Language of document : ECLI:EU:C:2012:356





ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

15 juin 2012 (*)

«Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché de l’installation et de l’entretien des ascenseurs et des escaliers mécaniques – Amendes – Société mère et filiales – Imputabilité du comportement infractionnel»

Dans l’affaire C‑494/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 septembre 2011,

Otis Luxembourg Sàrl, anciennement General Technic-Otis Sàrl, établie à Howald (Luxembourg),

Otis SA, établie à Dilbeek (Belgique),

Otis GmbH & Co. OHG, établie à Berlin (Allemagne),

Otis BV, établie à Amersfoort (Pays-Bas),

Otis Elevator Company, établie à Farmington (États-Unis),

représentées par Mes A. Winckler et D. Gerard, avocats, ainsi que par MM. J. Temple Lang et C. Cook, solicitors,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet, R. Sauer et J. Bourke, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. U. Lõhmus, président de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur) et C. G. Fernlund, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

l’avocat général entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par leur pourvoi, Otis Luxembourg Sàrl (ci-après «Otis Luxembourg»), anciennement General Technic-Otis Sàrl (ci-après «GTO»), Otis SA (ci-après «Otis Belgique»), Otis GmbH & Co. OHG (ci-après «Otis Allemagne»), Otis BV (ci-après «Otis Pays-Bas») et Otis Elevator Company (ci-après «OEC») demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 juillet 2011, General Technic‑Otis e.a./Commission (T‑141/07, T‑142/07, T‑145/07 et T‑146/07, non encore publié au Recueil, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leurs demandes respectives tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C (2007) 512 final de la Commission, du 21 février 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (affaire COMP/E-1/38.823 – Ascenseurs et escaliers mécaniques) (ci‑après la «décision litigieuse»), dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 26 mars 2008 (JO C 75, p. 19), ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant des amendes que cette décision leur inflige.

 Le cadre juridique

2        La communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices de 1998») était applicable à l’époque de l’adoption de la décision litigieuse.

3        Aux termes du point 1 des lignes directrices de 1998, «[le] montant de base [de l’amende] est déterminé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, seuls critères retenus à l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 [du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204]».

4        En ce qui concerne la gravité, le point 1, A, des lignes directrices de 1998 prévoit que l’évaluation du critère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

5        Les infractions sont classées en trois catégories, les infractions peu graves, les infractions graves et les infractions très graves.

6        S’agissant des infractions peu graves, ces lignes directrices prévoient qu’«il pourra s’agir par exemple de restrictions, le plus souvent verticales, visant à limiter les échanges mais dont l’impact sur le marché reste limité, ne concernant en outre qu’une partie substantielle mais relativement étroite du marché communautaire».

7        S’agissant des infractions graves, lesdites lignes directrices prévoient notamment qu’«il s’agira le plus souvent de restrictions horizontales ou verticales de même nature que dans le cas précédent, mais dont l’application est plus rigoureuse, dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun».

8        S’agissant des infractions très graves, les lignes directrices de 1998 prévoient qu’«il s’agira pour l’essentiel de restrictions horizontales de type ‘cartels de prix’ et de quotas de répartition des marchés, ou autres pratiques portant atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur, telles que celles visant à cloisonner les marchés nationaux ou d’abus caractérisés de position dominante d’entreprises en situation de quasi-monopole».

9        Le point 1, A, troisième et quatrième alinéas, de ces lignes directrices prévoit également:

«À l’intérieur de chacune de ces catégories, et notamment pour les catégories dites graves et très graves, l’échelle des sanctions retenues permettra de différencier le traitement qu’il convient d’appliquer aux entreprises selon la nature des infractions commises.

Il sera en outre nécessaire de prendre en considération la capacité économique effective des auteurs d’infraction à créer un dommage important aux autres opérateurs, notamment aux consommateurs, et de déterminer le montant de l’amende à un niveau qui lui assure un caractère suffisamment dissuasif.»

10      La communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la «communication sur la coopération de 2002») prévoit notamment que la Commission des Communautés européennes peut exempter une entreprise de toute amende lorsque cette entreprise est la première à fournir des éléments de preuve permettant d’ordonner des vérifications ou de constater une infraction à l’article 81 CE. Cette communication précise également que les entreprises qui ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d’une immunité d’amende peuvent toutefois bénéficier d’une réduction de l’amende dans certaines conditions.

11      Selon le point 21 de la communication sur la coopération de 2002, afin de pouvoir prétendre à une telle réduction, une entreprise doit notamment fournir à la Commission des éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission.

12      Le point 22 de cette communication précise que «la notion de ‘valeur ajoutée’ vise la mesure dans laquelle les éléments de preuve fournis renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité de la Commission d’établir les faits en question».

13      Le point 23, sous b), de ladite communication prévoit les différentes réductions d’amendes dont peuvent bénéficier les entreprises en fonction de l’ordre dans lequel elles ont fourni les informations. Le dernier alinéa de ce point est libellé comme suit:

«En outre, si une entreprise fournit des éléments de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis.»

 Les antécédents du litige

14      Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que les sociétés suivantes ont enfreint l’article 81 CE:

–        Kone Belgium SA, Kone GmbH, Kone Luxembourg Sàrl, Kone BV Liften en Roltrappen et Kone Oyj;

–        Otis Belgique, Otis Allemagne, GTO, Otis Pays-Bas et OEC (ci-après, prises ensemble, les «filiales Otis») ainsi que General Technic Sàrl (ci-après «GT») et United Technologies Corporation (ci-après «UTC»), cette dernière formant un groupe avec les filiales Otis (ci-après le «groupe Otis»);

–        Schindler SA, Schindler Deutschland Holding GmbH, Schindler Sàrl, Schindler Liften BV et Schindler Holding Ltd;

–        ThyssenKrupp Liften Ascenseurs NV, ThyssenKrupp Aufzüge GmbH, ThyssenKrupp Fahrtreppen GmbH, ThyssenKrupp Elevator AG, ThyssenKrupp AG, ThyssenKrupp Ascenseurs Luxembourg Sàrl et ThyssenKrupp Liften BV, et

–        Mitsubishi Elevator Europe BV (ci-après «MEE»).

