Language of document : ECLI:EU:C:2014:2023

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 19 juin 2014 (1)

Affaire C‑268/13

Elena Petru

contre

Casa Judeţeană de Asigurări de Sănătate Sibiu

et

Casa Naţională de Asigurări de Sănătate

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunalul Sibiu (Roumanie)]

«Libre circulation des personnes – Sécurité sociale – Remboursement de frais médicaux exposés dans un autre État membre – Autorisation préalable – Portée de la notion de ‘traitement présentant le même degré d’efficacité’ – Manque de moyens matériels dans un centre hospitalier – Portée territoriale du manque de moyens matériels aux fins de l’obtention du droit à l’autorisation préalable»





1.        Par la présente demande de décision préjudicielle, le Tribunalul Sibiu (Roumanie) nous a fait part de ses doutes sur l’interprétation de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (CEE) nº 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (2), dans une situation dans laquelle une ressortissante roumaine réclame aux autorités de son pays le remboursement d’une intervention chirurgicale qu’elle a subie en Allemagne, après avoir constaté, selon ses affirmations devant la juridiction de renvoi, un manque de médicaments et de fournitures médicales de base dans l’hôpital roumain dans lequel elle devait subir l’intervention.

2.        En définitive, la question posée à la Cour est celle de savoir si un défaut généralisé de moyens médicaux de base dans l’État de résidence doit être considéré comme une situation rendant impossible la prestation des soins. Dans l’affirmative, le patient pourra, conformément à l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71, exercer son droit à être autorisé à bénéficier du service dans un autre État membre, à la charge du régime de sécurité sociale de son État de résidence.

3.        Bien que, dans sa jurisprudence, la Cour se soit prononcée à de nombreuses occasions sur la portée de la disposition en cause et sur la problématique des services de santé à la lumière des libertés de circulation, la présente affaire constitue le premier cas dans lequel la nécessité de bénéficier du service dans un autre État membre serait fondée sur la pénurie de moyens dans l’État de résidence.

I –    Cadre juridique

4.        L’article 22 du règlement nº 1408/71, intitulé «Séjour hors de l’État compétent – Retour ou transfert de résidence dans un autre État membre au cours d’une maladie ou d’une maternité – Nécessité de se rendre dans un autre État membre pour recevoir des soins appropriés», dispose:

«1.      Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article 18 et:

[…]

c)      qui est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,

a droit:

i)      aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour […], selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l’État compétent;

[…]

2.      […]

L’autorisation requise au titre du paragraphe 1 point c) ne peut pas être refusée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et si ces soins ne peuvent, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit dans l’État membre de résidence.»

II – Les faits

5.        Mme Petru souffre d’affections vasculaires graves, en conséquence desquelles elle a déjà subi une intervention chirurgicale en 2007. Deux ans plus tard, son état de santé s’est détérioré et elle a été hospitalisée à l’Institutul de Boli Cardiovasculare de Timișoara. Il ressort du rapport médical que Mme Petru souffrait d’une maladie grave qui imposait une intervention chirurgicale urgente, à cœur ouvert, en vue du remplacement de la valve mitrale et de l’implantation de deux endoprothèses vasculaires.

6.        Mme Petru affirme que, durant son séjour à l’Institutul de Boli Cardiovasculare de Timișoara, elle a pu constater un manque considérable de moyens matériels. Selon elle, l’hôpital ne disposait pas de fournitures médicales basiques telles que des antidouleurs, de l’alcool sanitaire, du coton hydrophile ou de la gaze stérile. L’hôpital devait par ailleurs faire face à un afflux important de patients, avec une moyenne de trois malades par lit.

