Language of document : ECLI:EU:T:2018:136

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 mars 2018 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant une chaussure – Dessin ou modèle communautaire antérieur – Motifs de nullité – Obligation de motivation – Article 62 du règlement (CE) no 6/2002 – Relevé d’office d’un motif de nullité par la chambre de recours – Compétence de la chambre de recours – Article 63, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑424/16,

Gifi Diffusion, établie à Villeneuve-sur-Lot (France), représentée par Me C. de Chassey, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Crocs, Inc., établie à Niwot, Colorado (États-Unis), représentée par Mme H. Seymour, MM. L. Cassidy, J. Guise, D. Knight, solicitors, Mes N. Hadjadj Cazier, M. Berger et H. Haouideg, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 25 avril 2016 (affaire R 37/2015-3), relative à une procédure de nullité entre Gifi Diffusion et Crocs,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, président, A. Marcoulli et M. A. Kornezov (rapporteur), juges,

greffier : M. I. Dragan, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2016,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 16 novembre 2016,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 17 novembre 2016,

à la suite de l’audience du 25 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 30 mai 2007, l’intervenante, Crocs Inc., a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), revendiquant la priorité d’une demande de brevet des États-Unis déposée le 4 décembre 2006.

2        Les produits auxquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être appliqué relèvent de la classe 02-04 au sens de l’arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, du 8 octobre 1968, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Chaussures ».

3        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 733 282-0001 et son enregistrement a été publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 115/2007, du 28 août 2007.

4        Le 25 juin 2013, la requérante, Gifi Diffusion, a introduit auprès de l’EUIPO, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 25, paragraphe 1, sous b), du même règlement, une demande en nullité du dessin ou modèle contesté.

5        À l’appui de sa demande, la requérante a fait valoir, d’une part, que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté, au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002, en raison, notamment, de la précédente divulgation des dessins ou modèles antérieurs suivants :

–        le dessin ou modèle communautaire no 257 001-0001 (ci-après le « dessin ou modèle D 1 ») ;

–        le sabot Chicco Mare (ci-après le « dessin ou modèle Chicco Mare ») ;

–        le sabot Dawgs (ci-après le « dessin ou modèle D 2 ») ;

–        le sabot Danaud (ci-après le « dessin ou modèle D 3 ») ;

–        le sabot Blachette (ci-après le « dessin ou modèle D 4 ») ;

–        le sabot Dansko (ci-après le « dessin ou modèle D 5 ») ;

–        le sabot Oomphies (ci-après le « dessin ou modèle D 6 ») ;

–        le sabot UGG 2004 (ci-après le « dessin ou modèle D 7 ») ;

–        le sabot Simple (ci-après le « dessin ou modèle D 8 ») ;

–        le sabot Powerpuff Girls (ci-après le « dessin ou modèle D 9 ») ;

–        le sabot Rocketdog (ci-après le « dessin ou modèle D 10 ») ;

–        le sabot Foamtreads (ci-après le « dessin ou modèle D 11 ») ;

–        les sabots UGG 2005, Mellow Yellow et Quelle (ci-après les « dessin ou modèle D 12a », « dessin ou modèle D 12b » et « dessin ou modèle D 12c ») ;

–        le sabot Romika (ci-après le « dessin ou modèle D 13 ») ;

–        le sabot Dresco (ci-après le « dessin ou modèle D 14 ») ;

–        le Sabot d’Yves (ci-après le « dessin ou modèle D 15 ») ;

–        les dessins ou modèles communautaires no 333 281-0007 et no 333 281-0030 (ci-après les « dessin ou modèle D 16a » et « dessin ou modèle D 16b ») ;

–        le sabot Holey Soles (ci-après le « dessin ou modèle D 17 ») ;

–        les dessins ou modèles internationaux DM/051759-1 et DM/051759-2 (ci-après les « dessin ou modèle D 18a » et « dessin ou modèle D 18b ») ;

–        le dessin ou modèle international DM/062646-1 (ci-après « le dessin ou modèle D 19 »).

6        Dans ses observations déposées devant la division d’annulation le 3 juillet 2014, en réponse aux observations de l’intervenante sur la demande en nullité, la requérante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté également en raison de la précédente divulgation des dessins ou modèles antérieurs suivants :

–        le sabot Aquaclog (ci-après le « dessin ou modèle D 20 ») ;

–        le sabot C & A (ci-après le « dessin ou modèle D 22 »).

