Language of document : ECLI:EU:C:2013:746

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 14 novembre 2013 (1)

Affaire C‑609/12

Ehrmann AG

contre

Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Protection des consommateurs – Allégations de santé portant sur les denrées alimentaires – Conditions spécifiques – Champ d’application temporel»





I –    Introduction

1.        Par le présent renvoi préjudiciel, le Bundesgerichtshof (Allemagne) demande à la Cour d’interpréter les articles 10, paragraphes 1 et 2, 28, paragraphe 5, et 29 du règlement (CE) no 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (2), tel que modifié par le règlement (UE) no 116/2010 de la Commission, du 9 février 2010 (3) (ci‑après le «règlement no 1924/2006» ou le «règlement»).

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure opposant Ehrmann AG (ci-après «Ehrmann») à la Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs eV (association de lutte contre la concurrence déloyale, ci-après «ZBW») à propos de l’application dans le temps des obligations prévues à l’article 10 du règlement no 1924/2006.

II – Le cadre juridique

A –    La réglementation de l’Union

3.        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1924/2006, prévoit:

«1.      Le présent règlement harmonise les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres qui concernent les allégations nutritionnelles et de santé, afin de garantir le fonctionnement efficace du marché intérieur tout en assurant un niveau élevé de protection des consommateurs.

2.      Le présent règlement s’applique aux allégations nutritionnelles et de santé formulées dans les communications à caractère commercial, qu’elles apparaissent dans l’étiquetage ou la présentation des denrées alimentaires ou la publicité faite à leur égard, dès lors que les denrées alimentaires en question sont destinées à être fournies en tant que telles au consommateur final.»

4.        L’article 2, paragraphe 2, de ce règlement définit quant à lui les notions d’«allégation» et d’«allégation de santé» à ses points 1 et 5:

«1)      ‘allégation’: tout message ou toute représentation, non obligatoire en vertu de la législation communautaire ou nationale, y compris une représentation sous la forme d’images, d’éléments graphiques ou de symboles, quelle qu’en soit la forme, qui affirme, suggère ou implique qu’une denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières;

[...]

5)      ‘allégation de santé’: toute allégation qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé».

5.        L’article 3 dudit règlement, intitulé «Principes généraux applicables à toutes les allégations», est libellé comme suit:

«Des allégations nutritionnelles et de santé ne peuvent être employées dans l’étiquetage et la présentation des denrées alimentaires mises sur le marché communautaire ainsi que dans la publicité faite à l’égard de celles-ci que si elles sont conformes aux dispositions du présent règlement.

Sans préjudice des directives 2000/13/CE et 84/450/CEE, les allégations nutritionnelles et de santé ne doivent pas:

a)      être inexactes, ambiguës ou trompeuses;

[...]»

6.        L’article 10 du même règlement énonce:

«1.      Les allégations de santé sont interdites sauf si elles sont conformes aux prescriptions générales du chapitre II et aux exigences spécifiques du présent chapitre et si elles sont autorisées conformément au présent règlement et figurent sur les listes d’allégations autorisées visées aux articles 13 et 14.

2.      Les allégations de santé ne sont autorisées que si les informations suivantes figurent sur l’étiquetage ou, à défaut d’étiquetage, sont communiquées dans le cadre de la présentation du produit ou de la publicité faite pour celui-ci:

a)      une mention indiquant l’importance d’une alimentation variée et équilibrée et d’un mode de vie sain;

b)      la quantité de la denrée alimentaire concernée et le mode de consommation requis pour obtenir l’effet bénéfique allégué;

c)      s’il y a lieu, une indication à l’attention des personnes qui devraient éviter de consommer la denrée alimentaire en question; et

d)      un avertissement approprié pour ce qui concerne les produits susceptibles de présenter un risque pour la santé en cas de consommation excessive.

3.      Il ne peut être fait référence aux effets bénéfiques généraux, non spécifiques d’un nutriment ou d’une denrée alimentaire sur l’état de santé général et le bien-être lié à la santé que si une telle référence est accompagnée d’une allégation de santé spécifique figurant sur les listes visées à l’article 13 ou 14.

[...]»

