Language of document : ECLI:EU:C:2009:396

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme ELEANOR Sharpston

présentées le 25 juin 2009 (1)

Affaire C‑73/08

Nicolas Bressol e.a.

et

Céline Chaverot e.a.

contre

Gouvernement de la Communauté française

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour constitutionnelle (Belgique)]

«Enseignement supérieur – Santé publique – Numerus clausus – Condition de résidence – Égalité de traitement – Principe de non‑discrimination – Justifications»





1.        Tout au long d’une grande partie de l’histoire européenne, des étudiants ont voulu acquérir (tout ou partie de) leur formation en dehors de leur pays d’origine (2). La présente affaire soulève, pas pour la première fois, la question de savoir si l’État d’accueil peut limiter le nombre d’étudiants étrangers accédant à son système d’enseignement.

2.        Par demande préjudicielle, la Cour constitutionnelle (Belgique) invite la Cour à interpréter les article 12, premier alinéa, CE et 18, paragraphe 1, CE, pris en combinaison avec les articles 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, CE et l’article 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE.

3.        La juridiction de renvoi est saisie d’un recours en annulation introduit par un certain nombre d’étudiants, pour la plupart de nationalité française, ainsi que par des membres du personnel enseignant et du personnel administratif d’établissements d’enseignement supérieur de la Communauté française de Belgique (ci‑après la «Communauté française») contre le décret régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement supérieur (ci-après le «décret»), adopté le 16 juin 2006 par le parlement de la Communauté française de Belgique (3).

 Cadre juridique

 Droit international

4.        L’article 2, paragraphe 2, du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc) (4) dispose:

«Les États parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur […] l’origine nationale ou sociale […]»

5.        L’article 13.2, c), du Pidesc dispose:

«Les États parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein exercice de ce droit [le droit de toute personne à l’éducation]:

[…]

c) L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l’instauration progressive de la gratuité; […]»

 Droit communautaire

6.        L’article 2 CE dispose:

«La Communauté a pour mission, par l’établissement d’un marché commun, d’une Union économique et monétaire et par la mise en œuvre des politiques ou des actions communes visées aux articles 3 et 4, de promouvoir dans l’ensemble de la Communauté […] la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres.»

7.        L’article 10 CE dispose:

«Les États membres prennent toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté. Ils facilitent à celle-ci l’accomplissement de sa mission.

Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité.»

8.        L’article 12, premier alinéa, CE dispose:

«Dans le domaine d’application du présent traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité.»

9.        L’article 18, paragraphe 1, CE dispose:

«Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application.»

10.      L’article 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, CE dispose:

«1. La Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.

2. L’action de la Communauté vise:

[…]

–        à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’études,

[…]»

11.      L’article 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE dispose:

«L’action de la Communauté vise:

[…]

–        à faciliter l’accès à la formation professionnelle et à favoriser la mobilité des formateurs et des personnes en formation, et notamment des jeunes,

[…]»

 Droit national

12.      L’article 1er du décret définit la notion d’étudiant résident, telle qu’elle est employée dans ce texte (5):

«Par étudiant résident au sens du présent décret, il y a lieu d’entendre l’étudiant qui, au moment de son inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, apporte la preuve qu’il a sa résidence principale en Belgique et qu’il remplit une des conditions suivantes:

1° Avoir le droit de séjourner en Belgique de manière permanente;

2° Avoir sa résidence principale en Belgique depuis au moins 6 mois au moment de l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur, en y exerçant une activité professionnelle salariée ou non ou en bénéficiant d’un revenu de remplacement octroyé par un service public belge;

3° Être autorisé à séjourner [en Belgique] pour une durée illimitée sur la base [de la législation belge applicable];

4° Être autorisé à séjourner en Belgique en raison de la reconnaissance de la qualité de réfugié [comme définie par la législation belge], ou d’une demande à cet effet;

5° Être autorisé à séjourner en Belgique en bénéficiant de la protection temporaire [sur la base de la législation belge applicable];

6° Avoir pour père, mère, tuteur légal ou conjoint une personne qui remplit une des conditions visées ci-dessus;

7° Avoir sa résidence principale en Belgique depuis au moins trois ans au moment de l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur;

8° Être titulaire d’une attestation de boursier délivrée dans le cadre de la coopération au développement pour l’année académique et pour les études pour lesquelles la demande d’inscription est introduite.

Par ‘droit de séjourner de manière permanente’ au sens de l’alinéa 1er, 1°, il y a lieu d’entendre pour les ressortissants d’un autre État membre de l’Union européenne, le droit reconnu en vertu des articles 16 et 17 de la Directive 2004/38/CE [(6)] [et] pour les ressortissants des États non membres de l’Union européenne, il y a lieu d’entendre le droit d’être établi en Belgique en vertu de [la législation belge].»

13.      Le chapitre II du décret contient des dispositions relatives aux universités. Son article 2 limite le nombre des étudiants qui s’inscrivent pour la première fois auprès d’une université de la Communauté française dans un des cursus visés à l’article 3, de la manière visée à l’article 4.

14.      L’article 3 du décret prévoit que les dispositions du chapitre II sont applicables aux cursus menant aux grades académiques de bachelier en kinésithérapie et réadaptation et de bachelier en médecine vétérinaire.

15.      L’article 4 du décret dispose:

«Pour chaque institution universitaire et pour chacun des cursus visés à l’article 3, il est établi un nombre T égal au nombre total d’étudiants qui s’inscrivent pour la première fois dans le cursus concerné et qui sont pris en compte pour le financement, ainsi qu’un nombre NR égal au nombre des étudiants qui s’inscrivent pour la première fois dans le cursus concerné et qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de l’article 1er.

Lorsque le rapport entre le nombre NR, d’une part, et le nombre T de l’année académique précédente, d’autre part, atteint un pourcentage P, les autorités académiques refusent l’inscription supplémentaire d’étudiants qui n’ont jamais été inscrits dans le cursus concerné et qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de l’article 1er.

Le P visé à l’alinéa précédent est fixé à 30 pour cent. Toutefois, lorsque pour une année académique, la part des étudiants qui poursuivent leurs études ailleurs que dans le pays où ils ont obtenu leur diplôme d’études secondaires dépasse dix pour cent en moyenne dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de l’Union européenne, le P est égal, pour l’année académique suivante, à ce pourcentage multiplié par trois.»

16.      L’article 5 du décret dispose:

«[1] […] les étudiants qui ne sont pas considérés comme étudiants résidents au sens de l’article 1er introduisent leur demande d’inscription dans un des cursus visés à l’article 3 au plus tôt le troisième jour ouvrable qui précède le 2 septembre précédant l’année académique concernée. Les universités inscrivent […] les étudiants […] suivant l’ordre dans lequel ils se présentent […]

[…]

[3] Toute demande d’inscription faite à partir du 2 septembre précédant l’année académique conformément à l’alinéa 1er est actée dans un registre […]

[4] Par dérogation à l’alinéa 1er, pour les étudiants non-résidents qui se présentent pour introduire une demande d’inscription dans un des cursus visés à l’article 3 au plus tard le dernier jour ouvrable précédant le 2 septembre précédant l’année académique, si le nombre de ces étudiants qui se sont ainsi présentés excède le nombre NR visé à l’article 4, alinéa 2, l’ordre de priorité [aux fins de l’inscription] entre ces étudiants est déterminé par un tirage au sort [...]

[5] Chaque étudiant non résident ne peut introduire avant le 2 septembre précédant l’année académique qu’une seule demande d’inscription pour tous les cursus visés aux articles 3 et 7. L’étudiant qui aura enfreint cette disposition sera exclu de l’établissement d’enseignement supérieur dans lequel il aurait été admis dans un des cursus visés aux articles 3 ou 7.

[…]»

17.      Le chapitre III concerne les hautes écoles. L’article 6, premier alinéa, ainsi que les articles 8 et 9 (qui font partie de ce chapitre) contiennent des dispositions analogues à celles de l’article 2, premier alinéa, et des articles 4 et 5.

18.      L’article 7 du décret déclare les dispositions du chapitre III applicables aux cursus menant aux grades académiques d’accoucheuse-bachelier, de bachelier en ergothérapie, de bachelier en logopédie, de bachelier en podologie-podothérapie, de bachelier en kinésithérapie, de bachelier en audiologie et d’éducateur(trice) spécialisé(e) en accompagnement psycho-éducatif.

 Procédure au principal et questions préjudicielles

19.      D’après l’arrêt de renvoi, le législateur de la Communauté française a constaté plusieurs années de suite une forte augmentation du nombre d’étudiants inscrits pour la première fois dans les cursus en question. Compte tenu des ressources budgétaires, humaines et matérielles des établissements d’enseignement en cause, il a estimé que cela pouvait mettre en danger la qualité de l’enseignement et, en raison de la nature des cursus, la santé publique.

20.      Durant l’année académique 2003/2004, le nombre de détenteurs d’un diplôme de l’enseignement secondaire délivré par un autre État membre inscrits dans les cursus couverts par le décret représentait moins de 10 % des inscriptions. En 2004/2005, ce pourcentage s’est situé entre 41 et 75 % pour les cursus couverts par le décret et suivis dans les hautes écoles. Pour l’année académique 2005/2006, il s’est situé entre 78 % et 86 % pour les cursus universitaires couverts par le décret.

21.      La plupart des étudiants détenteurs de diplômes d’enseignement secondaire obtenus en dehors de la Communauté française sont des ressortissants français. Selon la juridiction de renvoi, cela s’explique par plusieurs facteurs.

22.      Premièrement, en France, l’admission aux écoles vétérinaires se fait par concours, ouvert aux seuls étudiants ayant suivi deux années de cours préparatoires après leur diplôme d’enseignement secondaire. En 2004, 329 candidats ont été admis aux quatre écoles vétérinaires françaises à l’issue d’un tel concours. Ce nombre a été ramené à 225 en 2005 et porté à 436 en 2006. Généralement, un cinquième seulement des candidats au concours est reçu.

23.      Deuxièmement, la France a fixé un numerus clausus pour les étudiants en kinésithérapie.

24.      C’est pourquoi un grand nombre d’étudiants français viennent suivre l’enseignement dispensé en langue française dans la Communauté française. À la fin de leurs études, ils retournent en France pour y exercer leur profession. Près d’un tiers des vétérinaires s’établissant en France chaque année ont obtenu leur diplôme dans la Communauté française. Cela ne semble pas créer d’engorgement de la profession en France. En 2005, plus de 800 étudiants ont obtenu des diplômes de kinésithérapie dans la Communauté française.

25.      En réponse à cette situation, le parlement de la Communauté française a adopté le décret le 16 juin 2006. Ce décret établit en fait un numerus clausus pour l’inscription de non-résidents et il définit les «résidents», qui échappent au numerus clausus, par une double condition. En substance, les «résidents» sont des personnes qui ont à la fois leur résidence principale en Belgique et qui ont le droit d’y séjourner de manière permanente.

26.      Une université ou une haute école ne peut admettre qu’un nombre limité d’étudiants non-résidents. Ce nombre est fixé pour chaque cursus dans chaque établissement, pour l’année académique 2006/2007, à 30 % du nombre total des étudiants inscrits pour la première fois dans l’établissement pour les cursus concernés. Les candidats non-résidents ne peuvent demander leur inscription que pendant les trois jours ouvrables précédant le 2 septembre. Si leur nombre dépasse le numerus clausus, le tri est fait par tirage au sort.

27.      Le 9 août 2006, M. Nicolas Bressol et 43 autres personnes ont saisi la Cour constitutionnelle d’un recours en annulation du décret. Le 13 décembre 2006, Mme Céline Chaverot et 18 autres personnes ont également introduit un recours en vue de l’annulation de plusieurs articles du décret. Ils contestent la différence de traitement prévue par le décret entre résidents et non-résidents en ce qui concerne l’accès aux cursus en question.

28.      Le 24 janvier 2007, la Commission des Communautés européennes a envoyé au Royaume de Belgique une lettre de mise en demeure dans laquelle elle faisait part de ses interrogations quant à la compatibilité du décret avec le droit communautaire. Le 24 mai 2007, le Royaume de Belgique a répondu en fournissant des statistiques et des explications. Estimant que, à défaut de mesures de sauvegarde appropriées, la Communauté française risquait de ne pas «pouvoir maintenir des niveaux suffisants de couverture territoriale et de qualité dans son système de santé publique», la Commission a décidé le 28 novembre 2007 de suspendre la procédure pour cinq ans afin de «permettre aux autorités belges de fournir des données supplémentaires étayant l’argument selon lequel les mesures de restriction imposées sont à la fois nécessaires et proportionnées» (7).