7        D’autre part, dans sa demande en nullité du 25 juin 2013, la requérante a fait valoir que le dessin ou modèle contesté était également dépourvu de caractère individuel, au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002, puisque l’impression globale qu’il produisait était semblable à celle du dessin ou modèle D 1.

8        Dans ses observations déposées devant la division d’annulation le 3 juillet 2014, la requérante a ajouté que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel non seulement par rapport au dessin ou modèle D 1, mais également, par rapport aux dessins ou modèles D 18a, D 18b et D 19, qu’elle avait déjà invoqués dans sa demande en nullité à l’appui de son allégation selon laquelle le dessin ou modèle contesté manquait de nouveauté, ainsi que par rapport à trois autres dessins ou modèles antérieurs donnant la même impression globale que le dessin ou modèle contesté, à savoir les dessins ou modèles D 20 et D 22, ainsi que le dessin ou modèle communautaire no 61122-0001 (ci-après le « dessin ou modèle D 21 ») de l’intervenante.

9        Par décision du 4 novembre 2014, la division d’annulation a déclaré nul le dessin ou modèle contesté, au motif que ce dernier était dépourvu de caractère individuel par rapport au dessin ou modèle D 1. Dans cette décision, la division d’annulation n’a pas examiné les autres dessins ou modèles invoqués par la requérante.

10      Le 2 janvier 2015, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation. Les arguments à l’appui du recours de l’intervenante visaient uniquement à démontrer que le dessin ou modèle contesté avait un caractère individuel par rapport au dessin ou modèle D 1.

11      Dans ses observations du 9 avril 2015, la requérante a, notamment, fait valoir que la division d’annulation avait décidé à juste titre que le dessin ou modèle contesté manquait de caractère individuel par rapport au dessin ou modèle D 1. En outre, la requérante a avancé que le dessin ou modèle contesté ne présentait pas non plus de caractère individuel par rapport aux dessins ou modèles D 18 à D 22.

12      Par décision du 25 avril 2016 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours, annulé la décision de la division d’annulation et rejeté la demande en nullité.

13      À titre liminaire, la chambre de recours a considéré, au point 14 de la décision attaquée, que, s’agissant de l’étendue de son contrôle, la division d’annulation avait, « apparemment pour des raisons d’économie procédurale », seulement examiné le dessin ou modèle contesté par rapport au dessin ou modèle D 1, qu’elle considérait remettre en cause le caractère individuel du dessin ou modèle contesté, sans examiner les dessins ou modèles D 2 à D 17 sur lesquels la requérante avait également fondé sa demande en nullité. La chambre de recours a indiqué, aux points 15 et 30 de la décision attaquée, que la demande en nullité devait être réexaminée dans son intégralité dans la mesure où, d’une part, l’intervenante avait introduit un recours et, d’autre part, le dessin ou modèle D 1 n’invalidait pas le caractère individuel (voire la nouveauté) du dessin ou modèle contesté.

14      La chambre de recours a ensuite constaté, aux points 32 à 108 de la décision attaquée, que les dessins et modèles D 2 à D 17 ne remettaient pas en cause le caractère individuel, ni la nouveauté du dessin ou modèle contesté.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 août 2016, la requérante a introduit le présent recours.

16      L’EUIPO et l’intervenante ont déposé leurs mémoires en réponse, respectivement les 16 et 17 novembre 2016.

17      Par lettres du greffe du 14 septembre 2017, le Tribunal a adressé, au titre des mesures d’organisation de la procédure, des questions écrites aux parties. L’EUIPO et l’intervenante ont répondu dans les délais impartis, alors que la requérante, ayant été régulièrement notifiée, n’a pas déposé de réponse écrite, mais a répondu aux questions lors de l’audience.

18      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 25 octobre 2017.

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        déclarer nul le dessin ou modèle contesté ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

20      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens exposés par lui.

21      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        confirmer la décision attaquée ;

–        maintenir le dessin ou modèle contesté ;

–        rejeter la demande en nullité ;

–        ordonner le remboursement des dépens en sa faveur.

 En droit

22      À l’appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 6 du règlement no 6/2002, et, le second, d’une violation de l’article 62 et de l’article 63, paragraphe 1, du même règlement.

23      Il convient d’examiner d’abord le second moyen.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 62 et de l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 6/2002

24      Dans le cadre de son second moyen, la requérante fait valoir une violation de l’article 62 du règlement no 6/2002, qui prévoit l’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO, ainsi que de l’article 63, paragraphe 1, du même règlement, en ce que la chambre de recours aurait omis d’examiner tous les éléments de preuve produits par la requérante. Les éléments de preuve sur lesquels porte le second moyen sontles dessins ou modèles D 18a et D 18b, D 19, D 20, D 21 et D 22, ainsi que le dessin ou modèle Chicco Mare.

