-forme.

113.      Troisièmement, aucun changement contractuel ne s’est produit sur la ligne ZRH-WAW depuis la décision de 2005.

114.      Quatrièmement, l’acceptation par la Commission d’engagements structurels, par opposition à des engagements de nature comportementale, sur les tarifs dans certaines affaires récentes de concentration de compagnies aériennes, qui concernaient des lignes et des marchés qui ne font pas l’objet de la présente décision, ne peut pas être considérée comme un changement substantiel du marché ni autrement justifier l’exemption demandée. De même, le simple fait que des engagements sur les tarifs n’ont pas été envisagés dans certaines affaires récentes de concentration de compagnies aériennes peut ne pas constituer un motif justifiant la levée des engagements sur les tarifs en l’espèce.

115.      Cinquièmement, le changement allégué dans la manière dont la Commission traite les partenaires de l’Alliance ne constitue pas une évolution du marché à long terme au sens de la clause de révision 15.2.

116.      La Commission conclut donc que, globalement, la levée des engagements demandée ne remplit pas les conditions énoncées par les clauses de révision 15.1 et 15.2 (première et seconde phrases). Elle n’améliorerait pas non plus l’efficacité générale des engagements. La Commission a par conséquent décidé de rejeter la demande de Lufthansa de levée partielle des engagements […] ».

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2016, la requérante a introduit le présent recours.

26      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

28      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, a posé à Lufthansa et à la Commission des questions écrites. Elles ont répondu à ces questions dans les délais impartis.

29      Lufthansa et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 septembre 2017.

 En droit

30      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens. Le premier moyen est tiré de l’application d’un critère juridique erroné dans l’appréciation de la demande d’exemption, d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime. Le deuxième moyen est tiré d’une violation du principe de bonne administration. Le troisième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir.

 Observations liminaires

31      Les engagements pris par les parties afin de dissiper les doutes sérieux soulevés par une opération de concentration et de rendre celle-ci compatible avec le marché intérieur contiennent généralement une clause de révision prévoyant les conditions dans lesquelles la Commission, sur demande de l’entité fusionnée, pourra accorder une prolongation des délais ou lever, modifier ou remplacer lesdits engagements. Ainsi qu’il ressort du point 74 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement no 139/2004 du Conseil et au règlement (CE) no 802/2004 de la Commission (JO 2008, C 267, p. 1, ci-après la « communication sur les mesures correctives »), la levée ou la modification des engagements présente un intérêt particulier dans le cas des engagements comportementaux, qui peuvent avoir été contractés depuis plusieurs années et pour lesquels certaines circonstances ne peuvent être prévues au moment de l’adoption de la décision sur la concentration les ayant rendus contraignants. Dans sa duplique, la Commission, se référant à sa décision C(2011) 2981 final, du 3 mai 2011 (affaire no IV/M.950 – Hoffmann – La Roche/Boehringer Mannheim), a, par ailleurs, fait valoir qu’une modification ou une levée des engagements peut même intervenir en l’absence de clause de révision, lorsque les engagements deviennent obsolètes ou disproportionnés en raison d’évolutions exceptionnelles ultérieures. Les engagements visent en effet à remédier aux problèmes de concurrence relevés dans la décision autorisant la concentration, de sorte que leur contenu pourrait devoir être modifié, ou leur nécessité disparaître, en fonction de l’évolution de la situation du marché. Dans le cadre du présent recours, la requérante se prévaut toutefois uniquement de ce que l’exemption demandée aurait dû lui être accordée en application des clauses de révision 15.1 et 15.2 contenues dans les engagements.

32      Préalablement à l’examen des différents moyens et arguments soulevés par la requérante à l’encontre de la décision attaquée, il convient de déterminer la marge d’appréciation dont dispose la Commission lors de l’examen d’une demande d’exemption d’engagements ainsi que le contrôle devant être opéré par le Tribunal sur les décisions prises par la Commission à cet égard et de préciser certains aspects de la procédure d’examen d’une telle demande.

33      Selon une jurisprudence constante, les règles de fond du règlement no 139/2004 confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique (voir, par analogie, arrêts du 31 mars 1998, France e.a./Commission, C‑68/94 et C‑30/95, EU:C:1998:148, point 223 ; du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 38, et du 18 décembre 2007, Cementbouw Handel & Industrie/Commission, C‑202/06 P, EU:C:2007:814, point 53).

34      Il en est ainsi pour l’appréciation non seulement de la compatibilité d’une opération de concentration, mais également de la nécessité d’obtenir des engagements en vue de dissiper les doutes sérieux posés par une telle opération (voir, en ce sens, arrêts du 30 septembre 2003, ARD/Commission, T‑158/00, EU:T:2003:246, point 328, et du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, EU:T:2006:187, point 128) et de l’exécution de tels engagements (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 avril 2003, Petrolessence et SG 2R/Commission, T‑342/00, EU:T:2003:97, points 102 et 103).

35      S’agissant, plus particulièrement, d’une demande d’exemption d’engagements rendus contraignants par une décision déclarant une opération de concentration compatible avec le marché intérieur, tout d’abord, il convient de relever que, si l’examen d’une concentration exige des prédictions sur des évolutions futures qui deviennent d’autant plus difficiles et incertaines que leur horizon temporel s’éloigne, l’examen d’une demande d’exemption d’engagements ne soulève pas nécessairement les mêmes difficultés d’analyse prospective. Selon les hypothèses, l’examen d’une telle demande nécessitera, en effet, plutôt de vérifier si les conditions prévues par la clause de révision assortissant, généralement, les engagements sont remplies ou d’évaluer, avec recul, si les prédictions émises au moment de l’approbation de la concentration se sont révélées exactes ou si les doutes sérieux soulevés par celle-ci sont encore d’actualité.

36      Ensuite, il y a lieu d’observer que, ainsi que le fait valoir la requérante, l’examen d’une demande d’exemption d’engagements n’est pas soumis aux délais stricts fixés dans le cadre de l’examen d’une opération de concentration. Aucune disposition ne prévoit, en effet, de délais dans lesquels la procédure d’examen d’une telle demande, ou certaines phases de cette procédure devraient être accomplies, ni, d’une manière plus générale, ne réglemente ou n’organise ladite procédure.

37      Il n’en reste pas moins que l’appréciation d’une demande d’exemption d’engagements suppose, tout comme les autres décisions en matière de concentration, des évaluations économiques parfois complexes afin, en particulier, de vérifier si la situation du marché, au sens large, a changé de façon significative et durable, de sorte que les engagements ne sont plus nécessaires pour remédier aux problèmes de concurrence relevés dans la décision de concentration ayant rendu les engagements contraignants.

38      Il y a dès lors lieu de considérer que la Commission dispose également d’un certain pouvoir discrétionnaire pour l’appréciation d’une demande d’exemption d’engagements impliquant des évaluations économiques complexes.

39      En conséquence, le contrôle par le Tribunal de l’exercice d’un tel pouvoir doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 38). Toutefois, cela n’implique pas que le Tribunal doive s’abstenir de contrôler l’interprétation faite par la Commission de données de nature économique. En effet, le Tribunal doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 39).

40      Contrairement à ce que soutient la Commission, cette jurisprudence énoncée dans l’arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C‑12/03 P, EU:C:2005:87), n’est pas dénuée de pertinence en l’espèce, au motif que l’affaire dans laquelle la Cour l’a établie ne portait pas sur le réexamen des engagements rendus contraignants par une décision de concentration. Ladite jurisprudence est, en effet, tout à fait générale et a d’ailleurs été appliquée, en particulier, dans les différents types de contentieux résultant de l’application du règlement no 139/2004. En outre, selon une jurisprudence constante, dans les cas où les institutions disposent d’un pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l’obligation pour la Commission d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce, le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision attaquée de façon suffisante (voir, en ce sens, arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, EU:T:2002:77, point 99).

41      Il découle de ce qui précède que, si la Commission dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire pour l’appréciation d’une demande d’exemption d’engagements, elle est néanmoins tenue d’effectuer un examen diligent de cette demande, de mener, si nécessaire, une enquête, de prendre les mesures d’instruction appropriées et de fonder ses conclusions sur l’ensemble des données pertinentes.

42      S’agissant du critère juridique approprié pour l’appréciation d’une demande d’exemption, la Commission, rappelant que le retrait rétroactif d’un acte administratif légal qui a conféré des droits subjectifs ou des avantages similaires est contraire aux principes généraux du droit (arrêt du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00, EU:T:2002:278, point 139), fait valoir que les décisions de concentrations légales qui confèrent des droits ou des avantages similaires, telles que la décision de 2005, ne peuvent être modifiées ou révoquées que dans certaines circonstances exceptionnelles strictement définies. Cette argumentation ne saurait être suivie. La décision portant sur une demande d’exemption d’engagements ne présuppose pas un retrait de la décision autorisant la concentration qui les a rendus contraignants et ne consiste pas en un tel retrait. Elle a pour objet de vérifier si les conditions prévues dans la clause de révision faisant partie des engagements sont remplies ou, le cas échéant, si les problèmes de concurrence recensés dans la décision autorisant la concentration sous réserve des engagements ne se posent plus.