29.      En raison de ses doutes quant à la compatibilité des articles 4 et 8 du décret avec diverses dispositions de la constitution belge, prises en combinaison avec les articles 12, premier alinéa, CE, 18, paragraphe 1, CE, 149, paragraphes 1 et 2, CE et 150, paragraphe 2, CE, la Cour constitutionnelle a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les articles 12, premier alinéa, et 18, paragraphe l, [CE], lus en combinaison avec l’article 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, et avec l’article 150, paragraphe 2, troisième tiret, [CE] doivent-ils être interprétés en ce sens que ces dispositions s’opposent à ce qu’une communauté autonome d’un État membre compétente pour l’enseignement supérieur, qui est confrontée à un afflux d’étudiants d’un État membre voisin dans plusieurs formations à caractère médical financées principalement par des deniers publics, à la suite d’une politique restrictive menée dans cet État voisin, prenne des mesures telles que celles inscrites dans le [décret du 16 juin 2006], lorsque cette Communauté invoque des raisons valables pour affirmer que cette situation risque de peser excessivement sur les finances publiques et d’hypothéquer la qualité de l’enseignement dispensé?

2)      En va-t-il autrement, pour répondre à la question mentionnée sub 1, si cette Communauté démontre que cette situation a pour effet que trop peu d’étudiants résidant dans cette Communauté obtiennent leur diplôme pour qu’il y ait durablement en suffisance du personnel médical qualifié afin de garantir la qualité du régime de santé publique au sein de cette Communauté?

3)      En va-t-il autrement, pour répondre à la question mentionnée sub 1, si cette Communauté, compte tenu de l’article 149, paragraphe 1 in fine, [CE] et de l’article 13.2, c), du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui contient une obligation de ‘standstill’, opte pour le maintien d’un accès large et démocratique à un enseignement supérieur de qualité pour la population de cette Communauté?»

30.      Des observations écrites ont été déposées par les parties requérantes au principal, par le gouvernement autrichien, par le gouvernement belge ainsi que par la Commission.

31.      Une audience s’est déroulée le 3 mars 2009, à l’occasion de laquelle les mêmes parties ont également présenté des observations orales.

 Remarques liminaires

32.      Même si, selon l’article 149, paragraphe 1, CE, les États membres restent responsables «pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique», la Cour a clairement dit que les conditions d’accès à la formation professionnelle relèvent du domaine d’application du traité (8). Elle s’est à cet égard référée à l’article 149, paragraphe 2, deuxième tiret, CE, qui prévoit expressément que l’action de la Communauté vise à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants, y compris en encourageant la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’études, et à l’article 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE, qui dispose que l’action de la Communauté doit faciliter l’accès à la formation professionnelle et favoriser la mobilité des formateurs et des personnes en formation, et notamment des jeunes (9). La Cour a également jugé que tant l’enseignement supérieur que l’enseignement universitaire constituent une formation professionnelle (10).

33.      Il est constant que le décret fixe les conditions d’accès aux universités ou aux grandes écoles de la Communauté française de Belgique. Il réglemente donc une question qui ressortit au traité CE.

34.      Il est tout aussi clair que le décret différencie entre les étudiants en les classant en résidents et non-résidents, selon qu’ils remplissent ou non certains critères. Les résidents ont accès sans restriction à tous les cursus. Les non‑résidents sont soumis à un numerus clausus pour certains cursus. Il y a donc, de toute évidence, une différence de traitement entre les deux groupes.

35.      L’article 12 CE interdit, dans le domaine d’application du traité, et sans préjudice des dispositions particulières qu’il prévoit, toute discrimination exercée en raison de la nationalité. Le décret doit donc être apprécié à la lumière de cette disposition.

36.      Les deux premières questions posées par la juridiction de renvoi ont pour objet l’applicabilité éventuelle de trois justifications possibles du traitement discriminatoire. La réponse à ces questions dépend notamment du point de savoir si la discrimination est directe ou indirecte (11). Il me faut donc en premier lieu clarifier la nature du traitement discriminatoire en cause.

 Nature du traitement discriminatoire

37.      Le décret limite le nombre des premières inscriptions d’étudiants non-résidents pour certains cursus (énumérés aux articles 3 et 7). Pour être considéré comme résident et échapper ainsi à cette restriction, un étudiant doit remplir deux conditions cumulatives indiquées à l’article 1er du décret: i) il doit établir que sa résidence principale se trouve en Belgique; ii) il doit remplir l’une des huit autres conditions énumérées dans cette disposition (12).

38.      L’arrêt de renvoi dit clairement que, comme tous les ressortissants belges bénéficient, en raison de leur nationalité, d’un droit de séjour permanent en Belgique au sens de l’article1er, point 1°, du décret, ils remplissent automatiquement les deux conditions cumulatives requises pour être considérés comme des «résidents» s’ils ont leur résidence principale en Belgique au moment de la demande d’inscription (13).

39.      À l’inverse, pour les personnes envisageant d’étudier en Belgique sans être des ressortissants belges, la deuxième condition cumulative constitue un véritable obstacle. Pour y satisfaire, les ressortissants de l’Union européenne qui n’ont pas la nationalité belge ne peuvent faire valoir de «droit de séjour permanent» en Belgique que dans les limites établies par la directive 2004/38, c’est-à-dire en substance après avoir séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire belge (14). Si cette condition n’est pas remplie (et si aucune des sept autres ne l’est), ils seront classés parmi les non-résidents. Tel est d’ailleurs précisément l’objectif du décret.

40.      Cette différence de traitement constitue-t-elle une discrimination directe ou indirecte en raison de la nationalité?

41.      Dans sa lettre de mise en demeure du 24 janvier 2007 (15), la Commission a estimé que la discrimination était directe parce que les ressortissants belges doivent simplement établir leur résidence en Belgique pour remplir la condition de l’article 1er point 1°, du décret, tandis que tous les autres doivent satisfaire à une condition supplémentaire. Elle n’a pas repris cet argument dans la présente procédure, puisqu’elle s’est contentée (à l’instar d’autres parties) d’examiner les questions préjudicielles en postulant l’existence d’une discrimination indirecte. Pour ma part cependant, je ne crois pas que la Cour puisse ou doive éluder cette question.

42.      Par souci de clarté, j’analyserai les deux conditions imposées par le décret séparément. Je dois cependant exposer tout d’abord ce qui est, à mes yeux, la différence essentielle entre discrimination directe et discrimination indirecte.

 La distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte

43.      De façon assez surprenante, la jurisprudence de la Cour ne contient pas de définition claire de ce qu’il faut entendre par «discrimination directe». Le sens de cette notion doit donc être dégagé de la jurisprudence de la Cour sur le principe général d’égalité et sur le concept de discrimination indirecte.

44.      Selon la définition classique donnée par la Cour du principe général de l’égalité de traitement, pris en tant que principe général du droit communautaire, ce principe exige «que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié» (16). Cela semble s’appliquer aux deux formes de discrimination (17).

45.      Les définitions de la discrimination directe contenues dans la directive sur la discrimination en raison du sexe (18), la directive sur la discrimination raciale (19) et la directive-cadre sur l’égalité de traitement (20) n’aident guère à clarifier les choses. Essentiellement, ces textes définissent la discrimination directe comme la situation dans laquelle une personne est, sur la base de l’un des critères prohibés, traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable (21). Ces définitions méritent d’être comparées à celles que les directives donnent de la discrimination indirecte. Il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantage particulièrement des personnes présentant une caractéristique sur la base de laquelle une différence de traitement est prohibée, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires (22).

46.      Même ainsi, la différence entre discrimination directe et discrimination indirecte reste floue.

47.      Le problème est, selon moi, de déterminer exactement ce qu’est «une disposition apparemment neutre». Cette expression clé semble impossible à détacher du concept de «discrimination dissimulée», qui apparaît ailleurs dans la jurisprudence de la Cour.

48.      La Cour a en effet jugé que «le principe d’égalité de traitement, dont l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité consacrée à l’article 12, paragraphe 1, CE est une expression particulière, prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat» (23). La formule est fréquemment associée à une proposition énonçant une justification possible d’une discrimination indirecte. Ainsi, pour les travailleurs migrants, la Cour a jugé que, à moins «qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi, une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire, dès lors qu’elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les travailleurs migrants que les travailleurs nationaux et qu’elle risque, par conséquent, de défavoriser plus particulièrement les premiers» (24).

49.      La Cour semble donc considérer la différence entre discrimination «ostensible/ouverte» et discrimination «dissimulée/déguisée» comme le point de référence pour distinguer entre discrimination directe et discrimination indirecte. Cela résulte plus clairement encore de l’arrêt prononcé dans la deuxième affaire Defrenne (le point de départ de la jurisprudence de la Cour sur la discrimination en raison du sexe), dans lequel la Cour s’est référée à la discrimination «directe et ouverte» pour la comparer à la discrimination «indirecte et déguisée» (25).

50.      Je dois avouer que cette distinction ne me paraît guère utile (26). Il est parfaitement clair que la distinction entre discrimination ouverte et discrimination déguisée ne coïncide pas toujours nécessairement avec celle entre discrimination directe et discrimination indirecte.

51.      Un exemple clair de discrimination directe déguisée peut être trouvé dans l’affaire Dekker. Mme Dekker s’était entendu déclarer que le poste pour lequel elle était incontestablement le meilleur candidat lui était refusé à cause non de sa grossesse à proprement parler, mais des conséquences financières de cette grossesse pour l’employeur. La Cour a été invitée à dire si le refus de l’engager devait être regardé comme une discrimination directe en raison du sexe. Elle a jugé, à juste titre, que la réponse dépendait «du point de savoir si la raison essentielle du refus d’engagement est une raison qui s’applique indistinctement aux travailleurs des deux sexes ou, au contraire, si elle s’applique exclusivement à l’un des deux sexes» et elle a conclu «qu’un refus d’engagement pour cause de grossesse ne peut être opposé qu’aux femmes et constitue dès lors une discrimination directe fondée sur le sexe» (27). La Cour a confirmé cette approche dans des affaires ultérieures (28).

52.      L’avocat général Jacobs a retenu une approche un peu différente, et plus claire me semble-t-il, de la distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte dans ses conclusions dans l’affaire Schnorbus: «La situation peut être exprimée simplement en disant qu’il y a discrimination fondée sur le sexe, lorsque les personnes d’un sexe sont traitées plus favorablement que celles de l’autre. La discrimination est directe, lorsque l’inégalité de traitement est fondée sur un critère qui est soit explicitement celui du sexe soit nécessairement lié à une caractéristique indissociable du sexe. Elle est indirecte, lorsqu’un autre critère s’applique, mais que celui-ci affecte une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe, plutôt que de l’autre» (29).

53.      Cette analyse du contenu de la discrimination directe peut être adaptée pour s’appliquer à toute discrimination directe fondée sur quelque critère prohibé que ce soit. Ainsi la discrimination en raison de la nationalité peut-elle être considérée comme directe lorsque la différence de traitement est fondée sur un critère qui est soit explicitement celui de la nationalité, soit nécessairement lié à une caractéristique indissociable de la nationalité.

54.      Dans l’affaire Dekker, la Cour aurait également retenu l’existence d’une discrimination directe si elle avait appliqué un test du «facteur déterminant» (sexe, race, âge, nationalité, etc.), sans lequel la personne concernée aurait bénéficié du traitement plus favorable reconnu à la personne de référence (30). Reformulée sur cette base, la question que la juridiction nationale devait trancher était la suivante: «Si elle n’avait pas été enceinte (la grossesse étant une caractéristique indissociablement liée au sexe) et toutes choses égales par ailleurs, Mme Dekker aurait-elle été engagée?» En cas de réponse affirmative, le refus d’engager l’intéressée aurait constitué une discrimination directe en raison du sexe (31).

55.      Cette analyse implique – et ce point est crucial – que, pour qu’il y ait une discrimination directe, il suffit que, à un point quelconque de la chaîne de causalité, le traitement infligé à la victime soit fondé sur, ou causé par, l’invocation d’une caractéristique qui ne peut légitimement servir à distinguer cette personne par rapport à d’autres. Par souci de simplicité, je qualifierai ce processus de «classification prohibée».

