Language of document : ECLI:EU:C:2011:810

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

8 décembre 2011 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché des tubes industriels en cuivre – Amendes – Taille du marché, durée de l’infraction et coopération pouvant être prises en considération – Recours juridictionnel effectif»

Dans l’affaire C‑272/09 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 15 juillet 2009,

KME Germany AG, anciennement KM Europa Metal AG, établie à Osnabrück (Allemagne),

KME France SAS, anciennement Tréfimétaux SA, établie à Courbevoie (France),

KME Italy SpA, anciennement Europa Metalli SpA, établie à Florence (Italie),

représentées par Me M. Siragusa, avvocato, Me A. Winckler, avocat, Me G. C. Rizza, avvocato, Me T. Graf, advokat, et Me M. Piergiovanni, avvocato,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. E. Gippini Fournier et J. Bourke, en qualité d’agents, assistés de M. C. Thomas, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus, A. Rosas (rapporteur), A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme E. Sharpston,

greffier: M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 octobre 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 février 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, KME Germany AG, anciennement KM Europa Metal AG, KME France SAS, anciennement Tréfimétaux SA, et KME Italy SpA, anciennement Europa Metalli SpA (ci‑après, ensemble, le «groupe KME»), demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 6 mai 2009, KME Germany e.a./Commission (T‑127/04, Rec. p. II‑1167, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leur demande d’annulation ou de réduction du montant des amendes qui leur ont été infligées en vertu de l’article 2, sous c) à e), de la décision C(2003) 4820 final de la Commission, du 16 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-1/38.240 – Tubes industriels) (ci-après la «décision litigieuse»).

 Le cadre juridique

2        L’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), disposait:

«La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:

a)      elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [81], paragraphe 1, [CE] ou de l’article [82 CE], ou

b)      elles contreviennent à une charge imposée en vertu de l’article 8, paragraphe 1.

Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.»

3        L’article 17 du règlement n° 17 disposait:

«La Cour de justice statue avec compétence de pleine juridiction au sens de l’article [229 CE] sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende ou une astreinte; elle peut supprimer, réduire ou majorer l’amende ou l’astreinte infligée.»

4        Le règlement n° 17 a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), applicable à partir du 1er mai 2004. L’article 31 de ce règlement est l’équivalent de l’article 17 du règlement n° 17.

5        La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»), applicable à l’époque de l’adoption de la décision litigieuse, énonçait dans son préambule:

«Les principes posés par les [...] lignes directrices devraient permettre d’assurer la transparence et le caractère objectif des décisions de la Commission tant à l’égard des entreprises qu’à l’égard de la Cour de justice, tout en affirmant la marge discrétionnaire laissée par le législateur à la Commission pour la fixation des amendes dans la limite de 10 % du chiffre d’affaires global des entreprises. Cette marge devra toutefois s’exprimer dans une ligne politique cohérente et non discriminatoire adaptée aux objectifs poursuivis dans la répression des infractions aux règles de concurrence.

La nouvelle méthodologie applicable pour le montant de l’amende obéira dorénavant au schéma suivant, qui repose sur la fixation d’un montant de base auquel s’appliquent des majorations pour tenir compte des circonstances aggravantes et des diminutions pour tenir compte des circonstances atténuantes.»

6        Aux termes du point 1 des lignes directrices, «[ce] montant de base est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17».

7        En ce qui concerne la gravité, le point 1, A, des lignes directrices prévoit que l’évaluation du critère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné. Les infractions sont classées en trois catégories, les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves.

8        Selon les lignes directrices, les infractions très graves sont notamment des restrictions horizontales de type «cartels de prix» et de quotas de répartition des marchés. Le montant de base de l’amende envisageable est «au-delà de 20 millions d’[euros]». Les lignes directrices exposent la nécessité de différencier ce montant de base afin de tenir compte de la nature de l’infraction commise, de la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, de l’effet dissuasif de l’amende ainsi que des connaissances et des infrastructures juridico-économiques des entreprises leur permettant d’apprécier le caractère infractionnel de leur comportement. Il est également précisé que dans les cas d’infractions impliquant plusieurs entreprises, il pourra convenir de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature.

9        En ce qui concerne la durée des infractions, les lignes directrices distinguent les infractions de courte durée, en général inférieure à un an, les infractions de moyenne durée, en général de un à cinq ans, et les infractions de longue durée, en général au-delà de cinq ans. S’agissant de ces dernières, il est prévu un montant additionnel d’amende pouvant être fixé pour chaque année à 10 % du montant retenu pour la gravité de l’infraction. Les lignes directrices prévoient également un renforcement des majorations pour les infractions de longue durée, en vue de sanctionner réellement les restrictions qui ont produit durablement leurs effets nocifs à l’égard des consommateurs et d’accroître l’incitation à dénoncer l’infraction ou à coopérer avec la Commission.

10      En vertu du point 2 des lignes directrices, le montant de base de l’amende peut être augmenté en cas de circonstances aggravantes telles que, notamment, la récidive de la même entreprise ou des mêmes entreprises pour une infraction de même type. Selon le point 3 desdites lignes, ce montant de base peut être diminué en cas de circonstances atténuantes particulières telles que le rôle exclusivement passif ou suiviste d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction, la non-application effective des accords ou la collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champs d’application de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»).

11      Les lignes directrices ont été remplacées, à compter du 1er septembre 2006, par les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2).

12      La communication sur la coopération définit les conditions dans lesquelles les entreprises coopérant avec la Commission au cours d’une enquête diligentée par celle-ci sur une entente pourront être exemptées d’amendes ou bénéficier d’une réduction de l’amende qu’elles auraient autrement dû acquitter. Selon le titre B de cette communication, bénéficie d’une réduction d’au moins 75 % du montant de l’amende ou d’une non-imposition totale d’amende notamment l’entreprise qui dénonce l’entente à la Commission avant que celle-ci ait procédé à une vérification et sans qu’elle dispose d’informations suffisantes pour prouver l’existence de l’entente dénoncée ou qui est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de celle-ci. Selon le titre D de ladite communication, une entreprise peut bénéficier d’une réduction de 10 % à 50 % du montant de l’amende notamment lorsque, avant l’envoi de la communication des griefs, elle a fourni à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise.

13      La communication sur la coopération a été remplacée à compter du 14 février 2002 par la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3). La Commission a toutefois appliqué dans la présente affaire la communication sur la coopération, dès lors que c’est cette communication que les entreprises ont prise en considération lorsqu’elles ont collaboré avec elle.

