Language of document : ECLI:EU:C:2018:253

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR

10 avril 2018 (*)

« Procédure accélérée »

Dans l’affaire C‑125/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Juzgado de Primera Instancia no 38 de Barcelona (tribunal de première instance no 38 de Barcelone, Espagne), par décision du 16 février 2018, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure

Marc Gómez del Moral Guasch

contre

Bankia SA,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

le juge rapporteur, M. S. Rodin, et l’avocat général, M. M. Szpunar, entendus,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO 1993, L 95, p. 29), en particulier de l’article 1er, paragraphe 2, de l’article 4, paragraphe 2, de l’article 6, paragraphe 2, de l’article 7, paragraphe 1, et de l’article 8 de celle-ci.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Marc Gómez del Moral Guasch à Bankia SA, un établissement bancaire, au sujet du caractère prétendument abusif d’une clause figurant dans un contrat de prêt hypothécaire conclu entre ces deux parties.

3        Il ressort de la décision de renvoi que, le 19 juillet 2001, le requérant au principal a souscrit auprès de Bankia un contrat de prêt hypothécaire pour un montant de 132 222,66 euros, visant à financer l’acquisition d’un logement. Ce contrat prévoyait, aux termes de sa clause 3 bis, les modalités de calcul du taux d’intérêt variable applicable audit prêt. Ainsi, ce taux devait être calculé en prenant comme taux de référence celui de l’indice de référence de prêts hypothécaires (IRPH) accordés par certaines caisses d’épargne espagnoles. Il ressort également de cette décision que les contrats de prêt hypothécaire à taux d’intérêt variable, indexés sur l’IRPH, représentent environ 10 % des crédits octroyés en Espagne.

4        Le requérant au principal a formé un recours devant le Juzgado de Primera Instancia no 38 de Barcelona (tribunal de première instance no 38 de Barcelone, Espagne), la juridiction de renvoi, tendant à ce qu’il constate la nullité de ladite clause en raison de son caractère abusif, au motif que la plupart des crédits hypothécaires seraient habituellement indexés sur l’indice Euribor, taux interbancaire proposé en euros, qui est généralement plus avantageux. La juridiction de renvoi précise que le recours à l’IRPH entraîne pour le consommateur un surcoût d’environ 18 000 à 21 000 euros par crédit hypothécaire, par rapport à l’indice Euribor, et s’interroge sur le niveau d’information dont a bénéficié le requérant lors de la conclusion du contrat en cause.

5        C’est dans ce contexte que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour à titre préjudiciel. Par ses trois questions, elle demande, en substance, si la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce que le juge national contrôle le caractère abusif ou non d’une clause contractuelle fixant un taux d’intérêt sur la base d’un indice légal. La juridiction de renvoi cherche également à connaître, le cas échéant, les conséquences de la constatation du caractère abusif d’une telle clause ainsi que les données devant faire l’objet d’une communication par le professionnel lorsque celui-ci conclut avec des consommateurs des contrats de prêt à taux variable indexés sur un indice légal dont la méthode de calcul est complexe et peu transparente pour un consommateur moyen.

6        Ladite juridiction a également demandé à la Cour de soumettre la présente affaire à une procédure accélérée en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

7        Il ressort de cette disposition que, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions dudit règlement de procédure.

8        À l’appui de cette demande, la juridiction de renvoi invoque non pas le grand nombre de consommateurs concernés en Espagne en tant que tel, mais le fait que, eu égard au montant élevé des échéances des prêts indexés sur l’IRPH, le règlement tardif de cette affaire, et d’un grand nombre d’affaires similaires, pourrait porter directement atteinte au droit au logement des consommateurs.

9        Il y a lieu de constater, à cet égard, que les circonstances invoquées par la juridiction de renvoi ne sont pas de nature à satisfaire aux conditions définies à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.

10      À cet égard, même si la juridiction de renvoi ne s’appuie pas, en soi, sur le nombre d’affaires susceptibles de dépendre du dénouement de l’affaire au principal, il y a lieu néanmoins de rappeler, dans la mesure où cette juridiction fait état d’une telle circonstance, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision qu’une juridiction de renvoi doit rendre après avoir saisi la Cour à titre préjudiciel n’est pas de nature, en tant que tel, à constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée (voir, notamment, ordonnances du président de la Cour du 21 septembre 2006, KÖGÁZ e.a., C‑283/06 et C‑312/06, non publiée, EU:C:2006:602, point 9 ; du 11 novembre 2014, Banco Primus, C‑421/14, non publiée, EU:C:2014:2367, point 10 ; du 12 février 2015, Fernández Oliva e.a., C‑568/14 à C‑570/14, non publiée, EU:C:2015:100, point 18 ; ainsi que du 14 août 2015, Palacios Martínez et Banco Popular Español, C‑307/15 et C‑308/15, non publiée, EU:C:2015:598, point 13).