56.      Il est possible de partir de cette base pour énoncer une définition générale reflétant avec justesse, pour autant que je puisse le voir, toutes les situations reconnues par la Cour comme constitutives d’une discrimination directe fondée sur un motif prohibé par le droit communautaire. J’estime qu’il y a discrimination directe lorsque la catégorie de ceux qui bénéficient d’un avantage et celle de ceux qui souffrent du désavantage corrélatif coïncident exactement avec les catégories correspondantes de personnes différenciées uniquement par l’application d’une classification prohibée.

57.      Ainsi, dans le cas de Mme Dekker, la catégorie de ceux qui bénéficiaient d’un avantage déterminé (être éligible au recrutement) coïncidait exactement avec la catégorie des personnes distinguées uniquement par l’application d’un critère de classification prohibé (le sexe – spécifiquement les personnes qui ne peuvent en aucun cas tomber enceintes, c’est-à-dire les hommes). La catégorie des personnes souffrant le désavantage corrélatif (ne pas être éligible au recrutement) coïncidait exactement avec la catégorie correspondante de personnes distinguées uniquement par l’application d’une classification prohibée (en raison du sexe – en l’occurrence les personnes pouvant tomber enceintes, c’est-à-dire les femmes). Le traitement défavorable (le refus de recruter) constituait donc une discrimination directe fondée sur la classification prohibée (en raison du sexe).

58.      Quel est le résultat de l’application de ce critère de discrimination directe aux deux conditions exposées à l’article 1er du décret?

 La première condition cumulative de l’article1er, point 1°, du décret

59.      La première condition cumulative figurant à l’article 1er, point 1°, du décret impose aux étudiants d’avoir leur résidence principale en Belgique au moment de leur inscription dans un établissement d’enseignement supérieur (la «condition de résidence principale»).

60.      Il est clair qu’une telle condition n’est pas directement discriminatoire en raison de la nationalité. Les non-Belges peuvent, tout comme les Belges, établir leur résidence principale en Belgique. Ainsi, la catégorie de ceux qui remplissent la première condition cumulative visée à l’article 1er, point 1°, du décret ne coïncide pas avec la catégorie constituée par les ressortissants belges.

61.      La condition de résidence principale constitue-t-elle une discrimination indirecte?

62.      La Cour a jugé que l’interdiction de discrimination fondée sur des critères de différenciation apparemment neutres, mais qui conduisent en fait à un résultat discriminatoire, s’applique en particulier à une mesure qui fait une distinction fondée sur la résidence. Cette exigence risque de s’appliquer principalement au détriment de ressortissants d’autres États membres, puisque les non-résidents sont dans leur majorité des étrangers (32).

63.      Il n’est pas sérieusement contesté que la condition de résidence principale constitue une mesure indirectement discriminatoire.

 La deuxième condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret

64.      En revanche, la deuxième condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret me semble constitutive d’une discrimination directe fondée sur la nationalité.

65.      Tous les ressortissants belges jouissent automatiquement du droit de séjourner en Belgique de manière permanente (ce qui est le premier des huit critères possibles dans le cadre de la deuxième condition cumulative énoncée à l’article 1er du décret). Aucun ressortissant non belge ne jouit automatiquement d’un tel droit. Il devra donc soit remplir certaines conditions supplémentaires pour acquérir un tel droit (à savoir celles prescrites par la directive 2004/38), soit satisfaire à l’un des autres critères énumérés dans cette disposition (33).

66.      La catégorie des bénéficiaires d’un avantage déterminé (avoir automatiquement le droit de séjourner en Belgique de façon permanente et remplir ainsi automatiquement la deuxième condition cumulative visée à l’article 1er, point 1°, du décret) coïncide donc exactement avec celle des personnes qui se distinguent uniquement sur la base d’une classification prohibée (par nationalité – en l’occurrence les personnes ayant la nationalité belge). La catégorie de ceux qui souffrent d’un désavantage correspondant (ceux qui n’accèdent pas automatiquement à un tel droit) coïncide exactement avec la catégorie des personnes différenciées uniquement sur la base d’une classification prohibée (en raison de la nationalité, en l’occurrence ceux qui n’ont pas la nationalité belge).

67.      La différence de traitement est clairement fondée sur un critère (le droit de séjourner en Belgique de manière permanente) qui est nécessairement lié à une caractéristique indissociable de la nationalité (34). La discrimination en raison de la nationalité en question est donc une discrimination directe.

68.      Cette conclusion n’est pas altérée par le fait que des ressortissants non belges de l’Union européenne peuvent, s’ils satisfont aux conditions de la directive 2004/38, obtenir le droit de séjourner en Belgique de manière permanente. La discrimination directe réside précisément dans le fait que, pour tous les non-Belges, qui incluent tous les autres citoyens de l’Union européenne, le droit de séjourner de manière permanente en Belgique exige la satisfaction de l’un des autres critères de la seconde condition cumulative ou des critères de la directive 2004/38. Pour les Belges, le droit est nécessairement et automatiquement lié à la qualité de ressortissant belge et donc à un critère de classification prohibé: la nationalité.

69.      J’aboutis à la même conclusion en appliquant le critère du «facteur déterminant». Imaginons deux futurs étudiants en médecine vétérinaire en train d’achever leurs études secondaires à Luxembourg, où leurs parents vivent et travaillent. Ils veulent tous deux étudier en Belgique. L’étudiant A est belge. L’étudiant B est bulgare. Tous deux emménagent dans une chambre d’étudiant à Louvain-la-Neuve, dans le même bâtiment, où ils établissent leur résidence au début de l’année académique 2008/2009 en vue de s’inscrire à l’université. Ils peuvent donc tous deux prouver qu’ils remplissent la condition de résidence principale.

70.      L’étudiant A remplira automatiquement la deuxième condition cumulative visée à l’article 1er, point 1°, du décret. En tant que Belge, il a le droit de séjourner en Belgique de manière permanente. Il sera donc considéré comme un «étudiant résident» et bénéficiera d’un accès sans restriction au cursus de médecine vétérinaire. L’étudiant B ne satisfera pas automatiquement à cette condition et il ne satisfera sans doute pas non plus aux conditions de la directive 2004/38. À moins de remplir ce critère ou l’un des autres critères de la deuxième condition cumulative (ce qui est peu vraisemblable dans les circonstances de fait ici postulées), l’étudiant B sera soumis au numerus clausus.

71.       Il est clair que, sans le «facteur déterminant» qu’est sa nationalité belge, l’étudiant A n’aurait pas automatiquement satisfait à la deuxième condition cumulative (35).

72.      Dans son avis sur le projet de décret, le Conseil d’État semblait déjà se demander si le texte ne comportait pas une discrimination directe; quoi qu’il en soit, il a souligné que la législation nationale en cause dans l’affaire Commission/Autriche traitait les étudiants autrichiens ayant obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire ailleurs qu’en Autriche de la même façon (défavorable) que les étudiants d’autres États membres (36).

73.      Enfin, contrairement aux observations présentées par le gouvernement belge à l’audience, l’arrêt Bidar ne saurait appuyer l’allégation que toute discrimination résultant de l’application de la deuxième condition cumulative visée à l’article 1er, point 1°, du décret serait nécessairement indirecte et non directe. La législation britannique en cause dans l’affaire Bidar subordonnait la possibilité d’obtenir un prêt étudiant à la condition i) que l’étudiant soit «établi» au Royaume‑Uni aux fins du droit national et ii) qu’il remplisse certaines conditions de résidence (37). La législation britannique sur l’immigration qui était alors applicable prévoyait qu’une personne était «établie» au Royaume-Uni si elle y était ordinairement résidente, sans être soumise à quelque restriction que ce soit en ce qui concerne la période pendant laquelle elle pouvait séjourner sur le territoire (38). Un ressortissant d’un autre État membre ne pouvait, en tant qu’étudiant, obtenir le statut de personne établie au Royaume-Uni, puisqu’il ne pouvait remplir aucune des deux conditions précitées.

74.      Il est vrai que (à l’instar d’un ressortissant belge en Belgique) aucun ressortissant du Royaume-Uni n’est soumis à une restriction quant à la période pendant laquelle il peut séjourner sur le territoire du Royaume-Uni. Cependant, il résulte clairement de la réaction du Royaume-Uni aux questions posées par la Cour dans l’affaire Bidar que les ressortissants du Royaume-Uni pouvaient aussi, dans certaines circonstances, ne pas remplir le critère de «résidence ordinaire» et partant ne pas avoir droit au statut de personne «établie» au Royaume‑Uni (39). La catégorie des bénéficiaires d’un avantage déterminé (ceux ayant le statut de personne «établie» au Royaume-Uni) ne coïncidait donc pas exactement avec celle des personnes différenciées uniquement sur la base d’une classification prohibée (en raison de la nationalité, en l’occurrence celle du Royaume-Uni).

75.      C’est donc à juste titre que, dans son arrêt Bidar, la Cour a considéré que la discrimination était indirecte plutôt que directe. Néanmoins, comme la législation du Royaume-Uni excluait toute possibilité pour un ressortissant d’un autre État membre d’obtenir, en tant qu’étudiant, le statut de personne établie et mettait donc cette personne, quel que fût son degré d’intégration réelle dans la société de l’État membre d’accueil, dans l’impossibilité de remplir les conditions ouvrant droit à un prêt, la Cour eut tôt fait de constater l’illicéité de la «condition d’établissement» (40).

76.      C’est évidemment à la juridiction nationale de dire quelle est la situation en droit belge. Cependant, si elle devait conclure que les ressortissants belges bénéficient tous, automatiquement et sans exception, du droit de séjourner en Belgique de manière permanente et remplissent donc tous automatiquement la deuxième condition cumulative, alors que tous les autres, parmi lesquels les citoyens de l’Union européenne, ne bénéficient pas automatiquement de ce droit, la deuxième condition cumulative figurant à l’article 1er, point 1°, du décret serait constitutive d’une discrimination directe en raison de la nationalité, en violation de l’article 12 CE.

 Les deux premières questions

77.      Les deux premières questions visent en substance à clarifier si le décret peut être justifié sur la base de trois raisons possibles: i) l’afflux d’étudiants étrangers constitue une charge excessive pour les finances publiques; ii) la qualité de l’enseignement peut se trouver hypothéquée; iii) la qualité du système de santé publique de la Communauté française peut être mise en danger par une pénurie de personnel médical qualifié.

78.      La réponse dépend en partie du point de savoir si le traitement discriminatoire est direct ou indirect (41). Il est constant qu’une discrimination indirecte peut, en principe, être justifiée (42). Les règles sont bien plus strictes pour les discriminations directes (43). Comme je considère la première condition cumulative comme indirectement discriminatoire et la seconde comme directement discriminatoire, j’analyserai ces conditions l’une après l’autre.

 La première condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret est-elle justifiable?

79.      Le gouvernement belge s’appuie fortement sur l’arrêt Bidar qui, selon lui, confirme la légitimité de la condition de résidence en matière d’accès à l’éducation, parce qu’elle permet à l’État d’accueil d’exiger du futur étudiant la preuve d’un certain degré d’intégration dans la société de cet État (44).

80.      Il y a cependant une différence fondamentale entre l’accès à une aide financière pour couvrir les frais de formation dans un autre État membre, dont il s’agissait dans l’affaire Bidar, et l’accès à la formation elle-même dans un autre État membre, dont il s’agit en l’espèce.

81.      Dans l’affaire Bidar, la Cour a tenu compte à juste titre des intérêts légitimes d’États membres confrontés aux demandes d’aide financière d’étudiants d’autres États membres. Elle a estimé que les États membres devaient faire preuve, dans l’organisation et l’application de leur système d’assistance sociale, d’une certaine solidarité financière avec les ressortissants d’autres États membres (45). Cependant, il leur est loisible de «veiller à ce que l’octroi d’aides visant à couvrir les frais d’entretien d’étudiants provenant d’autres États membres ne devienne pas une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État» (46).

82.      En revanche, la possibilité pour un étudiant de l’Union européenne d’accéder à l’enseignement supérieur ou universitaire d’un autre État membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État constitue l’essence même du principe de la libre circulation des étudiants, garanti par le traité (47). Le point de vue retenu par la Cour dans l’arrêt Bidar au sujet des conditions de résidence mises à l’octroi d’une aide financière ne saurait donc être transposé à la présente affaire (48).

83.      Il est de jurisprudence constante qu’un traitement indirectement discriminatoire fondé sur la nationalité ne peut être justifié que s’il se fonde sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi (49).