43      Il convient toutefois de préciser que, la décision de 2005 étant devenue définitive, la requérante ne saurait, dans le cadre de la présente procédure, contester indirectement la légalité de celle-ci, y compris en tant qu’elle a trait aux engagements.

44      Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission est toujours tenue de réexaminer régulièrement, même de sa propre initiative, si les mesures correctives sont toujours justifiées, il est sans pertinence en l’espèce, dès lors que la requérante a introduit une demande de levée des engagements.

45      Enfin, il convient de préciser que c’est aux parties liées par les engagements qu’il incombe d’apporter des éléments de preuve suffisants en vue de démontrer que les conditions requises pour la levée des engagements sont remplies. Toutefois, lorsque lesdites parties fournissent des éléments de preuve de nature à établir que les conditions prévues dans les clauses de révision des engagements sont remplies, il appartient à la Commission d’exposer en quoi ces éléments ne seraient pas suffisants ou fiables et, si nécessaire, d’effectuer une enquête pour vérifier, compléter ou contredire les éléments apportés par ces parties.

46      C’est à la lumière de l’ensemble de ces considérations qu’il convient d’examiner les moyens et les arguments avancés par la requérante.

 Sur le premier moyen, tiré de l’application d’un critère juridique erroné, d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime

47      Le premier moyen est subdivisé en cinq branches. La première est tirée de l’application d’un critère juridique erroné dans l’appréciation de la demande d’exemption ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime. La deuxième est tirée d’erreurs manifestes dans l’appréciation des accords d’alliance de Lufthansa. La troisième est tirée de l’absence de prise en compte par la Commission de ce que la concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part, constituerait une « évolution du marché à long terme ». La quatrième est tirée du défaut de prise en compte par la Commission de la modification de sa politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance. La cinquième est tirée du non-respect par la Commission de sa politique générale en matière de concentrations à l’égard des mesures correctives tarifaires.

48      Il convient d’examiner, tout d’abord, la première branche, puis les deuxième et quatrième branches conjointement, ensuite, la troisième branche et, enfin, la cinquième branche. La conclusion sur l’appréciation d’ensemble du moyen sera portée à l’issue de l’examen des différentes branches.

 Sur la première branche, tirée de l’application d’un critère juridique erroné dans l’appréciation de la demande d’exemption ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime

49      La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée repose sur un critère juridique erroné en ce que la Commission ne jouit pas d’un pouvoir discrétionnaire illimité dans l’appréciation des demandes d’exemption d’engagements et considère que, à l’aune de la jurisprudence énoncée dans l’arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval (C‑12/03 P, EU:C:2005:87), et des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime, la Commission a une obligation accrue d’examiner scrupuleusement les engagements à long terme et d’effectuer une enquête.

50      En premier lieu, dans la mesure où, ainsi que la requérante l’a confirmé lors de l’audience, dans le cadre de la présente branche, elle reproche à la Commission d’avoir violé son obligation d’effectuer un examen diligent de la demande d’exemption, de mener, si nécessaire, une enquête et de fonder ses conclusions sur l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération, l’argumentation développée au soutien de ladite branche n’a pas de portée autonome. Il conviendra donc de l’examiner en combinaison avec les griefs de fond développés dans les autres branches du premier moyen.

51      En deuxième lieu, la requérante allègue que les engagements qui imposent des restrictions perpétuelles sur la fixation des prix sont incompatibles avec le principe de proportionnalité et avec un régime dans lequel la concurrence n’est pas faussée et qu’ils requièrent de ce fait un réexamen régulier par la Commission.

52      Cette argumentation doit être rejetée. Outre le fait que les obligations en cause ne sont pas perpétuelles, mais simplement d’une durée indéterminée, il convient de relever que, la décision de 2005 étant devenue définitive, la requérante ne saurait, ainsi qu’il a été relevé au point 43 ci-dessus, contester la légalité desdits engagements dans le cadre du présent recours.

53      Par ailleurs, ainsi que le souligne la Commission, les clauses de révision 15.1 et 15.2 expriment le principe de proportionnalité en ce qu’elles permettent, dans des circonstances exceptionnelles, de lever, de modifier ou de remplacer les engagements s’il est prouvé qu’ils ne sont plus nécessaires ou proportionnés, étant entendu que la seule circonstance qu’ils soient en vigueur depuis plusieurs années n’établit pas en elle-même que les doutes sérieux auxquels ils répondent soient dissipés et que les engagements ne soient plus justifiés.

54      Enfin, ainsi qu’il ressort du point 44 ci-dessus, il n’incombe pas à la Commission de réaliser régulièrement un examen d’office des engagements de longue durée, mais aux parties liées par lesdits engagements d’introduire une demande de levée ou de modification de ceux-ci et d’établir que les conditions requises à cette fin sont remplies.

55      En troisième lieu, s’agissant du principe de protection de la confiance légitime, la requérante fait valoir que la Commission a exigé les engagements tarifaires, qu’elle ne les a acceptés qu’avec réticence moyennant l’insertion de la clause de révision 15.2 et qu’elle s’attendait donc légitimement à ce que la Commission lève effectivement les engagements et examine de bonne foi si les exigences de la clause de révision étaient remplies.

56      Cette argumentation ne saurait prospérer. D’une part, elle repose sur une prémisse erronée. En effet, ainsi qu’il résulte notamment du considérant 30 et de l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, ce sont les entreprises concernées par une opération de concentration qui peuvent proposer des engagements afin de la rendre compatible avec le marché intérieur et la Commission ne peut imposer des engagements auxdites entreprises. D’autre part, l’allégation est dépourvue de pertinence dans la mesure où la légalité des engagements rendus contraignants par la décision de 2005 ne peut plus être contestée. Par ailleurs, il ne ressort pas du dossier que la Commission ait donné des assurances précises quant à la levée des engagements. Enfin, il convient de relever que la clause de révision ne saurait en soi garantir à la requérante que sa demande d’exemption d’engagements fût automatiquement acceptée, la levée des engagements ne pouvant être accordée que si les conditions prévues à cet effet sont effectivement remplies.

57      Il s’ensuit que la première branche doit être écartée, sauf en ce qui concerne le grief pris de la violation par la Commission de son obligation d’effectuer un examen diligent de la demande d’exemption, de mener, si nécessaire, une enquête et de fonder ses conclusions sur l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération, lequel sera examiné dans le cadre des autres branches du premier moyen.

 Sur les deuxième et quatrième branches, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation des accords d’alliance de Lufthansa au regard de la seconde phrase de la clause de révision 15.2 et du défaut de prise en compte par la Commission de la modification de sa politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance

58      La requérante soutient, en substance, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation, qu’elle n’a pas tenu compte des éléments pertinents, qu’elle s’est fondée sur des hypothèses non prouvées et qu’elle n’a pas examiné de bonne foi la demande d’exemption, en concluant que les changements dans les accords d’alliance conclus entre Lufthansa et SAS n’étaient pas suffisants pour lever l’engagement tarifaire concernant la ligne ZRH-STO. Elle fait valoir, à cet égard, en premier lieu, que la décision attaquée ne tient aucun compte de l’appréciation, réalisée par la Commission elle-même, des mêmes accords conclus par Lufthansa avec SAS (et d’autres partenaires de Star Alliance) dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines, en deuxième lieu, que la Commission n’a pas tenu compte de son changement de politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance, en troisième lieu, que l’accord de partage de code examiné dans la décision C(2012) 2320 de la Commission, du 30 mars 2012 (affaire COMP/M.6447 – IAG/bmi, ci-après la « décision IAG/bmi »), n’est pas pertinent en l’espèce et, en quatrième lieu, que l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS n’inclut pas les formes de coopération sur lesquelles est fondé le traitement des partenaires de Lufthansa dans la décision de 2005.

