Language of document : ECLI:EU:C:2011:732

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

15 novembre 2011 (*)

Table des matières


I –  Le cadre juridique

II –  Les faits à l’origine du litige

A –  Les antécédents de la réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar

B –  La réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar

III –  La procédure administrative et la décision litigieuse

IV –  La procédure en première instance et l’arrêt attaqué

V –  La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

VI –  Sur les pourvois

A –  Sur le moyen unique de la Commission et le huitième moyen du Royaume d’Espagne

1.  Motifs de l’arrêt attaqué

2.  Argumentation des parties

3.  Appréciation de la Cour

a)  Sur la condition de dégager des bénéfices et le plafonnement de l’imposition

b)  Sur les avantages bénéficiant aux sociétés «offshore»

VII –  Sur les recours devant le Tribunal

A –  Sur le deuxième moyen du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni et la deuxième branche du troisième moyen du Government of Gibraltar

1.  Sur la deuxième branche du deuxième moyen

2.  Sur la deuxième branche du troisième moyen soulevée par le Government of Gibraltar

3.  Sur la première branche du deuxième moyen

a)  Argumentation des parties

b)  Appréciation de la Cour

4.  Sur la troisième branche du deuxième moyen

a)  Argumentation des parties

b)  Appréciation de la Cour

B –  Sur le troisième moyen du Royaume-Uni et la première branche du troisième moyen du Government of Gibraltar, tirés d’une violation des droits de la défense

1.  Argumentation des parties

2.  Appréciation de la Cour

C –  Sur le premier moyen relatif à la sélectivité régionale

VIII –  Sur les dépens

«Pourvoi – Aides d’État – Sélectivité matérielle – Régime fiscal – Gibraltar – Sociétés ‘offshore’»

Dans les affaires jointes C‑106/09 P et C‑107/09 P,

ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits le 16 mars 2009,

Commission européenne (C-106/09 P), représentée par MM. R. Lyal, V. Di Bucci et N. Khan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Government of Gibraltar, représenté par M. J. Temple Lang, solicitor, M. M. Llamas, barrister, et Me A. Petersen, advokat,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme I. Rao, en qualité d’agent, assistée de M. D. Anderson, QC, et de Mme M. Gray, barrister,

parties demanderesses en première instance,

soutenus par:

Irlande, représentée par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté deM. B. Doherty, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante au pourvoi,

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad et M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante en première instance,

et

Royaume d’Espagne (C-107/09 P), représenté par Mme N. Díaz Abad et M. J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal, V. Di Bucci et N. Khan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

Government of Gibraltar, représenté par M. J. Temple Lang, solicitor, M. M. Llamas, barrister, et Me A. Petersen, advokat,

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mme I. Rao, en qualité d’agent, assistée de M. D. Anderson, QC, et de Mme M. Gray, barrister,

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts, J.-C. Bonichot et Mme A. Prechal, présidents de chambre, MM. A. Rosas, K. Schiemann, E. Juhász, T. von Danwitz (rapporteur), D. Šváby, Mme M. Berger et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 novembre 2010,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 7 avril 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs pourvois, la Commission des Communautés européennes et le Royaume d’Espagne demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 18 décembre 2008, Government of Gibraltar et Royaume-Uni/Commission (T-211/04 et T-215/04, Rec. p. II‑3745, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2005/261/CE de la Commission, du 30 mars 2004, relative au régime d’aides que le Royaume-Uni envisage de mettre à exécution concernant la réforme de l’impôt sur les sociétés par le gouvernement de Gibraltar (JO 2005, L 85, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»).

I –  Le cadre juridique

2        L’article 6 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), dispose:

«Procédure formelle d’examen

1.      La décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. La décision invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai.

2.      Les observations reçues sont communiquées à l’État membre concerné. Toute partie intéressée peut demander, pour cause de préjudice potentiel, que son identité ne soit pas révélée à ce dernier. L’État membre concerné a la possibilité de répondre aux observations transmises dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois. Dans certains cas dûment justifiés, la Commission peut proroger ce délai.»

II –  Les faits à l’origine du litige

A –  Les antécédents de la réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar

3        Le 11 juillet 2001, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen au titre de l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’encontre de deux réglementations appliquées à Gibraltar relatives à l’impôt sur les sociétés et portant, respectivement, sur les «sociétés exemptées» (JO 2002, C 26, p. 13) et les «sociétés qualifiées» (JO 2002, C 26, p. 9).

4        Afin de jouir du statut de société exemptée, une entreprise devait satisfaire à plusieurs conditions. Parmi ces conditions, figurait l’interdiction d’exercer une activité commerciale ou toute autre activité à Gibraltar, sauf avec d’autres sociétés exemptées ou qualifiées. Sauf exceptions, une société exemptée était exonérée d’impôt sur les revenus à Gibraltar et n’était tenue qu’au versement d’une taxe forfaitaire annuelle de 225 GBP.

5        Les conditions pour bénéficier du statut de société qualifiée étaient, pour l’essentiel, identiques à celles requises pour bénéficier du statut de société exemptée. Les sociétés qualifiées acquittaient un impôt à un taux négocié avec les autorités fiscales de Gibraltar, variant entre 2 % et 10 % des bénéfices.

6        Par arrêt du 30 avril 2002, Government of Gibraltar/Commission (T‑195/01 et T‑207/01, Rec. p. II‑2309), le Tribunal a, d’une part, annulé la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen relative aux sociétés exemptées en raison du fait que la Commission avait qualifié le régime applicable à ces sociétés d’aide nouvelle dans son ensemble et, d’autre part, rejeté la demande en annulation dirigée contre la décision d’ouverture relative aux sociétés qualifiées.

7        La procédure relative aux sociétés exemptées a abouti à une décision de la Commission du 19 janvier 2005 de proposer des mesures appropriées, qui a été acceptée par le Royaume-Uni le 18 février 2005 (JO 2005, C 228, p. 9). À la suite de la procédure relative aux sociétés qualifiées, la Commission a adopté, le 30 mars 2004, la décision 2005/77/CE relative au régime d’aides mis à exécution par le Royaume-Uni en faveur des «qualifying companies» de Gibraltar (JO 2005, L 29, p. 24), par laquelle elle a déclaré le régime relatif à ces sociétés incompatible avec le marché commun.

B –  La réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar

8        Le 27 avril 2002, sans préjudice de la question de savoir si les régimes fiscaux relatifs aux sociétés exemptées et aux sociétés qualifiées constituaient ou non des aides d’État, le Government of Gibraltar a annoncé son intention d’abroger l’ensemble de sa législation en matière de fiscalité des entreprises et d’instaurer un régime fiscal entièrement nouveau pour toutes les sociétés de Gibraltar. Cette réforme de l’impôt sur les sociétés par le Government of Gibraltar fait l’objet du présent litige.

9        Par lettre du 12 août 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a notifié à la Commission, en application de l’article 88, paragraphe 3, CE, le projet de réforme de l’impôt sur les sociétés (ci-après le «projet de réforme fiscale») que le Government of Gibraltar envisageait de mettre en œuvre.

10      Afin de pouvoir être appliqué par le Government of Gibraltar, le projet de réforme fiscale devait préalablement être adopté par la House of Assembly de Gibraltar. Dans le cadre de cette réforme, la législation régissant jusqu’alors les sociétés exemptées et les sociétés qualifiées devait être abrogée avec effet immédiat.

11      Ce projet de réforme fiscale comprend, ainsi qu’il ressort du point 18 de l’arrêt attaqué, un système d’imposition applicable à toutes les sociétés établies à Gibraltar et un impôt supplémentaire ou de pénalité («top-up tax») applicable uniquement aux sociétés de services financiers et aux entreprises de réseau, ces dernières comprenant les entreprises actives dans les secteurs des télécommunications, de l’électricité et de l’eau.

12      Les caractéristiques du système d’imposition devant être introduit par ce projet sont exposées, aux points 21 à 25 de l’arrêt attaqué, comme suit:

«21      Le système d’imposition introduit par la réforme fiscale et applicable à toutes les sociétés établies à Gibraltar se compose d’un impôt sur le nombre de salariés (payroll tax), d’un impôt sur l’occupation de locaux professionnels (business property occupation tax) et d’une taxe d’enregistrement (registration fee):

–        l’impôt sur le nombre de salariés: toutes les sociétés de Gibraltar seront assujetties à un impôt sur le nombre de salariés à hauteur de 3 000 GBP par salarié et par an; chaque ‘employeur’ de Gibraltar sera tenu d’acquitter un impôt sur le nombre de salariés pour l’ensemble de ses ‘salariés’ travaillant à temps plein ou à temps partiel et ‘employés à Gibraltar’; la législation relative à la réforme fiscale contient une définition des termes précités;

–        l’impôt sur l’occupation de locaux professionnels (Business Property Occupation Tax, ci‑après le ‘BPOT’): toutes les sociétés occupant des locaux à Gibraltar à des fins professionnelles devront acquitter un impôt sur l’occupation desdits locaux fixé à un taux équivalant à un pourcentage de leur assujettissement au taux général de l’impôt foncier à Gibraltar;

–        la taxe d’enregistrement: toutes les sociétés de Gibraltar devront acquitter une taxe d’enregistrement annuelle dont le montant s’élèvera à 150 GBP pour les sociétés non destinées à générer des revenus et à 300 GBP pour les sociétés destinées à générer des revenus.

22      L’assujettissement à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT sera plafonné à 15 % des bénéfices. Il résulte de l’instauration de ce plafond que les sociétés paieront l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT uniquement si elles font des bénéfices et que le montant de l’impôt n’excédera pas 15 % desdits bénéfices.

[…]

23      Certaines activités, à savoir les services financiers et celles de réseau, seront assujetties à un impôt supplémentaire (ou de pénalité) sur les bénéfices générés par ces activités. L’impôt supplémentaire ne s’appliquera qu’aux bénéfices qui peuvent être attribués à ces activités.

24      Ainsi, les sociétés de services financiers seront redevables, en sus de l’impôt sur le nombre de salariés et du BPOT, d’un impôt supplémentaire (ou de pénalité) sur les bénéfices générés par les activités de services financiers à un taux compris entre 4 et 6 % des bénéfices (calculés conformément aux normes comptables internationalement acceptées); l’imposition totale de ces sociétés (impôt sur le nombre de salariés, BPOT et impôt supplémentaire) sera plafonnée à 15 % des bénéfices.

