Language of document : ECLI:EU:C:2017:861

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 novembre 2017 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marché européen du fret aérien – Décision de la Commission portant sur des accords et des pratiques concertées sur plusieurs éléments des prix des services de fret aérien – Vice de motivation – Moyen d’ordre public soulevé d’office par le juge de l’Union européenne – Interdiction de statuer ultra petita – Conclusions de la requête en première instance tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse – Interdiction, pour le Tribunal de l’Union européenne, de prononcer une annulation totale de la décision litigieuse – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif »

Dans l’affaire C‑122/16 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 février 2016,

British Airways plc, établie à Harmondsworth (Royaume-Uni), représentée par M. J. Turner, QC, et M. R. O’Donoghue, barrister, mandatés par Mme A. Lyle-Smythe, solicitor,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. N. Khan et A. Dawes, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, J. Malenovský et E. Levits, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, J.‑C. Bonichot, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, M. Vilaras et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. M.‑A. Gaudissart, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 février 2017,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2017,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, British Airways plc demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 décembre 2015, British Airways/Commission (T‑48/11, non publié, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:988), par lequel celui-ci a annulé partiellement la décision C(2010) 7694 final de la Commission, du 9 novembre 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE, de l’article 53 de l’accord EEE et de l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien (affaire COMP/39258 – Fret aérien) (ci‑après la « décision litigieuse »), en ce qu’elle vise British Airways.

 Le cadre juridique

 Le statut de la Cour de justice de l’Union européenne

2        L’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est libellé comme suit :

« La Cour de justice est saisie par une requête adressée au greffier. La requête doit contenir l’indication du nom et du domicile du requérant et de la qualité du signataire, l’indication de la partie ou des parties contre lesquelles la requête est formée, l’objet du litige, les conclusions et un exposé sommaire des moyens invoqués.

[La requête] doit être accompagnée, s’il y a lieu, de l’acte dont l’annulation est demandée ou, dans l’hypothèse visée à l’article 265 [TFUE], d’une pièce justifiant de la date de l’invitation prévue audit article. Si ces pièces n’ont pas été jointes à la requête, le greffier invite l’intéressé à en effectuer la production dans un délai raisonnable, sans qu’aucune forclusion puisse être opposée au cas où la régularisation interviendrait après l’expiration du délai de recours. »

3        L’article 56, deuxième alinéa, de ce statut prévoit :

« [Un pourvoi devant la Cour] peut être formé par toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en ses conclusions. [...] »

 Le règlement de procédure de la Cour du 19 juin 1991

4        L’article 112, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour du 19 juin 1991 (ci‑après « le règlement de procédure de la Cour du 19 juin 1991) », prévoyait :

« La décision du tribunal qui fait l’objet du pourvoi doit être annexée à ce dernier. [...] »

 Le règlement de procédure de la Cour du 25 septembre 2012

5        L’article 120 du règlement de procédure de la Cour du 25 septembre 2012, entré en vigueur le 1er novembre 2012 (ci‑après le « règlement de procédure de la Cour »), intitulé « Contenu de la requête », est libellé comme suit :

« La requête visée à l’article 21 du statut [de la Cour de justice de l’Union européenne] contient :

[...]

c)      l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens ;

d)      les conclusions du requérant ;

[...] »

6        L’article 122 de ce règlement, intitulé « Annexes à la requête », dispose :

« 1.      La requête est accompagnée, s’il y a lieu, des pièces indiquées à l’article 21, [second] alinéa, du statut.

[...]

3.      Si la requête n’est pas conforme aux conditions énumérées au paragraphe 1 ou 2 du présent article, le greffier fixe au requérant un délai raisonnable aux fins de production des pièces mentionnées ci‑dessus. À défaut de cette régularisation, la Cour décide, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, si l’inobservation de ces conditions entraîne l’irrecevabilité formelle de la requête. »

7        L’article 127 dudit règlement, intitulé « Moyens nouveaux », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. »

8        Aux termes de l’article 168 de ce même règlement, intitulé « Contenu de la requête en pourvoi » :

« 1.      Le pourvoi contient :

[...]

b)      l’indication de la décision attaquée du Tribunal ;

[...]

2.      Les articles 119, 121 et 122, paragraphe 1, du présent règlement sont applicables au pourvoi. 

[…] »

9        L’article 169 du règlement de procédure de la Cour, intitulé « Conclusions, moyens et arguments du pourvoi », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, telle qu’elle figure au dispositif de cette décision. »

10      L’article 170 de ce règlement, intitulé « Conclusions en cas d’accueil du pourvoi », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les conclusions du pourvoi tendent, si celui-ci est déclaré fondé, à ce qu’il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance, à l’exclusion de toute conclusion nouvelle. Le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. »

11      L’article 190 dudit règlement, intitulé « Autres dispositions applicables aux pourvois », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les articles 127, [...] du présent règlement sont applicables à la procédure devant la Cour ayant pour objet un pourvoi contre les décisions du Tribunal. »

 Le règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991

12      Aux termes de l’article 44, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 :

« La requête visée à l’article 21 du statut contient :

[...]

c)      l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués ;

d)      les conclusions du requérant ;

[...] »

13      L’article 48, paragraphe 2, de ce règlement était libellé comme suit :

« La production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. 

