Language of document : ECLI:EU:C:2017:849

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

9 novembre 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Dissolution d’une société entraînant sa radiation du registre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Obligation de liquider la TVA sur les actifs existants et de verser la TVA liquidée à l’État – Maintien ou modification de la loi existante à la date d’adhésion à l’Union européenne – Article 176, second alinéa – Effet sur le droit à déduction – Article 168 »

Dans l’affaire C‑552/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia–grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 21 octobre 2016, parvenue à la Cour le 2 novembre 2016, dans la procédure

« Wind Inovation 1 » EOOD, en liquidation,

contre

Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. C. G. Fernlund (rapporteur), président de chambre, MM. A. Arabadjiev et E. Regan, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia, par M. A. Georgiev, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement bulgare, par Mmes E. Petranova et M. Georgieva, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et N. Nikolova, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 168 et 176 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Wind Inovation 1 EOOD (ci-après « Wind Inovation ») au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia (directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » de Sofia, Bulgarie) (ci-après le « Direktor »), au sujet de la décision de radiation de cette société du registre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA dispose :

« Est considéré comme “assujetti” quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité.

Est considérée comme “activité économique” toute activité de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique, l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence. »

4        L’article 18 de la directive TVA prévoit :

« Les États membres peuvent assimiler à une livraison de biens effectuée à titre onéreux les opérations suivantes :

[...]

c)       [...] la détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit en cas de cessation de son activité économique imposable, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la TVA lors de leur acquisition [...] »

5        L’article 168 de la directive TVA dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6        L’article 176 de la directive TVA énonce :

« Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, détermine les dépenses n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n’ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu’à l’entrée en vigueur des dispositions visées au premier alinéa, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au 1er janvier 1979 soit, pour les États membres ayant adhéré à la Communauté après cette date, à la date de leur adhésion. »

 Le droit bulgare

 La loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à partir du 1er janvier 2007

7        Le Zakon za danak varhu dobavenata stoynost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, DV no 63, du 4 août 2006, ci-après le « ZDDS ») est entré en vigueur le 1er janvier 2007, date à laquelle est également entré en vigueur le traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Bulgarie et la Roumanie, relatif à l’adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 11).

8        L’article 106 du ZDDS prévoit :

« 1.      La cessation de l’immatriculation (radiation du registre) au sens de la présente loi est une procédure par laquelle, à compter de la radiation du registre d’une personne, celle-ci n’est plus en droit de liquider la TVA et de déduire la taxe acquittée en amont, sous réserve des exceptions prévues par la présente loi.

2.      Il est mis fin à l’immatriculation :

1)      à l’initiative de la personne immatriculée, lorsqu’il existe un motif de radiation – obligatoire ou facultative – du registre ;

2)      à l’initiative du service des recettes :

a)      lorsqu’il a constaté l’existence d’un motif de radiation obligatoire ;

b)      dans le cas visé à l’article 176. »

9        Aux termes de l’article 107 du ZDDS :

« Constitue un motif de radiation obligatoire du registre :

[...]

4)      la dissolution de l’entité en cas de :

a)      dissolution d’une société commerciale, avec ou sans liquidation ;

[...] »

10      L’article 111 du ZDDS dispose :

« 1.      À la date de la radiation, il est considéré que l’assujetti effectue des opérations, au sens de la présente loi, avec tous les biens et/ou services existants, au titre desquels il a déduit, en totalité ou en partie, l’impôt payé en amont et qui constituent :

1)      des éléments d’actif, au sens du Zakon za schetovodstvoto (la loi sur la comptabilité) ; ou

2)      des éléments d’actif, au sens du Zakon za korporativnoto podohodno oblagane (la loi relative à l’impôt sur les sociétés), autres que ceux visés au point 1.

[...]

3.       L’impôt visé au paragraphe 1 est incorporé à la TVA due au titre de la dernière période fiscale [...] et est versé dans le délai prévu [...] »

11      L’article 76 du ZDDS énonce :

« 1.      La personne immatriculée a droit de déduire la TVA liquidée lors de sa radiation conformément à la présente loi [sur] les actifs imposés conformément à l’article 111, paragraphe 1, point 1, existant à la date de son immatriculation ultérieure.

