Language of document : ECLI:EU:C:2017:824

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES BOT

présentées le 26 octobre 2017 (1)

Affaire C550/16

A,

S

contre

Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie

[demande de décision préjudicielle formée par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas)]

« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Droit au regroupement familial – Notion de “mineur non accompagné” – Droit d’un réfugié au regroupement familial avec ses parents – Permis de séjour provisoire – Réfugié âgé de moins de 18 ans au moment de son entrée et du dépôt de la demande d’asile et de plus de 18 ans au moment de la demande de regroupement familial – Date déterminante pour apprécier la qualité de mineur non accompagné »






I.      Introduction

1.        Quelle est la date déterminante pour apprécier le statut de mineur non accompagné ? Un ressortissant de pays tiers, arrivé mineur sur le territoire d’un État membre et qui n’obtient l’asile qu’après avoir atteint l’âge de la majorité, peut-il bénéficier d’un droit au regroupement familial en tant que mineur non accompagné ? C’est, en substance, à ces questions qu’il est ici demandé à la Cour de répondre.

2.        La présente affaire sera l’occasion, pour la Cour, de se prononcer sur la protection à accorder aux personnes arrivées mineures dans l’Union européenne, qui obtiennent le statut de réfugié alors qu’elles ont atteint la majorité durant l’examen de leur demande de protection et entament, après l’obtention de ce statut, une procédure tendant au regroupement familial.

3.        Il sera ici nécessaire de mettre en balance les étapes procédurales qui jalonnent le parcours de ces demandeurs d’asile ainsi que les éventuelles lenteurs administratives et l’écoulement inexorable du temps dans la vie d’une personne qui devient majeure au cours de l’examen de son dossier de demandeur d’asile et qui sollicite pour ses parents le droit au regroupement familial une fois qu’elle a obtenu le statut de réfugié.

4.        À l’issue de notre analyse, nous proposerons à la Cour d’adopter la lecture la plus protectrice possible en disant pour droit que peut être considéré comme un mineur non accompagné, au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86/CE (2), un ressortissant de pays tiers ou un apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, qui demande l’asile, puis atteint au cours de la procédure l’âge de la majorité avant de se voir accorder l’asile, avec effet rétroactif à la date de la demande, et sollicite, enfin, le bénéfice du droit au regroupement familial accordé aux réfugiés mineurs non accompagnés au titre des dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        La directive 2003/86 fixe les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres.

6.        Les considérants 2, 4, 6 et 8 à 10 de cette directive sont rédigés comme suit :

« (2)      Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la [convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la “CEDH”),] et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ (3)].

[...]

(4)      Le regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. Il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté énoncé dans le traité.

[...]

(6)      Afin d’assurer la protection de la famille ainsi que le maintien ou la création de la vie familiale, il importe de fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial.

[...]

(8)      La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. À ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial.

(9)      Le regroupement familial devrait viser, en tout état de cause, les membres de la famille nucléaire, c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs.

(10)      Il appartient aux États membres de décider s’ils souhaitent autoriser le regroupement familial pour les ascendants en ligne directe, les enfants majeurs célibataires [...] »

7.        L’article 2 de ladite directive énonce les définitions suivantes :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)      “ressortissants de pays tiers” : toute personne qui n’est pas citoyenne de l’Union au sens de l’article 17, paragraphe 1, [CE, devenu article 20, paragraphe 1, TFUE] ;

b)      “réfugié” : tout ressortissant de pays tiers ou apatride bénéficiant d’un statut de réfugié au sens de la convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, modifiée par le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;

c)      “regroupant” : un ressortissant de pays tiers qui réside légalement dans un État membre et qui demande le regroupement familial, ou dont les membres de la famille demandent à le rejoindre ;

d)      “regroupement familial” : l’entrée et le séjour dans un État membre des membres de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement dans cet État membre afin de maintenir l’unité familiale, que les liens familiaux soient antérieurs ou postérieurs à l’entrée du regroupant ;

[...]

f)      “mineur non accompagné” : tout ressortissant de pays tiers ou apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, aussi longtemps qu’il n’est pas effectivement pris en charge par une telle personne, ou toute personne mineure qui est laissée seule après être entrée sur le territoire d’un État membre. »

8.        L’article 3 de la directive 2003/86 prévoit :

« 1.      La présente directive s’applique lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique.

2.      La présente directive ne s’applique pas lorsque le regroupant est un ressortissant de pays tiers :

a)      qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié et dont la demande n’a pas encore fait l’objet d’une décision définitive ;

b)      autorisé à séjourner dans un État membre en vertu d’une protection temporaire ou demandant l’autorisation de séjourner à ce titre et dans l’attente d’une décision sur son statut ;

c)      autorisé à séjourner dans un État membre en vertu de formes subsidiaires de protection, conformément aux obligations internationales, aux législations nationales ou aux pratiques des États membres, ou demandant l’autorisation de séjourner à ce titre et dans l’attente d’une décision sur son statut.

[...]

