Language of document : ECLI:EU:T:2011:260

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

8 juin 2011(*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Côte d’Ivoire – Gel des fonds – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑86/11,

Nadiany Bamba, demeurant à Abidjan (Côte d’Ivoire), représentée par Mes P. Haïk et J. Laffont, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. B. Driessen et A. Vitro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par Mme E. Cujo et M. M. Konstantinidis, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation, d’une part, de la décision 2011/18/PESC du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant la décision 2010/656/PESC du Conseil renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 11, p. 36), et, d’autre part, du règlement (UE) n° 25/2011 du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant le règlement (CE) n° 560/2005 infligeant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire (JO L 11, p. 1), pour autant qu’ils concernent la requérante,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),

composé de MM. S. Papasavvas (rapporteur), président, V. Vadapalas, Mme K. Jürimäe, MM. K. O’Higgins et M. van der Woude, juges,

greffier : Mme T. Weiler, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 mai 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Nadiany Bamba, est ressortissante de la République de Côte d’Ivoire.

2        Le 15 novembre 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1572 (2004) par laquelle il a, notamment, affirmé que la situation en Côte d’Ivoire continuait de mettre en péril la paix et la sécurité internationales dans la région et décidé d’imposer certaines mesures restrictives à l’encontre de ce pays.

3        L’article 14 de la résolution 1572 (2004) institue un comité (ci-après le « comité des sanctions ») chargé, notamment, de désigner les personnes et les entités visées par les mesures restrictives en matière de déplacements et de gel de fonds, d’avoirs financiers et de ressources économiques qu’impose ladite résolution en ses points 9 et 11 et d’en tenir la liste à jour. La requérante n’a jamais été identifiée par le comité des sanctions comme devant faire l’objet de telles mesures.

4        Le 13 décembre 2004, considérant qu’une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1572 (2004), le Conseil de l’Union européenne a arrêté la position commune 2004/852/PESC, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 368, p. 50).

5        Le 12 avril 2005, estimant qu’un règlement était nécessaire afin de mettre en œuvre au niveau communautaire les mesures décrites dans la position commune 2004/852, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 560/2005, infligeant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire (JO L 95, p. 1).

6        La position commune 2004/852 a été prorogée et modifiée, en dernier lieu, par la position commune 2008/873/PESC du Conseil, du 18 novembre 2008, renouvelant les mesures restrictives instituées à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 308, p. 52), avant d’être abrogée et remplacée par la décision 2010/656/PESC du Conseil, du 29 octobre 2010, renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire (JO L 285, p. 28).

7        Une élection en vue de la désignation du président de la République de Côte d’Ivoire a eu lieu les 31 octobre et 28 novembre 2010.

8        Le 3 décembre 2010, le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire a certifié le résultat définitif du second tour de l’élection présidentielle tel que proclamé par le président de la Commission électorale indépendante le 2 décembre 2010, confirmant M. Alassane Ouattara comme vainqueur de l’élection présidentielle.

9        Le 13 décembre 2010, le Conseil a souligné l’importance de l’élection présidentielle des 31 octobre et 28 novembre 2010 pour le retour de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire et a affirmé que la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien devait impérativement être respectée. Il a également pris acte des conclusions du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire dans le cadre de son mandat de certification et a félicité M. Ouattara pour son élection à la présidence de la République de Côte d’Ivoire.

10      Le 17 décembre 2010, le Conseil européen a appelé tous les responsables civils et militaires ivoiriens qui ne l’avaient pas encore fait à se placer sous l’autorité du président démocratiquement élu, M. Ouattara. Il a confirmé la détermination de l’Union européenne à prendre des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui continueraient à faire obstacle au respect de la volonté exprimée souverainement par le peuple ivoirien.

11      Afin d’imposer des mesures restrictives, en matière de déplacements, à l’encontre de certaines personnes qui, bien que n’étant pas désignées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou le comité des sanctions, font obstruction aux processus de paix et de réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, en particulier celles qui menacent le bon aboutissement du processus électoral, le Conseil a adopté la décision 2010/801/PESC, du 22 décembre 2010, amendant la décision 2010/656 (JO L 341, p. 45). La liste de ces personnes figure à l’annexe II de la décision 2010/656.

