Language of document : ECLI:EU:C:2017:540

ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

13 juillet 2017 (*)

« Pourvoi – Droit d’accès aux documents détenus par les institutions de l’Union européenne – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès – Article 4, paragraphe 3, premier alinéa – Protection du processus décisionnel de ces institutions – Environnement – Convention d’Aarhus – Règlement (CE) n° 1367/2006 – Article 6, paragraphe 1 – Intérêt public de la divulgation d’informations environnementales – Informations, transmises par les autorités allemandes à la Commission européenne, visant des installations situées sur le territoire allemand concernées par la législation de l’Union relative au système d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Refus partiel d’accès »

Dans l’affaire C‑60/15 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 11 février 2015,

Saint-Gobain Glass Deutschland GmbH, établie à Stolberg (Allemagne), représentée par Mes S. Altenschmidt et P.-A. Schütter, Rechtsanwälte,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. H. Krämer ainsi que par Mmes F. Clotuche-Duvieusart et P. Mihaylova, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, M. A. Tizzano (rapporteur), vice‑président de la Cour, MM. A. Borg Barthet, E. Levits et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2016,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 octobre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, Saint-Gobain Glass Deutschland GmbH (ci-après « Saint‑Gobain ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 11 décembre 2014, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (T‑476/12, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2014:1059), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la Commission du 17 janvier 2013 refusant l’accès intégral à la liste transmise par la République fédérale d’Allemagne à la Commission, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 15, paragraphe 1, de la décision 2011/278/UE de la Commission, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil (JO 2011, L 130, p. 1), dans la mesure où ce document contient des informations relatives à certaines installations de Saint‑Gobain, situées sur le territoire allemand, concernant des allocations provisoires ainsi que les activités et les niveaux de capacité au regard des émissions de dioxyde de carbone (CO2) pendant les années 2005 à 2010, l’efficacité des installations et les quotas d’émission annuels provisoirement alloués pour la période allant de l’année 2013 à l’année 2020 (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

 Le droit international

2        L’article 4 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2005/370/CE du Conseil, du 17 février 2005 (JO 2005, L 124, p. 1, ci-après la « convention d’Aarhus »), est libellé comme suit :

« 1.      Chaque partie fait en sorte que, sous réserve des paragraphes suivants du présent article, les autorités publiques mettent à la disposition du public, dans le cadre de leur législation nationale, les informations sur l’environnement qui leur sont demandées [...] :

a)      sans que le public ait à faire valoir un intérêt particulier ;

[...]

4.      Une demande d’informations sur l’environnement peut être rejetée au cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur :

a)      le secret des délibérations des autorités publiques, lorsque ce secret est prévu par le droit interne ;

[...]

Les motifs de rejet susmentionnés devront être interprétés de manière restrictive compte tenu de l’intérêt que la divulgation des informations demandées présenterait pour le public et selon que ces informations ont trait ou non aux émissions dans l’environnement.

[...] »

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 1, 2, 4, 6 et 11 du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), sont rédigés comme suit :

« (1)      Le traité sur l’Union européenne consacre la notion de transparence dans son article 1er, deuxième alinéa, selon lequel le traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens.

(2)      La transparence permet d’assurer une meilleure participation des citoyens au processus décisionnel, ainsi que de garantir une plus grande légitimité, efficacité et responsabilité de l’administration à l’égard des citoyens dans un système démocratique. La transparence contribue à renforcer les principes de la démocratie et le respect des droits fondamentaux tels qu’ils sont définis à l’article 6 du traité UE et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

[...]

(4)      Le présent règlement vise à conférer le plus large effet possible au droit d’accès du public aux documents et à en définir les principes généraux et limites conformément à l’article 255, paragraphe 2, du traité CE.

[...]

(6)      Un accès plus large aux documents devrait être autorisé dans les cas où les institutions agissent en qualité de législateur, y compris sur pouvoirs délégués, tout en veillant à préserver l’efficacité du processus décisionnel des institutions. Dans toute la mesure du possible, ces documents devraient être directement accessibles.

[...]

(11)      En principe, tous les documents des institutions devraient être accessibles au public. Toutefois, certains intérêts publics et privés devraient être garantis par le biais d’un régime d’exceptions. Il convient de permettre aux institutions de protéger leurs consultations et délibérations internes lorsque c’est nécessaire pour préserver leur capacité à remplir leurs missions. Lors de l’évaluation de la nécessité d’une exception, les institutions devraient tenir compte des principes consacrés par la législation communautaire en matière de protection des données personnelles dans tous les domaines d’activité de l’Union. »

4        L’article 1er de ce règlement, intitulé « Objet », dispose :

« Le présent règlement vise à :

a)      définir les principes, les conditions et les limites, fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé, du droit d’accès aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (ci-après dénommés “institutions”) prévu à l’article 255 du traité CE de manière à garantir un accès aussi large que possible aux documents ;

b)      arrêter des règles garantissant un exercice aussi aisé que possible de ce droit, et

c)      promouvoir de bonnes pratiques administratives concernant l’accès aux documents. »

5        L’article 2 dudit règlement, intitulé « Bénéficiaires et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 3 :

« Le présent règlement s’applique à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union européenne. »

6        L’article 4 du même règlement, intitulé « Exceptions », énonce :

« [...]