 Les antécédents du litige

14      Avec d’autres entreprises, à savoir Wieland Werke AG ainsi que Outokumpu Oyj et Outokumpu Copper Products Oy (ci-après, ensemble, le groupe «Outokumpu»), productrices de produits semi-finis en cuivre et en alliage de cuivre, les requérantes ont participé à une entente visant à fixer les prix et à se répartir les marchés dans le secteur des tubes industriels, plus particulièrement les tubes en cuivre fournis en couronne ou en bobines trancannées.

15      Après vérifications et enquêtes, la Commission a, le 16 décembre 2003, adopté la décision litigieuse, dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 28 avril 2004 (JO L 125, p. 50).

16      Pour le présent pourvoi, les points pertinents de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a synthétisé la partie de la décision litigieuse relative au calcul de l’amende sont les suivants:

«11      S’agissant, en premier lieu, de la fixation du montant de départ de l’amende, la Commission a considéré que l’infraction, qui consistait essentiellement à fixer les prix et à répartir les marchés, était, par sa nature même, une infraction très grave (considérant 294 de la décision [litigieuse]).

12      En vue de déterminer la gravité de l’infraction, la Commission a également pris en compte le fait que le cartel avait affecté la totalité du territoire de l’Espace économique européen (EEE) (considérant 316 de la décision [litigieuse]). La Commission a en outre examiné les effets réels de l’infraction et a constaté que l’entente avait, ‘globalement, produit des effets sur le marché’ (considérant 314 de la décision [litigieuse]).

[...]

14      Enfin, toujours dans le cadre de la détermination de la gravité de l’infraction, la Commission a pris en compte le fait que le marché des tubes industriels en cuivre constituait un secteur important, dont la valeur a été estimée à 288 millions d’euros dans l’EEE (considérant 318 de la décision [litigieuse]).

15      Eu égard à toutes ces circonstances, la Commission a conclu que l’infraction en cause devait être considérée comme très grave (considérant 320 de la décision [litigieuse]).

[...]

19      En quatrième lieu, la Commission a qualifié la durée de l’infraction, qui s’est déroulée du 3 mai 1988 au 22 mars 2001, de ‘longue’. La Commission a dès lors jugé approprié de majorer de 10 % par année de participation au cartel le montant de départ des amendes infligées aux entreprises concernées. [...]

[...]

21      En sixième lieu, au titre des circonstances atténuantes, la Commission a relevé que, sans la coopération d’Outokumpu, elle n’aurait pu établir l’existence du comportement infractionnel que pour une période de quatre ans, et a par conséquent réduit le montant de base de son amende de 22,22 millions d’euros, de façon que ledit montant corresponde à l’amende qui lui aurait été infligée pour une telle période (considérant 386 de la décision [litigieuse]).

22      En septième et dernier lieu, la Commission a procédé, en vertu du titre D de la communication [...] sur la coopération, à une réduction du montant des amendes de 50 % pour Outokumpu, de 20 % pour Wieland [Werke AG] et de 30 % pour le groupe KME (considérants 402, 408 et 423 de la décision [litigieuse]).»

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

17      Les requérantes ont invoqué cinq moyens, ayant tous trait à la fixation du montant de l’amende qui leur avait été infligée. Ils étaient tirés, respectivement, d’une prise en compte inadéquate de l’impact concret de l’entente pour le calcul du montant de départ de l’amende, d’une évaluation inadéquate de la taille du secteur affecté par l’infraction, d’une augmentation erronée du montant de départ de l’amende en raison de la durée de l’infraction, de l’absence de prise en compte de certaines circonstances atténuantes et d’une réduction insuffisante du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération.

18      Le Tribunal a rejeté chacun de ces moyens et le recours dans son ensemble.

 Les conclusions des parties

19      Par son pourvoi, le groupe KME demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        dans la mesure du possible au regard des faits exposés devant la Cour, d’annuler partiellement la décision litigieuse et de réduire l’amende qui lui a été infligée;

–        de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure ainsi que de celle devant le Tribunal, ou

–        à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué, y compris en ce qui concerne sa condamnation aux dépens par le Tribunal, et de renvoyer l’affaire devant celui-ci.

20      La Commission demande à la Cour de:

–        rejeter le pourvoi, et

–        condamner le groupe KME aux dépens.

 Sur le pourvoi

21      Le groupe KME soulève cinq moyens, tirés, respectivement, de diverses erreurs de droit relatives à l’impact de l’infraction sur le marché, à la prise en considération du chiffre d’affaires, à la durée de l’infraction ainsi qu’à la coopération des requérantes et, enfin, de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif.

 Sur le premier moyen, tiré de diverses erreurs de droit relatives à l’impact de l’infraction sur le marché

 Argumentation des parties

22      Les requérantes indiquent que leur premier moyen vise les points 60 à 74 de l’arrêt attaqué. Ces points sont précédés d’une synthèse des arguments des parties et d’une prise de position du Tribunal sur la recevabilité de deux nouveaux rapports économiques produits par les requérantes pour démontrer l’absence d’impact réel de l’infraction sur le marché, le Tribunal concluant, au point 59 de l’arrêt attaqué, à la recevabilité desdits rapports.

23      Les points 60 à 74 de l’arrêt attaqué sont rédigés comme suit:

«60      Quant au bien-fondé du présent moyen, il y a lieu de relever que les requérantes contestent par son intermédiaire tant l’évaluation, par la Commission, de la gravité de l’infraction [...] que le traitement différencié effectué par celle-ci sur la base des parts de marchés des entreprises concernées [...].

61      S’agissant, tout d’abord, du traitement différencié des entreprises en cause, la motivation fournie par la Commission dans la décision [litigieuse] à ce sujet fait notamment état d’un souci de tenir compte du ‘poids spécifique de chaque entreprise, et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence’ (considérant 322 de la décision [litigieuse]). Cependant, il y a lieu de souligner que, même en l’absence de preuve d’une incidence concrète de l’infraction sur le marché, la Commission est en droit de procéder à un traitement différencié, en fonction des parts détenues sur le marché concerné, tel que celui exposé aux considérants 326 à 329 de la décision [litigieuse].

62      Il ressort en effet de la jurisprudence que la part de marché de chacune des entreprises concernées sur le marché ayant fait l’objet d’une pratique restrictive constitue un élément objectif qui donne une juste mesure de la responsabilité de chacune en ce qui concerne la nocivité potentielle de ladite pratique pour le jeu normal de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 197).

63      De même, quant à l’appréciation de la gravité de l’infraction, il convient également de relever que, même si la Commission n’avait pas prouvé que l’entente avait eu un impact concret sur le marché, cela aurait été sans incidence sur la qualification de l’infraction de ‘très grave’ et donc sur le montant de l’amende.