5.      La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté qu’ont les États membres d’adopter ou de maintenir des conditions plus favorables. »

9.        L’article 4, paragraphe 2, sous a), de cette directive dispose :

« Les États membres peuvent, par voie législative ou réglementaire, autoriser l’entrée et le séjour, au titre de la présente directive, sous réserve du respect des conditions définies au chapitre IV, des membres de la famille suivants :

a)      les ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans le pays d’origine »

10.      L’article 5 de ladite directive énonce :

« 1.      Les États membres déterminent si, aux fins de l’exercice du droit au regroupement familial, une demande d’entrée et de séjour doit être introduite auprès des autorités compétentes de l’État membre concerné soit par le regroupant, soit par les membres de la famille.

2.      La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

[...]

3.      La demande est introduite et examinée alors que les membres de la famille résident à l’extérieur du territoire de l’État membre dans lequel le regroupant réside.

[...]

4.      Dès que possible, et en tout état de cause au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, les autorités compétentes de l’État membre notifient par écrit à la personne qui a déposé la demande la décision la concernant.

Dans des cas exceptionnels liés à la complexité de l’examen de la demande, le délai visé au premier alinéa peut être prorogé.

La décision de rejet de la demande est dûment motivée. Toute conséquence de l’absence de décision à l’expiration du délai visé au premier alinéa doit être réglée par la législation nationale de l’État membre concerné.

5.      Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

11.      Le chapitre V de la directive 2003/86 règle, à ses articles 9 à 12, spécifiquement le regroupement familial des réfugiés. L’article 9 de ce texte dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Le présent chapitre s’applique au regroupement familial des réfugiés reconnus comme tels par les États membres.

2.      Les États membres peuvent limiter l’application du présent chapitre aux réfugiés dont les liens familiaux sont antérieurs à leur entrée sur le territoire. »

12.      L’article 10 de cette directive énonce :

« 1.      L’article 4 s’applique à la définition des membres de la famille, à l’exception de son paragraphe 1, troisième alinéa, qui ne s’applique pas aux enfants de réfugiés.

2.      Les États membres peuvent autoriser le regroupement d’autres membres de la famille non visés à l’article 4 s’ils sont à la charge du réfugié.

3.      Si le réfugié est un mineur non accompagné, les États membres :

a)      autorisent l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de ses ascendants directs au premier degré sans que soient appliquées les conditions fixées à l’article 4, paragraphe 2, point a) ;

b)      peuvent autoriser l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de son tuteur légal ou de tout autre membre de la famille, lorsque le réfugié n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. »

13.      L’article 11 de ladite directive prévoit :

« 1.      En ce qui concerne le dépôt et l’examen de la demande, l’article 5 s’applique, sous réserve du paragraphe 2 du présent article.

2.      Lorsqu’un réfugié ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens, qui doivent être appréciées conformément au droit national. Une décision de rejet de la demande ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives. »

14.      L’article 12 de la directive 2003/86 dispose :

« 1.      Par dérogation à l’article 7, les États membres ne peuvent pas imposer au réfugié et/ou aux membres de la famille de fournir, en ce qui concerne les demandes relatives aux membres de la famille visés à l’article 4, paragraphe 1, des éléments de preuve attestant qu’il répond aux conditions visées à l’article 7.

Sans préjudice d’obligations internationales, lorsque le regroupement familial est possible dans un pays tiers avec lequel le regroupant et/ou le membre de la famille a un lien particulier, les États membres peuvent exiger les éléments de preuve visés au premier alinéa.

Les États membres peuvent exiger du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, si la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié.

2.      Par dérogation à l’article 8, les États membres n’imposent pas au réfugié d’avoir séjourné sur leur territoire pendant un certain temps avant de se faire rejoindre par des membres de sa famille. »

15.      Selon l’article 20 de cette directive, cette dernière devait être transposée par les États membres dans leur droit national au plus tard le 3 octobre 2005.

B.      Le droit néerlandais

16.      En vertu de l’article 29, paragraphe 2, ab initio et sous c), de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers de 2000), du 23 novembre 2000, les père et mère d’un ressortissant étranger, qui est un mineur non accompagné au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86, peuvent se voir accorder un permis de séjour temporaire au titre de l’asile visé à l’article 28 de cette même loi si, au moment de l’arrivée du ressortissant étranger concerné, ils faisaient partie de sa famille nucléaire et si, soit ils sont arrivés en même temps que ce ressortissant aux Pays-Bas, soit ils l’ont rejoint dans les trois mois qui ont suivi l’octroi, à ce ressortissant, d’un permis de séjour temporaire visé audit article 28.

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

17.      La fille d’A et de S, de nationalité érythréenne, est arrivée aux Pays-Bas, seule, alors qu’elle était mineure. Elle a présenté une demande d’asile sur le territoire de cet État membre, le 26 février 2014. Au cours de la procédure d’examen de sa demande d’asile et alors qu’aucune décision définitive n’avait encore été prise, l’intéressée a atteint l’âge de la majorité. Par une décision du 21 octobre 2014, les autorités compétentes du Royaume des Pays-Bas lui ont accordé un permis de séjour au titre de l’asile, valable pendant cinq ans, avec effet rétroactif à la date de l’introduction de sa demande.

18.      Le 23 décembre 2014, l’organisation VluchtelingenWerk Midden-Nederland a introduit au nom de la fille d’A et de S une demande d’autorisation provisoire de séjour pour ses parents, ainsi que pour ses trois frères mineurs, au titre du regroupement familial.