15      UTC est un leader mondial dans les systèmes de construction et l’industrie aérospatiale. OEC est une filiale à 100 % d’UTC qui est basée aux États-Unis et qui exerce ses activités dans le domaine des escaliers mécaniques et des ascenseurs par l’intermédiaire de filiales nationales. Celles-ci sont notamment, en Belgique, Otis Belgique, en Allemagne, Otis Allemagne, au Luxembourg, GTO et, aux Pays-Bas, Otis Pays-Bas. Au moment de l’adoption de la décision litigieuse, GTO était détenue à 75 % par Otis Belgique, les 25 % restants étant détenus par GT (considérants 21 à 26 de la décision litigieuse).

16      Le 21 février 2007, la Commission a adopté la décision litigieuse, aux termes de laquelle elle a constaté que les sociétés destinataires de celle-ci avaient participé à quatre infractions uniques, complexes et continues à l’article 81, paragraphe 1, CE dans quatre États membres, se partageant entre elles des marchés en s’accordant ou en se concertant pour l’attribution d’appels d’offres et de contrats liés à la vente, à l’installation, à l’entretien et à la modernisation d’ascenseurs et d’escaliers mécaniques (considérant 2 de la décision litigieuse).

17      S’agissant des destinataires de la décision litigieuse, la Commission a considéré que, outre les filiales des entreprises concernées en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas, les sociétés mères desdites filiales devaient être tenues solidairement responsables des infractions à l’article 81 CE commises par leurs filiales respectives, en raison du fait qu’elles avaient pu exercer une influence décisive sur leur politique commerciale pendant la durée de l’infraction et qu’il pouvait être présumé qu’elles avaient fait usage de ce pouvoir (considérants 608, 615, 622, 627 et 634 à 641 de la décision litigieuse). Les sociétés mères de MEE n’ont toutefois pas été tenues solidairement responsables du comportement de leur filiale, en raison du fait qu’il n’a pas pu être établi qu’elles avaient exercé une influence décisive sur le comportement de celle-ci (considérant 643 de la décision litigieuse).

18      Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a fait application, dans la décision litigieuse, de la méthodologie exposée dans les lignes directrices de 1998. Elle a également examiné si, et dans quelle mesure, les entreprises concernées satisfaisaient aux exigences fixées par la communication sur la coopération de 2002.

19      À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a défini les infractions reprochées à chaque entreprise et la durée de leur participation. S’agissant des infractions commises par les requérantes en Allemagne et au Luxembourg, visées par le pourvoi, l’article 1er de ladite décision indique:

«[…]

2.      S’agissant de l’Allemagne, les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE], en s’accordant régulièrement et collectivement, pendant les périodes indiquées, dans le cadre d’accords et de pratiques concertées au niveau national relatifs aux ascenseurs et aux escaliers mécaniques, pour se partager les marchés, se répartir les appels d’offres publics et privés et d’autres contrats conformément aux parts préalablement convenues pour la vente et l’installation:

[...]

–        Otis: [UTC], [OEC] et [Otis Allemagne]: du 1er août 1995 au 5 décembre 2003;

–        [...]

3.      S’agissant du Luxembourg, les entreprises suivantes ont enfreint l’article 81 [CE], en s’accordant régulièrement et collectivement, pendant les périodes indiquées, dans le cadre d’accords et de pratiques concertées au niveau national relatifs aux ascenseurs et aux escaliers mécaniques, pour se partager les marchés, se répartir les appels d’offres publics et privés et d’autres contrats conformément aux parts préalablement convenues pour la vente et l’installation, et s’abstenir de se faire concurrence pour les contrats d’entretien et de modernisation:

[...]

–        Otis: [UTC], [OEC], [Otis Belgique], [GTO] et [GT]: du 7 décembre 1995 au 9 mars 2004;

–        [...]»

20      S’agissant des infractions commises par les requérantes en Allemagne et au Luxembourg, visées par le pourvoi, l’article 2 de la décision litigieuse indique:

«[…]

2.      Pour les infractions en Allemagne visées à l’article 1er, paragraphe 2, les amendes suivantes sont infligées:

[...]

–        Otis: [UTC], [OEC] et [Otis Allemagne], solidairement: 159 043 500 [euros];

–        [...]

3.      Pour les infractions au Luxembourg visées à l’article 1er, paragraphe 3, les amendes suivantes sont infligées:

–        [...]

–        Otis: [UTC], [OEC], [Otis Belgique], [GTO] et [GT], solidairement: 18 176 400 [euros];

–        [...]»