[...] »

 Les antécédents du litige

14      La requérante, British Airways, est une compagnie de transport aérien active sur le marché du fret aérien.

15      Le 7 décembre 2005, la Commission européenne a reçu une demande d’immunité au titre de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication sur la clémence de 2002 »), introduite par Deutsche Lufthansa AG et ses filiales, Lufthansa Cargo AG et Swiss International Air Lines AG. Selon cette demande, des contacts anticoncurrentiels existaient entre plusieurs entreprises actives sur le marché du fret aérien (ci-après les « transporteurs »), portant sur plusieurs éléments constitutifs du prix des services fournis dans le cadre de ce marché, à savoir l’instauration de surtaxes « carburant » et « sécurité » ainsi que le refus de ces transporteurs de payer une commission sur les surtaxes.

16      Les 14 et 15 février 2006, la Commission a procédé à des inspections inopinées.

17      Après ces inspections, plusieurs transporteurs, dont la requérante, ont introduit une demande au titre de la communication sur la clémence de 2002.

18      Le 19 décembre 2007, la Commission a adressé une communication des griefs à 27 transporteurs, dont la requérante. En réponse à cette communication, ses destinataires ont soumis des observations écrites. Une audition s’est tenue du 30 juin au 4 juillet 2008.

19      Le 9 novembre 2010, la Commission a adopté la décision litigieuse, laquelle a été adressée à 21 transporteurs (ci-après les « transporteurs incriminés »), dont la requérante.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 janvier 2011, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de certains éléments de la décision litigieuse, dans la mesure où ceux‑ci la concernent.

21      Comme il ressort du point 25 de l’arrêt attaqué, dans les conclusions formulées au soutien de ce recours, la requérante a ainsi demandé au Tribunal :

–        d’annuler la décision litigieuse en ce qu’il lui était reproché, dans celle‑ci, d’avoir participé au refus de paiement de commissions, en ce qu’il y était considéré que son infraction avait commencé le 22 janvier 2001 et en ce qu’il y était considéré que les « éléments » relatifs à Hong Kong, au Japon, à l’Inde, à la Thaïlande, à Singapour, à la Corée et au Brésil constituent des infractions à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), et à l’article 8 de l’accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien, signé le 21 juin 1999 à Luxembourg, approuvé au nom de la Communauté par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission concernant l’accord de coopération scientifique et technologique, du 4 avril 2002, relative à la conclusion de sept accords avec la Confédération suisse (JO 2002, L 114, p. 1, ci‑après l’« accord CE‑Suisse ») ;

–        d’annuler ou de réduire de manière significative l’amende qui lui a été infligée par la décision litigieuse, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

22      À l’appui de son recours, la requérante invoquait sept moyens, tirés, le premier, d’une erreur d’appréciation, en ce que la Commission a considéré qu’elle avait participé au refus de paiement des commissions, le deuxième, de l’absence de preuve en ce qui concerne la date du début de l’infraction, le troisième, d’erreurs de droit et de fait ou d’un détournement de pouvoir en ce qui concerne l’examen de l’implication de certaines autorités régulatrices, le quatrième, du caractère disproportionné et discriminatoire du pourcentage de base de l’amende, le cinquième, d’une violation de l’obligation de motivation et du principe de proportionnalité, en ce que la Commission a majoré l’amende lors du calcul de celle-ci, le sixième, d’une violation de la communication sur la clémence de 2002, en ce que la requérante n’a pas bénéficié du niveau de réduction d’amende le plus élevé, et, le septième, d’une violation des principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, en ce que la Commission n’a pas réduit l’amende au titre de l’existence de circonstances atténuantes.

23      Il ressort des points 27 à 29 ainsi que du point 45 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a soulevé d’office un moyen d’ordre public tiré d’un vice de motivation entachant la décision litigieuse. En particulier, ainsi qu’il découle du dossier dont dispose la Cour, dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure fondées sur l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, ce dernier a posé aux parties au litige devant lui des questions écrites, par lesquelles il a invité celles‑ci, notamment, à faire valoir leurs observations sur le fait que les motifs de la décision litigieuse décrivent une infraction unique et continue à laquelle tous les destinataires de cette décision auraient participé, tandis que les quatre premiers articles du dispositif de ladite décision ne font pas mention de tous ces destinataires.

24      À cet égard, lors de l’audience devant le Tribunal, la requérante a soutenu que, dans les motifs de la décision litigieuse, la Commission a fait état d’une seule infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’accord EEE et à l’article 8 de l’accord CE‑Suisse. En revanche, le dispositif de cette décision a constaté l’existence d’une infraction unique et continue distincte pour chacun de ces articles. La requérante a fait valoir que, compte tenu de cette incohérence entre les motifs et le dispositif de ladite décision, cette dernière était entachée d’un vice de motivation, lequel pouvait être soulevé d’office par le Tribunal.

25      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que la décision litigieuse était entachée de contradictions, d’une part, entre les motifs et le dispositif de celle‑ci et, d’autre part, entre ces motifs eux-mêmes.

26      Le Tribunal a considéré, en substance, qu’il lui appartenait d’examiner si ces contradictions étaient de nature à porter atteinte aux droits de la défense de la requérante et empêchaient le Tribunal d’exercer son contrôle.

27      À l’issue de cet examen, le Tribunal a estimé que tel était le cas et a, partant, constaté que la décision litigieuse était entachée d’un vice de motivation.

28      Le Tribunal a jugé que cette constatation ne pouvait toutefois pas, en l’espèce, conduire à l’annulation totale de la décision litigieuse, en tant qu’elle vise la requérante, au motif que l’annulation de cette décision ne pouvait aller au-delà des conclusions figurant dans sa requête introductive d’instance.