25      Les entreprises de réseau seront redevables, en sus de l’impôt sur le nombre de salariés et du BPOT, d’un impôt supplémentaire (ou de pénalité) sur les bénéfices générés par leurs activités qui sera égal à 35 % des bénéfices (calculés conformément aux normes comptables internationalement acceptées). Ces entreprises seront autorisées à déduire l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT de leur impôt supplémentaire. Bien que l’imposition annuelle totale des entreprises de réseau (impôt sur le nombre de salariés et BPOT) soit également plafonnée à 15 % des bénéfices, le fonctionnement de l’impôt supplémentaire pour les entreprises de réseau assurera que ces dernières paieront toujours un impôt égal à 35 % de leurs bénéfices.»

III –  La procédure administrative et la décision litigieuse

13      À la suite de la notification à la Commission par le Royaume-Uni du projet de réforme fiscale, celle-ci a, par lettre du 16 octobre 2002, informé cet État membre de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (ci-après la «décision d’ouvrir la procédure formelle») et a invité les intéressés à présenter leurs observations (JO 2002, C 300, p. 2).

14      Cette décision fait référence au point 9 de la communication de la Commission sur l’application des règles relatives aux aides d’État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO 1998, C 384, p. 3, ci-après la «communication sur les aides d’État en matière fiscale»). Aux points 29 à 33 et 37 à 44 de ladite décision, la Commission expose quatre éléments du projet de réforme fiscale qu’elle considère comme conférant des avantages sélectifs sur le plan matériel, à savoir la condition tenant à la réalisation de bénéfices conférant des avantages aux sociétés non profitables, les différents plafonnements de l’imposition conférant des avantages aux sociétés bénéficiant de ces plafonnements, l’exemption d’imposition pour des entreprises implantées dans certaines zones de Gibraltar et, enfin, l’exemption des intérêts reçus en vertu des prêts accordés pour réaliser certains objectifs. Les sociétés «offshore» n’y figurent pas comme bénéficiant d’un avantage sélectif.

15      Au point 60, sous f), de la décision d’ouvrir la procédure formelle, la Commission demande au Royaume-Uni de lui fournir les informations suivantes:

«Une estimation du nombre, de la taille et des activités:

–        des sociétés qui ne réalisent pas de bénéfices et, par conséquent, échapperont à la taxe sur le nombre de salariés et au BPOT,

–        des sociétés réalisant des bénéfices sans employer de salariés (c’est‑à‑dire sans unités salariés imposables),

–        des sociétés réalisant des bénéfices employant moins d’un salarié (à l’exclusion de celles n’ayant pas de salarié).»

16      La Commission a reçu des observations du Royaume-Uni, de la Confederación Española de Organizaciones Empresariales (Confédération espagnole des associations d’entreprises), de l’Ålands Landskapsstyrelse [exécutif des îles Åland (Finlande)], du Royaume d’Espagne et du Government of Gibraltar.

17      Le Royaume d’Espagne a ainsi estimé, au point 3 de ses commentaires, soumis à la Commission le 3 janvier 2003:

«[…]

Outre ces observations approuvant les objections soulevées par la Commission, qui, fondamentalement, suffisent à elles seules à mettre en cause la validité de la réforme proposée par le Royaume‑Uni au nom du Government of Gibraltar, il nous paraît essentiel que l’appréciation de la compatibilité du régime se fasse en tenant dûment compte du contexte économique et fiscal réel existant sur le territoire de l’autorité qui le propose.

La réforme fiscale envisagée comprend certaines caractéristiques très singulières, telles que:

[…]

c)      En ce qui concerne les 28 800 sociétés qui ne sont pas assujetties à l’impôt complémentaire dont il est question au point a) ci‑dessus, le régime fiscal envisagé consiste non pas, en réalité, en un impôt général sur les bénéfices des sociétés, mais en un ensemble de diverses taxes spécifiques (l’impôt sur le nombre de salariés, le [BPOT], la taxe d’enregistrement) faisant l’objet de plafonds, de sorte que la charge fiscale est extrêmement faible, voire inexistante (ce n’est pas pour rien qu’à Gibraltar ce projet est dénommé ‘impôt zéro’).

Il convient de garder à l’esprit que, étant donné que la plupart des 28 800 sociétés immatriculées peuvent être considérées comme étant des sociétés ‘boîtes aux lettres’ ou de gestion d’actifs, elles devront, sous réserve de réaliser des bénéfices, s’acquitter d’un impôt de 3 000 GBP par salarié et par an. Dans la mesure où la plupart d’entre elles n’ont, en principe, qu’un seul salarié (un comptable ou un auditeur), le plus souvent employé à temps partiel, elles paieront au maximum 3 000 GBP par an si elles n’occupent pas de locaux (ce qui est généralement le cas), car elles n’auront pas à s’acquitter du [BPOT].

[…]

d)      Les sociétés ‘offshore’ échapperont au champ d’application de deux des nouvelles taxes: quelque 8 000 sociétés sans aucune présence physique à Gibraltar seront ainsi exonérées.

[…]

Une telle réforme fiscale présente bien des singularités et ne modifie en rien la situation fiscale des entreprises ne disposant ni de personnel ni de locaux à Gibraltar.

[…]»

18      La Commission a transmis ces observations au Royaume-Uni, qui lui a fait part de ses commentaires par lettre du 13 février 2003 sans toutefois prendre position sur les arguments du Royaume d’Espagne relatifs au traitement fiscal des sociétés «offshore».

19      Au point 163 de la décision litigieuse, la Commission a conclu que «[le projet de réforme fiscale] constitue un régime d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. Aucune des dérogations visées à l’article 87, paragraphes 2 et 3, du traité CE ne s’applique. En conséquence, le Royaume-Uni n’est pas autorisé à mettre en œuvre la réforme».

20      Selon la Commission, et ainsi que cela ressort des considérants 98 à 152 de la décision litigieuse, le projet de réforme fiscale est sélectif sur le plan tant régional que matériel. Il serait sélectif sur le plan régional dans la mesure où il prévoit un système d’impôt sur les sociétés en vertu duquel les entreprises gibraltariennes sont imposées, de manière générale, à un taux moindre que les entreprises britanniques (considérant 127 de la décision litigieuse).

21      La Commission considère que certains aspects du projet de réforme fiscale sont sélectifs sur le plan matériel. Ainsi, seraient sélectifs sur ce plan, premièrement, la condition de dégager des bénéfices avant d’être assujetti à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT, cette condition favorisant les entreprises qui ne dégagent pas de bénéfices (considérants 128 à 133 de la décision litigieuse) et, deuxièmement, le plafond de 15 % des bénéfices appliqué à l’assujettissement à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT, ce plafond favorisant les entreprises qui, pour l’exercice fiscal en cause, ont des bénéfices peu élevés par rapport au nombre de salariés et à l’occupation de locaux professionnels (considérants 134 à 141 de la décision litigieuse). Enfin, troisièmement, serait également sélectif sur le plan matériel le fait de prévoir un impôt sur le nombre de salariés et le BPOT, ces deux impôts favorisant, par nature, les sociétés «offshore» n’ayant pas de réelle présence physique à Gibraltar et qui, de ce fait, ne sont pas redevables de l’impôt sur les sociétés (considérants 142 à 144 et 147 à 151 de la décision litigieuse).

22      Le dispositif de la décision litigieuse prévoit à son article 1er:

«Les propositions notifiées par le Royaume-Uni en vue de la réforme du système de fiscalité des entreprises à Gibraltar constituent un régime d’aides d’État incompatible avec le marché commun.

En conséquence, ces propositions ne peuvent être mises à exécution.» 

IV –  La procédure en première instance et l’arrêt attaqué

23      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 9 juin 2004, le Government of Gibraltar, dans l’affaire T‑211/04, et le Royaume-Uni, dans l’affaire T‑215/04, ont introduit chacun un recours en annulation de la décision litigieuse.

24      Ces requérants ont invoqué, en substance, trois moyens identiques dans chacune desdites affaires. Les premier et deuxième moyens sont tirés d’erreurs de droit et d’appréciation concernant l’application, respectivement, du critère de sélectivité régionale et du critère de sélectivité matérielle. Le troisième moyen est tiré de la violation des formes substantielles dans le cadre de l’examen du troisième aspect du projet de réforme fiscale relatif aux sociétés «offshore». Ce dernier moyen se subdivise en deux branches, la première étant relative à une violation du droit d’être entendu invoqué tant par le Royaume-Uni que par le Government of Gibraltar et la seconde étant relative à une erreur de motivation, soulevée uniquement par le Government of Gibraltar.

25      Par ordonnances du président de la troisième chambre du Tribunal des 14 décembre 2004 et 15 février 2005, il a été fait droit aux demandes d’intervention, respectivement, du Royaume-Uni au soutien des conclusions du Government of Gibraltar dans l’affaire T-211/04 et du Royaume d’Espagne au soutien des conclusions de la Commission dans l’affaire T‑215/04.

26      Le Tribunal a accueilli tant le premier moyen des requérants relatif à la sélectivité régionale que le deuxième moyen relatif à la sélectivité matérielle. De ce fait, le Tribunal n’a pas procédé à l’examen du troisième moyen tiré de la violation des formes substantielles.

V –  La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

27      Par ordonnance du président de la Cour du 26 juin 2009, les affaires C‑106/09 P et C‑107/09 P ont été jointes aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

28      Par ordonnance du président de la Cour du 25 septembre 2009, l’Irlande a été admise à intervenir dans les présentes affaires au soutien des conclusions du Royaume-Uni et du Government of Gibraltar.

29      Dans son pourvoi, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        à titre principal:

–        annuler l’arrêt attaqué;

–        rejeter les requêtes en annulation déposées par le Government of Gibraltar et par le Royaume-Uni, et

–        condamner le Government of Gibraltar ainsi que le Royaume-Uni aux dépens;

–        à titre subsidiaire:

–        renvoyer les affaires devant le Tribunal pour un nouvel examen, et

–        réserver les dépens des deux instances.

30      Dans son pourvoi, le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        annuler l’arrêt attaqué;

–        déclarer conforme au droit la décision litigieuse, et

–        condamner les parties défenderesses aux dépens.

31      Le Government of Gibraltar conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi introduit par la Commission et celui introduit par le Royaume d’Espagne, et

–        condamner la Commission et le Royaume d’Espagne aux dépens supportés par le Government of Gibraltar.

