Language of document : ECLI:EU:C:2013:245

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

18 avril 2013 (*)

«Pourvoi – Articles 225, paragraphe 1, CE, 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE – Action en responsabilité non contractuelle contre la Communauté européenne – Appréciation du caractère non contractuel du litige – Compétences des juridictions communautaires»

Dans l’affaire C‑103/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 février 2011,

Commission européenne, représentée par M. T. van Rijn ainsi que par Mmes E. Montaguti et J. Samnadda, en qualité d’agents, assistés de MA. Berenboom, advocaat, et Me M. Isgour, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Systran SA, établie à Paris (France),

Systran Luxembourg SA, établie à Luxembourg (Luxembourg),

représentées par Mes J.-P. Spitzer et E. De Boissieu, avocats,

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič, E. Levits, J.‑J. Kasel et Mme M. Berger, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 avril 2012,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 novembre 2012,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T‑19/07, Rec. p. II‑6083, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci l’a condamnée à verser à Systran SA (ci-après «Systran») une indemnité forfaitaire de 12 001 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la violation de ses droits d’auteur et de son savoir‑faire à la suite d’un appel d’offres de la Commission relatif à la maintenance et au renforcement linguistique du système de traduction automatique de celle-ci.

 Les antécédents du litige

2        La version initiale du système de traduction automatique Systran (SYStem TRANslation), «Systran Mainframe», a été créée en 1968 et commercialisée par World Translation Center Inc. (ci-après «WTC») et d’autres sociétés affiliées (ci‑après, ensemble, le «groupe WTC»).

3        Dans un premier temps, la Commission, à la suite de la conclusion d’un contrat avec WTC en 1975, a commencé à utiliser ledit système pour ses services de traduction, dans la version «EC-Systran Mainframe» de celui-ci. Elle a en outre signé, entre 1976 et 1987, plusieurs contrats avec des sociétés du groupe WTC afin, d’une part, d’améliorer le système de traduction automatique Systran et, d’autre part, de développer de nouvelles paires de langues, soit au total neuf paires de langues.

4        Par une série de contrats intervenus à compter du mois de septembre 1985, Gachot SA (ci-après «Gachot») a acquis les sociétés du groupe WTC, qui étaient propriétaires de la technologie Systran et de la version Systran Mainframe du système de traduction automatique Systran, et ce groupe est devenu le groupe Systran à la suite de ladite acquisition.

5        Le 4 août 1987, le groupe Systran et la Commission ont signé un contrat relatif à l’organisation en commun du développement et de l’amélioration du système de traduction automatique Systran pour les langues officielles, actuelles et futures, de la Communauté européenne, ainsi qu’à sa mise en application (ci-après le «contrat de collaboration»). Aux termes des articles 11 et 12 du contrat de collaboration, la loi applicable à ce contrat était la loi belge et tout différend entre les parties concernant l’interprétation, l’exécution ou l’inexécution dudit contrat était soumis à un arbitrage.

6        En outre, entre 1988 et 1989, la Commission a conclu quatre contrats ultérieurs avec Gachot, qui a été appelée ensuite elle‑même «Systran», afin d’obtenir une «licence d’utilisation» du système de traduction automatique Systran pour les paires de langues allemand-anglais, allemand-français, anglais-grec, espagnol-anglais et espagnol-français.

7        Au mois de décembre 1991, la Commission a mis fin au contrat de collaboration, au motif que Systran n’avait pas respecté ses obligations contractuelles. À la date où le contrat de collaboration a pris fin, la version EC-Systran Mainframe du système de traduction automatique Systran comportait seize versions linguistiques.

8        Par la suite, le groupe Systran a créé et commercialisé une nouvelle version du système de traduction automatique Systran à même de fonctionner sous les systèmes d’exploitation Unix et Windows, à savoir «Systran Unix», alors que la Commission a développé la version EC-Systran Mainframe dudit système, en partie avec l’aide d’un cocontractant extérieur, laquelle fonctionnait sur le système d’exploitation Mainframe, incompatible avec les systèmes d’exploitation Unix et Windows.

9        Dans un second temps, afin de permettre à la version EC-Systran Mainframe du système de traduction automatique Systran de fonctionner dans les environnements Unix et Windows, quatre contrats ont été conclus entre Systran Luxembourg SA (ci-après «Systran Luxembourg») et la Commission, donnant lieu au système de traduction automatique appelé «EC-Systran Unix» (ci-après les «contrats de migration»).

10      Lors de la signature du premier contrat de migration, au mois de décembre 1997, Systran a donné son accord pour que la Commission utilise, d’une part, la marque Systran de manière systématique pour tout système de traduction automatique dérivant du système de traduction automatique Systran d’origine aux seules fins de la diffusion ou de la mise à disposition de ce système et, d’autre part, les produits Systran sous environnement Unix et/ou Windows pour ses besoins internes.