29      Dès lors, et sans avoir examiné les moyens invoqués par la requérante à l’appui de son recours, le Tribunal a décidé d’annuler la décision litigieuse en raison du vice de motivation constaté dans le cadre de l’examen du moyen qu’il avait soulevé d’office, en ce que, dans cette décision, « la Commission, d’une part, a estimé que la requérante, premièrement, avait participé au refus de paiement de commissions, deuxièmement, avait commis une infraction à l’article 101 TFUE, à l’article 53 de l’[accord EEE] et à l’article 8 de l’[accord CE-Suisse] entre le 22 janvier 2001 et le 1er octobre 2001 et, troisièmement, avait participé à des infractions à ces dernières dispositions pour des services de fret [aérien] effectués à partir de Hong Kong (Chine), du Japon, de l’Inde, de la Thaïlande, de Singapour, de la Corée et du Brésil et, d’autre part, lui a imposé une amende ».

30      Par ailleurs, par ses arrêts du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T‑9/11, non publié, EU:T:2015:994), Koninklijke Luchtvaart Maatschappij/Commission (T‑28/11, non publié, EU:T:2015:995), Japan Airlines/Commission (T‑36/11, non publié, EU:T:2015:992), Cathay Pacific Airways/Commission (T‑38/11, non publié, EU:T:2015:985), Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, non publié, EU:T:2015:991), Latam Airlines Group et Lan Cargo/Commission (T‑40/11, non publié, EU:T:2015:986), Singapore Airlines et Singapore Airlines Cargo Pte/Commission (T‑43/11, non publié, EU:T:2015:989), Deutsche Lufthansa e.a./Commission (T‑46/11, non publié, EU:T:2015:987), SAS Cargo Group e.a./Commission (T‑56/11, non publié, EU:T:2015:990), Air France‑KLM/Commission (T‑62/11, non publié, EU:T:2015:996), Air France/Commission (T‑63/11, non publié, EU:T:2015:993), ainsi que Martinair Holland/Commission (T‑67/11, EU:T:2015:984), le Tribunal s’est prononcé sur les recours, intentés par d’autres transporteurs incriminés, qui tendaient également à contester la décision litigieuse.

 Les conclusions des parties devant la Cour

31      Par son pourvoi, la requérante demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où il limite la portée de l’annulation de la décision litigieuse aux conclusions figurant dans son recours en première instance ;

–        d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler la décision litigieuse dans son intégralité, et

–        de condamner la Commission aux dépens du présent pourvoi.

32      La Commission demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi, et

–        de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

–       Sur la recevabilité du pourvoi

33      La Commission fait valoir que le pourvoi est manifestement irrecevable pour deux raisons.

34      En premier lieu, la requérante n’aurait pas respecté l’obligation figurant à l’article 168, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, dès lors que l’arrêt attaqué n’aurait pas été joint au pourvoi.

35      En second lieu, le pourvoi ne respecterait ni l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ni les articles 169 et 170 du règlement de procédure de la Cour qui, conformément à l’article 63 de ce statut, mettraient en œuvre l’article 56 de ce dernier.

36      S’agissant de l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le présent pourvoi ne viserait pas l’annulation du dispositif de l’arrêt attaqué, mais tendrait plutôt à ce que ce dispositif soit complété, en étendant l’annulation partielle accordée par le Tribunal à une annulation totale. Le pourvoi ne serait dès lors pas conforme à cette disposition.

37      En ce qui concerne l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, cette disposition aurait été interprétée de manière stricte par la Cour. Or, en l’espèce, la demande de la requérante étant plus large que celle présentée en première instance, elle méconnaîtrait cette disposition.

38      En outre, le raisonnement de la requérante aurait un caractère circulaire, en ce sens qu’il consisterait à soutenir que c’est en raison du fait que, contrairement à ce qu’il aurait décidé, le Tribunal n’était pas limité par les conclusions présentées par la requérante en première instance que cette dernière doit pouvoir former un pourvoi contre cette décision du Tribunal.

39      Par ailleurs, la justification selon laquelle la recevabilité du présent pourvoi découlerait de l’application du principe de protection juridictionnelle effective, visé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), induirait, de nouveau, que le Tribunal n’était pas limité par les conclusions de la requête en première instance. L’argument selon lequel cette disposition conférerait à une partie au litige le droit absolu d’invoquer tout nouvel argument ou de modifier la cause de sa demande à n’importe quel stade de la procédure serait manifestement non fondé.

40      La requérante fait valoir que le pourvoi est recevable.

41      S’agissant de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, la première phrase de cette disposition devrait être lue conjointement avec la seconde, de sorte qu’elle ne s’appliquerait que lorsque la partie requérante ne cherche pas à ce qu’il soit fait droit à des conclusions identiques à celles présentées en première instance et que l’objet du litige s’en trouve ainsi modifié.

42      En ce qui concerne l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la requérante aurait notamment soutenu devant le Tribunal que la décision litigieuse était empreinte de contradictions internes et de vices de motivation. Un tel constat aurait dû entraîner l’annulation totale de cette décision à son égard. Ainsi, la requérante chercherait à contester un élément de l’arrêt attaqué qui faisait indiscutablement partie de l’objet du litige devant le Tribunal et elle aurait bel et bien succombé en ses conclusions devant le Tribunal, au sens de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

–       Sur la recevabilité du mémoire en réplique

43      La Commission soutient, à titre principal, que, conformément à l’article 127, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, rendu applicable à la procédure de pourvoi par l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement, le mémoire en réplique déposé par la requérante est manifestement irrecevable en raison de la production, dans ce mémoire, de moyens nouveaux.