12      L’article 4, paragraphe 1, de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision 2010/801, se lit ainsi :

« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes visées à l’annexe I, désignées par le comité des sanctions […] ;

b)      des personnes visées à l’annexe II, non incluses sur la liste figurant à l’annexe I, qui font obstruction au processus de paix et de réconciliation nationale et en particulier menacent le bon aboutissement du processus électoral. »

13      Le 11 janvier 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/17/PESC, modifiant la décision 2010/656 (JO L 11, p. 31), afin d’inscrire, compte tenu de la gravité de la situation en Côte d’Ivoire, d’autres personnes sur la liste de celles visées à l’annexe II de la décision 2010/656.

14      Le 14 janvier 2011, compte tenu de la gravité de la situation en Côte d’Ivoire, le Conseil a adopté la décision 2011/18/PESC, modifiant la décision 2010/656 (JO L 11, p. 36, ci-après la « décision attaquée »), afin d’imposer des mesures restrictives supplémentaires, en particulier de gel de fonds, aux personnes visées à l’annexe II de la décision 2010/656 et de modifier cette liste.

15      L’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision attaquée, se lit ainsi :

« 1. Tous les fonds et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect :

a)      des personnes visées à l’annexe I, désignées par le comité des sanctions [….], ou qui sont détenus par des entités, désignées par le comité des sanctions, qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des premières ou de toute personne agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci,

b)      des personnes ou des entités visées à l’annexe II, non incluses sur la liste figurant à l’annexe I, qui font obstruction au processus de paix et de réconciliation nationale et en particulier mettent en péril le respect du résultat du processus électoral, ou qui sont détenus par des entités qui sont en la possession ou sous le contrôle direct ou indirect des premières ou de toute personne agissant pour le compte ou sur les ordres de celles-ci,

sont gelés.

2. Aucun fonds, avoir financier ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes ou entités visées au paragraphe 1 ou utilisé à leur profit. »

16      Compte tenu de la menace concrète que la situation en Côte d’Ivoire faisait peser sur la paix et la sécurité internationales et afin d’assurer la conformité avec le processus de modification et de révision des annexes I et II de la décision 2010/656, le Conseil a adopté, le 14 janvier 2011, le règlement (UE) n° 25/2011, modifiant le règlement n° 560/2005 (JO L 11, p. 1, ci‑après le « règlement attaqué »).

17      L’article 2 du règlement n° 560/2005, tel que modifié par le règlement attaqué, se lit ainsi :

« 1. Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I ou à l’annexe I A sont gelés.

2. Aucun fonds ou ressource économique n’est mis directement ou indirectement à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés à l’annexe I ou à l’annexe I A ou utilisé à leur profit.

3. La participation volontaire et délibérée à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner les mesures visées aux paragraphes 1 et 2 est interdite.

4. L’annexe I est composée des personnes physiques ou morales, des entités et des organismes visés à l’article 5, paragraphe 1, [sous] a), de la décision [2010/656] telle que modifiée.

5. L’annexe I A est composée des personnes physiques ou morales, des entités et des organismes visés à l’article 5, paragraphe 1, [sous] b), de la décision [2010/656] telle que modifiée. »

18      Par la décision attaquée et le règlement attaqué (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), le Conseil a modifié la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives qui figurent à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005. À cette occasion, le nom de la requérante a été inclus, pour la première fois, au point 6 du tableau A (Personnes) de chacune desdites annexes, avec la mention des motifs suivants : « Directrice du groupe Cyclone éditeur du journal ‘Le temps’ : Obstruction aux processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010 ».

19      Le 18 janvier 2011, le Conseil a publié l’avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2010/656 et par le règlement n° 560/2005 (JO C 14, p. 8). Dans cet avis, le Conseil rappelle qu’il a décidé que les personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision attaquée, et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005, tel que modifié par le règlement attaqué, devraient être incluses dans les listes des personnes et des entités soumises aux mesures restrictives prévues par ces actes. Il attire en outre l’attention de ces personnes et de ces entités sur le fait qu’il est possible de présenter aux autorités compétentes de l’État membre concerné une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser les fonds gelés pour couvrir des besoins essentiels ou procéder à certains paiements. Il précise, par ailleurs, que ces personnes et ces entités peuvent lui envoyer une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur les listes en cause. Le Conseil rappelle enfin la possibilité de contester sa décision devant le Tribunal.