–       Observations liminaires

59      À titre liminaire, il convient de constater, tout d’abord, que la seconde phrase de la clause de révision 15.2 ne se réfère explicitement qu’à la levée de l’obligation de mettre des créneaux horaires à disposition et non à celle portant sur les tarifs. Toutefois, cette situation résulte de ce que, ainsi qu’il ressort du point 9 ci-dessus, les engagements tarifaires n’ont été introduits qu’à la fin de la négociation des mesures correctives, à un moment où la seconde phrase de la clause de révision 15.2 avait déjà été établie. Ainsi que le fait valoir la requérante sans être contredite par la Commission, c’est donc par inadvertance, et non délibérément, que la clause de révision n’a pas été modifiée de manière à refléter cette adjonction des engagements tarifaires. Il s’ensuit que la seconde phrase de la clause de révision 15.2 doit être interprétée comme s’appliquant non seulement aux engagements relatifs aux créneaux horaires, mais également aux engagements tarifaires. Cette interprétation s’impose a fortiori dès lors que les engagements tarifaires constituent une obligation inhabituelle et particulièrement restrictive de la liberté d’action commerciale des parties, de sorte qu’il apparaît d’autant plus important et justifié de prévoir la possibilité d’y mettre fin. D’ailleurs, lors de l’audience, la Commission a expressément confirmé ne pas contester cette interprétation de la seconde phrase de la clause de révision 15.2.

60      Il convient de relever, par ailleurs, que, si la première phrase de la clause de révision 15.2, qui correspond à une clause de révision standard, prévoit que la Commission peut lever ou modifier les engagements en cas d’évolution du marché à long terme, la seconde phrase de ladite clause indique que la Commission lèvera les engagements en cas de changement des relations contractuelles. La teneur de cette seconde phrase, certes plus impérative, ne signifie toutefois pas, ainsi que le prétend la requérante, que toute modification quelconque des relations contractuelles imposera automatiquement à la Commission de lever les engagements. En effet, la levée des engagements, au titre de la seconde phrase de la clause de révision 15.2, requiert que les relations contractuelles, sur lesquelles la Commission a fondé sa conclusion d’une réduction des incitations à la concurrence, aient changé au point d’éliminer les problèmes recensés dans la décision de 2005.

61      Il convient de rappeler, à cet égard, que l’engagement tarifaire en cause a été émis en réponse aux doutes sérieux résultant du chevauchement d’activités non pas entre les parties à la concentration, mais entre Swiss et SAS, laquelle ne faisait pas partie du groupe Lufthansa, mais était partenaire de Star Alliance et était en outre liée à Lufthansa par une série d’accords bilatéraux (voir point 2 ainsi que points 5 à 8 ci-dessus). La Commission a, en effet, conclu, au considérant 22 de la décision de 2005, que, au vu de la coopération intense résultant des accords bilatéraux conclus avec Lufthansa, les partenaires de Star Alliance « Austrian, bmi, SAS et United Airlines ne p[ouvaient] pas être considérés comme des concurrents de Lufthansa » et « n’[avaient] que peu, voire aucune incitation à faire concurrence à Swiss après la concentration ».

62      Force est de constater que la motivation à cet égard est fort sommaire, la décision de 2005 se bornant à indiquer, sans aucune analyse des différents accords, que les accords bilatéraux conclus par Lufthansa avec les compagnies aériennes mentionnées au point 61 ci-dessus prévoient « une politique de prix commune au niveau mondial, la planification commune du réseau et des vols, l’organisation d’un système de plateforme commune et une stratégie de commercialisation unique » et « constituent donc la base juridique d’une intégration mondiale des réseaux des compagnies et de leurs politiques commerciales » du fait que « le champ d’application et la finalité de ces accords excèdent le faisceau des lignes reliant l’Allemagne et leurs pays d’origine respectifs ». Le considérant 22, dernière phrase, de la décision de 2005 indique que le « même raisonnement s’applique à LOT et Air Canada dont les accords conclus avec Lufthansa prévoient au moins une planification commune du réseau et une politique de prix commune s’étendant au-delà de leurs pays respectifs ».

63      La décision de 2005 ne contient donc pas d’analyse ou d’appréciation individuelle des différents accords bilatéraux conclus par Lufthansa avec SAS, ni d’exposé des motifs pour lesquels ces accords impactent la concurrence entre SAS et Swiss pour d’autres lignes que celles sur lesquelles portent lesdits accords, de sorte que l’incidence de la dénonciation de l’un ou l’autre de ces accords ne découle pas clairement de la décision de 2005. Il n’en reste pas moins que l’appréciation selon laquelle les partenaires de Star Alliance, tels que SAS et LOT, ne peuvent pas être considérés comme des concurrents de Lufthansa et n’ont que peu, voire aucune incitation à faire concurrence à Swiss après la concentration, repose sur un ensemble d’accords aboutissant à une coopération très étendue. En conséquence, une modification ou la suppression des accords réalisant cette intégration poussée apparaît comme étant de nature à supprimer les problèmes de concurrence recensés dans la décision de 2005 et, par là-même, de nature à justifier la levée des engagements.

64      C’est à la lumière de ces observations qu’il convient d’examiner les griefs et les arguments relatifs aux modifications des relations contractuelles entre Lufthansa et SAS.

–       Modifications contractuelles entre Lufthansa et SAS

65      Au soutien de leur demande d’exemption, les parties ont fait valoir, notamment, que la suppression, au 1er juin 2013, de l’accord de coentreprise ainsi que de toute autre coopération entre Lufthansa et SAS allant au-delà d’un partage de code standard constituait une modification des relations contractuelles au sens de la clause de révision 15.2, justifiant la levée de l’engagement tarifaire sur la ligne ZRH-STO. La Commission reconnaît, aux considérants 39 et 40 de la décision attaquée, que la résiliation de l’accord de coentreprise constituait effectivement une modification de la relation contractuelle entre Lufthansa et SAS en vigueur au moment de l’adoption de la décision de 2005. Dans son rapport du 27 juin 2014, le mandataire a conclu que la résiliation de l’accord de coentreprise constituait « un changement substantiel de marché », au sens de la clause de révision 15.2, dès lors qu’elle mettait fin à la politique opérationnelle commune des deux compagnies, qui incluait la fixation des prix et la planification du réseau entre Lufthansa et SAS.

66      Il convient de relever, à cet égard, que, si la Commission n’est, certes, pas liée par l’avis du mandataire, elle est néanmoins tenue, en principe, de le prendre en considération, d’autant plus qu’elle a elle-même sollicité cet avis, une première fois le 16 juin 2014 et une seconde fois le 5 avril 2016. Or, aux considérants 30 à 46 de la décision attaquée, exposant l’évaluation de la Commission de la résiliation de l’accord de coentreprise, la Commission non seulement n’analyse nullement l’appréciation contenue dans lesdits avis, mais ne les mentionne même pas. En outre, l’exposé, aux considérants 27 et 29 de la décision attaquée, ne reflète pas fidèlement les avis du mandataire tels que déposés en annexe à la défense par la Commission. En effet, d’une part, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 27 de la décision attaquée, le mandataire, dans son avis du 27 juin 2014, n’a pas considéré que la question de savoir si le changement substantiel du marché résultant de la résiliation de l’accord de coentreprise entre Lufthansa et SAS concernant la ligne ZRH-STO justifierait la levée des engagements excéderait son mandat, mais a estimé que c’était la question de savoir si la Commission avait fondé, dans la décision de 2005, son appréciation relative aux relations entre Lufthansa et LOT sur sa pratique légale de l’époque ou sur une supposition, s’agissant de la ligne ZRH-WAW, qui excéderait ledit mandat. D’autre part, alors que, selon le considérant 29 de la décision attaquée, le 3 mai 2016, le mandataire a modifié son avis initial et déclaré qu’il n’avait pris connaissance d’aucune circonstance exceptionnelle au sens de la clause de révision 15.1 sur les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW, il convient de relever que le document du 3 mai 2016 ne constituait pas le second avis du mandataire, mais des réponses à une série de questions se rapportant à la clause de révision 15.1 et non à la clause de révision 15.2. Au contraire, dans son second avis, qui date du 13 avril 2016, le mandataire a, ainsi que l’a d’ailleurs expressément indiqué la Commission dans sa défense, réitéré en substance les conclusions précédentes du 27 juin 2014 et clarifié le fait que les tarifs de la classe affaires sur les deux lignes avaient également été réduits de manière significative après l’introduction de nouveaux tarifs. Par ailleurs, la Commission n’examine pas non plus, dans la décision attaquée, la portée et l’incidence de la résiliation de l’accord de coentreprise, alors qu’il constituait un instrument essentiel de la coopération entre Swiss et SAS.

67      Il est exposé, à cet égard, au considérant 43 de la décision attaquée que, l’évaluation réalisée dans la décision de 2005 étant fondée non seulement sur l’accord de coentreprise, mais également sur une évaluation globale de la coopération entre Lufthansa et SAS, et l’accord bilatéral d’alliance de 1995 qui permet cette coopération étant toujours en vigueur, la simple résiliation de l’accord de coentreprise relatif au trafic entre l’Allemagne et la Scandinavie n’autorise pas à conclure que les relations contractuelles actuelles entre les deux entreprises ont changé sur un point substantiel qui supprime les préoccupations exposées dans la décision de 2005 à propos de la ligne ZRH-STO. Le maintien de l’accord bilatéral d’alliance de 1995 paraît, ainsi, constituer le motif du rejet de la demande d’exemption.