44      En effet, la requérante affirmerait, dans le pourvoi, que le Tribunal a commis une erreur en appliquant l’interdiction de statuer ultra petita, ce qui impliquerait qu’elle admet que la mesure qu’elle avait sollicitée est celle exposée dans les conclusions de sa requête en première instance. En revanche, dans son mémoire en réplique, au lieu de répondre à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission contre le pourvoi, la requérante soutiendrait que le Tribunal a commis une erreur en ne l’autorisant pas à modifier lesdites conclusions. La requérante n’expliquerait pas non plus les raisons pour lesquelles elle produit ce moyen tardivement, dans le cadre de son mémoire en réplique, alors que les arguments avancés dans ce mémoire ne seraient pas fondés sur des éléments de fait et de droit qui se seraient révélés pendant la procédure écrite.

45      La requérante conteste l’argumentation de la Commission tirée de l’irrecevabilité du mémoire en réplique.

 Appréciation de la Cour

46      S’agissant de la recevabilité du pourvoi et, en premier lieu, de l’exception soulevée à cet égard par la Commission, tirée de ce que la requérante n’a pas joint l’arrêt attaqué à son pourvoi, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 122, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 168, paragraphe 2, de ce règlement, la requête est accompagnée, s’il y a lieu, des pièces indiquées à l’article 21, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière disposition prévoyant que « [la requête] doit être accompagnée, s’il y a lieu, de l’acte dont l’annulation est demandée [...] ».

47      Certes, lorsqu’un recours est dirigé contre un acte d’une institution de l’Union européenne, il faut que cet acte soit joint à la requête. Toutefois, en ce qui concerne le pourvoi, l’article 168, paragraphe 1, sous b), du règlement de procédure de la Cour prévoit que ce pourvoi contient l’indication de la décision attaquée du Tribunal, sans qu’il soit exigé que cette décision soit jointe à la requête en pourvoi.

48      Ainsi, il y a lieu de considérer que, depuis l’entrée en vigueur, le 1er novembre 2012, du règlement de procédure de la Cour, dans le cadre d’un pourvoi, il n’est plus exigé de joindre en annexe à la requête la décision attaquée du Tribunal, seule l’indication de cette décision étant nécessaire.

49      En l’occurrence, il convient de constater que le fait que l’arrêt attaqué n’a pas été joint en annexe au pourvoi ne peut être considéré comme entraînant l’irrecevabilité de ce dernier. L’exception soulevée par la Commission à cet égard doit, partant, être rejetée.

50      En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argument selon lequel le pourvoi n’est pas conforme à l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il y a lieu de rappeler que, selon cette disposition, « [l]es conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal, telle qu’elle figure au dispositif de cette décision ».

51      Il convient d’observer, à l’instar de M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, que cette disposition vise le principe fondamental en matière de pourvoi selon lequel celui‑ci doit être dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal et ne peut pas se borner à viser la modification de certains motifs de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Al‑Aqsa/Conseil et Pays‑Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, points 43 à 45).

52      En l’espèce, la requérante demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, et en particulier le point 1 de son dispositif, dès lors que le Tribunal a refusé d’annuler la décision litigieuse dans son intégralité en ce qu’elle la concerne. Ainsi, la requérante conteste la portée de l’annulation que le Tribunal a prononcée ou, en d’autres termes, les conséquences légales que le Tribunal a tirées de la violation de l’obligation de motivation qu’il a constatée.

53      Dans ces conditions, force est de constater que, par son pourvoi, la requérante cherche effectivement à obtenir une annulation partielle du dispositif de l’arrêt attaqué et que les conclusions de ce pourvoi sont, par conséquent, conformes à l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

54      En troisième lieu, quant à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission, tirée de ce que le pourvoi ne serait pas conforme à l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, il convient d’observer que l’examen de cette exception nécessite une appréciation par la Cour de l’étendue des notions de « conclusions » présentées en première instance et d’« objet du litige » devant le Tribunal, au sens de ces dispositions.

55      Or, vu les liens étroits existant entre ces exceptions d’irrecevabilité et les moyens invoqués par la requérante quant au fond, il y a lieu d’apprécier d’abord ces derniers.

56      Dans ces conditions, et dès lors que le mémoire en réplique porte exclusivement sur la recevabilité du pourvoi, il conviendra également, le cas échéant, d’examiner l’exception liée à l’irrecevabilité de ce mémoire au terme dudit examen au fond.

 Sur le fond

57      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque deux moyens tirés d’une erreur de droit résultant, le premier, de l’application de l’interdiction de statuer ultra petita et, le second, d’une violation du droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la Charte.

58      Il y a lieu d’examiner conjointement ces deux moyens.

 Argumentation des parties

59      Par son premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en se retranchant derrière l’interdiction de statuer ultra petita pour limiter la portée de l’annulation qu’il a prononcée, alors même qu’il a constaté d’office l’existence de vices essentiels relevant de l’ordre public et entachant la décision litigieuse dans son intégralité.

60      La requérante admet que le juge de l’Union saisi d’un recours en annulation ne peut statuer ultra petita, ce qui signifie qu’il ne peut se prononcer que sur ce qui lui est précisément demandé par les parties.

61      Il existerait toutefois plusieurs cas de figure dans lesquels le juge de l’Union, afin de remplir sa mission de gardien de la légalité qui lui a été assignée par le traité FUE, peut être amené à soulever d’office un moyen de droit et, de ce fait, à statuer sur ce qui ne lui a pas été précisément demandé par les parties. Dans de tels cas, le vice qui entache l’acte attaqué revêtirait un caractère suffisamment grave pour justifier sa sanction par le juge de l’Union, bien qu’il n’ait pas été soulevé par la partie requérante.