2.      Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

–        des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle,

–        [...]

–        des objectifs des activités d’inspection, d’enquête et d’audit,

à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

3.      L’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par une institution et qui a trait à une question sur laquelle celle-ci n’a pas encore pris de décision est refusé dans le cas où sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de cette institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé.

[...]

5.      Un État membre peut demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de cet État sans l’accord préalable de celui-ci.

[...] »

7        L’article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil (JO 2003, L 41, p. 26), prévoit :

« Les États membres peuvent prévoir qu’une demande d’informations environnementales peut être rejetée lorsque la divulgation des informations porterait atteinte :

a)      à la confidentialité des délibérations des autorités publiques, lorsque cette confidentialité est prévue en droit ;

[...] »

8        Le considérant 2 du règlement (CE) n° 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), est rédigé comme suit :

« Le sixième programme d’action communautaire pour l’environnement [...] insiste sur la nécessité de fournir des informations environnementales appropriées et d’offrir au public de véritables possibilités de participation au processus décisionnel en matière d’environnement, de manière à renforcer l’obligation de rendre compte et la transparence dans le cadre de la prise de décision, en vue de sensibiliser l’opinion publique et d’obtenir son adhésion aux décisions prises. Il encourage également, comme les programmes précédents [...], une meilleure mise en œuvre et application de la législation communautaire dans le domaine de la protection de l’environnement, notamment le contrôle de l’application des règles communautaires et les poursuites à l’égard des infractions à la législation environnementale communautaire. »

9        L’article 1er de ce règlement prévoit :

«1.      Le présent règlement a pour objet de contribuer à l’exécution des obligations découlant de la [convention d’Aarhus], en établissant des dispositions visant à appliquer aux institutions et organes communautaires les dispositions de la convention, notamment:

a)      en garantissant au public le droit d’accès aux informations environnementales reçues ou établies par les institutions ou organes communautaires et détenues par eux et en fixant les conditions essentielles et les modalités pratiques de l’exercice de ce droit ;

b)      en veillant à ce que les informations environnementales soient progressivement rendues disponibles et diffusées auprès du public afin de parvenir à une mise à disposition et une diffusion systématiques aussi larges que possible. À cette fin, il convient de promouvoir l’utilisation, entre autres, des technologies de télécommunications informatiques et/ou électroniques, lorsqu’elles sont disponibles ;

c)      en prévoyant la participation du public en ce qui concerne les plans et programmes relatifs à l’environnement ;

d)      en garantissant l’accès à la justice en matière d’environnement au niveau de la Communauté, dans les conditions prévues par le présent règlement.

2.      Lorsque les institutions et organes communautaires mettent en œuvre les dispositions du présent règlement, ils s’efforcent d’aider et de conseiller le public afin de lui permettre d’accéder aux informations, de participer au processus décisionnel et d’accéder à la justice en matière d’environnement. »

10      L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

d)      “information environnementale”, toute information disponible sous forme écrite, visuelle, sonore, électronique ou toute autre forme matérielle, concernant :

[...]

iii)      les mesures (y compris les mesures administratives), telles que les politiques, les dispositions législatives, les plans, les programmes, les accords environnementaux et les activités ayant ou susceptibles d’avoir des incidences sur les éléments et les facteurs visés aux points i) et ii), ainsi que les mesures ou activités destinées à protéger ces éléments ;

[...] »

11      L’article 3, premier alinéa, du même règlement est rédigé comme suit :

« Le règlement (CE) n° 1049/2001 s’applique à toute demande d’accès à des informations environnementales détenues par des institutions ou organes communautaires, sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou le domicile et, dans le cas d’une personne morale, sans discrimination concernant le lieu où elle a son siège officiel ou un véritable centre d’activités. »

12      L’article 6 du règlement n° 1367/2006, intitulé « Application des exceptions relatives aux demandes d’accès à des informations environnementales », énonce, à son paragraphe 1 :

« En ce qui concerne les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement (CE) n° 1049/2001, à l’exception des enquêtes, notamment celles relatives à de possibles manquements au droit communautaire, la divulgation est réputée présenter un intérêt public supérieur lorsque les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement. Pour ce qui est des autres exceptions prévues à l’article 4 du règlement (CE) n° 1049/2001, les motifs de refus doivent être interprétés de manière stricte, compte tenu de l’intérêt public que présente la divulgation et du fait de savoir si les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement. »

13      Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la décision 2011/278 :

« En vertu de l’article 11, paragraphe 1, de la directive 2003/87/CE, les États membres sont tenus de présenter à la Commission, pour le 30 septembre 2011 au plus tard, au moyen d’un modèle électronique fourni par celle-ci, la liste des installations couvertes par la directive 2003/87/CE qui sont situées sur leur territoire, y compris les installations identifiées conformément à l’article 5. »

 Les antécédents du litige

14      Saint‑Gobain, société active sur le marché mondial du verre, exploite des installations qui entrent dans le champ d’application de la directive 2003/87/CE du Parlement et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32).