84.      La Cour a également jugé qu’il appartient aux autorités nationales qui invoquent une dérogation au principe fondamental de libre circulation des personnes de prouver, dans chaque cas d’espèce, que leurs réglementations sont nécessaires et proportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre «doivent être accompagnées d’une analyse de l’aptitude et de la proportionnalité de la mesure restrictive adoptée par cet État, ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation» (50).

85.      D’après l’arrêt de renvoi, les travaux préparatoires (51) du décret indiquent que le principal objectif des dispositions contestées de ce décret est de «garantir un accès large et démocratique à un enseignement supérieur de qualité pour la population de la Communauté française». Les dispositions contestées sont également inspirées par des considérations de santé publique. Premièrement, une diminution de la qualité de l’enseignement pourrait à long terme altérer la qualité des soins. Deuxièmement, du fait que la très grande majorité des étudiants non résidents n’entend pas exercer en Belgique, il y aurait un risque de pénurie de professionnels. La pénurie serait «certaine» si une sélection à l’entrée était organisée.

86.      Dans le cadre de la répartition des fonctions entre la Cour et la juridiction de renvoi, c’est à la Cour qu’il appartient de dire si, lorsqu’il est vérifié, un motif peut objectivement justifier une discrimination indirecte. Dans l’affirmative, il appartient alors à la juridiction nationale de déterminer si, au vu des preuves disponibles, le motif peut être considéré comme vérifié.

 Charge excessive pour les finances publiques

87.      Les travaux préparatoires du décret contiennent la référence suivante à la justification tirée d’une charge excessive pour les finances publiques (52):

«Le nombre de diplômés que la Communauté française forme dans les cursus mentionnés ci-dessus excède manifestement les besoins des secteurs concernés en Belgique francophone. La Communauté française ne peut supporter la charge excessive que représentent dans ces cursus les étudiants qui ne résident pas en Belgique, qui ne viennent faire leurs études en Communauté française que pour le seul motif qu’ils n’ont pas accès à ces études dans leur pays d’origine et qui n’ont nullement l’intention d’exercer leur profession en Communauté française.»

88.      La première phase, selon laquelle le nombre de diplômés «excède manifestement» les besoins de la Communauté française, n’est pas directement conciliable avec la justification alternative tirée du risque découlant pour le système de santé publique d’une éventuelle pénurie de personnel qualifié (53).

89.      L’argument avancé dans la deuxième phrase est, en substance, purement économique. Il pose problème pour les raisons suivantes.

90.      Je rappelle tout d’abord que, selon une jurisprudence constante, des motifs de nature purement économique ne peuvent normalement constituer des raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité (54).

91.      La Cour a, il est vrai, admis qu’il ne saurait être exclu qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à la libre prestation de services (55) Ainsi, des raisons économiques ou budgétaires peuvent servir de justification dans des circonstances particulières. Cela peut en partie être dû au fait inéluctable que tout service public fourni par nos États providence dépend de l’existence de moyens budgétaires suffisants pour le financer.

92.      Cependant, je partage les réserves exprimées par l’avocat général Jacobs au sujet de l’application au domaine de l’enseignement supérieur de déclarations faites par la Cour au sujet des charges pesant sur les systèmes nationaux de sécurité sociale. De telles déclarations contiennent une double dérogation: elles dérogent à la fois au principe fondamental de liberté de circulation des personnes et aux motifs reconnus pouvant justifier de telles dérogations (motifs qui, selon le traité, doivent être non économiques). Toute justification fondée sur une base économique doit donc être considérée avec beaucoup de circonspection (56).

93.      L’avocat général Jacobs a également suggéré que, si la Cour souhaitait étendre les limites du droit des étudiants à une assistance financière au-delà des droits de scolarité et des droits d’inscription, il faudrait que le champ des justifications possibles dont disposent les États membres soit également étendu, à l’exemple de la jurisprudence relative aux bénéficiaires de services publics de santé (57). Dans l’arrêt Bidar, la Cour a de fait étendu les limites du droit des étudiants à une assistance financière en y incluant les prêts pour couvrir les frais de subsistance et elle a (parallèlement) admis qu’un étudiant doit faire la preuve d’un certain niveau d’intégration dans l’État membre d’accueil pour pouvoir accéder à un prêt. Les raisons budgétaires peuvent donc, sous certaines réserves, justifier de limiter l’accès à une aide financière à la formation.

94.      Cependant, ainsi que je l’ai déjà souligné, la présente affaire concerne l’accès à la formation et non l’accès à l’aide financière à la formation, de sorte que l’arrêt Bidar n’est pas transposable ici. Je n’admets pas que des raisons budgétaires puissent justifier de limiter l’accès à la formation pour les étudiants non résidents. Il me semble au contraire que la déclaration de la Cour dans l’arrêt Grzelczyk selon laquelle la directive 93/96/CEE (58) «admet […] une certaine solidarité financière des ressortissants de cet État [d’accueil] avec ceux des autres États membres» (59), faite à propos d’une aide financière à la formation, doit s’appliquer a fortiori pour l’accès à celle-ci.

95.      Deuxièmement, le législateur de la Communauté française semble s’appuyer sur l’argument bien connu du «passager clandestin»: les étudiants s’installant à l’étranger pour leurs études récolteraient les bénéfices de l’enseignement public financé par l’État membre d’accueil sans contribuer à son financement par le biais des impôts nationaux (payés par leurs parents) et sans nécessairement «rembourser» en restant dans l’État d’accueil pour y travailler et y payer des impôts (60). L’argument implicite est que les étudiants non belges se rendraient coupables d’une sorte d’abus. Or, tel n’est certainement pas le cas. Les étudiants s’installant dans un autre État membre pour y poursuivre leur formation exercent la liberté de circulation à laquelle ils ont droit en vertu de leur qualité de citoyens de l’Union, sans qu’ils puissent faire l’objet d’aucune discrimination en raison de la nationalité (61). Leurs intentions supposées, invoquées par le législateur de la Communauté française, sont totalement dépourvues de pertinence (62).

96.      Je partage également le point de vue exprimé par les avocats généraux Jacobs et Geelhoed (respectivement dans les affaires Commission/Autriche et Bidar) que, même si les étudiants ne contribuent pas directement au système fiscal de l’État dans lequel ils suivent leurs études universitaires, ils représentent une source de revenus pour les économies locales du lieu d’implantation de l’université et, également, de façon restreinte, pour les budgets nationaux, par le biais des impôts indirects (63). Poussé jusqu’au bout de sa logique, l’argument selon lequel seuls ceux qui ont contribué en payant des impôts devraient avoir accès à des prestations financées par l’État aboutirait à écarter de toute prestation les ressortissants d’un État membre qui n’ont pas payé d’impôts ou qui n’ont versé qu’une contribution modeste (64).

97.      Troisièmement, telles qu’elles apparaissent dans l’arrêt de renvoi et dans les observations écrites du royaume de Belgique, les explications de la Communauté française n’indiquent pas ce que la charge financière que ces catégories d’étudiants font peser sur la Communauté française aurait d’«excessif» ni en quoi le décret résoudrait le problème allégué (65). En fait, l’enseignement supérieur est apparemment financé par un système d’«enveloppe fermée». Sauf erreur de ma part, cela signifie qu’une diminution du nombre d’étudiants (quelle que soit leur nationalité) ne fait pas économiser d’argent à la Communauté française. Les augmentations comme les diminutions du nombre d’étudiants sont budgétairement neutres.

98.      Finalement, j’observe que, devant la Cour constitutionnelle, les parties requérantes ont laissé entendre que les étudiants non résidents devraient tous avoir accès au cursus de leur choix, mais pas nécessairement à une aide financière. Dans ses observations écrites devant la Cour, le gouvernement belge a répondu en déclarant qu’une telle proposition «ne permettrait pas d’atteindre les objectifs [du décret], qui ne sont au demeurant pas d’ordre financier».

99.      À titre de synthèse pour la première justification invoquée par le gouvernement belge, je n’accepte pas que le risque d’une charge excessive pour les finances publiques puisse, en principe, justifier une discrimination indirecte en ce qui concerne l’accès à la formation. De même (pour le cas où, contrairement à mon point de vue, une telle justification pourrait théoriquement être invoquée par un État membre), je ne considère pas qu’elle soit vérifiée en l’espèce.

 Hypothéquer la qualité de la formation

100. Dans la suite, les travaux préparatoires du décret font valoir une justification alternative (66):

«Outre la charge financière que cela représente, il y va aussi d’une question de qualité de l’enseignement. Si les étudiants sont trop nombreux, on ne peut leur garantir un encadrement en quantité et en qualité suffisantes. Les possibilités de stage en milieu professionnel ne sont pas non plus illimitées.»

101. Devant la juridiction de renvoi, la Communauté française a soutenu que le décret attaqué cible les «effets pervers d’une mobilité absolue»: selon elle, le nombre sans cesse croissant d’étudiants non-résidents compromettrait la qualité de l’enseignement au préjudice de tous les étudiants. Les établissements d’enseignement auraient une capacité d’accueil limitée. Il y aurait également des limites en termes de personnel enseignant, de budget et de possibilités de formation pratique.

102. Le problème des classes surchargées est familier à la fois aux étudiants et aux universitaires. C’est une préoccupation légitime. La Cour a reconnu que «la préservation ou l’amélioration du système éducatif» (67) et «un haut niveau des formations universitaires» (68) étaient des buts légitimes au regard du traité. Les restrictions fondées sur ces motifs doivent néanmoins satisfaire au critère de proportionnalité: elles doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (69).

103. Selon les informations mises à disposition de la Cour, l’adoption du décret était basée principalement sur des statistiques révélant l’augmentation du nombre d’étudiants inscrits sans avoir obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire en Belgique. Cette donnée varie significativement suivant les différents cursus couverts par le décret (70). Avant l’adoption du décret, les chiffres indiquant le nombre d’étudiants non résidents inscrits dans les cursus en question n’étaient pas disponibles. Globalement, je ne puis me défendre de l’impression que la législation imposant un numerus clausus aux étudiants non belges pour un certain nombre de cursus aux profils très disparates a été adoptée sur la base d’informations assez fragmentaires au sujet de certains aspects de l’inscription d’étudiants dans certaines filières. Cela n’est pas admissible. Pour éviter tout malentendu, je précise que je n’entends nullement affirmer que la Communauté française aurait dû attendre passivement jusqu’à ce qu’un préjudice significatif ait été causé à des secteurs spécifiques de son système d’enseignement supérieur avant d’agir. Je soutiens que, au vu des informations fournies à la Cour, les éléments spécifiques permettant à un législateur prudent de conclure qu’un problème naissant devait être étouffé dans l’œuf (ce qui rendait nécessaire et proportionnée l’adoption de mesures spécifiques et ciblées) faisaient tout simplement défaut et/ou n’avaient pas été examinés au moment de l’adoption du décret.

104. En outre, il me semble que, si le nombre d’étudiants est un problème, ce problème n’est pas rendu plus ou moins grave par l’origine des étudiants excédentaires. Le problème est l’excès d’étudiants plutôt que l’excès d’étudiants non résidents. Il semble que le décret ait voulu préserver un accès illimité à l’enseignement supérieur pour les Belges, tout en rendant plus difficile l’accès au système d’enseignement supérieur de la Communauté française pour les étudiants étrangers (venant principalement de France) pour lesquels ce système constitue une alternative naturelle. Un tel objectif est clairement discriminatoire dans son essence et incompatible avec les objectifs du traité (71).

105. La Cour a déjà jugé qu’une demande excessive d’accès à certains cours peut trouver une solution légale dans l’adoption de mesures non discriminatoires spécifiques telles que la mise en place d’un examen d’entrée ou d’un niveau minimal à l’inscription, l’article 12 CE étant ainsi respecté (72).

106. Certains États membres peuvent vouloir préserver un accès libre illimité à l’enseignement supérieur. C’est leur droit le plus strict. Mais ils devront alors offrir cet accès libre et illimité à tous les étudiants de l’Union européenne, indépendamment de leur nationalité. L’article 12 CE impose à chaque État membre d’assurer une parfaite égalité de traitement entre ses ressortissants et les ressortissants d’autres États membres se trouvant dans une situation régie par le droit communautaire (73). En effet, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir le même traitement juridique, indépendamment de leur nationalité (74). Le libre accès à la formation ne saurait être un «libre accès, mais pour nos propres ressortissants seulement».