68      Le considérant 48 de la décision attaquée expose d’ailleurs à cet égard que, l’accord bilatéral d’alliance de 1995 constituant la base de tous les autres accords bilatéraux conclus entre les deux sociétés, sa résiliation, considérée conjointement avec la résiliation de l’accord de coentreprise, pourrait constituer, en principe, un changement substantiel dans la relation contractuelle évaluée dans la décision de 2005.

69      Or, ainsi qu’il est expressément indiqué aux considérants 4, 32 et 47 de la décision attaquée, Lufthansa a proposé, au cours de la procédure administrative, de résilier l’accord bilatéral d’alliance, si cette résiliation permettait à la Commission de faire droit à sa demande d’exemption sur la ligne ZRH-STO.

70      La Commission ne pouvait dès lors estimer, au considérant 43 de la décision attaquée, que la résiliation de l’accord de coentreprise ne permettait pas de conclure à une modification substantielle des relations contractuelles du fait que l’accord bilatéral d’alliance était toujours en vigueur.

71      La Commission fait valoir à cet égard que l’accord bilatéral d’alliance n’a jamais été dénoncé et que la proposition de Lufthansa de résilier cet accord n’a jamais représenté un engagement formel. Elle considère, dès lors, que la décision attaquée n’aurait pas pu être fondée sur une suggestion orale non contraignante de Lufthansa relative à l’éventuelle dénonciation de l’accord bilatéral d’alliance.

72      Cette argumentation ne saurait être retenue. Ainsi que l’a fait valoir la requérante et qu’il ressort des considérants 4, 32 et 47 de la décision attaquée, celle-ci est fondée sur l’hypothèse que Lufthansa résilierait cet accord si cette résiliation s’avérait suffisante pour que la Commission lève les engagements sur les tarifs. En outre, il appartenait à la Commission, dans l’hypothèse où elle l’estimait nécessaire, de demander, lors de la procédure administrative, que Lufthansa matérialise cet engagement selon des modalités qui lui paraissaient appropriées.

73      Il s’ensuit que, en n’examinant pas l’incidence de la résiliation de l’accord de coentreprise, ni à elle seule ni conjointement avec l’engagement de résilier également l’accord bilatéral d’alliance, la Commission n’a pas pris en considération l’ensemble des éléments pertinents pour apprécier la demande d’exemption fondée sur une modification des relations contractuelles entre Lufthansa et SAS.

74      Il convient toutefois de relever que, selon d’autres considérants de la décision attaquée, le rejet de la demande est fondé sur des motifs différents de l’absence de résiliation effective de l’accord bilatéral d’alliance.

75      Ainsi, dans la conclusion de la partie de la décision attaquée consacrée aux modifications contractuelles (considérants 68 à 70), la Commission, après avoir indiqué que la résiliation de l’accord de coentreprise était insuffisante, a relevé qu’il « n’y a[vait] eu aucun changement dans les conditions concurrentielles sur la ligne ZRH-WAW, sur laquelle la coopération entre Lufthansa et LOT sembl[ait] avoir été moins étroite que sur la ligne ZRH-STO », pour en déduire successivement que les engagements tarifaires relatifs à la ligne ZRH-WAW devraient être maintenus et, par conséquent, ceux relatifs à la ligne ZRH-STO également. Cette justification doit être écartée dès lors qu’elle est avancée sur la base de simples considérations hypothétiques, qu’elle est dépourvue du moindre examen concret des éléments pertinents relatifs à chacune des lignes et qu’elle repose sur une argumentation quelque peu circulaire, dans la mesure où la comparaison entre les deux lignes justifie le rejet de la demande pour la première, lequel à son tour justifie le rejet de la demande pour la seconde. Par ailleurs, la Commission a souligné, au considérant 68 de la décision attaquée, que l’absence d’entrée d’un nouveau transporteur pourrait, en outre, être considérée, en soi, comme un motif justifiant le maintien des engagements tarifaires sur les deux lignes ZRH-STO et ZRH-WAW. Cette dernière justification est erronée. L’entrée d’un nouveau transporteur sur la ligne ZRH-STO ou sur la ligne ZRH-WAW ne constitue pas une condition requise pour la levée des engagements conformément aux clauses de révision, mais un motif distinct, supplémentaire, entraînant automatiquement la fin des engagements tarifaires conformément à la clause 11.1 des engagements.

76      Il résulte toutefois des considérants 49, 70, 95 et 112 de la décision attaquée que la Commission a estimé que la résiliation de l’accord de coentreprise et la proposition de résilier également l’accord bilatéral d’alliance n’étaient pas suffisantes en raison, notamment, de la conclusion, en 2006, de l’accord de partage de code entre Swiss et SAS. Plus encore, selon le considérant 95 de la décision attaquée, « même si les conditions permettant de demander la levée des engagements étaient considérées comme remplies », il conviendrait encore de tenir compte, dans l’appréciation de la demande d’exemption, de l’introduction de cet accord de partage de code. L’importance attachée par la Commission audit accord ressort enfin des considérants 5 et 104 de la décision attaquée, où il est exposé que, le 5 mars 2015, la Commission a informé la requérante que l’exemption pouvait lui être accordée si elle apportait certaines modifications à l’accord de partage de code entre Swiss et SAS – à savoir limiter sa portée aux voyageurs en correspondance –, sans que cette proposition soit subordonnée à la moindre réserve ou condition de résilier l’accord bilatéral d’alliance ou d’effectuer une enquête.

77      Bien que la motivation de la décision attaquée soit pour le moins confuse, il convient néanmoins d’examiner également si la Commission pouvait conclure que la résiliation de l’accord de coentreprise combinée avec la proposition de résilier l’accord bilatéral d’alliance n’était pas suffisante pour faire droit à la demande d’exemption en raison de l’accord de partage de code que Swiss avait conclu avec SAS en 2006.

78      La requérante avance deux séries d’arguments à cet égard, concernant, la première, l’appréciation par la Commission des mêmes accords dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines et un prétendu changement de politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance et, la seconde, l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS.

–       Sur la décision Lufthansa/Brussels Airlines et le prétendu changement de politique de la Commission en matière de traitement des partenaires d’alliance

79      La requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir tenu compte de l’appréciation des mêmes accords conclus par Lufthansa avec SAS, et avec les autres partenaires de Star Alliance, qu’elle avait effectuée dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines. La requérante soutient, de manière plus générale, que, depuis la décision Lufthansa/Brussels Airlines, la Commission a changé sa politique en matière de traitement des partenaires d’alliance, de sorte que, si la concentration Lufthansa/Swiss était notifiée aujourd’hui, les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW ne seraient pas considérées comme des marchés affectés et les engagements n’auraient pas été nécessaires pour obtenir l’autorisation de l’opération.

80      Il convient de souligner que les griefs développés au point 79 ci-dessus, à la différence des griefs relatifs aux modifications contractuelles proprement dites et à l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS, ont été avancés par la requérante pour contester l’appréciation de la Commission tant en ce qui concerne la ligne ZRH-STO qu’en ce qui concerne la ligne ZRH-WAW.

81      La Commission rappelle, tout d’abord, que toute concentration est appréciée individuellement à la lumière des circonstances factuelles et juridiques propres à cette opération. La requérante ne pourrait donc se fonder sur de prétendues différences d’appréciation de la Commission par rapport à d’autres affaires.

82      La Commission considère, par ailleurs, que la décision attaquée n’est pas en contradiction avec l’appréciation faite dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines et que son approche relative à l’évaluation des relations entre les parties à une concentration et les tiers dans le secteur de l’aviation n’a pas sensiblement changé depuis l’adoption de la décision de 2005. En tout état de cause, il ne saurait être question d’une évolution du marché à long terme ou, a fortiori, d’un changement des accords sous-jacents entre Lufthansa et ses partenaires d’alliance.

83      À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante, lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur sur la base d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une partie requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur la base d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les deux affaires soient similaires, voire identiques (arrêts du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, EU:T:2005:456, point 118, et du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑162/10, EU:T:2015:283, point 142). Conformément à cette jurisprudence, ni la Commission ni, a fortiori, le Tribunal ne sont liés par les constatations de fait et les appréciations économiques effectuées dans les décisions précédentes.

84      Toutefois, en l’espèce, l’argumentation de la requérante ne saurait être écartée en application de la jurisprudence citée au point 83 ci-dessus.