11      L’article 13 du premier contrat de migration prévoyait que «[l]a Commission est immédiatement informée de tout résultat ou de tout brevet obtenu par [Systran Luxembourg] en exécution du présent contrat; ce résultat ou brevet appartient aux Communautés européennes, qui peuvent en disposer librement, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà», et «[l]e système de traduction automatique de la Commission, y compris ses composants, même modifiés au cours de l’exécution du contrat, reste la propriété de la Commission, à l’exception des cas où des droits de propriété industrielle ou intellectuelle existent déjà».

12      Selon les articles 15 et 16 du premier contrat de migration, la loi applicable au contrat était la loi luxembourgeoise et les différends entre les parties concernant ce contrat relevaient de la compétence des juridictions luxembourgeoises.

13      Par ailleurs, le premier avenant au quatrième contrat de migration fixait la fin de ce contrat au 15 mars 2002, en précisant, notamment, que Systran Luxembourg était tenue d’apporter, à cette date, la preuve actualisée de tous les droits de propriété intellectuelle et industrielle revendiqués par le groupe Systran et liés au système de traduction automatique Systran. Selon la Commission, Systran Luxembourg ne lui a pas communiqué ces informations.

14      Le 4 octobre 2003, la Commission a lancé un appel d’offres pour la maintenance et le renforcement linguistique du système de traduction automatique de la Commission EC-Systran Unix. À la suite de cet appel d’offres, deux lots sur les dix que comportait le marché ont été attribués à Gosselies SA (ci-après «Gosselies»).

15      Systran ayant indiqué à la Commission, par courrier du 31 octobre 2003, que les travaux que celle-ci envisageait étaient susceptibles de porter atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, la Commission a répondu que le groupe Systran n’avait pas apporté la preuve des droits de propriété intellectuelle que Systran invoquait sur le logiciel de traduction automatique Systran et qu’elle considérait en conséquence que Systran n’était pas en droit de s’opposer aux travaux réalisés par la société ayant remporté l’appel d’offres.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

16      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2007, Systran et Systran Luxembourg ont introduit un recours en indemnisation du dommage prétendument subi en raison d’illégalités commises à la suite de l’appel d’offres de la Commission relatif à la maintenance et au renforcement linguistique de son système de traduction automatique.

17      En particulier, lesdites sociétés ont demandé que le Tribunal, premièrement, ordonne la cessation immédiate par la Commission des faits de contrefaçon et de divulgation, deuxièmement, établisse la confiscation ou la destruction auprès de la Commission et de Gosselies de certaines données informatiques, troisièmement, condamne la Commission au versement de la somme minimale de 1 170 328 euros à Systran Luxembourg et de 48 804 000 euros, à parfaire, à Systran, quatrièmement, ordonne la publication aux frais de la Commission de la décision à intervenir dans des journaux et des revues spécialisés ainsi que sur des sites Internet spécialisés et, cinquièmement, condamne la Commission aux dépens.

18      Avant d’aborder le fond de l’affaire, le Tribunal a examiné, à titre liminaire, les moyens d’irrecevabilité du recours soulevés par la Commission.

19      En ce qui concerne le premier de ces moyens, portant sur l’irrecevabilité du chef de conclusions tendant à la condamnation de la Commission à l’indemnisation du préjudice allégué par Systran et Systran Luxembourg en raison du fondement contractuel de la demande, le Tribunal a, aux points 57 à 64 de l’arrêt attaqué, rappelé les principes relatifs à la compétence juridictionnelle en matière contractuelle et non contractuelle.

20      Cela étant précisé, dans le cadre de l’examen de la demande d’indemnité présentée par Systran et Systran Luxembourg, le Tribunal a constaté, aux points 68 à 77 de l’arrêt attaqué, que ces sociétés avaient avancé suffisamment d’éléments pour permettre de conclure que le groupe Systran pouvait se prévaloir de droits d’auteur sur la version Systran Unix du système de traduction automatique Systran, et que la Commission n’était pas parvenue à remettre en cause la compétence du Tribunal en contestant les droits d’auteur invoqués par le groupe Systran en ce qui concerne ladite version.

21      Quant au savoir-faire, aux points 78 à 81 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé, d’une part, que les secrets d’affaires intègrent les informations techniques relatives au savoir-faire et que leur transmission, non seulement au public mais également à un simple tiers, peut gravement léser les intérêts de celui qui a fourni ces informations, et, d’autre part, qu’une information technique, qui relève du secret des affaires d’une entreprise et qui a été communiquée à la Commission à des fins précises, ne peut être divulguée à un tiers à d’autres fins sans l’autorisation de l’entreprise concernée.

