Language of document : ECLI:EU:C:2010:205

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

20 avril 2010 (*)

«Directive 2003/55/CE – Marché intérieur du gaz naturel – Intervention de l’État sur le prix de fourniture du gaz naturel après le 1er juillet 2007 – Obligations de service public des entreprises opérant dans le secteur du gaz»

Dans l’affaire C‑265/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (Italie), par décision du 15 avril 2008, parvenue à la Cour le 19 juin 2008, dans la procédure

Federutility,

Assogas,

Libarna Gas SpA,

Collino Commercio SpA,

Sadori Gas Srl,

Egea Commerciale Srl,

E.On Vendita Srl,

Sorgenia SpA

contre

Autorità per l’energia elettrica e il gas,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, K. Lenaerts, J.‑C. Bonichot (rapporteur) et E. Levits, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, G. Arestis, M. Ilešič, J. Malenovský, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et J.‑J. Kasel, juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: Mme R. Şereş, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour Federutility, par Mes T. Salonico, D. Bonvegna et G. Candeloro, avvocati,

–        pour Assogas, par Mes G. Ferrari et F. Todarello, avvocati,

–        pour Libarna Gas SpA, Collino Commercio SpA, Sadori Gas Srl et Egea Commerciale Srl, par Mes F. Todarello et F. Novelli, avvocati,

–        pour Sorgenia SpA, par Mes P. G. Torrani, O. Torrani et G. Malonchini, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme I. Bruni, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement estonien, par M. L. Uibo, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. M. Dowgielewicz, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. V. Di Bucci, B. Schima et S. Schønberg, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 octobre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO L 176, p. 57).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de litiges opposant Federutility, Assogas, Libarna Gaz SpA, Collino Commercio SpA, Sadori Gas Srl, Egea Commerciale Srl, E.On Vendita Srl et Sorgenia SpA, entreprises et associations d’entreprises actives sur le marché italien du gaz naturel, à l’Autorità per l’energia elettrica e il gas (ci‑après l’«AEEG») au sujet des actes par lesquels celle-ci définit des «prix de référence» pour la fourniture du gaz naturel que les entreprises doivent faire figurer dans leurs offres commerciales à une partie de leur clientèle.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les deuxième à quatrième, dix-huitième, vingt-sixième et vingt-septième considérants de la directive 2003/55 sont libellés comme suit:

«(2)      L’expérience acquise avec la mise en œuvre de [la directive 98/30/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO L 204, p. 1)] montre les avantages considérables qui peuvent découler du marché intérieur du gaz, en ce qui concerne les gains d’efficacité, les réductions de prix, l’amélioration de la qualité du service et l’accroissement de la compétitivité. Cependant, d’importantes lacunes subsistent et il est encore possible d’améliorer le fonctionnement de ce marché, il faut notamment prendre des dispositions concrètes pour assurer des conditions de concurrence équitables et pour réduire le risque de domination du marché et de comportement prédateur, […] en garantissant la protection des droits des petits consommateurs vulnérables.

(3)      Le Conseil européen, réuni à Lisbonne les 23 et 24 mars 2000, a demandé que des actions destinées à achever le marché intérieur dans le secteur de l’électricité comme dans celui du gaz soient rapidement entreprises et que la libéralisation dans ces secteurs soit accélérée afin d’établir un marché intérieur pleinement opérationnel. Dans sa résolution du 6 juillet 2000 sur le deuxième rapport de la Commission sur l’état de libéralisation des marchés de l’énergie, le Parlement européen a invité la Commission à adopter un calendrier détaillé pour la réalisation d’objectifs rigoureusement définis, en vue de parvenir progressivement à une libéralisation totale du marché de l’énergie.

(4)      Les libertés que le traité garantit aux citoyens européens – libre circulation des marchandises, libre prestation de services et liberté d’établissement – ne peuvent être effectives que dans un marché entièrement ouvert qui permet à tous les consommateurs de choisir librement leur fournisseur et à tous les fournisseurs de délivrer leurs produits à leurs clients.