32      Le Royaume-Uni conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi introduit par la Commission et celui introduit par le Royaume d’Espagne, et

–        condamner la Commission et le Royaume d’Espagne aux dépens.

33      L’Irlande conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–        rejeter le pourvoi introduit par la Commission, et

–        condamner la Commission aux dépens.

VI –  Sur les pourvois

34      La Commission soulève un moyen unique tiré de la violation de l’article 87, paragraphe 1, CE. Ce moyen, relatif aux conclusions du Tribunal à l’égard de la sélectivité matérielle du projet de réforme fiscale, est divisé en six branches. Le Royaume d’Espagne invoque onze moyens qui peuvent être répartis en trois groupes relatifs, en premier lieu, à la sélectivité régionale de ce projet et au statut de Gibraltar (les sept premiers moyens et le neuvième moyen), en deuxième lieu, à la sélectivité matérielle (huitième moyen) et, en dernier lieu, à la procédure devant le Tribunal (dixième et onzième moyens).

35      D’emblée, il convient d’examiner les moyens relatifs à la sélectivité matérielle, à savoir le moyen unique de la Commission et le huitième moyen soulevé par le Royaume d’Espagne.

A –  Sur le moyen unique de la Commission et le huitième moyen du Royaume d’Espagne

1.     Motifs de l’arrêt attaqué

36      Avant de procéder à l’examen de la décision litigieuse, le Tribunal pose, aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué, le cadre d’analyse devant être respecté par la Commission lorsqu’elle examine le caractère sélectif d’un régime d’aides fiscales. À cet égard, le Tribunal estime que le fait que la Commission qualifie une mesure fiscale de sélective suppose nécessairement qu’elle identifie, dans un premier temps, le régime «normal» du système fiscal. Par rapport à ce régime fiscal «normal», la Commission devrait, dans un deuxième temps, apprécier et établir l’éventuel caractère sélectif de l’avantage octroyé par la mesure fiscale en cause, en démontrant que cette mesure déroge audit régime «normal». Dans un troisième temps, il conviendrait d’examiner si, en présence de telles dérogations, la mesure ayant pour conséquence une différenciation entre entreprises peut néanmoins ne pas être «sélective» lorsque cette dernière résulte de la nature ou de l’économie du système de charges dans lequel elle s’inscrit.

37      Selon le Tribunal, la Commission ne saurait omettre ces première et deuxième étapes du contrôle du caractère sélectif de la mesure en cause, sous peine de se substituer à l’État membre pour ce qui est de la détermination de son système fiscal et du régime «normal» au sein de ce système. S’agissant de la détermination du système fiscal en cause, le Tribunal estime que, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, la fiscalité directe relève de la compétence des États membres. Ainsi, ces derniers et les entités infraétatiques disposant d’une autonomie fiscale seraient seuls compétents pour concevoir les systèmes d’impôt sur les sociétés qu’ils considèrent les mieux adaptés aux besoins de leurs économies.

38      Au point 148 de l’arrêt attaqué, le Tribunal rappelle que, dans la décision litigieuse, «la Commission a conclu que trois aspects du système fiscal introduit par [le projet de réforme fiscale] confèrent des avantages sélectifs aux sociétés qui en bénéficient et sont donc susceptibles de constituer des aides d’État, à savoir, premièrement, la condition de dégager des bénéfices avant d’être assujetti à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT, deuxièmement, le plafond de 15 % des bénéfices appliqué à l’assujettissement à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT et, troisièmement, l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT dans leur nature même».

39      Ensuite, le Tribunal procède à l’examen de la décision litigieuse au regard du cadre d’analyse tel qu’il a été posé aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué.

40      À cet égard, le Tribunal constate, au point 170 de l’arrêt attaqué, que, eu égard aux explications fournies par le Government of Gibraltar et par le Royaume-Uni, selon lesquelles l’ensemble des éléments du projet de réforme fiscale constituent un système fiscal à part entière qu’il convient de considérer comme étant le régime fiscal «normal», «la Commission ne pouvait renoncer à s’acquitter de son devoir, tel que décrit au point 143 [de l’arrêt attaqué], d’identifier au préalable et, le cas échéant, de remettre en cause la qualification par les autorités de Gibraltar du régime […] ‘normal’ du système fiscal notifié». Or, le Tribunal estime, aux points 171 à 174 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’a pas suivi les étapes dudit cadre d’analyse et a outrepassé, par là même, eu égard à la compétence étatique en matière fiscale, les limites de son contrôle.

41      En outre, le Tribunal relève également, au point 175 de l’arrêt attaqué, que, «hormis le non-respect par la Commission du cadre d’analyse relatif à la détermination de la sélectivité, […] ni les considérations reprises dans la décision [litigieuse] […] ni les arguments avancés par la Commission et par le Royaume d’Espagne en cours d’instance ne suffisent à remettre en cause le bien-fondé de la définition du régime […] ‘normal’ du système fiscal notifié».

42      À ce dernier égard, le Tribunal considère, en premier lieu, aux points 176 à 178 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’est pas parvenue à démontrer que la condition de l’imposition, à savoir la réalisation de bénéfices, et le plafonnement de l’impôt à 15 % des bénéfices sont à considérer comme dérogatoires et que, dès lors, le régime fiscal doit être qualifié de sélectif.

43      En deuxième lieu, le Tribunal constate, aux points 179 à 181 de l’arrêt attaqué, que ni le fait que la Commission considère ce système fiscal comme étant «hybride» ni la circonstance qu’une entreprise qui n’a pas de «présence physique» à Gibraltar échappe à l’impôt sur le nombre de salariés et au BPOT ne permettent de démontrer la sélectivité du régime fiscal en cause.

44      En troisième lieu, selon les points 182 à 184 de l’arrêt attaqué, les considérations de la Commission quant aux différents critères retenus par le régime litigieux pour déterminer l’imposition d’une entreprise sont trop vagues pour remettre en cause la définition, telle qu’avancée par les autorités de Gibraltar, de ce qui constitue le régime «normal» au sein du projet de réforme fiscale.

45      Le Tribunal conclut, au point 185 de l’arrêt attaqué, qu’aucun des aspects du projet de réforme fiscale identifiés par la Commission ne saurait être considéré comme conférant un avantage sélectif au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, dès lors que la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit qu’ils constituent des dérogations au régime fiscal «normal».

46      Enfin, le Tribunal relève, au point 186 de l’arrêt attaqué, «que la comparaison des prétendus effets du système fiscal introduit par [le projet de réforme fiscale] avec les effets du système fiscal antérieur […], telle qu’effectuée par la Commission au tableau 1 et au considérant 150 de la décision [litigieuse], ne saurait, en l’espèce, être retenue aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE».

2.     Argumentation des parties

47      Dans son pourvoi, la Commission soulève un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE et portant sur l’examen de la sélectivité matérielle effectué par le Tribunal. Ce moyen est divisé en six branches.

48      Par la première branche de ce moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a mal évalué la relation existant entre l’article 87, paragraphe 1, CE et l’étendue de la compétence des États membres en matière fiscale. La Commission estime, à cet égard, que les compétences des États membres en matière fiscale sont encadrées par le droit de l’Union, en particulier par l’article 87, paragraphe 1, CE et que la seule circonstance qu’une règle nationale relève du droit fiscal ne saurait soustraire cette règle au respect dudit article puisque cet article définit les mesures étatiques non selon leur cause ou leurs objectifs, mais selon leurs effets.

49      Par la deuxième branche de son moyen unique, la Commission soutient que le Tribunal a erronément considéré qu’elle était tenue d’identifier, au préalable, le régime «normal» du système fiscal contenu dans le projet de réforme et, ensuite, de démontrer le caractère dérogatoire des mesures en cause par rapport à ce régime. Une telle approche méconnaîtrait la possibilité, pour un État membre, d’instaurer un système fiscal intrinsèquement discriminatoire du fait même de sa structure. En effet, grâce à une sélection judicieuse des critères à appliquer dans son système d’imposition prétendument «normal», Gibraltar serait parvenue à produire, dans une large mesure, les effets d’un régime qui incorporerait manifestement une aide d’État en faveur de certaines catégories d’entreprises.

50      Par la troisième branche de son moyen unique, la Commission soutient que le Tribunal a enfreint les principes relatifs à l’interprétation de la notion d’aide d’État, selon lesquels les mesures nationales doivent être examinées au regard de leurs effets et non de l’objectif poursuivi ou d’une certaine technique réglementaire.

51      Par la quatrième branche de ce moyen, la Commission fait valoir que l’approche du Tribunal conduit à considérer que toutes les caractéristiques d’un système fiscal, sans égard à l’avantage qu’elles confèrent à certains bénéficiaires, constituent automatiquement une partie intégrante de ce système et non une dérogation, et échappent, par conséquent, à l’application des règles relatives aux aides d’État.

52      Par la cinquième branche dudit moyen, la Commission reproche au Tribunal d’avoir considéré, à tort, que la Commission n’avait ni identifié le régime fiscal «normal» ni démontré que des caractéristiques données du projet de réforme fiscale constituaient des dérogations à ce régime. En effet, la Commission aurait clairement et régulièrement identifié le système fiscal notifié comme étant fondé sur l’imposition de la main-d’œuvre employée et de l’occupation des locaux professionnels. En outre, la Commission remarque que le motif retenu par le Tribunal pour annuler la décision litigieuse repose non pas sur un défaut de motivation, mais sur une erreur de droit.

53      Par la sixième branche de son moyen unique, la Commission fait valoir que le Tribunal a omis d’examiner les trois éléments de sélectivité relevés dans la décision litigieuse en s’abstenant d’analyser les constatations de la Commission fondées sur les effets concrets du projet de réforme fiscale, à savoir que ce dernier parvient à des niveaux d’imposition différents pour différents secteurs de l’économie de Gibraltar et procure un avantage sélectif aux entreprises «offshore» n’ayant pas de salariés et n’occupant pas de locaux à Gibraltar.

54      Même si le Tribunal a reproduit les passages pertinents de la décision litigieuse aux points 156 à 162 de l’arrêt attaqué, il n’aurait pas pris position sur les aspects sélectifs du projet de réforme fiscale ainsi identifiés. Le Tribunal aurait ignoré, au point 186 de l’arrêt attaqué, la pertinence de la comparaison du projet de réforme fiscale avec le système fiscal antérieur. Il conviendrait de relever que la Commission avait souligné, en se référant au système antérieur, que le régime examiné dans la décision litigieuse visait à perpétuer la situation antérieure en produisant les mêmes effets malgré l’utilisation d’une technique différente. Ainsi, l’approche du Tribunal accorderait un poids décisif à des considérations de techniques fiscales au détriment d’une appréciation au regard des effets d’une mesure.