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

21      Quatre recours ont été introduits devant le Tribunal, le premier par GTO (T‑141/07), le deuxième par GT (T‑142/07), le troisième par Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas ainsi que OEC (T‑145/07) et le quatrième par UTC (T‑146/07). Ces affaires ont fait l’objet de procédures écrites et orales distinctes. Toutefois, après avoir entendu les parties sur ce point, le Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires aux fins de l’arrêt en application de l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

22      Les parties demanderesses en première instance invoquaient, ensemble, huit moyens. Le premier moyen était tiré d’une violation des principes régissant l’imputation de la responsabilité pour les infractions à l’article 81 CE, de la présomption d’innocence, d’individualité des peines, d’égalité de traitement, des droits de la défense et de l’article 253 CE dans l’imputation aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales respectives. Le deuxième moyen était tiré d’une violation des lignes directrices de 1998, des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement, des droits de la défense et de l’article 253 CE dans la fixation du montant de départ des amendes en fonction de la gravité des infractions. Le troisième moyen, invoqué uniquement par Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas et OEC, était tiré d’une violation des lignes directrices de 1998 ainsi que du principe de proportionnalité dans la fixation du montant de départ de l’amende en fonction de la durée de l’infraction en Allemagne. Le quatrième moyen, soulevé par Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas, OEC ainsi que par UTC, était tiré d’une violation des lignes directrices de 1998 et du principe de proportionnalité dans l’application du facteur multiplicateur de groupe aux fins de la prise en compte de l’objectif de dissuasion dans la fixation du montant de départ des amendes. Le cinquième moyen, invoqué par GTO, Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas et OEC, était tiré d’une violation de la communication sur la coopération de 2002, de l’article 253 CE et d’une violation des principes de la protection de la confiance légitime, de proportionnalité, d’équité, d’égalité de traitement et des droits de la défense dans l’appréciation de leur coopération. Le sixième moyen, également avancé par GTO, Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas et OEC, était tiré de la violation des principes de la protection de la confiance légitime et de proportionnalité lors de la détermination du montant de la réduction des amendes accordée pour la coopération hors du cadre de la communication sur la coopération de 2002. Le septième moyen, invoqué, lui aussi, par GTO, Otis Belgique, Otis Allemagne, Otis Pays-Bas et OEC, était tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Enfin, le huitième moyen, invoqué par GTO, était tiré de la violation du principe de proportionnalité dans le calcul du montant final des amendes.

23      Après avoir rejeté chacun de ces moyens, le Tribunal a rejeté chacun des recours et a condamné les parties demanderesses en première instance aux dépens.

 Les conclusions des parties

24      Les requérantes demandent à la Cour:

–      d’annuler l’arrêt attaqué;

–      sur la base des éléments dont elle dispose, de prononcer l’annulation partielle de la décision litigieuse et de réduire le montant des amendes qu’elle inflige ou, si elle l’estime approprié, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il se prononce de nouveau sur les faits pertinents, et

–      de condamner la Commission aux dépens de la présente instance ainsi que de l’instance devant le Tribunal.

25      La Commission demande à la Cour:

–       de rejeter le pourvoi dans son intégralité;

–       à titre subsidiaire, de rejeter la demande d’annulation de la décision litigieuse, et

–      de condamner les requérantes aux dépens.

 Sur le pourvoi

26      En vertu de l’article 119 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, le rejeter partiellement ou totalement par voie d’ordonnance motivée.

27      Les requérantes soulèvent trois moyens. Par le premier moyen, elles contestent la conclusion de l’arrêt attaqué selon laquelle la Commission était en droit d’imputer à Otis Belgique la responsabilité des infractions commises au Luxembourg par GTO. Par le deuxième moyen, elles soutiennent que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit en ce qu’il confirme la détermination du montant de départ des amendes infligées au titre des infractions commises en Allemagne. Par le troisième moyen, elles soutiennent que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit et d’excès de pouvoir en ce qu’il refuse d’accorder au groupe Otis le bénéfice d’une «immunité partielle», en application du point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002.

 Sur le premier moyen, relatif à la conclusion de l’arrêt attaqué selon laquelle la Commission était en droit d’imputer à Otis Belgique la responsabilité des infractions commises au Luxembourg par GTO

28      Ce moyen concerne essentiellement les points 49 à 62, 91 à 95, 106 à 120 ainsi que 130 à 132 de l’arrêt attaqué.

29      Les points 49 à 62 de l’arrêt attaqué constituent des observations liminaires du Tribunal sur la notion d’entreprise en droit de la concurrence, le traitement des rapports entre une société mère et ses filiales et, plus particulièrement, la possibilité d’imputer à une société mère le comportement délicteux de sa filiale.

30      Aux points 91 à 95 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé les considérants 622 à 626 de la décision litigieuse. Aux points 106 à 120 dudit arrêt, il a examiné si la Commission avait établi qu’Otis Belgique, OEC et UTC devaient être tenues pour responsables de l’infraction commise par GTO. Il a notamment relevé, au point 110 de son arrêt, que la Commission ne s’est pas fondée sur la simple participation d’Otis Belgique et, indirectement, sur celle d’OEC et d’UTC au capital de leur filiale aux fins de fonder leur responsabilité, mais [confidentiel]. Afin de répondre à l’argument des requérantes, selon lequel Otis Belgique, OEC et UTC n’étaient que des investisseurs financiers et n’auraient pas été en mesure d’exercer une influence sur la politique commerciale de GTO, le Tribunal a examiné, aux points 112 et 113 de l’arrêt attaqué, les pouvoirs du conseil d’administration selon l’article 8 des statuts de GTO et selon plusieurs documents de la société. Aux points 116 et 117 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a comparé ces pouvoirs à ceux du délégué à la gestion journalière. Au point 118 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que c’est à bon droit que la Commission a estimé, au considérant 622 de la décision litigieuse, que toutes les décisions importantes au sein de GTO devaient être prises à la majorité de 80 % des votes et que, partant, pendant la période infractionnelle au Luxembourg, GTO exerçait ses activités sous le contrôle commun d’Otis Belgique et de GT et que la politique commerciale de GTO était déterminée par l’accord commun de ses deux actionnaires. Par conséquent, la Commission pouvait considérer qu’Otis Belgique et GT devaient être tenues pour responsables de l’infraction de GTO au Luxembourg.