7.        L’article 13 du règlement no 1924/2006, intitulé «Allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé infantiles», dispose:

«1.      Les allégations de santé qui décrivent ou mentionnent:

a)      le rôle d’un nutriment ou d’une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l’organisme; ou

b)      les fonctions psychologiques et comportementales; ou

c)      sans préjudice de la directive 96/8/CE, l’amaigrissement, le contrôle du poids, la réduction de la sensation de faim, l’accentuation de la sensation de satiété ou la réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire,

et qui sont indiquées dans la liste prévue au paragraphe 3 peuvent être faites sans être soumises aux procédures établies aux articles 15 à 19, si elles:

i)      reposent sur des preuves scientifiques généralement admises; et

ii)      sont bien comprises par le consommateur moyen.

2.      Au plus tard le 31 janvier 2008, les États membres fournissent à la Commission des listes des allégations visées au paragraphe 1 ainsi que les conditions qui leur sont applicables et les références aux justifications scientifiques pertinentes.

3.      Après consultation de l’Autorité, la Commission adopte, en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 25, paragraphe 3, une liste communautaire destinée à modifier des éléments non essentiels du présent règlement en le complétant, des allégations autorisées visées au paragraphe 1 ainsi que toutes les conditions nécessaires pour l’utilisation de ces allégations, au plus tard le 31 janvier 2010.

[...]»

8.        Aux termes de l’article 28 de ce règlement, consacré aux mesures transitoires:

«1.      Les denrées alimentaires mises sur le marché ou étiquetées avant la date de mise en application du présent règlement qui ne sont pas conformes au présent règlement peuvent être commercialisées jusqu’à la date de leur péremption, mais pas au-delà du 31 juillet 2009. En ce qui concerne l’article 4, paragraphe 1, les denrées alimentaires peuvent être commercialisées jusqu’à vingt-quatre mois après l’adoption des profils nutritionnels correspondants et de leurs conditions d’utilisation.

2.      Les produits portant une marque de fabrique ou un nom commercial existant avant le 1er janvier 2005 et qui ne sont pas conformes au présent règlement peuvent continuer à être commercialisés jusqu’au 19 janvier 2022. Après cette date, les dispositions du présent règlement leur sont applicables.

3.      Les allégations nutritionnelles qui ont été employées dans un État membre avant le 1er janvier 2006 conformément aux dispositions nationales qui leur sont applicables et qui ne figurent pas à l’annexe peuvent continuer à être utilisées jusqu’au 19 janvier 2010, sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire et sans préjudice de l’adoption des mesures de sauvegarde visées à l’article 24.

4.      Les allégations nutritionnelles sous la forme d’images, d’éléments graphiques ou de représentations symboliques qui sont conformes aux principes généraux du présent règlement mais qui ne figurent pas à l’annexe et qui sont utilisées conformément à des conditions et à des critères spécifiques fixés par des dispositions ou des règles nationales sont soumises aux exigences suivantes:

a)      les États membres communiquent à la Commission, au plus tard le 31 janvier 2008, ces allégations nutritionnelles ainsi que les dispositions ou les règles nationales applicables, accompagnées des données scientifiques sur lesquelles ces dispositions ou ces règles sont fondées;

b)      la Commission adopte, en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 25, paragraphe 3, une décision relative à l’utilisation de ces allégations, ayant pour objet de modifier des éléments non essentiels du présent règlement.

Les allégations nutritionnelles non autorisées en vertu de cette procédure peuvent continuer à être utilisées pendant une période de douze mois après l’adoption de la décision.

5.      Les allégations de santé visées à l’article 13, paragraphe 1, point a), peuvent être faites à compter de la date d’entrée en vigueur du présent règlement et jusqu’à l’adoption de la liste visée à l’article 13, paragraphe 3, sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire, à condition qu’elles soient conformes au présent règlement et aux dispositions nationales existantes qui leur sont applicables, sans préjudice de l’adoption des mesures de sauvegarde visées à l’article 24.

[...]»

9.        L’article 29 dudit règlement énonce enfin:

«Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Il est applicable à partir du 1er juillet 2007.

Le présent règlement est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre.»