55      Le Royaume d’Espagne soutient, par son huitième moyen, que le Tribunal a considéré à tort que le critère de sélectivité matérielle n’était pas satisfait. En effet, la grande majorité des entreprises établies à Gibraltar, à savoir 28 798 sociétés sur 29 000, parviendraient à obtenir un taux d’imposition nul. Par conséquent, le régime qualifié par le Tribunal comme étant général serait, en réalité, un régime spécial créant une «sélectivité de facto».

56      Dans sa réponse au pourvoi de la Commission, le Royaume d’Espagne soutient le moyen soulevé par la Commission. Le véritable objectif poursuivi par le projet de réforme fiscale consisterait à continuer à attirer du capital étranger dont les détenteurs cherchent à contourner les régimes d’imposition normaux auxquels ils seraient soumis dans leur pays d’origine. En outre, l’analyse d’un impôt sur les sociétés constituant une opération requérant une appréciation économique complexe, le Tribunal aurait, à tort, substitué l’appréciation économique réalisée par la Commission par sa propre appréciation en ce qui concerne les éléments de sélectivité identifiés par la Commission dans la décision litigieuse.

57      Le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni font valoir, tout d’abord, que le Tribunal a rejeté, à bon droit, l’approche retenue par la Commission dans la décision litigieuse. Cette approche serait erronée et opposée à l’approche habituelle de la Commission telle qu’elle ressort notamment de la communication sur les aides d’État en matière fiscale. Cette nouvelle approche aboutirait à anéantir la souveraineté fiscale reconnue aux États membres par le traité CE ainsi que par la jurisprudence constante de la Cour et permettrait à la Commission de procéder à l’harmonisation de la fiscalité directe.

58      Quant à la première branche du moyen unique soulevé par la Commission, le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni estiment que celle-ci met en cause la compétence des États membres en matière fiscale et se fonde sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal n’aurait pas négligé l’encadrement, par le droit de l’Union, de la souveraineté fiscale des États membres.

59      De même, la thèse invoquée au soutien de la deuxième branche du moyen unique de la Commission mettrait en cause la souveraineté fiscale des États membres. La seule circonstance qu’un régime fiscal crée pour certaines entreprises un avantage ne saurait suffire à elle seule pour considérer ce régime comme étant sélectif, puisqu’il serait nécessaire au préalable d’identifier le régime normal. Cela serait corroboré par la communication sur les aides d’État en matière fiscale, par laquelle la Commission serait liée en vertu du principe de protection de la confiance légitime.

60      La Commission procéderait également, dans le cadre de la troisième branche de son moyen unique, à une lecture erronée de l’arrêt attaqué en ce qu’elle prétendrait que le Tribunal a dit pour droit que la Commission devait se fonder sur les objectifs déclarés par les autorités nationales ou régionales au lieu d’examiner le contenu réel des règles en cause.

61      La thèse soutenue par la Commission, dans le cadre de la quatrième branche de son moyen unique, selon laquelle un système fiscal «normal» ne saurait appliquer plus d’un critère d’imposition, serait également inconciliable avec la souveraineté fiscale des États membres. En effet, ces États devraient être libres d’adopter les impôts qu’ils considèrent comme étant les plus appropriés pour leurs besoins et de choisir les bases d’imposition qu’ils souhaitent, en incluant, dans leurs règles fiscales, les dispositions normales et nécessaires relatives à la capacité contributive des assujettis qui seraient une caractéristique commune des impôts. Le fait qu’un régime fiscal réponde à plus d’un objectif serait tout à fait légitime.

62      En outre, la thèse sous-tendant la cinquième branche du moyen unique de la Commission serait erronée. Un système fiscal fondé sur l’utilisation de plusieurs bases d’imposition, qui inclut également des dispositions sur la capacité contributive des assujettis, ne saurait être considéré comme incohérent. Par ailleurs, l’affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait effectué une analyse en trois étapes serait incorrecte.

63      S’agissant, enfin, de la sixième branche du moyen unique, le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni font valoir que la thèse de la Commission selon laquelle le régime fiscal est à considérer comme sélectif en raison du fait que l’économie dite «offshore» n’est pas imposée est erronée. En effet, dans chaque système fiscal, les sociétés qui ne disposent pas d’assiette telle que définie par le régime fiscal national ne verseraient pas d’impôt au titre de ce système. Ainsi, la thèse de la Commission reviendrait à imposer aux États membres, en dépit de leur souveraineté fiscale, la position de la Commission sur la question de savoir quelle serait la base d’imposition appropriée. Le seul fait que différentes sociétés paient différents montants d’impôt ne serait pas suffisant pour conclure à la sélectivité du projet de réforme fiscale.

64      S’agissant du huitième moyen soulevé par le Royaume d’Espagne, quant à la sélectivité matérielle de ce projet, le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni soulignent, tout d’abord, que le seul fait que certaines sociétés ne paient pas d’impôt n’est pas suffisant pour conclure à la sélectivité du traitement fiscal qui leur est réservé et pour considérer que ces sociétés reçoivent une aide d’État. En outre, la détermination des éléments constituant l’assiette fiscale relèverait de la souveraineté fiscale des États membres. Les autorités compétentes ne seraient notamment pas obligées d’utiliser soit les revenus, soit les bénéfices comme base d’imposition. De plus, le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni soulignent que l’examen en trois étapes d’une mesure fiscale, tel que prévu par la communication sur les aides d’État en matière fiscale et retenu par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, s’impose afin d’identifier les avantages sélectifs procurés par cette mesure. Enfin, quant à l’affirmation du Royaume d’Espagne selon laquelle 28 798 sociétés sur les 29 000 établies à Gibraltar parviendraient, en vertu du projet de réforme fiscale, à obtenir effectivement un «taux zéro» d’imposition, le Royaume-Uni exprime des doutes quant à l’exactitude de ces chiffres. Le Government of Gibraltar, sans prendre spécifiquement position sur cette affirmation du Royaume d’Espagne, avance qu’il est difficile d’estimer combien de sociétés demeureront établies à Gibraltar lorsque le projet de réforme fiscale sera mis en œuvre et fait état, dans son mémoire en réponse, du fait que, à l’heure actuelle, sur les 24 000 sociétés enregistrées à Gibraltar, environ 3 000 sont des sociétés «exonérées» au sens de l’ancien régime fiscal, environ 260 sont des sociétés de service public ou de services financiers et 18 000 sont des sociétés inactives détenant des biens.

65      L’Irlande, intervenant au soutien des conclusions du Royaume-Uni dans l’affaire C-106/09 P considère que le pourvoi de la Commission devrait être déclaré irrecevable dans la mesure où il va au-delà des éléments développés dans la décision litigieuse et dans l’arrêt attaqué. L’Irlande estime que, par la première branche de son moyen unique, la Commission cherche à faire peser sur les États membres la charge de la preuve quant à la conformité au droit de l’Union de la nature et de la structure de leur système fiscal. En outre, elle fait remarquer que la Commission tente de fonder son argumentation en la matière sur le principe de non-discrimination, tandis que les règles en matière d’aides d’État trouvent leur origine non pas dans ce principe, mais dans le concept de concurrence loyale dans le marché commun. S’agissant des autres branches du moyen unique de la Commission, l’Irlande estime que la Commission est liée, en vertu des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, par sa communication sur les aides d’État en matière fiscale. Considérer un système fiscal comme intrinsèquement discriminatoire en raison de ses effets, sans pouvoir identifier un taux d’imposition normal, serait contraire à la jurisprudence constante et à la souveraineté fiscale des États membres. En outre, il ne suffirait notamment pas de qualifier un système fiscal d’«hybride» pour en conclure que les entreprises favorisées par ce système reçoivent une aide d’État.

3.     Appréciation de la Cour

66      Contrairement à ce que soutient l’Irlande, le moyen unique de la Commission est recevable du fait qu’il tend, conformément à l’article 113 du règlement de procédure de la Cour, à l’annulation de l’arrêt attaqué sans viser à modifier l’objet du litige devant le Tribunal. En effet, la Commission reproche, à cette fin, au Tribunal d’avoir méconnu l’article 87 CE en ce qu’il aurait considéré, à tort, qu’aucun des trois éléments identifiés par la décision litigieuse comme étant sélectifs ne confère des avantages sélectifs.

67      Il convient d’écarter d’emblée le grief de la Commission, soulevé dans le cadre de la deuxième branche de son moyen unique, par lequel elle reproche au Tribunal de s’être fondé à tort sur la communication sur les aides d’État en matière fiscale, dont il aurait méconnu le contenu.

68      En effet, au regard de la référence, aux points 143 et 146 de l’arrêt attaqué, à ladite communication, il suffit de constater que le Tribunal n’en a tiré aucune conséquence de fait ou de droit, comme il ressort de l’emploi des termes «ainsi que l’énonce la Commission elle-même» et «d’ailleurs» employés auxdits points, mais qu’il s’est fondé, pour étayer son approche, telle qu’exposée aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué, sur la jurisprudence de la Cour et la répartition des compétences en matière fiscale entre l’Union et les États membres.

69      Dans ces conditions, le grief de la Commission dirigé contre cette mention de la communication sur les aides d’État en matière fiscale est inopérant (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission, C-182/99 P, Rec. p. I‑10761, points 54 et 55), de sorte qu’il n’y a pas lieu, à ce stade, d’examiner le contenu et la portée de ladite communication.

70      En vue d’examiner le moyen unique de la Commission et le huitième moyen du Royaume d’Espagne, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour relative à la notion d’avantage sélectif en matière fiscale.

71      Selon une jurisprudence constante, la notion d’aide est plus générale que celle de subvention, étant donné qu’elle comprend non seulement des prestations positives, telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions d’État qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêts du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, Rec. p. I-8365, point 38, et du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C-78/08 à C‑80/08, non encore publié au Recueil, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

72      Il en découle qu’une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387/92, Rec. p. I-877, point 14, et Paint Graphos e.a., précité, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

73      En revanche, des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constituent pas des aides d’État au sens de l’article 87 CE (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 22, et du 15 juin 2006, Air Liquide Industries Belgium, C‑393/04 et C‑41/05, Rec. p. I‑5293, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

74      Il convient donc de déterminer si le projet de réforme fiscale présente un caractère sélectif, la sélectivité étant constitutive de la notion d’aide d’État (voir arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, Rec. p. I‑7115, point 54).

