Language of document : ECLI:EU:T:2013:635

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

11 décembre 2013 (*)

« Concurrence – Concentrations – Marchés européens des services de communication par Internet– Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur – Erreurs manifestes d’appréciation – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑79/12,

Cisco Systems Inc., établie à San Jose, Californie (États-Unis),

Messagenet SpA, établie à Milan (Italie),

représentées par Mes L. Ortiz Blanco, J. Buendía Sierra, A. Lamadrid de Pablo et K. Jörgens, avocats,


parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. N. Khan, S. Noë et C. Hödlmayr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Microsoft Corp., établie à Seattle, Washington (États-Unis), représentée par Me G. Berrisch, avocat,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2011) 7279 de la Commission, du 7 octobre 2011, déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) l’opération de concentration d’entreprises visant à l’acquisition par Microsoft Corp. de Skype Global Sàrl (affaire COMP/M.6281 – Microsoft/Skype),

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, faisant fonction de président, M. van der Woude (rapporteur) et C. Wetter, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

 Parties à la procédure

1        Les requérantes, Cisco Systems Inc. (ci-après « Cisco ») et Messagenet SpA, sont des entreprises qui fournissent, notamment, des services et des logiciels de communications par Internet pour, respectivement, les entreprises et le grand public.

2        L’intervenante, Microsoft Corp., conçoit, développe et commercialise une vaste gamme de produits sous forme de logiciels destinés à différents types d’équipements informatiques. Ces produits incluent des services et des logiciels de communications par Internet.

3        Skype Global Sàrl (ci-après « Skype ») fournit des services et des logiciels de communications par Internet. Ses produits permettent les messages instantanés, les appels audio et les communications vidéo par Internet.

 Procédure administrative

4        Le 2 septembre 2011, Microsoft a notifié, conformément à l’article 4 du règlement (CE) nº 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), une concentration par laquelle elle comptait acquérir le contrôle de Skype.

5        Les requérantes ont participé à l’enquête menée par la Commission européenne. À ce titre, Cisco, avant même la notification formelle de l’opération de concentration par Microsoft, a participé à une réunion avec la Commission le 1er août 2011 et a répondu à ses questions les 12 et 18 août 2011, puis a fourni des réponses complémentaires le 9 septembre 2011. Cisco a également répondu à d’autres questions posées par la Commission le 13 septembre 2011, fournissant des informations complémentaires lors d’une vidéoconférence le 14 septembre 2011 et des observations par écrit les 19 et 26 septembre 2011. Quant à Messagenet, elle a envoyé des observations par écrit à la Commission le 20 septembre 2011, participé à une conférence téléphonique le 4 octobre 2011 et fourni des informations supplémentaires le même jour.

6        Le 7 octobre 2011, en application de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 139/2004, la Commission a rendu la décision C (2011) 7279 déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) l’opération de concentration d’entreprises visant à l’acquisition par Microsoft de Skype (affaire COMP/M.6281 – Microsoft/Skype) (ci-après la « décision attaquée »).

 Contenu de la décision attaquée

7        Dans la décision attaquée, la Commission a estimé qu’il convenait de distinguer entre les services de communications par Internet destinés aux clients grand public (ci-après les « communications résidentielles ») et ceux destinés aux clients entreprises (ci-après les « communications professionnelles ») (considérants 10 à 17 de la décision attaquée). La Commission n’a pas considéré qu’il était nécessaire, aux fins de son analyse concurrentielle, de procéder à l’intérieur de chacune de ces deux grandes catégories de communications à une segmentation plus détaillée, car elle a estimé que l’opération notifiée ne soulevait pas de problèmes de concurrence, même sur les marchés définis de la façon la plus étroite (considérants 18 à 63 de la décision attaquée). La Commission a donc poursuivi son analyse en examinant l’incidence de la concentration sur chacun des deux marchés qu’elle avait identifiés.

8        Quant à la dimension géographique des marchés, dans la mesure où la Commission a estimé que la transaction ne soulevait pas de problèmes de concurrence, même en se référant au marché le plus étroit, à savoir celui de l’Espace économique européen (EEE), elle n’a pas pris de position sur la définition précise du marché géographique de référence (considérants 64 à 68 de la décision attaquée).

9        S’agissant des effets horizontaux de la concentration sur le marché des communications résidentielles, après avoir examiné les caractéristiques du marché (considérants 69 à 95 de la décision attaquée), la Commission s’est référée aux segments les plus étroits possibles sur lesquels il existerait le plus grand chevauchement entre les services de Microsoft et ceux de Skype, à savoir le segment des messages instantanés effectués à partir d’ordinateurs personnels (ci‑après les « PC ») fonctionnant sous le système d’exploitation Windows (ci-après « Windows »), celui des appels audio effectués à partir de PC fonctionnant sous Windows et le segment des communications vidéo effectuées à partir de ce même type de PC. La Commission a estimé que la transaction ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, même dans ces segments étroits (considérants 96 à 132 de la décision attaquée). En particulier, sur le segment des communications vidéo sur PC fonctionnant sous Windows (ci-après le « marché étroit ») où la nouvelle entité aurait une part de marché de 80 à 90 % avec les services de Skype et ceux de Microsoft offerts sous la marque « Windows Live Messenger » (ci-après « WLM »), la Commission a considéré que Microsoft subirait une pression concurrentielle.

10      La décision attaquée a également analysé la question de savoir si la concentration générait des effets de conglomérat sur le marché des communications résidentielles, eu égard notamment à la position importante dont bénéficiaient certains produits de Microsoft, tels que Windows, le navigateur Windows Internet Explorer et le logiciel Microsoft Office, sur d’autres marchés de logiciel informatique. La Commission a estimé à cet égard que la nouvelle entité avait la capacité de, mais ne serait pas incitée à, utiliser cette position pour fausser la concurrence en faveur des produits de Skype et de Microsoft en dégradant l’interopérabilité de ces produits avec des produits concurrents ou en ayant recours à des pratiques de jumelage ou de ventes liées. Quand bien même la nouvelle entité tenterait de poursuivre une telle stratégie de verrouillage, les effets anticoncurrentiels seraient, selon la Commission, limités, voire inexistants (considérants 133 à 170 de la décision attaquée).

11      En ce qui concerne les effets horizontaux de la concentration sur le marché des communications professionnelles, la Commission a conclu que la transaction ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur. La présence de Skype sur ce marché serait limitée et la nouvelle entité ne deviendrait pas leader de marché, même sur les segments les plus étroits du marché dans lesquels Skype serait néanmoins active (considérants 177 à 202 de la décision attaquée).

12      La décision attaquée a également répondu à certaines craintes que des opérateurs de téléphonie traditionnelle et d’autres fournisseurs de services de communications professionnelles avaient exprimées lors de l’enquête sur de possibles effets de conglomérat sur le marché des communications professionnelles, en estimant que ces craintes n’étaient pas fondées (considérants 203 à 221 de la décision attaquée). Une de ces craintes concernait la possibilité que la nouvelle entité créât une combinaison privilégiée de la clientèle de Skype avec celle attachée à Lync, qui est un logiciel de communications développé par Microsoft et destiné aux entreprises, ce qui aurait conféré un atout important à la nouvelle entité auprès des entreprises exploitant des centres d’appel. Toutefois, selon la décision attaquée, la nouvelle entité n’aurait pas la capacité de, et ne serait pas incitée à, mener une stratégie d’exclusion dont les effets anticoncurrentiels seraient en tout état de cause improbables (considérants 213 à 221 de la décision attaquée).

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 février 2012, les requérantes ont introduit le présent recours.

14      Par acte séparé déposé le même jour, les requérantes ont également formé une demande de procédure accélérée, en vertu de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, et, à titre subsidiaire, de traitement prioritaire au sens de l’article 55, paragraphe 2, du même règlement.

15      Le 22 mars 2012, le Tribunal a décidé de rejeter la demande de procédure accélérée. Par ailleurs, le Tribunal n’a pas fait droit à la demande tendant à ce que l’affaire soit jugée par priorité.

16      Par ordonnance du 23 mai 2012, le président de la quatrième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention de Microsoft, déposée au greffe du Tribunal le 2 mars 2012.

17      Le 29 mai 2012, les parties ont été informées qu’un deuxième échange de mémoires n’était pas nécessaire, en vertu de l’article 47, paragraphe 1, du règlement de procédure.

18      Le 11 juillet 2012, Microsoft a déposé un mémoire en intervention. Le 24 octobre 2012, les requérantes et la Commission ont déposé leurs observations au sujet dudit mémoire.

19      Le 12 septembre 2012, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure. Les parties ont répondu à ces questions dans les délais impartis.

20      Deux membres de la chambre étant empêchés de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure, deux autres juges pour compléter la chambre.

21      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a posé une question par écrit à l’intervenante, l’invitant à y répondre lors de l’audience. L’intervenante a déféré à cette demande.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 mai 2013.