62      Le juge de l’Union, saisi d’un recours en annulation, ne pourrait se voir reprocher de sortir du cadre du litige, d’excéder sa compétence, de statuer ultra petita ou de méconnaître son règlement de procédure lorsqu’il soulève d’office un tel moyen, qui concernerait précisément la légalité de l’acte dont l’annulation lui est demandée.

63      En soulevant un moyen d’ordre public, le Tribunal ne chercherait pas à pallier une insuffisance de la requête ou l’argumentation des parties, mais assurerait le respect d’une règle dont, en raison de son importance, les parties ne sauraient disposer.

64      Lorsque le juge de l’Union soulève d’office un moyen d’ordre public sur le fondement d’un vice de motivation, il s’agirait d’une exception à l’interdiction de statuer ultra petita. Cela pourrait, en particulier, être inféré, a contrario, du point 12 de l’arrêt du 28 juin 1972, Jamet/Commission (37/71, EU:C:1972:57), dans lequel la Cour aurait décidé que, en annulant totalement l’acte en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, elle statuerait ultra petita alors que le moyen dirigé contre cet acte ne concernerait pas l’ordre public.

65      Selon la requérante, le Tribunal a également commis une erreur en confondant les objectifs poursuivis par l’interdiction de statuer ultra petita et le respect des règles et des principes d’ordre public qui l’aurait amené à soulever d’office le vice de motivation affectant la décision litigieuse.

66      Dans le cadre de la procédure inter partes, il serait fondamental que la partie introduisant l’instance indique l’objet du litige ainsi que l’exposé sommaire de ses moyens et que cette indication soit suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense ainsi qu’à la Cour d’exercer son contrôle. Il découlerait des points 122 et 123 de l’arrêt du 19 décembre 2013, Commission/Pologne (C‑281/11, EU:C:2013:855), que ces conditions visent à éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief ou ne statue pas sur le recours de quelque autre façon. Pour les mêmes raisons, ce serait à tort que le Tribunal aurait considéré, au point 91 de l’arrêt attaqué, que l’article 44, paragraphe 1, et l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 lui imposent des limites, alors que ces dernières concerneraient la partie requérante et non pas le Tribunal lui-même.

67      Au contraire, lorsqu’il soulève d’office un moyen d’ordre public, le juge de l’Union serait tenu de sortir du cadre des moyens invoqués par les parties à l’appui de leurs prétentions et il ne serait, de ce fait, plus lié par les limites que lui impose le respect de l’interdiction de statuer ultra petita.

68      La requérante considère qu’il est illogique que le Tribunal se soit référé aux conclusions qu’elle a présentées en première instance à l’appui de sa décision de ne prononcer, en vertu du respect de l’interdiction de statuer ultra petita, qu’une annulation partielle de la décision litigieuse.

69      Premièrement, le Tribunal aurait statué sur le recours sur la seule base du moyen d’ordre public qu’il a soulevé d’office. La requérante estime qu’il apparaît difficilement compréhensible que, par la suite, le Tribunal ait décidé d’avoir égard aux conclusions formulées dans la requête en première instance, alors qu’il ne s’est nullement prononcé sur les moyens avancés à l’appui de ces conclusions.

70      Deuxièmement, le raisonnement du Tribunal concernant les vices de motivation affectant la décision litigieuse aurait été en partie fondé, ainsi qu’il ressortirait des points 42 et 43 de l’arrêt attaqué, sur la nécessité de prendre en considération les procédures nationales ultérieures en réparation. Cependant, les arrêts du Tribunal faisant suite aux recours en annulation de ladite décision, introduits par la requérante et d’autres transporteurs incriminés, auraient eu pour résultat global de créer une distinction illogique entre la situation de la requérante, qui n’a bénéficié que d’une annulation partielle de la décision litigieuse, et la situation de ces autres transporteurs, qui ont bénéficié de l’annulation totale de cette décision, malgré le fait que la requérante et lesdits autres transporteurs se seraient trouvés exactement dans la même situation par rapport au raisonnement essentiel du Tribunal. Cette distinction serait arbitraire, dès lors que ces mêmes autres transporteurs n’auraient pas tous soulevé, dans leurs recours en annulation contre la décision litigieuse, un moyen tiré de l’existence de ces vices de motivation.

71      La requérante ajoute que le vice de motivation affectant la décision litigieuse et dénoncé par le Tribunal dans l’arrêt attaqué occasionne d’importantes difficultés dans les procédures nationales en réparation. En effet, du fait de la limitation de la portée de l’annulation de la décision litigieuse dans le dispositif de l’arrêt attaqué, cette décision existerait encore partiellement à l’encontre de la requérante. Or, en raison des nombreux vices affectant ladite décision, et qui, selon le Tribunal, étaient suffisamment graves pour constituer des violations de règles ou de principes d’ordre public, les juridictions nationales pourraient avoir de grandes difficultés à distinguer clairement le partage des responsabilités entre la requérante et les autres parties pour tout dommage qui, selon elles, aurait été causé par le comportement décrit dans cette même décision. Cela pourrait nuire à la requérante et potentiellement également à d’autres parties, y compris aux parties demandant des dommages et intérêts.