15      En se fondant sur la décision 2011/278, Saint‑Gobain a sollicité auprès des autorités allemandes compétentes l’octroi gratuit de quotas d’émission pour la troisième période prévue dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission établi par cette directive, à savoir la période allant de l’année 2013 à l’année 2020.

16      Cette décision prévoit, en substance, que les États membres calculent le nombre provisoire de quotas d’émission alloués à titre gratuit à chacune des installations en place, sur la base des valeurs de référence déterminées par la Commission européenne. Ladite décision dispose, en particulier, à son article 15, paragraphe 1, que les résultats de ces calculs sont inscrits sur la liste des installations couvertes par la directive 2003/87 qui sont situées sur le territoire de chaque État membre, cette liste étant transmise à la Commission par chaque État pour vérification.

17      Par lettre du 3 juillet 2012, Saint‑Gobain a demandé à la Commission, sur le fondement du règlement n° 1049/2001 et du règlement n° 1367/2006, d’avoir accès au tableau Excel, transmis par la République fédérale d’Allemagne à la Commission dans le cadre de la procédure prévue audit article 15, paragraphe 1. Ce tableau contient des informations relatives à certaines installations de Saint‑Gobain situées sur le territoire allemand. En particulier, Saint‑Gobain a demandé à avoir accès aux données relatives aux « capacités initiales installées », transmises pour chaque sous-installation, et au nombre provisoire annuel de quotas d’émission alloués à titre gratuit à chacune de ses sous-installations pour la période allant de l’année 2013 à l’année 2020.

18      La direction générale de l’action pour le climat de la Commission a, par lettre du 23 juillet 2012, rejeté la demande de Saint‑Gobain en se fondant sur l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

19      Par la suite, les autorités allemandes ont rendu publique la liste des installations concernées et les quotas d’émission annuels provisoirement alloués par installation.

20      Saint-Gobain a présenté, le 7 août 2012, une demande confirmative d’accès aux documents au sens du règlement n° 1049/2001.

21      Par lettre du 4 septembre 2012, la Commission a prolongé le délai de réponse de quinze jours ouvrables, soit jusqu’au 25 septembre 2012.

22      Toutefois, par lettre du 25 septembre 2012, la Commission a informé Saint‑Gobain qu’elle ne pourrait pas lui communiquer une décision définitive dans le délai fixé, car les autorités allemandes, qui avaient été consultées en tant qu’auteurs des informations demandées, n’avaient encore envoyé aucune réponse.

23      Le 28 septembre 2012, Saint‑Gobain a invité la Commission à statuer sur sa demande confirmative avant le 15 octobre 2012.

24      Le 17 janvier 2013, la Commission a, par la décision litigieuse, accordé un accès partiel aux informations demandées, à savoir celles rendues publiques par les autorités allemandes, ainsi qu’à celles non essentielles contenues dans le tableau Excel et a refusé l’accès au reste desdites informations.

25      La Commission a fondé sa décision de refus sur l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, considérant que la divulgation intégrale des informations demandées porterait gravement atteinte à son processus décisionnel qui était toujours en cours et concernait de nombreuses installations dans plusieurs États membres. Selon cette institution, une communication intégrale desdites informations permettrait au public et, en particulier, aux entreprises concernées de soulever des questions ou de formuler des critiques à l’égard des informations transmises par les États membres, ce qui risquerait d’interférer avec le processus décisionnel. Ces interférences risqueraient, à leur tour, de retarder significativement ce processus et de nuire au dialogue entre la Commission et les États membres.

26      Les informations demandées ayant été produites par la République fédérale d’Allemagne, la Commission a, sur la base de l’article 4, paragraphe 5, du règlement n° 1049/2001, consulté cet État membre, lequel s’est opposé à la divulgation de celles-ci. Ledit État membre a, comme la Commission, justifié son opposition sur la base de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de ce règlement. En particulier, il a fait valoir que la Commission n’avait pas encore adopté une décision relative auxdites informations et qu’une telle décision, dans les délais impartis, était fortement attendue. La Commission a considéré ces motifs comme étant prima facie pertinents.