23      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner les mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal juge nécessaire et, en particulier, ordonner à la Commission de fournir au Tribunal tous les documents relatifs aux négociations concernant les communications entre la Commission et les parties à la transaction au sujet d’éventuels engagements d’interopérabilité ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en partie et comme non fondé pour le surplus ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

25      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

26      À l’appui du recours, les requérantes avancent deux moyens, tirés d’erreurs manifestes d’appréciation de la Commission dans la mise en œuvre des articles 2 et 6 du règlement nº 139/2004 et d’une violation de l’obligation de motivation telle qu’elle résulte de l’article 296 TFUE. Le premier moyen concerne l’appréciation des effets horizontaux de la concentration sur le marché des communications résidentielles. Le second moyen concerne des erreurs commises par la Commission dans l’appréciation de l’effet sur le marché des communications professionnelles qu’aurait l’éventuelle combinaison de la base d’utilisateurs de Skype avec les services de Lync.

27      En introduction à ces deux moyens, les requérantes font valoir des arguments sur les exigences de preuve qui incombent à la Commission lorsqu’elle applique le règlement nº 139/2004 et l’intensité du contrôle de légalité exercé par le Tribunal dans ce domaine.

28      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité par acte séparé sur le fondement de l’article 114 du règlement de procédure, la Commission fait valoir dans le mémoire en défense que Cisco n’a pas d’intérêt à agir lorsqu’elle sollicite l’annulation de la décision attaquée au titre du premier moyen du recours et que Messagenet n’a pas la qualité à agir dans le cadre de l’ensemble du recours.

 Sur la recevabilité

29      S’agissant de la recevabilité du recours en ce qui concerne Cisco, la Commission, soutenue par l’intervenante, ne conteste pas que Cisco est individuellement et directement concernée par la décision attaquée et a donc, à ce titre, qualité pour agir contre cet acte, mais elle estime que Cisco n’a pas d’intérêt à agir contre cette décision pour autant qu’elle concerne le marché des communications résidentielles et, partant, que le premier moyen est irrecevable. En effet, dans la mesure où ce moyen vise à faire constater que la Commission aurait commis une erreur manifeste dans l’appréciation de l’incidence concurrentielle de la concentration sur un marché où Cisco n’est pas présente, en l’occurrence celui des communications résidentielles, la mise en œuvre dudit moyen ne saurait lui procurer un avantage. La Commission estime que les requérantes n’ont pas la faculté de soulever des moyens dans le seul intérêt de la loi.

30      En ce qui concerne Messagenet, la Commission, soutenue par l’intervenante, fait valoir que la faible participation de Messagenet à la procédure administrative ne suffit pas pour que lui soit reconnue la qualité à agir contre la décision attaquée. Elle observe, en outre, que la participation de Messagenet à ladite procédure n’a eu aucune influence sur le contenu de la décision attaquée et qu’elle n’a pas été identifiée comme un concurrent de Skype au courant de cette même procédure. La Commission a précisé lors de l’audience que Messagenet ne fournissait même pas de logiciels pour les communications vidéo.

31      La Commission et l’intervenante en concluent que le premier moyen est irrecevable pour autant qu’il concerne Cisco et que le recours est intégralement irrecevable pour autant qu’il concerne Messagenet.

32      Les requérantes contestent les arguments de la Commission sur la recevabilité du recours.

33      En ce qui concerne la recevabilité du recours de Cisco, il convient de rappeler que l’article 263, quatrième alinéa, TFUE permet à une personne autre que le destinataire d’un acte de former un recours en annulation contre cet acte, si celui-ci la concerne individuellement et directement.

34      Selon la jurisprudence, la question de la qualité pour agir d’un requérant s’apprécie par rapport aux effets que l’acte attaqué a sur sa situation juridique en ce que ledit requérant est, d’une part, directement affecté par l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 9, et arrêt du Tribunal du 24 mars 1994, Air France/Commission, T‑3/93, Rec. p. II‑121, point 80) et, d’autre part, individuellement affecté par ce même acte (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223). En revanche, la qualité pour agir du requérant ne se détermine pas en fonction des moyens que celui-ci avance à l’appui de son recours.

35      Il en va de même pour la question de savoir si un requérant a un intérêt à agir. Cet intérêt découle des conséquences que l’annulation de l’acte attaqué pourrait avoir sur la situation juridique du requérant (arrêts de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21, et du Tribunal du 25 mars 1999, Gencor/Commission, T‑102/96, Rec. p. II‑753, point 40). Cet intérêt doit être né et actuel, il s’apprécie au jour où le recours est formé et n’existe que si le recours est susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du Tribunal du 4 juillet 2006, easyJet/Commission, T‑177/04, Rec. p. II‑1931, point 40, et la jurisprudence citée).

36      Or, en l’espèce, Cisco avait, au jour où elle a formé le recours, un intérêt né et actuel à voir la décision attaquée annulée, dès lors que celle-ci autorisait une opération de concentration, impliquant un de ses principaux concurrents, susceptible d’affecter sa situation commerciale. En conséquence, l’intérêt à agir de cette requérante à l’égard du dispositif de la décision attaquée ne saurait être contesté (voir, en ce sens, arrêt easyJet/Commission, précité, point 41).

37      S’il est exact que le Tribunal doit s’opposer à ce qu’un requérant invoque des moyens qu’il n’aurait pas d’intérêt individuel à soulever (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 30 juin 1983, Schloh/Conseil, 85/82, Rec. p. 2105, points 13 et 14), cela n’est pas le cas du premier moyen invoqué par les requérantes en l’espèce. En effet, ce moyen vise directement l’appréciation des effets horizontaux de la concentration et, partant, un des fondements du dispositif de la décision attaquée. Dès lors que Cisco a un intérêt à agir contre ce dispositif, elle a également un intérêt à contester les motifs et éléments de raisonnement qui ont conduit la Commission à adopter ce dispositif (voir, en ce sens, arrêt easyJet, précité, point 41).

38      De plus, il convient de rappeler que l’absence d’un rapport de concurrence entre une entreprise requérante et les entreprises parties à la concentration ne signifie pas nécessairement que le recours introduit par la première est irrecevable, notamment lorsqu’elle opère sur un marché voisin de celui de ces dernières (voir, dans ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, ARD/Commission (T‑158/00, Rec. p. II‑3825, points 78 à 95).

39      Or, les deux moyens que les requérantes avancent à l’appui de leur recours sont étroitement liés. Le second moyen repose ainsi sur la prémisse que la nouvelle entité se servira de sa position importante dans le marché des communications résidentielles, notamment pour les communications vidéo, comme levier pour fausser les conditions de concurrence sur le marché des communications professionnelles. Les requérantes font valoir, dans la même logique, que la finalité économique de la concentration sur le marché des communications résidentielles s’explique, en partie, par la possibilité d’une rentabilisation sur le marché des communications professionnelles.

40      Quant à la qualité pour agir de Messagenet, il convient d’observer que Cisco et Messagenet ont présenté un seul et même recours. Or, selon une jurisprudence désormais bien établie, s’agissant d’un seul et même recours, dès lors qu’une des requérantes dispose de la qualité pour agir, il n’y a pas lieu d’examiner la qualité pour agir des autres requérantes, sauf à se fonder sur des considérations d’économie de procédure (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, point 31, et du Tribunal du 9 juillet 2007, Sun Chemical Group e.a./Commission, T‑282/06, Rec. p. II‑2149, points 50 à 52). Dans le cas d’espèce, à supposer même qu’un examen séparé de la recevabilité du recours de Messagenet révèle que celle-ci n’a pas qualité pour agir, le Tribunal devrait néanmoins examiner le recours dans son intégralité. Il n’existe donc pas de motifs d’économie de procédure justifiant que le Tribunal s’écarte de la jurisprudence en cause.

41      Il convient dès lors d’écarter l’argumentation de la Commission quant à la recevabilité et de déclarer le recours comme étant recevable.

 Sur le fond

 Sur les exigences de preuve de la Commission et l’intensité du contrôle juridictionnel

42      À titre liminaire, les requérantes avancent plusieurs arguments concernant les exigences de preuve qui incombent à la Commission dans son contrôle des concentrations et l’intensité du contrôle de légalité exercé par le Tribunal dans ce domaine.

43      Les requérantes font valoir que, à la différence des décisions prises en vertu de l’article 8 du règlement nº 139/2004, la Commission ne bénéficie d’aucun pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle statue au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du même règlement. Le contrôle de légalité que le Tribunal est appelé à exercer pour les décisions prises sur la base de cette dernière disposition ne concernerait pas la question de savoir si la concentration sous examen entrave de façon significative la concurrence sur le marché intérieur, mais celle de savoir si la concentration soulève objectivement des doutes sérieux nécessitant un examen complémentaire. Les requérantes considèrent que ce type de contrôle devrait correspondre à celui qu’exerce le Tribunal en matière d’aides d’État à l’égard des décisions par lesquelles la Commission décide ou non d’ouvrir une procédure au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Le Tribunal ne saurait donc se limiter à vérifier si la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation. Il devrait au contraire examiner si la Commission pouvait conclure, sans doutes raisonnables, que la concentration contestée ne posait pas de problèmes de concurrence, même sur le marché le plus étroit possible.