85      D’une part, la requérante n’invoque pas une simple différence d’appréciation entre la décision attaquée et une autre décision quelconque, mais un changement de politique, en ce que la Commission ne prendrait plus en considération les partenaires d’alliance dans la définition des marchés affectés.

86      D’autre part, la requérante se prévaut de l’analyse des mêmes accords entre les mêmes parties, dans le même contexte et concernant une même problématique, que la Commission a effectuée dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines dont la requérante était également destinataire.

87      Si une éventuelle différence d’analyse entre la décision Lufthansa/Brussels Airlines et la décision attaquée ou un prétendu changement de politique de la Commission ne permettent, certes, pas, en soi, de conclure à l’illégalité de la décision attaquée, ils requièrent, en revanche, de vérifier si, à tout le moins, la Commission a procédé à un examen approfondi de l’argumentation de la requérante selon laquelle les partenaires d’alliance ne seraient plus pris en considération dans la définition des marchés affectés.

88      En outre, ainsi qu’il a été exposé au point 13 ci-dessus, l’appréciation portée dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines ainsi que la modification de politique de la Commission en matière de traitement des partenaires d’alliance constituaient, précisément, l’un des trois motifs, avec la résiliation de l’accord de coentreprise et l’existence d’une concurrence entre Swiss d’une part et SAS et LOT d’autre part, sur lesquels était fondée la demande d’exemption. Il ressort du dossier que la question s’est d’ailleurs trouvée au cœur du débat tout au long de la procédure administrative.

89      Par ailleurs, il y a lieu de relever que la modification alléguée de la politique de la Commission à l’égard des partenaires d’alliance a été examinée dans une partie entière de la décision attaquée (considérants 71 à 83) et que la motivation de ladite décision repose, notamment, sur cette appréciation, laquelle peut donc être contestée par la requérante.

90      Il résulte de ce qui précède que l’argumentation de la requérante tirée de la décision Lufthansa/Brussels Airlines et de la modification subséquente de la politique de la Commission à l’égard des partenaires d’alliance ne saurait être écartée au motif que les décisions antérieures ne constituent pas le cadre juridique pertinent et, par conséquent, doit être analysée.

91      En premier lieu, il y a lieu de relever, à cet égard, que la Commission omet, dans la décision attaquée, d’apporter la moindre réponse à l’argument tiré de la décision Lufthansa/Brussels Airlines, alors que cet argument est pourtant exposé aux considérants 73 et 74 de la décision attaquée. Cette omission est d’autant plus significative qu’elle porte sur un élément constituant un des fondements de la demande d’exemption et que, dans sa lettre du 20 novembre 2015, la requérante a souligné l’importance évidente d’une (ré)évaluation par la Commission des accords conclus par Lufthansa avec SAS et LOT examinés dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines.

92      De même, les éléments avancés par la Commission, dans ses écritures devant le Tribunal, ne sont pas de nature à justifier la différence d’analyse entre la décision attaquée et la décision Lufthansa/Brussels Airlines, dans la mesure où ils sont en réalité présents dans les deux affaires.

93      La Commission se borne, en effet, à faire valoir que, dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines, elle a conclu qu’il ne fallait pas s’attendre à des retombées propres à la concentration, étant donné que les accords de coopération de Lufthansa avec, notamment, SAS et LOT ne seraient probablement pas étendus à l’autre partie à la concentration. Or, ainsi que le fait valoir la requérante, il en est de même dans la présente affaire, dès lors qu’elle concerne les mêmes accords de coopération avec les mêmes parties et qu’il est constant que lesdits accords ne contiennent pas de clause d’extension automatique sans renégociation et que les accords de coopération entre Lufthansa, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part, n’ont effectivement pas été étendus à Swiss. La Commission fait valoir à nouveau qu’elle a considéré que Swiss deviendrait une filiale de Lufthansa et qu’elle rejoindrait Star Alliance. Là non plus il n’y a guère de différence, Brussels Airlines étant également devenue une filiale de Lufthansa et ayant rejoint Star Alliance.

94      En second lieu, s’agissant du changement de politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance, la Commission se réfère, dans la décision attaquée, à la décision IAG/bmi pour démontrer qu’elle n’a pas exclu, par principe, les relations entre les partenaires de l’alliance de sa compétence, ni l’impact de ces relations sur l’incitation de ces partenaires à se faire concurrence après la concentration.

95      Toutefois, ainsi que le relève la requérante, au considérant 160 de la décision IAG/bmi, la Commission avait expressément déclaré que, « conformément aux décisions antérieures de la Commission, les partenaires de l’alliance d’IAG n’[avaie]nt pas été pris en compte pour déterminer les marchés touchés ».

96      En outre, si, dans la décision attaquée et dans les mémoires devant le Tribunal, la Commission fait valoir que, dans la décision IAG/bmi, les relations existantes de partage de code entre l’une des parties et des tiers ont été prises en considération dans l’appréciation de la situation concurrentielle, il convient de relever, ainsi que l’a souligné la requérante et que la Commission l’a admis dans ses mémoires devant le Tribunal, que, en réalité, le chevauchement d’activités pertinent dans cette affaire concernait les parties à la concentration elles-mêmes, à savoir bmi et British Airways – cette dernière en sa qualité de transporteur commercial vendant des billets pour les vols de Royal Jordanian – et non bmi et Royal Jordanian – qui était partenaire de l’alliance de British Airways. Ainsi que le fait valoir la requérante, la décision IAG/bmi constitue plutôt une analyse classique d’une concentration qu’une application de la ligne d’analyse développée dans la décision de 2005 selon laquelle les partenaires indépendants d’alliance doivent être inclus dans la définition des marchés.

97      Par ailleurs, la requérante a souligné, durant la procédure administrative et devant le Tribunal, que, dans la décision C(2009) 6690 final de la Commission, du 28 août 2009, déclarant une opération de concentration compatible avec le marché commun et l’accord EEE (affaire COMP/M.5440 – Lufthansa/Austrian Airlines), la Commission avait suivi la même approche que dans la décision Lufthansa/Brussels Airlines et n’avait donc pas examiné les chevauchements de lignes qui résultaient uniquement des chevauchements entre les vols assurés par Austrian Airlines et les vols assurés par les partenaires de Star Alliance, notamment LOT et SAS. De même, selon la requérante, dans sa décision C(2010) 5008, du 14 juillet 2010 (affaire COMP/M.5747 – Iberia/British Airways), la Commission n’a pas examiné les chevauchements de lignes qui résultaient uniquement des vols assurés par les partenaires de l’alliance d’Iberia et de British Airways. Force est de constater que ni dans la décision attaquée, qui pourtant reproduit l’argument de la requérante, ni dans ses mémoires devant le Tribunal, la Commission n’a fourni la moindre réponse à cet égard.

–       Sur l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS

98      À titre liminaire, il convient de relever que, si Swiss a conclu des accords de partage de code tant avec SAS, en 2006, qu’avec LOT, en 2007, la requérante n’a contesté, dans la requête, expressément que l’appréciation portée à cet égard par la Commission en ce qui concerne la ligne ZRH-STO et n’a pas soulevé de grief en ce qui concerne l’appréciation de l’accord de partage de code entre Swiss et LOT relatif à la ligne ZRH-WAW.

99      L’accord de partage de code entre Swiss et SAS a été conclu en 2006 et n’a donc pas été pris en considération par la Commission dans la décision de 2005 ayant rendu les engagements contraignants pour estimer que, au vu des différents accords de coopération entre Lufthansa et SAS, cette dernière n’avait que peu d’intérêt à entrer en concurrence avec Swiss après l’opération.

100    Contrairement à ce que soutient la requérante, cette seule circonstance ne permet pas de considérer que l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS ne saurait être pris en considération dans le cadre de l’examen de la demande d’exemption.

101    En effet, s’il est vrai que la clause de révision 15.2 fait référence à un changement dans les accords sur lesquels la Commission a fondé sa constatation d’une réduction des incitations à la concurrence, l’accord de partage de code en l’espèce pourrait néanmoins être pertinent pour apprécier globalement si les relations contractuelles ont changé sur un point qui supprime les problèmes de concurrence identifiés dans la décision de 2005 et qui ont justifié les engagements.

102    Adopter une lecture purement formelle de la clause de révision 15.2, consistant à ne considérer que les modifications des seuls accords existants lors de l’adoption de la décision de 2005, permettrait, en effet, ainsi qu’il est exposé au considérant 103 de la décision attaquée, aux parties de contourner l’application des engagements en remplaçant les anciens accords de coopération par de nouveaux accords similaires.

103    Il convient donc d’examiner si l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS présente des liens suffisamment étroits avec les relations contractuelles et les problèmes de concurrence visés dans la décision de 2005.

104    À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que le fait valoir à juste titre la requérante et que le reconnaît la Commission, l’accord de partage de code et les accords de coopération diffèrent en ce qui concerne leur portée, leur contenu et leurs parties contractantes.