7.        Compte tenu de la complexité de l’intervention chirurgicale nécessaire et du manque de moyens matériels à l’Institutul de Boli Cardiovasculare de Timișoara, Mme Petru a introduit auprès de la Casa Judeţeană de Asigurări de Sănătate Sibiu (ci-après la «Casa Judeţeană») une demande d’autorisation afin qu’elle puisse être opérée en Allemagne et non dans l’hôpital susmentionné de son pays de résidence. Dans sa décision, la Casa Judeţeană a rejeté la demande de Mme Petru sur le fondement de l’état de santé de l’assurée, de l’évolution de sa maladie dans le temps, du délai de réalisation de l’intervention et du motif invoqué (le manque de moyens matériels).

8.        Après le rejet de sa demande, Mme Petru s’est adressée à une clinique en Allemagne, où l’intervention chirurgicale a été effectuée. Le coût total de celle-ci, y compris l’hospitalisation postopératoire, s’élève à 17 714,70 euros.

9.        Immédiatement après, Mme Petru a saisi le Tribunalul Sibiu d’un recours en matière civile contre la Casa Judeţeană, sur le fondement de l’article 22, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71, par lequel elle demande le remboursement des frais exposés en Allemagne.

III – La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

10.      La demande de décision préjudicielle du Tribunalul Sibiu, qui a été enregistrée au greffe de la Cour le 16 mai 2013, porte sur la question suivante:

«L’impossibilité de dispenser des soins [à un assuré] sur le territoire de l’État où il réside, au sens de l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (CEE) nº 1408/71, doit-elle être interprétée d’une manière absolue ou [d’une manière] raisonnable? Autrement dit, une situation dans laquelle une intervention chirurgicale peut être effectuée dans l’État de résidence en temps utile et de manière satisfaisante sur le plan technique, puisque les spécialistes requis, disposant même d’un niveau équivalent de connaissances scientifiques, existent, mais dans laquelle les médicaments et les fournitures médicales de première nécessité font défaut, équivaut-elle à une situation dans laquelle les soins médicaux nécessaires ne peuvent pas être dispensés au sens des dispositions de cet article?»

11.      Des observations écrites ont été présentées par Mme Petru, le gouvernement roumain et la Commission européenne. Lors de l’audience qui s’est tenue le 26 mars 2014, les représentants de Mme Petru, les agents des gouvernements roumain et du Royaume-Uni ainsi que ceux de la Commission ont présenté des observations orales.

IV – Les arguments des parties

12.      Mme Petru défend son droit à obtenir une autorisation conformément à l’article 22 du règlement nº 1408/71. Le paragraphe 2 de cette disposition énumère de manière précise les circonstances dans lesquelles une autorisation ne peut pas être refusée par l’État de résidence. Selon elle, il en ressort que l’insuffisance de moyens matériels hospitaliers justifie l’octroi de ladite autorisation. Cette interprétation serait confortée à l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), qui garantit la protection de la santé.

13.      Pour sa part, le gouvernement roumain, à l’instar du gouvernement du Royaume-Uni, estime que l’article 22 du règlement nº 1408/71, interprété à la lumière de l’article 56 TFUE, exclut le droit à une autorisation dans le cas d’une insuffisance de moyens matériels dans l’État de résidence. Cette situation n’est pas visée par ledit article 22 et n’est pas non plus couverte par l’expression «même degré d’efficacité» employée dans la jurisprudence de la Cour. Par ailleurs, cette circonstance est difficile à prouver, particulièrement en l’absence d’évaluation indépendante effectuée par un médecin qui certifie l’existence d’un tel manque de moyens. Par conséquent, ces deux gouvernements soutiennent que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une décision de refus d’autorisation, sur le fondement de l’article 22 du règlement nº 1408/71, telle que celle prise par la Casa Judeţeană dans l’affaire au principal. Même dans le cas de figure hypothétique dans lequel un manque de moyens aboutirait à une telle autorisation, le gouvernement roumain insiste sur le fait que l’existence de cette circonstance n’a pas été prouvée dans l’affaire au principal.

