Language of document : ECLI:EU:C:2018:167

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

7 mars 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) n° 44/2001 – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Compétences exclusives – Article 22, point 2 – Validité des décisions des organes des sociétés ou des personnes morales ayant leur siège sur le territoire d’un État membre – Compétence exclusive des tribunaux de cet État membre – Décision de l’assemblée générale d’une société ordonnant le transfert obligatoire des titres des actionnaires minoritaires de cette société à l’actionnaire majoritaire de celle-ci et fixant le montant de la contrepartie devant leur être versée par ce dernier – Procédure judiciaire ayant pour objet de contrôler le caractère raisonnable de cette contrepartie »

Dans l’affaire C‑560/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque), par décision du 20 septembre 2016, parvenue à la Cour le 4 novembre 2016, dans la procédure

E.ON Czech Holding AG

contre

Michael Dědouch,

Petr Streitberg,

Pavel Suda,

en présence de :

Jihočeská plynárenská, a.s.,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, S. Rodin et E. Regan, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour E.ON Czech Holding AG, par Me D. Vosol, advokát,

–        pour MM. Dědouch, Streitberg et Suda, par Me P. Zima, advokát,

–        pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Heller et M. J. Hradil, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 1, sous a), et point 3 ainsi que de l’article 22, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant E.ON Czech Holding AG (ci-après « E.ON ») à MM. Michael Dědouch, Petr Streitberg et Pavel Suda au sujet du contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie que, dans le cadre d’une procédure d’éviction des actionnaires minoritaires, E.ON était tenue de leur verser à la suite du transfert obligatoire des titres qu’ils détenaient dans Jihočeská plynárenská, a.s.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 2, 11 et 12 du règlement n° 44/2001 énoncent :

« (2)      Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(11)      Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

(12)      Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. »

4        L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. »

5        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement :

« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

6        L’article 5 du même règlement est libellé comme suit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1)      a)      en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;

[...]

3)      en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

[...] »

7        L’article 6 du règlement n° 44/2001 prévoit :

« Cette même personne peut aussi être attraite :

1)      s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;

[...] »

8        L’article 22 de ce règlement dispose :

« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :

[...]

2)      en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales ayant leur siège sur le territoire d’un État membre, ou de validité des décisions de leurs organes, les tribunaux de cet État membre. Pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé ;

[...] »

 Le droit tchèque

9        L’article 183i de la zákon č. 513/1991 Sb., obchodní zákoník (loi n° 513/1991, portant code de commerce), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« (1)      Une personne qui détient des titres à caractère participatif d’une société (a) dont la valeur nominale totale équivaut à au moins 90 % du capital social de cette société, ou (b) qui substituent des titres à caractère participatif d’une société dont la valeur nominale totale équivaut à au moins 90 % du capital social de cette société, ou (c) qui détient au moins 90 % des droits de vote de la société (ci-après l’“actionnaire principal”) a la faculté de demander au conseil d’administration de convoquer une assemblée générale, afin de prendre une décision sur le transfert de tous les autres titres à caractère participatif de la société à sa personne.

[...]

(3)      La résolution de l’assemblée générale identifie l’actionnaire principal, contient des éléments établissant que cet actionnaire est bien actionnaire principal et indique le montant de la contrepartie [...] ainsi que le délai relatif à son paiement. »

10      L’article 183k de cette loi prévoit :

« (1)      Les détenteurs de titres à caractère participatif ont la faculté, à partir de la date à laquelle ils reçoivent l’invitation à participer à l’assemblée générale ou de la notification de la tenue de cette assemblée générale, de demander à un Tribunal de contrôler le caractère raisonnable de la contrepartie ; [...]

[...]

(3)      La décision d’une juridiction accordant le droit à un montant de contrepartie différent est contraignante pour l’actionnaire principal et la société, s’agissant de la base du droit conféré, également à l’égard des autres détenteurs de titres à caractère participatif. [...]

(4)      Une décision selon laquelle la contrepartie n’est pas raisonnable n’a pas pour effet d’invalider la résolution de l’assemblée générale adoptée conformément à l’article 183i (1).

(5)      Une décision selon laquelle la contrepartie n’est pas raisonnable ne saurait être invoquée aux fins d’un recours en invalidité de la résolution adoptée par l’assemblée générale, visé à l’article 131. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Par une résolution du 8 décembre 2006, l’assemblée générale de Jihočeská plynárenská a décidé le transfert obligatoire de tous les titres à caractère participatif de cette société à son actionnaire principal, E.ON.