107. Une politique restrictive d’accès à certaines filières (comme celle pratiquée en France) est en principe également acceptable. L’État membre peut choisir cette formule au même titre qu’il peut opter pour un accès illimité. D’ailleurs, le Royaume de Belgique ne dit pas que la République française enfreindrait le traité en agissant comme elle le fait. Il est de jurisprudence constante qu’une méconnaissance éventuelle du droit communautaire par un État membre ne saurait légitimer l’adoption par un autre État membre de mesures correctives ou de défense qui seraient sinon illégales (75). C’est a fortiori le cas si l’État membre adopte des mesures discriminatoires en réaction aux effets secondaires du choix politique légitime fait par un autre État membre.

108. Il me semble très possible que la mise en œuvre de mesures moins discriminatoires implique d’abandonner le système actuel d’accès public illimité à l’enseignement supérieur pour tous les Belges. Je conçois bien que cela soit jugé indésirable et qu’il puisse être préférable que (dans la mesure où cela est nécessaire) le flux transfrontalier des étudiants soit réglementé au niveau communautaire (76). En l’absence d’un tel système cependant, le fait que de tels changements peuvent être nécessaires reflète la nécessité de se conformer aux obligations résultant du principe d’égalité de traitement sanctionné par le traité (77).

109. Le Royaume de Belgique et certains autres États membres faisant face à des situations similaires ont fait valoir une position de vulnérabilité qui leur serait particulière (78).

110. Les problèmes causés à la Communauté française de Belgique et aux gouvernements belge et autrichien par l’afflux d’étudiants étrangers aptes à ou désireux de poursuivre leurs études en français et en allemand respectivement ne sont en fait pas propres à la Belgique et à l’Autriche. D’autres États membres peuvent également avoir affaire à un afflux d’étudiants d’autres États membres, en raison d’une même langue ou pour d’autres raisons (79).

111. D’après les travaux préparatoires du décret (80), un examen d’entrée (la solution neutre qui s’impose à l’esprit si l’on craint qu’un nombre excessif d’étudiants n’hypothèque la qualité de la formation) (81) favoriserait les étudiants qui, en raison de leur origine sociale ou pour d’autres causes, sont mieux armés pour suivre le cursus de leur choix. Cette assertion n’a été appuyée sur aucune preuve empirique soumise à la Cour. Si tel est vraiment le cas, il me semble que les solutions appropriées doivent être ailleurs. Le problème en lui-même ne peut justifier de recourir à des mesures discriminatoires enfreignant le droit communautaire.

112. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un danger réel, sérieux et imminent pour la qualité de la formation universitaire dans un secteur déterminé serait démontré. Dans une telle situation, la Cour pourrait vouloir réexaminer si des mesures indirectement discriminatoires adoptées pour faire face à un tel danger peuvent en principe être objectivement justifiées. En l’espèce, même si une telle justification est théoriquement possible (question que je laisserai expressément ouverte), les informations dont dispose la Cour sont très loin de satisfaire aux critères qui devraient être remplis pour justifier un traitement discriminatoire.

113. Je conclus, par conséquent, que les mesures prises dans le décret ne peuvent être justifiées par l’hypothèque qui pèserait sur la qualité de la formation universitaire dans la Communauté française.

 La qualité du système de santé publique

114. La justification invoquée en dernier lieu est que, dans la Communauté française, le nombre d’étudiants résidents (à distinguer des non résidents) obtenant des diplômes serait trop faible dans certaines spécialités. À long terme, cela pourrait entraîner une pénurie de personnel médical qualifié, qui compromettrait la qualité du système de santé publique de cette Communauté.

115. Les travaux préparatoires du décret se concentrent à cet égard sur la médecine vétérinaire, pour laquelle la Communauté française a apparemment organisé un concours d’entrée en 2003, en 2004 et en 2005. Lors du concours de 2005, seuls 192 candidats sur 795 avaient un diplôme d’enseignement secondaire obtenu dans la Communauté française. Sur 250 lauréats (un chiffre fixé par le législateur), 216 avaient obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire à l’étranger. Cela signifie que seuls 34 candidats locaux ont pu entamer leurs études de médecine vétérinaire (82). Le législateur en tire les conclusions suivantes (83):

«Ce nombre est largement insuffisant. Si aucune mesure n’est prise, la Communauté française risque d’être confrontée à une pénurie de vétérinaires. La probabilité que le nombre insuffisant de diplômés ne puisse être compensé par des vétérinaires venant d’autres pays est très importante, en raison du contingentement existant dans d’autres pays. Il va sans dire qu’une telle pénurie risque de poser de très graves problèmes de santé publique.»

116. Dans le contexte des procédures en manquement, la Cour exige une évaluation approfondie du risque allégué par l’État membre qui invoque la protection de la santé publique, au sens de l’article 30 CE (84). Un critère analogue de vérification approfondie s’applique également dans les affaires préjudicielles (85), même si la détermination des faits y incombe bien entendu en dernière analyse à la juridiction nationale.

117. Au vu des informations fournies par le Royaume de Belgique et contenues dans le dossier, l’évaluation de risque qui sous-tend la justification tenant à la protection de la santé publique est, à mon sens, loin de répondre aux critères exigibles.

118. Premièrement, comme le montrent les observations écrites du gouvernement belge, le risque d’une pénurie de vétérinaires semble être dû au système mis en place par la Communauté française elle-même, en particulier en réduisant le nombre d’étudiants afin de garantir la qualité de la formation. Il est (pour le moins) curieux, sur le plan conceptuel, qu’une mesure prise pour préserver la qualité d’une formation (un argument qui a bien été avancé pour justifier les mesures discriminatoires mises en place) puisse simultanément conduire le gouvernement belge à faire valoir une éventuelle pénurie de professionnels de la santé dûment qualifiés.

119. Deuxièmement, d’après les éléments dont dispose la Cour, le problème potentiel dont on craint l’apparition résulte d’une combinaison (au moins) des facteurs suivants: i) une pénurie de candidats ayant obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire dans la Communauté française, souhaitant devenir vétérinaires et suffisamment bons pour obtenir l’une des 250 places d’étudiant, face à la concurrence d’autres candidats de l’Union européenne; ii) une présomption que la majorité des étudiants admis au cursus de sciences vétérinaires sans avoir obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire dans la Communauté française retournera automatiquement dans son État membre d’origine après la fin des études. De ces deux facteurs, le point i) semble pouvoir s’appuyer dans une certaine mesure sur des statistiques (86), mais le point ii) est une simple présomption. Cette dernière postule spécifiquement que les vétérinaires non belges retourneront généralement dans leur(s) propre(s) État(s) membre(s) après avoir obtenu le diplôme, et ce quelles que soient leurs perspectives d’emploi sur le plan local. D’aucuns auraient pu penser que (au contraire), s’il devait y avoir une pénurie de vétérinaires qualifiés en Belgique francophone, elle provoquerait une réaction (du marché ou des autorités publiques) qui rendrait les perspectives d’emploi local plus attractives et encouragerait des vétérinaires non belges fraîchement diplômés à entamer leurs carrières professionnelles dans l’État membre où ils ont été formés.

120. Troisièmement, la Communauté française ou le gouvernement fédéral (ou les deux agissant conjointement) (87) ont les outils réglementaires nécessaires pour faire face au problème potentiel. Les solutions possibles mentionnées dans les documents évoqués devant la Cour incluent l’adaptation du nombre de vétérinaires autorisés à passer leur diplôme chaque année ou admis en deuxième cycle (clinique) du cursus de médecine vétérinaire (88), la coopération entre établissements d’enseignement secondaire et facultés pour adapter le niveau de l’enseignement préuniversitaire afin de garantir qu’un nombre suffisant de ressortissants belges ait le niveau requis pour passer un concours d’un niveau approprié et la mise en place d’une année propédeutique pour mieux préparer les candidats vétérinaires à l’enseignement universitaire proprement dit (89).

121. Certes, la mise en œuvre de ces mesures peut poser des difficultés pratiques. Il est pourtant de jurisprudence constante que de telles difficultés ne peuvent, en elles-mêmes, justifier une violation des libertés garanties par le traité (90).

122. Par ailleurs, la section de législation du Conseil d’État a relevé que l’expérience faite avec la médecine vétérinaire ne s’applique pas nécessairement à d’autres filières. Ainsi, malgré le quota fédéral pour les études de kinésithérapie, le nombre des diplômés de cette filière qui souhaitent exercer leur profession en Belgique correspond apparemment assez exactement aux besoins de la profession, tels qu’ils sont estimés par le gouvernement fédéral (91).

123. Quatrièmement, «les connaissances acquises par un étudiant au cours de ses études supérieures ne destinent généralement pas celui-ci à un marché géographique du travail donné» (92). Les non-résidents obtenant un diplôme dans la Communauté française peuvent donc être encouragés, par des incitations appropriées, à entamer leur carrière professionnelle dans la région de leurs études.

124. Les mêmes observations s’appliquent mutatis mutandis aux autres filières mentionnées dans le décret contesté.

125. Pour ce qui est de la justification fondée sur la protection de la santé publique, le décret semble avoir eu un caractère surtout préventif. Le critère de proportionnalité ne peut, selon moi, être considéré comme respecté, à moins que les éléments d’information fournis à la juridiction nationale ne soient nettement plus solides que ceux soumis à la Cour (93). Le critère de proportionnalité doit être appliqué avec une vigilance particulière dans les cas où un traitement discriminatoire est appliqué à titre de précaution contre ce qui est perçu comme un problème potentiel à venir.

126. Partant des informations dont la Cour dispose, je conclus que le décret contesté ne peut être justifié par le fait que le nombre d’étudiants résidents obtenant leur diplôme est trop réduit dans la Communauté française pour que, à long terme, le personnel médical qualifié suffise à garantir la qualité du système de santé publique de cette Communauté.

 Conclusions sur la première condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret

127. Il s’ensuit que la condition de résidence (indirectement discriminatoire) de l’article 1er, point 1°, du décret ne peut être justifiée par aucun des motifs invoqués par le Royaume de Belgique.

 La deuxième condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret

128. À ma connaissance, la Cour n’a jamais jugé qu’une mesure directement discriminatoire en raison de la nationalité, en violation de l’article 12 CE, puisse être justifiée (94). J’ai indiqué précédemment les raisons pour lesquelles je considère que la deuxième condition cumulative du décret en question est directement discriminatoire (95).

129. Jusqu’à présent, l’approche de la Cour semble logique. Une discrimination directe pour des motifs prohibés par le traité est si contraire à l’idée même d’Union européenne qu’elle ne peut être tolérée que pour de très bonnes raisons. Suivant une jurisprudence constante, une telle discrimination ne peut être justifiée que sur la base de dérogations explicitement prévues par le traité (96). Or, le traité ne prévoit pas de telle dérogation à l’interdiction générale de discrimination en raison de la nationalité contenue à l’article 12 CE (97).

130. L’interdiction de discrimination en raison de la nationalité revêt une immense importance symbolique. Comme l’avocat général Jacobs l’a éloquemment souligné, «elle démontre que la Communauté n’est pas simplement un accord commercial entre les gouvernements des États membres mais une entreprise commune à laquelle tous les citoyens de l’Europe sont en mesure de participer en tant qu’individus. […] C’est là l’aspect du droit communautaire qui touche l’individu le plus directement et qui développe le plus le sens d’identité commune et de destinée partagée sans lesquelles l’‘union sans cesse plus étroite entre les peuples européens’, proclamée par le préambule du traité, serait un slogan vide de sens» (98).

131. Pour l’hypothèse où la Cour jugerait néanmoins concevable qu’une discrimination directe en raison de la nationalité, ressortissant à l’article 12 CE, puisse faire l’objet d’une justification, je renvoie aux raisons (exposées ci-dessus) pour lesquelles j’estime que la première condition cumulative, indirectement discriminatoire, ne peut être justifiée. Ces considérations s’appliquent a fortiori à la deuxième condition cumulative du décret, qui est directement discriminatoire.

 Conclusions sur la deuxième condition cumulative de l’article 1er, point 1°, du décret

132. Partant, les dispositions de l’article 1er, point 1°, du décret (selon lesquelles un ressortissant belge remplit automatiquement la deuxième condition cumulative du fait qu’il a le droit, indissociable de sa nationalité, de séjourner en Belgique de manière permanente, tandis que tous les ressortissants non belges, y compris tous les autres citoyens de l’Union européenne, doivent remplir l’un des sept autres critères prévus par cette disposition ou, à défaut, les conditions de la directive 2004/38) ne peuvent être justifiées.