20      Le 31 janvier 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/71/PESC, modifiant la décision 2010/656 (JO L 28, p. 60), et le règlement d’exécution (UE) n° 85/2011, mettant en œuvre le règlement n° 560/2005 (JO L 28, p. 32), par lesquels il a, notamment, procédé à l’inscription de nouvelles personnes et entités sur la liste des personnes et entités figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005.

21      Le 2 février 2011, le Conseil a publié un nouvel avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2010/656 et par le règlement n° 560/2005 (JO C 33, p. 16) fournissant aux personnes concernées les mêmes informations que celles contenues dans l’avis du 18 janvier 2011.

22      Le 6 avril 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/221/PESC, modifiant la décision 2010/656 (JO L 93, p. 20), et le règlement (UE) n° 330/2011, modifiant le règlement n° 560/2005 (JO L 93, p. 10), par lesquels il a, notamment, imposé des mesures restrictives supplémentaires et modifié les listes de personnes et entités figurant aux annexes I et II de la décision 2010/656 et aux annexes I et I A du règlement n° 560/2005.

23      Le 7 avril 2011, le Conseil a publié deux avis à l’attention des personnes auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues dans la décision 2010/656 du Conseil, modifiée par la décision 2011/221, et dans le règlement n° 560/2005, modifié par le règlement n° 330/2011 (JO C 108, p. 2 et 4).

24      Le 8 avril 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/230/PESC, mettant en œuvre la décision 2010/656 (JO L 97, p. 46), et le règlement d’exécution (UE) n° 348/2011, mettant en œuvre le règlement n° 560/2005 (JO L 97, p. 1), par lesquels il a retiré quatre entités de la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005.

25      Le 29 avril 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/261/PESC, mettant en œuvre la décision 2010/656 (JO L 111, p. 17), et le règlement d’exécution (UE) n° 419/2011, mettant en œuvre le règlement n° 560/2005 (JO L 111, p. 1), par lesquels il a retiré six entités de la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005.

 Procédure et conclusions des parties

26      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 février 2011, la requérante a introduit le présent recours.

27      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, elle a introduit une demande de procédure accélérée, au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal.

28      Par décision du 3 mars 2011, le Tribunal (cinquième chambre) a fait droit à la demande visant à ce que le litige soit tranché selon une procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure.

29      Le 13 avril 2011, en application de l’article 14 du règlement de procédure et sur proposition de la cinquième chambre, le Tribunal a décidé de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

30      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

31      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 mai 2011, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil. Par ordonnance du 20 mai 2011, les parties entendues, le président de la cinquième chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 24 mai 2011.

33      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, pour autant qu’ils la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

34      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

35      À l’appui du recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours effectif et, le second, d’une violation du droit de propriété.

36      Par le premier moyen, la requérante fait valoir que les actes attaqués violent les droits de la défense et le droit à un recours devant un tribunal indépendant et impartial, garantis par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2007, C 303, p. 1), et par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Selon elle, les actes attaqués ne prévoient aucune procédure permettant de garantir un exercice effectif des droits de la défense, ne prévoient pas la communication d’une motivation circonstanciée de l’inscription sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives et ne prévoient pas la notification des voies et délais de recours contre la décision d’inscription sur ladite liste, ni ne contiennent d’informations s’y rapportant.

37      Il convient d’examiner d’emblée le grief pris de ce que les actes attaqués ne prévoient pas la communication d’une motivation circonstanciée de l’inscription sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives.

38      À cet égard, il convient de rappeler que l’obligation de motivation constitue le corollaire du principe de respect des droits de la défense. Ainsi, l’obligation de motiver un acte faisant grief a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêts du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, ci-après l’« arrêt OMPI », point 138, et du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, non encore publié au Recueil, point 51).