19.      Par une décision du 27 mai 2015, le Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice, Pays-Bas) a rejeté cette demande au motif que, au moment de l’introduction de la demande de regroupement familial, l’intéressée était majeure et ne pouvait, dès lors, pas prétendre au statut de mineur non accompagné lui permettant de bénéficier d’un droit préférentiel au regroupement familial. La réclamation introduite contre cette décision a été rejetée le 13 août 2015.

20.      Le 3 septembre 2015, A et S ont introduit, devant le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas), la juridiction de renvoi, un recours contre ce rejet, en faisant valoir, notamment, qu’il résulte de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86 que, pour déterminer si une personne peut être qualifiée de « mineur non accompagné », c’est la date d’entrée de l’intéressé dans l’État membre concerné qui est décisive. Le secrétaire d’État à la Sécurité et à la Justice estime, à l’inverse, que c’est la date à laquelle la demande de regroupement familial est déposée qui est déterminante à cet égard.

21.      La juridiction de renvoi relève que le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) a jugé, par deux arrêts du 23 novembre 2015 (4), que le fait qu’un ressortissant étranger ait atteint l’âge de la majorité après son arrivée sur le territoire national peut être pris en compte pour déterminer s’il relève du champ d’application de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86 et s’il peut être considéré comme un « mineur non accompagné ».

22.      Toutefois, selon la juridiction de renvoi, cette disposition devrait être interprétée comme impliquant que la notion de « mineur non accompagné » s’apprécie au moment de l’arrivée de la personne intéressée sur le territoire national, du fait de l’utilisation du terme « entrant », et qu’il n’est énuméré, à l’article 2, ab initio et sous f) de la directive 2003/86, que deux exceptions à ce principe, à savoir la situation d’un mineur initialement accompagné puis laissé seul et, à l’inverse, la situation du mineur non accompagné lors de son arrivée qui est ensuite pris en charge par un adulte responsable. La juridiction de renvoi indique, d’une part, que le cas d’espèce dont elle est saisie ne relève pas de l’une de ces exceptions au principe du droit au regroupement familial des mineurs non accompagnés et, d’autre part, que ces exceptions doivent être interprétées strictement.

23.      Dans ces conditions, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Dans le cadre du regroupement familial de réfugiés, faut-il également entendre par “mineur non accompagné” au sens de l’article 2, [ab] initio et sous f), de la directive 2003/86 un ressortissant de pays tiers ou [un] apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, et qui :

–        demande l’asile ;

–        atteint au cours de la procédure d’asile, sur le territoire de l’État membre, l’âge de 18 ans ;

–        se voit accorder l’asile avec effet rétroactif à la date de la demande, et

–        demande ensuite le regroupement familial ? »

IV.    Notre analyse

24.      Il est demandé à la Cour de répondre, en substance, à la question de savoir quelle date est à prendre en considération pour déterminer si un ressortissant de pays tiers peut être considéré comme un mineur non accompagné et faire valoir son droit au regroupement familial, alors qu’il est entré sur le territoire d’un État membre lorsqu’il était mineur, y a demandé l’asile, a obtenu cette protection internationale après avoir atteint l’âge de la majorité et a, par la suite, fait valoir son droit au regroupement familial en tant que mineur non accompagné.

25.      Dans ce contexte, au moins trois options s’offrent à la Cour, à savoir considérer que c’est soit la date d’entrée de l’intéressé sur le territoire de l’État membre, soit la date de présentation de la demande d’asile, soit, enfin, la date de dépôt de la demande de regroupement familial qui sera déterminante pour apprécier le droit de l’intéressé à bénéficier, en tant que mineur non accompagné, des dispositions de la directive 2003/86.

26.      Il ressort de la lecture combinée des dispositions de l’article 2, ab initio et sous f), et de l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2003/86 que la date déterminante à cet égard est nécessairement antérieure à celle de l’octroi de la protection internationale. Cette date ne peut dès lors qu’être celle du dépôt de la demande d’asile étant donné, premièrement, l’utilisation du terme « entrant » à l’article 2, ab initio et sous f), de cette directive, deuxièmement, le fait que la reconnaissance de ce statut soit rétroactive, en ce qu’elle prend effet à la date du dépôt de la demande, et, troisièmement, que cette date est la plus précise dont l’administration dispose pour déterminer avec certitude l’âge de la personne concernée.

27.      D’ailleurs, dans la décision de renvoi, le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam) relève qu’il ressort manifestement du libellé même de l’article 2, ab initio et sous f), de ladite directive, que cette disposition doit être comprise en ce sens que la date déterminante pour apprécier si le demandeur doit être considéré comme un mineur non accompagné, doit être celle de l’octroi du titre de séjour par l’autorité compétente et non celle du dépôt de la demande de regroupement familial. Dans la mesure où l’octroi du statut de réfugié est déclaratif et comporte un effet rétroactif, c’est alors bien la date de la demande de titre qui sera déterminante pour apprécier si le demandeur correspond à la définition du mineur non accompagné.