22      Le Tribunal a ainsi conclu, au point 82 de l’arrêt attaqué, que Systran et Systran Luxembourg avaient allégué, à suffisance de droit pour fonder sa compétence au titre de l’article 235 CE, la violation par la Commission d’obligations d’origine non contractuelle relatives au droit d’auteur et au savoir-faire portant sur la version Systran Unix du système de traduction automatique Systran.

23      Le Tribunal a ensuite examiné, aux points 84 à 102 de l’arrêt attaqué, s’il ressortait du dossier que les nombreux contrats conclus entre le groupe WTC et le groupe Systran (ci‑après le «groupe WTC/Systran»), d’une part, et la Commission, d’autre part, avaient conféré à cette institution une autorisation contractuelle de divulguer à un tiers, en l’occurrence à Gosselies, sans l’accord de Systran et de Systran Luxembourg, des informations susceptibles d’être protégées au titre des droits d’auteur et du savoir-faire du groupe Systran.

24      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, le Tribunal a rejeté, au point 104 de l’arrêt attaqué, le premier moyen d’irrecevabilité soulevé par la Commission.

25      Quant au deuxième moyen d’irrecevabilité, portant sur l’absence de clarté de la requête, le Tribunal, aux points 107 à 110 de l’arrêt attaqué, l’a écarté comme non fondé.

26      Aux points 113 à 117 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également rejeté le troisième moyen d’irrecevabilité, tiré de son incompétence pour statuer en matière de contrefaçon dans le cadre d’un recours en indemnité, en considérant que la notion de contrefaçon du droit d’auteur était, en l’espèce, invoquée conjointement avec celle de protection de la confidentialité du savoir-faire à la seule fin de qualifier le comportement de la Commission d’illégal dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle.

27      Enfin, aux points 118 à 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les exceptions d’irrecevabilité soulevées à l’encontre des chefs de conclusions autres qu’indemnitaires présentés par Systran et Systran Luxembourg.

28      Dans le cadre de l’analyse au fond de la demande en indemnité, le Tribunal a, tout d’abord, aux points 137 à 147 de l’arrêt attaqué, vérifié la similitude substantielle des versions Systran Unix et EC-Systran Unix du système de traduction automatique Systran, jugeant que Systran et Systran Luxembourg pouvaient ainsi se prévaloir des droits détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix de ce système pour s’opposer à la divulgation à un tiers, sans leur accord, de la version dérivée EC-Systran Unix dudit système. Dans cette perspective, aux points 148 à 157 du même arrêt, il a rejeté, en raison de leur généralité et du manque de preuves techniques, les arguments de la Commission tendant à nier les droits de Systran et de Systran Luxembourg du fait que ladite version EC-Systran Unix ne serait que le résultat de la migration de la version EC‑Systran Mainframe du système de traduction automatique Systran vers un autre environnement informatique.

29      Ensuite, après avoir rappelé, au point 158 de l’arrêt attaqué, le contenu du comportement reproché à la Commission, le Tribunal a procédé, aux points 200 à 261 de cet arrêt, à l’analyse globale du caractère illégal de ce comportement.

30      Dans le cadre de cette analyse, il a, premièrement, déterminé, aux points 201 et 204 à 215 de l’arrêt attaqué, que Systran et Systran Luxembourg pouvaient se prévaloir du droit de s’opposer aux travaux commandés par la Commission à un tiers et relatifs à certains aspects de la version EC-Systran Unix du système de traduction automatique Systran, en se fondant notamment sur la présomption du droit de propriété intellectuelle, contenue à l’article 5 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45), selon laquelle pour que l’auteur d’une œuvre soit considéré comme tel il suffit que son nom soit indiqué sur l’œuvre. Aux points 202 et 216 à 222 dudit arrêt, il a constaté que la Commission n’avait pas été en mesure d’établir qu’elle était autorisée, en raison des droits concédés au titre des contrats passés avec le groupe Systran depuis 1975 et du financement octroyé dans ce cadre, à procéder aux utilisations et aux divulgations faites à la suite de l’attribution du marché public litigieux.

31      Deuxièmement, le Tribunal a analysé, aux points 228 à 260 de l’arrêt attaqué, la nature des travaux confiés par la Commission à un tiers, afin de déceler si ceux-ci étaient à même d’entraîner la modification ou la transmission d’informations ou d’éléments relatifs à la version Systran Unix du système de traduction automatique Systran qui se retrouvent dans la version EC-Systran Unix de ce système.