14.      La Commission a adopté une position intermédiaire, puisqu’elle reconnaît qu’un manque structurel de moyens médicaux constituerait une circonstance permettant l’obtention d’une autorisation au sens de l’article 22 du règlement nº 1408/71, interprété à la lumière des articles 35 et 56 de la Charte. En même temps, la Commission reconnaît que cette autorisation ne peut être délivrée qu’après une analyse qui prenne en considération l’ensemble des circonstances entourant le cas d’espèce, qu’il appartient au juge de renvoi d’apprécier.

V –    Analyse

15.      La présente demande de décision préjudicielle soulève deux questions distinctes, d’un niveau de difficulté très différent quant à la réponse à y apporter. La première question est celle de savoir si un défaut ou un manque de moyens dans un établissement hospitalier peut, dans certaines circonstances, équivaloir à une situation dans laquelle il n’est pas possible de fournir en temps utile une prestation de soins déterminée dans l’État en cause, bien que celle-ci figure parmi les prestations couvertes par son système de protection sociale. La seconde question est celle de savoir s’il en va également ainsi dans un cas dans lequel ledit défaut ou manque de moyens dans les établissements hospitaliers de cet État ne présente pas un caractère ponctuel et localisé mais constitue, au contraire, une situation systémique et donc prolongée dans le temps, due à des circonstances de différentes natures, qu’elles soient naturelles, technologiques, économiques, politiques ou sociales.

16.      Afin d’aborder ces deux problématiques, j’estime qu’il est opportun de rappeler brièvement les principaux apports législatifs et jurisprudentiels qui nous permettront ensuite d’analyser en détail le cas de Mme Petru.

17.      Il est manifeste que l’article 22 du règlement nº 1408/71 constitue le point de départ obligé de cet examen, puisque cette disposition reconnaît expressément le droit de tout patient à demander à l’autorité nationale compétente une autorisation qui lui permette de se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état de santé. Le paragraphe 2 de cet article ajoute que l’autorisation doit nécessairement être accordée dès lors que les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre de résidence du patient et si ces soins ne peuvent pas lui être dispensés dans le délai nécessaire (3).

18.      En outre, rien n’empêche les États membres de prévoir la possibilité que leurs résidents affiliés bénéficient de services médicaux dans d’autres États membres dans des cas de figure autres que ceux prévus à l’article 22 du règlement nº 1408/71. Dans ce cas, les actes de ces États membres sont soumis, comme je l’exposerai plus loin, aux dispositions du traité relatives à la libre circulation (4).

19.      Sur la base de ces dispositions, la Cour a effectué une interprétation s’appuyant sur la libre prestation de services, mais tenant également compte des particularités et des circonstances très hétérogènes qui caractérisent le secteur des soins de santé en Europe.

20.      Dans les arrêts Decker et Kohll (5), la Cour a confirmé que les services de santé, y compris ceux fournis par les systèmes publics, constituent des services à caractère économique et, par conséquent, des services soumis aux règles du traité relatives à la libre circulation. Cette conclusion a permis l’extension de protection offerte par le droit de l’Union à des cas de figure différents de ceux expressément prévus à l’article 22 du règlement nº 1408/71.

21.      Dans le cas de services médicaux qui requièrent une hospitalisation, l’arrêt Smits et Peerbooms (6) a clarifié plusieurs aspects pertinents, en reconnaissant tout d’abord le pouvoir général des États membres de soumettre à autorisation les services médicaux dispensés dans un autre État membre, à la charge de l’État de résidence, que le système de santé soit basé sur des prestations en nature ou sur le remboursement (7). Cet arrêt a également introduit un critère important pour déterminer si le traitement que suit le patient dans un autre État membre est «nécessaire» (8). Sur ce point, la Cour a précisé que les États membres ne peuvent refuser une autorisation sur le fondement du caractère non nécessaire de la prestation que «lorsqu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun» dans l’État membre de résidence (9).