12      Cette résolution indiquait le montant de la contrepartie que cette dernière était tenue de verser aux actionnaires minoritaires à la suite de ce transfert.

13      Par un recours introduit le 26 janvier 2007, MM. Dědouch, Streitberg et Suda ont demandé au Krajský soud v Českých Budějovicích (cour régionale de České Budějovice, République tchèque) de contrôler le caractère raisonnable de cette contrepartie.

14      Au cours de cette procédure, E.ON a soulevé une exception d’incompétence des juridictions tchèques, en soutenant que, eu égard au lieu de son siège social, seules les juridictions allemandes jouissaient de la compétence internationale.

15      Par une ordonnance du 26 août 2009, le Krajský soud v Českých Budějovicích (cour régionale de České Budějovice) a rejeté cette exception au motif que les juridictions tchèques étaient compétentes, sur le fondement de l’article 6, point 1, du règlement n° 44/2001, pour connaître du recours.

16      E.ON a fait appel de cette ordonnance devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague, République tchèque), lequel a, par une ordonnance du 22 juin 2010, jugé que le litige dont il était saisi relevait de l’article 22, point 2, de ce règlement et que, compte tenu du lieu du siège de Jihočeská plynárenská, la compétence internationale revenait aux juridictions tchèques.

17      Saisi par E.ON d’un recours constitutionnel, l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque) a, par un arrêt du 11 septembre 2012, annulé cette ordonnance et renvoyé l’affaire devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague).

18      Par une ordonnance du 2 mai 2014, le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague) a considéré que les juridictions tchèques étaient compétentes pour connaître du litige au principal sur le fondement de l’article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001.

19      E.ON a formé un pourvoi contre cette ordonnance devant la juridiction de renvoi.

20      C’est dans ce contexte que le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 22, [point 2], du règlement [n° 44/2001] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique également à la procédure de contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie, que l’actionnaire principal est tenu de verser, en tant que contre-valeur des titres à caractère participatif, aux détenteurs antérieurs desdits titres, qui lui ont été transférés en conséquence d’une résolution adoptée par l’assemblée générale d’une société anonyme, relative au transfert obligatoire des autres titres à caractère participatif à l’actionnaire principal (procédure dite d’“éviction”), lorsque la résolution ainsi adoptée fixe le montant de la contrepartie raisonnable et qu’une décision de justice conférant le droit à un montant de contrepartie différent est contraignante pour l’actionnaire principal et la société, s’agissant de la base du droit conféré, également à l’égard des autres détenteurs de titres à caractère participatif ?

2)      En cas de réponse négative à la première question, l’article 5, [point] 1, sous a), du règlement [n° 44/2001] doit-il être interprété en ce sens qu’il couvre également la procédure de contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie décrite dans la première question ?

3)      En cas de réponse négative aux deux questions qui précèdent, l’article 5, [point] 3, du règlement [n° 44/2001] doit-il être interprété en ce sens qu’il couvre également la procédure de contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie décrite dans la première question ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

21      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un recours, tel que celui au principal, ayant pour objet le contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie que l’actionnaire principal d’une société est tenu de verser aux actionnaires minoritaires de celle-ci en cas de transfert obligatoire de leurs actions à cet actionnaire principal, relève de la compétence exclusive des tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel cette société est établie.

22      À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’affaire au principal, si la résolution de l’assemblée générale de Jihočeská plynárenská a porté tant sur le transfert des actions de celle-ci à l’actionnaire principal que sur la fixation du montant de la contrepartie à verser aux actionnaires minoritaires, MM. Dědouch, Streitberg et Suda se limitent à contester, dans leur recours, le caractère raisonnable de ce montant.

23      Or, à supposer que ce recours donne lieu à une décision selon laquelle ledit montant n’est pas raisonnable, le droit tchèque exclut explicitement que cette décision puisse avoir pour effet d’invalider la résolution de l’assemblée générale en tant qu’elle a porté sur ledit transfert ou encore qu’elle puisse être invoquée aux fins d’un recours en invalidité de cette résolution.

24      Par conséquent, selon une interprétation littérale du libellé de l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001, il n’apparaît pas de manière certaine qu’un tel recours relève de cette disposition, puisque la règle de compétence énoncée par celle-ci est applicable en matière de « validité des décisions [des] organes » des sociétés ou des personnes morales.