28.      En effet, la rétroactivité d’une mesure ne peut s’accompagner d’un caractère distributif de la force de ses effets. Le fait que la législation néerlandaise prévoie de manière protectrice que l’octroi du statut de réfugié rétroagit à la date du dépôt de la demande implique nécessairement que le statut ainsi conféré comporte un ensemble d’effets induits, à compter de la date de la demande de protection internationale, et donc y compris un droit au regroupement familial, tel qu’il résulte de la directive 2003/86 lorsque, comme en l’espèce, le statut de réfugié est octroyé à une personne qui a présenté sa demande alors qu’elle était mineure. D’ailleurs, l’aspect protecteur de cette mesure nationale a pour effet d’annihiler les inégalités de traitement qui résulteraient de durées variables de traitement des demandes d’asile. En outre, ne pas octroyer la totalité des droits conférés par le statut de réfugié, de manière rétroactive, comme cela est prévu dans le droit néerlandais, serait manifestement contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant qui a présenté une demande d’asile avant de devenir majeur.

29.      De surcroît, le regroupement familial ne peut être demandé, ou avoir lieu, qu’au moment où une décision définitive sur la demande de titre de séjour a été prise par les autorités nationales compétentes (5) conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/86. La reconnaissance du statut de réfugié étant l’une des conditions permettant le dépôt d’une demande de regroupement familial, il serait contraire aux objectifs poursuivis par cette directive, ainsi que par les textes de l’Union et les autres textes du droit international qui protègent les réfugiés, de ne faire jouer ce droit préférentiel que pour les personnes encore mineures au moment de l’obtention de la protection internationale, alors même qu’elle est déclarative et rétroagit à la date de dépôt de la demande.

30.      Notons que, par cette lecture favorable au regroupement familial, la Cour éviterait une interprétation formaliste de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86, qui entraverait la réalisation des objectifs de ce texte. Cependant, il n’est pas question ici de permettre à toutes personnes mineures entrant sur le territoire des États membres de bénéficier du droit au regroupement familial. Il est néanmoins possible d’en faire bénéficier les personnes arrivées mineures sur le territoire des États membres et qui obtiennent le statut de réfugié, même après avoir acquis l’âge de la majorité, c’est-à-dire au moment où le regroupement familial devient possible, puisque rappelons que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, la personne qui tente de bénéficier des dispositions relatives au regroupement familial doit bénéficier d’un titre de séjour, de préférence de longue durée ou qui offre de réelles perspectives de déboucher sur un droit au séjour permanent (6).

31.      En l’espèce, cela explique le fait que, pour présenter une demande de regroupement familial, la fille d’A et de S a légitimement attendu de disposer du droit d’asile, pour cinq ans, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2003/86. Elle s’est abstenue de présenter une demande de regroupement familial avant de bénéficier de ce droit au séjour, ce qui, d’abord, aurait été contraire aux dispositions de l’article 3, paragraphe 2, sous a), et de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive, ensuite, aurait rendu incertaine l’issue de la procédure de regroupement familial et, enfin, aurait eu pour effet d’engorger les autorités nationales avec une demande de regroupement familial qui n’aurait potentiellement pas pu aboutir, faute, pour le regroupant, de bénéficier d’un titre de séjour. Il convient de considérer que la date déterminante pour apprécier la qualité de mineur non accompagné est alors nécessairement celle à compter de laquelle le regroupement familial devient possible, c’est-à-dire au moment de l’acceptation par l’autorité compétente de la demande de titre de séjour (7). Dans l’espèce au principal, compte tenu du caractère déclaratif et rétroactif de l’octroi du statut de réfugié, cela renvoie à la date de dépôt de la demande d’asile.

32.      En somme, l’attitude respectueuse des procédures et de leur enchaînement adoptée par la personne intéressée en l’espèce ne devrait pas lui porter préjudice et doit même être saluée.

33.      En effet, dans les circonstances particulières de l’espèce, il y a lieu de tenir compte de la durée de traitement des demandes d’asile et de l’écoulement inexorable du temps qui a rendu l’intéressée majeure au jour où lui a été accordé l’asile et où elle a pu, de ce fait, présenter une demande tendant à ce que ses parents, alors en Éthiopie pour l’un et en Israël pour l’autre, la rejoignent aux Pays-Bas afin de renouer les liens familiaux et la vie privée à laquelle tout ressortissant de pays tiers a droit, en vertu des dispositions de l’article 8 de la CEDH et de l’article 7 de la Charte, tels qu’interprétés tant par la Cour que par la Cour européenne des droits de l’homme.

34.      À cet égard, le considérant 6 de la directive 2003/86 vise la protection de la famille ainsi que le maintien de la vie familiale. Cela implique nécessairement que ce texte soit interprété conformément à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la Charte de manière non restrictive, afin de ne pas le priver de son effet utile ni de méconnaître l’objectif de cette directive, qui est celui de favoriser le regroupement familial (8).

35.      D’ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de rappeler qu’il résulte du considérant 2 de ladite directive que les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international.

36.      Rappelons, de surcroît, que, en vertu de la jurisprudence de la Cour, le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 7 de la Charte doit être lu en combinaison avec l’obligation de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré à l’article 24, paragraphe 2, de celle-ci. Conformément aux exigences de cette dernière disposition, les États membres doivent faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une « considération primordiale » lorsqu’ils édictent, par l’intermédiaire d’une autorité publique ou privée, un acte relatif aux enfants. Cette exigence est expressément rappelée à l’article 5, paragraphe 5, de la directive 2003/86. En outre, la Cour a jugé que les États membres doivent s’assurer que l’enfant peut entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents (9).