25      D’une part, l’EUIPO fait valoir que le recours de la requérante se limite à l’invocation de l’article 6 du règlement no 6/2002 et que « tous les autres dessins ou modèles invoqués par la requérante [autres que le dessin ou modèle D 1] dans la présente procédure, dont ceux mentionnés [au point 24 ci-dessus], sont irrecevables à l’égard du motif de nullité tiré de l’article 6 [du règlement no 6/2002] ». D’autre part, l’EUIPO considère que la chambre de recours n’était pas tenue d’examiner lesdits dessins ou modèles, étant donné que, premièrement, les dessins ou modèles D 20 à D 22 auraient été invoqués à un stade tardif de la procédure et, deuxièmement, si les dessins ou modèles D 18a, D 18b, D 19 et Chicco Mare figuraient déjà dans la demande en nullité, ils n’y auraient pas été invoqués de façon suffisamment claire et précise, en violation de l’article 28, paragraphe 1, sous b), v), du règlement (CE) no 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement no 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28).

26      L’intervenante soutient que la chambre de recours n’était pas tenue d’examiner chaque dessin ou modèle antérieur séparément et expressément.

27      À titre liminaire, à supposer que l’argument présenté par l’EUIPO et repris à la première phrase du point 25 ci-dessus vise à contester la recevabilité du second moyen de la requérante, d’une part, il convient de constater que ce dernier n’est pas tiré de la violation de l’article 6 du règlement no 6/2002, mais bien d’une violation des articles 62 et 63 dudit règlement, en ce que la chambre de recours aurait méconnu l’obligation de motivation des décisions de l’EUIPO et omis d’examiner tous les éléments de preuve produits par la requérante. D’autre part, en tout état de cause, tous les dessins ou modèles mentionnés au point 24 ci-dessus, à l’exception du dessin ou modèle Chicco Mare, ont été invoqués au cours de la procédure administrative liée à l’article 6 du règlement no 6/2002 : les dessins ou modèles D 18a, D 18b, D 19, après avoir été invoqués dans la demande en nullité pour démontrer l’absence de nouveauté du dessin ou modèle contesté, ont, par la suite, aussi été invoqués dans les observations présentées devant la division d’annulation à l’appui de l’argument que le dessin ou modèle contesté était également dépourvu de caractère individuel ; quant aux dessins ou modèles D 20, D 21 et D 22, ils ont été invoqués dans lesdites observations pour soutenir que le dessin ou modèle contesté manquait notamment de caractère individuel.

28      Quant au fond, par son second moyen, la requérante reproche à la chambre de recours, notamment, d’avoir méconnu son obligation de motivation prévue à l’article 62 du règlement no 6/2002, en omettant de tenir compte, dans la décision attaquée, des dessins ou modèles antérieurs mentionnés au point 24 ci-dessus.

29      Aux termes de l’article 62, première phrase, du règlement no 6/2002, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. L’obligation de motivation ainsi consacrée a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par ce dernier article doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle [arrêts du 25 avril 2013, Bell & Ross/OHMI – KIN (Boîtier de montre-bracelet), T‑80/10, non publié, EU:T:2013:214, point 37 ; du 9 février 2017, Mast-Jägermeister/EUIPO (Gobelets), T‑16/16, EU:T:2017:68, point 58, et du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 82].

30      À cet égard, le Tribunal constate, à l’instar de la requérante, que la décision attaquée ne contient aucune mention des dessins ou modèles D 18 à D 22, à quelque titre que ce soit.

31      En effet, si, au point 15 de la décision attaquée, qui figure sous le titre « Étendue du contrôle par la chambre de recours », la chambre de recours a relevé que, en l’espèce, la demande en nullité devait être réexaminée « dans son intégralité », elle a pourtant limité son examen à la comparaison du dessin ou modèle contesté aux dessins et modèles D 1 à D 17, omettant ainsi de prendre position sur les dessins ou modèles D 18 à D 22.

32      Or, le Tribunal relève, d’une part, que ces derniers dessins ou modèles ont tous été invoqués par la requérante, et que, d’autre part, ils constituent des dessins ou modèles distincts des dessins ou modèles D 1 à D 17 examinés par la chambre de recours.