22.      Selon la jurisprudence, aux fins d’apprécier si un traitement présentant le même degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps utile dans l’État membre de résidence, l’institution est tenue de prendre en considération l’ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret, en tenant dûment compte non seulement de la situation médicale du patient au moment où l’autorisation est sollicitée, mais également de ses antécédents (10). Il est manifeste que ces éléments doivent être dûment établis par du personnel médical, de telle sorte que l’organe juridictionnel puisse apprécier l’ensemble des circonstances en tenant compte de critères qui soient prouvés de manière adéquate et non fondés sur les perceptions subjectives de chaque patient.

23.      Il ressort donc de cette jurisprudence, considérée dans son ensemble, qu’un résident d’un État membre, affilié à un régime public de santé, a le droit de se rendre dans un autre État de l’Union européenne, à la charge du régime de sécurité sociale de son État de résidence, lorsqu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité pour le patient peut lui être prodigué en temps opportun dans cet autre État, mais pas dans son État de résidence. Dans ces circonstances, le régime d’affiliation du patient couvre les frais qu’il expose à l’étranger. En revanche, si le patient ne remplit pas ces conditions, il pourra toujours se rendre à l’étranger et bénéficier du service auquel il avait droit dans son État d’affiliation, le remboursement du coût de l’intervention pouvant être réclamé au tarif prévu dans l’État d’affiliation et non à celui du lieu de la prestation du service (11).

24.      Sur cette base, il convient d’apporter une réponse aux deux questions qui se posent dans la présente affaire.

25.      La première à examiner, qui est celle d’une carence ponctuelle de moyens en relation avec une prestation de santé, ne présente en soi pas de difficulté particulière. Il est clair que le règlement nº 1408/71 ne fait pas de distinction concernant les raisons pour lesquelles une prestation déterminée ne peut pas être fournie en temps voulu. Si cette raison réside dans le fait que les infrastructures matérielles ne permettent pas d’effectuer, comme en l’espèce, l’intervention chirurgicale requise, la conséquence doit être la même que dans le cas où la déficience réside dans une carence en termes de personnel, c’est-à-dire dans un défaut de professionnels de la médecine aptes à effectuer l’intervention requise.

26.      En effet, l’on ne saurait exclure que, particulièrement dans les États membres les plus petits, un accident ou un incident dans un établissement hospitalier, qui peut éventuellement être le seul à offrir le service médical requis dans l’État en cause, conduise à une situation dans laquelle, d’un point de vue matériel et non en raison d’autres déficiences, la prestation ne peut pas être effectuée et en tout cas pas en temps opportun.

27.      En principe, la réponse doit donc être affirmative, en ce sens que, tout comme dans la situation dans laquelle la carence concerne le personnel, une déficience dans les établissements hospitaliers peut également entraîner l’obligation de l’État membre, conformément à l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71, d’autoriser la prestation du service médical en question.

28.       Il convient maintenant d’aborder la seconde question. En effet, le véritable problème que soulève le présent renvoi préjudiciel n’est pas celui qui se pose en termes de principe, mais celui qui apparaît, pour ainsi dire, en termes «dimensionnels». Plus précisément, le véritable problème se pose lorsque le manque de moyens matériels aux fins de la prestation de soins en cause présente une dimension qui va au-delà de celle d’une situation ponctuelle, localisée et, en définitive, accidentelle, et constitue l’expression d’une situation de déficience structurelle, généralisée et prolongée dans le temps, que l’on pourrait, en fin de compte, qualifier de déficience «systémique».

29.      Il convient de préciser d’emblée qu’il ne nous appartient pas de déterminer si tel est le cas en Roumanie. Comme la Cour l’a jugé à de nombreuses reprises, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, notre juridiction est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte communautaire, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (12).