32      Au point 261 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ainsi conclu que la Commission avait commis une illégalité au regard des principes généraux communs aux droits des États membres applicables en la matière. Selon le Tribunal, cette faute constituait une violation suffisamment caractérisée des droits d’auteur et du savoir-faire détenus par le groupe Systran sur la version Systran Unix du système de traduction automatique Systran, et était de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

33      Cela étant établi, le Tribunal a alors examiné, aux points 262 à 325 de l’arrêt attaqué, les préjudices subis par Systran et Systran Luxembourg et le lien de causalité entre ceux-ci et la faute commise par la Commission.

34      Au terme de cet examen, il a conclu, au point 326 dudit arrêt, qu’un montant forfaitaire de 12 001 000 euros devait être octroyé à Systran pour l’indemniser du préjudice subi du fait du comportement de la Commission.

35      Pour le surplus, aux points 329 à 332 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté les mesures autres que l’octroi de dommages et intérêts demandées par Systran et Systran Luxembourg.

 Les conclusions des parties

36      Par son pourvoi, la Commission demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de rejeter le recours en indemnité;

–        de condamner Systran et Systran Luxembourg aux dépens des deux instances, et

–        à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

37      Systran et Systran Luxembourg concluent à ce que la Cour:

–        rejette le pourvoi, et

–        condamne la Commission aux dépens.

Sur la demande de réouverture de la procédure orale

38      La procédure orale a été clôturée le 15 novembre 2012 à la suite de la présentation des conclusions de M. l’avocat général.

39      Par lettre du 14 décembre 2012, Systran et Systran Luxembourg ont demandé à la Cour d’ordonner la réouverture de la procédure orale.

40      À l’appui de cette demande, elles ont fait valoir que les conclusions de M. l’avocat général, présentées le 15 novembre 2012, développent de nouveaux arguments qui n’ont jamais été débattus par les parties.

41      À cet égard, il convient de relever que la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, conformément à l’article 83 de son règlement de procédure, notamment si elle considère être insuffisamment éclairée ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (voir arrêt du 22 novembre 2012, Bank Handlowy et Adamiak, C‑116/11, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

42      En l’espèce, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées et que ces éléments ont fait l’objet des débats menés devant elle.

43      Dès lors, la demande de Systran et de Systran Luxembourg tendant à obtenir la réouverture de la procédure orale doit être rejetée.

 Sur le pourvoi

44      La Commission soulève huit moyens au soutien de son pourvoi.

45      Le premier moyen est tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal, en ce qu’il a considéré que le litige en cause était de nature non contractuelle. Le deuxième moyen est tiré d’une violation des droits de la défense et d’une méconnaissance des règles d’administration de la preuve. Par son troisième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a fait une application inexacte des règles relatives au droit d’auteur en ce qui concerne la preuve de la détention des droits invoqués par Systran. Par ses quatrième et cinquième moyens, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur manifeste dans l’appréciation du caractère illégal ou fautif de son comportement et du caractère suffisamment caractérisé de sa prétendue faute. Par son sixième moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a, d’une part, commis une erreur d’interprétation de l’exception prévue à l’article 5 de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42), et, d’autre part, insuffisamment motivé l’arrêt attaqué concernant l’exception prévue à l’article 6 de ladite directive. Le septième moyen est tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation de l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la faute dénoncée et le dommage allégué. Le huitième moyen, enfin, est tiré d’une erreur de droit dans la fixation des dommages et intérêts à hauteur de 12 001 000 euros.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation de la nature non contractuelle du litige

 Argumentation des parties

46      La Commission fait valoir, en premier lieu, que le Tribunal a fait une mauvaise application de l’arrêt du 20 mai 2009, Guigard/Commission (C‑214/08 P), lequel précise, à son point 43, que la simple invocation de règles juridiques qui ne découlent pas du contrat en cause, mais qui s’imposent aux parties ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle du litige et de soustraire, par conséquent, ce dernier à la juridiction compétente. S’il en était autrement, la nature du litige et, par conséquent, la juridiction compétente seraient susceptibles de changer au gré des normes invoquées par les parties, ce qui irait à l’encontre des règles de compétence matérielle des différentes juridictions.

47      Dans cette perspective, le Tribunal aurait dû examiner, au regard des différents éléments pertinents du dossier, si la demande d’indemnité présentée par Systran et Systran Luxembourg reposait de manière objective et globale sur des obligations d’origine contractuelle ou sur des obligations de nature non contractuelle, permettant ainsi de caractériser le fondement contractuel ou non contractuel du litige. En effet, la nature d’une allégation ne serait pas le facteur décisif dans la détermination de la compétence des juridictions communautaires à cet égard. Il s’ensuit qu’un différend concernant un droit d’auteur qui découle d’un contrat, de licence ou de cession, serait de nature contractuelle, dans la mesure où la solution de ce différend dépend nécessairement de l’interprétation des modalités de cession ou de concession de ce droit convenues par les parties en cause.