2.      Le droit visé au paragraphe 1 prend naissance lorsque les conditions suivantes sont simultanément réunies :

1)      les actifs existants au sens de loi sur la comptabilité à la date de l’immatriculation ultérieure au sens de la présente loi ont été imposés lors de la radiation du registre conformément à l’article 111, paragraphe 1, point 1 ;

2)      la taxe liquidée a été effectivement versée ou perçue par le service des recettes ;

3)      la personne a effectué, effectue ou effectuera des opérations imposables au sens de l’article 69 avec les actifs existants visés au point 1 ;

[...] »

 La loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée antérieure au 1er janvier 2007

12      Selon la juridiction de renvoi, l’Administrativen sad Sofia–grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006, prévoyait déjà un régime équivalent à celui figurant à l’article 111, paragraphes 1 et 3, du ZDDS, entré en vigueur le 1er janvier 2007, selon lequel il est considéré que, à la date de radiation du registre de la TVA, l’entité effectue une livraison de tous les actifs existants et l’impôt liquidé est incorporé à la TVA due au titre de la dernière période fiscale.

13      La loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006, comportait également une disposition équivalente à celle de l’article 76, paragraphe 2, point 2, du ZDDS, entré en vigueur le 1er janvier 2007, selon laquelle, pour bénéficier du droit à déduction lors d’une nouvelle immatriculation, la taxe liquidée lors de la radiation doit être effectivement versée ou perçue par le service des recettes. Cependant, elle prévoyait en outre que le liquidateur judiciaire avait le droit de décider que la personne morale concernée restait immatriculée au registre de la TVA jusqu’à la date de sa radiation du registre du commerce.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Wind Inovation est une société de droit bulgare en liquidation, dont l’activité consiste à produire de l’électricité et à investir dans des projets relatifs au domaine de l’énergie. Gräss Solartechnik GmbH & Co. KG, société de droit allemand, détient l’intégralité du capital de Wind Inovation, dont elle est, partant, l’unique associé.

15      Kühling Stahl-und Metallbau GmbH, société de droit allemand, détenait une créance sur Gräss Solartechnik. Cette dernière n’ayant pas réglé sa dette, Kühling Stahl-und Metallbau GmbH a demandé la dissolution de Wind Inovation, conformément au droit bulgare.

16      La juridiction de renvoi précise que le patrimoine de la société dissoute devait servir au désintéressement du créancier et que, en cas de remboursement de la dette de Gräss Solartechnik, il serait mis fin à la procédure de liquidation visant Wind Inovation.

17      Conformément aux dispositions du ZDDS, Wind Inovation a présenté une demande de radiation du registre de la TVA.

18      L’administration fiscale a constaté que la cessation de l’activité de Wind Inovation et sa mise en liquidation avaient été inscrites dans le registre du commerce le 7 août 2015. Le 25 août 2015, cette administration a émis un acte de radiation de Wind Inovation du registre de la TVA, qui a été daté rétroactivement au 7 août 2015.

19      L’acte de radiation lui ayant été notifié, Wind Inovation a, le 27 août 2015, présenté une nouvelle demande d’immatriculation au registre de la TVA en précisant qu’elle n’avait pas cessé son activité commerciale et que, même au moment de l’inscription de sa mise en liquidation dans le registre du commerce, son chiffre d’affaires dépassait plusieurs fois le seuil pour l’immatriculation obligatoire au registre de la TVA, à savoir 50 000 leva bulgares (BGN) (environ 25 000 euros). La société a été immatriculée une nouvelle fois audit registre le 12 septembre 2015.

20      Wind Inovation a liquidé la TVA sur ses actifs existants au 7 août 2015 et l’a incorporée, en tant que TVA due, dans sa déclaration relative à ce même mois.

21      Wind Inovation a, par la suite, présenté une réclamation contre l’acte de radiation du registre de la TVA auprès du Direktor. Cette réclamation ayant été rejetée, Wind Inovation a introduit un recours devant l’Administrativen sad Sofia–grad (tribunal administratif de la ville de Sofia).