39      L’efficacité du contrôle juridictionnel, devant pouvoir porter notamment sur la légalité des motifs sur lesquels est fondée, en l’occurrence, l’inclusion du nom d’une personne, d’une entité ou d’un organisme dans la liste constituant l’annexe II de la décision 2010/656 et l’annexe I A du règlement n° 560/2005 et entraînant l’imposition à ces destinataires d’un ensemble de mesures restrictives, implique que l’autorité de l’Union en cause est tenue de communiquer ces motifs à la personne ou entité concernée, dans toute la mesure du possible, soit au moment où cette inclusion est décidée, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’elle l’a été, afin de permettre à ces destinataires l’exercice, dans les délais, de leur droit de recours (voir, en ce sens et par analogie, arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 336, et arrêt Fahas/Conseil, précité, point 60).

40      Compte tenu du fait que l’intéressé ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une mesure initiale imposant de telles mesures, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette mesure, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite mesure (voir arrêt OMPI, point 140, et la jurisprudence citée).

41      En l’espèce, force est de constater, tout d’abord, que, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne ou à une entité les mesures visées à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/656, l’article 7, paragraphe 3, de celle-ci, telle que modifiée par la décision 2010/801, prévoit qu’il communique sa décision à la personne ou à l’entité concernée, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations. Ensuite, l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2010/656, telle que modifiée par la décision 2010/801, prévoit, notamment, que l’annexe II indique les motifs de l’inscription sur la liste des personnes et entités. Enfin, l’article 2 bis, paragraphe 1, et l’article 11 bis, paragraphe 3, du règlement n° 560/2005, insérés dans ce dernier par le règlement attaqué, prévoient des dispositions semblables à celles figurant à l’article 7, paragraphe 3, et à l’article 8, paragraphe 1, de la décision 2010/656, s’agissant de l’inscription sur la liste des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives au titre dudit règlement et d’une inscription à l’annexe I A de celui-ci.

42      Il découle de ce qui précède que la décision 2010/656 et le règlement n° 560/2005 prévoient que les personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives doivent se voir communiquer les motifs justifiant leur inclusion dans les listes figurant à l’annexe II de ladite décision et à l’annexe I A dudit règlement.

43      À cet égard, l’allégation selon laquelle les actes attaqués ne prévoiraient pas la communication, de manière précise et détaillée, des causes de l’accusation et la nature de celle-ci doit être écartée, dès lors qu’elle repose, eu égard à la jurisprudence évoquée par la requérante, sur la prémisse selon laquelle les mesures restrictives en cause en l’espèce seraient de nature pénale et que l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH serait applicable. Or, ces mesures restrictives ne constituent pas une sanction pénale et n’impliquent, par ailleurs, aucune accusation de cette nature (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié au Recueil, point 101, et Fahas/Conseil, précité, point 67). Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH, selon lequel tout accusé a droit notamment à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui, n’est applicable qu’en matière pénale (arrêt de la Cour du 8 mai 2008, Weiss und Partner, C‑14/07, Rec. p. I‑3367, point 57).

44      Il reste encore à vérifier si, en l’espèce, les motifs justifiant l’inclusion de la requérante dans la liste des personnes figurant à l’annexe II de la décision 2010/656 et à l’annexe I A du règlement n° 560/2005 lui ont été communiqués de manière à ce qu’elle puisse exercer ses droits de la défense et son droit à un recours juridictionnel effectif.

45      Selon la requérante, les motifs figurant dans les annexes des actes attaqués (voir point 18 ci-dessus) ne constituent pas une motivation au sens de l’article 6 de la CEDH et, en l’absence de présentation de faits circonstanciés qui lui seraient imputables, elle ne pourrait pas connaître, de manière détaillée, la nature et la cause de l’accusation portée contre elle. Dans ce contexte, elle souligne qu’elle conteste s’être livrée à une obstruction aux processus de paix et de réconciliation, à des incitations à la haine et à la violence ainsi qu’à des campagnes de désinformation, mais constate qu’il ne lui est pas permis de le faire valoir. Par conséquent, il lui serait impossible de contester, devant le juge de l’Union, le bien-fondé des accusations portées contre elle.

46      Le Conseil objecte que les actes attaqués satisfont à l’obligation de motivation prévue par l’article 296 TFUE et précisée par la jurisprudence. Les motifs figurant dans les actes attaqués seraient suffisants pour permettre à la requérante de connaître les raisons pour lesquelles elle a été désignée et la placer dans une situation lui permettant de contester lesdits motifs.