25      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du règlement n° 44/2001 doivent être interprétées de manière autonome, en se référant au système et aux objectifs de celui-ci (arrêts du 13 juillet 2006, Reisch Montage, C‑103/05, EU:C:2006:471, point 29 ; du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 17, ainsi que du 16 janvier 2014, Kainz, C‑45/13, EU:C:2014:7, point 19).

26      S’agissant du système et de l’économie générale du règlement n° 44/2001, il y a lieu de rappeler que la compétence prévue à l’article 2 de ce règlement, à savoir celle des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile, constitue la règle générale. Ce n’est que par dérogation à cette règle générale que ledit règlement prévoit des règles de compétence spéciale et exclusive dans des cas limitativement énumérés dans lesquels le défendeur peut ou doit, selon le cas, être attrait devant une juridiction d’un autre État membre (arrêts du 13 juillet 2006, Reisch Montage, C‑103/05, EU:C:2006:471, point 22, et du 12 mai 2011, BVG, C‑144/10, EU:C:2011:300, point 30).

27      Ces règles de compétence spéciale et exclusive doivent, dès lors, faire l’objet d’une interprétation stricte. En effet, en tant qu’exception à la règle générale de compétence, les dispositions de l’article 22 du règlement n° 44/2001 ne doivent pas être interprétées dans un sens plus étendu que ne le requiert leur objectif (arrêts du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, points 18 et 19, ainsi que du 12 mai 2011, BVG, C‑144/10, EU:C:2011:300, point 30).

28      Concernant les objectifs et la finalité du règlement n° 44/2001, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de ses considérants 2 et 11, celui-ci vise à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale au moyen de règles de compétence qui présentent un haut degré de prévisibilité. Ce règlement poursuit ainsi un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (arrêts du 23 avril 2009, Falco Privatstiftung et Rabitsch, C‑533/07, EU:C:2009:257, points 21 et 22 ; du 17 mars 2016, Taser International, C‑175/15, EU:C:2016:176, point 32, ainsi que du 14 juillet 2016, Granarolo, C‑196/15, EU:C:2016:559, point 16).

29      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du considérant 12 dudit règlement, les règles de compétence dérogeant à la règle générale de compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile complètent cette dernière lorsqu’il existe un lien étroit entre la juridiction désignée par ces règles et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice.

30      En particulier, les règles de compétence exclusive prévues aux dispositions de l’article 22 du règlement n° 44/2001 ont pour objectif de réserver les litiges visés à ces dispositions aux juridictions ayant avec eux une proximité matérielle et juridique [voir, s’agissant de l’article 16 de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), dont les dispositions sont en substance identiques à celles de l’article 22 du règlement n° 44/2001, arrêt du 13 juillet 2006, GAT, C‑4/03, EU:C:2006:457, point 21], c’est-à-dire de conférer une compétence exclusive aux juridictions d’un État membre dans des circonstances particulières où, eu égard à la matière en cause, ces juridictions sont les mieux placées pour connaître des litiges qui en relèvent, en raison de l’existence d’un lien particulièrement étroit entre ces litiges et ledit État membre (arrêt du 12 mai 2011, BVG, C‑144/10, EU:C:2011:300, point 36).

31      Ainsi, l’objectif essentiel poursuivi par l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001 est de centraliser la compétence pour éviter des décisions contradictoires en ce qui concerne l’existence des sociétés et la validité des décisions de leurs organes (arrêt du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 20).

32      En effet, les tribunaux de l’État membre où la société a son siège paraissent les mieux placés pour juger de tels litiges, du fait notamment que les formalités de publicité de la société ont lieu dans ce même État. L’attribution d’une telle compétence exclusive à ces juridictions est donc effectuée dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (arrêt du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 21).

33      Toutefois, la Cour a jugé qu’il ne saurait en être déduit qu’il suffit, afin que l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001 s’applique, qu’une action judiciaire présente un quelconque lien avec une décision adoptée par un organe d’une société (arrêt du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 22), et que le champ d’application de cette disposition ne vise que les litiges dans lesquels une partie conteste la validité d’une décision d’un organe d’une société au regard du droit des sociétés applicable ou des dispositions statutaires concernant le fonctionnement de ses organes (arrêts du 2 octobre 2008, Hassett et Doherty, C‑372/07, EU:C:2008:534, point 26, ainsi que du 23 octobre 2014, flyLAL-Lithuanian Airlines, C‑302/13, EU:C:2014:2319, point 40).

