Language of document : ECLI:EU:C:2005:169

Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
15 mars 2005 (1)

«Citoyenneté de l'Union – Articles 12 CE et 18 CE – Aide accordée aux étudiants sous forme d'un prêt subventionné – Disposition limitant l'octroi d'un tel prêt aux étudiants établis sur le territoire national»

Dans l'affaire C-209/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 12 février 2003, parvenue à la Cour le 15 mai 2003, dans la procédure

The Queen, à la demande de:

Dany Bidar,

contre

London Borough of Ealing,

Secretary of State for Education and Skills,



LA COUR (grande chambre),



composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts (rapporteur) et A. Borg Barthet, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. M. Ilešič, J. Malenovský, J. Klučka et U. Lõhmus, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 28 septembre 2004,

considérant les observations présentées:

pour M. Bidar, par MM. R. Scannell et M. Soorjoo, barristers, et M. J. Luqmani, solicitor,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme R. Caudwell, en qualité d'agent, assistée de Mme E.  Sharpston, QC, et de M. C. Lewis, barrister,

pour le gouvernement danois, par M. J. Molde, en qualité d'agent,

pour le gouvernement allemand, par M. C.-D. Quassowski et Mme A. Tiemann, en qualité d'agents,

pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot-Nunes, en qualité d'agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. M. Wissels et H. G. Sevenster, en qualité d'agents,

pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d'agent,

pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d'agent,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes N. Yerrell et M. Condou, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 11 novembre 2004,

rend le présent



Arrêt



1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 12, premier alinéa, CE et 18 CE.

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Bidar au London Borough of Ealing et au Secretary of State for Education and Skills (ministre de l’Éducation et de la formation professionnelle) à propos du refus opposé à sa demande de prêt subventionné pour étudiant visant à couvrir ses frais d’entretien.


Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3
L’article 12, premier alinéa, CE dispose:

«Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

4
L’article 18, paragraphe 1, CE est libellé comme suit:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

5
L’article 149 CE dispose:

«1.    La Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.

2.      L’action de la Communauté vise:

à développer la dimension européenne dans l’éducation, notamment par l’apprentissage et la diffusion des langues des États membres;

à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’études;

à promouvoir la coopération entre les établissements d’enseignement;

à développer l’échange d’informations et d’expériences sur les questions communes aux systèmes d’éducation des États membres;

à favoriser le développement des échanges de jeunes et d’animateurs socio-éducatifs;

à encourager le développement de l’éducation à distance.

[…]

4.      Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article, le Conseil adopte:

statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres;

statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, des recommandations.»

6
La directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, que les États membres accordent le droit de séjour aux ressortissants des États membres qui ne bénéficient pas de ce droit en vertu d’autres dispositions du droit communautaire, ainsi qu’aux membres de leur famille, à condition qu’ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques dans l’État membre d’accueil et de ressources suffisantes pour éviter qu’ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l’assistance sociale dudit État.

7
Selon l’article 3 de cette directive, le droit de séjour demeure tant que les bénéficiaires de ce droit répondent aux conditions prévues à l’article 1er de celle-ci.

8
Aux termes du septième considérant de la directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59):

«[...] en l’état actuel du droit communautaire, une aide accordée aux étudiants pour leur entretien ne relève pas, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice, du domaine d’application du traité [CEE] au sens de l’article 7 dudit traité [devenu article 6 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 12 CE].»

9
Cette directive prévoit à son article 1er:

«Afin de préciser les conditions destinées à faciliter l’exercice du droit de séjour et en vue de garantir l’accès à la formation professionnelle, de manière non discriminatoire, au bénéfice d’un ressortissant d’un État membre qui a été admis à suivre une formation professionnelle dans un autre État membre, les États membres reconnaissent le droit de séjour à tout étudiant ressortissant d’un État membre qui ne dispose pas de ce droit sur la base d’une autre disposition du droit communautaire, ainsi qu’à son conjoint et à leurs enfants à charge et qui, par déclaration ou, au choix de l’étudiant, par tout autre moyen au moins équivalent, assure à l’autorité nationale concernée disposer de ressources afin d’éviter qu’ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l’assistance sociale de l’État membre d’accueil, à condition qu’il soit inscrit dans un établissement agréé pour y suivre, à titre principal, une formation professionnelle et qu’il dispose d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques dans l’État membre d’accueil.»