44      La Commission, soutenue par l’intervenante, conteste ces arguments.

45      Il convient de rappeler que, lorsque la Commission analyse une concentration au sens de l’article 2 du règlement nº 139/2004, elle effectue une première phase d’investigation pour établir si la concentration soulève des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en vertu de l’article 6, paragraphe 1, du même règlement. Si elle conclut que la concentration sous examen soulève de tels doutes, la Commission ouvre une seconde phase d’investigation à la fin de laquelle elle doit décider si la concentration entrave de façon significative la concurrence sur le marché intérieur au sens de l’article 8 du règlement nº 139/2004.

46      S’il est exact que, à la différence de l’article 8 du règlement nº 139/2004, l’article 6 de ce règlement se réfère à l’existence ou à l’absence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration notifiée avec le marché intérieur, il n’en demeure pas moins que la Commission doit se fonder dans les deux cas sur les mêmes critères d’appréciation, tels qu’ils sont prévus à l’article 2 du même règlement. Pareillement, contrairement à ce que les requérantes font valoir, les exigences de preuve ne sont pas plus élevées pour les décisions prises au titre de l’article 6 du règlement nº 139/2004 que pour celles prises au titre de l’article 8 du même règlement. En effet, que la Commission autorise, comme en l’espèce, une concentration à l’issue de la première phase ou après une deuxième phase d’examen, les exigences de preuve requises sont identiques. La réponse à la question de savoir si la Commission peut statuer sur la base de l’article 6 ou au titre de l’article 8 du règlement nº 139/2004 dépend ainsi de la disponibilité des preuves dans le temps, mais pas de leur niveau, ainsi qu’il résulte d’ailleurs du considérant 35 du règlement nº 139/2004.

47      En ce qui concerne les exigences de preuve, il ressort de l’arrêt de la Cour du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala (C‑413/06 P, Rec. p. I‑4951, points 50 à 53), que la Commission est, en principe, tenue de prendre position soit dans le sens de l’autorisation de l’opération de concentration dont elle est saisie, soit dans celui de l’interdiction de celle-ci, selon son appréciation de l’évolution économique attribuable à l’opération en cause dont la probabilité est la plus forte. Il s’agit donc d’une appréciation de probabilités, comme le fait valoir la Commission, et non, comme le soutiennent les requérantes, d’une obligation pesant sur la Commission de démontrer sans doutes raisonnables qu’une concentration ne soulève pas de problèmes de concurrence.

48      À cet égard, la Commission rappelle à juste titre que le règlement nº 139/2004 ne repose pas sur une présomption d’incompatibilité des concentrations avec le marché intérieur. Le régime de contrôle de concentrations ne saurait donc être comparé au régime de contrôle mis en place par les articles 107 TFUE et 108 TFUE, qui se fonde sur un système d’interdiction et de dérogations.

49      Certes, les requérantes observent, également à juste titre, que l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 139/2004 ne confère à la Commission aucun pouvoir discrétionnaire quant à l’ouverture d’une deuxième phase d’investigation supplémentaire lorsqu’elle se heurte à des doutes sérieux au sujet de la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur. En effet, lorsque la Commission éprouve des doutes sérieux quant à la compatibilité avec le marché intérieur d’une concentration, elle est tenue d’ouvrir une deuxième phase d’investigation. Toutefois, même si la notion de « doutes sérieux » revêt un caractère objectif, la Commission rappelle à bon droit qu’il n’en demeure pas moins que, avant d’adopter une décision au titre de l’article 6, paragraphe 1, sous c), du règlement nº 139/2004, elle doit effectuer des appréciations économiques complexes et qu’elle dispose, à cet effet, d’une certaine marge d’appréciation dont le Tribunal doit tenir compte (arrêt du Tribunal du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission, T‑119/02, Rec. p. II‑1433, point 77).

50      Par conséquent, que ce soit pour les décisions prises au titre de l’article 6 ou celles adoptées sur la base de l’article 8 du règlement nº 139/2004, la jurisprudence prévoit un degré de contrôle juridictionnel identique. Dans les deux cas, comme le soutient la Commission, le contrôle exercé par le juge de l’Union sur les appréciations économiques complexes de la Commission doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir. À cet égard, il convient de rappeler que le juge de l’Union doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir, pour les décisions prises au titre de l’article 8 du règlement nº 139/2004, arrêt de la Cour du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39, et pour les décisions prises au titre de l’article 6 du même règlement, arrêt Sun Chemical Group e.a./Commission, précité, point 60).

 Sur le premier moyen, relatif aux effets horizontaux de l’opération de concentration sur le marché des communications résidentielles

51      Selon la décision attaquée, les activités de Skype dans le domaine des communications résidentielles et les activités exercées par Microsoft avec WLM se recoupent. Ce recoupement concerne notamment les communications vidéo faites à partir de PC fonctionnant sous Windows, ce qui constitue le marché étroit. Dans ce marché étroit, WLM détiendrait une part de marché de 30 à 40 % et Skype de 40 à 50 %, de sorte que la concentration donnerait lieu à une part de marché combinée comprise entre 80 et 90 % (considérants 97 à 102 et 109 de la décision attaquée).

52      La Commission a toutefois estimé que cette combinaison ne soulevait pas de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur. Premièrement, à ce titre, elle a estimé que les parts de marché ne seraient pas très indicatives d’une puissance concurrentielle dans un marché en pleine expansion et que, dans la mesure où les services de communications vidéo sont offerts gratuitement, toute tentative d’imposer de prix inciterait les consommateurs à changer de fournisseur. Il en irait de même si l’entité issue de la concentration cessait d’innover, car les consommateurs attacheraient une grande importance à l’innovation des produits. Deuxièmement, la nouvelle entité subirait la pression concurrentielle tant de la part de nouveaux entrants proposant des produits innovants que de la part de nombreux opérateurs existants, dont notamment Google et Facebook. Troisièmement, la demande pour les communications vidéo offertes par WLM serait en déclin prononcé. De plus, la présence de WLM sur les tablettes et les ordiphones (smartphones) serait très limitée, alors qu’il s’agit de plates‑formes d’utilisation en pleine expansion. Quatrièmement, les effets de réseau, auxquels la concentration pourrait donner lieu, seraient amoindris du fait que les utilisateurs ont tendance à communiquer en petits groupes restreints et qu’ils utilisent une variété d’opérateurs. Ces facteurs montreraient la facilité avec laquelle les groupes d’utilisateurs migrent vers d’autres services de communications.

53      Les requérantes estiment que, si la Commission avait correctement appliqué les lignes directrices sur l’appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, C 31, p. 5, ci-après les « lignes directrices sur les concentrations horizontales ») et respecté sa pratique décisionnelle antérieure, elle aurait dû examiner davantage les effets anticoncurrentiels de la concentration. Elles estiment que la Commission aurait dû analyser si ces problèmes auraient pu être résolus par l’imposition de conditions visant à assurer l’interopérabilité entre les services de communications offerts par la nouvelle entité et ceux offerts par des fournisseurs concurrents. En approuvant la transaction en première phase sans exiger des engagements dans ce sens, la Commission aurait commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation en s’abstenant de soulever des doutes sérieux à l’égard de la transaction en cause.

54      À l’appui de ce premier moyen, les requérantes avancent, en substance, trois griefs.

55      En premier lieu, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte des effets de réseau dans les marchés des communications résidentielles, notamment ceux qui se produiraient dans le marché étroit. Selon les requérantes, l’analyse des effets de réseau par la Commission serait contraire à sa pratique décisionnelle antérieure et la Commission aurait violé son obligation de motivation en n’expliquant pas les raisons pour lesquelles elle se serait écartée de cette pratique.

56      En deuxième lieu, les requérantes précisent que la combinaison d’une part de marché très élevée et d’un degré de concentration de 7 340 selon l’indice de Herfindahl-Hirschmann (ci-après l’« IHH ») constituait, pour le moins, un indice fort de l’existence de problèmes de concurrence justifiant l’ouverture d’une enquête complémentaire, les arguments mis en avant dans la décision attaquée n’affectant pas la valeur probante de ces deux éléments. Enfin, la décision attaquée ne contiendrait aucune preuve de la possibilité pour les consommateurs de changer de fournisseur si la nouvelle entité cessait d’innover ou d’assurer une interopérabilité avec des services concurrents.

57      En troisième lieu, les requérantes estiment que la Commission a mal apprécié les pressions concurrentielles auxquelles la nouvelle entité serait soumise.

58      La Commission et l’intervenante estiment que les arguments des requérantes ne sont pas fondés.

59      Il ressort de l’article 2 du règlement nº 139/2004 que seules les concentrations qui entravent de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, notamment du fait de la création ou du renforcement d’une position dominante, doivent être déclarées incompatibles avec le marché intérieur.