B –    La réglementation allemande

10.      Le code relatif aux denrées alimentaires, aux produits de consommation courante et aux denrées destinées à l’alimentation animale (Lebensmittel-, Bedarfsgegenstände- und Futtermittelgesetzbuch, ci-après le «LFGB») dispose, à son article 11, intitulé «Dispositions relatives à la protection contre la tromperie», dans sa version applicable au présent litige:

«1)      Il est interdit de commercialiser des denrées alimentaires sous une dénomination trompeuse ou avec des indications ou une présentation trompeuses ou de les promouvoir de façon générale ou dans un cas particulier au moyen de présentations ou d’autres déclarations trompeuses. Il y a tromperie notamment

1.      lorsque sont utilisées, à l’égard d’une denrée alimentaire, des dénominations, indications, présentations, descriptions ou autres déclarations susceptibles d’induire en erreur sur ses caractéristiques, en particulier sur le type, la qualité, la composition, la quantité, la durée de conservation, l’origine, la provenance ou le mode de fabrication ou d’obtention;

[...]»

III – Les faits, la procédure et la question préjudicielle

11.      Il ressort de la décision de renvoi qu’Ehrmann fabrique et distribue des produits laitiers, parmi lesquels figure un fromage blanc aux fruits («Monsterbacke») proposé dans le commerce en unités de six pots de 50 grammes (ci-après le «produit en cause»).

12.      Selon le tableau des valeurs nutritionnelles situé sur le côté de l’emballage, 100 g de ce produit possèdent une valeur calorique de 105 kcal, une teneur en sucre de 13 g, une teneur en lipides de 2,9 g et une teneur en calcium de 130 mg. Dans 100 g de lait de vache, la teneur en calcium est également de 130 mg, tandis que la teneur en sucre est de 4,7 g seulement.

13.      Au cours de l’année 2010, le slogan publicitaire «Aussi important que le verre de lait quotidien!» (ci-après le «slogan litigieux») a été apposé à la surface de chaque unité du produit en cause. L’emballage ne comportait aucune des indications exigées par l’article 10, paragraphe 2, sous a) à d), du règlement no 1924/2006 pour que des allégations de santé puissent être utilisées sur l’étiquetage ou dans la présentation de denrées alimentaires.

14.      ZBW a considéré que le slogan litigieux était trompeur, au motif que la teneur nettement supérieure en sucre du produit en cause par rapport au lait n’y était pas signalée. En outre, ce slogan n’aurait pas été conforme aux articles 9 et 10 du règlement no 1924/2006, dans la mesure où il contiendrait des allégations nutritionnelles et des allégations de santé. À cet égard, la référence au lait indiquerait, au moins indirectement, que le produit en cause contient lui aussi une grande quantité de calcium, si bien que cette mention ne constitue pas une simple indication de qualité, mais promet également au consommateur un avantage en termes de santé.

15.      En conséquence, ZBW a saisi le Landgericht Stuttgart d’un recours en cessation et en remboursement des frais de mise en demeure.

16.      Ehrmann a conclu au rejet de ce recours, en faisant valoir que le produit en cause était une denrée alimentaire alternative, comparable au lait, et que la différence de teneur en sucre avec le lait était trop faible pour être pertinente. En outre, le slogan litigieux n’exprimerait pas une quelconque qualité nutritionnelle spécifique au produit et ne constituerait donc qu’une indication de qualité non couverte par le règlement no 1924/2006. Ehrmann soutenait également que l’article 10, paragraphe 2, de ce règlement n’aurait, en tout état de cause, pas été applicable à la date des faits du litige au principal en vertu de l’article 28, paragraphe 5, dudit règlement.

17.      Le Landgericht Stuttgart a rejeté le recours introduit par ZBW. Saisi en appel, l’Oberlandesgericht Stuttgart a, par contre, fait droit à la demande en cessation et en remboursement des frais de mise en demeure par un arrêt du 3 février 2011.

18.      Selon cette juridiction, le slogan litigieux ne constituait ni une allégation nutritionnelle ni une allégation de santé, au sens du règlement no 1924/2006. Il n’entrait par conséquent pas dans le champ d’application de celui-ci. La juridiction d’appel a cependant considéré que ledit slogan était trompeur, au sens de l’article 11, paragraphe 1, deuxième phrase, point 1, du LFGB, puisque le produit en cause contenait, à quantité égale, une teneur en sucre beaucoup plus élevée que le lait entier.