27      Dans la décision litigieuse, la Commission a, tout d’abord, constaté qu’il n’existait pas un intérêt public supérieur, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement, justifiant la divulgation intégrale des informations demandées, tout en précisant que les intérêts évoqués par Saint‑Gobain dans sa demande étaient de nature purement privée. Ensuite, cette institution a considéré que, en l’espèce, les intérêts prioritaires étaient d’assurer la prise de décision libre de toute interférence extérieure et de préserver le climat de confiance entre la Commission et les autorités allemandes. En outre, la Commission a rappelé qu’une partie importante des informations demandées avait déjà été rendue publique par ces autorités et a indiqué que le public avait donc eu accès aux principaux éléments du projet d’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit.

28      Finalement, dans ladite décision, la Commission a précisé que, même à supposer que les informations demandées par Saint‑Gobain aient constitué des informations environnementales, à la différence des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 2, premier et troisième tirets, du règlement n° 1049/2001, l’article 6 du règlement n° 1367/2006 ne contenait aucune disposition permettant d’exclure l’application de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

29      Le 31 octobre 2012, Saint‑Gobain a introduit un recours tendant à l’annulation des décisions implicites de la Commission des 4 et 25 septembre 2012. À la suite de l’adoption, le 17 janvier 2013, de la décision litigieuse, Saint‑Gobain a demandé l’autorisation d’adapter ses conclusions. Ayant fait droit à cette demande, le Tribunal a considéré que le recours ne visait désormais que l’annulation de cette dernière décision.

30      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a écarté les deux moyens soulevés par Saint‑Gobain et a rejeté le recours.

 Les conclusions des parties

31      Saint‑Gobain demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

–        de condamner la Commission aux dépens.

32      La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de Saint‑Gobain aux dépens.

 Sur le pourvoi

33      À l’appui de son pourvoi, Saint‑Gobain soulève, en substance, deux moyens. Le premier moyen, divisé en deux branches, est tiré d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006, en ce que le Tribunal, d’une part, a procédé à une interprétation extensive de ces dispositions et, d’autre part, n’a pas reconnu l’existence, en l’espèce, d’un intérêt public supérieur justifiant la divulgation des informations environnementales demandées. Le second moyen est tiré d’une application erronée de l’article 4, paragraphe 5, du règlement n° 1049/2001.

 Argumentation des parties

34      Par la première branche du premier moyen, Saint‑Gobain fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en méconnaissant les exigences qui découlent du règlement n° 1367/2006, en particulier de son article 6, paragraphe 1, seconde phrase, quant à la nécessité d’interpréter de manière « stricte » les exceptions prévues à l’article 4 du règlement n° 1049/2001, dont notamment celle prévue au paragraphe 3, premier alinéa, de celui-ci, visant à protéger le processus décisionnel des institutions, afin de refuser l’accès à des informations environnementales.

35      Après avoir relevé que le Tribunal a constaté que les informations pour lesquelles l’accès a été demandé en l’espèce sont des « informations environnementales » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1367/2006, Saint‑Gobain relève que, en présence de telles informations, les institutions de l’Union sont tenues de respecter les dispositions de ce règlement, lequel vise à appliquer à ces institutions la convention d’Aarhus, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et dont le Tribunal aurait dû tenir compte.

36      Or, cette convention ne comprendrait pas de disposition à caractère général comparable à celle de l’article 4, paragraphe 3, du règlement n° 1049/2001, prévoyant que l’accès aux informations environnementales est refusé dans le cas où leur divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel des autorités publiques concernées. Au contraire, selon l’article 4, paragraphe 4, sous a), de ladite convention, dans une situation telle que celle de l’espèce, une demande d’accès à des informations environnementales ne pourrait être rejetée que dans le cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur le secret des « délibérations des autorités publiques », lorsque ce secret est prévu par le droit interne.

37      Un tel motif de refus serait, en outre, identique à celui prévu à l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 2003/4, laquelle a pour objectif d’appliquer la convention d’Aarhus dans les ordres juridiques des États membres.

38      Ainsi, tant au sens du règlement n° 1049/2001 que de cette directive, le motif de refus en question devrait, ainsi qu’il résulterait également de la jurisprudence nationale allemande, être compris comme visant uniquement les délibérations internes qui se rapportent à la prise de décision et non pas les éléments antérieurs à ces délibérations, tels que les données sur lesquelles celles-ci s’appuient.

39      Le Tribunal aurait, en revanche, procédé à une interprétation extensive de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, dudit règlement. En effet, il aurait considéré que le refus d’accès aux informations demandées serait en l’occurrence justifié afin d’éviter des influences extérieures qui pourraient perturber le déroulement normal du processus décisionnel en cours, en particulier, en provoquant des retards significatifs dans le processus de vérification des informations transmises à la Commission dans le cadre de la procédure en question et en donnant lieu à des frictions avec les États membres qui ont transmis lesdites informations, qui seraient susceptibles de nuire au dialogue entre la Commission et lesdits États membres.