 Réponse aux deux premières questions

133. Accepter les restrictions mises en place par la Communauté française reviendrait à permettre aux États membres de compartimenter leurs systèmes d’enseignement supérieur (99). Il conviendrait donc que la Cour soit extrêmement prudente à l’heure de consentir à ce que l’accès à l’enseignement supérieur soit restreint, même par des mesures indirectement discriminatoires satisfaisant au critère de proportionnalité (ce qui, au vu des éléments dont dispose la Cour, n’est pas le cas des mesures belges). Elle ne devrait pas accepter des mesures discriminant directement sur cette base et à cette fin.

134. Je conclus par conséquent que les articles 12, premier alinéa, CE et 18, paragraphe l, CE, lus en combinaison avec les articles 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, CE et 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des mesures comme celles contenues dans le décret régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement supérieur, adopté par la Communauté française.

 La troisième question

135. La troisième question préjudicielle vise à savoir si la réponse à la première question serait différente si, compte tenu de l’article 149, paragraphe 1, in fine, CE et de l’article 13.2, c), du Pidesc (100), qui contient une obligation de «standstill», la Communauté française opte pour le maintien d’un accès large et démocratique à un enseignement supérieur de qualité pour la population de cette Communauté.

136. La Cour a jugé que le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (101) figure au nombre des instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme dont elle tient compte pour l’application des principes généraux du droit communautaire (102). Cela doit, à mon sens, également valoir pour le Pidesc qui, tout comme le PIDCP, lie chacun des États membres (103).

137. La juridiction de renvoi observe à juste titre que, dans la mesure où il prévoit l’«instauration progressive de la gratuité», l’article 13.2, c), du Pidesc contient une clause de «standstill».

138. D’après l’Observation générale sur cette disposition, l’interdiction de la discrimination, qui est consacrée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pidesc, n’est «ni sujette à une mise en œuvre progressive ni tributaire des ressources disponibles: elle s’applique sans réserve et directement à tous les aspects de l’enseignement et vaut pour tous les motifs sur lesquels le droit international interdit de fonder l’exercice d’une discrimination quelle qu’elle soit» (104). À titre d’illustration, l’Observation générale relève que «les manquements à l’article 13 peuvent comprendre: le fait d’adopter, ou de ne pas abroger, des dispositions législatives qui établissent en matière d’éducation une discrimination à l’encontre d’individus ou de groupes, fondée sur un quelconque des motifs sur lesquels il est précisément interdit de la fonder» (105). L’article 2, paragraphe 2, du Pidesc inclut l’«origine nationale ou sociale» dans les motifs interdits.

139. L’article 13 du Pidesc est, dans son essence, une mesure qui interdit la discrimination dans l’accès à l’éducation, lorsque cette discrimination est fondée sur un motif interdit. Il est donc inexplicable que l’on ait voulu s’appuyer sur l’article 13.2, c), du Pidesc pour justifier une mesure qui est clairement discriminatoire sur la base d’un critère explicitement prohibé à la fois par l’article 12 CE et par l’article 2, paragraphe 2, du Pidesc (106). (De fait, les requérantes au principal se sont appuyées en partie sur l’article 13 du Pidesc pour attaquer le décret litigieux.)

140. Par souci d’exhaustivité, j’ajoute que l’Observation générale sur l’article 13.2, c), du Pidesc relève que, si «l’enseignement secondaire ‘doit être généralisé et rendu accessible à tous’, […] l’enseignement supérieur ‘doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun’. Selon l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 13, l’enseignement supérieur n’a pas à être ‘généralisé’: il doit uniquement être rendu accessible ‘en fonction des capacités de chacun’. Ces ‘capacités’ devraient être appréciées eu égard à l’ensemble des connaissances et de l’expérience des intéressés» (107).

141. En ce qui concerne l’article 149, paragraphe 1, CE, je réitère que, si cet article prévoit que les États membres restent responsables «pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique», la Cour a clairement dit que les conditions d’accès à la formation professionnelle relèvent du domaine d’application du traité (108). En outre, il est de jurisprudence constante que, même dans les domaines étrangers au champ d’application du traité (parmi lesquels il y a certains aspects de la politique d’éducation), les compétences gardées par les États membres doivent être exercées dans le respect du droit communautaire et, notamment, des dispositions du traité relatives à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres telle que conférée par l’article 18, paragraphe 1, CE (109).

142. L’interdiction de discrimination est vraiment la clé de voûte du traité, précisément parce qu’elle laisse intacte l’autonomie réglementaire des États membres, pourvu que leur législation s’applique dans une même mesure à la fois aux ressortissants nationaux et aux étrangers. Le principe qui sous-tend cette idée est que tous les citoyens de l’Union doivent être traités comme des individus, indépendamment de leur nationalité (110). L’expression «accès égal et gratuit à la formation pour tous» signifie donc exactement ce qu’elle dit. Elle ne veut pas dire «accès égal et gratuit à la formation pour tous mes ressortissants».

143. Les problèmes auxquels la Communauté française est confrontée ne sont certes pas négligeables. Cependant, ils doivent être résolus non à l’aide d’un nouvel avatar du principe d’«égalité de ceux qui sont à l’intérieur du cercle magique» (111) (en l’occurrence, les ressortissants belges), mais dans le respect du «statut fondamental» de la citoyenneté de l’Union européenne en garantissant un égal accès à la formation pour tous les citoyens de l’Union européenne, indépendamment de leur nationalité.

144. La réponse aux deux premières questions n’est donc pas invalidée par l’article 149, paragraphe 1, in fine, CE. Une lecture appropriée de l’article 13.2, c), du Pidesc permet au contraire de la corroborer.

 Demande visant à ce que l’effet de l’arrêt soit limité dans le temps

145.  Pour le cas où elle interpréterait l’article 12 CE comme s’opposant à une législation nationale comme le décret en question, le gouvernement belge demande à la Cour de limiter les effets de son arrêt dans le temps.

146. À l’appui de sa demande, le gouvernement belge a invoqué les motifs suivants: l’impact sur les finances publiques de la Communauté française, le fait que le décret a été conçu spécifiquement pour mettre en œuvre la jurisprudence de la Cour et la législation communautaire, le fait que la Commission a estimé que le système pouvait être justifiable et l’absence de jurisprudence pertinente.

147. D’après une jurisprudence constante, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée. Quand elle limite ainsi les effets d’un arrêt, c’est par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire. Pour qu’une telle limitation puisse être décidée, deux critères essentiels doivent être réunis: la bonne foi de ceux pour lesquels une limitation des effets de l’arrêt dans le temps est demandée et le risque de troubles graves (112).

148. Plus spécifiquement, la Cour n’a limité les effets de ses arrêts dans le temps que dans des circonstances bien précises, notamment lorsqu’il existait un risque de répercussions économiques graves dues en particulier au nombre élevé de rapports juridiques constitués de bonne foi sur la base de la réglementation considérée comme étant validement en vigueur et qu’il apparaissait que les particuliers et les autorités nationales avaient été incités à un comportement non conforme à la réglementation communautaire en raison d’une incertitude objective et importante quant à la portée des dispositions communautaires, incertitude à laquelle avaient éventuellement contribué les comportements mêmes adoptés par d’autres États membres ou par la Commission. Les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d’un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles‑mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps (113).

149. En l’espèce, quelle que puisse être la valeur de ses autres arguments, le Royaume de Belgique n’a pas fourni à la Cour d’éléments démontrant un risque de répercussions économiques graves.

150. Partant, si la Cour juge que l’article 12 CE s’oppose à une législation nationale comme le décret litigieux, il n’y aura pas lieu de limiter les effets de cette décision dans le temps.

 Remarque finale

151. J’ai souligné l’importance pour le développement de l’Union d’une liberté de circulation des étudiants basée sur l’égalité. Il est cependant tout aussi vrai que l’Union européenne ne doit pas ignorer les problèmes très réels des États membres qui accueillent un grand nombre d’étudiants d’autres États membres (114).

152. Le protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité (115) prévoit qu’une action au niveau communautaire ne se justifie que si «les objectifs de l’action proposée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par l’action des États membres dans le cadre de leur système constitutionnel national et peuvent alors être mieux réalisés par une action de la Communauté». Il établit également les lignes directrices suivantes pour déterminer si cette condition est remplie: i) la question examinée a des aspects transnationaux qui ne peuvent pas être réglés de manière satisfaisante par l’action des États membres; ii) une action au seul niveau national ou l’absence d’action de la Communauté serait contraire aux exigences du traité ou léserait grandement d’une autre manière les intérêts des États membres; iii) une action menée au niveau communautaire présenterait des avantages manifestes, en raison de ses dimensions ou de ses effets, par rapport à une action au niveau des États membres.

153. J’invite le législateur communautaire et les États membres à réfléchir à l’application de ces critères à la circulation des étudiants entre États membres (116).

154. Enfin, je rappelle que l’un des objectifs de la Communauté énumérés à l’article 2 CE est de promouvoir la solidarité entre les États membres et que ces derniers ont une obligation mutuelle de coopération loyale, conformément à l’article 10 CE (117). Il me semble que ces dispositions sont tout à fait pertinentes en l’espèce. Lorsque des facteurs linguistiques et des différences de politique nationale en matière d’accès à l’enseignement supérieur promeuvent un volume particulièrement élevé de mobilité estudiantine, qui cause de réelles difficultés à l’État membre d’accueil, il incombe certainement à l’État membre hôte et à l’État membre d’origine de négocier activement une solution qui soit conforme au traité.

 Conclusion

155. Par conséquent, les questions déférées par la Cour constitutionnelle appellent, à mon sens, les réponses suivantes:

«Première et deuxième questions

Les articles 12, premier alinéa, CE et 18, paragraphe l, CE, lus en combinaison avec les articles 149, paragraphes 1 et 2, deuxième tiret, CE et 150, paragraphe 2, troisième tiret, CE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des mesures comme celles contenues dans le décret régulant le nombre d’étudiants dans certains cursus de premier cycle de l’enseignement supérieur, adopté par la Communauté française de Belgique.

Troisième question

La réponse aux deux premières questions n’est pas affectée par la prise en compte de l’article 149, paragraphe 1, in fine, CE et de l’article 13.2, c), du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – Pour un aperçu historique, voir les points 37 à 47 des conclusions prononcées par l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes Morgan et Bucher (arrêt du 23 octobre 2007, C-11/06 et C-12/06, Rec. p. I-9161). Les ministres chargés de l’enseignement supérieur dans les 46 pays du processus de Bologne ont récemment érigé la mobilité en «marque distinctive de l’espace européen de l’enseignement supérieur» et ont demandé «à chaque pays d’augmenter la mobilité». Communiqué de la Conférence des ministres européens chargés de l’enseignement supérieur, Louvain et Louvain-la-Neuve, 28 et 29 avril 2009, point 18 (version française à l’adresse www.ond.vlaanderen.be/hogeronderwijs/bologna/links/language/09_Louvain_Louvain-la_Neuve_Communiqué_FR.pdf).


3 – Moniteur belge du 6 juillet 2006, p. 34055. Le décret a été amendé en dernier lieu par le décret fixant des conditions d’obtention des diplômes de bachelier sage-femme et de bachelier en soins infirmiers, renforçant la mobilité étudiante et portant diverses mesures en matière d’enseignement supérieur du 18 juillet 2008 (Moniteur belge du 10 septembre 2008, p. 47115). Les présentes conclusions ont pour objet la version initiale du décret, visée dans la décision de renvoi. Les décrets sont les instruments par lesquels les trois Communautés de Belgique, ainsi que les Régions flamande et wallonne exercent leurs compétences législatives. Ils ont force de loi au même rang que les lois fédérales. Voir articles 127, paragraphe 2, 128, paragraphe 2, 129, paragraphe 2, 130, paragraphe 2, et 134, deuxième alinéa, de la Constitution belge, article 19, paragraphe 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 (Moniteur belge du 15 août 1980) et mes conclusions dans l’affaire Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon (arrêt du 1er avril 2008, C‑212/06, Rec. p. I‑1683), points 4 à 7.


4 – Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, le pacte est entré en vigueur le 3 janvier 1976, conformément aux dispositions de son article 27.


5 – Pour mémoire (ne concerne pas la version française des conclusions).


6 –      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (version rectifiée publiée au JO 2004, L 229, p. 35).


7 – À la même date, la Commission a également envoyé une lettre de mise en demeure à la République d’Autriche pour non-respect de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire C-147/03, Commission/Autriche (arrêt du 7 juillet 2005, C-147/03, Rec. p. I-5969). Cette procédure a aussi été suspendue.