47      À cet égard, il doit être rappelé que, en principe, la motivation d’un acte du Conseil imposant des mesures restrictives, telles que celles en cause en l’espèce, doit porter non seulement sur les conditions légales d’application de cet acte, mais également sur les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens et par analogie, arrêts OMPI, point 146, et Fahas/Conseil, précité, point 53).

48      Le Conseil disposant d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption ou du maintien d’une mesure de gel des fonds, il ne saurait être exigé qu’il indique de façon plus spécifique en quoi le gel des fonds de la requérante contribue, de façon concrète, à lutter contre l’obstruction au processus de paix et de réconciliation nationale ou qu’il fournisse des preuves tendant à démontrer que l’intéressée pourrait utiliser ses fonds pour faire procéder à une telle obstruction à l’avenir (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Fahas/Conseil, précité, point 57, et la jurisprudence citée).

49      En l’espèce, il découle, en substance, des considérants 6 et 7 de la décision attaquée que c’est compte tenu de la gravité de la situation en Côte d’Ivoire que le Conseil a, notamment, décidé de modifier la liste des personnes faisant l’objet des mesures restrictives figurant à l’annexe II de la décision 2010/656. De même, selon le considérant 4 du règlement attaqué, c’est compte tenu de la menace concrète que la situation en Côte d’Ivoire fait peser sur la paix et la sécurité internationales et afin d’assurer la conformité avec le processus de modification et de révision des annexes I et II de la décision 2010/656 que le Conseil a modifié les listes figurant aux annexes I et I A du règlement n° 560/2005.

50      Il ressort par ailleurs du point 6 du tableau A de l’annexe II de la décision 2010/656 et du tableau A de l’annexe I A du règlement n° 560/2005 que la requérante a été inscrite sur les listes figurant auxdites annexes au motif qu’elle était directrice du groupe Cyclone, éditeur du journal « Le temps », et qu’elle s’est livrée à des obstructions aux processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010.

51      Force est de constater que, par cette motivation, le Conseil se contente d’exposer des considérations vagues et générales. Il n’indique en effet pas les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que la requérante doit faire l’objet des mesures restrictives en cause.

52      En particulier, l’indication que la requérante est directrice du groupe Cyclone, éditeur du journal « Le temps », ne constitue pas une circonstance de nature à motiver de manière suffisante et spécifique les actes attaqués à son égard. Cette indication ne permet en effet pas de comprendre en quoi la requérante se serait livrée à des obstructions aux processus de paix et de réconciliation par l’incitation publique à la haine et à la violence et par la participation à des campagnes de désinformation en rapport avec l’élection présidentielle de 2010. Aucun élément concret, qui serait reproché à la requérante et qui pourrait justifier les mesures en cause, n’est ainsi évoqué.

53      Certes, selon la jurisprudence, une publication détaillée des griefs retenus à la charge des intéressés pourrait non seulement se heurter aux considérations impérieuses d’intérêt général touchant à la sûreté de l’Union et de ses États membres, ou à la conduite de leurs relations internationales, mais aussi porter atteinte aux intérêts légitimes des personnes et des entités en question, dans la mesure où elle est susceptible de nuire gravement à leur réputation, de sorte qu’il convient d’admettre exceptionnellement que seuls le dispositif ainsi qu’une motivation générale doivent figurer dans la version de la décision de gel des fonds publiée au Journal officiel, étant entendu que la motivation spécifique et concrète de cette décision doit être formalisée et portée à la connaissance des intéressés par toute autre voie appropriée (voir, en ce sens et par analogie, arrêt OMPI, point 147). Toutefois, aucun élément ne permet de considérer que, dans les circonstances de l’espèce, la publication détaillée des griefs retenus à la charge de la requérante se serait heurtée à de telles considérations impérieuses d’intérêt général ou aurait porté atteinte à de tels intérêts légitimes. Le Conseil n’en a d’ailleurs évoqué aucun.