60      S’agissant des concentrations horizontales, les lignes directrices sur les concentrations horizontales décrivent les critères que la Commission compte appliquer pour déterminer si une concentration remplit les conditions de l’interdiction prévue à l’article 2 du règlement nº 139/2004. Il résulte du paragraphe 22 de ces lignes directrices que ces conditions peuvent être réunies notamment lorsqu’une concentration aboutit à la suppression d’importantes pressions concurrentielles pesant sur les parties à la concentration, lesquelles auraient alors un pouvoir de marché accru, sans recourir à une coordination des comportements.

61      Selon le paragraphe 8 des lignes directrices sur les concentrations horizontales, le fait pour une ou plusieurs entreprises de disposer d’un pouvoir de marché accru peut causer des dommages à la concurrence, si ce pouvoir permet à l’entité issue de la concentration de procéder, de façon profitable, à des augmentations de prix, à des réductions de la production, à des limitations dans le choix ou des réductions de la qualité des biens et des services proposés ainsi qu’à une diminution de l’innovation ou, encore, si ce pouvoir lui permet d’influencer d’autres facteurs de concurrence.

62      Selon la jurisprudence, la charge de prouver qu’une concentration produit de tels dommages à la concurrence incombe à la Commission (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 septembre 2005, EDP/Commission, T‑87/05, Rec. p. II‑3745, point 61). Il convient de rappeler également que, lorsque la Commission se fonde sur un comportement futur qui, selon elle, sera adopté par une entité fusionnée à la suite d’une opération de concentration, il lui appartient d’établir, sur la base de preuves solides et avec un degré de probabilité suffisant, que ce comportement se produira réellement (arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 464).

63      Dans la mesure où la Commission est ainsi appelée à effectuer une analyse prospective nécessitant la prise en compte de nombreux facteurs économiques, elle jouit d’une marge d’appréciation dont le Tribunal doit tenir compte dans l’exercice de son contrôle. Cela n’implique cependant pas que le Tribunal doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique, ainsi qu’il a été constaté au point 50 ci-dessus.

64      C’est au regard de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments avancés par les requérantes au soutien du premier moyen. Cet examen s’effectuera toutefois dans un ordre différent de celui dans lequel les requérantes ont avancé leurs arguments. En effet, il convient d’examiner d’abord les arguments relatifs à la part de marché, pour apprécier ensuite ceux tirés des effets de réseau. Il convient enfin d’analyser les arguments concernant le dommage que la concentration contestée est susceptible de causer à la concurrence.

–       Sur la part de marché

65      S’agissant de la part de marché très élevée sur le marché étroit, il résulte du paragraphe 17 des lignes directrices sur les concentrations horizontales ainsi que de la jurisprudence à laquelle ce paragraphe se réfère que des parts de marché de 50 % et plus sont susceptibles de constituer des preuves sérieuses de l’existence d’une position dominante. Il convient cependant de préciser que les parts de marché peuvent uniquement être utilisées comme des indices de problèmes concurrentiels, pour autant que le marché auquel ces parts se réfèrent a été défini au préalable. Il en va de même de l’IHH auquel les requérantes se réfèrent également.

66      Or, en l’espèce, la Commission s’est limitée à différencier les communications résidentielles des communications professionnelles (voir point 7 ci-dessus). Elle n’a, en revanche, pas pris position sur la question de savoir s’il convenait d’identifier, à l’intérieur de la catégorie des communications résidentielles, l’existence de marchés de référence plus restreints en fonction des fonctionnalités, des plates‑formes ou des systèmes d’exploitation de ces communications, car elle a estimé que la concentration notifiée ne soulevait pas de problèmes concurrentiels même sur les marchés les plus étroits. La Commission a constaté notamment que, même en se basant sur le marché étroit, la nouvelle entité resterait soumise à d’importantes pressions concurrentielles.

67      Les requérantes fondent donc leur grief relatif à un pouvoir de marché détenu par la nouvelle entité sur le marché étroit sur un postulat inexact, dans la mesure où la Commission n’a pas défini l’existence d’un marché spécifique de communications vidéo résidentielles à partir de PC fonctionnant sous Windows. La Commission n’a donc pas établi dans la décision attaquée que les opérateurs présents sur le marché étroit pouvaient agir indépendamment de la pression concurrentielle en provenance des autres moyens de communications résidentielles, tels que les services offerts à partir d’autres plates-formes ou d’autres systèmes d’exploitation. De plus, les requérantes n’ont elles-mêmes soumis aucune preuve ou étude permettant de conclure à l’existence d’un tel marché étroit. Elles se sont limitées, en revanche, à critiquer les éléments que la décision attaquée avait mis en avant pour relativiser l’importance des parts de marché (voir point 56 ci-dessus). Ces critiques ne sont par ailleurs pas fondées.

68      Premièrement, en ce qui concerne les chiffres relatifs à l’utilisation de WLM, il suffit d’observer que les chiffres qui sont mentionnés dans la décision attaquée démontrent une fluctuation importante de la part de marché de WLM dans un laps de temps relativement limité de sept mois. Indépendamment de la question de savoir si les pertes de parts de marché ont bénéficié à Skype ou à d’autres fournisseurs de services de communications vidéo, il n’en demeure pas moins que ces chiffres témoignent de l’instabilité des parts de marché sur le marché étroit, que la Commission a retenu aux seules fins de son analyse.

69      En outre, et surtout, comme cela a été souligné par la Commission dans la décision attaquée et dans le mémoire en défense ainsi que par l’intervenante, le secteur des communications résidentielles est un secteur récent en pleine expansion qui se caractérise par des cycles d’innovation courts et dans lequel de grandes parts de marché peuvent s’avérer éphémères. Dans un tel contexte dynamique, les parts de marché élevées ne sont pas nécessairement indicatives d’un pouvoir de marché et, partant, du préjudice durable à la concurrence que le règlement nº 139/2004 cherche à prévenir.

70      Deuxièmement, bien que les PC demeurent la plate-forme la plus utilisée pour les communications vidéo résidentielles, une partie substantielle et croissante de la demande nouvelle pour ces services provient de la part des utilisateurs de tablettes et d’ordiphones, les ventes desdits appareils ayant dépassé celles des PC dans l’ouest de l’Europe selon le considérant 32 de la décision attaquée. La Commission et l’intervenante soulèvent à juste titre l’importance de cette croissance, que les requérantes ne contestent pas, parce que toute tentative de la part de la nouvelle entité d’exercer un quelconque pouvoir de marché sur le marché étroit risquerait de renforcer cette tendance au détriment de la nouvelle entité. En effet, la nouvelle entité est moins présente sur ces autres plates-formes et doit faire face à une forte concurrence des autres opérateurs, notamment Apple et Google.

71      Troisièmement, l’intervenante observe également à juste titre que l’utilisation de plus en plus fréquente de tablettes et d’ordiphones pour les communications vidéo implique qu’un nombre croissant d’utilisateurs s’attend à ce que ces communications puissent s’effectuer à partir de tous les types de plates-formes. La faible présence de WLM sur les tablettes et les ordiphones ne lui permet pas de répondre à cette nouvelle demande et réduit, partant, son attractivité commerciale. C’est donc à bon droit que la Commission s’est référée à cette présence limitée pour relativiser l’importance des parts de marché élevées constatées sur le marché étroit qu’elle a retenu comme point de départ de son analyse concurrentielle dans la décision attaquée.

72      Quatrièmement, l’argument des requérantes selon lequel Facebook ne serait pas un concurrent effectif de l’entité issue de la concentration ne saurait prospérer. En effet, le seul élément qu’elles avancent à l’appui de cet argument est le fait que Facebook est un preneur de licence et un allié stratégique de Skype, qui ne peut pas utiliser le logiciel de Skype pour offrir des services en concurrence avec les services payants de Skype, dénommés SkypeOut, qui permettent notamment d’appeler des numéros de téléphones fixes ou mobiles et d’effectuer des communications vidéo impliquant plus de deux personnes. Elles ne soutiennent cependant pas que cet accord empêche Facebook d’offrir ses services de communications vidéo à des consommateurs qui décideraient de se détourner de la nouvelle entité, si celle-ci décidait d’exercer un quelconque pouvoir de marché. À cet égard, la Commission et l’intervenante font valoir à juste titre que l’utilisation d’une même technologie par deux entreprises n’affecte pas nécessairement leurs rapports concurrentiels.

73      Cinquièmement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la gratuité des services est un facteur pertinent pour l’appréciation du pouvoir de marché de la nouvelle entité. En effet, dans la mesure où les utilisateurs s’attendent à recevoir les services de communications résidentielles gratuitement, les possibilités pour la nouvelle entité de déterminer librement sa politique de prix est considérablement restreinte. La Commission observe, à bon droit, que toute tentative de faire payer les utilisateurs risquerait de diminuer l’attractivité de ces services et de détourner les utilisateurs vers d’autres fournisseurs qui continueraient à offrir leurs services gratuitement. Pareillement, si la nouvelle entité devait décider de ne plus innover en ce qui concerne ses services de communications, elle risquerait également d’en réduire l’attractivité étant donné le degré d’innovation sur le marché en cause. Il convient de rappeler à cet égard qu’il n’existe pas de contraintes techniques ou économiques qui empêcheraient les utilisateurs de changer de fournisseurs (voir point 79 ci-dessous).