[...]

(18)      Les consommateurs de gaz devraient pouvoir choisir librement leur fournisseur. Néanmoins, il convient également d’adopter une approche progressive pour l’achèvement du marché intérieur du gaz, avec une date limite déterminée, afin que les entreprises puissent s’adapter et que des mesures et régimes appropriés soient mis en place pour protéger les intérêts des consommateurs et faire en sorte qu’ils disposent d’un droit réel et effectif de choisir leur fournisseur.

[...]

(26)      Afin de maintenir le service public à un niveau élevé dans la Communauté, il convient que les États membres communiquent régulièrement à la Commission toutes les mesures qu’ils ont prises pour atteindre les objectifs de la présente directive. […]

Les États membres devraient veiller à ce que, lorsqu’ils sont reliés au réseau de gaz, les clients soient informés de leur droit d’être approvisionnés en gaz naturel d’une qualité bien définie à des prix raisonnables. Les mesures prises par les États membres pour protéger le consommateur final peuvent différer selon qu’elles s’adressent aux ménages ou aux petites et moyennes entreprises.

(27)      Le respect des obligations de service public est un élément essentiel de la présente directive, et il est important que des normes minimales communes, respectées par tous les États membres, soient fixées dans la présente directive, en prenant en compte les objectifs de la protection des consommateurs, de la sécurité d’approvisionnement, […] et de l’égalité des niveaux de concurrence dans tous les États membres. Il est important que les exigences relatives au service public puissent être interprétées sur une base nationale, compte tenu des conditions nationales et dans le respect du droit communautaire.»

4        L’article 2, point 7, de la directive 2003/55 définit l’activité de «fourniture» comme suit:

«[L]a vente, y compris la revente, à des clients de gaz naturel […]».

5        L’article 2, point 27, de la directive 2003/55 définit les «clients finals» comme suit:

«[L]es clients achetant du gaz naturel pour leur utilisation propre».

6        L’article 2, point 28, de cette directive définit les «clients éligibles» en ces termes:

«[L]es clients qui sont libres d’acheter du gaz naturel chez le fournisseur de leur choix au sens de l’article 23 de la présente directive».

7        L’article 3 de ladite directive prévoit:

«1.      Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises de gaz naturel, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché du gaz naturel concurrentiel, sûr et durable pour l’environnement, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.

2.      En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité [FUE], en particulier de son article [106], les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur […] le prix de la fourniture […]. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables et garantissent aux entreprises de gaz de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs nationaux. […]

3.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour protéger les clients finals et assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, et veillent en particulier à garantir une protection adéquate aux clients vulnérables, y compris en prenant les mesures appropriées pour leur permettre d’éviter l’interruption de la fourniture de gaz. […] [Les États membres] garantissent un niveau de protection élevé des consommateurs, notamment en ce qui concerne la transparence des conditions contractuelles, l’information générale et les mécanismes de règlement des litiges. Les États membres veillent à ce que le client éligible puisse effectivement changer de fournisseur. En ce qui concerne les clients résidentiels, ces mesures incluent celles figurant dans l’annexe A.

[…]

6.      Les États membres informent la Commission, lors de l’entrée en vigueur de la présente directive, de toutes les mesures qu’ils ont prises pour remplir les obligations de service public, y compris la protection des consommateurs et de l’environnement, et de leurs effets éventuels sur la concurrence nationale et internationale, que ces mesures nécessitent ou non une dérogation à la présente directive. Ils notifient ensuite à la Commission, tous les deux ans, toute modification apportée à ces mesures, que celles‑ci nécessitent ou non une dérogation à la présente directive.»

8        Aux termes de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2003/55:

«Les États membres veillent à ce que les clients éligibles soient:

[…]

c)      à partir du 1er juillet 2007, tous les clients.»