34      En l’occurrence, s’il est vrai que, en vertu du droit tchèque, une procédure telle que celle en cause au principal ne peut aboutir formellement à une décision ayant pour effet d’invalider une résolution de l’assemblée générale d’une société portant sur le transfert obligatoire des titres des actionnaires minoritaires de cette société à l’actionnaire majoritaire de celle-ci, il n’en reste pas moins que, conformément aux exigences d’interprétation autonome et d’application uniforme des dispositions du règlement n° 44/2001, la portée de l’article 22, point 2, de celui-ci ne saurait dépendre des choix opérés dans le droit interne des États membres ou varier en fonction de ceux-ci.

35      Or, d’une part, cette procédure trouve son origine dans la contestation du montant de la contrepartie relative à un tel transfert, et, d’autre part, a pour objet le contrôle du caractère raisonnable de ce montant.

36      Il s’ensuit que, au regard de l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001, une procédure judiciaire telle que celle en cause au principal porte sur le contrôle de la validité partielle d’une décision d’un organe d’une société et qu’une telle procédure est, de ce fait, susceptible de relever du champ d’application de cette disposition, tel qu’il est envisagé par le libellé de cette dernière.

37      Ainsi, dans les faits, une juridiction saisie d’une telle demande de contrôle doit examiner la validité d’une décision d’un organe d’une société en ce que cette décision porte sur la fixation du montant de la contrepartie, décider si ce dernier présente un caractère raisonnable ainsi que, le cas échéant, annuler ladite décision sur ce point et fixer un montant de contrepartie différent.

38      Par ailleurs, une interprétation de l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001, selon laquelle cette disposition s’applique à une procédure telle que celle en cause au principal, est conforme à l’objectif essentiel poursuivi par ladite disposition et n’a pas pour effet d’étendre le champ d’application de celle-ci au-delà de ce que requiert cet objectif.

39      À cet égard, l’existence d’un lien étroit entre les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel Jihočeská plynárenská est établie, en l’occurrence les juridictions tchèques, et le litige en cause au principal est manifeste.

40      En effet, outre le fait que Jihočeská plynárenská est une société de droit tchèque, il ressort du dossier soumis à la Cour que la résolution de l’assemblée générale ayant fixé le montant de la contrepartie faisant l’objet de la procédure au principal ainsi que les actes et les formalités relatifs à celle-ci ont été accomplis conformément au droit tchèque et en langue tchèque.

41      De même, il n’est pas contesté que la juridiction compétente devra appliquer le droit matériel tchèque au litige au principal.

42      Par conséquent, compte tenu du lien étroit existant entre le litige au principal et les juridictions tchèques, celles-ci sont les mieux placées pour connaître de ce litige relatif au contrôle de la validité partielle de ladite résolution et l’attribution, au titre de l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001, d’une compétence exclusive à ces juridictions est de nature à faciliter une bonne administration de la justice.

43      L’attribution de cette compétence aux juridictions tchèques est également conforme aux objectifs de prévisibilité des règles de compétence et de sécurité juridique poursuivis par le règlement n° 44/2001, puisque, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, les actionnaires d’une société, notamment l’actionnaire principal, doivent s’attendre à ce que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel cette société est établie seront les juridictions compétentes pour trancher un différend interne à ladite société relatif au contrôle de la validité partielle d’une décision d’un organe d’une société.

44      En outre, dans la mesure où l’actionnaire principal d’une société est susceptible de changer au cours de l’existence de cette société, une application de la règle générale de compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile, prévue à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 44/2001, à une situation telle que celle en cause au principal ne permettrait pas d’assurer la réalisation desdits objectifs.

45      Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 22, point 2, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’un recours, tel que celui en cause au principal, ayant pour objet le contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie que l’actionnaire principal d’une société est tenu de verser aux actionnaires minoritaires de celle-ci en cas de transfert obligatoire de leurs actions à cet actionnaire principal, relève de la compétence exclusive des tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel cette société est établie.

 Sur les deuxième et troisième questions

46      Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

 Sur les dépens

47      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

L’article 22, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’un recours, tel que celui en cause au principal, ayant pour objet le contrôle du caractère raisonnable de la contrepartie que l’actionnaire principal d’une société est tenu de verser aux actionnaires minoritaires de celle-ci en cas de transfert obligatoire de leurs actions à cet actionnaire principal, relève de la compétence exclusive des tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel cette société est établie.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.