10
L’article 3 de ladite directive dispose:

«La présente directive ne constitue pas le fondement d’un droit au paiement, par l’État membre d’accueil, de bourses d’entretien aux étudiants bénéficiant du droit de séjour.»

11
Les directives 90/364 et 93/96 ont été abrogées, avec effet au 30 avril 2006 par la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (JO L 229, p. 35), laquelle doit, en vertu de son article 40, être transposée par les États membres avant le 30 avril 2006.

La réglementation nationale

12
En Angleterre et au pays de Galles, l’aide financière dont bénéficient les étudiants pour couvrir leurs frais d’entretien est, conformément aux Education (Student Support) Regulations 2001 [règlement de 2001 sur l’enseignement (soutien financier accordé aux étudiants), ci-après les «Student Support Regulations»], octroyée essentiellement au moyen de prêts.

13
En vertu des Student Support Regulations, les étudiants bénéficiaires d’un prêt reçoivent 75 % du montant maximum de celui-ci, les 25 % restants étant octroyés en fonction de la situation financière de l’étudiant et de celle de ses parents ou de son partenaire. Le prêt est accordé à un taux d’intérêt lié au taux de l’inflation et, par conséquent, inférieur au taux normal d’un prêt commercial. Il est remboursable après que l’étudiant a terminé ses études et à condition qu’il bénéficie d’un revenu supérieur à 10 000 GBP. Si tel est le cas, il verse chaque année un montant équivalent à 9 % de la tranche de ses revenus supérieure à 10 000 GBP, jusqu’au remboursement de la totalité du prêt.

14
Selon l’article 4 des Student Support Regulations, une personne peut bénéficier d’un prêt pour étudiant pour un cursus spécifié si sa situation figure parmi celles mentionnées à l’annexe 1 («Schedule 1») des Student Support Regulations.

15
En vertu du paragraphe 1 de cette annexe, une personne peut bénéficier d’un prêt étudiant si elle est établie au Royaume-Uni au sens de l’Immigration Act 1971 (loi de 1971 sur l’immigration) et si elle remplit les conditions de résidence fixées au paragraphe 8 de la même annexe, à savoir:

a)
qu’elle réside ordinairement en Angleterre ou au pays de Galles le premier jour de la première année académique du cursus;

b)
qu’elle ait résidé ordinairement, pendant la période de trois ans précédant ce jour, au Royaume-Uni ou dans les Îles, et

c)
que, à aucun moment de cette période de trois ans, la résidence au Royaume-Uni ou dans les Îles n’ait visé, entièrement ou principalement, à recevoir une éducation à plein temps.

16
S’agissant des travailleurs migrants et des membres de leur famille relevant du règlement (CEE) nº 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), les paragraphes 4 à 6 de l’annexe 1 des Student Support Regulations n’imposent pas à ceux-ci d’être établis au Royaume-Uni et subordonnent le droit à un prêt pour étudiant à ces mêmes conditions de résidence, tout en considérant qu’ils satisfont à l’exigence relative à la résidence ordinaire prévue au paragraphe 8, sous b), de ladite annexe dès l’instant où ils résident dans l’Espace économique européen.

17
Selon l’Immigration Act 1971, une personne est établie au Royaume-Uni si elle y est ordinairement résidente, sans être soumise à quelque restriction que ce soit en ce qui concerne la période pendant laquelle elle peut séjourner sur le territoire.

18
Toutefois, il ressort du dossier que, selon la législation britannique, un ressortissant d’un autre État membre ne peut obtenir, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie au Royaume-Uni.

19
S’agissant des frais de scolarité, les Student Support Regulations prévoient un soutien financier accordé dans les mêmes conditions aux ressortissants du Royaume-Uni et à ceux d’autres États membres.


Le litige au principal et les questions préjudicielles

20
En août 1998, M. Bidar, ressortissant français, est entré sur le territoire du Royaume-Uni, accompagnant sa mère qui devait y subir un traitement médical. Il est constant que, au Royaume-Uni, le requérant a habité chez sa grand-mère, à la charge de cette dernière, et a poursuivi puis terminé ses études secondaires, sans jamais faire appel à l’aide sociale.