9        L’annexe A de la directive 2003/55, à laquelle renvoie l’article 3, paragraphe 3, de cette directive, précise:

«Sans préjudice de la réglementation communautaire sur la protection des consommateurs, […] les mesures visées à l’article 3 ont pour objet de garantir que les clients:

[…]

g)      sont informés, lorsqu’ils sont raccordés au réseau de distribution du gaz, de leurs droits en matière de fourniture de gaz naturel de qualité définie à des prix raisonnables conformément à la législation nationale applicable.»

 Le droit national

10      Un peu avant le 1er juillet 2007, date limite de libéralisation complète du marché de la vente de gaz naturel aux clients finals, les autorités italiennes ont adopté le décret‑loi n° 73, du 18 juin 2007 (Guri n° 139, du 18 juin 2007, p. 4), qui a attribué à l’AEEG la faculté de définir des prix de référence pour la vente de gaz à certains clients. Ce décret‑loi, converti en loi, après modifications, par la loi n° 125, du 3 août 2007 (Guri n° 188, du 14 août 2007, p. 6), prévoit, à son article 1er, paragraphe 3, les dispositions suivantes:

«Afin de garantir les dispositions communautaires en matière de service universel, l’[AEEG] fixe des conditions standard de fourniture du service et définit à titre transitoire, sur la base des coûts effectifs du service, des prix de référence [...] pour la fourniture de gaz naturel aux clients nationaux (‘domestici’), que les entreprises de distribution ou de vente, dans le cadre de leurs obligations de service public, doivent faire figurer dans leurs offres commerciales en donnant également le choix entre des plans tarifaires et des tranches horaires différents. L’article 1er, paragraphe 375, de la loi n° 266, du 23 décembre 2005, […] autorise, dans un délai de soixante jours à partir de la date d’entrée en vigueur de la loi de conversion du présent décret, l’adoption de mesures destinées à protéger les usagers se trouvant dans des conditions particulières du fait de leur santé ou de problèmes financiers. Les pouvoirs de surveillance et d’intervention de l’Autorité pour la protection des droits des usagers sont également maintenus, y compris dans les cas d’augmentation constatée et injustifiée des prix et de changement des conditions de service pour les clients qui n’ont pas encore exercé leur droit d’option.»

11      Le 29 mars 2007, l’AEEG a adopté la décision n° 79/07, portant révision des conditions économiques de fourniture de gaz naturel pour la période du 1er janvier 2005 au 31 mars 2007 et fixant les critères de mise à jour de certaines conditions économiques. Selon le point 1.3.1 de cette décision, les formules de calcul adoptées aux fins de la rémunération variable relative à la commercialisation en gros doivent être appliquées jusqu’au 30 juin 2008. Le point 1.3.2 de ladite décision permet à l’AEEG de vérifier si les conditions sont remplies pour proroger cette faculté jusqu’au 30 juin 2009.

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

12      Les requérantes au principal ont demandé au Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia l’annulation de la décision n° 79/07, du 29 mars 2007, ainsi que de décisions qui lui sont postérieures.

13      Elles font en particulier valoir que, à partir du 1er juillet 2007, date de libéralisation complète du marché du gaz naturel prévue à l’article 23, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/55, le prix de vente de gaz naturel doit être déterminé par le seul jeu de l’offre et de la demande. Elles estiment que la définition par l’AEEG des prix de référence pour la fourniture du gaz naturel, en cause au principal, viole par conséquent le droit communautaire en tant qu’elle s’applique au-delà du deuxième trimestre de l’année 2007.

14      Dans ces conditions, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 23 de la directive 2003/55 [...] réglementant l’ouverture du marché du gaz doit-il être interprété, conformément aux principes découlant du traité CE, en ce sens que s’oppose à cette disposition et aux principes communautaires une norme nationale (et les actes d’application qui en découlent) qui, après le 1er juillet 2007, continue à donner à l’autorité nationale de régulation le pouvoir de définir des prix de référence de la fourniture de gaz naturel aux clients nationaux (‘domestici’) (catégorie indéterminée qui n’est pas définie dans les tranches de référence et qui n’implique pas, en soi, l’appréciation de situations particulières de gêne sociale ou économique, pouvant justifier la définition desdits prix de référence), prix que les entreprises de distribution ou de vente doivent inclure dans leurs offres commerciales, dans le cadre des obligations de service public?