74      Il s’ensuit que les parts de marché et le degré de concentration très élevés sur le marché étroit, que la Commission a simplement retenu comme hypothèse de travail, ne sont pas indicatifs d’un pouvoir de marché permettant à la nouvelle entité d’entraver de façon significative la concurrence effective dans le marché intérieur.

–       Sur les effets de réseau

75      S’agissant des effets de réseau qui résulteraient de la concentration en cause et qui entraveraient l’accès au marché, les requérantes avancent que des effets de réseau se produisent dans l’ensemble des marchés des communications résidentielles. Elles ont cependant précisé à l’audience que ces effets de réseau renforçaient davantage la position dominante de la nouvelle entité dans le marché étroit.

76      Il convient d’observer d’emblée que l’existence d’effets de réseau ne procure pas nécessairement un avantage concurrentiel à la nouvelle entité. En effet, sur les segments du marché des communications résidentielles autres que celui des communications vidéo à partir de PC fonctionnant sous Windows, les opérateurs concurrents ont des parts de marché suffisamment importantes pour constituer d’autres réseaux. Il résulte ainsi des considérants 103 à 105 de la décision attaquée, dont les requérantes ne contestent pas la teneur, que, le réseau d’utilisateurs de messages instantanés de Facebook est plus important que celui de l’entité issue de la concentration. De même, il ressort des considérants 106 à 108 de la décision attaquée, dont les requérantes ne contestent pas davantage la teneur, que, sur le segment de la téléphonie vocale, la concentration ne devrait pas changer la situation existante, dans la mesure où la part de marché de WLM y est très faible.

77      Quant aux effets de réseau sur le seul marché étroit, les requérantes n’ont aucunement soutenu, ni démontré, que le degré d’utilisation des services de communications vidéo par PC fonctionnant sous Windows offerts par WLM et Skype augmenterait en raison de la concentration. En effet, les requérantes critiquent l’analyse par la Commission des effets de réseau, mais n’avancent pas d’éléments indiquant comment de tels effets auraient une incidence sur la concurrence dans le marché étroit (voir point 55 ci-dessus).

78      En tout état de cause, le grief tiré des effets de réseau n’est pas fondé.

79      Premièrement, contrairement aux situations qui étaient à la base des précédentes décisions de la Commission qui sont invoquées par les requérantes, et comme cela a été indiqué par l’intervenante, il n’existe pas de contraintes techniques ou économiques qui empêchent les utilisateurs de télécharger plusieurs applications de communications sur leurs plates-formes informatiques, d’autant plus qu’il s’agit de logiciels gratuits qui sont faciles à télécharger et occuperaient peu d’espace sur leurs disques durs.

80      Deuxièmement, l’argument des requérantes selon lequel la migration des consommateurs vers des fournisseurs alternatifs serait compliquée, en raison de leur appartenance à plusieurs petits groupes interconnectés, repose sur la présomption erronée que la migration devrait impliquer tous les groupes dans une seule opération. Or, la Commission et l’intervenante observent à juste titre qu’il n’existe aucun obstacle économique ou technique à ce que la migration s’effectue par petit groupe et à ce que les utilisateurs continuent à se servir de plusieurs logiciels de communications à la fois.

81      Contrairement aux affirmations non étayées des requérantes, la Commission a avancé dans la décision attaquée des indications concrètes de l’existence d’un tel phénomène d’hébergement multiple. En effet, la Commission ne s’est pas uniquement référée à une telle coexistence entre WLM et Skype avant la concentration. Le rapport cité dans la note en bas de page nº 52 de la décision attaquée mentionne plusieurs autres exemples d’usage multiple impliquant Skype et des fournisseurs alternatifs tels que Yahoo!, AIM et Gmail. De plus, le considérant 93 de la décision attaquée, dont les requérantes ne contestent pas la teneur, signale l’arrivée récente de concurrents tels que Facebook, Viber, Fring et Tango, ce qui tend à démontrer que les effets de réseau n’entravent, en tout état de cause, pas l’accès au marché.

82      Troisièmement, les requérantes ne contestent pas davantage le constat fait aux considérants 73 à 74 de la décision attaquée selon lequel la croissance de la demande pour les services de communications vidéo grand public concernera en grande partie les autres plates-formes que les PC, telles que les tablettes et les ordiphones. Si l’attractivité d’un logiciel de communication est censée augmenter en fonction du nombre d’utilisateurs, des effets de réseau ne sauraient être significatifs que si ce logiciel permet de contacter également les consommateurs qui se servent de ces autres plates-formes pour leurs communications vidéo. Or, en l’espèce, la présence de WLM sur d’autres plates-formes que les PC fonctionnant sous Windows n’est pas significative, de sorte que la concentration ne change pas la donne concurrentielle.

83      Quatrièmement, s’agissant des déclarations de nature commerciale des dirigeants des parties à la concentration selon lesquelles la valeur de Skype s’accroît avec le nombre de ses utilisateurs, il convient de préciser que la Commission ne conteste pas l’existence d’effets de réseau. En effet, selon les considérants 91 à 94 de la décision attaquée, la Commission estime uniquement que ces effets de réseau n’érigent pas de barrières à l’entrée. De plus, lesdites déclarations confirment plutôt qu’elles n’infirment la position défendue par la Commission. En effet, ces déclarations peuvent être interprétées comme reflétant la volonté de l’intervenante de s’implanter, grâce à l’acquisition de Skype, sur les plates-formes que WLM ne lui a pas permis d’atteindre.

84      Il s’ensuit que le grief tiré des effets de réseau et des barrières à l’entrée qui en résulteraient n’est pas fondé.

–       Sur le dommage à la concurrence

85      Quand bien même la concentration augmenterait le pouvoir de marché de l’intervenante, les requérantes ne fournissent aucune indication pertinente quant à la façon dont ce pouvoir de marché supposé permettrait à la nouvelle entité de causer un dommage significatif à la concurrence.

86      Premièrement, en ce qui concerne les prix, les requérantes ne contestent pas que les services de communications vidéo sont offerts gratuitement aux utilisateurs, mais affirment que des hausses de prix pourraient concerner les services de Skype vers d’autres réseaux, les revenus tirés de la publicité ainsi que les revenus provenant de marchés connexes. Les requérantes ont également soutenu lors de l’audience que Skype pourrait essayer de monétiser certains services qui sont actuellement offerts gratuitement.

87      Ces arguments ne sauraient prospérer.

88      D’abord, les services payants de Skype, notamment ses services SkypeOut, ne concernent les communications vidéo qu’à un degré très limité. En effet, un pourcentage minime des revenus de SkypeOut provient des communications vidéo en groupe, impliquant plus de deux utilisateurs à la fois. En outre, comme cela a été souligné par la Commission, aucun opérateur n’a su pour l’instant monétiser ses services pour des communications vidéo entre deux participants. Les consommateurs s’attendent à ce que ces services leur soient offerts gratuitement. Or, les requérantes n’ont pas démontré comment la concentration pourrait permettre à Skype de changer ces conditions de marché, sans que les consommateurs changent d’opérateur.

89      Les requérantes restent également en défaut d’expliquer comment un pouvoir de marché éventuel sur le marché étroit des communications vidéo sur PC fonctionnant sous Windows permettrait d’imposer une hausse de prix pour des services de communications différents. De plus, les requérantes font totalement abstraction des contraintes concurrentielles exercées par les opérateurs de téléphonie traditionnelle et par les fournisseurs de téléphonie vocale en ligne autres que Skype, dans l’hypothèse où la nouvelle entité chercherait à augmenter les prix des communications vocales de SkypeOut.

90      Ensuite, les requérantes n’expliquent pas davantage comment la nouvelle entité serait capable d’imposer une hausse des prix aux annonceurs. Elles n’ont pas soutenu ni démontré qu’il existait un marché de la publicité visant spécifiquement les services de communications vidéo résidentielles à partir de PC fonctionnant sous Windows. Or, en l’absence d’un tel marché, les annonceurs peuvent facilement se soustraire à toute tentative de hausse en réorientant leurs dépenses publicitaires vers d’autres médias, que ce soit sur Internet ou ailleurs.

91      Enfin, les requérantes ne fournissent pas davantage d’informations quant à la possibilité pour la nouvelle entité d’imposer une hausse des prix sur des marchés connexes, tels que les services de communications pour entreprises. Elles se limitent à renvoyer à leur second moyen, qui sera examiné ci-après.

92      Deuxièmement, les allégations des requérantes quant à l’incidence de la concentration sur la qualité et l’innovation des services de communications vidéo sont encore plus abstraites, d’autant plus qu’elles ne remettent pas en cause les constats faits par la Commission aux considérants 81 à 84 de la décision attaquée selon lesquels les services de communications grand public dépendent de l’innovation. Toute tentative de la nouvelle entité de dégrader la qualité de ses services sur le marché étroit ne fera qu’accélérer la perte d’importance relative dont souffrent les services de communications vidéo à partir de PC fonctionnant sous Windows (voir point 70 ci-dessus).