48      De ce fait, si l’invocation, par Systran, d’un agissement qui, à son avis, n’était pas autorisé par des clauses contractuelles devait suffire pour transformer son différend avec la Commission en contentieux relevant de la responsabilité non contractuelle, cela aurait pour résultat de créer une extension injustifiée du champ d’application de l’article 235 CE, au détriment de l’article 238 CE.

49      En deuxième lieu, la Commission soutient que le Tribunal s’est livré à des appréciations juridiques erronées quant à l’interprétation des droits conférés par les nombreux documents contractuels et courriers invoqués en première instance, dont notamment le contrat du 22 décembre 1975 entre celle‑ci et WTC, les contrats conclus pendant la période allant de 1976 à 1987 avec des sociétés du groupe WTC, parmi lesquels figure en particulier l’accord de coopération technique du 18 janvier 1985 avec Gachot, le contrat de collaboration, les contrats de licence conclus avec Gachot en 1988 et 1989 ainsi que les contrats de migration.

50      En effet, tout en reconnaissant l’existence de droits contractuels spécifiques, en particulier de «droits d’utilisation», de la Commission sur la version EC-Systran Unix du système de traduction automatique Systran, le Tribunal n’aurait pas évalué de manière appropriée le contenu et la nature exacte de ces droits.

51      Ce faisant, le Tribunal aurait procédé à une interprétation erronée, voire à une dénaturation, du sens clair des contrats susvisés, le conduisant à une erreur d’appréciation de la nature du litige.

52      En troisième et dernier lieu, la Commission invoque une violation des règles d’interprétation des contrats, le Tribunal ne pouvant interpréter les contrats de migration, et notamment l’article 13 du premier de ceux‑ci, comme ne lui conférant aucun droit. Dans ce contexte, elle fait valoir que le Tribunal a également commis une erreur en jugeant que, dès lors que Systran n’était pas signataire des contrats de migration, ces derniers ne lui étaient pas opposables en tant que tels, par application du principe de l’effet relatif des contrats.

53      Systran et Systran Luxembourg estiment, quant à elles, que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit dans l’interprétation de l’arrêt Guigard/Commission, précité. En effet, pour retenir sa compétence, le Tribunal ne se serait pas limité à examiner le litige à la lumière des règles juridiques invoquées par lesdites sociétés, mais il aurait consacré l’essentiel des développements de l’arrêt attaqué à l’analyse des contrats soumis par la Commission. En particulier, au point 62 de cet arrêt, le Tribunal aurait rappelé que, lors de l’appréciation de sa compétence, il peut parfaitement examiner le contenu d’un contrat, comme il le fait à propos de n’importe quel document invoqué par une partie à l’appui de son argumentation, pour savoir si celui-ci est de nature à remettre en cause la compétence d’attribution qui lui est expressément conférée par l’article 235 CE.

54      Dans cette perspective, aux points 71 à 100 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait constaté que les contrats invoqués ne comprenaient aucune clause de cession de droits et ne prévoyaient pas de stipulations autorisant la Commission à faire réaliser ou à réaliser elle‑même des travaux portant atteinte aux droits d’auteur de Systran, ni à divulguer des informations susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur.

55      Il s’ensuit que le Tribunal n’aurait commis aucune erreur de droit dans l’interprétation desdits contrats, ceux‑ci étant dépourvus de la moindre pertinence pour la détermination de la compétence juridictionnelle dans le cas d’espèce, et qu’il aurait jugé à bon droit, aux points 101 à 104 de l’arrêt attaqué, que le litige en cause était de nature non contractuelle.

  Appréciation de la Cour

56      Le traité CE prévoit une répartition des compétences entre les juridictions communautaires et les juridictions nationales en ce qui concerne les actions en justice dirigées contre la Communauté par lesquelles la responsabilité de celle-ci pour répondre d’un dommage est mise en cause (arrêt du 29 juillet 2010, Hanssens-Ensch, C‑377/09, Rec. p. I-7751, point 16).

57      En particulier, aux termes de l’article 240 CE, les juridictions nationales sont compétentes pour connaître des litiges auxquels la Communauté est partie, sous réserve de ceux pour lesquels le traité accorde compétence à la Cour ou bien au Tribunal (voir arrêts du 9 octobre 2001, Flemmer e.a., C-80/99 à C-82/99, Rec. p. I-7211, point 39, ainsi que Guigard/Commission, précité, point 39).