40      Or, selon Saint‑Gobain, la seule possibilité que la divulgation des informations environnementales, telles que celles en cause en l’espèce, suscite des critiques ne saurait justifier leur caractère confidentiel, étant donné que de telles critiques de la part du public, résultant de la transparence des procédures administratives, sont la conséquence souhaitée de la réglementation en question. En effet, ces critiques serviraient précisément les objectifs poursuivis par ladite réglementation, dont notamment celui de prendre de meilleures décisions en matière d’environnement sur la base d’informations soumises au contrôle du public. En outre, Saint‑Gobain précise que ni le règlement n° 1367/2006 ni la directive 2003/4 ne prévoient des motifs de refus d’accès relatifs à la protection des relations entre la Commission et les États membres.

41      Enfin, Saint‑Gobain soutient que le Tribunal, aux points 80 à 82 et 87 de l’arrêt attaqué, s’est fondé à tort, à plusieurs reprises, sur une jurisprudence de la Cour relative au règlement n° 1049/2001 ne concernant pas l’accès à des informations environnementales dans le cadre d’une procédure administrative de la Commission en cours.

42      La Commission rétorque en excipant d’emblée de l’irrecevabilité du premier moyen de pourvoi. En effet, tout d’abord, si ce moyen devait être interprété comme visant à remettre en question la légalité du règlement n° 1367/2006 au regard des dispositions de la convention d’Aarhus, il modifierait l’objet du litige devant le Tribunal. Ensuite, dans la mesure où ce premier moyen pourrait être compris comme visant à reprocher au Tribunal d’avoir méconnu l’exigence d’interpréter l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 à la lumière de la notion de « délibérations des autorités publiques » figurant à l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la convention d’Aarhus, il reposerait sur une argumentation n’ayant été ni présentée ni débattue devant le Tribunal. Enfin, ledit moyen n’identifierait pas avec précision les points critiqués des motifs de l’arrêt attaqué.

43      En tout état de cause, selon la Commission, le premier moyen de pourvoi n’est pas fondé. En effet, premièrement, tant le libellé de l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la convention d’Aarhus que celui de l’article 4, paragraphe 2, sous a), de la directive 2003/4 se réfèreraient non pas aux « délibérations internes », mais simplement aux « délibérations » des autorités publiques. Or, compte tenu du fait que tous les États membres, à l’instar de l’Union, sont parties à la convention d’Aarhus, il y aurait tout lieu de penser que le législateur de l’Union n’entendait pas, par la directive 2003/4, imposer aux États membres des obligations matérielles différentes de celles imposées aux organes de l’Union par les règlements n° 1049/2001 et n° 1367/2006.

44      Deuxièmement, une interprétation de la notion de « délibérations » selon laquelle celle-ci ne couvrirait que les opérations internes d’une autorité publique ne serait que l’une des interprétations possibles de cette notion selon les indications figurant dans le « Guide d’application de la convention d’Aarhus », que la Cour pourrait prendre en considération pour interpréter l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001.

45      Troisièmement, le critère retenu par l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la convention d’Aarhus, tout comme par l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement, ne serait pas le contenu du document, mais les « incidences défavorables » de la divulgation de ce contenu. Par conséquent, même si un document ne relate pas les délibérations internes d’une autorité publique, mais seulement les éléments qui ont servi de fondement pour l’adoption de sa décision, l’accès à ce document pourrait être refusé en application de cette dernière disposition.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

46      La Commission conteste, tout d’abord, la recevabilité du premier moyen pour le cas où celui-ci devrait être compris comme visant à mettre en cause la validité du règlement n° 1367/2006 au regard des dispositions de la convention d’Aarhus.

47      Toutefois, Saint‑Gobain ayant expressément affirmé, dans sa réplique, que, par le moyen en question, elle ne voulait aucunement mettre en cause la validité dudit règlement et la Commission en ayant pris acte dans sa duplique, il n’y a plus lieu de statuer sur cet argument de la Commission.

48      Ensuite, la Commission soutient, en substance, que le premier moyen de pourvoi est irrecevable dès lors qu’il s’appuie sur une argumentation qui n’aurait été ni invoquée ni débattue devant le Tribunal.

49      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.

50      Ainsi, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas invoqué devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (ordonnance du président de la Cour du 7 juillet 2016, Fapricela/Commission, C‑510/15 P, non publiée, EU:C:2016:547, point 20 et jurisprudence citée).

51      Toutefois, un argument qui n’a pas été soulevé en première instance ne saurait être considéré comme un moyen nouveau, irrecevable au stade du pourvoi, s’il ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre d’un moyen présenté dans la requête devant le Tribunal (arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 114 ainsi que jurisprudence citée).

52      En l’espèce, il y a lieu de constater que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 31 de ses conclusions, Saint‑Gobain a invoqué devant le Tribunal une violation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006, en soutenant que les motifs de refus d’accès doivent être interprétés de manière stricte. À cet effet, Saint‑Gobain s’est expressément référée à la finalité de ce dernier règlement, à savoir mettre en œuvre la convention d’Aarhus.