31      En réponse à l’argument des requérantes qui invoquaient une violation du principe d’égalité de traitement par rapport à l’entreprise MEE, le Tribunal a relevé, au point 130 de l’arrêt attaqué, que les requérantes se fondaient sur les statuts de MEE alors que ceux-ci ne figuraient pas au dossier de la Commission et n’étaient pas joints à la requête, et qu’elles soutenaient que c’était à juste titre que la Commission avait considéré que le contrôle exercé sur MEE par ses sociétés mères Mitsubishi Electric Corporation et TBI Holding n’était pas suffisant pour leur imputer l’infraction commise par leur filiale. Au point 131 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a indiqué que, ainsi qu’il l’a démontré aux points 106 à 118 de l’arrêt attaqué, c’est à bon droit que la Commission a estimé, au considérant 622 de la décision litigieuse, que, pendant la période infractionnelle au Luxembourg, GTO exerçait ses activités sous le contrôle commun d’Otis Belgique ainsi que de GT et que la politique commerciale de GTO était déterminée par l’accord commun de ses deux actionnaires. Au point 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que les situations dans lesquelles se trouvent MEE et GTO n’étant pas comparables, le grief tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement ne saurait prospérer.

32      Le premier moyen est constitué de quatre branches. Il y a lieu d’examiner, d’une part, les trois premières branches ensemble et, d’autre part, la quatrième branche.

 Sur les trois premières branches du premier moyen

–       Argumentation des parties

33      Par la première branche du moyen, il est reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit dans l’application qu’il a faite des conditions, dégagées par l’arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, ci‑après l’«arrêt Akzo»), sur la notion d’entreprise unique et auxquelles une société mère est fondée à renverser la présomption de responsabilité qui pèse sur elle pour les agissements de ses filiales lorsque cette société mère détient 100 % du capital desdites filiales. Selon les requérantes, il ressort de cet arrêt qu’une société mère ne peut être tenue conjointement et solidairement responsable des agissements de sa filiale que s’il est établi que la première a exercé une influence déterminante sur le comportement de ladite filiale sur le marché. Les requérantes font valoir que la responsabilité pour le comportement d’une filiale ne saurait être imputée automatiquement à sa société mère, dans le cadre d’une responsabilité objective. Elles rappellent à cet égard que, conformément aux articles 52 et 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute limitation aux principes fondamentaux, notamment de responsabilité personnelle, doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

34      En l’espèce, Otis Belgique ne détenait que 75 % de GTO, de sorte que la Commission aurait dû établir l’implication personnelle d’Otis Belgique dans la commission de l’infraction ou, à tout le moins, qu’elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de GTO sur le marché. En constatant qu’Otis Belgique devait cependant être tenue responsable de l’infraction de GTO au Luxembourg sans examiner attentivement l’étendue du pouvoir décisionnel d’Otis Belgique à l’égard de GTO, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.

35      Par la deuxième branche du moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a commis un excès de pouvoir en s’appuyant sur des éléments de preuve ne figurant ni dans la décision litigieuse ni dans le dossier de la Commission, mais qui ont été produits en cours de procédure. À l’appui de cette branche du moyen, les requérantes citent ainsi les statuts de GTO qui auraient été communiqués au Tribunal en tant que pièce figurant à l’annexe 5 de la requête introductive d’instance et les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration, mentionnés au point 117 de l’arrêt attaqué, qui auraient été portés à la connaissance du Tribunal sous la forme d’annexes à des réponses à des questions écrites qu’il aurait posées à GTO le 28 mai 2009, au titre des mesures d’organisation de la procédure.

36      Par la troisième branche du moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal, d’une part, a erronément qualifié la nature ainsi que la portée des liens juridiques existant entre GTO et Otis Belgique et, d’autre part, a mal apprécié les faits. Elles invoquent, à cet égard, l’interprétation inexacte, par le Tribunal, des statuts de GTO, des conventions de direction et de gestion de 1987 et de 1995 ainsi que des procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de GTO dont question au point 117 de l’arrêt attaqué.

37      En réponse à la première branche du moyen, la Commission fait valoir que, aux points 53 à 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement énoncé le critère juridique d’imputabilité à une société mère des agissements de sa filiale, tel que défini dans l’arrêt Akzo. Elle précise, à cet égard, que les requérantes procèdent à une lecture erronée de cet arrêt en se concentrant sur l’influence qu’exerce la société mère sur le comportement de sa filiale sur le marché, alors que le critère correct concerne plutôt l’influence déterminante que cette société mère exerce sur la politique commerciale de ladite filiale, laquelle politique n’est pas fondée sur le seul comportement sur le marché et doit également s’appuyer sur tout élément relatif aux liens économiques, organisationnels et juridiques entre les entités juridiques. La Commission relève, par ailleurs, que les requérantes remettent en cause des appréciations de fait du Tribunal.

38      En réponse à la deuxième branche du moyen, la Commission fait valoir que les éléments de preuve dont l’utilisation par le Tribunal est contestée ont été fournis par les requérantes elles-mêmes pour étayer leur thèse, que le Tribunal était habilité et même tenu de les examiner et que ces éléments n’ajoutent aucun motif nouveau à la décision.

39      La Commission considère que la troisième branche du moyen est irrecevable car les requérantes remettent en cause des appréciations de fait effectuées par le Tribunal.

–       Appréciation de la Cour

40      Ainsi que la Commission l’a relevé, les requérantes ne contestent pas que les sociétés mères d’une entreprise commune peuvent être tenues pour responsables de la participation de celle-ci à une entente illégale ni que le critère dégagé par l’arrêt Akzo est, en principe, applicable aux sociétés mères des entreprises communes.