64      À cet égard, il importe de constater qu’il ressort du système communautaire de sanctions pour violation des règles de concurrence, tel que mis en place par le règlement n° 17 et interprété par la jurisprudence, que les ententes méritent, en raison de leur nature propre, des amendes les plus sévères. Leur éventuel impact concret sur le marché, notamment la question de savoir dans quelle mesure la restriction de concurrence a abouti à un prix de marché supérieur à celui qui aurait prévalu dans l’hypothèse de l’absence du cartel, n’est pas un critère déterminant pour la détermination du niveau des amendes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 120 et 129; du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 33; du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec. p. I‑9925, points 68 à 77, et du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, points 129 et 130; arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, [précité], point 225; voir, également, conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Mo och Domsjö/Commission, C‑283/98 P, Rec. p. I‑9855, I‑9858, points 95 à 101).

65      Il convient d’ajouter qu’il résulte des lignes directrices que les accords ou les pratiques concertées visant notamment, comme en l’espèce, à la fixation des prix et à la répartition de la clientèle peuvent, sur le seul fondement de leur nature propre, être qualifiées de ‘très graves’, sans qu’il soit nécessaire de caractériser de tels comportements par un impact ou une étendue géographique particuliers. Cette conclusion est corroborée par le fait que, si la description des infractions ‘graves’ mentionne expressément l’impact sur le marché et les effets sur des zones étendues du marché commun, celle des infractions ‘très graves’, en revanche, ne mentionne aucune exigence d’impact concret sur le marché ni de production d’effets sur une zone géographique particulière (arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 150).

66      À titre surabondant, le Tribunal estime que la Commission a démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché concerné.

67      Dans ce contexte, il convient de souligner que la prémisse des requérantes, selon laquelle la Commission, dans l’hypothèse où elle se prévaudrait d’un impact concret de l’entente pour fixer le montant de l’amende, serait tenue de démontrer de façon scientifique l’existence d’un effet économique tangible sur le marché et un lien de cause à effet entre l’impact et l’infraction, a été rejetée par la jurisprudence.

68      En effet, le Tribunal a jugé à plusieurs reprises que l’impact concret d’une entente sur le marché doit être considéré comme suffisamment démontré si la Commission est en mesure de fournir des indices concrets et crédibles indiquant, avec une probabilité raisonnable, que l’entente a eu un impact sur le marché (voir, notamment, arrêts du Tribunal [du 18 juillet 2005,] Scandinavian Airlines System/Commission, [T‑241/01, Rec. p. II‑2917], point 122; du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, points 159 à 161; Jungbunzlauer/Commission, T‑43/02, Rec. p. II‑3435, points 153 à 155; Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, Rec. p. II‑3255, points 176 à 178; Roquette Frères/Commission, T‑322/01, Rec. p. II‑3137, points 73 à 75).

69      Il convient à cet égard d’observer que les requérantes n’ont pas contesté la matérialité des faits, exposés au point 13 ci-dessus, sur lesquels la Commission s’est appuyée pour conclure à l’existence d’un impact concret de l’entente sur le marché, à savoir le fait que les prix ont baissé en période de faible respect de l’accord collusif et ont augmenté fortement pendant d’autres périodes, la mise en œuvre d’un système d’échange de données portant sur les volumes de vente et les niveaux de prix, l’importante part de marché détenue par l’ensemble des membres de l’entente et le fait que les parts de marché respectives des participants à l’entente sont restées relativement stables pendant toute la durée de l’infraction. Les requérantes ont uniquement fait valoir que lesdits faits n’étaient pas susceptibles de démontrer que l’infraction en cause avait eu un impact concret sur le marché.

70      Or, il ressort de la jurisprudence qu’il est légitime pour la Commission de déduire, sur la base des indices cités au point précédent, que l’infraction a eu un impact concret sur le marché (voir, en ce sens, arrêts [précités Jungbunzlauer/Commission, point 159; Roquette Frères/Commission, point 78; du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, point 165; Archer Daniels Midland/Commission, T‑329/01, point 181]; arrêt du Tribunal du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à T‑264/02 et T‑271/02, Rec. p. II‑5169, points 285 à 287).

71      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel le dossier contient des exemples de non-respect des accords collusifs, il y a lieu de relever que le fait que les accords n’aient pas toujours été respectés par les membres de l’entente ne suffit pas pour exclure un impact sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal Groupe Danone/Commission, [précité], point 148).

72      Les arguments tirés par les requérantes de leur propre comportement ne sauraient non plus être retenus. En effet, le comportement effectif que prétend avoir adopté une entreprise est sans pertinence aux fins de l’évaluation de l’impact d’une entente sur le marché, seuls doivent être pris en compte les effets résultant de l’infraction dans son ensemble (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, T‑224/00, Rec. p. II‑2597, point 167). De même, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir constaté, au considérant 303 de la décision [litigieuse], que le rapport initial ne permettait pas de réfuter ses conclusions concernant les effets réels de l’infraction sur le marché. En effet, l’analyse économétrique y figurant ne traite que de données chiffrées relatives aux requérantes.

73      Dès lors, au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’écarter le présent moyen comme non fondé.

74      En outre, le Tribunal estime, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction et à la lumière des considérations qui précèdent, qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause l’appréciation du montant de départ de l’amende fixé en fonction de la gravité, telle qu’effectuée par la Commission.»

24      Les requérantes soutiennent que le Tribunal a motivé de façon illogique et inadéquate l’arrêt attaqué et a commis une erreur de droit en retenant que la Commission était autorisée, pour fixer le montant de départ de l’amende en raison de la gravité de l’infraction, à tenir compte de l’impact de l’entente sur le marché pertinent sans être tenue de démontrer que les accords avaient réellement un tel impact et, en tout état de cause, en déduisant cet impact de simples indicateurs. En outre, en jugeant que la Commission a démontré à suffisance de droit que les accords ont eu un impact sur le marché, le Tribunal aurait manifestement dénaturé les faits et les éléments de preuve de nature économique que le groupe KME lui a soumis.

25      La Commission fait valoir tout d’abord que le premier moyen est inopérant. En effet, les requérantes n’auraient pas développé d’argumentation à l’encontre des points 60 à 65 de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a considéré qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’incidence concrète de l’infraction sur le marché, que ce soit en ce qui concerne le traitement différencié des entreprises en cause ou la gravité de l’infraction. Elles n’attaqueraient qu’un raisonnement surabondant du Tribunal par lequel celui-ci, aux points 67 et suivants de l’arrêt attaqué, estime que la Commission avait démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché concerné.