53      Or, par la première branche du premier moyen de pourvoi, Saint‑Gobain fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 s’applique aussi bien aux documents établis dans le cadre du processus décisionnel qu’aux documents directement liés aux questions traitées dans ce processus. Saint‑Gobain soutient que cette interprétation est contraire à l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006, lu à la lumière de la convention d’Aarhus, que ce dernier règlement vise à mettre en œuvre, notamment de l’article 4, paragraphe 4, sous a), de celle-ci.

54      Certes, dans sa requête en première instance, Saint‑Gobain n’a pas expressément mentionné l’article 4, paragraphe 4, sous a), de la convention d’Aarhus. Néanmoins, elle a soutenu que l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 adoptée par la Commission n’était pas conforme à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1367/2006.

55      Ainsi, étant donné que la première branche du premier moyen de pourvoi est tirée d’une violation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, l’argumentation soulevée par Saint‑Gobain ne constitue que l’ampliation d’une argumentation déjà développée dans le cadre d’un moyen présenté dans la requête en première instance et ne saurait dès lors pas être considérée comme irrecevable.

56      Enfin, la Commission fait valoir que le pourvoi n’identifie pas avec précision les points contestés de l’arrêt attaqué.

57      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure, les moyens et arguments de droit invoqués doivent identifier avec précision les points de motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés. Un pourvoi qui n’identifie pas les points critiqués de l’arrêt attaqué et l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise est irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, points 95 et 96).

58      Or, en l’espèce, par la première branche du premier moyen, Saint‑Gobain vise expressément les points 80 à 82 ainsi que 87 de l’arrêt attaqué. En outre, dans la mesure où elle reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte de la convention d’Aarhus dans son interprétation de l’article 6 du règlement n° 1367/2006, il lui était manifestement impossible d’identifier des points précis de cet arrêt. Il s’ensuit que le pourvoi répond aux exigences de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure.

59      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

–       Sur le fond

60      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à son considérant 1, le règlement n° 1049/2001 s’inscrit dans la volonté exprimée à l’article 1er, deuxième alinéa, du traité UE, inséré par le traité d’Amsterdam, de marquer une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, dans laquelle les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible des citoyens. Ainsi que le rappelle le considérant 2 dudit règlement, le droit d’accès du public aux documents des institutions se rattache au caractère démocratique de ces dernières (arrêt du 1er juillet 2008, Suède et Turco/Conseil, C‑39/05 P et C‑52/05 P, EU:C:2008:374, point 34).

61      À cette fin, le même règlement vise, comme l’indiquent son considérant 4 et son article 1er, à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

62      Certes, ledit droit d’accès est soumis à des limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé. En particulier, et en conformité avec son considérant 11, le règlement n° 1049/2001 prévoit, à son article 4, un régime d’exceptions autorisant les institutions à refuser l’accès à un document dans le cas où la divulgation de ce dernier porterait atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article (arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P, et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 70 et 71 ainsi que jurisprudence citée).

63      Néanmoins, dès lors que de telles exceptions dérogent au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents, elles doivent être interprétées et appliquées strictement (arrêts du 18 décembre 2007, Suède/Commission, C‑64/05 P, EU:C:2007:802, point 66, ainsi que du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, point 75).

64      S’agissant des informations environnementales détenues par les institutions et organes de l’Union, le règlement n° 1367/2006 poursuit l’objectif, conformément à son article 1er, d’en garantir une mise à disposition et une diffusion systématiques aussi larges que possible (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2016, Commission/Stichting Greenpeace Nederland et PAN Europe, C‑673/13 P, EU:C:2016:889, point 52).

65      Si, conformément à l’article 3 du règlement n° 1367/2006, le règlement n° 1049/2001, et notamment l’article 4 de ce dernier, s’applique, en principe, à toutes les demandes d’accès à de telles informations environnementales détenues par des institutions de l’Union, l’article 6 du règlement n° 1367/2006 ajoute des règles plus spécifiques concernant ces demandes qui, en partie, favorisent et, en partie, restreignent l’accès aux documents (arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 53).

66      En particulier, il ressort de l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006 que, pour ce qui est notamment de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, première phrase, du règlement n° 1049/2001, le motif de refus doit être interprété de manière stricte, compte tenu de l’intérêt public que présente la divulgation et du fait de savoir si les informations demandées ont trait à des émissions dans l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 83).

67      C’est à la lumière de ces dispositions et principes qu’il convient d’examiner la première branche du premier moyen de pourvoi.

68      Aux points 79 à 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, premièrement, que le processus décisionnel en cause en l’espèce était une procédure administrative tendant à allouer d’une manière harmonisée des quotas d’émission à titre gratuit et que, à la date d’adoption de la décision litigieuse, cette procédure administrative n’avait pas encore été close.