22      Cette juridiction se demande si la modification introduite dans la législation nationale le 1er janvier 2007, visant la suppression de la faculté du liquidateur judiciaire de décider si la personne morale dissoute reste immatriculée au registre de la TVA jusqu’à la date de sa radiation du registre du commerce, constitue une violation de l’article 176, second alinéa, de la directive TVA.

23      Ladite juridiction souligne que la suppression de cette faculté entraîne la naissance d’une obligation pour la société dissoute de liquider la TVA sur les actifs existants et de verser effectivement celle-ci aux autorités fiscales. Elle ajoute que la société concernée doit immédiatement se faire immatriculer de nouveau dès lors que son activité économique se poursuit et se demande si la radiation obligatoire du registre de la TVA, qui donne lieu à la liquidation de la TVA sur les actifs existants et au versement effectif du montant liquidé à l’État, constitue une condition supplémentaire de l’exercice du droit à déduction de la TVA acquittée en amont et, partant, une restriction du droit à déduction non prévue par la directive TVA.

24      C’est dans ces conditions que l’Administrativen sad Sofia–grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 176, second alinéa, de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la radiation obligatoire du registre de la TVA, fondée sur une modification du [ZDDS], entrée en vigueur le 1er janvier 2007, qui supprime la faculté du liquidateur judiciaire de décider que la personne morale, dont la dissolution a été ordonnée par une décision juridictionnelle, reste immatriculée aux fins du [ZDDS] jusqu’à la date de sa radiation du registre du commerce, alors que le ZDDS prévoit, comme motif de radiation obligatoire du registre de la TVA, la dissolution de la société commerciale avec ou sans liquidation ?

2)      L’article 176, second alinéa, de la directive TVA doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la radiation obligatoire du registre de la TVA, fondée sur une modification du [ZDDS], entrée en vigueur le 1er janvier 2007, lorsque, en ce qui concerne l’assujetti, sont réunies, à la date de la radiation obligatoire du registre de la TVA, les conditions préalables d’une nouvelle immatriculation obligatoire à ce registre, que cet assujetti est partie à des contrats en vigueur et déclare ne pas avoir cessé son activité économique et poursuivre celle-ci, si ledit assujetti doit effectivement verser la taxe liquidée et due lors de l’immatriculation obligatoire effectuée pour avoir droit de déduire la TVA acquittée en amont sur les actifs existants imposés au moment de la radiation et qui existent lors de la nouvelle immatriculation ? Dans le cas où la radiation obligatoire serait admise dans les circonstances mentionnées, est-il permis de lier le droit de déduire la TVA acquittée en amont sur les actifs imposés au moment de la radiation et qui existent lors de la nouvelle immatriculation au registre de la TVA, avec lesquels la personne effectue ou effectuera des livraisons ou des prestations imposables, au versement effectif de l’impôt au budget de l’État ou est-il permis de procéder à une compensation entre la taxe liquidée lors de la radiation et le montant établi de la TVA acquittée en amont lors de la nouvelle immatriculation au sens du [ZDDS], d’autant que cet impôt est exigible de la personne au bénéfice de laquelle naît le droit de déduire la TVA acquittée en amont ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Remarques liminaires

25      Les questions posées portent sur une réglementation nationale qui prescrit la radiation obligatoire du registre de la TVA d’une société dont la dissolution a été ordonnée par décision juridictionnelle et qui modifie la loi en vigueur à la date de l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union européenne, en prévoyant que cette radiation et les obligations qu’elle entraîne de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants et de la verser à l’État ne peuvent plus être reportées, par le liquidateur de la société, à la date de la radiation de cette dernière du registre du commerce.

26      La juridiction de renvoi demande si cette modification introduit une restriction du droit à déduction qui n’existait pas lors de l’adhésion de l’État membre concerné à l’Union et qui serait, dès lors, contraire à l’article 176, second alinéa, de la directive TVA.

27      Selon cette disposition, qui prévoit une dérogation aux règles en matière de droit à déduction de la TVA, les États membres ayant adhéré à l’Union après le 1er janvier 1979 peuvent maintenir toutes les exclusions au droit à déduction prévues par leur législation nationale à la date de leur adhésion à l’Union.