72      La requérante soutient par ailleurs que l’approche du Tribunal est de nature à susciter des inquiétudes en ce qui concerne l’organisation de l’administration de la justice, l’économie du procès devant le juge de l’Union et le principe de proportionnalité. Si cette approche était confirmée, elle inciterait les parties requérantes à formuler systématiquement, sans autre justification, leurs conclusions de manière large afin de maximiser leurs chances d’obtenir une annulation d’une plus grande portée pour le cas où le juge de l’Union soulèverait d’office un moyen d’ordre public. Cela exigerait du juge de l’Union qu’il assume seul la charge de déterminer la portée exacte de l’annulation. En soulevant d’office un moyen d’ordre public, le juge de l’Union n’examinerait généralement pas les moyens soulevés par les parties requérantes. Il serait, dès lors, tout à fait possible que même un recours vexatoire ou manifestement peu rigoureux puisse bénéficier – selon l’approche suivie en l’espèce par le Tribunal – d’une annulation totale simplement parce que la partie requérante l’a initialement demandée.

73      La requérante fait valoir que, si, dans une affaire mettant en cause des règles ou des principes d’ordre public, le juge de l’Union a la liberté de s’écarter des moyens invoqués par les parties, il doit, par extension, être libre de la même manière de s’écarter de leurs conclusions. Il devrait nécessairement en aller ainsi pour que le dispositif de sa décision corrige de telles atteintes à ces règles ou principes d’ordre public. L’interprétation opposée serait en soi contraire à l’ordre public.

74      Selon la requérante, le Tribunal aurait, à tort, jugé, au point 90 de l’arrêt attaqué, qu’il appartient aux parties de solliciter la modification de leurs moyens ou de leurs conclusions en cours de procédure, après que le Tribunal a soulevé d’office un moyen d’ordre public. Cette solution conduirait de nouveau à mettre uniquement entre les mains d’une partie au litige des questions d’ordre public. Or, le respect des moyens d’ordre public soulevés d’office par le Tribunal ne pourrait être assujetti aux intérêts individuels des parties au litige. Par ailleurs, le Tribunal aurait également indiqué, à ce point 90, qu’il aurait de toute manière refusé à la requérante le droit de procéder à une telle modification, même si elle en avait fait la demande formelle. Dans ces conditions, il aurait été impossible que les questions d’ordre public identifiées par le Tribunal soient reflétées dans la portée de l’annulation exprimée dans le dispositif de l’arrêt attaqué.

75      Par son second moyen, la requérante soutient que, même si l’interdiction de statuer ultra petita devait trouver à s’appliquer, le principe supérieur de protection juridictionnelle effective, tel que prévu à l’article 47 de la Charte, exigerait l’annulation totale de la décision litigieuse.

76      La requérante relève à cet égard que, au point 59 de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie (CE:ECHR:2011:0927JUD004350908), le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision rendue par l’organe inférieur figure au rang des caractéristiques d’un organe judiciaire de pleine juridiction. Un tel organe devrait notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi.

77      Par ailleurs, au point 136 de son arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission (C‑389/10 P, EU:C:2011:816), la Cour aurait jugé que l’article 47 de la Charte exige de facto un contrôle plein et entier, en droit et en fait. Il ressortirait du point 67 de l’arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815), qu’un tel contrôle implique le pouvoir d’annuler l’acte attaqué.

78      Selon la requérante, l’approche du Tribunal est d’autant plus surprenante qu’il a lui‑même constaté, notamment aux points 76 et 79 à 81 de l’arrêt attaqué, plusieurs atteintes concrètes à ses droits de la défense. La décision litigieuse aurait en outre été prise au prix d’autres violations de ces droits, non spécifiquement mentionnés dans l’arrêt attaqué.

79      La Commission fait valoir que, à supposer même que le pourvoi soit jugé recevable, les deux moyens du pourvoi sont, en tout état de cause, non fondés.

 Appréciation de la Cour

80      Par les deux moyens du pourvoi, la requérante reproche, en substance, au Tribunal d’avoir considéré que, en raison de l’interdiction de statuer ultra petita, il ne pouvait pas prononcer une annulation allant au‑delà de ce qui avait été demandé par la requérante dans les conclusions de sa requête introductive d’instance, alors même qu’une telle annulation était nécessaire afin de remédier à l’illégalité constatée par le Tribunal dans le cadre de son examen du moyen d’ordre public qu’il avait soulevé d’office.

81      Il convient d’emblée de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises, le juge de la légalité ne pouvant statuer ultra petita, l’annulation qu’il prononce ne saurait excéder celle sollicitée par le requérant (voir arrêts du 19 janvier 2006, Comunità montana della Valnerina/Commission, C‑240/03 P, EU:C:2006:44, point 43 et jurisprudence citée, ainsi que du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, EU:C:1999:407, point 52).

82      Par ailleurs, si l’autorité absolue de chose jugée dont jouit un arrêt d’annulation d’une juridiction de l’Union s’attache tant au dispositif de l’arrêt qu’aux motifs qui en constituent le soutien nécessaire, elle ne peut entraîner l’annulation d’un acte non déféré à la censure du juge de l’Union qui serait entaché de la même illégalité (arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, EU:C:1999:407, point 54).

83      En outre, selon une jurisprudence constante de la Cour, une décision qui n’a pas été attaquée par le destinataire dans les délais prévus à l’article 263, sixième alinéa, TFUE devient définitive à son égard (arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, EU:C:1999:407, point 57 et jurisprudence citée).