8 – Arrêts du 13 février 1985, Gravier (293/83, Rec. p. 593, point 25); du 27 septembre 1988, Commission/Belgique (42/87, Rec. p. 5445, points 7 et 8); du 1er juillet 2004, Commission/Belgique (C‑65/03, Rec. p. I‑6427, point 25); Commission/Autriche, précité note 7, point 32, et du 11 janvier 2007, Lyyski (C‑40/05, Rec. p. I‑99, point 28).


9 – Arrêt Commission/ Belgique, précité note 8, point 25.


10 – Arrêts Commission/Autriche, précité note 7, point 33, et Lyyski, précité note 8, point 29. L’approche de la Cour dans l’arrêt du 2 février 1988, Blaizot (24/86, Rec. p. 379, points 15 à 20), semble avoir été plus restrictive. La Cour a en effet jugé que l’enseignement universitaire est un enseignement «professionnel» dans la mesure où il prépare ou confère l’aptitude particulière à une qualification pour une profession, un métier ou un emploi spécifique. La Cour a estimé que «tel est le cas non seulement si l’examen de fin d’études confère la qualification immédiate pour l’exercice d’une profession, d’un métier ou d’un emploi déterminé présupposant cette qualification, mais également dans la mesure où ces études confèrent une aptitude particulière, à savoir dans les cas où l’étudiant a besoin de connaissances acquises pour l’exercice d’une profession, d’un métier ou d’un emploi, même si l’acquisition de ces connaissances n’est pas prescrite, pour cet exercice, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives». La Cour a conclu que, en règle générale, les études universitaires remplissent ces critères. «Il n’en va autrement que pour certains cycles d’études particuliers qui, du fait de leurs caractéristiques propres, s’adressent à des personnes désireuses d’approfondir leurs connaissances générales plutôt que d’accéder à la vie professionnelle». En toute hypothèse, les cours dont il s’agit en l’espèce sont clairement des cours de formation professionnelle.


11 – Voir point 78 ci-après.


12 – Voir point 12 ci-après.


13 – Voir, également, travaux préparatoires du décret: Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 16 et 17; ibidem, n° 263/3, p. 18, et avis de la section de législation du Conseil d’État belge, Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 50.


14 – Article 16 de la directive 2004/38.


15 – Voir le point 28 supra.


16 – Arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C-127/07, non encore publié au Recueil, point 23 et jurisprudence citée). L’arrêt du 23 avril 2009, Rüffler (C-544/07, non encore publié au Recueil, point 59, rappelle la définition classique dans le contexte spécifique de la discrimination visée à l’article 12 CE.


17 – Voir, dans un sens similaire, les conclusions de l’avocat général Van Gerven dans l’affaire Roberts (arrêt du 9 novembre 1993, Rec. p. I‑5579), points 12 à 14.


18 – Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte) (JO L 204, p. 23).


19 – Directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique (JO L 180, p. 22).


20 – Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).


21 – Article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive sur la discrimination en raison du sexe; article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive sur la discrimination raciale et article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive-cadre sur l’égalité de traitement.


22 – Article 2, paragraphe 1, sous b), de la directive relative à la discrimination en raison du sexe, article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive relative à la discrimination raciale et article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive-cadre sur l’égalité de traitement.


23 – Voir arrêt du 1er juillet 2004, Commission/Belgique, précité note 8, point 28 (soulignement ajouté et jurisprudence citée; pour l’article 39, paragraphe 2, CE, voir arrêt du 11 septembre 2008, Petersen (C‑228/07, Rec. p. I‑6989, point 53 et jurisprudence citée).


24 – Arrêt Petersen, précité note 23, point 54 et citée.


25 – Arrêt du 8 avril 1976, Defrenne (43/75, Rec. p. 455, point 18). Sur cette distinction, dont la Cour a semblé laisser entendre qu’elle pouvait être mise en parallèle avec la différence entre l’effet direct et l’absence d’effet direct, voir les remarques de l’avocat général Warner dans ses conclusions dans l’affaire Worringham et Humphreys (arrêt du 11 mars 1981, 69/80, Rec. p. 767, 802 et 803).


26 – Voir, dans un sens similaire, Ellis, E., EU Anti-Discrimination Law (2005), p. 89 et 90. Voir, également, conclusions prononcées dans l’affaire Burton (arrêt du 16 février 1982, 19/81, Rec. p. 554, point 2.6), dans lesquelles l’avocat général VerLoren van Themaat a estimé que l’arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, Rec. p. 911), avait montré que la distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte faite dans le deuxième arrêt Defrenne, qui est importante pour déterminer si l’article 119 est ou non directement applicable, ne coïncide pas avec une différence de contenu entre discrimination directe ou formelle, d’une part, et discrimination indirecte ou matérielle, de l’autre.


27 – Arrêt du 8 novembre 1990, Dekker (C-177/88, Rec.p. I-3941, points 10 et 12).


28 – Arrêts du 5 novembre 1990, Handels- og Kontorfunktionaerernes Forbund (C‑179/88, Rec. p. I‑3979, point 13); du 5 mai 1994, Habermann-Beltermann (C‑421/92, Rec. p. I-1657, point 15); du 14 juillet 1994, Webb (C-32/93, Rec. p. I‑3567, point 19), et du 3 février 2000, Mahlburg (C-207/98, Rec. p. I-549, point 20).


29 – Arrêt du 7 décembre 2000 (C-79/99, Rec. p. I-10997, point 33, italiques ajoutés).


30 – Voir également Barnard, C., EC Employment Law (3e édition, 2006), p. 321, où elle se réfère à la décision de la House of Lords dans l’affaire James [1990] 3 WLR 55, qui a adopté le critère du «facteur déterminant» (en anglais «‘but for’ test»).


31 – Arrêt précité à la note 27, points 10, 12 et 14.


32 – Voir arrêts du 16 janvier 2003, Commission/Italie (C-388/01, Rec. p. I-721, point 14 et jurisprudence citée), et du 15 mars 2005, Bidar (C-209/03, Rec. p. I-2119, point 53). Voir également à ce propos, par exemple, arrêts du 18 juillet 2007, Hartmann, (C-212/05, Rec. p. I‑6303, points 30 et 31), et Petersen, précité à la note 23, points 54 et 55.


33 – Voir points 38 et 39 ci-dessus.


34 – Voir point 33 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Schnorbus, précitée à la note 29. Dans cette affaire, si le nombre de demandes d’admission à un stage juridique en Allemagne excédait, pour une date donnée, le nombre disponible des places réservées à la formation, l’admission pouvait être différée d’une période pouvant atteindre douze mois, sauf si des circonstances exceptionnelles constitutives d’un cas de rigueur, par exemple l’accomplissement du service national obligatoire, militaient à l’encontre du report. L’avocat général a considéré à juste titre que cela aboutissait à une discrimination indirecte en raison du sexe. Dans le droit allemand alors en vigueur, les femmes ne pouvaient pas bénéficier d’une priorité en vertu de la règle en cause, tandis que la majorité écrasante des hommes le pouvait, du fait même que le critère utilisé – l’accomplissement du service national obligatoire – avait trait à une obligation imposée par la loi à tous les hommes, et aux seuls hommes. Comme certains hommes n’effectuaient pas le service national obligatoire et ne bénéficiaient donc (à l’instar des femmes) d’aucune priorité d’admission, la catégorie des personnes avantagées (bénéficiant d’une priorité pour avoir effectué le service national obligatoire) ne coïncidait pas exactement avec celle des personnes différenciées uniquement sur la base d’une classification prohibée (le sexe, en l’occurrence les hommes).


35 – Le critère du «facteur déterminant» est généralement appliqué à la personne discriminée plutôt qu’à celle avantagée; en l’occurrence, l’inverse est, mutatis mutandis, également vrai, même si l’expression peut en apparaître plus maladroite: s’il n’y avait le facteur déterminant qu’il n’est pas un ressortissant belge, l’étudiant B pourrait également invoquer sa nationalité pour se prévaloir d’un droit de séjourner en Belgique de manière permanente et il remplirait, lui aussi, automatiquement la deuxième condition cumulative.


36 – Avis de la section de législation du Conseil d’État, Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 50. Le Conseil d’État a également attiré l’attention sur les articles 3, alinéa 2, et 7, alinéa 2, du projet de décret, selon lesquels les restrictions en question cesseraient d’être d’application lorsque toute restriction à l’accès serait supprimée, en France, pour des études similaires. Le Conseil d’État a observé à cet égard ce qui suit: «Est ainsi à nouveau formulée une condition qui se rapproche très fortement du critère de la nationalité, du fait que sont directement visés les étudiants de nationalité française» (italiques ajoutés). Ces dispositions ne figurent plus dans la version finalement adoptée du décret.


37 – Cette personne devait résider ordinairement en Angleterre ou au pays de Galles le premier jour de la première année académique du cursus et elle devait avoir résidé au Royaume-Uni ou dans les Îles pendant la période de trois ans précédant ce jour, sans que ces trois ans puissent inclure des années passées au Royaume-Uni en qualité d’étudiant.


38 – Arrêt précité à la note 32, points 14 à 18.


39 – À titre d’exemple, s’il avait suivi sa formation secondaire en Autriche, l’enfant britannique de parents britanniques ayant travaillé en Autriche au cours des dix années antérieures n’aurait pas eu droit à un prêt étudiant pour l’aider à assurer son entretien au moment de s’inscrire à l’université de Cambridge.


40 – Arrêt précité à la note 32, points 61 et 62.


41 – Voir point 36 ci-dessus.


42 – Voir points 45 à 48 ci-dessus.


43 – Voir points 128 et 131 ci-dessous.


44 – Arrêt précité à la note 32, points 57 à 59. Voir, en général, pour la résidence en tant qu’alternative potentiellement justifiable à la nationalité: Davies, G., «‘Any Place I Hang My Hat?’ or: Residence is the New Nationality», European Law Journal 2005, p. 43 à 56.


45 – Arrêt précité à la note 32, point 56, avec une référence à l’arrêt du 20 septembre 2001, Grzelczyk (C-184/99, Rec. p. I-6193, point 44).


46 – Arrêt Bidar, points 56 et 57.


47 – Voir arrêt Commission/Autriche, précité à la note 7, point 70.


48 – Voir Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 54, où la section de législation du Conseil d’État belge a attiré l’attention du gouvernement de la Communauté française sur cette question très précisément.


49 – Voir arrêt du 16 décembre 2008, Huber (C-524/06, non encore publié au Recueil, point 75 et jurisprudence citée).


50 – Commission/Autriche, précité à la note 7, point 63 et jurisprudence citée.


51 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 12 et 13.


52 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 9.


53 – Voir points 114 à 126 ci-après.


54 – Arrêt du 17 mars 2005, Kranemann (C-109/04, Rec. p. I-2421, point 34 et jurisprudence citée). L’expression «raisons impérieuses d’intérêt général», que la Cour emploie systématiquement en français, a été traduite de diverses façons en anglais. Il me semble que «overriding reasons in the public interest» est la traduction qui en reflète le mieux le sens. Elle a été utilisée récemment, par exemple, dans l’affaire Commission/Italie (arrêt du 26 mars 2009, C-326/07, non encore publié au Recueil, point 41).


55 – Arrêts du 28 avril 1998, Kohll (C-158/96, Rec. p. I-1931, point 41), et du 12 juillet 2001, Vanbraekel e.a. (C-368/98, Rec. p. I‑5363, point 47).


56 – Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 31; voir, également points 33 à 35, pour les raisons pour lesquelles l’enseignement supérieur diffère substantiellement des régimes nationaux de sécurité sociale (la plus évidente étant qu’il ne s’agit pas d’un service au sens de l’article 49 CE: voir, à ce propos, arrêts du 27 septembre 1988, Humbel (263/86, Rec. p. 5365, points 17, 18 et 19), et du 7 décembre 1983, Wirth (C‑109/92, Rec. p. I-6447, points 15 à 19).


57 – Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 46.


58 – Directive du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59).


59 – Arrêt précité à la note 45, point 44.


60 – Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 36.


61 – Arrêt Commission/Autriche, précité à la note 7, point 45 et jurisprudence citée.


62 – Voir arrêt Commission/Autriche, précité à la note 7, point 70, et (dans la même veine) conclusions de l’avocat général Jacobs, point 41. La Cour a clairement déclaré que les intentions qui ont pu inciter un travailleur d’un État membre à chercher du travail dans un autre État membre sont indifférentes en ce qui concerne son droit d’entrée et de séjour sur le territoire de ce dernier État, du moment qu’il y exerce ou souhaite y exercer une activité réelle et effective (arrêts du 23 mars 1982, Levin, 53/81, Rec. p. 1035, point 23, et du 23 septembre 2003, Akrich, C-109/01, Rec. p. I-9607, point 55).