69      Deuxièmement, il a relevé que ladite procédure administrative « méritait une protection renforcée ». En effet, il existerait un risque accru que l’accès à des documents internes s’insérant dans la procédure concernée ait des répercussions négatives sur le processus décisionnel. Ces informations pourraient être utilisées par des intéressés pour tenter de façon ciblée d’exercer une influence, ce qui pourrait affecter, en particulier, la qualité de la décision finale.

70      Troisièmement, il a relevé que les procédures administratives sont encadrées par des délais stricts, dont le respect serait menacé si la Commission devait, au cours de la procédure, examiner et répondre à des réactions aux discussions qui ont lieu en son sein.

71      Quatrièmement, il a considéré que l’activité administrative de la Commission n’exige pas un accès aux documents aussi étendu que celui concernant l’activité législative d’une institution de l’Union, lequel, en application du considérant 6 du règlement n° 1049/2001, devrait être plus large.

72      Ensuite, aux points 86 à 90 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argument de Saint‑Gobain selon lequel les informations demandées ne portent pas sur la vérification faite par la Commission de l’information transmise par les États membres conformément à l’article 15, paragraphe 1, de la décision 2011/278, mais sur le tableau transmis par les autorités allemandes à la Commission et ne peuvent donc être considérées comme portant sur le processus décisionnel en lui-même.

73      Afin d’aboutir à une telle conclusion, le Tribunal a considéré que, avec l’utilisation de l’expression « ayant trait à une question », le législateur n’a pas voulu limiter la portée des informations couvertes par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 aux seuls documents établis dans le cadre du processus décisionnel en question et que l’utilisation de cette expression permet également d’appliquer cette disposition aux documents directement liés aux questions traitées dans ce processus.

74      Ainsi, selon le Tribunal, les informations auxquelles Saint-Gobain a demandé à avoir accès étant des informations directement liées à la question examinée dans le cadre du processus décisionnel en cours au moment où la décision litigieuse a été adoptée, elles avaient « trait à une question sur laquelle l’institution n’[avait] pas encore pris de décision ».

75      Il convient de constater que l’interprétation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 effectuée par le Tribunal, en confondant les notions de processus décisionnel et de procédure administrative, aboutit à étendre le champ d’application de l’exception au droit d’accès prévue par cette disposition jusqu’à permettre à une institution de l’Union de refuser l’accès à tout document, y compris ceux contenant des informations environnementales, détenu par celle-ci, dans la mesure où ce document est directement lié aux questions traitées dans le cadre d’une procédure administrative pendante devant cette institution.

76      Or, la notion de « processus décisionnel » visée par cette disposition doit être comprise comme se rapportant à la prise de décision sans couvrir l’intégralité de la procédure administrative ayant abouti à celle-ci.

77      Une telle interprétation résulte, tout d’abord, du libellé même de ladite disposition, qui se réfère aux documents qui ont « trait à une question sur laquelle [l’institution de l’Union] n’a pas encore pris de décision ».

78      Ensuite, cette interprétation répond à l’exigence d’interpréter de manière stricte l’article 4, paragraphe 3, première phrase, du règlement n° 1049/2001, une exigence qui est d’autant plus forte que les documents dont la communication est demandée contiennent des informations environnementales.

79      Enfin, s’agissant de tels documents, ladite interprétation s’impose également au regard de la finalité du règlement n° 1367/2006 qui, selon son intitulé, est d’appliquer aux institutions et aux organes de l’Union les dispositions de la convention d’Aarhus.

80      Certes, l’article 6 de ce règlement se limite à indiquer que l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 doit être interprétée de manière stricte, sans préciser la notion de « processus décisionnel » au sens de cette disposition.

81      Cependant, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 76 de ses conclusions, la convention d’Aarhus dispose, à son article 4, paragraphe 4, sous a), qu’une demande d’informations sur l’environnement peut être rejetée au cas où la divulgation de ces informations aurait des incidences défavorables sur le secret des délibérations des autorités publiques, lorsque ce secret est prévu par le droit interne, et non pas sur l’ensemble de la procédure administrative à l’issue de laquelle ces autorités délibèrent.

82      Dans ce contexte, il y a dès lors lieu de considérer, tout d’abord, que la circonstance rappelée par le Tribunal au point 79 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la procédure administrative en cause n’avait pas encore été close à la date d’adoption de la décision litigieuse ne permet pas, à elle seule, de démontrer qu’il aurait été porté gravement atteinte au processus décisionnel de la Commission en cas de divulgation des documents demandés.

83      Ensuite, contrairement à l’affirmation contenue au point 80 de l’arrêt attaqué selon laquelle la procédure administrative en cause mérite une protection renforcée, c’est en réalité l’obligation d’interprétation stricte de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 qui doit prévaloir, comme le Tribunal lui-même l’a relevé à bon droit au point 63 de l’arrêt attaqué. Ainsi, la simple référence à un risque de répercussions négatives lié à l’accès à des documents internes et à la possibilité que des intéressés puissent exercer une influence sur la procédure ne saurait suffire pour prouver que la divulgation desdits documents porterait gravement atteinte au processus décisionnel de l’institution concernée.