21
En septembre 2001, il a entamé des études d’économie à l’University College London.

22
Alors que M. Bidar a bénéficié d’une aide au titre de ses frais de scolarité, la demande d’aide financière destinée à couvrir ses frais d’entretien, sous la forme d’un prêt pour étudiant, lui a été refusée au motif qu’il n’était pas établi au Royaume-Uni.

23
Dans le recours dirigé contre cette décision de refus, le requérant au principal soutient que les Student Support Regulations, en soumettant l’octroi d’un prêt pour étudiant à un ressortissant d’un État membre à la condition que ce ressortissant soit établi au Royaume-Uni, ont instauré une discrimination interdite en vertu de l’article 12 CE. Il fait valoir, à titre subsidiaire, que s’il devait être admis que l’octroi d’une bourse échappe au champ d’application du traité, il n’en est pas de même d’une demande d’aide revêtant la forme d’un prêt subventionné.

24
Au contraire, le Secretary of State for Education and Skills, autorité responsable de l’adoption des Student Support Regulations, fait valoir que l’octroi d’une aide pour les frais d’entretien, que ce soit sous la forme d’une bourse ou d’un prêt, ne relève pas du domaine d’application de l’article 12 CE, ainsi que la Cour l’aurait reconnu dans ses arrêts du 21 juin 1988, Lair (39/86, Rec. p. 3161) et Brown (197/86, Rec. p. 3205). Quand bien même une telle aide relèverait du champ d’application du traité, les conditions d’octroi de cette aide garantiraient l’existence d’un lien direct entre le bénéficiaire de l’aide et l’État qui finance celle-ci.

25
La juridiction de renvoi fait remarquer que les prêts aux étudiants représentent un coût pour l’État, en raison des taux d’intérêt réduits et des problèmes éventuels de remboursement, coût estimé par le Secretary of State for Education and Skills à un montant équivalent à 50 % de celui des prêts. Le prêt moyen accordé à un étudiant pour l’année académique 2000/2001 aurait été de 3 155 GBP. Si les 41 713 ressortissants de l’Union européenne ayant fait leurs études en Angleterre et au pays de Galles, au cours de cette année, sans y être établis, avaient bénéficié d’un prêt pour étudiant, le coût probable pour l’État aurait donc été de 66 millions de GBP.

26
Selon la juridiction de renvoi, le requérant au principal ne relève pas des dispositions du règlement nº 1612/68 et il ne peut se prévaloir d’aucun droit au bénéfice d’un prêt pour étudiant sur le fondement de la directive 93/96.

27
C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
À la lumière des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 21 juin 1988, Lair [précité] et Brown [précité], des développements du droit de l’Union européenne, y compris l’adoption de l’article 18 CE, et des développements relatifs à la compétence de l’Union européenne en matière d’éducation, une aide pour les frais d’entretien concernant les étudiants suivant des cours universitaires, accordée sous la forme a) de prêts subventionnés ou b) de bourses, continue-t-elle de rester en dehors du champ d’application du traité CE aux fins de l’article 12 CE et de l’interdiction de discrimination exercée en raison de la nationalité?

2)
Si l’une ou l’autre partie de la première question reçoit une réponse négative et si l’aide pour les frais d’entretien pour les étudiants revêtant la forme de bourses ou de prêts relève désormais du champ d’application de l’article 12 CE, quels critères la juridiction nationale doit-elle appliquer pour déterminer si les conditions d’octroi d’une telle aide sont fondées sur des considérations objectivement justifiables indépendantes de la nationalité?

3)
Si l’une ou l’autre partie de la première question reçoit une réponse négative, l’article 12 CE peut-il être invoqué pour prétendre au bénéfice de l’aide pour les frais d’entretien à partir d’une date antérieure à l’arrêt de la Cour de justice en l’espèce et [sinon], une exception doit-elle être faite pour ceux qui ont engagé une action judiciaire avant cette date?»


Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

28
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si, en l’état actuel du droit communautaire, une aide accordée aux étudiants poursuivant des études supérieures, destinée à couvrir leurs frais d’entretien et octroyée sous la forme d’un prêt subventionné ou d’une bourse, échappe au domaine d’application du traité, et notamment de l’article 12, premier alinéa, CE.