41      Aux points 52 à 61 de son arrêt, le Tribunal a, sans commettre d’erreur de droit, rappelé la jurisprudence précisant les critères permettant d’imputer à une société mère l’infraction commise en matière de concurrence par sa filiale, telle que la Cour l’a appliquée aux termes de plusieurs de ses récents arrêts (arrêts du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, non encore publié au Recueil, points 37 et 38; du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C‑520/09 P, non encore publié au Recueil, points 38 et 39, ainsi que du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, non encore publié au Recueil, points 54 et 55).

42      Au point 56 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ainsi rappelé que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard, en particulier, aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Ainsi que le souligne la Commission, l’expression «comportement sur le marché» doit être interprétée non pas strictement, mais bien comme visant la politique commerciale de la société (arrêt Akzo, point 61). Cette interprétation est confortée par la référence aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent les deux entités juridiques.

43      Le fait qu’une filiale n’est pas détenue à 100 % par une société mère n’exclut pas l’éventuelle existence d’une unité économique au sens du droit de la concurrence (arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, Rec. p. I‑6375, point 82). Toutefois, ainsi que le Tribunal l’a rappelé au point 58 de l’arrêt attaqué, il incombe, en principe, à la Commission de démontrer, sur la base d’un ensemble d’éléments factuels, dont, en particulier, l’éventuel pouvoir de direction de l’une de ces entreprises à l’égard de l’autre, que la société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale.

44      Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal a examiné attentivement le pouvoir décisionnel d’Otis Belgique sur la politique commerciale de GTO, plus particulièrement aux points 106 à 118 de l’arrêt attaqué. Ainsi qu’il a été décrit au point 30 de la présente ordonnance, le Tribunal a contrôlé l’analyse et les conclusions de la Commission et a vérifié si les documents qui lui avaient été soumis par les requérantes contredisaient ou confortaient la décision litigieuse. Il a conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur de droit.

45      À cet égard, il y a lieu de relever que, par la première branche du moyen, les requérantes reprochent, par ailleurs, au Tribunal de ne pas avoir procédé à un examen suffisamment précis des documents qu’elles lui avaient soumis en annexe de la requête ou des réponses aux questions posées. Les requérantes présentent donc des arguments contradictoires.

46      Pour autant que de besoin, il importe de souligner que le Tribunal est habilité à examiner et à utiliser les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties. Le Tribunal n’a dès lors pas commis d’excès de pouvoir en se fondant sur les statuts de GTO et les procès-verbaux des réunions du conseil d’administration dans la motivation de son arrêt.

47      Les requérantes reprochent au Tribunal de s’être livré à une interprétation erronée des statuts, d’avoir dénaturé la portée des conventions de direction et de gestion de 1987 et de 1995 et d’avoir manifestement dénaturé les faits relatifs aux trois évènements relatés dans les procès-verbaux du conseil d’administration des 6 février 1996, 27 mars 1998 et 5 mars 2004.

48      S’agissant du grief de dénaturation, il y a lieu de relever que les requérantes ne soutiennent pas que le Tribunal aurait procédé à des constatations manifestement inexactes ou qu’il aurait fait une lecture ou une interprétation des éléments de preuve qui lui étaient soumis manifestement inconciliable avec leur libellé clair et précis. Il ressort, en effet, des points 27 à 36 du pourvoi que, en réalité, les requérantes se bornent à contester la conclusion du Tribunal quant au caractère déterminant de l’influence d’Otis Belgique sur GTO. Or, une telle conclusion de fait relève du pouvoir souverain d’appréciation du Tribunal auquel la Cour ne peut se substituer dans le cadre du contrôle qu’elle opère.

49      Eu égard à ces éléments, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu, au point 118 de l’arrêt attaqué, que c’est à bon droit que la Commission a estimé, au considérant 622 de la décision litigieuse, que toutes les décisions importantes au sein de GTO devaient être prises à la majorité de 80 % des votes et que, partant, pendant la période infractionnelle au Luxembourg, GTO exerçait ses activités sous le contrôle commun d’Otis Belgique ainsi que de GT et que la politique commerciale de GTO était déterminée par l’accord commun de ses deux actionnaires. Il s’ensuit que la Commission a pu valablement considérer qu’Otis Belgique et GT devaient être tenues pour responsables de l’infraction de GTO au Luxembourg.

50      Par conséquent, les trois premières branches du premier moyen doivent être rejetées, s’agissant des deux premières comme étant manifestement non fondées et, s’agissant de la troisième, comme étant manifestement irrecevable.

 Sur la quatrième branche du premier moyen

–       Argumentation des parties

51      Par la quatrième branche de leur premier moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal n’a pas motivé le rejet du moyen qu’elles ont soulevé en première instance, tiré du manquement de la Commission à son obligation d’égalité de traitement des sociétés mères de GTO et de MEE.

52      La Commission expose qu’elle n’a pas imputé la responsabilité de l’infraction commise aux Pays-Bas par MEE aux sociétés mères de celle-ci car elle ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que lesdites sociétés mères exerçaient effectivement une influence déterminante sur MEE. Elle considère que le Tribunal a suffisamment motivé sa décision. Elle rappelle, en outre, que le respect du principe de l’égalité de traitement doit se concilier avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que nul ne peut invoquer, au soutien d’un argument fondé sur la discrimination, une illégalité commise en faveur d’autrui.

–       Appréciation de la Cour

53      Le principe d’égalité de traitement, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié, constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, C‑550/07 P, Rec. p. I‑8301, points 54 et 55).

54      Aux points 131 et 132 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a exposé la raison pour laquelle il estimait que les situations, d’une part, de MEE, filiale de MEC et de TBI Holding, et, d’autre part, de GTO, filiale d’Otis Belgique et de GT, n’étaient pas comparables. Le Tribunal a estimé en substance que, dans un cas, il n’était pas établi que les sociétés mères contrôlaient les filiales alors que ce l’était dans l’autre cas.