105    Ainsi, l’accord bilatéral d’alliance, conclu entre Lufthansa et SAS, couvre la coopération entre ces deux compagnies aériennes telles qu’elles étaient à l’époque et n’inclut pas les futures sociétés affiliées telles que Swiss, tandis que l’accord de partage de code a été conclu en 2006 entre Swiss et SAS et couvre uniquement les lignes assurées par Swiss et SAS, et non les lignes assurées par Lufthansa.

106    L’objet de l’accord bilatéral d’alliance et celui des accords de partage de code sont également fondamentalement différents. En effet, comme il est exposé au considérant 22 de la décision de 2005, les accords de coopération conclus par Lufthansa – et, parmi ceux-ci, en particulier l’accord bilatéral d’alliance qui fournissait la base de la coopération – prévoyaient « une politique de prix commune au niveau mondial, la planification commune du réseau et des vols, l’organisation d’un système de plate-forme commune et une stratégie de commercialisation unique » et « constitu[ai]ent donc la base juridique d’une intégration mondiale des réseaux des compagnies et de leurs politiques commerciales ». En revanche, l’accord de partage de code est un accord, courant dans le secteur du transport aérien, en vertu duquel Swiss peut vendre, outre des billets pour les vols qu’elle assure, des billets sous son propre code d’identification (c’est-à-dire en tant que « transporteur commercial ») pour des vols assurés par SAS, et inversement.

107    Ainsi que le souligne la requérante, sans être contredite par la Commission, il n’existe donc aucune « politique de prix commune » dans le cadre de l’accord de partage de code. Il n’existe également aucune « planification commune du réseau et des vols » dans le cadre de cet accord, chaque transporteur étant libre de programmer ses propres vols. L’accord de partage de code ne prévoit aucune « organisation d’un système de plate-forme commune », chaque transporteur exploitant sa propre plate-forme, selon ses propres priorités. Enfin, il n’existe aucune « stratégie de commercialisation unique » dans le cadre de l’accord de partage de code, chaque transporteur vendant ses propres billets par ses propres canaux.

108    La Commission fait néanmoins valoir que l’accord de partage de code et l’accord bilatéral d’alliance font tous deux partie intégrante de la relation contractuelle plus large sous-tendant l’appréciation de la ligne ZRH-STO et sont donc pertinents pour l’applicabilité de la clause de révision 15.2.

109    À supposer que l’accord de partage de code puisse être considéré comme pertinent pour l’applicabilité de la clause de révision 15.2, encore convient-il de vérifier si cet accord est de nature à établir que SAS ne peut être considérée comme une concurrente de Swiss ou, à tout le moins, à restreindre la concurrence entre Swiss et SAS.

110    Force est de constater, à cet égard, que la Commission, dans la décision attaquée, ne procède pas à une analyse concrète de l’accord de partage de code et ne mentionne même pas d’éléments de nature à établir que ledit accord restreignait la concurrence entre Swiss et SAS, mais se borne à émettre des considérations hypothétiques. Ainsi, le considérant 99 de la décision attaquée expose :

« Quant à l’impact éventuel de tels accords de partage de code sur la concurrence sur chacune des deux lignes, la Commission estime que ces accords de partage de code existants sont pertinents pour évaluer la concentration. Si une transaction similaire était notifiée aujourd’hui, les accords de partage de code conclus entre Swiss, SAS et LOT pourraient soulever des problèmes de concurrence et les parties pourraient devoir proposer des engagements pour supprimer ces problèmes […] ».

111    Devant le Tribunal, la Commission affirme que la configuration des accords de partage de code montre que, généralement, les parties exercent une pression concurrentielle limitée l’une sur l’autre. Elle fait valoir, à cet égard, que, dans les accords de partage de code parallèle, comme en l’espèce, les deux compagnies aériennes partageant leurs codes sont peu susceptibles d’accepter que l’une d’elles vende des sièges en partage de code sur les vols de l’autre à des tarifs inférieurs, compte tenu de la baisse de revenus qui en résulterait.

112    Force est de constater que ces éléments sont à nouveau purement hypothétiques et ne résultent pas d’une analyse concrète de l’accord de partage de code en l’espèce et de ses effets. En outre, ainsi que le reconnaît la Commission, Swiss et SAS sont convenues d’accepter les réservations faites par l’autre partie ainsi que les tarifs facturés par l’autre partie pour ses réservations. De même, la requérante souligne, à ce sujet, sans être contredite par la Commission, que les transporteurs effectifs offrent fréquemment des tarifs moins élevés pour les vols assurés par eux-mêmes que pour les vols assurés par le partenaire de partage de code, car ils supportent le risque des sièges non vendus, tandis que le transporteur commercial gagne tout au plus une petite commission sur la vente d’un siège sur un vol assuré par un autre transporteur.

113    Par ailleurs, il convient de relever que les éléments avancés par la Commission, à les supposer établis, ne sont, en tout état de cause, que susceptibles d’établir que la concurrence entre le transporteur commercial et le transporteur effectif est d’un niveau faible, mais non que l’accord de partage de code a pour effet de restreindre la concurrence entre les deux compagnies pour les vols qu’elles effectuent elles-mêmes. En d’autres termes, si l’accord de partage de code ne donne peut-être lieu qu’à une faible concurrence pour la vente des billets en partage de code, la Commission n’a, en revanche, avancé aucun élément de nature à établir que l’accord de partage de code a pour effet de diminuer la concurrence entre les vols opérés par chacune des deux compagnies. Même si la Commission affirme avoir constaté que les prix proposés par le transporteur effectif étaient presque identiques à ceux proposés par le transporteur commercial pour les sièges en partage de code sur le même vol, la requérante se prévaut, pour sa part, sans être contredite, d’une différenciation des prix entre les vols exploités par des transporteurs différents le même jour. Or, c’est la concurrence entre les vols exploités respectivement par Swiss et SAS qui est plutôt déterminante pour apprécier l’existence d’une concurrence entre les deux compagnies aériennes.

114    Enfin, la Commission a reconnu, devant le Tribunal, ne pas avoir évalué en détail l’incidence de l’accord de partage de code entre Swiss et SAS sur la concurrence entre ces deux compagnies concernant la ligne ZRH-STO. La Commission fait valoir, à cet égard, qu’elle n’était pas tenue d’examiner les éléments avancés par la requérante au motif que celle-ci n’avait pas prouvé que les relations contractuelles avaient changé au point d’éliminer les problèmes de concurrence relevés dans la décision de 2005. Or, l’examen de l’incidence de l’accord de partage de code sur la concurrence sur la ligne en question était précisément nécessaire pour apprécier si et dans quelle mesure ledit accord était de nature à restreindre ou à supprimer la concurrence entre Swiss et SAS.

115    Il résulte de ce qui précède que, si l’accord de partage de code peut, certes, être pris en considération, ni les éléments relevés dans la décision attaquée, ni même les arguments présentés par la Commission dans ses mémoires devant le Tribunal ne sont de nature à justifier le rejet de la demande d’exemption, s’agissant des engagements tarifaires relatifs à la ligne ZRH-STO.

 Sur la troisième branche, tirée de l’absence de prise en compte par la Commission de ce que la concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part, constitue une « évolution du marché à long terme » au sens de la première phrase de la clause de révision 15.2

116    La requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir examiné si les preuves démontrant le maintien de la concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part, permettaient d’établir une « évolution du marché à long terme », alors qu’il s’agit d’un motif d’exemption, expressément mentionné dans la première phrase de la clause de révision 15.2.

117    La requérante fait valoir à cet égard que les prix sur les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW sont sensiblement inférieurs à ceux de 2005, que le nombre de passagers sur ces lignes a doublé et que les parties ont présenté des preuves démontrant que les prix appliqués par Swiss pour les vols qu’elle assure elle-même sont différents de ceux pratiqués par LOT pour des sièges sur les vols qu’elle assure elle-même.

118    À titre liminaire, il convient de relever, d’une part, que « l’évolution du marché à long terme » constitue un motif distinct d’exemption expressément mentionné dans la première phrase de la clause de révision 15.2 et, d’autre part, que la Commission ne conteste pas que l’existence d’une concurrence entre Swiss et SAS et LOT peut être considérée comme une évolution du marché à long terme. Dans ces conditions, c’est à tort que cette argumentation a été écartée, au considérant 53 de la décision attaquée, au motif que, « les conditions préalables de l’octroi d’une demande d’exemption [n’étant] pas remplies, il n’[étai]t pas nécessaire d’examiner la question de l’évolution des prix dans la présente décision ». Cette erreur est toutefois sans conséquence, dès lors que la Commission a néanmoins examiné, aux considérants 54 à 59 de la décision attaquée, « dans un souci d’exhaustivité », l’évolution des prix et le niveau de concurrence.