29
Il ressort de la décision de renvoi que le requérant au principal ne relève pas du règlement nº 1612/68.

30
Dans ce contexte, la juridiction de renvoi cherche à savoir si les aides accordées aux étudiants pour couvrir leurs frais d’entretien entrent dans le domaine d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE, selon lequel et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit est interdite, dans ledit domaine, toute discrimination exercée en raison de la nationalité.

31
Pour apprécier le domaine d’application du traité au sens de l’article 12 CE, il convient de lire cet article en combinaison avec les dispositions du traité sur la citoyenneté de l’Union. En effet, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, Rec. p. I‑6193, points 30 et 31, et du 2 octobre 2003, Garcia Avello, C‑148/02, Rec. p. I‑11613, points 22 et 23).

32
Selon une jurisprudence constante, un citoyen de l’Union qui réside légalement sur le territoire de l’État membre d’accueil peut se prévaloir de l’article 12 CE dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit communautaire (arrêts du 12 mai 1998, Martínez Sala, C‑85/96, Rec. p. I‑2691, point 63, et Grzelczyk, précité, point 32).

33
Ces situations comprennent notamment celles relevant de l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité et celles relevant de l’exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 18 CE (voir arrêt du 24 novembre 1998, Bickel et Franz, C‑274/96, Rec. p. I‑7637, points 15 et 16, ainsi que arrêts précités Grzelczyk, point 33, et Garcia Avello, point 24).

34
En outre, rien dans le texte du traité ne permet de considérer que les étudiants qui sont des citoyens de l’Union, lorsqu’ils se déplacent dans un autre État membre pour y poursuivre des études, sont privés des droits conférés par le traité aux citoyens de l’Union (arrêt Grzelczyk, précité, point 35).

35
Ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 11 juillet 2002, D’Hoop (C‑224/98, Rec. p. I‑6191, points 29 à 34), un ressortissant d’un État membre qui se rend dans un autre État membre où il suit des études secondaires, fait usage de la liberté de circuler garantie par l’article 18 CE.

36
Il importe de préciser, en outre, qu’un ressortissant d’un État membre qui, comme le requérant au principal, habite dans un autre État membre où il poursuit et termine ses études secondaires, sans que lui soit opposé le fait de ne pas disposer de ressources suffisantes ou d’une assurance maladie, bénéficie d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 18 CE et de la directive 90/364.

37
S’agissant de prestations d’assistance sociale, la Cour a jugé, dans son arrêt du 7 septembre 2004, Trojani (C‑456/02, non encore publié au Recueil, point 43), qu’un citoyen de l’Union économiquement non actif peut invoquer l’article 12, premier alinéa, CE dès lors qu’il a séjourné légalement dans l’État membre d’accueil pendant une certaine période ou qu’il dispose d’une carte de séjour.

38
Il est vrai que la Cour a jugé, dans les arrêts Lair et Brown, précités (respectivement points 15 et 18), que, «au stade actuel de l’évolution du droit communautaire, une aide accordée aux étudiants pour l’entretien et pour la formation échappe, en principe, au domaine d’application du traité CEE au sens de son article 7 (devenu article 6 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 12 CE)». Dans ces arrêts, la Cour a considéré qu’une telle aide relevait, d’une part, de la politique de l’enseignement, laquelle n’avait pas été soumise en tant que telle à la compétence des institutions communautaires, et, d’autre part, de la politique sociale, qui appartenait au domaine de la compétence des États membres dans la mesure où elle n’avait pas fait l’objet de dispositions particulières du traité CEE.

39
Toutefois, depuis le prononcé des arrêts Lair et Brown, précités, le traité sur l’Union européenne a introduit la citoyenneté de l’Union dans le traité CE et a ajouté dans la troisième partie de celui-ci, au titre VIII (devenu titre XI), un chapitre 3 consacré notamment à l’éducation et à la formation professionnelle (arrêt Grzelczyk, précité, point 35).

40
Ainsi, l’article 149, paragraphe 1, CE assigne à la Communauté la mission de contribuer au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action, tout en respectant pleinement la responsabilité desdits États pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.