75      En ce qui concerne l’appréciation de la condition de sélectivité, il résulte d’une jurisprudence constante que l’article 87, paragraphe 1, CE impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure nationale est de nature à favoriser «certaines entreprises ou certaines productions» par rapport à d’autres, qui se trouveraient, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêts Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, précité, point 41, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec. p. I‑10515, point 82 ainsi que jurisprudence citée).

76      À la lumière de cette jurisprudence, il convient d’examiner si le Tribunal a méconnu l’article 87, paragraphe 1, CE, tel qu’interprété par la Cour, en jugeant qu’aucun des trois éléments identifiés par la décision litigieuse ne confère des avantages sélectifs.

a)     Sur la condition de dégager des bénéfices et le plafonnement de l’imposition

77      Le Tribunal a conclu, au regard des deux premiers éléments de sélectivité de la mesure en cause identifiés dans la décision litigieuse, à savoir le fait qu’une imposition en vertu de l’impôt sur le nombre de salariés et du BPOT n’est due que dans la mesure où l’assujetti dégage des bénéfices et que l’imposition est plafonnée en vertu de ces deux bases d’imposition à 15 % des bénéfices, que la Commission n’est pas parvenue à démontrer que ces éléments confèrent des avantages sélectifs.

78      Cette conclusion du Tribunal n’est pas entachée d’une erreur de droit.

79      Comme il a été rappelé au point 73 du présent arrêt, seuls des avantages sélectifs et non des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques relèvent de la notion d’aide d’État.

80      Or, la condition de dégager des bénéfices et le plafonnement de l’imposition des bénéfices sont, en eux-mêmes, des mesures générales, applicables sans distinction à tous les opérateurs économiques et ne sont donc pas susceptibles d’accorder des avantages sélectifs.

81      L’affirmation de la Commission, selon laquelle le critère des bénéfices est étranger à la logique inhérente d’un système d’imposition fondé sur l’impôt sur le nombre de salariés et le BPOT, n’implique pas que ce critère, en soi neutre, devienne sélectif.

82      Le Tribunal a jugé sans commettre d’erreur de droit que la condition de dégager des bénéfices et le plafonnement de l’imposition à 15 % des bénéfices ne confèrent pas des avantages sélectifs.

83      En effet, les avantages dénoncés par la Commission résultant de mesures applicables sans distinction à tous les opérateurs économiques, à savoir la condition tenant à la réalisation de bénéfices dont profiteraient les opérateurs peu rentables et ceux résultant du plafonnement de l’imposition dont bénéficieraient les opérateurs très rentables, ne permettent pas de regarder le régime fiscal sous examen comme comportant des effets sélectifs. Ces effets ne sont pas de nature à favoriser «certaines entreprises» ou «certaines productions» au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, mais sont uniquement la conséquence du fait aléatoire que l’opérateur en cause est peu ou très rentable au cours de la période d’imposition.

84      Il résulte de ce qui précède qu’il convient de rejeter les griefs dirigés contre la conclusion formulée par le Tribunal selon laquelle la Commission n’est pas parvenue à démontrer que les deux premiers éléments identifiés dans la décision litigieuse, à savoir la condition tenant à la réalisation de bénéfices et le plafonnement de l’imposition à 15 % des bénéfices, confèrent des avantages sélectifs.

b)     Sur les avantages bénéficiant aux sociétés «offshore»

85      Le Tribunal a conclu, au point 185 de l’arrêt attaqué, à l’absence d’avantages sélectifs au profit des sociétés «offshore». La Commission, à défaut d’avoir respecté le cadre d’analyse relatif à la détermination de la sélectivité de la mesure fiscale tel qu’exposé aux points 143 à 146 de l’arrêt attaqué et rappelé aux points 36 et 37 du présent arrêt, ne serait pas parvenue à démontrer que les sociétés «offshore», qui de par leur nature n’ont pas de présence physique à Gibraltar, bénéficient d’avantages sélectifs.

86      Ce raisonnement est entaché d’une erreur de droit.

87      En effet, il convient de rappeler à cet égard, en premier lieu, la jurisprudence constante selon laquelle l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées (voir arrêts British Aggregates/Commission, précité, points 85 et 89 ainsi que jurisprudence citée, et du 8 septembre 2011, Commission/Pays-Bas, C‑279/08 P, non encore publié au Recueil, point 51).

88      Or, l’approche retenue par le Tribunal, fondée sur la seule prise en compte de la technique réglementaire utilisée par le projet de réforme fiscale, ne permet pas d’examiner les effets de la mesure fiscale en question et exclut a priori toute possibilité de qualifier d’«avantage sélectif» l’absence de toute imposition pour les sociétés «offshore». Par conséquent, cette approche se heurte à la jurisprudence rappelée au point 87 du présent arrêt.

89      En deuxième lieu, il convient de constater que l’approche du Tribunal méconnaît également la jurisprudence rappelée au point 71 du présent arrêt selon laquelle l’existence d’un avantage sélectif au profit d’une entreprise présuppose que les charges grevant normalement le budget de celle-ci sont allégées.

90      Certes, la Cour a retenu, au point 56 de son arrêt Portugal/Commission, précité, que la détermination du cadre de référence revêt une importance accrue dans le cas de mesures fiscales puisque l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite «normale».

91      Toutefois, contrairement au raisonnement du Tribunal et à la thèse soutenue par le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni, cette jurisprudence ne subordonne pas la qualification d’un système fiscal de «sélectif» au fait que celui-ci soit conçu de façon à ce que les entreprises bénéficiant éventuellement d’un avantage sélectif soient, en général, soumises aux mêmes charges fiscales que les autres entreprises mais profitent de règles dérogatoires, de sorte que l’avantage sélectif peut être identifié comme étant la différence entre la charge fiscale normale et celle supportée par ces premières entreprises.

92      En effet, une telle compréhension du critère de sélectivité présupposerait, contrairement à la jurisprudence rappelée au point 87 du présent arrêt, qu’un régime fiscal, afin qu’il puisse être qualifié de sélectif, soit conçu selon une certaine technique réglementaire, ce qui aurait pour conséquence que des règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent, en droit et/ou en fait, les mêmes effets.

93      Ces considérations valent surtout pour un système fiscal qui, comme en l’espèce, au lieu de prévoir des règles générales pour l’ensemble des entreprises, auxquelles il est dérogé en faveur de certaines entreprises, aboutit à un résultat identique en ajustant et en combinant les règles fiscales de façon à ce que l’application même de celles-ci conduit à une charge fiscale différenciée pour les différentes entreprises.

94      En troisième lieu, il convient de constater que le Tribunal a erronément reproché, aux points 184 à 186 de l’arrêt attaqué, à la Commission de ne pas avoir démontré l’existence d’un avantage sélectif au profit des sociétés «offshore», à défaut d’avoir identifié, dans la décision litigieuse, un cadre de référence au regard duquel l’existence d’un avantage sélectif peut être établie.

95      En effet, il y a lieu de relever, à ce titre, que, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au regard des points 143, 144 et 150 de la décision litigieuse, il ressort de ces points que la Commission a examiné l’existence des avantages sélectifs au profit des sociétés «offshore» au regard du régime fiscal en cause qui s’applique formellement à toutes les entreprises. Il apparaît ainsi que la décision litigieuse identifie ce régime en tant que cadre de référence au regard duquel les sociétés «offshore» seraient, en fait, favorisées.

96      En dernier lieu, il convient de constater que la Commission, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, a démontré à suffisance de droit, dans la décision litigieuse, que les sociétés «offshore» profitent, au regard de ce cadre de référence, d’avantages sélectifs au sens de la jurisprudence rappelée au point 75 du présent arrêt.

97      Certes, en l’absence de réglementation de l’Union en la matière, relève de la compétence des États membres ou des entités infraétatiques disposant d’une autonomie fiscale la désignation des bases d’imposition et la répartition de la charge fiscale sur les différents facteurs de production et les différents secteurs économiques, comme le constate le Tribunal au point 146 de l’arrêt attaqué.

98      Toutefois, le Tribunal a omis d’apprécier le régime en cause dans son ensemble et n’a pas tenu compte des éléments sur lesquels la Commission a fondé son appréciation du régime en cause dans la décision litigieuse.

99      À ce titre, il importe de rappeler les caractéristiques constantes du régime en cause, tel que décrit aux points 21 à 25 de l’arrêt attaqué.

100    Ce régime est caractérisé, d’une part, par la combinaison de l’impôt sur le nombre de salariés et du BPOT en tant que seules bases d’imposition, assorties de la condition de dégager des bénéfices dont l’imposition est plafonnée à 15 %, et, d’autre part, par l’absence de base d’imposition d’application générale prévoyant une imposition de toutes les sociétés visées par ce régime.

101    Au regard des caractéristiques de ce régime, rappelées au point précédent, il apparaît que le régime litigieux, en combinant ces bases, même si celles-ci reposent sur des critères, en eux-mêmes, de nature générale, opère, en fait, une discrimination entre des sociétés se trouvant dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par le projet de réforme fiscale, à savoir celui d’introduire un système général d’imposition pour toutes les sociétés établies à Gibraltar.

102    Ainsi, la combinaison de ces bases d’imposition n’a pas uniquement pour conséquence d’aboutir à une imposition qui est fonction du nombre de salariés et de la taille des locaux professionnels occupés, mais exclut d’emblée de toute imposition, en raison de l’absence d’autres bases d’imposition, les sociétés «offshore» du fait qu’elles n’ont pas de salariés et n’occupent pas non plus de locaux professionnels.

103    Certes, conformément à la jurisprudence citée au point 73 du présent arrêt, une charge fiscale différente résultant de l’application d’un régime fiscal «général» ne saurait suffire, en soi, pour établir la sélectivité d’une imposition aux fins de l’article 87, paragraphe 1, CE.