33      L’EUIPO cherche à pallier l’absence de toute motivation à l’égard des dessins ou modèles précités dans la décision attaquée en avançant, pour la première fois devant le Tribunal, deux motifs tendant à démontrer que la chambre de recours n’était pas obligée de tenir compte desdits dessins ou modèles antérieurs tirés, l’un, du fait que les modèles ou dessins D 20 à D 22 auraient été invoqués à un stade tardif de la procédure et, l’autre, que les dessins ou modèles D 18a, D 18b et D 19 n’auraient pas été invoqués de façon suffisamment claire et précise dans la demande en nullité.

34      Un tel complément de motivation ne saurait cependant être invoqué pour la première fois devant le Tribunal. En effet, il importe de rappeler que la motivation d’un acte doit être fournie à la personne intéressée par cet acte avant l’introduction par celle-ci d’un recours contre ledit acte et que le non-respect de l’exigence de motivation ne peut être régularisé par le fait que la personne intéressée prend connaissance des motifs de l’acte au cours de la procédure devant le juge de l’Union (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 11 décembre 2012, Sina Bank/Conseil, T‑15/11, EU:T:2012:661, point 56 et jurisprudence citée). La possibilité pour une institution ou un organe de l’Union d’exciper de tels motifs supplémentaires, en vue de compléter ceux énoncés dans la décision attaquée, porterait atteinte aux droits de la défense de la personne intéressée et à son droit à une protection juridictionnelle effective, ainsi qu’au principe d’égalité des parties devant le juge de l’Union [voir arrêt du 11 décembre 2014, CEDC International/OHMI – Underberg (Forme d’un brin d’herbe dans une bouteille), T‑235/12, EU:T:2014:1058, points 71 et 72 et jurisprudence citée].

35      Certes, une motivation peut être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, point 372 et jurisprudence citée, et du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, EU:C:2007:88, point 46 et jurisprudence citée). Des motifs non explicités peuvent ainsi être pris en compte lorsqu’ils revêtent un caractère évident, tant pour les intéressés que pour la juridiction compétente (arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 77).

36      La question de savoir si la motivation d’une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [arrêts du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, point 24, et du 8 mars 2013, Mayer Naman/OHMI – Daniel e Mayer (David Mayer), T‑498/10, non publié, EU:T:2013:117, point 56].

37      Or, en l’espèce, force est de constater que, au regard de la constatation, par la chambre de recours, qu’il lui incombait de réexaminer la demande en nullité dans son intégralité, suivie d’un examen du dessin ou modèle contesté par rapport, un par un, aux seuls dessins ou modèles D 1 à D 17, il est impossible de déduire du libellé de la décision attaquée, ni d’ailleurs du contexte dans lequel elle s’inscrit, quelle serait la motivation implicite justifiant l’omission de prendre en compte les dessins ou modèles D 18 à D 22.

38      En effet, premièrement, quant à l’argument soulevé par l’EUIPO dans le cadre de la présente procédure, tiré du caractère prétendument tardif de l’invocation de certains des dessins ou modèles précités, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, l’exercice par la chambre de recours de son pouvoir d’appréciation à l’effet de décider s’il y a lieu ou non de prendre en compte un élément de preuve tardivement produit exige que la chambre de recours motive sa décision sur ce point (arrêts du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 43 ; du 18 juillet 2013, New Yorker SHK Jeans/OHMI, C‑621/11 P, EU:C:2013:484, point 23, et du 26 septembre 2013, Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, C‑610/11 P, EU:C:2013:593, point 78). À supposer, donc, que la chambre de recours ait considéré que les dessins ou modèles D 18 à D 22, ou certains d’entre eux, avaient été invoqués tardivement, elle était dans l’obligation de motiver sa décision à cet égard.

39      Deuxièmement, concernant l’affirmation de l’EUIPO, avancée, elle aussi, dans le cadre de la présente procédure, selon laquelle les dessins ou modèles D 18a, D 18b et D 19 n’auraient pas été invoqués de façon suffisamment claire et précise, il convient de constater que la demande en nullité contenait non seulement l’indication et la reproduction des dessins ou modèles D 18a, D 18b et D 19, mais également les documents prouvant l’existence de ces dessins ou modèles antérieurs, sous forme de captures d’écran et copies de revues. Si, certes, dans ladite demande, ces dessins ou modèles avaient été cités par rapport à la date de divulgation du dessin ou modèle D 1, c’était pour soutenir l’argument selon lequel le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté, argument qui est développé dans la section I de la demande en nullité, où lesdits modèles ont été présentés. De plus, la requérante a invoqué ces dessins ou modèles tant dans ses observations du 3 juillet 2014 que devant la chambre de recours pour soutenir que le dessin ou modèle contesté manquait notamment de caractère individuel, de sorte que l’EUIPO ne saurait valablement soutenir que leur invocation était à tel point manifestement dépourvue de toute clarté et de précision que la chambre de recours était dispensée de son obligation de motiver sa décision à cet égard.