84      En outre, si, selon le considérant 2 du règlement n° 1367/2006, il est nécessaire d’offrir au public de véritables possibilités de participation au processus décisionnel en matière d’environnement, de manière à renforcer l’obligation de rendre compte et la transparence dans le cadre de la prise de décision, ledit règlement n’exige nullement, contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué, que la Commission examine ou réponde aux réactions du public à la suite de la divulgation de documents, contenant des informations environnementales, relatifs à une procédure administrative en cours et révélant les discussions qui ont eu lieu en son sein. Dans ces conditions, il ne saurait dès lors être considéré qu’une telle divulgation met en danger le respect des délais des procédures administratives menées par la Commission.

85      Enfin, il convient de rappeler que, si l’activité administrative de la Commission n’exige pas un accès aux documents aussi étendu que celui concernant l’activité législative d’une institution de l’Union, cela ne signifie aucunement qu’elle échappe au champ d’application du règlement n° 1049/2001, celui-ci s’appliquant, conformément à son article 2, paragraphe 3, à tous les documents détenus par une institution, c’est-à-dire établis ou reçus par elle et en sa possession, dans tous les domaines d’activité de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C‑506/08 P, EU:C:2011:496, points 87 et 88 ainsi que jurisprudence citée).

86      Compte tenu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en n’ayant pas interprété l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement de manière stricte ainsi qu’exigé par l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006, le Tribunal a commis une erreur de droit.

87      Par conséquent, la première branche du premier moyen de pourvoi étant fondée, il convient, sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde branche de celui-ci et le second moyen de pourvoi, d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur les conséquences de l’annulation de l’arrêt attaqué

88      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

89      En l’espèce, il y a lieu pour la Cour de statuer définitivement sur le litige, qui est en état d’être jugé.

90      Dans sa requête en annulation, Saint-Gobain a soulevé deux moyens, le premier étant tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 1, sous d), iii), et l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006.

91      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 25 à 28 du présent arrêt, la Commission a, dans la décision litigieuse, estimé qu’une communication intégrale des informations en cause permettrait au public et, en particulier, aux entreprises concernées de soulever des questions ou de formuler des critiques à l’égard des informations transmises par les États membres, ce qui risquerait d’interférer avec le processus décisionnel tant devant la Commission que devant les États membres. Ces interférences risqueraient, à leur tour, de retarder significativement ledit processus décisionnel et de nuire au dialogue entre la Commission et les États membres. La Commission a également considéré comme pertinente la circonstance qu’elle n’avait pas encore adopté une décision se rapportant auxdites informations et qu’une telle décision, dans les délais impartis, était attendue. Cette institution a ajouté que, en l’espèce, il était essentiel de garantir que la décision en cause puisse être prise en l’absence de toute interférence extérieure et que le climat de confiance entre la Commission et les autorités allemandes soit préservé.

92      Or, compte tenu des motifs figurant aux points 75 à 81 du présent arrêt, de telles considérations ne sont pas de nature à établir que la divulgation des informations environnementales aurait porté gravement atteinte au processus décisionnel de la Commission, au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001, lu à la lumière de l’article 6, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 1367/2006.

93      Par conséquent, il convient d’accueillir le premier moyen du recours en annulation et d’annuler la décision litigieuse, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second moyen de ce recours.

 Sur les dépens

94      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

95      La Commission ayant succombé en ses moyens et Saint‑Gobain ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés tant en première instance que dans la présente procédure de pourvoi par Saint‑Gobain.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 11 décembre 2014, Saint-Gobain Glass Deutschland/Commission (T‑476/12, non publié, EU:T:2014:1059), est annulé.

2)      La décision de la Commission du 17 janvier 2013 refusant l’accès intégral à la liste transmise par la République fédérale d’Allemagne à la Commission, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 15, paragraphe 1, de la décision 2011/278/UE de la Commission, du 27 avril 2011, définissant des règles transitoires pour l’ensemble de l’Union concernant l’allocation harmonisée de quotas d’émission à titre gratuit conformément à l’article 10 bis de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, dans la mesure où ce document contient des informations relatives à certaines installations de Saint-Gobain Glass Deutschland GmbH, situées sur le territoire allemand, concernant des allocations provisoires ainsi que les activités et les niveaux de capacité au regard des émissions de dioxyde de carbone (CO2) pendant les années 2005 à 2010, l’efficacité des installations et les quotas d’émission annuels provisoirement alloués pour la période allant de l’année 2013 à l’année 2020, est annulée.

3)      La Commission européenne est condamnée aux dépens exposés en première instance ainsi que dans la présente procédure de pourvoi par Saint‑Gobain Glass Deutschland GmbH.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.