104    Ainsi, les critères constituant la base d’imposition retenus par un système fiscal doivent également être, afin de pouvoir être reconnus comme conférant des avantages sélectifs, de nature à caractériser les entreprises bénéficiaires en vertu des propriétés qui leur sont spécifiques en tant que catégorie privilégiée, permettant ainsi la qualification d’un tel régime comme favorisant «certaines» entreprises ou «certaines» productions au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

105    Or, tel est précisément le cas en l’occurrence.

106    À cet égard, il convient d’observer que la circonstance que les sociétés «offshore» ne sont pas imposées est non pas une conséquence aléatoire du régime en cause, mais la conséquence inéluctable du fait que les bases d’imposition sont précisément conçues de façon à ce que les sociétés «offshore» qui, par leur nature, n’emploient pas de salariés et n’occupent pas de locaux professionnels, ne disposent pas de l’assiette fiscale au sens des bases d’imposition retenues dans le projet de réforme fiscale.

107    Ainsi, la circonstance que les sociétés «offshore», qui constituent à l’égard des bases d’imposition retenues dans le projet de réforme fiscale un groupe de sociétés, échappent à l’imposition, précisément en raison des caractéristiques propres et spécifiques à ce groupe, permet de considérer que ces sociétés bénéficient d’avantages sélectifs.

108    Il résulte de tout ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le projet de réforme fiscale ne confère pas d’avantages sélectifs, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, aux sociétés «offshore».

109    Par conséquent, le moyen unique de la Commission et le huitième moyen du Royaume d’Espagne sont fondés sur ce point, de sorte qu’il y a lieu d’annuler l’arrêt attaqué de ce chef.

110    Il en découle qu’il n’y a plus lieu d’examiner les sept premiers moyens et le neuvième moyen du Royaume d’Espagne, relatifs à la sélectivité régionale et au statut de Gibraltar. Il n’est pas non plus nécessaire d’examiner les dixième et onzième moyens dudit État membre, relatifs à la procédure devant le Tribunal.

VII –  Sur les recours devant le Tribunal

111    Conformément à l’article 61, premier alinéa, deuxième phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer définitivement sur le litige, lorsqu’il est en état d’être jugé.

112    En l’espèce, la Cour estime que les recours en annulation de la décision litigieuse introduits par les parties demanderesses en première instance sont en état d’être jugés et qu’il y a lieu de statuer définitivement sur ceux-ci.

113    Il convient, dès lors, d’examiner les recours introduits devant le Tribunal par le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni.

114    Les parties demanderesses en première instance ont invoqué, en substance, trois moyens. Le premier moyen et le deuxième moyen qui se subdivise en trois branches sont tirés d’erreurs concernant l’application, respectivement, du critère de sélectivité régionale et du critère de sélectivité matérielle. Le troisième moyen est tiré de la violation des formes substantielles dans le cadre de l’examen effectué par la Commission concernant les sociétés «offshore». Ce dernier moyen se subdivise en deux branches, la première, relative à une violation des droits de la défense, est invoquée tant par le Government of Gibraltar que par le Royaume-Uni et la seconde, relative à une erreur de motivation, est quant à elle soulevée uniquement par le Government of Gibraltar.

115    En premier lieu, il convient de traiter les trois branches du deuxième moyen portant sur la sélectivité matérielle ainsi que la deuxième branche du troisième moyen du Government of Gibraltar ayant également trait à un élément relatif à la sélectivité matérielle. En deuxième lieu, la première branche du troisième moyen portant sur les droits de la défense doit être examinée. En dernier lieu, il convient de se prononcer sur le premier moyen relatif à la sélectivité régionale.

A –  Sur le deuxième moyen du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni et la deuxième branche du troisième moyen du Government of Gibraltar

116    Le deuxième moyen soulevé par les parties demanderesses en première instance, relatif à la sélectivité matérielle, comporte trois branches. Par la première branche, ces requérants reprochent à la Commission de s’être écartée de sa pratique décisionnelle et de la communication sur les aides d’État en matière fiscale. Par la deuxième branche, qui est la seule sur laquelle s’est prononcé l’arrêt attaqué, lesdits requérants soutiennent qu’aucun des trois éléments identifiés dans la décision litigieuse ne confère des avantages sélectifs. Enfin, la troisième branche vise à démontrer que ladite décision a méconnu le fait que des avantages sélectifs éventuels sont, en tout état de cause, justifiés par la nature et l’économie du système fiscal en cause. Par la deuxième branche de son troisième moyen, le Government of Gibraltar invoque une erreur de motivation de la décision litigieuse.

1.     Sur la deuxième branche du deuxième moyen

117    À l’égard des griefs soulevés dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, relative à la qualification des trois éléments identifiés dans la décision litigieuse, il convient de rappeler qu’il ressort des considérations exposées aux points 86 à 110 du présent arrêt que la Commission ne viole pas l’article 87, paragraphe 1, CE en estimant, dans la décision litigieuse, que le régime fiscal en cause accorde des avantages sélectifs.

118    En effet, s’il résulte des points 77 à 84 du présent arrêt que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que les deux premiers éléments identifiés dans la décision litigieuse, à savoir la condition de dégager des bénéfices et le plafonnement de l’imposition à 15 % des bénéfices, ne confèrent pas d’avantages sélectifs, il n’en reste pas moins que la Commission a considéré, à bon droit, en ce qui concerne le troisième élément identifié dans la décision litigieuse relatif au traitement fiscal des sociétés «offshore», que ces sociétés profitent de tels avantages.

119    Or, s’il ressort de la décision litigieuse que le régime fiscal en cause accorde des avantages sélectifs, cette conclusion est justifiée à suffisance de droit par l’existence d’avantages sélectifs au profit des sociétés «offshore», sans qu’il soit nécessaire que, de surcroît, les deux autres éléments identifiés dans cette décision comme étant sélectifs confèrent également des avantages sélectifs (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C-66/02, Rec. p. I‑10901, point 98). Ainsi, la deuxième branche du deuxième moyen est inopérante.

120    La deuxième branche du deuxième moyen du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni avancée en première instance à l’encontre de la décision litigieuse doit, par conséquent, être rejetée.

2.     Sur la deuxième branche du troisième moyen soulevée par le Government of Gibraltar

121    D’emblée, il convient de rejeter la deuxième branche du troisième moyen du Government of Gibraltar, tirée d’une erreur de motivation en ce que la Commission n’aurait pas précisé quelles sociétés forment le «vaste secteur ‘offshore’» auquel le point 143 de la décision litigieuse fait référence, cela faute d’avoir indiqué une société individuelle, un nombre d’entreprises individuelles ou un secteur économique qui bénéficieraient prétendument du projet de réforme fiscale.

122    À ce titre, il suffit de relever que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la Commission peut, dans le cas d’un régime d’aides, se borner à étudier les caractéristiques générales du régime en cause, sans être tenue d’examiner chaque cas d’application particulier, afin de vérifier si ce régime comporte des éléments d’aides (arrêt du 9 juin 2011, Comitato «Venezia vuole vivere» e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, non encore publié au Recueil, point 130 ainsi que jurisprudence citée).

3.     Sur la première branche du deuxième moyen

a)     Argumentation des parties

123    Par la première branche de leur deuxième moyen, les parties demanderesses en première instance reprochent à la Commission de s’être écartée, dans la décision litigieuse, de la communication sur les aides d’État en matière fiscale. Le Government of Gibraltar soutient en outre que cette décision est non conforme à la pratique décisionnelle de la Commission.

124    S’agissant de la portée de la communication sur les aides d’État en matière fiscale, les requérants font valoir qu’il résulte du point 13 de ladite communication que les États membres ont le pouvoir de choisir la politique économique qu’ils jugent la plus appropriée et, notamment, de répartir comme ils l’entendent la charge fiscale sur les différents facteurs de production. En outre, conformément aux points 9 et 16 de cette communication, il serait nécessaire que la Commission établisse qu’une mesure fiscale prévoie, en faveur de certaines entreprises des États membres, une exception à l’application du système fiscal, qui impliquerait que doit d’abord être établi le régime commun applicable auquel il est ensuite dérogé. Enfin, selon le point 14 de cette communication, le fait que certaines entreprises ou certains secteurs bénéficient plus que d’autres d’une certaine mesure fiscale n’aurait pas pour conséquence de la faire entrer dans le champ d’application des règles en matière d’aides d’État.

125    L’approche retenue par la Commission dans la décision litigieuse en ce qui concerne les avantages dont bénéficient les sociétés «offshore» serait inconciliable avec l’orientation qui ressortirait de ladite communication. En s’écartant de cette même communication, la Commission aurait violé le principe de protection de la confiance légitime.

126    À l’appui du grief, uniquement soulevé par le Government of Gibraltar, selon lequel la Commission aurait développé un nouveau principe de sélectivité matérielle non conforme à sa pratique décisionnelle antérieure, cette partie requérante fait état de quelques décisions de la Commission.

127    La Commission soutient que les parties demanderesses en première instance procèdent à une lecture erronée de la communication sur les aides d’État en matière fiscale. Elle fait également valoir qu’elle ne déroge pas à sa pratique décisionnelle et que l’approche adoptée dans la décision litigieuse s’inscrit dans le cadre de la jurisprudence de la Cour.

b)     Appréciation de la Cour

128    S’agissant, en premier lieu, du grief selon lequel la Commission se serait écartée, dans la décision litigieuse, de la communication sur les aides d’État en matière fiscale, il convient de rappeler que ladite communication, qui, en tant que mesure d’ordre interne adoptée par l’administration, ne saurait être qualifiée de règle de droit, énonce toutefois une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont cette dernière ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir, s’agissant des lignes directrices en matière d’aides d’État, arrêt du 9 juin 2011, Diputación Foral de Vizcaya e.a./Commission, C‑465/09 P à C‑470/09 P, point 120 et jurisprudence citée).

129    Ainsi, il doit être examiné si la Commission s’est effectivement écartée, en ce qui concerne l’examen de la sélectivité du régime en cause, de ladite communication.

130    À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que, contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses en première instance, le point 13 de ladite communication ne saurait être compris comme exemptant de tout contrôle au regard des règles en matière d’aides d’État la faculté des États membres de répartir la charge fiscale sur les différents facteurs de production. En effet, ledit point 13 précise uniquement que «les mesures fiscales ouvertes à tous les acteurs économiques» ne constituent pas des aides d’État tandis que, en l’occurrence, les avantages fiscaux dont bénéficient les sociétés «offshore» ne sont pas effectivement ouverts à tous les acteurs économiques, comme il résulte du point 102 du présent arrêt.

131    Ensuite, quant aux points 9 et 16 de la communication sur les aides d’État en matière fiscale, il importe de souligner que, contrairement à ce que soutiennent les parties demanderesses en première instance, il n’en résulte pas que l’existence d’avantages ne saurait être démontrée autrement que par le constat d’une dérogation à un régime normal d’imposition.