58      Or, aucune disposition du traité ne confère à la Cour ou au Tribunal une compétence pour connaître des litiges relatifs à la responsabilité contractuelle de la Communauté, à l’exception de l’article 238 CE. Celui‑ci présuppose toutefois l’existence d’une clause compromissoire contenue dans un contrat passé par la Communauté ou pour son compte (voir arrêts précités Flemmer e.a., point 42, ainsi que Guigard/Commission, points 40 et 41), et configure, de ce fait, une compétence dérogatoire au droit commun, qui doit ainsi être interprétée restrictivement (voir arrêts du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, Rec. p. 4057, point 11, et du 20 février 1997, IDE/Commission, C‑114/94, Rec. p. I‑803, point 82).

59      Il s’ensuit que, eu égard à l’article 240 CE, les litiges relatifs à la responsabilité contractuelle de la Communauté relèvent, en l’absence d’une clause compromissoire, de la compétence des juridictions nationales (arrêt Hanssens-Ensch, point 19).

60      En revanche, s’agissant de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, de tels litiges relèvent de la compétence des juridictions communautaires. En effet, en vertu de l’article 235 CE, lu conjointement avec l’article 225, paragraphe 1, CE, la Cour et le Tribunal sont compétents pour connaître des litiges relatifs à la réparation des dommages visés à l’article 288, deuxième alinéa, CE, lequel a précisément pour objet ladite responsabilité non contractuelle. Cette compétence des juridictions communautaires est exclusive (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 1992, Vreugdenhil/Commission, C‑282/90, Rec. p. I‑1937, point 14; du 26 novembre 2002, First et Franex, C‑275/00, Rec. p. I‑10943, point 43 et jurisprudence citée, ainsi que Hanssens-Ensch, précité, point 17), ces juridictions devant vérifier la présence d’un ensemble de conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, à la réunion desquelles est subordonné l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec. p. I‑10833, point 26 et jurisprudence citée).

61      Il découle de ce qui précède que, afin de déterminer quelle est la juridiction compétente pour connaître d’une action en justice particulière dirigée contre la Communauté afin que celle-ci réponde d’un dommage, il faut examiner si cette action a pour objet la responsabilité contractuelle de la Communauté ou la responsabilité non contractuelle de celle-ci (arrêt Hanssens-Ensch, précité, point 20).

62      À cet égard, il convient de relever que la notion de responsabilité non contractuelle, au sens des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE, qui revêt un caractère autonome, doit être interprétée à la lumière de sa finalité, à savoir celle de permettre une répartition des compétences entre les juridictions communautaires et les juridictions nationales.

63      Dans ce contexte, saisies d’un recours en indemnité, les juridictions communautaires doivent, avant de se prononcer sur le fond du litige, déterminer à titre liminaire leur compétence en procédant à une analyse visant à établir le caractère de la responsabilité invoquée et donc la nature même du litige en question.

64      Pour ce faire, lesdites juridictions ne sauraient se fonder simplement sur les normes alléguées par les parties.

65      À cet égard, en effet, comme le relève la Commission par son premier moyen, rappelé au point 46 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé que la simple invocation de règles juridiques ne découlant pas d’un contrat pertinent en l’espèce, mais qui s’imposent aux parties ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle du litige et de soustraire, par conséquent, ce dernier à la juridiction compétente. S’il en était autrement, la nature du litige et, donc, la juridiction compétente seraient susceptibles de changer au gré des normes invoquées par les parties, ce qui irait à l’encontre des règles de compétence matérielle des différentes juridictions (arrêt Guigard/Commission, précité, point 43).

66      En revanche, les juridictions communautaires sont tenues de vérifier si le recours en indemnité dont elles sont saisies a pour objet une demande de dommages et intérêts reposant de manière objective et globale sur des droits et des obligations d’origine contractuelle ou d’origine non contractuelle. À ces fins, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 49 et 50 de ses conclusions, ces juridictions doivent vérifier, au regard d’une analyse des différents éléments du dossier, tels que notamment la règle de droit prétendument violée, la nature du préjudice invoqué, le comportement reproché ainsi que les rapports juridiques existant entre les parties en cause, s’il existe entre celles‑ci un véritable contexte contractuel, lié à l’objet du litige, dont l’examen approfondi se révèle indispensable pour trancher ledit recours.

67      S’il ressort de l’analyse liminaire desdits éléments qu’il est nécessaire d’interpréter le contenu d’un ou de plusieurs contrats conclus entre les parties en cause pour établir le bien‑fondé des prétentions du requérant, lesdites juridictions sont tenues d’arrêter à ce stade leur examen du litige et de se déclarer incompétentes pour statuer sur celui‑ci, en l’absence de clause compromissoire dans lesdits contrats. Dans une telle circonstance, l’examen du recours en indemnité dirigé contre la Communauté impliquerait l’appréciation de droits et d’obligations de nature contractuelle qui ne saurait échapper, en vertu de l’article 240 CE, à la compétence des juridictions nationales.

68      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’apprécier le bien‑fondé du premier moyen soulevé par la Commission.