41
En vertu des paragraphes 2 et 4 du même article, le Conseil peut adopter des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, ainsi que des recommandations visant notamment à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants (voir arrêt D’Hoop, précité, point 32).

42
Au vu de ces éléments, intervenus depuis le prononcé des arrêts Lair et Brown, précités, il convient de considérer que la situation d’un citoyen de l’Union qui séjourne légalement dans un autre État membre entre dans le champ d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE en vue de l’obtention d’une aide accordée aux étudiants, que ce soit sous la forme d’un prêt subventionné ou d’une bourse, et visant à couvrir ses frais d’entretien.

43
Cette évolution du droit communautaire se trouve confirmée par l’article 24 de la directive 2004/38, qui énonce, à son paragraphe 1, que tout citoyen de l’Union séjournant sur le territoire d’un autre État membre en vertu de cette directive bénéficie de l’égalité de traitement «dans le domaine d’application du traité». Dans la mesure où, au paragraphe 2 de ce même article, le législateur communautaire a précisé le contenu du paragraphe 1, en disposant qu’un État membre peut, s’agissant de personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut ou les membres de leur famille, limiter l’octroi des aides d’entretien, sous la forme de bourses ou de prêts, pour les étudiants n’ayant pas acquis un droit de séjour permanent, il considère que l’octroi de telles aides est une matière qui, selon ledit paragraphe 1, relève, à l’heure actuelle, du domaine d’application du traité.

44
Cette interprétation n’est pas infirmée par l’argument avancé par les gouvernements ayant déposé des observations ainsi que par la Commission, relatif aux limitations et conditions visées à l’article 18 CE. Ces gouvernements et la Commission relèvent que, si le statut de citoyen de l’Union permet aux ressortissants des États membres d’invoquer l’article 12, premier alinéa, CE lorsqu’ils exercent la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire de ces États, leur situation n’entre dans le champ d’application du traité au sens de l’article 12 CE que, conformément au paragraphe 1 de l’article 18 CE, sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions prises pour son application, dont notamment celles fixées par la directive 93/96. Dès lors que l’article 3 de celle-ci exclut le droit au paiement de bourses d’entretien aux étudiants bénéficiant du droit de séjour, ces dernières continueraient à rester en dehors du champ d’application du traité.

45
À cet égard, il convient de constater que, certes, les étudiants qui se rendent dans un autre État membre afin d’y entamer ou d’y poursuivre des études supérieures et qui y bénéficient, à cette fin, en vertu de la directive 93/96, d’un droit de séjour ne sauraient fonder aucun droit au paiement d’une aide pour leur entretien sur cette directive.

46
Toutefois, l’article 3 de la directive 93/96 ne fait pas obstacle à ce qu’un ressortissant d’un État membre qui, en vertu de l’article 18 CE et de la directive 90/364, séjourne légalement sur le territoire d’un autre État membre où il envisage d’entamer ou de poursuivre des études supérieures invoque, pendant ce séjour, le principe fondamental d’égalité de traitement consacré à l’article 12, premier alinéa, CE.

47
Dans un contexte, tel que celui du litige au principal, où le droit de séjour du demandeur de l’aide n’est pas mis en cause, est par ailleurs sans pertinence l’allégation de certains des gouvernements ayant déposé des observations selon laquelle le droit communautaire permet à un État membre de constater qu’un ressortissant d’un autre État membre qui a recours à l’assistance sociale ne remplit plus les conditions auxquelles est soumis son droit de séjour et, le cas échéant, de prendre, dans le respect des limites imposées par le droit communautaire, une mesure d’éloignement à l’encontre de ce ressortissant (voir arrêts précités Grzelczyk, point 42, et Trojani, point 45).

48
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question qu’une aide accordée, que ce soit sous la forme de prêts subventionnés ou de bourses, aux étudiants séjournant légalement dans l’État membre d’accueil et visant à couvrir leurs frais d’entretien, entre dans le champ d’application du traité aux fins de l’interdiction de discrimination énoncée à l’article 12, premier alinéa, CE.

Sur la deuxième question

49
Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à connaître les critères que la juridiction nationale doit appliquer pour déterminer si les conditions d’octroi d’une aide visant à couvrir les frais d’entretien des étudiants sont fondées sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité.