37.      Bien qu’il ne résulte pas nécessairement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le droit au regroupement familial puisse être appliqué aux enfants majeurs, au titre de la protection de la vie privée et familiale, il ressort toutefois de sa jurisprudence que les liens entre l’enfant et sa famille doivent être maintenus et que seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire à une rupture du lien familial. De cette jurisprudence, il résulte que tout doit être mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et l’unité familiale ou « reconstituer » la famille (10).

38.      À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme prend en considération plusieurs circonstances individuelles, liées à l’enfant, afin de déterminer au mieux l’intérêt de celui-ci et d’assurer son bien-être. Elle tient compte, notamment, de son âge et de sa maturité, ainsi que de son degré de dépendance par rapport à ses parents, et prend en considération, à cet égard, la présence ou l’absence de ces derniers. Elle s’intéresse également à l’environnement dans lequel l’enfant vit et à la situation dans son État d’origine afin d’apprécier les difficultés auxquelles la famille risque d’être confrontée dans celui-ci (11). C’est en tenant compte de l’ensemble de ces éléments et en mettant ceux-ci en balance avec l’intérêt général des États contractants que la Cour européenne des droits de l’homme apprécie si ces États ont, dans leurs décisions, ménagé un juste équilibre et respecté les prescriptions de l’article 8 de la CEDH.

39.      Dans la mise en œuvre de la directive 2003/86, la Cour a jugé qu’il incombe aux autorités nationales compétentes, lors de l’examen des demandes de regroupement familial, de procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu, en tenant particulièrement compte de ceux des enfants concernés (12).

40.      Compte tenu de ces éléments, s’il était procédé à l’appréciation de cet équilibre en l’espèce, il serait nécessaire de noter, premièrement, que la fille d’A et de S est arrivée seule et mineure sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, deuxièmement, qu’elle est originaire de l’État d’Érythrée et, troisièmement, que la faire bénéficier du droit au regroupement familial permettrait à l’ensemble de la famille de se reconstituer. Cela favoriserait le droit au respect de la vie privée et familiale de l’ensemble de ses membres, et ce indépendamment du fait que, au jour où l’autorité compétente de l’État membre statue sur la demande de regroupement familial, l’intéressée, arrivée mineure non accompagnée sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, soit devenue majeure et ne puisse plus être considérée comme un enfant, au sens strict.

41.      Dans cette mesure, la possibilité d’admettre le bénéfice du droit au regroupement familial à une personne, telle que la fille des requérants au principal, arrivée mineure et non accompagnée sur le territoire d’un État membre, mais qui a obtenu le statut de réfugié une fois atteint l’âge de la majorité et ne pouvait dès lors demander le bénéfice des dispositions relatives au droit au regroupement familial qu’après cet événement, conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 2, sous a), de la directive 2003/86, ne semble pas aller au-delà des objectifs fixés aux États membres.

42.      De surcroît, comme le soulignent les requérants au principal, le droit au regroupement familial tel qu’il est prévu par les dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive ne saurait dépendre de la célérité avec laquelle les services de l’administration d’un État membre peuvent traiter les dossiers de demande d’asile, et ce d’autant plus lorsque les personnes concernées atteignent, en quelques mois, l’âge de la majorité et alors même que les États membres sont régulièrement appelés, par les institutions, à traiter en priorité les demandes d’asile des mineurs non accompagnés, afin de tenir compte de leur vulnérabilité particulière qui mérite une protection spécifique (13).

43.      Dans l’espèce au principal, la personne intéressée a mis huit mois à obtenir le statut de réfugié après son arrivée sur le territoire du Royaume des Pays-Bas. L’espèce se situe ainsi, assez ordinairement, dans les délais habituels de traitement des demandes d’asile, alors même que l’article 23, paragraphe 2, de la directive 2005/85/CE (14), applicable à l’époque des faits, prévoyait que le traitement des demandes d’asile devait se faire dans de brefs délais, avoisinant les six mois, comme le souligne la Commission dans ses observations.

44.      De plus, notons, à cet égard, que la Cour a jugé qu’il convenait de privilégier une interprétation permettant d’assurer que le succès des demandes de regroupement familial dépende principalement de circonstances imputables au demandeur et non pas à l’administration, telles que la durée de traitement de la demande (15).

45.      Ces éléments favorisent une lecture élargie des dispositions combinées de l’article 2, ab initio et sous f), ainsi que de l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2003/86 étant donné le temps ordinaire de traitement des demandes d’asile et la possibilité pour les autorités de traiter en priorité certains dossiers de demandeurs d’asile, notamment lorsque ceux-ci sont proches de l’âge de la majorité.

46.      En outre, le caractère recognitif de l’octroi du statut de réfugié implique que les États membres ne puissent rechercher à s’affranchir de leurs obligations ou à les contourner jusqu’à vider de leur substance les normes relatives au régime européen commun d’asile, en refusant de traiter avec diligence les demandes d’asile des personnes mineures et se trouvant non accompagnées sur leur territoire, dans le but inavoué de ne pas mettre en œuvre le droit préférentiel au regroupement familial dont disposent les réfugiés mineurs non accompagnés. Il y a lieu d’empêcher une application stricte de ces normes qui aurait pour effet de dissuader les demandeurs d’asile et accroîtrait, encore davantage, les obstacles auxquels ces personnes et leurs familles sont déjà confrontées (16).