19.      Un recours en «Revision» a été introduit par Ehrmann à l’encontre de l’arrêt de l’Oberlandesgericht Stuttgart devant la juridiction de renvoi. Selon celle-ci, le slogan litigieux n’est pas trompeur, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du LFGB. Il ne constitue pas non plus une allégation nutritionnelle, au sens de l’article 2, paragraphe 2, point 4, du règlement no 1924/2006, mais bien une allégation de santé, au sens de l’article 2, paragraphe 2, point 5, de ce règlement, et ce conformément à l’arrêt Deutsches Weintor (4). En effet, il suggérerait une relation entre le produit en cause et la santé du consommateur, une telle relation suffisant à constituer une «allégation de santé».

20.      La juridiction de renvoi relève à cet égard que, lors de l’année 2010, date pertinente dans le cadre du litige au principal, aucune des informations mentionnées à l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 ne figurait sur l’étiquetage du produit en cause. Dès lors, confronté à plusieurs interprétations possibles quant à l’applicabilité au moment des faits de cet article, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante: «Les obligations d’information prévues à l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 devaient-elles déjà être observées en 2010?»

21.      Ehrmann et la Commission européenne ont chacune déposé des observations écrites. Une audience de plaidoiries, en présence de ces deux parties, a été organisée le 10 octobre 2013.

IV – Analyse juridique

A –    Observations liminaires sur le rôle de la Cour dans l’application de la règle de droit de l’Union aux faits

22.      La demande de décision préjudicielle comporte une seule question rédigée de façon claire, précise et limitée: aux termes des articles 28 et 29 du règlement no 1924/2006, les obligations prévues à l’article 10, paragraphe 2, dudit règlement étaient-elles applicables en 2010?

23.      Il est évident que cette question n’a de raison d’être qu’à partir du moment où le slogan litigieux correspond à une allégation de santé au sens de ce règlement. Or, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi s’est déjà prononcée à ce sujet. En effet, celle-ci «ne considère pas que le slogan publicitaire est trompeur au sens [de la réglementation nationale]. Selon le Bundesgerichtshof, le slogan ne constitue pas non plus une allégation nutritionnelle au sens de l’article 2, paragraphe 2, point 4, du règlement no 1924/2006, mais constitue en revanche une allégation de santé conformément à l’article 2, paragraphe 2, point 5, dudit règlement» (5).

24.      Le Bundesgerichtshof poursuit en précisant qu’il «parvient à cette conclusion sur la base de l’arrêt [de la Cour] du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor [, précité])» (6).

25.      Toutefois, la question de la définition même de l’«allégation de santé» a été soulevée par les parties au principal, tant dans leurs observations écrites qu’à l’audience. Ehrmann estime que la prémisse du juge de renvoi – selon laquelle le slogan litigieux est une allégation de santé – est erronée. Il appartiendrait à la Cour de l’indiquer à la juridiction de renvoi afin que celle-ci, à la lumière d’une interprétation correcte du règlement no 1924/2006, modifie sa qualification du slogan litigieux.

26.      Je considère au contraire qu’il n’appartient pas, en l’espèce, à la Cour de revenir sur l’appréciation de la juridiction de renvoi, qui a circonscrit le cadre juridique et factuel du litige porté devant elle et n’a pas inclus cet aspect du problème dans sa question.

27.      En effet, la Cour a toujours jugé:

«20      […] dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales telle que prévue à l’article [267 TFUE], il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire pendante devant lui, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour [...].

21      La faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est donc dévolue au seul juge national et les parties ne sauraient en changer la teneur […].

22      Par ailleurs, une modification de la substance des questions préjudicielles [à la demande d’une des parties] ou une réponse aux questions complémentaires mentionnées par les [parties] au principal dans leurs observations serait incompatible avec le rôle dévolu à la Cour par l’article [267 TFUE] ainsi qu’avec l’obligation de la Cour d’assurer la possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées [...]» (7).