69      En l’occurrence, il y a lieu de relever que, dans le cadre de l’analyse de la recevabilité du recours introduit par Systran et Systran Luxembourg, le Tribunal a d’abord constaté à bon droit, au point 60 de l’arrêt attaqué, que, pour déterminer sa compétence en vertu de l’article 235 CE, il devait examiner au regard des différents éléments pertinents du dossier, si la demande d’indemnité présentée par Systran et Systran Luxembourg repose de manière objective et globale sur des obligations d’origine contractuelle ou sur des obligations d’origine non contractuelle permettant de caractériser le fondement du litige.

70      Toutefois, audit point 60, le Tribunal a ensuite affirmé que ces éléments peuvent être déduits, notamment, de l’examen des prétentions des parties, du fait générateur du préjudice dont la réparation est demandée ainsi que du contenu même des dispositions contractuelles ou non contractuelles invoquées pour régler la question en litige.

71      Dans cette perspective, le Tribunal a ainsi considéré, au point 62 de l’arrêt attaqué, que l’examen du contenu des différents contrats conclus entre le groupe WTC/Systran et la Commission de 1975 à 2002 relevait de l’examen de sa compétence et n’avait pas pour conséquence de modifier, en tant que tel, la nature du litige en lui donnant un fondement contractuel. Ainsi, le Tribunal a jugé qu’il pouvait parfaitement examiner le contenu d’un contrat, comme il le fait à propos de n’importe quel document invoqué par une partie à l’appui de son argumentation, pour savoir si celui-ci est de nature à remettre en cause la compétence d’attribution qui lui est expressément conférée par l’article 235 CE, et que cet examen relevait de l’appréciation des faits invoqués pour établir sa compétence.

72      En outre, au point 63 de l’arrêt attaqué, en se référant à titre de comparaison à l’arrêt Guigard/Commission, précité, le Tribunal a ajouté que, dans l’affaire en cause, où Systran et Systran Luxembourg se fondaient seulement sur la violation d’obligations d’origine non contractuelle, la simple invocation par leur cocontractant d’obligations d’origine contractuelle qui n’envisageraient pas le comportement litigieux ne pouvait avoir pour conséquence de modifier la nature non contractuelle du litige et de le soustraire à la juridiction compétente.

73      Cela étant, après avoir précisé, au point 64 de l’arrêt attaqué, que c’est à la partie qui allègue la violation d’une obligation d’en établir le contenu et le caractère applicable aux données de l’affaire, le Tribunal a, d’une part, examiné, aux points 65 à 82 de cet arrêt, le contenu de la demande d’indemnité présentée par Systran et Systran Luxembourg et, notamment, la preuve de la détention des droits prétendument violés. D’autre part, il a examiné, aux points 84 à 102 dudit arrêt, l’illégalité du comportement reproché à la Commission au moyen d’une analyse détaillée des nombreux contrats conclus entre les parties de 1975 à 2002, afin de déceler l’existence d’une éventuelle autorisation contractuelle permettant à la Commission d’adopter ledit comportement.

74      À la suite d’une telle analyse, estimant que cette institution ne disposait pas de ladite autorisation, le Tribunal a rejeté, au point 104 de l’arrêt attaqué, les allégations de la Commission relatives à l’irrecevabilité du recours du fait de son fondement contractuel.

75      Or, force est de constater que, en jugeant de la sorte, le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’application des principes rappelés aux points 63 à 67 du présent arrêt, gouvernant la détermination de la compétence juridictionnelle dans le cadre des recours en indemnité dirigés contre la Communauté, ainsi que dans la qualification juridique des relations contractuelles entre le groupe WTC/Systran et la Commission, qui l’ont conduit à violer les règles relatives à sa compétence juridictionnelle, telle qu’elle est définie aux articles 225, paragraphe 1, CE, 235 CE et 240 CE.

76      En effet, d’une part, afin d’établir la nature contractuelle ou non contractuelle du litige dont il était saisi et de déterminer ainsi sa propre compétence, le Tribunal ne s’est pas limité à vérifier s’il existait entre les parties, au regard des différents éléments du dossier, un véritable contexte contractuel, lié à l’objet du litige, dont l’examen approfondi se révélait indispensable pour trancher le recours au fond.

77      En revanche, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a erronément jugé que l’analyse spécifique et concrète du contenu des différents contrats conclus entre le groupe WTC/Systran et la Commission de 1975 à 2002 relevait de l’examen de sa compétence, dans la mesure où le contenu d’un contrat pouvait être parfaitement examiné, comme s’il s’agissait de n’importe quel document du dossier.