50
À cette fin, il convient au préalable d’examiner si la réglementation en cause au principal opère, parmi les étudiants sollicitant une telle aide, une distinction fondée sur la nationalité.

51
Il faut rappeler, à cet égard, que le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu, 152/73, Rec. p. 153, point 11; du 27 novembre 1997, Meints, C‑57/96, Rec. p. I‑6689, point 44, et du 26 juin 2001, Commission/Italie, C‑212/99, Rec. p. I‑4923, point 24).

52
S’agissant des personnes ne relevant pas du règlement nº 1612/68, le paragraphe 1 de l’annexe 1 des Student Support Regulations exige, pour l’octroi aux étudiants d’une aide visant à couvrir leurs frais d’entretien, que la personne concernée soit établie au Royaume-Uni au sens du droit national et qu’elle remplisse certaines conditions de résidence, à savoir celle de résider en Angleterre ou au pays de Galles le premier jour de la première année académique et celle d’avoir résidé au Royaume-Uni ou dans les Îles durant les trois années précédant ce jour.

53
De telles exigences risquent de désavantager principalement les ressortissants d’autres États membres. En effet, tant la condition exigeant du demandeur de cette aide d’être établi au Royaume-Uni que celle qui lui impose une résidence sur le territoire britannique antérieurement aux études sont susceptibles d’être plus facilement remplies par les ressortissants nationaux.

54
Une telle différence de traitement ne peut être justifiée que si elle se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national (voir arrêts précités Bickel et Franz, point 27; D’Hoop, point 36, et Garcia Avello, point 31).

55
Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il est légitime pour un État membre de s’assurer que la contribution des parents ou des étudiants, au moyen des prélèvements opérés par l’impôt, est ou sera suffisante pour justifier l’octroi de prêts subventionnés. Il serait également légitime d’exiger un lien réel entre l’étudiant demandant l’aide visant à couvrir ses frais d’entretien et le marché du travail de l’État membre d’accueil.

56
À cet égard, il convient de relever que, bien que les États membres soient appelés à faire preuve, dans l’organisation et l’application de leur système d’assistance sociale, d’une certaine solidarité financière avec les ressortissants d’autres États membres (voir arrêt Grzelczyk, point 44), il est loisible à tout État membre de veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État.

57
S’agissant d’une aide couvrant les frais d’entretien des étudiants, il est ainsi légitime pour un État membre de n’octroyer une telle aide qu’aux étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État.

58
Dans ce contexte, un État membre ne saurait cependant exiger des étudiants concernés qu’ils établissent un lien avec son marché du travail. En effet, dès lors que les connaissances acquises par un étudiant au cours de ses études supérieures ne destinent généralement pas celui-ci à un marché géographique du travail donné, la situation d’un étudiant sollicitant une aide visant à couvrir ses frais d’entretien n’est pas comparable à celle du demandeur d’une allocation d’attente accordée aux jeunes qui sont à la recherche de leur premier emploi ou d’une allocation de recherche d’emploi (voir, respectivement, à cet égard, arrêts D’Hoop, précité, point 38, et du 23 mars 2004, Collins, C‑138/02, non encore publié au Recueil, point 67).

59
En revanche, l’existence d’un certain degré d’intégration peut être considérée comme établie par la constatation selon laquelle l’étudiant en cause a, pendant une certaine période, séjourné dans l’État membre d’accueil.

60
S’agissant d’une réglementation nationale telle que les Student Support Regulations, il convient de constater que la garantie d’une intégration suffisante dans la société de l’État membre d’accueil découle des conditions imposant une résidence antérieure sur le territoire de cet État, en l’occurrence les trois années de résidence requises par les règles britanniques en cause au principal.

61
La condition additionnelle selon laquelle les étudiants n’ont droit à une aide couvrant leurs frais d’entretien que s’ils sont également établis dans l’État membre d’accueil pourrait certes répondre, comme celle, rappelée au point précédent, qui exige une résidence de trois années, au but légitime visant à garantir que le demandeur d’aide a fait preuve d’un certain degré d’intégration dans la société de cet État. Toutefois, il est constant que la réglementation en cause au principal exclut toute possibilité pour un ressortissant d’un autre État membre d’obtenir, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie. Cette réglementation place donc un tel ressortissant, quel que soit son degré d’intégration réelle dans la société de l’État membre d’accueil, dans l’impossibilité de remplir ladite condition et, par conséquent, de bénéficier du droit à l’aide couvrant ses frais d’entretien. Or, un tel traitement ne saurait être considéré comme justifié par l’objectif légitime que la même réglementation visait à garantir.