84      Cette jurisprudence est notamment fondée sur la considération que les délais de recours visent à garantir la sécurité juridique, en évitant la remise en cause indéfinie des actes de l’Union entraînant des effets de droit, ainsi que sur les exigences de bonne administration de la justice et d’économie de la procédure (arrêt du 14 septembre 1999, Commission/AssiDomän Kraft Products e.a., C‑310/97 P, EU:C:1999:407, point 61).

85      Il résulte de ce qui précède, et comme M. l’avocat général l’a, en substance, également relevé aux points 94 et 97 de ses conclusions, qu’un acte ou les parties d’un acte concernant une personne qui ne sont pas soumis à la censure du juge de l’Union ne sauraient faire l’objet d’une annulation par ce juge et deviennent donc définitifs à l’égard de cette personne.

86      Il convient également de rappeler que, conformément à l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, à l’article 120, sous c) et d), du règlement de procédure de la Cour et à l’article 44, paragraphe 1, sous c) et d), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, dans le cadre d’un recours direct devant les juridictions de l’Union, la requête par laquelle le recours est introduit doit contenir, notamment, l’objet du litige, l’exposé sommaire des moyens invoqués et les conclusions du requérant.

87      Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 84 de ses conclusions, dans le système du contentieux de la légalité devant le juge de l’Union, ce sont les parties qui ont l’initiative du procès et qui circonscrivent l’objet du litige, notamment, en identifiant dans leurs conclusions l’acte, ou la partie de l’acte, qu’elles entendent soumettre à ce contrôle juridictionnel.

88      Certes, selon une jurisprudence constante de la Cour, le juge de l’Union doit soulever d’office des moyens d’ordre public (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 34 et jurisprudence citée).

89      Toutefois, contrairement à ce que suggère la requérante, la compétence du juge de la légalité de soulever d’office un moyen d’ordre public n’implique nullement une compétence de modifier d’office les conclusions formulées par un requérant. En effet, ainsi qu’il découle, notamment, des dispositions citées au point 86 du présent arrêt, si les moyens constituent le soutien nécessaire des conclusions figurant dans une requête, ils se distinguent, néanmoins, nécessairement de celles-ci, lesquelles définissent les limites du litige déféré au juge de l’Union.

90      Par conséquent, si, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, en relevant d’office un moyen d’ordre public, qui, par principe, n’a pas été invoqué par les parties, le juge de l’Union ne sort pas du cadre du litige dont il est saisi et ne viole en aucune manière les règles de procédure relatives à la présentation de l’objet du litige et des moyens dans la requête (arrêt du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, EU:C:2009:742, point 35), il en irait autrement si, à la suite de l’examen au fond de l’acte déféré à sa censure, ce juge prononçait, sur la base d’un moyen soulevé d’office, une annulation allant au-delà de ce qui était demandé dans les conclusions dont il a été régulièrement saisi, au motif qu’une telle annulation est nécessaire afin de corriger l’illégalité constatée d’office dans le cadre de ladite analyse.

91      Or, en l’espèce, ainsi qu’il a été rappelé aux points 20 et 21 du présent arrêt, la requérante n’a, dans les conclusions de sa requête introductive devant le Tribunal, demandé qu’une annulation partielle de la décision litigieuse.

92      Dans ces conditions, force est de constater que, eu égard aux considérations exposées aux points 81 à 90 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 92 de l’arrêt attaqué, qu’il ne pouvait prononcer l’annulation de la décision litigieuse que dans les limites circonscrites par les conclusions de la requête introductive d’instance et qu’il a, dès lors, au point 93 de cet arrêt, procédé à l’annulation partielle de cette décision, conformément auxdites limites.

93      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments développés par la requérante à l’appui de ses deux moyens de pourvoi.

94      En particulier, il convient de rejeter, en premier lieu, l’argument, rappelé en substance au point 66 du présent arrêt, selon lequel le Tribunal se serait, à tort, fondé, au point 91 de l’arrêt attaqué, sur l’article 44, paragraphe 1, et sur l’article 48, paragraphe 2, de son règlement de procédure du 2 mai 1991. À cet égard, il suffit d’observer que le Tribunal s’est appuyé sur ces dispositions dans le cadre de son appréciation, figurant aux points 90 et 91 de l’arrêt attaqué, de la question de savoir si, à supposer même que la requérante aurait exprimé implicitement la volonté de modifier ses conclusions initiales, une telle modification aurait pu être admise. Ainsi, contrairement à ce que suggère la requérante, le Tribunal n’a pas méconnu le fait que lesdites dispositions concernent non pas la question de savoir dans quelles conditions le Tribunal pourrait éventuellement soulever d’office des moyens, voire modifier des chefs de demande de la même manière, mais bien les exigences procédurales qui s’imposent aux parties requérantes, dans le cadre des recours portés devant lui, en ce qui concerne le contenu de la requête.

95      Cet argument se fondant sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué, il doit être écarté.

96      En deuxième lieu, il y a lieu de rejeter l’argument, rappelé en substance au point 70 du présent arrêt, selon lequel l’approche adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué aurait eu pour résultat de créer une distinction illogique entre la situation de la requérante et celle des transporteurs incriminés qui ont obtenu l’annulation totale de la décision litigieuse, en ce qu’elle les concernait, sans qu’ils aient invoqué, dans leur requête introductive d’instance respective, un moyen tiré d’un vice de motivation, tel que celui relevé d’office par le Tribunal et qui a conduit celui-ci à annuler la décision litigieuse dans cette mesure.

97      En effet, il est constant que, contrairement auxdits autres transporteurs, la requérante n’a demandé, dans sa requête introductive d’instance, qu’une annulation partielle de la décision litigieuse, en ce qu’elle la concernait.