30.      Le problème est que la juridiction nationale, en nous retranscrivant la description que la requérante au principal fait de la situation sanitaire dans ledit pays, nous confronte à un cas de figure qui constitue clairement plus qu’une circonstance ponctuelle et localisée. La juridiction de renvoi nous décrit une situation d’urgence sanitaire qui n’apparaît même pas limitée dans le temps, mais qui est au contraire temporellement indéfinie et qui concerne, de manière générique, l’ensemble de l’État.

31.      Or, dans le contexte de cette hypothèse malheureuse, qu’il ne nous appartient pas de vérifier, il est évident que la réponse à apporter ne saurait se trouver à l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71. Par définition, l’État membre qui se trouve dans cette situation ne serait pas en mesure de faire face aux charges économiques résultant d’une émigration sanitaire massive des affiliés à son système de protection sociale vers les autres États membres.

32.      L’application stricte de ladite disposition dans un contexte tel que celui qui est décrit serait en outre difficilement compatible avec la jurisprudence de la Cour. Pour mémoire, l’une des limites introduites à l’exercice de la libre prestation de services dans le secteur des soins de santé est la «remise en cause» de ces services dans l’État de résidence du patient. Comme la Cour l’a déjà jugé dans l’arrêt Müller-Fauré et van Riet ainsi que dans l’arrêt Watts, il convient de prévenir les «flux migratoires de patients de nature à remettre en cause tous les efforts de planification et de rationalisation accomplis par l’État membre compétent dans le secteur vital des soins de santé dans le but d’éviter les problèmes de surcapacité hospitalière, de déséquilibre dans l’offre de soins médicaux hospitaliers, de gaspillage et de déperdition, tant logistiques que financiers» (13).

33.      Il convient donc de conclure que, dans une situation de déficience dans les établissements hospitaliers présentant un caractère structurel et prolongé telle que celle exposée aux points précédents, l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71 n’oblige pas les États membres à autoriser la prestation d’un service figurant dans le catalogue de prestations, même si cela peut impliquer que certaines prestations médicales ne puissent pas être fournies de manière effective. Il est clair qu’il en va ainsi sauf si ladite autorisation ne remet pas en cause la viabilité du système d’assurance maladie de l’État membre en cause.

34.      Eu égard à ce qui précède, il convient maintenant de répondre à la question posée par le Tribunalul Sibiu en ce qui concerne le cas spécifique de Mme Petru.

35.      Il ressort du dossier que Mme Petru a décidé de se faire opérer en Allemagne après avoir constaté personnellement les moyens dont disposait l’Institutul de Boli Cardiovasculare de Timișoara au moment de son hospitalisation. La juridiction de renvoi devra établir s’il existe des expertises constatant une telle pénurie de moyens dans cet établissement ou s’il s’agit, au contraire, d’une appréciation personnelle de Mme Petru.

36.      Compte tenu des éléments de fait apportés au dossier, la juridiction de renvoi devra apprécier si nous sommes en présence de l’une des deux situations précitées et, le cas échéant, si une carence ponctuelle de moyens matériels s’est produite ou s’il s’agit d’une situation de déficience dans les établissements hospitaliers présentant un caractère structurel et prolongé dans le temps, telle que celle décrite aux points 28 à 32 des présentes conclusions.

37.      Par conséquent, eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71 oblige les États membres à autoriser la prestation d’un service inclus dans le catalogue des prestations couvertes dans le cas où une déficience dans un établissement hospitalier déterminé dudit État membre, présentant un caractère ponctuel et transitoire, rend effectivement impossible la prestation dudit service.

38.      En revanche, un État membre n’est pas obligé d’autoriser la prestation d’un service figurant dans le catalogue des prestations couvertes dans le cas d’une déficience dans les établissements hospitaliers présentant un caractère structurel et prolongé dans le temps, même si cela peut impliquer que certaines prestations de santé ne puissent pas être fournies de manière effective, à moins que ladite autorisation ne remette pas en cause la viabilité du système d’assurance maladie de l’État membre en cause.