40      En outre, et en tout état de cause, ces motifs ne ressortant pas de la décision attaquée, la requérante n’a pas été en mesure de connaître les justifications de la mesure prise, au sens de la jurisprudence citée au point 29 ci-dessus, et donc de faire valoir ses arguments sur ces justifications.

41      Il convient également de rejeter l’argument de l’intervenante selon lequel, en vertu de l’obligation de motivation incombant à la chambre de recours en vertu de l’article 62, première phrase, du règlement no 6/2002, cette dernière n’était pas tenue d’examiner chaque dessin ou modèle antérieur séparément et expressément. En effet, il convient de rappeler, à cet égard, qu’il suffit que le dessin ou modèle contesté soit dépourvu de caractère nouveau ou individuel, au sens de l’article 5 et de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, par rapport à un seul des dessins ou modèles antérieurs invoqués par la requérante, pour que la demande en nullité présentée par la requérante soit fondée. En outre, selon la jurisprudence, l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle doit s’effectuer par rapport à un ou plusieurs dessins ou modèles précis, individualisés, déterminés et identifiés parmi l’ensemble des dessins ou modèles divulgués au public antérieurement (arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen Fashions, C‑345/13, EU:C:2014:2013, point 25). Partant, la chambre de recours a, en principe, l’obligation d’examiner le dessin ou modèle contesté par rapport à chaque dessin ou modèle antérieur dûment invoqué à cet égard, ce qu’elle a, au demeurant, souligné en l’espèce, en rappelant qu’il lui incombait de réexaminer la demande en nullité dans son intégralité (voir point 37 ci-dessus).

42      Dès lors, il y a lieu de conclure que, en l’absence de toute motivation portant sur les dessins ou modèles D 18 à D 22, la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation.

43      En conséquence, il convient d’accueillir le second moyen, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs invoqués par la requérante dans le cadre de celui-ci et d’annuler la décision attaquée dans son intégralité.

44      Le Tribunal estime néanmoins opportun, dans les circonstances de l’espèce, d’examiner également la question de savoir si la chambre de recours a outrepassé les limites de sa compétence en examinant le caractère individuel du dessin ou modèle contesté par rapport aux dessins ou modèles D 2 à D 17, alors que la requérante n’avait invoqué ces dessins ou modèles que pour mettre en cause le caractère nouveau du dessin ou modèle contesté. S’agissant d’un moyen relevé d’office, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur cette question par l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure.

 Sur la méconnaissance, par la chambre de recours, de sa compétence

45      L’article 63, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 6/2002 limite l’examen de l’EUIPO, dans le cadre des actions en nullité, aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties. Selon une jurisprudence constante en matière de marques de l’Union européenne, applicable mutatis mutandis en matière de dessins ou modèles communautaires, la chambre de recours, en statuant sur un recours contre une décision mettant fin à une procédure de nullité, ne saurait fonder sa décision que sur les motifs que la partie concernée a invoqués ainsi que sur les faits et les preuves y afférents présentés par cette partie [voir arrêt du 27 octobre 2005, Éditions Albert René/OHMI – Orange (MOBILIX), T‑336/03, EU:T:2005:379, point 33 et jurisprudence citée].

46      En l’espèce, il est constant que, au cours de la procédure administrative, l’article 6 du règlement no 6/2002 n’avait jamais été invoqué par la requérante à l’égard des dessins ou modèles D 2 à D 17. Or, dans la décision attaquée, la chambre de recours a examiné les dessins ou modèles D 2 à D 17 aux fins de l’appréciation tant de la nouveauté au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002 que du caractère individuel au sens de l’article 6 du même règlement du dessin ou modèle contesté.