98      Par conséquent, et étant donné que, ainsi qu’il ressort du point 85 du présent arrêt, les parties d’un acte concernant une personne qui ne sont pas soumises à la censure du juge de l’Union ne sauraient faire l’objet d’une annulation par ce juge et deviennent, partant, définitives en ce qu’elles concernent ladite personne, c’est à juste titre que le Tribunal n’a pas traité de la même manière la requérante et les transporteurs incriminés ayant introduit les recours cités au point 30 du présent arrêt, eu égard aux différences existant entre eux s’agissant de l’étendue des conclusions qu’ils avaient présentées en première instance.

99      Par ailleurs, eu égard au fait que, à l’instar de ces autres transporteurs incriminés, la requérante a tiré bénéfice du moyen soulevé d’office par le Tribunal dans la mesure où elle avait déféré la décision litigieuse à son contrôle, c’est à tort qu’elle soutient que l’approche adoptée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué priverait de son effet utile la compétence du juge de l’Union de soulever d’office des moyens d’ordre public dans des circonstances telles que celles de l’espèce. En effet, il ressort d’une lecture d’ensemble des points 27 à 94 de l’arrêt attaqué et il n’est d’ailleurs pas contesté dans le cadre du présent pourvoi que l’annulation prononcée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué se fonde exclusivement sur l’accueil du moyen soulevé d’office, les moyens avancés par la requérante dans la requête introductive d’instance n’ayant aucunement fait l’objet d’un examen par le Tribunal.

100    En troisième lieu, en ce qui concerne l’argumentation, exposée au point 72 du présent arrêt, selon laquelle l’approche du Tribunal serait contraire à une bonne administration de la justice, il suffit de relever que des considérations tirées de l’économie de procédure ne sauraient, en tout état de cause, justifier la non-application, par le juge de l’Union, de l’interdiction de statuer ultra petita au seul motif que sa décision est fondée sur un moyen qu’il a soulevé d’office.

101    En quatrième lieu, l’argumentation, rappelée en substance aux points 75 à 78 du présent arrêt, selon laquelle le droit de la requérante à un recours effectif, au titre de l’article 47 de la Charte, serait violé si le raisonnement adopté par le Tribunal devait être confirmé, ne saurait prospérer.

102    Certes, il ressort des points 76 à 86 de l’arrêt attaqué et il n’est pas contesté dans le cadre du présent pourvoi que le vice de motivation constaté par le Tribunal dans cet arrêt a porté atteinte aux droits de la défense de la requérante, en ce qu’il ne lui a pas permis, alors même qu’elle avait choisi d’introduire un recours devant le Tribunal contre la décision litigieuse, de comprendre la nature et la portée de l’infraction ou des infractions constatées dans cette décision, et que ce vice a empêché le Tribunal d’exercer son contrôle à l’égard de celle‑ci.

103    Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 66).

104    Ainsi, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, complété par la compétence de pleine juridiction quant au montant de l’amende, prévue à l’article 31 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), implique que le juge de l’Union exerce un contrôle tant en droit qu’en fait et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler la décision attaquée et de modifier le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 67).

105    Il s’ensuit que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 142 de ses conclusions, il n’est pas contraire au principe de protection juridictionnelle effective que le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union soit limité par les demandes des parties telles que formulées dans les conclusions de leurs écrits de procédure, ce principe n’exigeant nullement que ce juge devrait étendre son contrôle aux éléments d’une décision qui ne relèvent pas du litige dont il se trouve saisi.

106    Plus particulièrement, s’agissant des circonstances de la présente affaire, si, ainsi qu’il découle du point 102 du présent arrêt, le vice de motivation constaté par le Tribunal dans l’arrêt attaqué a empêché la requérante d’identifier d’éventuels autres vices dans la décision litigieuse, il n’est pas contesté que ledit vice de motivation aurait pu être identifié par la requérante et que cette dernière aurait donc pu l’invoquer dans sa requête devant le Tribunal afin de demander l’annulation totale de cette décision, en ce qu’elle la concernait, à l’instar de ce qu’ont fait certains autres transporteurs incriminés, tel que Air Canada dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 décembre 2015, Air Canada/Commission (T‑9/11, non publié, EU:T:2015:994).

107    Enfin, il convient également de rejeter l’argument, évoqué au point 71 du présent arrêt, selon lequel il existe, au niveau national, des actions en dommages et intérêts contre la requérante qui se basent sur la décision litigieuse, laquelle, étant viciée dans son ensemble, est source de difficultés pour les juridictions nationales s’agissant du partage des responsabilités entre la requérante et les autres parties pour tout dommage qui, selon elles, aurait été causé par le comportement faisant l’objet de cette décision.

108    À cet égard, il suffit de constater que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 129 de ses conclusions, l’éventuel engagement de la responsabilité d’un requérant en droit national pour les dommages causés par son comportement anticoncurrentiel ne saurait, à lui seul, avoir pour effet de modifier les compétences du juge de l’Union au titre de l’article 263 TFUE.

109    Eu égard à ce qui précède, les deux moyens du pourvoi sont dénués de fondement et doivent, dès lors, être rejetés.

110    Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments avancés par la Commission, exposés aux points 37 à 39 du présent arrêt, tirés de l’irrecevabilité du pourvoi en raison de sa non‑conformité à l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Il en est de même s’agissant des objections concernant la recevabilité du mémoire en réplique.

111    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

112    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

113    La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et celle‑ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de condamner cette dernière aux dépens afférents au pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      British Airways plc est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.