47.      Cependant, il n’est pas question ici de créer une casuistique visant à déterminer que, pendant une certaine durée, le droit préférentiel des mineurs à obtenir le regroupement familial doit être maintenu même lorsque ces derniers atteignent l’âge de la majorité. Il ne s’agit pas de nier les effets juridiques affiliés à l’obtention de l’âge de la majorité. Il est néanmoins possible, dans une situation telle que celle de l’espèce au principal, de faire bénéficier les très jeunes adultes réfugiés des dispositions protectrices de la directive 2003/86, au vu de l’enchaînement des procédures, du caractère rapproché de l’acquisition de la majorité et de l’opportunité de rendre possible une réunification familiale.

48.      Il y a lieu, en effet, de considérer que, dans les circonstances particulières de l’espèce et, encore une fois, compte tenu du caractère déclaratif et rétroactif de l’octroi du statut de réfugié qui permet de déposer une demande de regroupement familial, le fait d’admettre le droit au regroupement familial, pour une personne qui a présenté une demande d’asile alors qu’elle était mineure, ne constitue pas une lecture trop extensive des dispositions de cette directive.

49.      Si la Cour ne suivait pas cette proposition, il y aurait lieu de rappeler, à titre subsidiaire, que, compte tenu des considérants 8 et 10 de ladite directive, les États membres doivent garantir aux réfugiés des conditions de regroupement familial plus favorables et peuvent autoriser le regroupement familial des ascendants. En effet, l’acquisition de la majorité n’a pour effet que d’éteindre le droit préférentiel et les règles plus favorables dont disposait l’intéressé lorsqu’il était mineur à l’égard de son droit au regroupement familial.

50.      Sont à relever également les textes de l’Union et les autres textes de droit international prévoyant que les demandes de regroupement familial déposées par les personnes bénéficiant du statut de réfugié doivent être examinées par les États avec une diligence et une bienveillance particulières (17).

51.      Dans cette mesure, même si, en l’espèce, la fille d’A et de S n’était pas considérée comme une mineure non accompagnée, les dispositions de la directive 2003/86 ne pourraient être interprétées comme faisant obstacle à la possibilité pour elle de faire bénéficier ses ascendants du regroupement familial, et ce conformément aux dispositions de l’article 4, paragraphe 2, sous a), de cette directive, qui prévoit que les États membres peuvent autoriser l’entrée et le séjour, au titre du regroupement familial, des ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine.

52.      Il appartiendrait, dans cette mesure, à la juridiction de renvoi de déterminer, d’une part, si le droit national prévoit la possibilité de faire droit à une demande de regroupement familial pour les ascendants d’un réfugié et, d’autre part, si le cas d’espèce en remplit les conditions.

53.      Toutefois, appliquer une telle interprétation au cas d’espèce impliquerait d’examiner si une personne, ayant récemment atteint l’âge de la majorité, est en capacité de prendre en charge, à elle seule, les besoins d’une famille entière.

54.      Il convient, selon nous, d’assurer une protection des plus larges afin de répondre, tant que faire se peut, à la vulnérabilité particulière dans laquelle se trouvent les mineurs non accompagnés entrant sur le territoire des États membres, ainsi que les jeunes adultes, pourvus du statut de réfugié (18) et dont la maturité reste à apprécier, sans que cela soit susceptible de mettre en péril les objectifs fixés par le législateur de l’Union en matière de limitation des flux migratoires.

55.      En effet, rappelons que le regroupement familial représente le principe (19) et que les exceptions à ce principe doivent être interprétées strictement. De plus, signalons qu’admettre le regroupement familial par l’intermédiaire de l’enfant regroupant ne constitue pas un danger particulier pour les politiques nationales, étant donné que les parents peuvent eux-mêmes demander le regroupement familial pour leurs enfants, lorsque ceux-ci sont mineurs et dépendants.

56.      Cela implique que doivent être appréciés les éléments de dépendance ainsi que les liens, affectifs et matériels, dans ce type de regroupement familial. Dans cette mesure, il ne peut être admis, surtout dans nos sociétés contemporaines, que le lien de dépendance, existant entre les parents et les enfants, cesse immédiatement à compter de la date à laquelle l’enfant atteint l’âge de la majorité et que celui-ci ne peut ainsi plus être considéré comme un enfant mineur.

57.      De surcroît, la directive 2003/86 vise à faire face à la vulnérabilité des personnes concernées. Nier la vulnérabilité des personnes arrivées mineures de l’État d’Érythrée sur le territoire des États membres et qui ont obtenu le statut de réfugié, même si celles-ci sont devenues majeures entre-temps, serait contraire aux objectifs poursuivis par le législateur de l’Union.

58.      Il résulte de tout ce qui précède que doit être considéré comme un mineur non accompagné, au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de cette directive, un ressortissant de pays tiers ou un apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, qui demande l’asile, puis atteint au cours de la procédure l’âge de la majorité avant de se voir accorder l’asile, avec effet rétroactif à la date de la demande, et sollicite, enfin, le bénéfice du droit au regroupement familial accordé aux réfugiés mineurs non accompagnés au titre des dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive.