119    À cet égard, tout en admettant que les graphiques fournis par la requérante et Swiss semblent effectivement indiquer un certain degré de différenciation des prix entre les vols assurés par les différents transporteurs le même jour, la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que la fiabilité de cette analyse demeurait cependant floue et qu’il conviendrait par conséquent de réaliser une analyse économique supplémentaire.

120    Ainsi que l’a fait valoir la Commission, il appartient, certes, à l’entreprise fusionnée demandant une exemption des engagements de fournir des éléments de preuve de nature à établir que les conditions requises à cette fin sont remplies et la Commission ne peut être tenue de réaliser une nouvelle enquête de marché pour chaque demande d’exemption. Toutefois, la Commission dispose de pouvoirs d’instruction ainsi que d’outils d’investigation efficaces et, dans l’hypothèse où elle estimait que les preuves avancées par les parties n’étaient pas assez fiables ou pertinentes ou devaient être complétées par d’autres données, il lui appartenait d’exiger des informations plus précises ou de mener une enquête à cet égard. Il en est d’autant plus ainsi que, dans sa réponse du 20 novembre 2015, Lufthansa avait déjà souligné que la Commission ne pouvait se contenter d’affirmer simplement que « le degré réel de concurrence tarifaire sur les deux lignes p[ouvai]t être laissé en suspens ».

121    Les parties, s’appuyant sur les conclusions du mandataire, ont également fait valoir que le doublement du nombre de passagers et la baisse très sensible des tarifs entre 2005 et 2014 témoignaient du niveau élevé de concurrence entre Swiss, d’une part, et LOT et SAS, d’autre part.

122    La Commission s’est bornée à relever à cet égard, dans la décision attaquée, que les parties n’avaient apporté aucune preuve incontestable démontrant que ces réductions de prix avaient été occasionnées par la concurrence entre Swiss et LOT et que ces réductions pourraient, en effet, également être attribuées à la baisse des prix du carburant ou à l’effet des engagements tarifaires.

123    Or, ainsi qu’il est exposé ci-dessus, la Commission ne saurait se borner à exiger des preuves incontestables, sans d’ailleurs préciser en quoi elles devraient consister, mais doit établir le caractère erroné des éléments fournis par les parties, prendre des mesures d’instruction ou mener, si nécessaire, une enquête afin de compléter ou d’infirmer le bien-fondé de ceux-ci.

124    En outre, il convient de relever que la Commission a confirmé lors de l’audience ne pas contester l’affirmation de la requérante selon laquelle 17 réductions de prix sur 32 pour la ligne ZRH-STO et 4 réductions de prix sur 13 pour la ligne ZRH-WAW étaient volontaires, c’est-à-dire non exigées par les mesures correctives.

125    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas satisfait à son obligation d’examiner avec soin toutes les données pertinentes, de prendre les mesures d’instruction ou de mener les enquêtes nécessaires afin de vérifier l’existence d’un rapport de concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part.

 Sur la cinquième branche, tirée du non-respect de la politique générale en matière de concentrations à l’égard des mesures correctives tarifaires

126    La requérante soutient que la Commission n’a pas tenu compte de l’incompatibilité des engagements sur les tarifs avec sa politique de mesures correctives telle qu’exposée au point 18 de la communication sur les mesures correctives et confirmée par la pratique. Elle fait observer que la Commission a d’ailleurs systématiquement rejeté ces dernières années les engagements sur les tarifs proposés par les parties.

127    La requérante expose que les engagements tarifaires ont un double effet potentiel de distorsion de concurrence, à savoir, d’une part, priver les passagers des lignes de référence des avantages liés aux réductions de prix que Swiss pourrait envisager en l’absence des frais supplémentaires entraînés par la réduction de prix correspondante exigée sur les lignes de chevauchement et, d’autre part, empêcher l’entrée sur le marché d’une compagnie concurrente du fait des tarifs artificiellement inférieurs sur les lignes de chevauchement.

128    La requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir évalué ces éléments, mais de s’être bornée à observer que les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW étaient des liaisons à faible trafic sur lesquelles aucune nouvelle compagnie n’était entrée malgré les mesures correctives relatives aux créneaux horaires.

129    À cet égard, s’agissant, premièrement, de l’argument selon lequel les engagements sur les tarifs sont incompatibles avec la politique de la Commission concernant les mesures correctives, tout d’abord, il convient de rappeler que, dans le cadre de la présente procédure, la requérante ne saurait remettre en cause la légalité des engagements rendus contraignants par la décision de 2005, laquelle est devenue définitive.

130    Ensuite, ainsi que le fait observer à juste titre la Commission, la communication sur les mesures correctives n’interdit pas les engagements tarifaires, mais souligne qu’ils ne feront généralement pas disparaître les problèmes de concurrence résultant de chevauchements horizontaux et que ce type de mesures correctives ne peut être jugé recevable qu’à titre exceptionnel, pour autant qu’il est appliqué au moyen de mécanismes de mise en œuvre et de contrôle efficaces et qu’il ne risque pas de produire des effets de distorsion sur la concurrence.

131    Enfin, toute concentration étant appréciée individuellement et à la lumière des circonstances factuelles et juridiques applicables (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2015, Niki Luftfahrt/Commission, T‑162/10, EU:T:2015:283, points 142 et 144), la circonstance que des engagements aient été refusés dans certaines, voire la plupart, des affaires ne saurait empêcher qu’ils soient acceptés dans une situation particulière pour autant qu’ils permettent de résoudre les problèmes de concurrence identifiés.

132    S’agissant, deuxièmement, de l’argumentation selon laquelle les engagements tarifaires sont susceptibles de créer des distorsions tant sur les lignes de référence que sur les lignes de chevauchement, force est de constater que ni dans la décision attaquée ni devant le Tribunal la Commission n’a avancé d’éléments de nature à contester ladite argumentation, se bornant à en souligner le caractère hypothétique. En outre, l’obligation de répercuter sur les lignes ZRH-STO et ZRH-WAW les diminutions de prix opérées sur les lignes de référence pourrait dissuader les compagnies aériennes tierces d’exploiter lesdites lignes. Loin de régler le problème structurel du marché auquel ils sont censés apporter une réponse, les engagements tarifaires pourraient ainsi, au contraire, contribuer à rendre leur maintien indéfiniment nécessaire.

133    Cela étant, il ne s’agit pas, en l’espèce, d’apprécier la légalité des engagements rendus contraignants par la décision de 2005, laquelle est devenue définitive, mais d’examiner si les conditions pour la levée de ces engagements sont réunies.

134    À cet égard, l’argumentation tirée d’une distorsion de concurrence, à la supposer établie, ne saurait être assimilée à un changement substantiel sur le marché au sens de la première phrase de la clause de révision 15.2, ni à une modification des relations contractuelles au sens de la seconde phrase de la clause de révision 15.2, et, de manière plus générale, ne permet pas d’établir que les problèmes de concurrence identifiés dans la décision de 2005, qui sont à la base des engagements, sont supprimés.

135    Il convient toutefois de relever que, si l’argumentation tirée du risque de distorsion de concurrence n’est pas de nature à démontrer que les conditions requises dans la clause de révision 15.2 pour la levée des engagements sont remplies, elle renforce, en revanche, la nécessité pour la Commission de procéder à un examen diligent et approfondi de la demande d’exemption et de vérifier si les engagements sont encore nécessaires ou appropriés.

 Conclusion sur le premier moyen

136    Il résulte de ce qui précède que la Commission n’a pas pris en considération ou examiné avec soin l’argumentation tirée de la décision Lufthansa/Brussels Airlines ainsi que d’un changement de la politique à l’égard des partenaires d’alliance et de l’existence d’une concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part.

137    Pour regrettables que soient ces manquements, ils ne peuvent, toutefois, en l’absence de toute modification des relations contractuelles entre Swiss et LOT, en considération desquelles les engagements tarifaires ont été rendus contraignants par la décision de 2005, être considérés comme suffisants pour entraîner l’annulation de la décision attaquée en tant qu’elle concerne la ligne ZRH-WAW.

138    S’agissant de la ligne ZRH-STO, il y a lieu de relever non seulement l’absence d’examen approprié des éléments mentionnés au point 136 ci-dessus et la résiliation de l’accord de coentreprise entre Lufthansa et SAS, mais également que la Commission n’a pas pris en considération l’engagement de la requérante de résilier également l’accord bilatéral d’alliance entre Lufthansa et SAS ni l’avis du mandataire concluant à l’existence d’un changement substantiel du marché sur la ligne ZRH-STO et n’a pas procédé à une analyse suffisante de l’incidence de l’accord de partage de code sur la concurrence entre Swiss et SAS. En conséquence, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle n’a pas pris en considération l’ensemble des données pertinentes et que les éléments retenus dans la décision attaquée ne sont pas de nature à justifier le rejet de la demande d’exemption relative à la ligne ZRH-STO (voir, en ce sens, arrêt du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 39).