26      La Commission relève que, en tout état de cause, le premier moyen est irrecevable dès lors qu’il porte sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve.

27      Elle soutient ensuite que, selon elle, le Tribunal a correctement examiné les éléments de preuve.

28      Elle affirme enfin que le Tribunal a correctement motivé l’arrêt attaqué, notamment le point 72 de celui-ci, par lequel le Tribunal a rejeté les arguments et les preuves avancés par les requérantes.

 Appréciation de la Cour

29      Les requérantes ne contestent pas les conclusions du Tribunal relatives à la classification de l’infraction parmi les «infractions très graves» au sens des lignes directrices ni la différenciation effectuée entre les entreprises, en fonction des parts détenues sur le marché concerné, afin de tenir compte du poids spécifique de chaque entreprise et donc de l’effet réel de son comportement illicite sur la concurrence. Elles contestent uniquement les conclusions du Tribunal relatives à l’impact concret de l’entente comme élément pris en considération pour déterminer le montant de base de l’amende.

30      Selon le point 1, A, des lignes directrices, l’évaluation du critère de gravité de l’infraction ne doit prendre en considération l’impact concret de celle-ci sur le marché que lorsqu’il est mesurable.

31      Déterminer l’impact concret d’une entente sur le marché suppose en effet de comparer la situation du marché résultant de l’entente avec celle qui serait résultée du libre jeu de la concurrence. Une telle comparaison implique nécessairement le recours à des hypothèses, étant donné la multiplicité des variables susceptibles d’avoir un impact sur le marché.

32      Au trois centième considérant de la décision litigieuse, la Commission a souligné l’impossibilité de déterminer la façon dont les prix auraient évolué, en l’absence d’entente, pendant la période de plus de douze années qu’a duré l’infraction. Après avoir réfuté les arguments soutenus par les requérantes, elle a apporté des indices qui lui ont permis de conclure, au trois cent quatorzième considérant de cette décision, que le système anticoncurrentiel a, globalement, produit des effets sur le marché, même s’il est impossible de les quantifier précisément.

33      Il ressort ainsi de la décision litigieuse que, en l’espèce, la Commission n’a pas estimé possible, aux fins du calcul de l’amende, de tenir compte de cet élément facultatif qu’est l’impact concret de l’infraction sur le marché, dès lors qu’il n’était pas mesurable. Cette conclusion n’a pas été remise en cause dans l’arrêt attaqué.

34      Le Tribunal a rappelé, aux points 68 et 70 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence relative aux exigences de preuve de l’impact concret d’une entente sur le marché. Il a par ailleurs contrôlé, aux points 69 et 71 à 73 de cet arrêt, que la Commission avait démontré à suffisance de droit un impact concret de l’entente sur le marché concerné. Il a cependant procédé à ce contrôle à titre surabondant, ainsi qu’indiqué au point 66 dudit arrêt, et après avoir correctement rappelé, au point 64 de celui-ci, que l’impact concret des ententes sur le marché n’est pas un critère décisif pour la détermination du niveau des amendes. Il s’ensuit que le moyen dirigé par les requérantes contre cette partie du raisonnement du Tribunal est inopérant.

35      En tout état de cause, le raisonnement du Tribunal relatif à la motivation de la décision litigieuse répond à l’argument des requérantes, synthétisé à la dernière phrase du point 38 de l’arrêt attaqué, selon lequel le raisonnement et la conclusion contenus dans la décision litigieuse concernant l’impact concret de l’entente sur le marché seraient erronés, non corroborés et d’un caractère contradictoire. Le Tribunal a conclu à la présence d’éléments permettant d’établir l’existence d’un tel impact, mais n’a pas remis en cause l’impossibilité de le mesurer de manière précise.

36      C’est dès lors sans se contredire que le Tribunal a, d’une part, rappelé le principe selon lequel l’impact concret de l’infraction sur le marché n’est pas un critère décisif pour la détermination du montant des amendes et, d’autre part, contrôlé la motivation de la décision litigieuse relative à l’existence d’un tel impact.

37      Par conséquent, c’est à tort que les requérantes déduisent, ainsi qu’il ressort du libellé de leur premier moyen, du contrôle effectué par le Tribunal la conséquence que l’impact concret de l’infraction sur le marché devait être pris en compte aux fins du calcul du montant de départ de l’amende qui leur a été infligée. Cet argument est fondé sur une prémisse erronée.

38      S’agissant de la critique de la dénaturation, par le Tribunal, des preuves économiques que les requérantes ont produites devant lui, il est allégué non pas que le Tribunal aurait fait une lecture des rapports économiques qui serait manifestement contraire à leur libellé (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2011, Activision Blizzard Germany/Commission, C‑260/09 P, non encore publié au Recueil, point 57), mais plutôt que le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation du contenu de ces rapports. En tout état de cause, les requérantes n’indiquent pas de façon précise les parties de ces rapports dont le Tribunal aurait méconnu le sens clair et précis. Il s’ensuit que cet argument est irrecevable.

39      Il résulte de ces éléments que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de diverses erreurs de droit relatives à la prise en considération du chiffre d’affaires

 Argumentation des parties

40      Le deuxième moyen concerne les points 85 à 94 de l’arrêt attaqué. Il vise essentiellement les points 90 à 94 de celui-ci, qui sont rédigés comme suit:

«90      Les requérantes prétendent à cet égard, d’une part, que le prix du cuivre échappe au contrôle des fabricants de tubes industriels dès lors qu’il est fixé selon le [London Metal Exchange] et, d’autre part, que ce sont les acheteurs de tubes industriels qui décident eux-mêmes à quel prix le métal est acquis. Les requérantes soulignent également que les fluctuations du prix du métal n’ont aucune incidence sur leur profit.

91      Force est cependant de constater qu’aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient été exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, points 5030 et 5031). Le fait que le prix du cuivre constitue une partie importante du prix final des tubes industriels ou que le risque de fluctuations des prix du cuivre soit bien plus élevé que pour d’autres matières premières n’infirme pas cette conclusion.