132    En effet, d’une part, ledit point 9 n’énonce que des exemples d’avantages sélectifs qui sont largement répandus. D’autre part, le point 16 précise que des avantages résultant d’une mesure apparemment générale peuvent néanmoins être reconnus comme étant sélectifs. Cette conclusion se trouve corroborée par le point 13 de ladite communication, qui est le premier point traitant de la distinction entre les aides d’État et les mesures générales et qui indique clairement que ces dernières doivent être «effectivement ouvertes à toutes les entreprises sur la base d’une égalité d’accès et [que] leur portée ne peut être de facto réduite».

133    Enfin, la thèse des parties demanderesses en première instance, selon laquelle la Commission se serait écartée de la communication sur les aides d’État en matière fiscale, ne trouve pas non plus d’appui dans le point 14 de cette communication. Il découle déjà de la formulation «n’a pas nécessairement pour conséquence de […] faire entrer dans le champ d’application des règles de concurrence en matière d’aides d’État», que ce point ne vise pas à exclure de manière catégorique certaines mesures de l’application des règles en matière d’aides d’État.

134    Dès lors, le grief selon lequel la Commission s’est écartée, dans la décision litigieuse, de la communication sur les aides d’État en matière fiscale doit être rejeté.

135    En second lieu, il convient d’écarter le grief soulevé par le Government of Gibraltar selon lequel la Commission aurait dérogé, dans la décision litigieuse, à sa pratique décisionnelle.

136    À ce titre, il suffit de relever que, conformément à la jurisprudence, c’est dans le seul cadre de l’article 87, paragraphe 1, CE, que doit être apprécié le caractère d’aide d’État d’une certaine mesure et non au regard d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission, C-459/10 P, point 50).

137    Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter la première branche du deuxième moyen.

4.     Sur la troisième branche du deuxième moyen

a)     Argumentation des parties

138    Par la troisième branche de leur deuxième moyen, les parties demanderesses en première instance soutiennent, en substance, que la Commission a méconnu l’article 87, paragraphe 1, CE en ne considérant pas que l’avantage sélectif au profit des sociétés «offshore» était justifié par la nature et l’économie du régime.

139    Selon ces parties, les caractéristiques du projet de réforme fiscale reflètent l’existence d’une administration fiscale nécessairement peu importante à Gibraltar ainsi que la faible base fiscale de Gibraltar qui impose des limitations inévitables et inhérentes au fonctionnement et à l’efficacité du régime fiscal de Gibraltar.

140    L’utilisation de la masse salariale et de l’occupation de locaux professionnels comme bases d’imposition serait un choix logique au regard des caractéristiques spécifiques de Gibraltar en ce qu’un tel régime fiscal aboutirait à un impôt simple et facilement contrôlable, peu coûteux à collecter et similaire aux autres impôts que la petite administration fiscale de Gibraltar a l’habitude de recueillir. Le Government of Gibraltar avance également que le projet de réforme fiscale a pour conséquence que toutes les sociétés commerciales seront imposées. La circonstance que des sociétés non commerciales, détenant seulement des avoirs, ne seront pas imposées correspondrait à la norme en matière de systèmes fiscaux.

141    Selon la Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, les avantages sélectifs dont bénéficient les sociétés «offshore» ne sauraient être justifiés par la nature et l’économie générale du projet de réforme fiscale, dès lors que celui-ci consiste, par sa nature même, en la création d’un système qui, de facto, instaure des taux d’imposition différents pour les différents types d’entreprises.

142    Bien que le projet de réforme fiscale puisse représenter un choix stratégique raisonnable du Government of Gibraltar, il présenterait néanmoins un caractère sélectif. En outre, les parties demanderesses en première instance n’expliqueraient pas dans quelle mesure il serait nécessaire, en vue d’éviter l’imposition excessive de nombreuses petites entreprises, d’imposer certaines de ces entreprises à l’exclusion d’autres, sans prendre en compte la capacité contributive de ces entreprises. Quant à l’argument selon lequel le Government of Gibraltar aurait dû avoir recours à un impôt simple se prêtant à un contrôle efficace, il ne saurait justifier qu’une quantité importante de sociétés à Gibraltar soient exonérées.

b)     Appréciation de la Cour

143    Afin d’apprécier la troisième branche du deuxième moyen des parties demanderesses en première instance, il importe de relever que la décision litigieuse ne traite pas de la question de l’éventuelle justification par la nature et l’économie du système fiscal de l’avantage dont bénéficient les sociétés «offshore».

144    Ainsi, il convient d’examiner si la Commission aurait dû prendre position, dans la décision litigieuse, sur une éventuelle justification par la nature et l’économie du système fiscal de l’avantage sélectif dont bénéficient les sociétés «offshore».

145    Selon une jurisprudence constante, la notion d’aide d’État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre les entreprises et, partant, a priori sélectives, lorsque cette différenciation résulte de la nature ou de l’économie du système dans lequel elles s’inscrivent (voir en ce sens, notamment, arrêts précités Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 42; Portugal/Commission, point 52, ainsi que British Aggregates/Commission, point 83).

146    Il incombe à l’État membre, qui a introduit une telle différenciation entre les entreprises en matière de charges, de démontrer qu’elle est effectivement justifiée par la nature et l’économie du système en cause (arrêts du 29 avril 2004, Pays-Bas/Commission, C‑159/01, Rec. p. I‑4461, point 43, et Commission/Pays-Bas, précité, point 77).

147    Un État membre qui demande à pouvoir octroyer des aides en dérogation aux règles du traité est tenu à un devoir de collaboration envers la Commission. En vertu de ce devoir, il lui incombe, notamment, de fournir tous les éléments de nature à permettre à cette institution de vérifier que les conditions de la dérogation sollicitée sont remplies (voir arrêts du 28 avril 1993, Italie/Commission, C‑364/90, Rec. p. I‑2097, point 20, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑372/97, Rec. p. I‑3679, point 81).

148    Enfin, il convient de rappeler que la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial des éléments dont elle dispose (voir, notamment, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 62).

149    Or, il importe de relever à cet égard que, d’une part, le Royaume-Uni n’a pas, ni dans la notification du projet de réforme fiscale ni dans la phase formelle d’examen de celui-ci, invoqué de justification quant aux avantages sélectifs dont bénéficient les sociétés «offshore». En effet, il est constant que, lors de la procédure formelle d’examen du projet de réforme fiscale, le Royaume-Uni n’a pas pris position sur les arguments du Royaume d’Espagne au sujet de ces avantages.

150    D’autre part, les parties demanderesses en première instance ne soutiennent pas non plus dans leurs recours devant le Tribunal que la Commission disposait des éléments en vertu desquels elle aurait dû examiner, dans la décision litigieuse, une éventuelle justification de l’avantage sélectif dont bénéficient les sociétés «offshore».

151    Partant, il convient de conclure qu’il n’y avait pas lieu, pour la Commission, d’examiner une éventuelle justification par la nature et l’économie du système fiscal des avantages sélectifs profitant aux sociétés «offshore», de sorte qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir traité ce point dans la décision litigieuse.

152    Dans ces conditions, la thèse des parties demanderesses en première instance selon laquelle la Commission a méconnu l’article 87, paragraphe 1, CE en ne considérant pas que l’avantage sélectif au profit des sociétés «offshore» était justifié par la nature et l’économie du régime doit être écartée.

153    Dès lors, la troisième branche du deuxième moyen doit être écartée.

154    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble ainsi que la deuxième branche du troisième moyen invoquée par le Government of Gibraltar.

B –  Sur le troisième moyen du Royaume-Uni et la première branche du troisième moyen du Government of Gibraltar, tirés d’une violation des droits de la défense

155    Le Royaume-Uni et le Government of Gibraltar font valoir, l’un par son troisième moyen et l’autre par la première branche de son troisième moyen, soulevés devant le Tribunal à l’encontre de la décision litigieuse, une violation de leurs droits de la défense.

1.     Argumentation des parties

156    Le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni soutiennent que la Commission a violé leurs droits de la défense en ce que celle-ci aurait évoqué, pour la première fois, dans la décision litigieuse, la question de la sélectivité matérielle sous l’angle du traitement prétendument avantageux des sociétés «offshore», cette question étant d’une nature différente de celles qui ont été analysées lors de l’évaluation préliminaire, effectuée dans la décision d’ouvrir la procédure formelle.

157    Or, la Commission devrait tenir compte, dans la conduite de la procédure d’examen d’une aide d’État, de la confiance légitime qu’ont pu faire naître les indications contenues dans la décision d’ouvrir la procédure formelle, impliquant qu’elle ne fondera pas sa décision finale sur des considérations au regard desquelles les parties intéressées n’auraient pas, au vu de ces indications, estimé devoir prendre position. À ce titre, les parties demanderesses en première instance se réfèrent notamment au point 126 de l’arrêt du Tribunal du 5 juin 2001, ESF Elbe-Stahlwerke Feralpi/Commission (T‑6/99, Rec. p. II‑1523), et au point 88 de l’arrêt du Tribunal du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission (T‑176/01, Rec. p. II‑3931).

158    Ni la question adressée au Royaume-Uni au point 60, sous f), de ladite décision, portant sur les sociétés qui ne font aucun bénéfice ou qui n’ont pas d’employés, ni le fait que le Royaume d’Espagne ait fait référence, dans ses observations déposées à la suite de la décision d’ouvrir la procédure formelle, au secteur «offshore» n’auraient permis au Government of Gibraltar et au Royaume-Uni de supposer que la Commission examinerait la sélectivité matérielle également sous l’angle du traitement des sociétés «offshore».

159    En effet, d’une part, ladite question n’aurait pas été liée à l’analyse détaillée du projet de réforme fiscale figurant aux points 2 à 59 de la décision d’ouvrir la procédure formelle. D’autre part, les commentaires du Royaume d’Espagne auraient été de nature purement formelle et la Commission n’aurait, à aucun moment, laissé entendre qu’elle qualifiait cet élément de pertinent pour son examen.

160    Si la Commission avait dûment attiré leur attention sur l’aspect du traitement fiscal des sociétés «offshore», la procédure d’examen aurait pu aboutir à un résultat différent.

161    La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, considère que les droits de la défense du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni n’ont pas été violés.