55      Pour décrire la situation de MEE, le Tribunal s’est référé, aux points 130 et 132 de son arrêt, aux allégations des requérantes dans les affaires portées devant lui, selon lesquelles la Commission aurait, à juste titre, considéré que le contrôle exercé sur MEE par ses sociétés mères MEC et TBI Holding n’était pas suffisant pour leur imputer l’infraction commise par leur filiale.

56      Pour décrire la situation de GTO, le Tribunal s’est référé, au point 131 de l’arrêt attaqué, à sa propre motivation et à sa conclusion selon laquelle c’est à bon droit que la Commission a estimé, au considérant 622 de la décision litigieuse, que, pendant la période infractionnelle au Luxembourg, d’une part, GTO exerçait ses activités sous le contrôle commun d’Otis Belgique ainsi que de GT et, d’autre part, la politique commerciale de GTO était déterminée par l’accord commun de ses deux actionnaires.

57      Il résulte des points 130 à 132 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a motivé à suffisance de droit la considération selon laquelle les situations de MEE et de GTO étaient différentes.

58      Il s’ensuit que la quatrième branche du premier moyen n’est manifestement pas fondée.

 Sur le deuxième moyen, relatif à la détermination du montant de départ de l’amende infligée au titre de l’infraction commise en Allemagne

59      Par le deuxième moyen, les requérantes affirment que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit en ce qu’il confirme la détermination du montant de départ des amendes infligées au titre des infractions commises en Allemagne. Ce moyen est divisé en deux branches, la première étant tirée d’une interprétation erronée des lignes directrices de 1998 et la seconde étant tirée d’une insuffisance de motivation de l’arrêt attaqué.

 Sur la première branche du moyen

–       Argumentation des parties

60      Par la première branche du deuxième moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal a violé le point 1, A, des lignes directrices de 1998 selon lequel «[l]’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné». En effet, le Tribunal aurait jugé, au point 174 de l’arrêt attaqué, que la Commission, lorsqu’elle fixe le montant de départ général de l’amende, n’est pas obligée de tenir compte de la taille du marché affecté. Selon les requérantes, le marché concerné est nécessairement le marché affecté par l’infraction, ce qui est confirmé par la pratique de la Commission consistant à déterminer le montant de départ base de l’infraction à infliger en fonction de la valeur des ventes en relation avec l’infraction. Or, le Tribunal aurait confondu la question relative à l’étendue du marché avec celle de l’impact concret de l’infraction sur celui-ci et n’aurait pas tenu compte de la taille du marché affecté.

61      La Commission répond que les requérantes dénaturent la teneur des lignes directrices de 1998 et méconnaissent la pratique de la Commission en faisant valoir que cette dernière se fonde sur les ventes affectées par l’infraction pour déterminer le montant de départ de l’amende. Ainsi qu’il ressortirait clairement desdites lignes directrices et de la jurisprudence y relative, la taille du marché concerné et l’impact concret de l’entente seraient des éléments facultatifs, ce qui s’expliquerait par le fait que les effets concrets de l’infraction seraient souvent impossibles à mesurer.

–       Appréciation de la Cour

62      Les requérantes reprochent au Tribunal, d’une part, d’opérer une confusion entre la notion de marché concerné et celle d’impact sur le marché et, d’autre part, le fait de ne pas avoir pris en considération le marché concerné.

63      Selon le point 1, A, des lignes directrices de 1998, l’évaluation du critère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné.

64      Selon ces lignes directrices, l’impact concret de l’infraction sur le marché et l’étendue du marché géographique concerné sont deux éléments distincts qui doivent être pris en considération pour déterminer le niveau de gravité de l’infraction. Ainsi, lesdites lignes directrices qualifient d’infractions peu graves, à titre d’exemple, des restrictions visant à limiter les échanges mais dont l’impact sur le marché reste limité, ne concernant en outre qu’une partie substantielle mais relativement étroite du marché communautaire. De même, la définition des infractions graves fait référence à ces deux éléments puisqu’elle vise les infractions dont l’impact sur le marché est plus large et qui peuvent produire leurs effets sur des zones étendues du marché commun.

65      Ainsi que la Cour l’a déjà considéré, il n’est pas toujours possible de déterminer l’impact concret d’une entente sur le marché dès lors que cela suppose de comparer la situation du marché résultant de l’entente avec celle qui serait résultée du libre jeu de la concurrence. Une telle comparaison implique nécessairement le recours à des hypothèses, étant donné la multiplicité des variables susceptibles d’avoir un impact sur le marché (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑272/09 P, non encore publié au Recueil, point 31).

66      S’agissant du marché des marchandises ou des services faisant l’objet de l’infraction, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a rappelé, au point 168 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence de la Cour selon laquelle la taille du marché concerné est, en principe, non pas un élément obligatoire, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et fixer le montant de l’amende (arrêts du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 132, ainsi que du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, Rec. p. I‑7415, point 55).

67      Eu égard au caractère très grave des infractions reprochées, c’est, de même, sans commettre d’erreur de droit que, au point 174 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé la logique forfaitaire sous-jacente à la méthodologie exposée au point 1, A, des lignes directrices de 1998 et a conclu que la Commission, lorsqu’elle fixe le montant de départ général de l’amende, n’est pas obligée de tenir compte de la taille du marché affecté et encore moins de fixer ce montant selon un pourcentage fixe du chiffre d’affaires agrégé du marché.

68      Dans leur pourvoi, les requérantes soutiennent que les points 183 à 188 et 192 à 195 de l’arrêt attaqué attestent de la confusion opérée par le Tribunal entre l’étendue du marché et l’impact concret de l’infraction.