ou

2)      Cette norme (l’article 23 susmentionné) doit-elle être interprétée de manière combinée avec l’article 3 de la directive 2003/55 (qui prévoit au paragraphe 2 que les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter, pour ce qui nous intéresse ici, sur le prix de la fourniture) en ce sens que ne s’oppose pas aux dispositions communautaires citées une norme nationale qui, compte tenu de la situation particulière du marché, qui est encore caractérisée par l’absence de conditions de ‘concurrence effective’, au moins dans le domaine de la commercialisation en gros, admet la détermination par voie administrative du prix de référence du gaz naturel, prix devant obligatoirement figurer dans les offres commerciales proposées par tous les vendeurs à leurs clients nationaux (‘domestici’) dans le cadre de la notion de service universel, bien que tous les clients doivent être considérés comme ‘libres’?»

 Sur les questions préjudicielles

15      À titre préalable, il convient de constater qu’il résulte de la demande de décision préjudicielle ainsi que des pièces et des éléments du dossier que les litiges en cause au principal concernent la possibilité pour l’AEEG de prévoir la mesure dans laquelle les coûts liés à la commercialisation en gros du gaz naturel doivent être pris en compte dans la détermination du prix de fourniture de gaz naturel, au moyen de la définition de prix de référence pour la fourniture de gaz naturel que les entreprises doivent proposer à certains de leurs clients. Il ressort également des observations et des réponses transmises à la Cour que si ces entreprises doivent simplement proposer ces prix dans leurs offres commerciales, ces derniers sont en pratique moins élevés que ceux qui résulteraient du jeu de l’offre et de la demande. Lesdits prix de référence sont dès lors en principe acceptés par les clients auxquels ils sont proposés et ils s’imposent en pratique dans la relation contractuelle. Il en résulte que, par la définition des prix de référence en cause au principal, l’AEEG détermine le niveau du prix de fourniture du gaz naturel à une partie de la clientèle.

16      Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3, paragraphes 2 et 3, et 23 de la directive 2003/55 s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui permet de déterminer, dans les conditions exposées au point précédent, le niveau du prix de fourniture du gaz naturel par la définition de prix de référence, tels que ceux en cause au principal, après le 1er juillet 2007.

 Sur le principe de l’intervention de l’État membre

17      L’article 23, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/55 prévoit que les États membres doivent veiller à ce que tous les clients soient libres d’acheter du gaz naturel chez le fournisseur de leur choix à partir du 1er juillet 2007.

18      Bien qu’il ne résulte pas explicitement de ce dernier texte ni, d’ailleurs, des autres dispositions de cette directive que le prix de fourniture du gaz naturel devrait, à compter du 1er juillet 2007, être seulement fixé par le jeu de l’offre et de la demande, cette exigence découle de la finalité même et de l’économie générale de ladite directive qui, ainsi que le précisent ses troisième, quatrième et dix‑huitième considérants, a pour objectif de parvenir progressivement à une libéralisation totale du marché du gaz naturel dans le cadre de laquelle, notamment, tous les fournisseurs peuvent librement délivrer leurs produits à tous les consommateurs.

19      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/55 impose en conséquence aux États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, de veiller à ce que les entreprises de gaz naturel soient exploitées conformément aux principes de cette directive, en vue de réaliser, notamment, un «marché du gaz naturel concurrentiel».

20      Toutefois, et ainsi que le précisent ses vingt-sixième et vingt-septième considérants, la directive 2003/55 a également pour objectifs de garantir que, dans le cadre de cette libéralisation, le service public soit maintenu à un «niveau élevé» et de protéger le consommateur final.

21      Pour répondre à ces derniers objectifs, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/55 précise qu’il s’applique «sans préjudice» du paragraphe 2 du même article, qui permet explicitement aux États membres d’imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz des «obligations de service public» qui peuvent notamment porter sur «le prix de la fourniture».