139    Il s’ensuit que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens et arguments avancés par la requérante, la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle porte sur la ligne ZRH-STO. En revanche, ces autres moyens et arguments doivent être examinés dans la mesure où ils concernent la légalité de la décision attaquée s’agissant de la ligne ZRH-WAW.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration

140    La requérante soutient que la Commission a violé son obligation d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce et, de ce fait, le principe de bonne administration visé à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

141    La requérante fait valoir, à cet égard, que la Commission n’a tenu aucun compte des arguments juridiques qu’elle a avancés et qu’elle a recouru à des suppositions et à des hypothèses à propos de la concurrence sur les lignes concernées plutôt que de réaliser une enquête sérieuse sur les faits. De plus, la Commission n’aurait pas mené sa propre enquête en ce qui concerne l’évolution des prix et le niveau de concurrence, ni même collaboré avec le mandataire chargé de la surveillance d’une manière utile, et aurait préféré supputer que les accords de partage de code restreignaient la concurrence.

142    Le même refus d’examiner scrupuleusement les arguments avancés par Lufthansa ressortirait également de la répétition permanente par la Commission d’arguments juridiques non convaincants, auxquels Lufthansa a déjà répondu au cours de la procédure administrative.

143    Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, « toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union ».

144    Dans la mesure où la requérante fait grief à la Commission de ne pas avoir pris en considération l’ensemble des éléments pertinents pour fonder son appréciation, ledit grief a été examiné dans le cadre du premier moyen.

145    S’agissant du grief selon lequel la Commission aurait clairement montré sa prédisposition à ne pas examiner scrupuleusement la demande d’exemption en ne tenant aucunement compte des arguments juridiques avancés par Lufthansa, il convient de relever que le simple fait que la Commission a contesté et rejeté les arguments de Lufthansa ne prouve pas, en soi, qu’elle ait fait preuve de partialité à l’égard de la demande d’exemption. De même, la répétition par la Commission d’arguments juridiques prétendument non convaincants, auxquels Lufthansa estime avoir déjà répondu au cours de la procédure administrative, peut refléter plutôt une différence d’appréciation, mais ne démontre pas, en tant que telle et à elle seule, un refus d’examiner, avec impartialité, la demande d’exemption.

146    Par ailleurs, il ne saurait être soutenu que la Commission n’a pas examiné du tout la demande dans la mesure où, ainsi qu’il ressort des points 14 à 19 ci-dessus, elle a adressé plusieurs demandes d’informations à Lufthansa et a tenu différentes réunions avec elle durant la procédure administrative.

147    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

148    La requérante soutient que la Commission a utilisé la procédure d’exemption comme un moyen de pression pour forcer Swiss à résilier un arrangement contractuel n’ayant aucun lien explicite avec l’opération. La Commission tenterait d’éluder les procédures prévues pour examiner et sanctionner les éventuelles violations de l’article 101 TFUE conformément au règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 [TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), à l’égard de l’accord de partage de code conclu entre Swiss et LOT en 2007. Il ressortirait notamment du considérant 104 de la décision attaquée que l’accord de partage de code et ses effets anticoncurrentiels potentiels constituent la principale raison pour laquelle la Commission a rejeté la demande d’exemption.

149    La Commission tenterait ainsi de se soustraire à l’obligation, d’une part, de prouver réellement les effets anticoncurrentiels allégués de l’accord de partage de code conclu par Swiss et, d’autre part, d’adopter une décision qui serait soumise au contrôle juridictionnel. La requérante fait observer, à cet égard, que, en février 2011, la Commission a engagé une procédure d’office contre les accords de partage de code couvrant les lignes de plate-forme à plate-forme conclus entre Lufthansa et Turkish Airlines, et entre Brussels Airlines et TAP Air Portugal, mais qu’après avoir enquêté pendant cinq ans et demi sur ces affaires en priorité, elle n’avait toujours pas abouti à la moindre conclusion.

150    À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil, C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240, point 33 et jurisprudence citée).

151    Force est de constater que la requérante n’a pas fourni d’indices objectifs, pertinents et concordants démontrant que la Commission avait utilisé la procédure d’exemption comme un moyen de pression, dans le but exclusif ou principal de forcer Swiss à résilier l’accord de partage de code conclu avec LOT afin de se soustraire aux procédures prévues pour examiner et sanctionner les violations de l’article 101 TFUE.

152    Il convient de relever, tout d’abord, que la procédure n’a pas été lancée par la Commission, mais sur demande de la requérante.

153    De plus, s’il ressort, certes, du dossier que la Commission est d’avis que l’accord de partage de code en cause soulève des problèmes de concurrence en l’espèce et que, ainsi qu’il ressort en particulier des considérants 5, 49, 69 et 95 de la décision attaquée, le rejet de la demande d’exemption est motivé, pour l’essentiel, par le maintien ou l’absence de modification dudit accord, il ne saurait en être inféré pour autant que la Commission s’est rendue coupable d’un détournement de pouvoir.

154    Ainsi qu’il a été exposé aux points 101 à 103 ci-dessus, la Commission était fondée à prendre en considération l’accord de partage de code conclu entre Swiss et LOT dans le cadre de son appréciation de la demande d’exemption. En effet, cet accord fait partie intégrante de la relation contractuelle plus large sous-tendant l’appréciation de la concurrence sur la ligne ZRH-WAW. La Commission ayant considéré, dans la décision de 2005, que LOT n’avait, au vu de l’ensemble des accords de coopération conclus avec Lufthansa, que peu d’intérêt à faire concurrence à Swiss, l’accord de partage de code est, en effet, susceptible de constituer un élément pertinent pour l’appréciation de la concurrence sur cette ligne, indépendamment de la question de savoir si ledit accord peut ou non justifier en définitive le rejet de la demande.

155    Il convient de constater également que la Commission n’a pas imposé à la requérante de dénoncer l’accord de partage de code, mais a simplement suggéré aux parties, en vue de faciliter l’octroi de l’exemption, de résilier celui-ci ou, à tout le moins, d’en limiter la portée aux liaisons en amont et en aval, et ainsi de diminuer le degré de coopération entre l’entité fusionnée et LOT.

156    Il s’ensuit que les éléments avancés par la requérante ne sauraient être considérés comme constituant des indices objectifs, pertinents et concordants d’un détournement de pouvoir et que le troisième moyen doit être rejeté.

157    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée doit être annulée en tant qu’elle porte sur la ligne ZRH-STO et que le recours doit être rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

158    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

159    Au regard des circonstances de l’espèce, il y a lieu de décider que chacune des parties supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2016) 4964 final de la Commission, du 25 juillet 2016, rejetant la demande de Deutsche Lufthansa AG relative à l’exemption de certains engagements rendus contraignants par la décision de la Commission du 4 juillet 2005 approuvant la concentration dans l’affaire COMP/M.3770 – Lufthansa/Swiss est annulée en tant qu’elle porte sur la ligne Zurich-Stockholm.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Berardis      Papasavvas      Spineanu-Matei

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 mai 2018.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Décision autorisant l’opération de concentration entre Lufthansa et Swiss International Air Lines Ltd

Décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Observations liminaires

Sur le premier moyen, tiré de l’application d’un critère juridique erroné, d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime

Sur la première branche, tirée de l’application d’un critère juridique erroné dans l’appréciation de la demande d’exemption ainsi que d’une violation des principes de proportionnalité et de protection de la confiance légitime

Sur les deuxième et quatrième branches, tirées d’une erreur manifeste d’appréciation des accords d’alliance de Lufthansa au regard de la seconde phrase de la clause de révision 15.2 et du défaut de prise en compte par la Commission de la modification de sa politique à l’égard du traitement des partenaires d’alliance

– Observations liminaires

– Modifications contractuelles entre Lufthansa et SAS

– Sur la décision Lufthansa/Brussels Airlines et le prétendu changement de politique de la Commission en matière de traitement des partenaires d’alliance

– Sur l’accord de partage de code conclu entre Swiss et SAS

Sur la troisième branche, tirée de l’absence de prise en compte par la Commission de ce que la concurrence entre Swiss, d’une part, et SAS et LOT, d’autre part, constitue une « évolution du marché à long terme » au sens de la première phrase de la clause de révision 15.2

Sur la cinquième branche, tirée du non-respect de la politique générale en matière de concentrations à l’égard des mesures correctives tarifaires

Conclusion sur le premier moyen

Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration

Sur le troisième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir

Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.