62
En effet, un tel traitement fait obstacle à ce qu’un étudiant, ressortissant d’un État membre, qui séjourne légalement et a effectué une partie importante de ses études secondaires dans l’État membre d’accueil et, par conséquent, qui a établi un lien réel avec la société de ce dernier État, puisse poursuivre ses études dans les mêmes conditions qu’un étudiant ressortissant de cet État se trouvant dans la même situation.

63
Pour ces raisons, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 12, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui n’octroie aux étudiants le droit à une aide couvrant leurs frais d’entretien que s’ils sont établis dans l’État membre d’accueil, tout en excluant qu’un ressortissant d’un autre État membre obtienne, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie, même si ce ressortissant séjourne légalement et a effectué une partie importante de ses études secondaires dans l’État membre d’accueil et, par conséquent, a établi un lien réel avec la société de cet État.

Sur la troisième question

64
Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si, au cas où celle-ci devait juger qu’une aide visant à couvrir les frais d’entretien des étudiants relève du champ d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE, les effets d’un tel arrêt doivent être limités dans le temps.

65
Les gouvernements du Royaume-Uni, allemand et autrichien demandent à la Cour, dans cette même hypothèse, de limiter les effets de son arrêt dans le temps, sauf en ce qui concerne les actions judiciaires engagées avant la date du prononcé de cet arrêt. À l’appui de leur demande, ils invoquent, notamment, les implications financières relevées par la juridiction de renvoi.

66
Il convient de rappeler que l’interprétation que la Cour donne d’une disposition de droit communautaire se limite à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle-ci, telle qu’elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la disposition ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite disposition se trouvent réunies (voir arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana, 61/79, Rec. p. 1205, point 16, et du 2 février 1988, Blaizot, 24/86, Rec. p. 379, point 27).

67
Ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi (voir arrêts Blaizot, précité, point 28; du 16 juillet 1992, Legros e.a., C‑163/90, Rec. p. I‑4625, point 30, et du 4 mai 1999, Sürül, C‑262/96, Rec. p. I‑2685, point 108).

68
En outre, il est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (voir, notamment, arrêt Grzelczyk, précité, point 52).

69
En effet, la Cour n’a eu recours à cette solution que dans des circonstances bien précises, lorsque, d’une part, il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et que, d’autre part, il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission (voir arrêt Grzelczyk, précité, point 53).

70
En l’occurrence, il suffit de constater que les éléments fournis par le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par les gouvernements allemand et autrichien ne sont pas susceptibles de conforter leur argumentation selon laquelle le présent arrêt risquerait, si ses effets n’étaient pas limités dans le temps, d’entraîner des conséquences financières significatives pour les États membres. En effet, les données chiffrées auxquelles se sont référés ces gouvernements ont trait également à des cas qui ne sont pas similaires à celui ayant donné lieu au litige au principal.

71
Par conséquent, il convient de répondre à la troisième question qu’il n’y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt dans le temps.


Sur les dépens

72
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.




Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)
Une aide accordée, que ce soit sous la forme de prêts subventionnés ou de bourses, aux étudiants séjournant légalement dans l’État membre d’accueil et visant à couvrir leurs frais d’entretien, entre dans le champ d’application du traité CE aux fins de l’interdiction de discrimination énoncée à l’article 12, premier alinéa, CE.

2)
L’article 12, premier alinéa, CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui n’octroie aux étudiants le droit à une aide couvrant leurs frais d’entretien que s’ils sont établis dans l’État membre d’accueil, tout en excluant qu’un ressortissant d’un autre État membre obtienne, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie, même si ce ressortissant séjourne légalement et a effectué une partie importante de ses études secondaires dans l’État membre d’accueil et, par conséquent, a établi un lien réel avec la société de cet État.

3)
Il n’ y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt dans le temps.


Signatures


1
Langue de procédure: l'anglais.