22      Il résulte des termes de ce paragraphe 2 que les mesures prises sur son fondement doivent être adoptées dans l’intérêt économique général, être clairement définies, transparentes, non discriminatoires, contrôlables et garantir aux entreprises de gaz de l’Union un égal accès aux consommateurs nationaux. Le même texte ajoute que les États membres doivent alors tenir «pleinement compte» des dispositions pertinentes du traité FUE et en particulier de l’article 106 TFUE.

23      Il y a lieu de relever que cette faculté s’exerce sous le contrôle de la Commission, dès lors que les États membres sont tenus, en application de l’article 3, paragraphe 6, de la directive 2003/55, d’informer cette institution de toutes les mesures prises pour remplir les obligations de service public et de leurs effets éventuels sur la concurrence nationale et internationale, que ces mesures nécessitent ou non une dérogation à cette directive, et de lui notifier, tous les deux ans, toute modification éventuelle de celles-ci.

24      La directive 2003/55 permet, par conséquent, et sous réserve que les conditions qu’elle énonce soient remplies, une intervention de l’État membre sur la fixation du prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final après le 1er juillet 2007.

 Sur les conditions de l’intervention de l’État membre

25      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’examiner successivement les conditions de l’intervention de l’État membre rendue possible par l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/55 et énoncées à cette disposition.

 Une intervention justifiée par l’intérêt économique général

26      S’agissant de la condition relative à l’existence d’un intérêt économique général, la directive 2003/55 n’en donne pas de définition, mais la référence, à l’article 3, paragraphe 2, de cette directive, tant à cette condition qu’à l’article 106 TFUE, qui concerne les entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général, implique d’interpréter ladite condition à l’aune de cette dernière disposition du traité.

27      Il importe à cet égard de rappeler que l’article 106, paragraphe 2, TFUE prévoit, d’une part, que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie et, d’autre part, que le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

28      Ainsi que la Cour l’a précisé, cette disposition vise à concilier l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises en tant qu’instrument de politique économique ou sociale avec l’intérêt de l’Union au respect des règles de concurrence et à la préservation de l’unité du marché commun (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 1999, Albany, C‑67/96, Rec. p. I‑5751, point 103 et jurisprudence citée).

29      Dans ce cadre, les États membres sont en droit, dans le respect du droit de l’Union, de définir l’étendue et l’organisation de leurs services d’intérêt économique général. Ils peuvent en particulier tenir compte d’objectifs propres à leur politique nationale (voir, en ce sens, arrêt Albany, précité, point 104).

30      En l’occurrence, s’agissant de l’organisation du marché intérieur du gaz naturel, il résulte explicitement du vingt-septième considérant de la directive 2003/55 que celle-ci ne prévoit que des normes minimales communes en ce qui concerne les obligations de service public et que les exigences relatives au service public doivent pouvoir être interprétées, dans le respect du droit de l’Union, «sur une base nationale», et «compte tenu des conditions nationales».

31      Il est également notable que le vingt-sixième considérant de la directive 2003/55 précise que les États membres veillent à ce que, lorsqu’ils sont reliés au réseau de gaz, les clients soient informés de leur droit d’être approvisionnés en gaz naturel d’une qualité bien définie à des «prix raisonnables».

32      Il résulte de ce qui précède que la directive 2003/55 permet aux États membres d’apprécier si, dans l’intérêt économique général, après le 1er juillet 2007, il y a lieu d’imposer aux entreprises intervenant dans le secteur du gaz des obligations de service public afin, notamment, d’assurer que le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final soit maintenu à un niveau raisonnable eu égard à la conciliation qu’il appartient aux États membres d’opérer, en tenant compte de la situation du secteur du gaz naturel, entre l’objectif de libéralisation et celui de la nécessaire protection du consommateur final poursuivis, comme mentionné aux points 18 et 20 du présent arrêt, par le législateur de l’Union.