92      Enfin, s’agissant des divers griefs des requérantes tendant à affirmer que, au lieu d’avoir recours au critère du chiffre d’affaires du marché pertinent, il serait plus opportun, au vu de la finalité dissuasive des amendes et du principe d’égalité de traitement, de fixer leur montant en fonction de la rentabilité du secteur affecté ou de la valeur ajoutée s’y rapportant, il y a lieu de constater qu’ils sont dénués de pertinence. À cet égard, force est de constater, tout d’abord, que la gravité de l’infraction est déterminée par référence à de nombreux facteurs, pour lesquels la Commission dispose d’une marge d’appréciation (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, point 65), aucune liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte n’ayant à cet égard été établie (arrêt Dalmine/Commission, [précité], point 129), il n’appartient pas au juge communautaire, mais à la Commission de choisir, dans le cadre de sa marge d’appréciation et conformément aux limites découlant du principe d’égalité de traitement et du règlement n° 17, les facteurs et les données chiffrés qu’elle prendra en compte afin de mettre en œuvre une politique qui assure le respect des interdictions visées à l’article 81 CE.

93      Il est, ensuite, incontestable que le chiffre d’affaires d’une entreprise ou d’un marché est, en tant que facteur d’évaluation de la gravité de l’infraction, nécessairement vague et imparfait. Il ne fait de distinction ni entre les secteurs à forte valeur ajoutée et les secteurs à faible valeur ajoutée ni entre les entreprises profitables et celles qui le sont moins. Toutefois, malgré sa nature approximative, le chiffre d’affaires est considéré, à l’heure actuelle, tant par le législateur communautaire que par la Commission et par la Cour comme un critère adéquat, dans le cadre du droit de la concurrence, pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées [voir, notamment, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, [précité], point 121; article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, considérant 10 et articles 14 et 15 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1)].

94      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la Commission a pris en compte le prix du cuivre aux fins de déterminer la taille du marché concerné.»

41      Selon les requérantes, le Tribunal a enfreint le droit communautaire et a motivé de façon inadéquate l’arrêt attaqué en approuvant la référence que fait la Commission, pour apprécier la taille du marché affecté par l’infraction aux fins de déterminer l’élément de gravité de l’amende, à une valeur du marché qui comprenait, à tort, les revenus de ventes effectuées au sein d’un marché en amont distinct du marché «de cartel», bien que les membres du cartel ne soient pas verticalement intégrés dans le marché en amont.

42      Elles exposent que l’industrie de la transformation du cuivre a des caractéristiques spécifiques. Notamment, c’est le client qui déterminerait le moment de l’achat du métal sur le London Metal Exchange et, dès lors, son prix. Même si ce prix est facturé par le producteur de tubes au client avec la marge de transformation, le prendre en considération pour calculer le chiffre d’affaires de l’entreprise serait méconnaître la réalité économique du marché, qui se caractérise notamment par la partie importante que représente la matière première dans le coût du produit et les variations très importantes du prix de cette matière première. Ces faits auraient été établis par le Tribunal.

43      Selon les requérantes, le Tribunal a commis une erreur de droit en n’ayant pas considéré que la Commission devait tenir compte de la jurisprudence du Tribunal et de sa propre pratique décisionnelle selon lesquelles, lorsque la Commission calcule le montant de départ de l’amende et/ou lorsqu’elle applique le plafond de 10 % du chiffre d’affaires, elle est tenue de prendre en considération les caractéristiques du marché concerné.

44      Elles font par ailleurs valoir que, en ne distinguant pas les requérantes d’autres entreprises dont le chiffre d’affaires n’est pas aussi influencé par le prix de la matière première, le Tribunal a violé le principe de non-discrimination, qui impose de traiter différemment des situations différentes.

45      Les requérantes contestent enfin la jurisprudence sur laquelle s’est appuyé le Tribunal, fondée sur la marge d’appréciation de la Commission. Elles estiment que le Tribunal n’a pas examiné si les critères utilisés par la Commission pour établir la gravité du cartel étaient pertinents et adéquats.

46      La Commission soutient que, en ce que les requérantes invitent la Cour à émettre une appréciation différente de celle du Tribunal sur le caractère unique ou non du secteur des tubes industriels, le moyen est irrecevable. Elle conteste par ailleurs les faits tels que décrits par le groupe KME, à savoir que les producteurs de tubes agiraient fréquemment en qualité d’agents du client lors de l’achat du cuivre, et conteste que le Tribunal se soit prononcé à ce sujet.

47      En tout état de cause, ce serait à bon droit que le Tribunal a indiqué, au point 91 de l’arrêt attaqué, qu’il existe dans tous les secteurs industriels des coûts inhérents au produit final que le fabricant ne peut maîtriser, mais qui constituent néanmoins un élément essentiel de l’ensemble de ses activités et qui, partant, ne sauraient être exclus de son chiffre d’affaires lors de la fixation du montant de départ de l’amende.

48      De même, ce serait à juste titre que le Tribunal a, au point 93 de l’arrêt attaqué, considéré que, malgré sa nature approximative, le chiffre d’affaires est considéré, à l’heure actuelle, tant par le législateur communautaire que par la Commission et par la Cour comme un critère adéquat, dans le cadre du droit de la concurrence, pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées.

 Appréciation de la Cour

49      Il résulte d’une jurisprudence constante que, pour apprécier la gravité d’une infraction, il faut tenir compte d’un grand nombre d’éléments dont le caractère et l’importance varient selon le type d’infraction et les circonstances particulières de l’infraction concernée. Parmi ces éléments peuvent, selon le cas, figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché (voir, en ce sens, arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 120).

50      Si la Cour en a conclu qu’il est loisible, en vue de la détermination de l’amende, de tenir compte aussi bien du chiffre d’affaires global de l’entreprise, qui constitue une indication de la taille de celle-ci et de sa puissance économique, que de la part de ce chiffre qui provient des marchandises faisant l’objet de l’infraction et qui est donc de nature à donner une indication de l’ampleur de celle-ci, elle a cependant reconnu que le chiffre d’affaires global d’une entreprise ne constituait qu’une indication approximative et imparfaite de la taille de cette dernière (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 121; du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 139; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, point 243; du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 100, ainsi que du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, Rec. p. I‑1843, point 74).

51      Elle a par ailleurs souligné à plusieurs reprises qu’il ne faut attribuer ni à l’un ni à l’autre de ces chiffres une importance disproportionnée par rapport aux autres éléments d’appréciation de la gravité de l’infraction (arrêts précités Musique Diffusion française e.a./Commission, point 121; Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 243; du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, point 100, ainsi que du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, point 74).

52      Le Tribunal n’a dès lors pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a rappelé, au point 93 de l’arrêt attaqué, que le chiffre d’affaires, bien que vague et imparfait, reste un critère adéquat pour apprécier la taille et le pouvoir économique des entreprises concernées.