59.      Si la Cour ne suivait pas cette interprétation, il y aura lieu de s’interroger sur les choix opérés par le législateur de l’Union lorsqu’il a adopté la directive 2003/86, sans se prononcer explicitement sur la date à prendre en considération pour apprécier le statut de mineur non accompagné, au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de cette directive. Ce faisant, soit ce législateur a opté pour une harmonisation totale, ne laissant aucune marge de manœuvre aux États membres, soit il a opté pour une marge d’appréciation très large laissée à ces États qui pourront déterminer, dans le respect toutefois des principes d’équivalence et d’effectivité, le moment le plus approprié pour apprécier le droit d’une personne de bénéficier des dispositions relatives au regroupement familial, conformément à l’article 10, paragraphe 3, de ladite directive.

60.      À cet égard, contrairement à ce que font valoir le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne et la Commission, nous sommes dans le cadre de dispositions non pas facultatives, mais bien obligatoires, conformément aux dispositions de l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la directive 2003/86. Face à un réfugié mineur et non accompagné, les États membres « autorisent » l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial de ses ascendants directs. Cette disposition est rédigée sous la forme impérative et impose aux États membres des obligations positives précises. Les États membres ne disposent donc d’aucune marge d’appréciation et, si celle-ci devait exister, elle ne pourrait être utilisée de manière à porter atteinte à l’objectif de cette directive qui est de favoriser le regroupement familial (20).

61.      Les réfugiés mineurs non accompagnés disposent, en effet, d’un droit au regroupement familial de leurs ascendants directs au premier degré. La Cour a d’ailleurs jugé, à cet égard, que l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86 impose aux États membres des obligations positives précises, auxquelles correspondent des droits subjectifs clairement définis, puisqu’il leur impose, dans les hypothèses déterminées par cette directive, d’autoriser le regroupement familial de certains membres de la famille du regroupant sans pouvoir exercer leur marge d’appréciation (21).

62.      La Cour a également précisé que, si les États membres disposaient néanmoins d’une certaine marge de manœuvre, en application de la directive 2003/86, pour poser des conditions à l’exercice du droit au regroupement familial, cette faculté devait être interprétée strictement, l’autorisation du regroupement familial étant la règle (22).

63.      Dès lors, le silence gardé par le législateur de l’Union sur la date permettant d’apprécier le droit au regroupement familial, lorsque la personne qui le sollicite est un mineur non accompagné et que les accompagnants sont ses ascendants, ne peut pas s’analyser comme l’octroi d’une marge de manœuvre aux États membres dans l’appréciation des conditions à remplir pour bénéficier de cette protection de principe et de ce droit préférentiel. C’est seulement si l’intéressé n’est plus considéré comme un mineur non accompagné que les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour permettre le regroupement familial.

64.      Dans cette mesure, l’application des principes d’équivalence et d’effectivité sera à exclure pour répondre à la question préjudicielle soumise à la Cour par la juridiction de renvoi si la Cour considère, comme nous le lui proposons, que la personne arrivée mineure sur le territoire d’un État membre et qui n’acquiert le statut de réfugié qu’une fois atteint l’âge de la majorité doit néanmoins être considérée comme un mineur non accompagné au sens des dispositions de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86 et peut, dès lors, prétendre au droit préférentiel au regroupement familial prévu par les dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive.

65.      Si la Cour ne nous suivait pas sur le caractère obligatoire des dispositions en cause au principal et sur la possibilité de considérer l’intéressée comme un mineur non accompagné, alors il y aurait lieu d’indiquer qu’une lecture de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86 qui impliquerait que la date à prendre en considération pour déterminer si le demandeur dispose d’un droit au regroupement familial serait celle du dépôt de la demande de regroupement ne remplirait pas l’exigence d’effectivité. En effet, une telle lecture entraverait la capacité des personnes à bénéficier du regroupement familial alors que, comme il a été dit, l’objectif de cette directive est justement de favoriser la protection de la famille, notamment par la reconnaissance d’un droit au regroupement familial pour les réfugiés (23).

66.      Il résulte de tout ce qui précède qu’il est proposé à la Cour de dire pour droit que peut être considéré comme un mineur non accompagné, au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86, un ressortissant de pays tiers ou un apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, qui demande l’asile, puis atteint au cours de la procédure l’âge de la majorité avant de se voir accorder l’asile, avec effet rétroactif à la date de la demande, et sollicite, enfin, le bénéfice du droit au regroupement familial accordé aux réfugiés mineurs non accompagnés au titre des dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive.

V.      Conclusion

67.      À la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas) de la manière suivante :

Peut être considéré comme un mineur non accompagné, au sens de l’article 2, ab initio et sous f), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, un ressortissant de pays tiers ou un apatride âgé de moins de 18 ans, entrant sur le territoire d’un État membre sans être accompagné d’un adulte qui soit responsable de lui de par la loi ou la coutume, qui demande l’asile, puis atteint au cours de la procédure l’âge de la majorité avant de se voir accorder l’asile, avec effet rétroactif à la date de la demande, et sollicite, enfin, le bénéfice du droit au regroupement familial accordé aux réfugiés mineurs non accompagnés au titre des dispositions de l’article 10, paragraphe 3, de cette directive.