93      Troisièmement, les requérantes ne sauraient combler les déficiences de leurs thèses relatives au dommage concurrentiel causé par la concentration contestée en renvoyant au prix d’acquisition de 8,5 milliards de dollars des États-Unis (USD). À cet égard, la Commission fait valoir à juste titre que, étant donné le nombre élevé de modèles commerciaux possibles et l’absence de données de marché fiables relatives à leur mise en œuvre sur les marchés naissants, l’appréciation d’une concentration ne saurait avoir la fonction de prédire le modèle qui rentabilisera la téléphonie vidéo en pratique et sera donc viable à l’avenir. En effet, les pouvoirs que le règlement nº 139/2004 confère à la Commission se limitent à la vérification des entraves significatives à la concurrence qui peuvent résulter d’une concentration. Ces pouvoirs ne lui permettent cependant pas de spéculer sur le niveau du prix d’une acquisition ou de substituer son point de vue sur la valeur d’une transaction à celui des parties concernées, d’autant plus que les raisons sous-tendant celle-ci ne relèvent pas toujours d’une rationalité purement économique.

94      Il en résulte que les requérantes n’ont pas démontré comment la concentration pouvait causer un dommage à la concurrence sur le marché des communications résidentielles.

95      Par conséquent, les requérantes n’ont pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que la concentration ne soulevait pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur concernant les services de communications résidentielles.

96      De plus, dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir expliqué les raisons qui l’ont amenée à s’écarter de sa pratique décisionnelle antérieure, il suffit de rappeler que, à la différence des décisions antérieures, le cas d’espèce ne se caractérise pas par la présence de contraintes techniques ou économiques empêchant les utilisateurs de télécharger plusieurs logiciels de communications à la fois (voir point 79 ci-dessus). Il ne saurait donc être question d’un quelconque changement de politique que la Commission aurait dû motiver dans la décision attaquée. L’argument relatif à la violation de l’article 296 TFUE, que les requérantes avancent à l’appui de leur premier moyen, doit donc être rejeté.

97      Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, relatif aux effets de conglomérat de l’opération de concentration sur le marché des communications professionnelles

98      Il résulte de la décision attaquée que des tiers ont exprimé, lors de la procédure administrative, la crainte que la concentration produise des effets de conglomérat sur le marché des communications professionnelles. Un des effets dénoncés concernerait la création par la nouvelle entité d’un lien privilégié entre la base des utilisateurs de Skype et le produit Lync de Microsoft. Cette intégration préférentielle procurerait à la nouvelle entité un avantage concurrentiel auprès des utilisateurs professionnels, notamment ceux exploitant des centres d’appels.

99      La Commission a estimé dans la décision attaquée que cette crainte n’était pas justifiée. D’abord, la nouvelle entité n’aurait pas la capacité de poursuivre une telle stratégie, car Skype ne serait pas un produit adapté aux besoins des entreprises exploitant des centres d’appels. Ensuite, cette entité ne serait pas davantage incitée à empêcher des entreprises utilisant d’autres services de communications professionnelles de contacter les utilisateurs de Skype. Ces entreprises garderaient la possibilité de télécharger l’application Skype gratuitement. Par ailleurs, Skype ne serait pas un produit indispensable pour les exploitants de centres d’appels, car il existerait de nombreuses autres solutions permettant de communiquer avec les consommateurs. Enfin, il serait improbable que des effets anticoncurrentiels puissent se produire dans les trois prochaines années, dans la mesure où Lync est confrontée à la concurrence d’autres grands acteurs du marché, tels que Cisco et IBM.

100    Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas tenu compte de la stratégie d’éviction que la nouvelle entité pourrait suivre sur le marché des communications professionnelles en créant une interopérabilité exclusive ou préférentielle entre les produits Lync et la grande base de clients de Skype. Cette stratégie permettrait à la nouvelle entité de positionner Lync comme l’unique produit capable de répondre à une demande croissante de la part de grands utilisateurs professionnels qui souhaitent pouvoir interagir avec leurs clients et autres contacts professionnels. À cet effet, la nouvelle entité pourrait, à l’instar des pratiques d’exclusion antérieures de Microsoft, faire valoir sa position de force dans des marchés connexes à celui des communications professionnelles ainsi qu’intégrer l’offre de Lync avec d’autres produits Microsoft. En n’examinant pas cette stratégie de manière plus approfondie et en méconnaissant cette demande croissante, la Commission aurait mal motivé sa décision et commis plusieurs erreurs dans l’appréciation du lien existant entre le marché résidentiel et le marché professionnel, sur lequel Skype serait par ailleurs bel et bien présente.

101    En premier lieu, les requérantes contestent le fait que la nouvelle entité n’ait pas la capacité de verrouiller le marché. La question pertinente ne serait pas celle de savoir si Skype est un produit pour centres d’appel, mais celle visant à identifier la capacité de la nouvelle entité à modifier le degré d’interopérabilité en faveur de ses propres services et produits. Or, la Commission aurait reconnu, au considérant 143 de la décision attaquée, que tel était le cas.

102    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la Commission s’est méprise également quant aux incitations de la nouvelle entité à verrouiller le marché. La Commission aurait fondé son analyse de ces incitations sur des prémisses erronées. Il ne s’agirait pas de savoir si Skype est un produit indispensable, mais si l’intégration de Skype et de Lync fera de ce dernier un produit indispensable pour atteindre l’énorme base d’utilisateurs de Skype et, partant, un produit indispensable pour répondre aux attentes des utilisateurs de communications professionnelles qui souhaiteraient pouvoir communiquer avec les utilisateurs de Skype. En l’absence d’une interopérabilité avec Skype, les concurrents de Lync ne disposeraient pas d’autres possibilités réelles. Ainsi, le fait que Skype reste disponible gratuitement comme application téléchargeable ne répondrait pas au souci causé par une interopérabilité préférentielle entre Skype et Lync. De plus, la Commission aurait elle-même constaté, dans le contexte d’autres affaires impliquant la partie intervenante, que les utilisateurs sont généralement réticents à télécharger plusieurs applications logicielles pour une même fonction. Enfin, les requérantes font valoir que la Commission n’a prêté aucune attention aux motifs qui ont amené la partie intervenante à offrir 8,5 milliards de USD pour l’acquisition de Skype et qui viseraient précisément le lien privilégié entre Skype et Lync, ignorant notamment les déclarations de certains représentants de la partie intervenante. Cette omission serait d’autant plus surprenante en raison des antécédents de celle-ci. Cette entreprise aurait déjà été condamnée à plusieurs reprises pour des pratiques d’exclusion et continuerait à bloquer l’interopérabilité de ses produits avec ceux de ses concurrents.

103    En troisième lieu, selon les requérantes, l’analyse des effets d’une stratégie d’exclusion est viciée par des erreurs d’appréciation. La Commission non seulement aurait sous-estimé l’importance de Lync sur le marché des communications professionnelles au moment de la procédure administrative, mais aurait également ignoré le fait que Lync était offert en combinaison avec le système d’exploitation Windows Server et d’autres produits Microsoft pour lesquels la nouvelle entité détenait une position de force. Enfin, la mise en place d’une interopérabilité préférentielle ou exclusive entre Lync et Skype serait particulièrement pernicieuse dans des marchés caractérisés par les effets de réseau.

104    La Commission et l’intervenante estiment que les arguments des requérantes ne sont pas fondés.

105    À l’appui de leur second moyen, les requérantes font valoir, en substance, deux griefs.

106    Le premier grief est tiré d’une violation de l’obligation de motivation telle qu’elle résulte de l’article 296 TFUE. Selon les requérantes, la décision attaquée ne répond pas aux arguments que Cisco et d’autres parties intéressées ont mis en avant lors de la procédure administrative quant à la stratégie d’exclusion que la nouvelle entité serait encline à poursuivre.

107    Le second grief concerne l’erreur manifeste d’appréciation que la Commission aurait commise en écartant les préoccupations en matière de concurrence évoquées au point précédent. Selon les requérantes, la Commission n’aurait pas tenu compte des effets de conglomérat résultant de la concentration. La Commission aurait notamment méconnu la capacité et les incitations de la nouvelle entité à utiliser sa position sur le marché des communications résidentielles comme levier pour fausser la concurrence sur le marché des communications professionnelles.

–       Sur la motivation

108    Il ressort d’une jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 166). À cet égard, la Commission n’est pas obligée, dans la motivation des décisions qu’elle est amenée à prendre pour assurer l’application des règles de concurrence, de prendre position sur tous les arguments que les intéressés invoquent à l’appui de leur demande. Il suffit qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (voir arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, BEMIM/Commission, T‑114/92, Rec. p. II‑147, point 41, et la jurisprudence citée). La question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article 296 doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63 ; du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, Rec. p. I‑6079, point 66, et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, Rec. p. I‑2577, point 79).