53      Par ailleurs, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 91 de l’arrêt attaqué, qu’aucune raison valable n’impose que le chiffre d’affaires d’un marché pertinent soit calculé en excluant certains coûts de production. Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 141 de ses conclusions, ne pas prendre en considération le chiffre d’affaires brut dans certains cas, mais le prendre en considération dans d’autres cas, imposerait de déterminer un seuil, sous forme d’un rapport entre le chiffre d’affaires net et le chiffre d’affaires brut, qui serait difficile à appliquer et ouvrirait la porte à des litiges sans fin et insolubles, y compris à des allégations de discrimination.

54      Enfin, le Tribunal a motivé l’arrêt attaqué de façon adéquate et a exercé le contrôle qui lui incombe. Ainsi, les requérantes ayant contesté l’utilisation du chiffre d’affaires pour évaluer la taille du marché concerné, le Tribunal a rejeté, au point 88 de l’arrêt attaqué, l’affirmation de la Commission selon laquelle le montant de départ de l’amende infligée aux requérantes n’aurait pas nécessairement été inférieur à 35 millions d’euros si le prix du cuivre avait été déduit du chiffre d’affaires du marché. Il a ensuite vérifié, aux points 90 et 91 de l’arrêt attaqué, si c’est à tort que la Commission, lors de l’évaluation de la taille du marché, a pris en compte le prix du cuivre.

55      Il résulte de ces considérations que le Tribunal a effectué le contrôle qui lui incombait, qu’il a répondu au moyen invoqué par les requérantes et qu’il n’a pas commis d’erreur de droit en concluant, au point 94 de l’arrêt attaqué, que c’est à bon droit que la Commission a pris en compte le prix du cuivre aux fins de déterminer la taille du marché concerné.

56      S’agissant de la critique selon laquelle le Tribunal n’aurait pas examiné si les critères utilisés par la Commission pour établir la gravité du cartel étaient pertinents et adéquats, il importe de rappeler que, dans un recours dirigé contre une décision en matière de concurrence, c’est au requérant de formuler des moyens à cet égard et non au Tribunal de contrôler d’office la pondération des éléments pris en considération par la Commission pour déterminer le montant de l’amende.

57      Le deuxième moyen n’est dès lors pas fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de diverses erreurs de droit relatives à la prise en considération de la durée de l’infraction

 Argumentation des parties

58      Les requérantes indiquent que leur troisième moyen vise les points 100 à 105 de l’arrêt attaqué. Elles soutiennent que le Tribunal a enfreint le droit communautaire et a motivé de façon confuse, illogique et inadéquate cet arrêt, confirmant la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission a appliqué erronément les lignes directrices et a enfreint les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement en imposant le pourcentage maximum d’augmentation du montant de départ de l’amende en raison de la durée de l’infraction.

59      Selon les requérantes, il ressort du point 1, B, des lignes directrices que la finalité de la majoration de l’amende en raison de la durée de l’infraction est de «sanctionner réellement les restrictions qui ont produit durablement leurs effets nocifs à l’égard des consommateurs». Le lien devant exister entre la durée de l’infraction et son effet nocif ressortirait également de la jurisprudence. Or, le Tribunal n’aurait pas vérifié si la Commission, en appréciant la gravité de l’infraction, a réellement accordé l’importance qui lui revenait au fait que l’intensité et l’efficacité du cartel ont varié dans le temps. Ce serait dès lors à tort que le Tribunal a estimé, au point 104 de l’arrêt attaqué, que la majoration de 125 % du montant de départ de l’amende n’est pas manifestement disproportionnée.

60      La Commission relève que la Cour n’est pas compétente pour substituer son appréciation du montant de l’amende à celle du Tribunal. Le moyen serait donc irrecevable.

61      En tout état de cause, le Tribunal aurait fourni une explication claire et logique de son appréciation, qui répondait à tous les moyens de droit invoqués par le groupe KME.

 Appréciation de la Cour

62      Par leur troisième moyen, les requérantes contestent à la fois le principe d’une augmentation de l’amende pour tenir compte de la durée de l’infraction et le résultat de l’application de ce principe en ce qui les concerne, à savoir l’augmentation du montant de départ de l’amende, fixé à 35 millions d’euros, de 125 % pour tenir compte d’une durée de l’infraction de 12 ans et 10 mois, chaque année de participation correspondant à 10 % d’augmentation. Le montant de base aurait ainsi été porté à 56,88 millions d’euros.

63      Ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 162 de ses conclusions, la critique du résultat est fondée sur la prémisse erronée que le taux d’augmentation aurait été de 125 %, celui-ci n’étant que de 62,51 % (56,88/35 = 1,6251).

64      S’agissant du principe de l’augmentation de l’amende pour tenir compte de la durée de l’infraction, il n’est pas nécessaire d’établir matériellement une relation directe entre cette durée et un préjudice accru causé aux objectifs communautaires visés par les règles de concurrence.

65      En effet, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès qu’il apparaît qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429). Tel est notamment le cas, comme en l’espèce, des accords comportant des restrictions patentes de la concurrence comme la fixation des prix et la répartition du marché. Si une entente fixe l’état du marché au moment où elle est conclue, sa longue durée peut en rigidifier les structures, diminuant l’incitation à l’innovation et au développement pour les participants à l’entente. Le retour à l’état de libre concurrence sera d’autant plus difficile et long que la durée de l’entente aura elle-même été longue.

66      Même si l’intensité et l’efficacité du cartel varient dans le temps, il n’en reste pas moins que ledit cartel continue d’exister et, dès lors, de rigidifier d’autant plus les structures du marché.

67      Pour l’hypothèse d’une absence totale de mise en œuvre d’un accord, il y a lieu de rappeler que le point 3 des lignes directrices prévoit que la non-application effective des accords ou des pratiques infractionnelles peut constituer une circonstance atténuante donnant lieu à une diminution du montant de base de l’amende. Il n’apparaît cependant pas que tel ait été le cas en l’espèce, les requérantes ayant contesté non pas la mise en œuvre de l’entente pour ce qui les concerne, mais uniquement l’absence de prise en considération de l’intensité variable de cette mise en œuvre et de l’impact concret et objectif de l’entente sur les consommateurs.

68      Par ailleurs, quantifier un préjudice réel pour le consommateur peut être difficile, eu égard à la multitude de variables intervenant, notamment, dans la formation des prix d’un produit manufacturé.

69      En tout état de cause, la durée de l’infraction est mentionnée par le législateur comme élément devant être pris en considération en tant que tel pour fixer le montant des amendes.

70      Eu égard à ces éléments, c’est à bon droit que, au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté comme non fondé le moyen visant la majoration du montant de l’amende au titre de la durée de l’entente.