39.      Ces considérations doivent être appliquées au cas d’espèce par la juridiction de renvoi, qui est le seul compétent pour connaître des faits de la procédure au principal, en tenant compte des expertises indépendantes dûment produites dans le cadre de ladite procédure.

VI – Conclusion

40.      Eu égard à ce qui précède, je propose à Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Tribunalul Sibiu:

L’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) nº 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être interprété en ce sens qu’un État membre est obligé d’autoriser la prestation d’un service figurant dans le catalogue des prestations couvertes dans le cas où une déficience dans un établissement hospitalier déterminé dudit État membre, présentant un caractère ponctuel et transitoire, rend effectivement impossible la prestation dudit service.

En revanche, l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’il n’oblige pas un État membre à autoriser la prestation d’un service figurant dans le catalogue des prestations couvertes dans le cas d’une déficience dans les établissements hospitaliers présentant un caractère structurel et prolongé dans le temps, même si cela peut impliquer que certaines prestations de santé ne puissent pas être fournies de manière effective, à moins que ladite autorisation ne remette pas en cause la viabilité du système d’assurance maladie de l’État membre en cause.

La juridiction de renvoi doit établir, au vu des expertises indépendantes dûment produites dans la procédure, si ces conditions étaient remplies au moment où la requérante au principal a demandé l’autorisation conformément à l’article 22, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement nº 1408/71.


1 –      Langue originale: l’espagnol.


2 – Règlement du Conseil du 14 juin 1971 dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) nº 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le «règlement nº 1408/71»). Il est à noter que les faits de l’affaire au principal se sont produits avant l’entrée en vigueur de la réforme du règlement nº 1408/71 opérée par le règlement (CE) nº 592/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008 (JO L 177, p. 1).


3 – Voir, notamment, Rodière, P., Droit social de l’Union européenne, 2e éd., LGDJ, Paris, 2014, p. 725 et suiv.; De la Rosa, S., «The Directive on cross-border healthcare or the art of codifying complex case law», Common Market Law Review, 49, 2012; Van der Mei, A. P., «Cross-border access to medical care within the European Union: Some reflections on the judgments in Decker and Kohll», 5, Maastricht Journalof European and Comparative Law, vol. 5, nº 3, 1998, et Lewalle, H., et Palm, W., «Quel est l’impact de la jurisprudence européenne sur l’accès aux soins à l’intérieur de l’Union européenne?», Revue belge dela Sécurité sociale, nº 4, 2001.


4 – Voir arrêts Decker (C‑120/95, EU:C:1998:167, points 34 et suiv.); Kohll (C‑158/96, EU:C:1998:171, point 35) et Vanbraekel e.a. (C‑368/98, EU:C:2001:400, points 40 et suiv.).


5 – EU:C:1998:167 et EU:C:1998:171.


6 – C‑157/99, EU:C:2001:404.


7 – Ibidem (points 55 à 59).


8 – Ibidem (points 99 et suiv.).


9 – Ibidem (point 103).


10 – Voir arrêts Watts (C‑372/04, EU:C:2006:325, points 46 à 62) et Elchinov (C‑173/09, EU:C:2010:581, point 66).


11 – Voir, notamment, arrêts Müller-Fauré et van Riet (C‑385/99, EU:C:2003:270, points 98 et 106) et Elchinov (EU:C:2010:581, point 80).


12 – Voir, notamment, arrêts AC-ATEL Electronics Vertriebs (C‑30/93, EU:C:1994:224, point 16); Phytheron International (C‑352/95, EU:C:1997:170, point 11); Dumon et Froment (C‑235/95, EU:C:1998:365, point 25); WWF e.a. (C‑435/97, EU:C:1999:418, point 31) et Stadt Papenburg (C‑226/08, EU:C:2010:10, point 23).


13 – Voir, notamment, arrêts Müller-Fauré et van Riet (EU:C:2003:270, point 91) et Watts (EU:C:2006:325, point 71).