109    De manière similaire, le degré de précision de la motivation d’une décision doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles elle doit intervenir (arrêts de la Cour du 1er décembre 1965, Schwarze, 16/65, Rec. p. 1081, 1096 et 1097, et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C‑350/88, Rec. p. I‑395, point 16 ; arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 167). Par conséquent, la Commission ne viole pas son obligation de motivation si, dans sa décision, elle n’inclut pas de motivation précise quant à l’appréciation d’un certain nombre d’aspects de la concentration qui lui semblent manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires pour l’appréciation de cette dernière (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 64, et Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 167). Une telle exigence serait en effet difficilement compatible avec l’impératif de célérité et les brefs délais de procédure qui s’imposent à la Commission lorsqu’elle exerce son pouvoir de contrôle des opérations de concentration et qui font partie des circonstances particulières d’une procédure de contrôle de ces opérations (arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 167).

110    Il s’ensuit que la Commission n’est pas tenue de répondre à tous les arguments mis en avant par les parties et les tiers lors de la procédure administrative, ni de fournir une motivation précise quant à son appréciation de ces arguments.

111    En l’espèce, la Commission a répondu aux arguments présentés par Cisco et d’autres parties intéressées aux considérants 213 à 221 de la décision attaquée. S’il est exact que cette motivation est succincte, elle n’est pas pour autant contraire aux exigences de l’article 296 TFUE, eu égard au contexte spécifique du cas d’espèce.

112    En effet, il convient de noter que la Commission mentionne avoir reçu un nombre relativement élevé d’observations de tiers, qu’elle a dû examiner dans un laps de temps relativement court. De plus, la théorie d’effets de conglomérat mise en avant par Cisco durant la procédure administrative est complexe et abstraite (voir points 124 à 127 ci-après), alors que les concentrations donnant lieu à des conglomérats ne génèrent généralement pas de problèmes de concurrence (voir points 115 et 116 ci-après).

113    Dans de telles conditions, il serait excessif d’exiger une description plus détaillée de chacun des aspects sous-tendant l’analyse de la théorie d’effets de conglomérat dans la décision attaquée. La Commission pouvait donc se satisfaire de répondre sommairement aux arguments de Cisco, d’autant plus que celle-ci a pu parfaitement en comprendre le raisonnement, comme en témoigne le présent recours.

114    Il s’ensuit que le premier grief du second moyen doit être rejeté comme non fondé.

–       Sur l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation

115    Afin de préciser ses critères d’appréciation tels qu’imposés par l’article 2 du règlement nº 139/2004 dans le domaine des concentrations générant des effets de conglomérat, la Commission a publié des lignes directrices sur l’appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2008, C 265, p. 6). Il ressort des paragraphes 11 et 92 de ces lignes directrices que ce genre de concentration n’implique pas d’entreprises concurrentes, de sorte que ces concentrations sont moins susceptibles de créer des problèmes de concurrence que les concentrations horizontales. En outre, elles peuvent permettre aux parties concernées de réaliser des gains d’efficacité.

116    Toutefois, les concentrations générant des effets de conglomérat peuvent dans certaines circonstances soulever des problèmes de concurrence. Il peut en aller ainsi notamment lorsque la concentration permet à la nouvelle entité de poursuivre une stratégie de verrouillage du marché. En effet, selon le paragraphe 93 des lignes directrices sur les concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, un verrouillage du marché peut se produire si la combinaison de produits sur des marchés liés confère à l’entité fusionnante la capacité et la motivation d’exploiter, par un effet de levier, la forte position qu’elle occupe sur un marché pour verrouiller la concurrence sur un autre marché. Selon la jurisprudence, cet effet sur l’autre marché doit être prévisible dans un avenir relativement proche pour que la concentration soulève des problèmes de concurrence au titre du règlement nº 139/2004 (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 25 octobre 2002, Tetra Laval/Commission, T‑5/02, Rec. p. II‑4381, points 148 à 153).

117    S’agissant de la preuve de tels effets de conglomérat, la jurisprudence a établi que la qualité des éléments de preuve produits par la Commission pour établir la nécessité d’une décision déclarant une opération incompatible avec le marché intérieur était particulièrement importante. En effet, l’appréciation d’une concentration de type conglomérat repose sur une analyse prospective dans laquelle la prise en compte d’un laps de temps étendu dans l’avenir, d’une part, et l’effet de levier nécessaire pour qu’il y ait une entrave significative à une concurrence effective, d’autre part, impliquent que les enchaînements de cause à effet sont mal discernables, incertains et difficiles à établir (arrêt Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 50 ; voir, en ce sens, arrêt Commission/Tetra Laval, précité, point 44).

118    Il convient de rappeler également que la Commission ne peut déclarer une concentration incompatible avec le marché intérieur que si l’entrave significative à la concurrence est la conséquence directe et immédiate de la concentration. Une telle entrave qui découlerait des décisions futures de l’entité fusionnante peut être considérée comme une conséquence directe et immédiate de la concentration, si ce comportement futur est rendu possible et économiquement rationnel par la modification des caractéristiques et de la structure du marché causée par la concentration (arrêt du Tribunal du 6 juin 2002, Airtours/Commission, T‑342/99, Rec. p. II‑2585, point 58 ; voir, en ce sens, arrêt Gencor/Commission, précité, point 94).

119    En l’espèce, les requérantes dénoncent notamment la possibilité qu’aurait la nouvelle entité de fausser les conditions de concurrence sur le marché des communications professionnelles en faveur de Lync en assurant une interopérabilité préférentielle de ce produit avec Skype et ainsi avec la grande base d’utilisateurs de ce logiciel de communication.

120    Il est constant que cette interopérabilité n’était pas encore assurée à la date d’adoption de la décision attaquée et qu’elle nécessitait encore un travail d’innovation relativement long et complexe. Selon les informations fournies par l’intervenante et non remises en cause par les requérantes, la création d’un pont informatique entre Lync et Skype ne devrait s’achever qu’en 2013. De plus, à supposer que ce travail aboutisse dans les délais prévus, la nouvelle entité devrait encore entreprendre un effort de commercialisation du nouveau produit auprès des clients professionnels susceptibles d’être intéressés. Cette démarche commerciale devrait donc se dérouler au cours de l’année 2014. Enfin, pour que les effets anticoncurrentiels redoutés par les requérantes puissent se produire dans la même année, la Commission s’étant référée à une période de trois ans suivant la date d’adoption de la décision, il faudrait encore que cette démarche soit couronnée d’un succès commercial d’une ampleur telle qu’il fasse basculer, de façon quasi instantanée, le marché des communications professionnelles en faveur de Lync et qu’il permette à la nouvelle entité de verrouiller ce marché. Ce succès commercial impliquerait un changement majeur de la position des opérateurs sur le marché et signifierait notamment que la part de marché de Lync sur le marché des communications professionnelles, qui était de 16 % en 2011, évolue significativement en comparaison de celle de Cisco, qui était de 32 % au cours de la même année.

121    L’effet de verrouillage redouté par les requérantes dépend donc d’une série de facteurs dont il n’est pas certain qu’ils puissent tous se produire dans un avenir suffisamment proche pour que l’analyse prospective des effets de la concentration ne devienne pas purement spéculative (voir point 116 ci-dessus). À cet égard, comme cela est mentionné au point précédent, la Commission s’est référée à une période de trois ans suivant la date d’adoption de la décision. Cette période, que les requérantes n’ont par ailleurs pas contestée, est relativement longue lorsqu’il s’agit, comme en l’espèce, d’un secteur de technologies nouvelles qui se caractérise par des cycles d’innovation relativement courts. Enfin, le raisonnement des requérantes non seulement se fonde sur des événements futurs et incertains, mais fait aussi abstraction de la possibilité que les concurrents de la nouvelle entité adaptent leurs politiques commerciales et technologiques pour anticiper et contrecarrer une éventuelle stratégie de verrouillage.

122    Il convient dès lors de conclure que les effets de verrouillage de marché dénoncés par les requérantes sont trop incertains pour être considérés comme une conséquence directe et immédiate de la concentration.

123    De plus, quand bien même les effets négatifs redoutés par les requérantes pourraient être considérés comme une conséquence de la concentration, il ne saurait être conclu, pour les raisons exposées ci-après, que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en écartant l’existence de doutes sérieux quant à la compatibilité de la concentration avec le marché intérieur.

124    S’agissant, en premier lieu, de la capacité de la nouvelle entité à verrouiller le marché, premièrement, il convient d’observer que les explications données par les requérantes quant à l’avantage concurrentiel dont disposerait la nouvelle entité restent vagues. Il semblerait que, par l’intégration de Lync et la base d’utilisateurs de Skype, la nouvelle entité soit censée disposer d’un atout commercial important sur le marché des communications professionnelles. En effet, cette intégration permettrait aux utilisateurs professionnels de communiquer, notamment visuellement, avec leurs clients et autres contacts professionnels, tels que les fournisseurs et distributeurs, utilisant le même logiciel que celui employé pour les communications à l’intérieur de l’entreprise.