28      Toutefois, en l’espèce, rien ne permet d’établir que la réglementation nationale, dont il est constant qu’elle porte sur la radiation du registre de la TVA en cas de dissolution d’une personne morale avec ou sans liquidation, introduit une exclusion couverte par cette dérogation.

29      Par conséquent, pour déterminer si une mesure, telle que celle en cause au principal, introduit une restriction du droit à déduction contraire à la directive TVA, il y a lieu de l’examiner au regard du mécanisme du droit à déduction établi par cette directive, notamment à l’article 168 de celle-ci.

30      Ainsi, par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive TVA, notamment son article 168, s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la radiation obligatoire du registre de la TVA d’une société dont la dissolution a été ordonnée par une décision juridictionnelle entraîne, même lorsque la société dissoute demeure partie à des contrats en vigueur et déclare ne pas avoir cessé son activité au cours de sa mise en liquidation, l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants à la date de cette dissolution et de la verser à l’État et qui, par là-même, subordonne le droit à déduction au respect de cette obligation.

 Sur l’interprétation de l’article 168 de la directive TVA

31      Afin de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’existence d’une activité économique justifie, en application de l’article 9, paragraphe 1, de la directive TVA, la qualification d’assujetti, qui se voit reconnaître par cette directive le droit à déduction (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 19).

32      Conformément à une jurisprudence constante, ce droit à déduction prévu à l’article 168 de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. Il s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, EU:C:2006:16, point 53, et du 29 octobre 2009, SKF, C‑29/08, EU:C:2009:665, point 55).

33      Le régime de déduction vise, en effet, à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques et garantit la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que celles-ci soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêts du 22 février 2001, Abbey National, C‑408/98, EU:C:2001:110, point 24, et du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, EU:C:2005:128, point 25).

34      Il résulte de l’article 168 de la directive TVA que, dans la mesure où l’assujetti, agissant en tant que tel au moment où il acquiert un bien ou un service, utilise ce bien ou ce service pour les besoins de ses opérations taxées, celui-ci est autorisé à déduire la TVA due ou acquittée pour ledit bien ou ledit service (arrêt du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 27).

35      Dans ces conditions, il convient de considérer que le droit à déduction est lié à l’exercice d’une activité économique.

36      En cas de cessation de l’activité économique imposable d’une société, à l’exception des cas de transmission à une société d’une universalité totale ou partielle de biens visés à l’article 19 de la directive TVA, cette directive prévoit expressément à son article 18, sous c), que la détention de biens par un assujetti ou par ses ayants droit peut être assimilée à une livraison de biens effectués à titre onéreux, lorsque ces biens ont ouvert droit à une déduction.

37      La Cour a souligné que cet article 18, sous c), concerne le cas de la cessation de l’activité économique imposable en général, sans faire de distinction selon les causes ou les circonstances de cette cessation, hormis l’exception mentionnée au point précédent, et qu’il vise par conséquent également la cessation de l’activité économique imposable résultant de la radiation de l’assujetti du registre de la TVA (arrêt du 8 mai 2013, Marinov, C‑142/12, EU:C:2013:292, points 26 et 28).

38      La Cour a en effet rappelé que l’objectif principal poursuivi par ledit article 18, sous c), est d’éviter que des biens ayant ouvert droit à déduction fassent l’objet d’une consommation finale non taxée à la suite de la cessation de l’activité économique imposable, quels que soient les motifs ou les circonstances de celle-ci (arrêt du 8 mai 2013, Marinov, C‑142/12, EU:C:2013:292, point 27).

39      Ces considérations s’appliquent, par conséquent, à une cessation d’activité économique résultant d’une décision juridictionnelle et entraînant la radiation obligatoire du registre de la TVA de la société concernée. Conformément à l’article 18, sous c), de la directive TVA, les États membres peuvent considérer, dans cette situation, que l’assujetti effectue une livraison à lui-même entraînant l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont et de la verser à l’État.

40      Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 18, sous c), de la directive TVA et de l’objectif poursuivi par cette disposition, cette analyse ne vaut toutefois que dans la situation où l’activité économique imposable de l’intéressé a cessé et où ce dernier n’effectue plus d’opérations taxables.