162    Elle soutient, à titre principal, que la question du caractère sélectif de l’imposition des sociétés «offshore» a été soulevée, tant au point 60, sous f), de la décision d’ouvrir la procédure formelle que par le Royaume d’Espagne dans ses observations à propos de la procédure formelle d’examen, sur lesquelles le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni auraient eu la possibilité de s’exprimer.

163    La Commission considère, à titre subsidiaire, que l’issue de la procédure n’aurait pas été différente, même à supposer que les droits de la défense du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni avaient été violés.

2.     Appréciation de la Cour

164    Il convient d’examiner, tout d’abord, si les droits de la défense du Royaume-Uni ont été violés.

165    Selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense, dans le cadre de la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE, exige que l’État membre concerné soit mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués et sur les documents obtenus par la Commission à l’appui de son allégation quant à l’existence d’une violation du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, point 28, et Belgique/Commission, 234/84, Rec. p. 2263, point 27) ainsi que sur les observations présentées par des tiers intéressés, conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE. Dans la mesure où l’État membre n’a pas été mis en mesure de commenter ces observations, la Commission ne peut pas les retenir dans sa décision contre cet État (voir arrêts du 14 février 1990, France/Commission, C‑301/87, Rec. p. I‑307, point 30; du 21 mars 1990, Belgique/Commission, C‑142/87, Rec. p. I‑959, point 47, et du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission, C‑288/96, Rec. p. I‑8237, point 100).

166    À cet égard, il importe de rappeler que, en l’espèce, il est constant que le Royaume-Uni a eu la faculté de faire connaître son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et des circonstances allégués ainsi que sur les observations présentées par des tiers intéressés, comme en l’occurrence celles du Royaume d’Espagne, de sorte que les obligations résultant de la jurisprudence rappelée au point précédent ont été respectées.

167    Dans la mesure où le Royaume-Uni soutient qu’il n’a pas pu faire utilement connaître son point de vue car, d’une part, l’évaluation préliminaire comprise dans la décision d’ouvrir la procédure formelle ne comportait pas de considérations portant sur les sociétés «offshore» et, d’autre part, la Commission n’avait pas, dans ses entretiens avec le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni au cours de la procédure formelle d’examen, précisé qu’elle estimait que les sociétés «offshore» bénéficiaient d’avantages sélectifs, son argumentation ne saurait prospérer.

168    S’agissant, en premier lieu, de la circonstance que l’évaluation préliminaire ne comportait pas de considérations sur les sociétés «offshore», il convient de relever que, certes, la Commission est tenue de formuler clairement ses doutes sur la compatibilité de l’aide lorsqu’elle ouvre une procédure formelle d’examen, afin de permettre à l’État membre et aux intéressés d’y répondre au mieux (arrêt du 8 mai 2008, Ferriere Nord/Commission, C‑49/05 P, point 92).

169    Toutefois, la seule circonstance que l’évaluation préliminaire du projet de réforme fiscale notifié ne contenait pas de considérations sur les sociétés «offshore» ne saurait constituer un élément susceptible de faire naître, dans le chef du Royaume-Uni, la confiance légitime que la Commission limiterait son examen aux seuls aspects examinés dans lesdites évaluations préliminaires. De la même manière, cette circonstance n’implique pas non plus que la Commission ait méconnu son obligation de formuler clairement ses doutes.

170    En effet, il importe de rappeler, tout d’abord, que la décision d’ouvrir la procédure formelle contenait, à son point 60, sous f), des questions portant précisément sur ce secteur, et ce même si le terme «offshore» n’a pas été employé.

171    Par conséquent, le Royaume-Uni a été suffisamment averti, par la décision d’ouvrir la procédure elle-même, que l’examen approfondi, lors de la procédure formelle d’examen du projet de réforme fiscale, pourrait également porter sur les secteurs qui, n’ayant pas de salariés et ne nécessitant pas l’occupation de locaux, échappent ainsi à l’imposition.

172    Ensuite, il convient d’observer que l’évaluation incluse, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, dans la décision d’ouvrir la procédure formelle n’est qu’une «évaluation préliminaire», ainsi qu’il résulte du libellé même de cette disposition, marquant le début de la procédure formelle d’examen et impliquant surtout la possibilité pour les intéressés de faire valoir utilement leur point de vue.

173    Afin, notamment, d’assurer l’utilité de cette possibilité, la Commission ne saurait être empêchée, dans sa décision finale, à la suite de la procédure formelle d’examen, de compléter son évaluation «préliminaire» en faisant sien le point de vue exprimé par ces intéressés.

174    Dans ces conditions, il convient de conclure que la seule circonstance que l’évaluation préliminaire du projet de réforme fiscale notifié ne contenait pas de considérations spécifiques à propos des sociétés «offshore» n’entraîne pas une violation des droits de la défense du Royaume-Uni.

175    En deuxième lieu, il importe d’observer que, contrairement à ce que soutient le Royaume-Uni, les observations du Royaume d’Espagne lors de la procédure formelle d’examen ne contiennent pas uniquement des arguments de nature purement factuelle, mais visent précisément à démontrer que le projet de réforme fiscale notifié est également sélectif en ce qu’il avantage les sociétés «offshore» bénéficiant d’une exemption de toute imposition.

176    La Commission a communiqué lesdites observations au Royaume-Uni, qui a exposé, dans sa lettre du 13 février 2003, ses commentaires sans toutefois prendre position au sujet des sociétés «offshore».

177    Le Royaume-Uni, en soutenant qu’il n’a pas pu faire utilement valoir son point de vue du fait que la Commission n’avait pas laissé entendre qu’elle accordait de l’importance aux observations du Royaume d’Espagne, adopte une argumentation qui revient à placer la Commission dans l’obligation de prendre position, lors de la procédure formelle d’examen, sur les commentaires reçus par les parties intéressées.

178    Or, l’existence d’une telle obligation ne ressort pas du règlement n° 659/1999. En effet, l’article 6, paragraphe 2, dudit règlement n’impose à la Commission que l’obligation de communiquer à l’État membre concerné les observations qu’elle a reçues lors de la procédure formelle, obligation dont la Commission s’est, en l’espèce, pleinement acquittée.

179    Eu égard à ce qui précède, il convient d’écarter le troisième moyen du Royaume-Uni tiré d’une violation de ses droits de la défense sans qu’il y ait besoin d’examiner si, en l’absence de l’irrégularité alléguée, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent, condition pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation de la décision litigieuse (voir arrêts précités France/Commission, point 31; du 21 mars 1990, Belgique/Commission, point 48, et Allemagne/Commission, point 101).

180    S’agissant des droits de la défense du Government of Gibraltar, il importe de relever, tout d’abord, que celui-ci a eu la faculté d’adresser des commentaires à la Commission, faculté dont il a fait usage. Dans la mesure où le Government of Gibraltar fait valoir, en substance, les mêmes arguments que le Royaume-Uni, il suffit de rappeler que les droits de la défense de cet État membre n’ont pas été violés, de sorte qu’il en va de même pour ceux du Government of Gibraltar. En effet, les droits procéduraux du Government of Gibraltar sont, en tout état de cause, moins étendus que ceux du Royaume-Uni en tant qu’État membre concerné dans la procédure formelle d’examen, conformément à l’article 88, paragraphe 2, CE.

181    À cet égard, il résulte de la jurisprudence de la Cour que les intéressés, comme en l’occurrence le Government of Gibraltar, autres que l’État membre concerné ont, dans la procédure de contrôle des aides d’État, uniquement la faculté d’adresser à la Commission toute information destinée à éclairer celle-ci dans son action future et qu’ils ne sauraient prétendre eux-mêmes à un débat contradictoire avec la Commission tel que celui ouvert au profit dudit État membre (voir arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 59, ainsi que du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, points 80 et 82).

182    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de rejeter le troisième moyen du Royaume-Uni et la première branche du troisième moyen du Government of Gibraltar comme non fondés.

C –  Sur le premier moyen relatif à la sélectivité régionale

183    Les parties demanderesses en première instance soutiennent, par leur premier moyen, que la décision litigieuse a méconnu l’article 87, paragraphe 1, CE en ce qu’elle a conclu à la sélectivité régionale du projet de réforme fiscale.

184    À cet égard, il importe de rappeler qu’il résulte des points 86 à 108 du présent arrêt que le projet de réforme fiscale est matériellement sélectif en ce qu’il accorde des avantages sélectifs aux sociétés «offshore».

185    Ce constat permet, à lui seul, de justifier le dispositif de la décision litigieuse en vertu duquel le projet de réforme fiscale constitue un régime d’aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE que le Royaume-Uni n’est pas autorisé à mettre en œuvre.

186    Dans ces conditions, le premier moyen des requérants, relatif à la sélectivité régionale, en ce qu’il ne remet pas en cause l’existence d’avantages sélectifs matériels, ne peut aboutir à l’annulation, même partielle, de la décision litigieuse (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour du 25 juin 1998, Antilles néerlandaises/Conseil, C‑159/98 P(R), Rec. p. I‑4147, point 111).

187    Ainsi, force est de conclure que le premier moyen, à supposer qu’il soit fondé, ne peut conduire à l’annulation de la décision litigieuse et qu’il est donc inopérant.

188    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter dans leur ensemble les recours formés par le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni.

VIII –  Sur les dépens

189    En vertu de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. L’article 69 du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, dispose, à son paragraphe 2, que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le paragraphe 4, premier alinéa, dudit article 69 prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

190    Les pourvois de la Commission et du Royaume d’Espagne étant accueillis et les recours du Government of Gibraltar et du Royaume-Uni contre la décision litigieuse étant rejetés, il y a lieu, conformément aux conclusions de la Commission et du Royaume d’Espagne, de condamner le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission et le Royaume d’Espagne à l’occasion des présents pourvois ainsi que les dépens exposés par la Commission en première instance.

191    Le Royaume d’Espagne et l’Irlande en tant que parties intervenantes, respectivement, devant le Tribunal et devant la Cour, supportent leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 18 décembre 2008, Government of Gibraltar et Royaume-Uni/Commission (T-211/04 et T-215/04), est annulé.

2)      Le recours du Government of Gibraltar et le recours du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sont rejetés.

3)      Le Government of Gibraltar et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission européenne et le Royaume d’Espagne à l’occasion des présents pourvois ainsi que les dépens exposés par la Commission européenne en première instance.

4)      Le Royaume d’Espagne et l’Irlande en tant que parties intervenantes, respectivement, devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes et devant la Cour de justice de l’Union européenne, supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.