71      Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le troisième moyen n’est pas fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré de diverses erreurs de droit relatives à la prise en considération de la coopération des requérantes

 Argumentation des parties

72      Les requérantes indiquent que leur quatrième moyen vise les points 123 à 134 de l’arrêt attaqué. Elles soutiennent que le Tribunal a enfreint le droit communautaire en confirmant la partie de la décision litigieuse dans laquelle la Commission leur a refusé le bénéfice d’une réduction de l’amende en raison de leur coopération en dehors du champ d’application de la communication sur la coopération, et cela en violation du point 3, sixième tiret, des lignes directrices ainsi que des principes d’équité et d’égalité de traitement.

73      Selon les requérantes, elles seules auraient dû bénéficier de la réduction d’amende, au motif qu’elles ont apporté une preuve de la durée de l’infraction, au contraire du groupe Outokumpu, qui n’avait apporté qu’une information relative à la durée totale du cartel.

74      La Commission soutient que, en ce que le groupe KME invite la Cour à substituer son appréciation à celle du Tribunal, le moyen est irrecevable.

75      Le moyen serait en outre non fondé. La Commission fait valoir que le Tribunal a fourni une explication claire et logique de son appréciation des cas dans lesquels une immunité partielle peut être accordée, en réponse à tous les arguments de droit avancés par le groupe KME.

76      S’agissant de l’octroi de la réduction d’amende au groupe Outokumpu, la Commission relève que l’information communiquée par celui-ci lui a permis d’enquêter et de rechercher des preuves. Les requérantes auraient facilité la tâche en apportant des preuves, plus de seize mois après le groupe Outokumpu, mais sans plus. Contrairement à ce que laissent entendre les requérantes dans leur pourvoi, elles n’auraient pas non plus bénéficié d’une immunité partielle conformément à la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, dès lors qu’une telle immunité vise les preuves de «faits précédemment ignorés de la Commission», ce qui n’était pas le cas de la durée totale du cartel.

77      La Commission souligne enfin que l’application d’une immunité partielle dans l’hypothèse évoquée par les requérantes irait à l’encontre du titre D de la communication sur la coopération qui prévoit déjà une réduction de l’amende lorsque l’entreprise fournit à la Commission des informations, des documents ou d’autres éléments de preuve qui contribuent à confirmer l’existence de l’infraction commise.

 Appréciation de la Cour

78      Il y a lieu de rappeler que, selon la communication sur la coopération, seule bénéficie d’une non-imposition d’amende ou d’une réduction très importante de son montant l’entreprise qui est la première à fournir des éléments déterminants pour prouver l’existence de l’entente.

79      C’est aux points 144 et 145 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné les circonstances de la coopération des requérantes et de celle du groupe Outokumpu. Il s’agit cependant d’observations et d’appréciations de fait qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler dans le cadre d’un pourvoi.

80      Par ailleurs, eu égard à la constatation selon laquelle la coopération des requérantes était postérieure à celle du groupe Outokumpu, c’est à juste titre que le Tribunal en a conclu, au point 147 de l’arrêt attaqué, que les requérantes ne se trouvaient pas dans une situation comparable à celle du groupe Outokumpu et, par voie de conséquence, qu’elles n’avaient pas été discriminées.

81      Enfin, les requérantes n’indiquent pas en quoi le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans le raisonnement développé aux points 130 et 131 de l’arrêt attaqué et, notamment, n’expliquent pas en quoi la production d’éléments de preuve de faits déjà connus de la Commission justifierait davantage la réduction de l’amende pour circonstances atténuantes que la production antérieure d’une information nouvelle pour la Commission. Il s’ensuit que cet argument est irrecevable, car trop imprécis.

82      Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le quatrième moyen est pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit à un recours juridictionnel effectif

 Argumentation des parties

83      Les requérantes soutiennent que le Tribunal a violé le droit communautaire et leur droit fondamental à un recours juridictionnel effectif et sans entraves, en ce qu’il n’a pas examiné attentivement et soigneusement leurs arguments et s’en est remis de façon excessive et déraisonnable au pouvoir d’appréciation de la Commission.

84      Elles exposent que la doctrine de la «marge d’appréciation» et de la «retenue judiciaire» ne devrait plus trouver application à l’heure actuelle, dès lors que le droit communautaire est maintenant caractérisé par le montant énorme des amendes infligées par la Commission, un développement qui est fréquemment désigné comme la «pénalisation» de facto du droit européen de la concurrence.

85      Par ailleurs, l’applicabilité directe de l’exception prévue à l’article 81, paragraphe 3, CE, introduite par le règlement n° 1/2003, en remplacement du régime précédent d’autorisation, exclut, par définition, toute marge d’appréciation de la Commission dans l’application des règles de concurrence et donc n’impose qu’un degré très réduit de retenue judiciaire par les juridictions qui contrôlent leur application par la Commission dans des cas particuliers.

86      Les requérantes font en outre valoir que la marge d’appréciation de la Commission ne devrait pas être justifiée par la prétendue meilleure compétence de la Commission pour évaluer des faits complexes ou des questions économiques. Elles relèvent à cet égard que tant la Cour que le Tribunal ont procédé avec succès à des contrôles juridictionnels particulièrement intenses de cas complexes.

87      De même, compte tenu de la compétence de pleine juridiction conférée au Tribunal par les articles 229 CE et 31 du règlement n° 1/2003, le Tribunal ne devrait reconnaître à la Commission aucune marge d’appréciation, non seulement en ce qui concerne le caractère approprié et proportionné du montant d’une amende, mais aussi pour ce qui est de la méthode de travail adoptée par la Commission pour opérer ses calculs. Selon les requérantes, le Tribunal doit examiner comment, dans chaque cas particulier, la Commission a apprécié la gravité et la durée d’un comportement illégal et il peut donc substituer sa propre appréciation à celle de la Commission en annulant, en réduisant ou en augmentant l’amende.

88      Les requérantes rappellent également que, pour la Cour européenne des droits de l’homme, la mise en œuvre du droit administratif au moyen de décisions administratives et d’amendes n’enfreint pas en soi l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH»). Cette mise en œuvre devrait cependant être régie par des garanties procédurales suffisamment fortes et assortie d’un régime de contrôle juridictionnel effectif, comprenant une compétence de pleine juridiction pour le contrôle des décisions administratives. Le droit à un «recours effectif devant un tribunal» aurait également été inséré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte»).

89      La Commission fait valoir tout d’abord que le cinquième moyen est trop général et imprécis pour être examiné par la Cour. Elle relève ensuite que le groupe KME ne conteste pas la structure fondamentale du contrôle juridictionnel des décisions de la Commission et ne fournit aucun élément expliquant en quoi les références du Tribunal à la marge d’appréciation de la Commission prouveraient que le Tribunal n’a pas contrôlé de façon adéquate la légalité de la décision litigieuse à la lumière des deuxième à quatrième moyens invoqués par le groupe KME devant le Tribunal.