47      Ce faisant, la chambre de recours a outrepassé les limites de sa compétence et, partant, violé l’article 63, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. En effet, si la chambre de recours était compétente, par effet dévolutif, pour trancher l’affaire à nouveau, telle qu’elle avait été introduite devant la division d’annulation, et donc pour examiner si le dessin ou modèle contesté était nouveau par rapport aux dessins ou modèles D 2 à D 17, force est de constater que, en examinant le caractère individuel du dessin ou modèle contesté par rapport aux dessins ou modèles D 2 à D 17, elle est allée au-delà des moyens et demandes des parties, au sens de l’article 63, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 6/2002, étant donné que la « partie concernée » au sens de la jurisprudence citée au point 45 ci-dessus n’avait jamais invoqué un motif de nullité tiré de l’absence de caractère individuel du dessin ou modèle contesté par rapport aux dessins ou modèles D 2 à D 17, ni présenté lesdits dessins ou modèles en tant que faits et preuves afférents à un tel motif, mais, au contraire, avait limité ce motif de nullité aux dessins ou modèles D 1 et D 18 à D 22.

48      Admettre que la chambre de recours puisse examiner d’office un motif de nullité non invoqué par la partie demanderesse aurait pour conséquence, de surcroît, de priver celle-ci de la possibilité de faire valoir ses arguments sur un tel motif de nullité, d’autant plus que le motif de nullité examiné d’office par la chambre de recours impliquait, en l’espèce, l’appréciation de critères juridiques différents, s’agissant de deux motifs de nullité distincts. En particulier, le libellé de l’article 6 va au-delà de celui de l’article 5 du règlement no 6/2002 et un dessin ou modèle contesté pourra être considéré comme nouveau au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002 tout en ne présentant pas un caractère individuel au sens de l’article 6 dudit règlement [voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2013, Kastenholz/OHMI – Qwatchme (Cadrans de montre), T‑68/11, EU:T:2013:298, point 38]. À cet égard, le Tribunal constate, en effet, que la requérante n’a pas pu avancer des arguments visant à démontrer que les dessins ou modèles D 2 à D 17 produisaient la même impression globale que celle suscitée par le dessin ou modèle contesté au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002. La chambre de recours a elle-même constaté à plusieurs reprises, dans la décision attaquée, que la requérante « n’expliqu[ait] pas en quoi ces sabots devraient produire la même impression d’ensemble que le [dessin ou modèle contesté] », sans pour autant tenir compte du fait que cette absence d’explication était due, précisément, au fait qu’elle n’avait pas invoqué un tel motif de nullité.

49      Étant donné que le bien-fondé du deuxième moyen entraîne l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité, ainsi qu’il a été constaté au point 43 du présent arrêt, il y a lieu d’accueillir le présent recours, sans qu’il y ait besoin d’examiner les conséquences sur la légalité de la décision attaquée de la méconnaissance, par la chambre de recours, de sa compétence, ni le premier moyen.

50      Il convient également, par voie de conséquence, de rejeter les chefs de conclusions de l’intervenante tendant à ce que le Tribunal, d’une part, confirme la décision attaquée et, d’autre part, maintienne le dessin ou modèle contesté, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2011, Seven/OHMI – Seven for all mankind (SEVEN FOR ALL MANKIND), T‑176/10, non publié, EU:T:2011:577, point 56].

51      En outre, en ce qui concerne le chef de conclusions de la requérante visant à ce que le Tribunal déclare nul le dessin ou modèle contesté, il convient de constater que, en l’absence de toute motivation, dans la décision attaquée, par rapport aux dessins ou modèles D 18 à D 22, le Tribunal ne saurait substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position [voir arrêt du 13 mai 2015, Group Nivelles/OHMI – Easy Sanitairy Solutions (Caniveau d’évacuation de douche), T‑15/13, EU:T:2015:281, point 89 et jurisprudence citée]. Dans ces conditions, et à supposer que ce chef de conclusions tende, en réalité, à la réformation de la décision attaquée [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Gugler France/OHMI – Gugler (GUGLER), T‑674/13, non publié, EU:T:2016:44, point 98], force est de constater que les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, ne sont pas réunies. Partant, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer la décision que la chambre de recours était tenue de prendre et ne peut donc exercer son pouvoir de réformation.

52      Partant, le second chef de conclusions de la requérante doit être rejeté.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la requérante, conformément aux conclusions de cette dernière.

54      En application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 25 avril 2016 (affaire R 37/2015-3), relative à une procédure de nullité entre Gifi Diffusion et Crocs, Inc., est annulée.

2)      L’EUIPO supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Gifi Diffusion dans le cadre de la procédure devant le Tribunal.

3)      Crocs supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Marcoulli

Kornezov

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mars 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.