54      Enfin, même si, en cas, non d’absence, mais, comme en l’espèce, d’insuffisance de motivation, des motifs produits en cours de procédure peuvent, dans des cas exceptionnels, rendre sans objet un moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation (arrêt de la Cour du 28 février 2008, Neirinck/Commission, C‑17/07 P, non publié au Recueil, point 51), force est de constater, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère exceptionnel du cas d’espèce, que, en tout état de cause, aucune motivation supplémentaire n’a été communiquée à la requérante à la suite de l’adoption des actes attaqués ou même lors de la procédure devant le Tribunal. Le Conseil s’est en effet borné, au cours de la procédure écrite, à rappeler que la requérante a été inscrite sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives en raison de « sa responsabilité pour la campagne de désinformation et d’incitation à la haine et à la violence intercommunautaire en Côte d’Ivoire », en ajoutant qu’elle était « l’un des collaborateurs les plus importants » de M. Laurent Gbagbo et qu’il s’agissait de sa « deuxième épouse ». Néanmoins, lors de l’audience, il a indiqué au Tribunal que ce n’était pas cette dernière qualité qui avait justifié l’inscription de la requérante sur ladite liste.

55      Dans ce contexte, il convient encore de constater que le fait que la requérante n’ait pas, à la suite de la publication des actes attaqués ou de l’avis du 18 janvier 2011, demandé au Conseil de lui communiquer les motifs spécifiques et concrets de son inclusion sur la liste en cause est sans pertinence en l’espèce, dès lors que l’obligation de motivation incombe au Conseil et que ce dernier doit s’en acquitter soit au moment où cette inclusion est décidée, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après qu’elle l’a été, selon la jurisprudence visée au point 39 ci-dessus.

56      Il résulte de ce qui précède que la motivation des actes attaqués n’a pas permis à la requérante d’en contester la validité devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle sur leur légalité.

57      Il s’ensuit que les actes attaqués doivent être annulés, pour autant qu’ils concernent la requérante, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs du présent moyen et le second moyen.

58      En ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation du règlement attaqué, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci. Le Conseil dispose donc d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification du présent arrêt, pour remédier à la violation constatée en adoptant, le cas échéant, une nouvelle mesure restrictive à l’égard de la requérante. En l’espèce, le risque d’une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose le règlement attaqué n’apparaît pas suffisamment élevé, compte tenu de l’importante incidence de ces mesures sur les droits et les libertés de la requérante, pour justifier le maintien des effets dudit règlement à l’égard de cette dernière pendant une période allant au-delà de celle prévue à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour.

59      En ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision attaquée, il convient de rappeler que l’article 264, second alinéa, TFUE, en vertu duquel le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs, est susceptible de s’appliquer, par analogie, également à une décision lorsqu’il existe d’importants motifs de sécurité juridique, comparables à ceux qui interviennent en cas d’annulation de certains règlements, justifiant que le juge de l’Union exerce le pouvoir que lui confère, dans ce contexte, l’article 264, second alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 26 mars 1996, Parlement/Conseil, C‑271/94, Rec. p. I‑1689, point 40 ; du 12 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C-106/96, Rec. p. I‑2729, point 41, et du 28 mai 1998, Parlement/Conseil, C‑22/96, Rec. p. I‑3231, points 41 et 42). En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement attaqué et de celle de la décision attaquée serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant à la requérante des mesures identiques. Les effets de la décision attaquée doivent donc être maintenus en ce qui concerne la requérante jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement attaqué.

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

61      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Il y a donc lieu d’ordonner que la Commission supportera ses dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision 2011/18/PESC du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant la décision 2010/656/PESC du Conseil renouvelant les mesures restrictives instaurées à l’encontre de la Côte d’Ivoire, et le règlement (UE) n° 25/2011 du Conseil, du 14 janvier 2011, modifiant le règlement (CE) n° 560/2005 infligeant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Côte d’Ivoire, sont annulés, pour autant qu’ils concernent Mme Nadiany Bamba.

2)      Les effets de la décision 2011/18 sont maintenus en ce qui concerne Mme Bamba jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement n° 25/2011.

3)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par Mme Bamba.

4)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Papasavvas

Vadapalas

Jürimäe

O’Higgins

 

      Van der Woude

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juin 2011.

Signatures


* Langue de procédure : le français.