41      Lorsque l’intéressé continue son activité économique, la faculté prévue à cet article 18, sous c), n’est pas ouverte aux États membres.

42      En l’occurrence, la juridiction de renvoi souligne que l’affaire au principal concerne une société dissoute et mise en liquidation, qui, cependant, continue d’effectuer certaines opérations économiques et génère un chiffre d’affaires substantiel, ce qui l’oblige, selon le droit national, à demander de nouveau son immatriculation au registre de la TVA.

43      Dans ce contexte, l’obligation de liquider la TVA due sur les actifs de ladite société existant à la date de sa dissolution et de verser cette taxe à l’État pour pouvoir bénéficier du droit à déduction de la taxe liquidée n’est pas justifiée par la volonté d’éviter une consommation finale non taxée.

44      La Cour a précédemment jugé que la question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont (arrêt du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, EU:C:2006:16, point 54). Ainsi que le Direktor l’a fait valoir, le fait d’exiger de la société concernée le versement effectif de la TVA due constitue, pour cette société, un obstacle à une déduction de la TVA acquittée en amont, dès lors qu’il contraint ladite société à engager des fonds et oblige les autorités fiscales à lui restituer ces fonds lors de sa nouvelle immatriculation, alors que d’autres opérateurs qui détiennent des actifs peuvent les utiliser pour leurs activités économiques sans être contraints d’effectuer un tel versement.

45      Par ailleurs, il ressort des points 30, 31 et 35 de l’arrêt du 3 mars 2005, Fini H (C‑32/03, EU:C:2005:128), que, s’agissant d’une dépense, telle qu’une dépense de loyer, afférente à une prestation ayant servi à une activité commerciale effectuée par une personne morale qui a cessé son activité et qui est en cours de liquidation, le droit à déduction de la TVA due sur cette dépense doit être reconnu dès lors que ladite dépense est directement et immédiatement liée à cette activité, pour autant que l’absence d’intention frauduleuse ou abusive est établie.

46      Par conséquent, dans une situation, telle que celle en cause au principal, dans laquelle la société a fait l’objet d’une décision juridictionnelle ordonnant la cessation de l’activité pour laquelle elle avait été créée, mais dans laquelle il n’est pas contesté que cette société a continué, au cours de sa mise en liquidation, à générer un chiffre d’affaires en effectuant des opérations économiques, ladite société doit être considérée comme ayant la qualité d’assujetti et, par conséquent, elle ne saurait, afin de pouvoir déduire la TVA liquidée sur ses actifs existants, être tenue de verser le montant de la TVA ainsi liquidée.

47      Une telle obligation constitue une restriction du droit à déduction contraire à l’article 168 de la directive TVA.

48      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées de la manière suivante :

–        La directive TVA doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle la radiation obligatoire du registre de la TVA d’une société dont la dissolution a été ordonnée par décision juridictionnelle entraîne l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants à la date de la dissolution de cette société et de la verser à l’État, à condition que celle-ci n’effectue plus d’opérations économiques à compter de sa dissolution.

–        La directive TVA, notamment son article 168, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la radiation obligatoire du registre de la TVA d’une société dont la dissolution a été ordonnée par décision juridictionnelle entraîne, même lorsque cette société continue d’effectuer des opérations économiques au cours de sa mise en liquidation, l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants à la date de cette dissolution et de la verser à l’État et qui, par là-même, subordonne le droit à déduction au respect de cette obligation.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1)      La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une législation nationale en vertu de laquelle la radiation obligatoire du registre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) d’une société dont la dissolution a été ordonnée par décision juridictionnelle entraîne l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants à la date de la dissolution de cette société et de la verser à l’État, à condition que celle-ci n’effectue plus d’opérations économiques à compter de sa dissolution.

2)      La directive 2006/112, notamment son article 168, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle la radiation obligatoire du registre de la TVA d’une société dont la dissolution a été ordonnée par décision juridictionnelle entraîne, même lorsque cette société continue d’effectuer des opérations économiques au cours de sa mise en liquidation, l’obligation de liquider la TVA due ou acquittée en amont sur les actifs existants à la date de cette dissolution et de la verser à l’État et qui, par là-même, subordonne le droit à déduction au respect de cette obligation.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.