11      En outre, dans la mesure où l’effet cumulé des affaires auquel la juridiction de renvoi fait référence est susceptible d’affecter de manière significative les établissements bancaires ayant consenti des prêts aux consommateurs en cause, il est également de jurisprudence constante que de simples intérêts économiques, pour importants et légitimes qu’ils soient, ne sont pas de nature à justifier à eux seuls le recours à une procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 10 avril 2013, Kásler et Káslerné Rábai, C‑26/13, non publiée, EU:C:2013:218, point 14 ; du 7 octobre 2013, Rabal Cañas, C‑392/13, non publiée, EU:C:2013:877, point 16 ; du 31 mars 2014, Indėlių ir investicijų draudimas et Nemaniūnas, C‑671/13, non publiée, EU:C:2014:225, point 11, ainsi que du 14 août 2015, Palacios Martínez et Banco Popular Español, C‑307/15 et C‑308/15, non publiée, EU:C:2015:598, point 14).

12      S’agissant des considérations relatives au droit au logement des consommateurs, ainsi que la Cour l’a déjà reconnu, la perte du logement familial est de nature à porter gravement atteinte à ce droit (voir notamment, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Aziz, C‑415/11, EU:C:2013:164, point 61, et du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 63). Toutefois, il a également été constaté que le fait que des procédures portent sur le domicile des débiteurs n’est pas constitutif d’une circonstance exceptionnelle justifiant de faire droit à une demande de procédure accélérée en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, dans la mesure où ces débiteurs n’encourent pas de risque imminent de perdre leur logement (ordonnance du président de la Cour du 11 novembre 2014, Banco Primus, C‑421/14, non publiée, EU:C:2014:2367, point 11).

13      Certes, la Cour a déjà pris en considération, dans le contexte d’une affaire dans laquelle les requérants au principal avaient formé opposition à une saisie hypothécaire concernant leur bien immobilier, le fait que, compte tenu des modalités de la procédure civile nationale en cause, la poursuite de la procédure d’exécution les exposait au risque de perdre leur logement principal. Elle a ainsi fait droit à la demande de procédure accélérée en relevant que, dans cette situation, le droit national en cause n’apportait au débiteur lésé qu’une protection purement indemnitaire et ne permettait pas le rétablissement de la situation antérieure dans laquelle il avait la qualité de propriétaire de son logement (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 5 juin 2014, Sánchez Morcillo et Abril García, C‑169/14, EU:C:2014:1388, points 11 ainsi que 12).

14      En l’espèce, en revanche, il ne ressort pas de la demande de décision préjudicielle qu’une procédure d’exécution a été engagée à l’encontre de M. Gómez del Moral Guasch. Il n’apparaît pas par ailleurs que celui-ci encourt un risque imminent de perdre son logement.

15      En tout état de cause, il convient de constater qu’il appartient, en premier lieu, à toute juridiction nationale, dans l’exercice des instruments procéduraux dont elle dispose, d’adopter des mesures provisoires adéquates aux fins de prévenir, le cas échéant, la perte imminente d’un logement principal, en attente de la réponse de la Cour à une demande de décision préjudicielle relative à l’interprétation du droit de l’Union pertinent pour la résolution du litige dont elle est saisie. En effet, la Cour a déjà souligné l’importance, pour le juge national compétent, de disposer de mesures provisoires permettant de suspendre une procédure de saisie hypothécaire ou d’y faire échec lorsque l’octroi de telles mesures s’avère nécessaire pour garantir l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13 (arrêt du 10 septembre 2014, Kušionová, C‑34/13, EU:C:2014:2189, point 66).

16      À cet égard, il ne ressort pas davantage de la demande de décision préjudicielle que de telles mesures provisoires ne pourraient pas être adoptées, que ce soit dans le litige au principal ou dans les nombreuses autres affaires similaires dont la juridiction de renvoi fait état. D’ailleurs, l’existence de circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier qu’une affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure ne saurait dépendre de l’existence en droit procédural national d’instruments procéduraux permettant au juge national de prendre des mesures provisoires aux fins de garantir une protection juridictionnelle effective des droits des particuliers, dès lors que les juridictions nationales, saisies d’un litige concernant le droit de l’Union, ont l’obligation d’assurer la pleine efficacité de ce droit.

17      Il résulte de ce qui précède que la demande de la juridiction de renvoi tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée ne saurait être accueillie.

Par ces motifs, le président de la Cour ordonne :

La demande du Juzgado de Primera Instancia no 38 de Barcelona (tribunal de première instance no 38 de Barcelone, Espagne) tendant à ce que l’affaire C125/18 soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour est rejetée.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.