69      Il convient cependant de constater que le Tribunal a, au point 180 de l’arrêt attaqué, réfuté la nécessité de prendre en considération la taille du marché concerné et qu’il a, aux points 181 à 183 de cet arrêt, souligné que la Commission n’avait pas tenu compte de l’impact concret de l’infraction sur le marché dès lors qu’il n’était pas mesurable. En outre, ainsi que cela ressort notamment de l’expression «en tout état de cause» figurant à la fin du point 184 de l’arrêt attaqué, le raisonnement du Tribunal développé aux points 184 à 188 dudit arrêt l’est à titre surabondant, de sorte qu’une critique d’un tel raisonnement ne saurait conduire à l’annulation de l’arrêt attaqué.

70      Il en va de même du raisonnement développé aux points 193 à 195 de l’arrêt attaqué en raison de son caractère surabondant.

71      Il découle de ce qui précède que le Tribunal n’a pas violé les lignes directrices de 1998 et que la première branche du moyen n’est manifestement pas fondée.

 Sur la seconde branche du moyen

–       Argumentation des parties

72      Par la seconde branche du moyen, les requérantes font valoir que la motivation de l’arrêt attaqué relative à la détermination de l’étendue du marché affecté et à la répartition des entreprises concernées en différentes catégories est insuffisante.

73      Les requérantes critiquent, tout d’abord, les points 176, 204, 207 et 208 de l’arrêt attaqué. Elles considèrent que le Tribunal ne motive pas à suffisance de droit sa décision lorsqu’il prend position sur l’étendue du marché affecté par l’infraction. Elles reprochent notamment au Tribunal de s’être référé au marché géographique.

74      Les requérantes considèrent, en outre, que le Tribunal n’a pas examiné ni répondu à leur argumentation relative à la part occupée par Otis Allemagne sur le marché allemand des escaliers mécaniques au regard de celle occupée par Schindler.

75      La Commission fait valoir que, ainsi qu’il ressort de la décision litigieuse, le volume réel des ventes affectées n’avait pas pu être déterminé, de sorte que le Tribunal a contrôlé le montant de départ des amendes en examinant la relation entre ce montant et la valeur totale du marché des produits faisant l’objet des infractions respectives, à savoir, pour l’Allemagne, à la fois les escaliers mécaniques et les ascenseurs.

76      S’agissant du second grief, la Commission soutient que le Tribunal a répondu à l’argumentation des parties aux points 220 et 221 de l’arrêt attaqué.

–       Appréciation de la Cour

77      S’agissant du premier grief, il importe de rappeler que, ainsi qu’il a été souligné au point 66 de la présente ordonnance, la taille du marché concerné par une infraction est, en principe, non pas un élément obligatoire, mais seulement un élément pertinent parmi d’autres pour apprécier la gravité de l’infraction et pour fixer le montant de l’amende.

78      Le Tribunal a néanmoins répondu à l’argumentation des requérantes en se fondant sur la prémisse qu’elles invoquaient. Alors que l’entente concernait à la fois les projets d’escaliers mécaniques et les projets d’ascenseurs, il a contrôlé le montant de base de l’amende, aux points 205 et 206 de son arrêt, en prenant en considération le volume du marché affecté par l’entente selon la thèse des requérantes, à savoir les projets d’ascenseurs de montant élevé. À cet égard, le point 206 de l’arrêt attaqué constitue une réponse suffisamment motivée du Tribunal à la thèse des requérantes.

79      Ce n’est qu’au point 207 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est référé au marché géographique concerné. Il en résulte que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le Tribunal n’a, en tout état de cause, pas confondu cet élément avec le volume du marché affecté.

80      S’agissant de l’argumentation des requérantes relative à la part occupée par Otis Allemagne sur le marché allemand des escaliers mécaniques au regard de celle de Schindler, il suffit de constater que le Tribunal y a répondu à suffisance de droit, aux points 220 et 221 de l’arrêt attaqué, en indiquant de manière claire et précise la raison pour laquelle il convenait de traiter les entreprises Schindler et Otis Allemagne de manière différenciée.

81      Il résulte de ces éléments que la seconde branche du moyen n’est manifestement pas fondée.

 Sur le troisième moyen, relatif à des erreurs de droit commises par le Tribunal en ce qu’il a rejeté la demande d’immunité partielle au titre de l’infraction commise en Allemagne

82      Par le troisième moyen, les requérantes soutiennent que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit et d’excès de pouvoir en ce qu’il refuse de leur accorder le bénéfice d’une «immunité partielle», en application du point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002. Ce moyen est divisé en deux branches, la première étant tirée d’une application erronée des critères d’octroi d’une immunité partielle et la seconde étant tirée d’une violation de l’obligation de motivation visée à l’article 253 CE.

 Sur la première branche

–       Argumentation des parties

83      Par la première branche du moyen, les requérantes soutiennent que le Tribunal n’a pas opéré une correcte application, en droit, des critères d’octroi d’une «immunité partielle». Elles critiquent les points 310 et 311 de l’arrêt attaqué et font valoir que la question qui se pose en droit est non pas de savoir si la Commission «avait déjà été informée» de l’existence de l’«entente» ou de l’«infraction», mais de savoir si la Commission aurait été en mesure d’établir la durée totale de l’existence de l’«entente présumée» sur la base des éléments dont elle disposait avant que le groupe Otis ne demande le bénéfice de la clémence.

84      Elles font également valoir que, en évoquant l’existence d’une «infraction unique et continue», le Tribunal a violé le point 23, sous b), de la communication sur la coopération de 2002. Elles avancent également que la motivation qui sous-tend la décision du Tribunal de rejeter les éléments de preuve apportés par les requérantes contient une contradiction. Enfin, le Tribunal aurait substitué son appréciation des preuves fournies par le groupe Otis à celle de la Commission.