1      Langue originale : le français.


2      Directive du Conseil du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251, p. 12).


3      Ci-après la « Charte ».


4      Voir arrêts n° 201501042/1/V1 et n° 201502485/1/V1. La juridiction de renvoi confronte devant la Cour une interprétation à laquelle elle doit normalement se plier, alors même que celle-ci n’émane pas de l’interprète authentique des normes de l’Union en cause au principal. Le Raad van State (Conseil d’État) aurait interprété à tort, selon la juridiction de renvoi, les dispositions de la directive 2003/86 alors que celles-ci ne revêtaient pas un sens clair et auraient dû donner lieu à une interprétation authentique de la Cour. Sans vouloir entrer dans la polémique, il y a néanmoins lieu de noter qu’une controverse jurisprudentielle pourrait être en cause dans cette affaire, au moins au niveau interne.


5      Voir, a contrario, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, points 34 à 36).


6      Voir, en ce sens, nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, point 56).


7      Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, points 34 et 36).


8      Voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, points 43 et 44), ainsi que nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, point 63).


9      Voir nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, points 77 et 78 ainsi que jurisprudence citée), et arrêt du 6 décembre 2012, O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 76).


10      Voir nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, point 73), ainsi que Cour EDH, 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse (CE:ECHR:2010:0706JUD004161507, § 136 et jurisprudence citée).


11      Voir nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, point 74), ainsi que Cour EDH, 21 décembre 2001, Sen c. Pays-Bas (CE:ECHR:2001:1221JUD003146596, § 37), et 31 janvier 2006, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas (CE:ECHR:2006:0131JUD005043599, § 39). Voir, également, arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 56).


12      Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 81).


13      Voir déclaration de Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, du 30 novembre 2016, appelant les États membres à accélérer l’enregistrement des mineurs non accompagnés et à améliorer leur protection.


14      Directive du Conseil du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13).


15      Voir, par analogie, arrêt du 17 juillet 2014, Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:2092, point 17).


16      Voir, par analogie, nos conclusions dans l’affaire Danqua (C‑429/15, EU:C:2016:485, points 75 à 79). Voir, également, en ce sens, Cour EDH, 10 juillet 2014, Tanda-Muzinga c. France (CE:ECHR:2014:0710JUD000226010, § 75 et 76).


17      Voir arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 57), rappelant que l’article 9, paragraphe 1, de la convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 44/25 du 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, prévoit que les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré et que, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, de cette convention, il résulte de cette obligation que toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Voir, également, article 22 de ladite convention, consacrant le droit de tout enfant de vivre avec ses parents. Voir, encore, acte final de la conférence de plénipotentiaires des Nations unies sur le statut des réfugiés et des apatrides, du 25 juillet 1951, ainsi que Cour EDH, 10 juillet 2014, Tanda-Muzinga c. France (CE:ECHR:2014:0710JUD000226010, § 44 et 45 ainsi que § 48 et 49, qui évoquent également la recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe n° R (99) 23 sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant besoin de la protection internationale, adoptée le 15 décembre 1999, ou encore le mémorandum du 20 novembre 2008, de Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, faisant suite à sa visite en France du 21 au 23 mai 2008).


18      Le groupe d’experts du Conseil de l’Europe contre la traite des êtres humains, dans ses cinquième et sixième rapports généraux d’activité (couvrant les périodes allant du 1er octobre 2014 au 31 décembre 2015 et du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, disponibles aux adresses Internet suivantes : https://rm.coe.int/168063093d et https://rm.coe.int/1680706a43, préconise que soit apportée une protection spécifique aux enfants et aux adolescents migrants ou demandeurs d’asile, au regard du risque de traite des êtres humains qu’ils encourent. Cela étant, cette protection étendue doit s’entendre de tout risque encouru par les mineurs et jeunes adultes ressortissants de pays tiers et se trouvant sur le territoire des États membres. Plus particulièrement, ce groupe d’experts, dans sa déclaration du 28 juillet 2017, à l’occasion de la 4e journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains, disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.coe.int/fr/web/portal/news-2017/-/asset_publisher/StEVosr24HJ2/content/states-must-act-urgently-to-protect-refugee-children-from-trafficking?inheritRedirect=false&redirect=http%3A%2F%2Fwww.coe.int%2Ffr%2Fweb%2Fportal%2Fnews-2017%3Fp_p_id%3D101_INSTANCE_StEVosr24HJ2%26p_p_lifecycle%3D0%26p_p_state%3Dnormal%26p_p_mode%3Dview%26p_p_col_id%3Dcolumn-4%26p_p_col_count%3D1, a notamment mis en cause les restrictions apportées, par de nombreux États, au regroupement familial.


19      Voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 43), et nos conclusions dans les affaires jointes O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:595, point 59).


20      Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, points 25 et 61).


21      Voir arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 60), et du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 41). Voir, également, en ce sens, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, point 23).


22      Voir arrêts du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 43), et du 6 décembre 2012, O e.a.O e.a.O e.a. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 74), ainsi que conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Noorzia (C‑338/13, EU:C:2014:288, point 24).


23      Voir arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C‑540/03, EU:C:2006:429, point 88), dans lequel la Cour rappelle que, si les États membres disposent d’une marge d’appréciation, selon certaines dispositions de la directive 2003/86, ils restent tenus d’examiner les demandes de regroupement familial dans l’intérêt de l’enfant et dans le souci de favoriser la vie familiale.