63 – Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 29. Voir, à ce propos, les déclarations faites par M. Rémy, directeur des études paramédicales et pédagogiques de la Haute École provinciale du Hainaut occidental, qui a souligné les conséquences bénéfiques de la présence d’étudiants étrangers: «La présence massive d’étudiants français nous a permis d’élargir nos perspectives. Toute une série de projets sont développés grâce au succès de nos filières kiné et ergo qui nous assurent un bon financement. En termes de recherche et de formation continuée, par exemple. Malheureusement, tout cela va disparaître» («C’est une vraie catastrophe pour notre école», La Libre, 3 février 2006).


64 – Conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Bidar, précitée à la note 32, point 65. Dans la même veine déjà, voir conclusions de l’avocat général Slynn dans l’affaire Gravier, précitée à la note 8, Rec. p. 604.


65 – La même observation figure dans l’Avis du Corps interfédéral de l’inspection des finances du 31 janvier 2006, qui est inclus dans le dossier de la procédure devant la Cour, p. 5.


66 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 9. Voir point 87 ci‑dessus.


67 – Arrêt Lyyski, précité à la note 8, point 39.


68 – Arrêt du 13 novembre 2003, Neri (C-153/02, Rec. p. I-13555, point 46.


69 – Ibidem.


70 – D’après les commentaires joints aux données statistiques contenues dans les documents soumis à la Cour, l’augmentation du nombre d’étudiants détenteurs d’un diplôme d’enseignement secondaire étranger est attribuable exclusivement à deux filières: «kinésithérapie et réadaptation» et «médecine vétérinaire».


71 – Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 30.


72 – Arrêt Commission/Autriche, précité à la note 7, point 61. Voir, également, conclusions de l’avocat général Jacobs dans cette affaire, point 52.


73 – Arrêt du 6 juin 2002, Ricordi (C-360/00, Rec. p. I-5089, point 31).


74 – Arrêt Grzelczyk, précité à la note 45, point 31, et Commission/Autriche, précité à la note 7, point 45 et jurisprudence citée.


75 – Arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Suède (C-111/03, Rec. p. I-8789, point 66 et jurisprudence citée).


76 – Voir points 151 à 153 ci-après.


77 – Voir, dans le même sens, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 53.


78 – En particulier la République d’Autriche dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7.


79 – D’après les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour 2006 (disponibles sur Internet à l’adresse www.oecd.org), la Belgique avait alors 40 607 étudiants non belges sur une population totale de 10 511 382 habitants (soit un ratio de 1 à 258,8). Par comparaison, il y avait au Danemark 19 123 étudiants non danois sur une population totale de 5 427 459 habitants (un ratio de 1 à 283,8); la Suède avait 41 410 étudiants non suédois sur une population totale de 9 047 752 habitants (un ratio de 1 à 218,4); quant au Royaume-Uni, il avait 418 353 étudiants étrangers sur une population totale de 60 412 870 habitants (un ratio de 1 à 144,4). Compte tenu du grand nombre de programmes d’études en langue anglaise, ce dernier chiffre n’est guère surprenant. Il est cependant impossible de dire dans quelle proportion ces étudiants étrangers sont ressortissants d’un pays non membre de l’Union européenne, pour lesquels il est légalement possible de restreindre l’accès à l’enseignement supérieur.


80 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 9.


81 – Voir point 105 ci-dessus et arrêt Commission/Autriche, précité à la note 7, point 61.


82 – J’observe que, même si tous les 192 candidats ayant obtenu leur diplôme d’enseignement secondaire dans la Communauté française avaient été déclarés lauréats, cela n’aurait malgré tout pas suffi à pourvoir les 250 places disponibles.


83 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 5.


84 – Voir, par exemple, arrêts du 12 mars 1987, Commission/Allemagne (178/84, Rec. p. 1227); du 5 février 2004, Commission/France (C‑24/00, Rec. p. I-1277, point 54), et du 23 septembre 2003, Commission/Danemark (C-192/01, Rec. p. I-9693, point 47).


85 – Voir, par exemple, arrêt du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband (C‑322/01, Rec. p. I-14887, points 112 à 124).


86 – Voir les chiffres cités au point 115 et dans la note 82.


87 – À l’audience, les parties requérantes ont soutenu que la santé publique était en fait de la compétence non de la Communauté française, mais du gouvernement fédéral, et que les procédures de droit constitutionnel belge requises pour adopter une mesure de sauvegarde de la santé publique n’avaient pas été suivies. C’est un point qui devra être tranché par la juridiction de renvoi.


88 – Apparemment, le concours d’accession aux études vétérinaires qui a posé des problèmes a été organisé largement en raison du trop grand nombre d’étudiants en deuxième cycle du cursus: Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 5 et 6.


89 – Comme l’a laissé entendre M. Claude Ancion, membre du parlement de la Communauté française, dans une question adressée à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Relations internationales: compte rendu intégral, parlement de la Communauté française, 2004/05, 13 octobre 2005, p. 53 (il est fait référence à cette question et à la réponse de la ministre dans les travaux préparatoires du décret: Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 9, note 8).


90 – Arrêt du 27 novembre 2008, Papillon (C-418/07, non encore publié au Recueil, point 54 et jurisprudence citée). Cela vaut également pour les difficultés financières, qu’il appartient à l’État membre de surmonter en adoptant des mesures appropriées: voir arrêt du 10 juillet 1990, Commission/Belgique (C-42/89, Rec. p. I-2821, point 24).


91 – Doc. parl., parlement de la Communauté française, 2005/06, n° 263/1, p. 53 et 56. Les dernières données Eurostat disponibles (2007) montrent que la Belgique a, en moyenne nationale, 242,7 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants. La Région wallonne a 268 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants (ce chiffre atteint même 416,9 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants dans le Brabant wallon). La Région de Bruxelles-Capitale a 218,1 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants. Ces chiffres sont à comparer à une moyenne nationale de 104 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants en France et de 103 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants en Allemagne (données Eurostat 2006). Le ministre de la Santé a indiqué que le concours organisé à l’issue des études de kinésithérapie (qui permet aux kinésithérapeutes de se voir octroyer un numéro de l’Institut national belge d’assurance maladie-invalidité, grâce auquel leurs patients peuvent être remboursés par les caisses de maladie) devra être supprimé, pour être éventuellement remplacé par un examen en début d’études: note de politique générale de la vice-Première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Doc. parl., Chambre, 2008/09, n° 1529/5, p. 16.


92 – Arrêt Bidar, précité à la note 32, point 58.


93 – Voir, par analogie, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 51.


94 – Pour les affaires dans lesquelles la Cour, ayant constaté qu’il y avait eu une discrimination directe en raison de la nationalité, n’a pas examiné les justifications potentielles de cette discrimination, voir par exemple les arrêts suivants: Gravier, précité à la note 8, points 15, 25 et 26; du 2 février 1989, Cowan (186/87, Rec. p. 195, point 10); du 20 octobre 1993, Phil Collins e.a. (C‑92/92 et C‑326/92, Rec. p. I-5145, points 32 et 33). L’avocat général Kokott observe à juste titre dans ses conclusions dans l’affaire Wood (arrêt du 5 juin 2008, C-164/07, Rec. p. I‑4143), point 42 et note 11, que, s’il n’est pas sûr qu’une réglementation nationale qui opère une discrimination en raison de la nationalité puisse être justifiée, un certain nombre d’arrêts semblent envisager la possibilité théorique que les discriminations directes puissent être justifiées (par exemple les arrêts Ricordi, précité à la note 73, point 33; du 20 mars 1997, Hayes, C-323/95, Rec. p. I‑1711, point 24, et du 2 octobre 1997, Saldanha et MTS, C‑122/96, Rec. p. I‑5325, points 26 et suiv.).


95 – Voir points 64 à 76 ci-dessus.


96 – Voir, par exemple, la dérogation à la libre circulation des travailleurs de l’article 39, paragraphe 4, CE (emplois dans l’administration publique) et la dérogation à la liberté d’établissement prévue à l’article 45 CE (exercice de l’autorité publique), qui sont toutes deux, comme on le sait, d’interprétation très stricte (voir également arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, C-490/04, Rec. p. I-6095, point 86 et jurisprudence citée).


97 – Voir arrêt du 12 mai 1998, Martínez Sala (C-85/96, Rec. p. I-2691, point 64), où la Cour a jugé que: «Le traitement inégal en question se situant ainsi dans le champ d’application du traité ne saurait être considéré comme justifié. En effet, il s’agit d’une discrimination exercée directement en raison de la nationalité de la requérante». Il est vrai que la Cour a ajouté que, «par ailleurs, aucun élément justifiant un tel traitement inégal n’a été soulevé devant la Cour». Mais j’y vois plutôt une réflexion après coup, qui ne modifie en rien les implications évidentes de la déclaration faite en premier lieu.


98 – Conclusions dans l’affaire Phil Collins e.a., précitée à la note 94, point 11.


99 – Voir, par analogie, les conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Commission/Autriche, précitée à la note 7, point 53.


100 – Voir la note 4.


101 – Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale des Nations unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, il est entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de son article 49.


102 – Voir arrêts du 14 février 2008, Dynamic Medien (C-244/06, Rec. p. I-505, point 39), et du 27 juin 2006, Parlement/Conseil (C-540/03, Rec. p. I-5769, point 37 et jurisprudence citée).


103 – Voir, par analogie, arrêt Parlement/Conseil, précité, point 37.


104 – Observation générale sur le droit à l’éducation (article 13), E/C.12/1999/10 (‘E/C.12/1999/10’), point 31 (voir aussi point 43).


105 – E/C.12/1999/10, point 59.


106 – Concernant le Pidesc, il faut noter que le gouvernement belge a fait la déclaration interprétative suivante: «Concernant le paragraphe 2 de l’article 2, le Gouvernement belge interprète la non‑discrimination fondée sur l’origine nationale comme n’impliquant pas nécessairement l’obligation pour les États de garantir d’office aux étrangers les mêmes droits qu’à leur nationaux. Ce concept doit s’entendre comme visant à écarter tout comportement arbitraire mais non des différences de traitement fondées sur des considérations objectives et raisonnables, conformes aux principes qui prévalent dans les sociétés démocratiques». Indépendamment du point de savoir si cette déclaration doit être considérée comme une réserve déguisée au Pidesc, elle ne peut affecter l’interprétation du principe de non-discrimination dans le cadre du traité. Pour les réserves déguisées, voir Aust, A., Modern Treaty Law and Practice (2007), p. 129 et 130.


107 – E/C.12/1999/10, point 19.


108 – Voir point 32 ci-dessus et jurisprudence évoquée dans la note 8.


109 – Voir arrêt Morgan et Bucher, précité à la note 2, point 24 et jurisprudence citée.


110 – Voir, également, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Phil Collins e.a., précitée à la note 94, point 11: «Ils ne doivent pas être simplement tolérés comme des étrangers, mais accueillis par les autorités de l’État hôte comme des ressortissants communautaires qui ont droit ‘dans le domaine d’application du traité’ à tous les privilèges et avantages dont jouissent les ressortissants de l’État hôte».


111 – Voir mes conclusions dans l’affaire Bartsch (arrêt du 23 septembre 2008, C-427/06, Rec. p. I‑7245), point 45.


112 – Voir, à ce propos, arrêt du 12 février 2009, Cobelfret (C‑138/07, non encore publié au Recueil, point 68 et jurisprudence citée).


113 – Arrêt du 18 janvier 2007, Brzeziński (C-313/05, Rec. p. I-513, points 57 et 58, et jurisprudence citée).


114 – Voir, en ce sens, Dougan, M., «Fees, Grants, Loans et Dole Cheques: Who Covers the Costs of Migrant Education Within the EU?», Common Market Law Review 2005, p. 955 et 956.


115 – Protocole n° 30 annexé au traité.


116 – Sur la subsidiarité, voir aussi mes conclusions dans l’affaire Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, citée à la note 3, au point 118 et dans la note 68, qui renvoie à MacCormick, N., Questioning Sovereignty (1999), p. 135.


117 – Pour un exemple se rapportant à l’éducation, voir arrêt du 27 septembre 1988, Matteucci (235/87, Rec. p. 5589, point 19).