 Le respect du principe de proportionnalité

33      Il résulte des termes mêmes de l’article 106 TFUE que les obligations de service public que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/55 permet d’imposer aux entreprises doivent respecter le principe de proportionnalité et que, dès lors, ces obligations ne peuvent porter atteinte à la libre fixation du prix de la fourniture du gaz naturel, après le 1er juillet 2007, que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de l’objectif d’intérêt économique général qu’elles poursuivent et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps.

34      Il revient à la juridiction de renvoi d’apprécier, dans le cadre des litiges au principal, si cette exigence de proportionnalité est remplie. Toutefois, il appartient à la Cour de lui donner toutes les indications nécessaires à cet effet au regard du droit de l’Union.

35      Premièrement, une telle intervention doit être limitée, pour ce qui concerne sa durée, à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit afin, notamment, de ne pas pérenniser une mesure qui, par sa nature même, constitue une entrave à la réalisation d’un marché intérieur du gaz opérationnel. À cet égard, la mention dans le droit national en cause du caractère transitoire de l’intervention ne peut, à elle seule, suffire pour constater son caractère proportionné du point de vue de sa durée. Il appartient au juge national d’apprécier si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal qui permet de déterminer le niveau du prix de fourniture du gaz naturel par l’adoption de prix de référence, tels que ceux en cause au principal, indépendamment du libre jeu du marché, remplit une telle exigence. Dans ce cadre, il convient pour la juridiction de renvoi d’examiner si et dans quelle mesure l’administration est soumise par le droit national applicable à une obligation de réexamen périodique, à des périodes rapprochées, de la nécessité et des modalités de son intervention en fonction de l’évolution du secteur du gaz.

36      Deuxièmement, la méthode d’intervention mise en œuvre ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt économique général poursuivi.

37      Sur ce point, il ressort des observations transmises à la Cour dans le cadre de la présente procédure que la définition des prix de référence pour la fourniture de gaz naturel, tels que ceux en cause au principal, serait destinée à limiter l’incidence de la hausse du prix des produits pétroliers sur les marchés internationaux qui, dans un contexte où la concurrence sur le marché du gaz naturel n’est pas encore effective, tout particulièrement sur le marché de la commercialisation de gros, se répercuterait fortement, à défaut d’intervention, sur le prix de vente offert au client final. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si tel est le cas en tenant notamment compte de l’objectif de l’établissement d’un marché intérieur du gaz pleinement opérationnel et des investissements nécessaires pour exercer une concurrence effective dans le secteur du gaz naturel

38      Si, au terme de ces vérifications, il s’avérait qu’une telle intervention était ainsi susceptible d’être justifiée, l’exigence de proportionnalité impliquerait notamment qu’elle se limite en principe à la composante du prix directement influencée à la hausse par ces circonstances spécifiques.

39      Troisièmement, l’exigence de proportionnalité doit également être appréciée au regard du champ d’application personnel de la mesure et, plus précisément, de ses bénéficiaires.

40      À cet égard, il convient de souligner que cette exigence ne fait pas obstacle à ce que l’application de prix de référence pour la fourniture de gaz naturel, tels que ceux en cause au principal, concerne l’ensemble de la clientèle des particuliers dont la consommation de gaz naturel se situe au-dessous d’un certain seuil et ne se limite pas au cercle de ceux, visés expressément à l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/55, dont la protection doit nécessairement être assurée en raison de leur vulnérabilité.

41      Dans l’hypothèse où, ainsi que le soutiennent devant la Cour certaines des requérantes au principal, la définition des prix de référence pour la fourniture de gaz naturel, tels que ceux en cause au principal, bénéficierait également à des entreprises indépendamment de leur taille, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, il convient de préciser que la directive 2003/55 n’exclut pas, par principe, que ces entreprises puissent également bénéficier, en tant que consommateurs finals de gaz, des obligations de service public susceptibles d’être décidées par les États membres dans le cadre de l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci. Le vingt-sixième considérant de cette directive précise en particulier que les mesures prises par les États membres pour protéger le consommateur final peuvent différer selon qu’elles s’adressent aux ménages ou aux petites et moyennes entreprises.