85      La Commission rappelle les conditions d’application du point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 et fait valoir que ces conditions n’étaient pas remplies en l’espèce.

–       Appréciation de la Cour

86      Le point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 dispose que, «si une entreprise fournit des éléments de preuve de faits précédemment ignorés de la Commission qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée, la Commission ne tiendra pas compte de ces faits pour fixer le montant de l’amende infligée à l’entreprise qui les a fournis».

87      Afin de vérifier si c’était à bon droit que la Commission a considéré que le groupe Otis ne pouvait prétendre à une réduction du montant de l’amende au titre de cette disposition, le Tribunal a examiné, au point 310 de l’arrêt attaqué, les éléments que la Commission avait déjà en sa possession au moment où le groupe Otis a communiqué ses informations.

88      La conclusion du Tribunal, à la fin du point 311 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission avait déjà été informée de l’existence de l’entente depuis le mois d’août 1995, constitue une constatation de fait relevant du pouvoir d’appréciation du Tribunal auquel il n’appartient pas à la Cour de se substituer.

89      Par ailleurs, c’est à juste titre que le Tribunal a, au point 312 de l’arrêt attaqué, appliqué le principe selon lequel des déclarations unilatérales, qui ne sont accompagnées d’aucune preuve documentaire précise et concordante de l’infraction, ne constituent pas des éléments de preuve qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente au sens du point 23, sous b), de la communication sur la coopération de 2002. En effet, les éléments fournis par une entreprise au titre du point 23, sous b), de ladite communication doivent être suffisamment précis et étayés, afin de permettre à la Commission de les utiliser, après vérification, dans sa décision finale.

90      En outre, les requérantes n’établissent pas que c’est à tort que le Tribunal aurait indiqué qu’elles ne contestaient pas la constatation par la Commission d’une infraction unique et continue concernant le secteur des ascenseurs et des escaliers mécaniques. En tout état de cause, il ressort des points 310 à 312 de l’arrêt attaqué que la Commission avait déjà été informée de l’existence d’une telle infraction ainsi que de sa durée avant la demande des requérantes, tant pour ce qui concerne le secteur des ascenseurs que pour ce qui concerne celui des escaliers mécaniques. Il s’ensuit que le grief tiré de la constatation d’une infraction unique et continue est inopérant.

91      Enfin, eu égard aux éléments de fait décrits aux points 311 et 312 de l’arrêt attaqué, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, audit point 312, que la demande du groupe Otis concernant l’Allemagne ne contenait pas d’éléments de preuve ayant une incidence directe sur l’un des éléments identifiables de gravité ou de durée de l’infraction. Par conséquent, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 313 de l’arrêt attaqué, que le point 23, sous b), dernier alinéa, de la communication sur la coopération de 2002 n’était pas applicable.

 Sur la seconde branche du moyen

–       Argumentation de parties

92      Par la seconde branche du moyen, les requérantes font valoir que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la décision litigieuse était motivée à suffisance de droit en ce qu’elle a refusé d’octroyer au groupe Otis le bénéfice d’une immunité partielle. Elles critiquent à cet égard les points 314 à 317 de l’arrêt attaqué. Elles font valoir que le fait que le groupe Otis a bénéficié d’une réduction de 25 % au titre de la coopération dont il a fait preuve de manière générale au cours de l’enquête de la Commission est totalement indépendant de toute réduction du montant de base de l’amende fondée sur la communication de preuves précédemment ignorées de cette dernière.

93      La Commission fait valoir que le critère de contrôle, précisé au point 317 de l’arrêt attaqué, est correct et que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que la Commission avait suffisamment motivé sa décision.

–       Appréciation de la Cour

94      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, ainsi que du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission, C‑403/10 P, point 113).

95      Il y a lieu de rappeler que le point 23, sous b), premier alinéa, deuxième tiret, de la communication sur la coopération de 2002 vise les éléments de preuve de l’infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve déjà en possession de la Commission et qui sont apportés par la deuxième entreprise qui fournit ces éléments, tandis que le point 23, sous b), dernier alinéa, de ladite communication vise la preuve de faits précédemment ignorés de la Commission et qui ont une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée.

96      Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 316 de l’arrêt attaqué, la Commission a estimé, aux considérants 795 à 800 de la décision litigieuse, que le groupe Otis ne pouvait bénéficier que d’une réduction de 25 % du montant de l’amende qui lui avait été infligée.

97      Eu égard aux circonstances de l’espèce et aux explications contenues dans la décision litigieuse, contrôlées par le Tribunal dans le cadre du moyen tiré de la violation de la communication sur la coopération de 2002, c’est à juste titre que le Tribunal a conclu, au point 316 de l’arrêt attaqué, que la demande du groupe Otis de pouvoir bénéficier des dispositions du dernier alinéa du point 23, sous b), de ladite communication a nécessairement été rejetée au motif que les conditions de cette disposition n’étaient pas réunies ou, en d’autres termes, que les éléments de preuve qui avaient été présentés, s’agissant de faits précédemment ignorés de la Commission, n’avaient pas une incidence directe sur la gravité ou la durée de l’entente présumée.

98      Il s’ensuit que la seconde branche du moyen n’est manifestement pas fondée.

99      Les trois moyens du pourvoi étant manifestement non fondés ou étant, pour partie, manifestement irrecevables, il y a lieu de rejeter le pourvoi.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Otis Luxembourg Sàrl, Otis SA, Otis GmbH & Co. OHG, Otis BV et Otis Elevator Company sont condamnées aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.