90      Enfin, selon la Commission, le groupe KME se limite à faire allusion aux «accusations pénales» et à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, mais n’examine pas les conséquences qu’il convient d’en tirer.

 Appréciation de la Cour

91      Par leur cinquième moyen, les requérantes contestent à la fois la manière dont le Tribunal a déclaré devoir tenir compte de la large marge d’appréciation de la Commission et la manière dont il a effectivement contrôlé la décision litigieuse. Elles invoquent l’article 6 de la CEDH ainsi que la charte, sans cependant établir de façon précise si elles contestent à cet égard les principes du contrôle juridictionnel ou la manière dont le Tribunal a exercé ce contrôle dans la présente espèce.

92      Le principe de protection juridictionnelle effective constitue un principe général du droit de l’Union, qui est aujourd’hui exprimé à l’article 47 de la charte (voir arrêt du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, non encore publié au Recueil, points 30 et 31; ordonnance du 1er mars 2011, Chartry, C‑457/09, non encore publiée au Recueil, point 25, ainsi que arrêt du 28 juillet 2011, Samba Diouf, C-69/10, non encore publié au Recueil, point 49).

93      Le contrôle juridictionnel des décisions des institutions a été organisé par les traités fondateurs. Outre le contrôle de légalité, prévu actuellement à l’article 263 TFUE, un contrôle de pleine juridiction a été envisagé en ce qui concerne les sanctions prévues par des règlements.

94      S’agissant du contrôle de légalité, la Cour a jugé que si, dans les domaines donnant lieu à des appréciations économiques complexes, la Commission dispose d’une marge d’appréciation en matière économique, cela n’implique pas que le juge de l’Union doit s’abstenir de contrôler l’interprétation, par la Commission, de données de nature économique. En effet, le juge de l’Union doit notamment vérifier non seulement l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, Rec. p. I‑987, point 39, ainsi que du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, points 56 et 57).

95      Pour ce qui concerne la sanction des infractions au droit de la concurrence, l’article 15, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 17 prévoit que, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.

96      La Cour a jugé que, pour la détermination du montant des amendes, il y a lieu de tenir compte de la durée des infractions et de tous les éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de celles-ci, tels que le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement des pratiques concertées, le profit qu’elles ont pu tirer de ces pratiques, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour la Communauté européenne (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, précité, point 129; Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 242, ainsi que du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 96).

97      La Cour a également indiqué que des éléments objectifs tels le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels, leur nombre et leur intensité, l’étendue du marché affecté et la détérioration subie par l’ordre public économique doivent être pris en compte. L’analyse doit également prendre en considération l’importance relative et la part de marché des entreprises responsables ainsi qu’une éventuelle récidive (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 91).

98      Ce grand nombre d’éléments impose à la Commission un examen approfondi des circonstances de l’infraction.

99      Dans un souci de transparence, la Commission a adopté les lignes directrices, dans lesquelles elle indique à quel titre elle prendra en considération telle ou telle circonstance de l’infraction et les conséquences qui pourront en être tirées sur le montant de l’amende.

100    Les lignes directrices, dont la Cour a jugé qu’elles énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont l’administration ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (arrêt du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, précité, point 91), se limitent à décrire la méthode d’examen de l’infraction suivie par la Commission et les critères que celle-ci s’oblige à prendre en considération pour fixer le montant de l’amende.

101    Il importe de rappeler l’obligation de motivation des actes communautaires. En l’espèce, cette obligation revêt une importance toute particulière. Il incombe à la Commission de motiver sa décision et, notamment, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération (voir, en ce sens, arrêt Prym et Prym Consumer/Commission, précité, point 87). La présence d’une motivation doit être vérifiée d’office par le juge.

102    Par ailleurs, il appartient au juge de l’Union d’effectuer le contrôle de légalité qui lui incombe sur la base des éléments apportés par le requérant au soutien des moyens invoqués. Lors de ce contrôle, le juge ne saurait s’appuyer sur la marge d’appréciation dont dispose la Commission ni en ce qui concerne le choix des éléments pris en considération lors de l’application des critères mentionnés dans les lignes directrices ni en ce qui concerne l’évaluation de ces éléments pour renoncer à exercer un contrôle approfondi tant de droit que de fait.

103    Le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui était reconnue au juge de l’Union par l’article 17 du règlement n° 17 et qui l’est maintenant par l’article 31 du règlement n° 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 692).

104    Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens.

105    Cette exigence de nature procédurale ne va pas à l’encontre de la règle selon laquelle, s’agissant d’infractions aux règles de concurrence, c’est à la Commission qu’il appartient d’apporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction. Ce qui est en effet demandé à un requérant dans le cadre d’un recours juridictionnel, c’est d’identifier les éléments contestés de la décision attaquée, de formuler des griefs à cet égard et d’apporter des preuves, qui peuvent être constituées d’indices sérieux, tendant à démontrer que ses griefs sont fondés.

106    Le contrôle prévu par les traités implique donc que le juge de l’Union exerce un contrôle tant de droit que de fait et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant des amendes. Il n’apparaît dès lors pas que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévu à l’article 31 du règlement n° 1/2003, soit contraire aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective figurant à l’article 47 de la charte.

107    Il s’ensuit que, en ce qu’il vise les règles du contrôle juridictionnel au regard du principe de protection juridictionnelle effective, le cinquième moyen n’est pas fondé.

108    En ce qu’il vise la manière dont le Tribunal a effectué le contrôle de la décision litigieuse, le cinquième moyen se confond avec les deuxième à quatrième moyens du pourvoi et a donc déjà fait l’objet d’un examen par la Cour.

109    Il convient à cet égard de relever que, même si, à plusieurs reprises, notamment aux points 35 à 37, 92, 103, 115, 118, 129 et 141 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé au «pouvoir d’appréciation», à la «marge d’appréciation substantielle» ou à la «large marge d’appréciation» de la Commission, de telles mentions n’ont pas empêché le Tribunal d’exercer le contrôle plein et entier, en droit et en fait, auquel il est tenu.

110    Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le cinquième moyen n’est pas fondé.

111    Par conséquent, aucun des moyens invoqués par le groupe KME au soutien de son pourvoi ne saurait être accueilli et, partant, il y a lieu de rejeter celui-ci.

 Sur les dépens

112    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du groupe KME et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      KME Germany AG, KME France SAS et KME Italy SpA sont condamnées aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.