78      De ce fait, aux points 84 à 102 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a effectué, dans le cadre de la détermination de sa compétence, un examen détaillé du contenu des nombreuses dispositions contractuelles régissant de 1975 à 2002 les relations économiques et commerciales entre le groupe WTC/Systran et la Commission, afin de vérifier si celle‑ci disposait d’une autorisation à divulguer à un tiers des informations protégées par le droit d’auteur et le savoir-faire détenus par Systran sur la version Systran Unix du système de traduction automatique Systran, estimant que le caractère contractuel de la responsabilité de la Communauté dépendait de l’existence de cette autorisation. Une telle analyse, toutefois, comme le soutient à juste titre la Commission par son premier moyen, concerne le caractère légal ou illégal du comportement reproché à cette institution, et relève donc du fond du litige et non de la détermination liminaire de la nature même de ce litige.

79      D’autre part, le Tribunal a également commis une erreur de droit, aux points 84 à 102 de l’arrêt attaqué, dans la qualification juridique des contrats conclus de 1975 à 2002 entre le groupe WTC/Systran et la Commission, en ce qu’il a jugé, à la lumière des différents éléments du dossier, que l’existence de ces contrats n’avait pas d’incidence sur la qualification du litige, au sens de l’article 235 CE.

80      À cet égard, il est vrai, comme le Tribunal l’a affirmé aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, qu’il ne suffit pas d’alléguer une relation contractuelle quelconque avec la partie requérante ou des obligations d’origine contractuelle qui n’envisageraient pas le comportement litigieux pour pouvoir modifier la nature du litige en lui donnant un fondement contractuel. Toutefois, il n’en demeure pas moins que lorsque, eu égard au contenu du recours en indemnité dirigé contre la Communauté, l’interprétation d’un ou de plusieurs contrats conclus entre les parties en cause apparaît indispensable pour établir la légalité ou l’illégalité du comportement reproché aux institutions, le litige échappe à la compétence des juridictions communautaires.

81      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 70 de ses conclusions, tel est précisément le cas en l’espèce. En effet, il est constant que les nombreux documents contractuels invoqués par la Commission devant le Tribunal et rappelés dans le premier moyen du pourvoi, dont notamment le contrat du 22 décembre 1975 entre celle‑ci et WTC, les contrats conclus de 1976 à 1987 avec des sociétés du groupe WTC, parmi lesquels revêt une importance particulière l’accord de coopération technique du 18 janvier 1985 passé avec Gachot, le contrat de collaboration, les contrats de licence passés avec Gachot en 1988 et en 1989 ainsi que les contrats de migration, configurent un véritable contexte contractuel, lié à l’objet du litige, dont l’examen approfondi se révèle indispensable pour établir l’illégalité éventuelle du comportement reproché à la Commission.

82      Ce constat découle, d’ailleurs, directement de la lecture de certains passages de l’arrêt attaqué consacrés au fond du litige. En effet, aux points 158, 202 et 216 à 222 de l’arrêt attaqué, afin de constater le caractère illégal du comportement litigieux, le Tribunal a lui‑même vérifié en détail si les documents contractuels invoqués par la Commission, et dont il avait fait état aux points 181 à 187 dudit arrêt, conféraient à cette institution une autorisation spécifique permettant d’adopter ledit comportement.

83      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, force est dès lors de constater que le Tribunal a erronément considéré que le litige en cause était de nature non contractuelle, au sens des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE.

84      Dans ces conditions, il convient d’accueillir le premier moyen du pourvoi et, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens de celui‑ci, d’annuler l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a violé les règles relatives à sa compétence juridictionnelle, telle qu’elle est définie aux articles 225, paragraphe 1, CE, 235 CE et 240 CE.

 Sur le recours devant le Tribunal

85      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour, cette dernière peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, statuer définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé. Tel est le cas en l’espèce.

86      À cet égard, ainsi qu’il ressort des points 78 à 82 du présent arrêt, les juridictions communautaires ne sont pas compétentes pour connaître du recours en indemnité introduit par Systran et Systran Luxembourg. Il s’ensuit que ledit recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

87      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

88      Selon l’article 138, paragraphe 1, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce dernier, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

89      En l’espèce, la Commission ayant obtenu gain de cause dans le cadre du pourvoi et Systran ainsi que Systran Luxembourg ayant succombé en leurs conclusions dans le cadre du recours en indemnité, il y a lieu de condamner ces dernières aux dépens afférents tant à la présente instance qu’à la procédure engagée devant le Tribunal.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2010, Systran et Systran Luxembourg/Commission (T‑19/07), est annulé.

2)      Le recours de Systran SA et de Systran Luxembourg SA dans l’affaire T‑19/07 est rejeté.

3)      Systran SA et Systran Luxembourg SA sont condamnées à supporter les dépens exposés par la Commission européenne devant la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que devant le Tribunal de l’Union européenne.

Signatures


* Langue de procédure: le français.