125    Les requérantes ne fournissent cependant aucune preuve tangible de l’existence, de l’ampleur ou de l’évolution de la demande pour un tel produit. Elles renvoient aux informations que Cisco a fournies à la Commission durant la procédure administrative, lesquelles se limitent à mentionner le nom de quelques grandes entreprises ou secteurs qui souhaiteraient communiquer avec les utilisateurs de Skype, sans préciser pour autant si ces souhaits concernent le futur produit intégrant Lync et Skype. L’intervenante a, en revanche, produit des indications concrètes quant à l’absence d’intérêt de la part de clients de Lync pour un outil de communication par messages instantanés.

126    Deuxièmement, quand bien même il existerait une demande réelle et significative pour un outil de communication tel que celui résultant d’une intégration de Lync et de Skype, les requérantes restent en défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles les utilisateurs professionnels souhaiteraient précisément communiquer avec les utilisateurs de Skype. Elles se limitent à faire valoir la grande base d’utilisateurs de Skype et une position dominante de la nouvelle entité sur le marché des communications résidentielles, en particulier pour les communications vidéo sur PC fonctionnant sous Windows. Ainsi que la Commission l’observe à juste titre, les entreprises éventuellement intéressées par un outil de communication intégré souhaitent avant tout communiquer avec les consommateurs de leurs produits et de leurs services et pas avec les utilisateurs de Skype. Or, il n’apparaît pas clairement si ces utilisateurs sont aussi des clients actuels ou potentiels des entreprises susceptibles d’acheter le produit résultant de l’intégration de Lync et de Skype et encore moins que ces utilisateurs désirent communiquer visuellement avec ces mêmes entreprises.

127    Par ailleurs, en supposant que les utilisateurs de Skype constituent un groupe de consommateurs commercialement intéressant, Skype ne permet pas aux entreprises de les démarcher activement. En effet, comme cela a été indiqué par la Commission et l’intervenante, il n’est pas possible de contacter les utilisateurs de Skype, qui se servent normalement d’un pseudonyme, sans leur autorisation préalable. Inversement, dans l’hypothèse où l’intérêt commercial du produit résultant de l’intégration de Lync et de Skype concernerait la possibilité pour les utilisateurs de Skype de contacter les entreprises qui leur vendent des produits et des services, les requérantes ne fournissent toutefois aucune précision quant à l’avantage commercial de ce produit intégré par rapport aux autres modes de communications entre les entreprises et les consommateurs, telles que la téléphonie traditionnelle. En effet, la Commission et l’intervenante observent à juste titre qu’il n’est pas plausible, en raison de la présence de ces autres modes de communications, que le produit issu de l’intégration de Lync et de Skype devienne indispensable pour les entreprises désireuses de communiquer avec leurs consommateurs. Il convient également d’observer que l’application Skype reste disponible et téléchargeable après l’opération de concentration et qu’il est donc tout à fait possible à toute entreprise de permettre à ses clients de la contacter par Skype en indiquant son identifiant Skype sur ses produits, dans sa publicité ou sur son site Internet. Pour communiquer avec les utilisateurs de Skype, il ne sera pas nécessaire pour une entreprise d’avoir le produit résultant de l’intégration de Lync et de Skype.

128    Troisièmement, dans l’hypothèse où le produit résultant de l’intégration de Lync et de Skype procurerait à la nouvelle entité un réel avantage commercial, cette entité n’aurait toujours pas la capacité de poursuivre une stratégie de verrouillage du marché. D’une part, il résulte de l’analyse du premier moyen que la concentration ne soulève pas de doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en ce qui concerne les services de communications résidentielles. D’autre part, ainsi qu’il a été observé au point 121 ci-dessus, les concurrents de Lync, dont Cisco, continuent de disposer de suffisamment de temps pour développer des politiques commerciales visant à contrecarrer la stratégie de verrouillage du marché que la nouvelle entité pourrait éventuellement décider de suivre. En effet, ces concurrents pourraient adapter leurs prix, la qualité ou les fonctionnalités de leurs produits ou encore faire appel aux services d’autres grands fournisseurs de services de communications résidentielles, tels que Facebook, Twitter et Google. Il convient de noter, à cet égard, que de nombreuses entreprises sont déjà connectées à ce genre de réseaux, comme cela est soutenu par l’intervenante.

129    Les requérantes ne sauraient contester le faible pouvoir de marché de la nouvelle entité en se référant au considérant 143 de la décision attaquée, selon lequel la Commission a reconnu la capacité de Microsoft d’entreprendre des politiques de verrouillage sur d’autres marchés. En effet, ce considérant ne concerne pas le marché des communications professionnelles, mais le marché des communications résidentielles et notamment la possibilité pour la nouvelle entité de combiner d’autres produits de Microsoft, en l’occurrence Windows, Windows Internet Explorer ou Microsoft Office, avec Skype.

130    En outre, les requérantes n’ont apporté aucun autre élément permettant de démontrer que la nouvelle entité avait la capacité de s’engager dans la stratégie de verrouillage de marché qu’elles dénoncent.

131    S’agissant, en deuxième lieu, des incitations de la nouvelle entité à poursuivre une telle stratégie, il convient de rappeler que les requérantes n’ont avancé aucun élément concret quant aux gains que cette stratégie pourrait apporter à la nouvelle entité. Elles se contentent de se référer à la grande taille de la base d’utilisateurs de Skype, à la valeur de la transaction qui s’élève à 8,5 milliards de USD, à certaines déclarations du président-directeur général de Microsoft et aux pratiques d’exclusion antérieures de celle-ci.

132    Or, en l’absence de toute information quant à la réalité, à l’ampleur et à la nature de la demande pour un produit intégrant Skype et Lync, il est difficile, voire impossible, d’apprécier si une stratégie d’exclusion peut s’avérer profitable pour la nouvelle entité. De plus, dans la mesure où Skype reste disponible comme logiciel téléchargeable pour tous les utilisateurs, y compris les entreprises, il est également difficile de répondre à la question de savoir si ces entreprises préféreront le produit intégré à un système de communications professionnelles concurrent combiné avec le téléchargement du logiciel Skype. Des références à des pratiques commerciales antérieures qui concernent d’autres marchés que celui des communications résidentielles, à la valeur de la transaction et à des déclarations commerciales générales de certains représentants de Microsoft ne sauraient pallier ces carences.

133    Il n’existe donc pas de facteurs tangibles permettant de conclure que la nouvelle entité serait incitée à mettre en œuvre une stratégie de verrouillage de marché.

134    S’agissant, en troisième lieu, de l’incidence globale probable d’une telle stratégie sur les prix et le choix, il convient de rappeler, comme l’ont fait la Commission et l’intervenante, que la présence de Lync sur le marché des communications professionnelles est certes significative, mais qu’elle est inférieure à celle de ses concurrents et, notamment, à celle de Cisco. Dans la mesure où la mise en œuvre de la stratégie durera plusieurs années (voir points 120 et 121 ci-dessus), il n’était pas prévisible lors de l’adoption de la décision attaquée qu’une telle stratégie puisse aboutir à un renversement des données concurrentielles en faveur de Lync dans les années suivant cette adoption.

135    Le fait que Lync puisse être vendu en combinaison avec d’autres produits de la gamme Microsoft ne change rien à ce constat, car une telle stratégie de vente ne dépend pas de la concentration concernée par la décision attaquée.

136    Par conséquent, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste dans son appréciation des effets de conglomérat sur le marché des communications professionnelles.

137    Il convient donc de rejeter le second grief du second moyen comme non fondé et, de ce fait, le second moyen dans son ensemble.

138    Au vu de ce qui précède, la demande en annulation de la décision attaquée doit être rejetée.

139    Enfin, s’agissant du premier chef de conclusions, les requérantes demandent en substance à ce que le Tribunal adopte une mesure d’organisation de la procédure obligeant la Commission à lui fournir tous les documents relatifs aux négociations concernant les communications entre elle et les parties à la transaction au sujet d’éventuels engagements d’interopérabilité. Dans la mesure où il ressort des considérations précédentes que la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation manifeste en approuvant la concentration sur la base de l’article 6 du règlement nº 139/2004, il n’y a plus lieu de s’interroger, dans le cadre du présent recours, sur la question de savoir si la Commission a éventuellement pu avoir des discussions concernant des engagements d’interopérabilité. Le Tribunal estime par conséquent qu’il n’est pas nécessaire d’adopter la mesure d’organisation de la procédure visée par le premier chef de conclusions.

 Sur les dépens

140    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Cisco Systems Inc. et Messagenet SpA supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne et par Microsoft Corp.

Papasavvas

van der Woude

Wetter

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2013.

Signatures


Table des matières


Faits à l’origine du litige

Parties à la procédure

Procédure administrative

Contenu de la décision attaquée

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité

Sur le fond

Sur les exigences de preuve de la Commission et l’intensité du contrôle juridictionnel

Sur le premier moyen, relatif aux effets horizontaux de l’opération de concentration sur le marché des communications résidentielles

– Sur la part de marché

– Sur les effets de réseau

– Sur le dommage à la concurrence

Sur le deuxième moyen, relatif aux effets de conglomérat de l’opération de concentration sur le marché des communications professionnelles

– Sur la motivation

– Sur l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.