42      Il y aurait lieu, toutefois, dans ce cas, de tenir compte, dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure nationale en cause, d’une part, de ce que la situation des entreprises est différente de celle des consommateurs domestiques, les objectifs poursuivis et les intérêts en présence n’étant pas nécessairement les mêmes, et, d’autre part, des différences objectives entre les entreprises elles-mêmes, selon leur taille.

43      Dans ces conditions, hormis l’hypothèse particulière, d’ailleurs invoquée lors de l’audience, de la gestion des copropriétés d’immeubles de particuliers, l’exigence de proportionnalité précédemment mentionnée ne serait, en principe, pas respectée si la définition de prix de référence pour la fourniture de gaz naturel, tels que ceux en cause au principal, bénéficiait de manière identique aux particuliers et aux entreprises, en tant que consommateurs finals de gaz.

 Le caractère clairement défini, transparent, non discriminatoire et contrôlable des obligations de service public et la nécessité d’un égal accès des entreprises de gaz de l’Union aux consommateurs

44      Enfin, les autres conditions mentionnées à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2003/55, relatives au caractère clairement défini, transparent, non discriminatoire et contrôlable des obligations de service public adoptées en vertu de cette disposition, ainsi qu’à la nécessité d’un égal accès des entreprises de gaz de l’Union aux consommateurs, doivent également être remplies.

45      S’agissant du caractère non discriminatoire desdites obligations, il revient à la juridiction de renvoi de vérifier si, eu égard à l’ensemble des mesures qui peuvent avoir été prises dans ce domaine par l’État membre concerné, la définition de prix de référence pour la fourniture de gaz naturel, tels que ceux en cause au principal, qui s’applique de manière identique à l’ensemble des entreprises de fourniture de gaz naturel, doit néanmoins être considérée comme discriminatoire.

46      Il en irait ainsi si une telle intervention aboutissait en réalité à faire peser la charge financière résultant de celle-ci principalement sur certaines de ces entreprises, en l’occurrence celles n’exerçant pas également d’activité de production/importation de gaz naturel.

47      Il convient, dès lors, de répondre aux questions posées que les articles 3, paragraphe 2, et 23, paragraphe 1, de la directive 2003/55 ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet de déterminer le niveau du prix de fourniture du gaz naturel par la définition de prix de référence, tels que ceux en cause au principal, après le 1er juillet 2007, à condition que cette intervention:

–        poursuive un intérêt économique général consistant à maintenir le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final à un niveau raisonnable eu égard à la conciliation qu’il appartient aux États membres d’opérer, en tenant compte de la situation du secteur du gaz naturel, entre l’objectif de libéralisation et celui de la nécessaire protection du consommateur final poursuivis par la directive 2003/55;

–        ne porte atteinte à la libre fixation des prix de la fourniture du gaz naturel après le 1er juillet 2007 que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation d’un tel objectif d’intérêt économique général et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps, et

–        soit clairement définie, transparente, non discriminatoire, contrôlable, et garantisse aux entreprises de gaz de l’Union un égal accès aux consommateurs.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

Les articles 3, paragraphe 2, et 23, paragraphe 1, de la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE, ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet de déterminer le niveau du prix de fourniture du gaz naturel par la définition de «prix de référence», tels que ceux en cause au principal, après le 1er juillet 2007, à condition que cette intervention:

–        poursuive un intérêt économique général consistant à maintenir le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final à un niveau raisonnable eu égard à la conciliation qu’il appartient aux États membres d’opérer, en tenant compte de la situation du secteur du gaz naturel, entre l’objectif de libéralisation et celui de la nécessaire protection du consommateur final poursuivis par la directive 2003/55;

–        ne porte atteinte à la libre fixation des prix de la fourniture du gaz naturel après le 1er juillet 2007 que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation d’un tel objectif d’intérêt économique général et, par conséquent, durant une période nécessairement limitée dans le temps, et

–        soit clairement définie, transparente, non discriminatoire, contrôlable, et garantisse aux entreprises de gaz de l’Union européenne un égal accès aux consommateurs.

Signatures


* Langue de procédure: l’italien.