28.      Or, suivre la thèse de Ehrmann obligerait la Cour à interpréter la notion d’allégation de santé, c’est‑à‑dire l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement no 1924/2006, alors que cette question n’a pas été soulevée par le Bundesgerichtshof, lequel n’a pas émis de doute dans sa décision de renvoi quant au fait que la mention «Aussi important que le verre de lait quotidien!» était une allégation de santé. Par conséquent, comme la Cour a déjà eu l’occasion de le décider dans des circonstances similaires, j’estime qu’elle n’a pas à se prononcer sur cette question dans le cadre de la présente procédure préjudicielle.

29.      Cette situation est en effet identique à celle rencontrée dans l’affaire Felicitas Rickmers-Linie (8), où la requérante estimait qu’il y avait lieu, avant tout, de répondre à la question se trouvant à la base de la question posée par le Finanzgericht Hamburg et qui était celle de savoir si une opération, comme celle de l’espèce, pouvait être considérée comme une opération imposable au sens de la directive 69/335 du Conseil, du 17 juillet 1969, concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux (JO L 249, p. 25), alors qu’il s’agissait d’une simple fiction du point de vue du droit d’apport et qu’elle ne portait pas atteinte à l’existence ni ne modifiait la structure juridique et économique générale de la société.

30.      Or, face à cette demande, la Cour a jugé que «[c]ette question, qui implique l’interprétation des articles 3, paragraphe 2, et 4 de la directive, n’a cependant pas été soulevée par le Finanzgericht Hamburg, lequel n’a pas émis de doute dans son ordonnance de renvoi quant au fait qu’une opération comme celle de l’espèce est soumise au droit d’apport. Il ne convient donc pas de se prononcer sur cette question dans le cadre de la présente procédure préjudicielle» (9).

31.      Certes, la Cour a précisé que si, «[...] [elle] n’est pas compétente, dans le cadre de l’article [267 TFUE], pour appliquer les règles de droit communautaire à une espèce déterminée [...]» (10), elle peut le cas échéant «[...] fournir à la juridiction nationale tous les éléments d’interprétation du droit communautaire qui pourraient lui être utiles dans l’appréciation des effets des dispositions de celui-ci» (11).

32.      Dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Winner Wetten, l’avocat général Bot écrivait également que, lorsque le bien-fondé d’une appréciation de la juridiction de renvoi pouvait être mis en doute, il était d’avis que, «[...] conformément à l’esprit de coopération qui gouverne la procédure préjudicielle et afin de fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments relatifs à l’interprétation du droit communautaire pouvant lui être utiles pour la solution du litige, la Cour donne à cette juridiction des indications lui permettant d’examiner à nouveau le bien-fondé de sa prémisse» (12).

33.      Cette possibilité ne me semble toutefois pas devoir être appliquée en l’espèce, car, contrairement à Ehrmann, je pense que le Bundesgerichtshof a, sur la base de la jurisprudence actuelle de la Cour, correctement appliqué la notion d’allégation de santé, telle que définie par l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement no 1924/2006.

34.      Par conséquent, il ne m’apparaît pas nécessaire d’éclairer le Bundesgerichtshof sur la notion d’allégation de santé.

35.      Par contre, bien que la question n’ait été que brièvement exposée par la Commission dans ses observations écrites, le choix de la disposition applicable pourrait, lui, être remis en cause.

36.      En effet, comme le relève la Commission, le slogan litigieux pourrait se référer à des effets bénéfiques généraux, non spécifiques, d’une denrée alimentaire (le lait) sur l’état de santé général. Or, un slogan de ce type est interdit par l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 1924/2006, à moins qu’il ne soit accompagné d’une allégation de santé spécifique figurant sur les listes visées à l’article 13 ou 14 dudit règlement, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce. Le problème de l’applicabilité ratione temporis de l’article 10, paragraphe 3, du règlement se poserait alors.

37.      Mais, comme cette question, comme celle posée sur le même sujet par le juge de renvoi pour l’article 10, paragraphe 2, du règlement, ne se posera que si la Cour estime que le Bundesgerichtshof a correctement appliqué la notion d’allégation de santé, j’examinerai en premier lieu, à titre subsidiaire et préalable (puisque j’estime, à titre principal, que la Cour ne devrait pas revenir sur cette question), le problème de la définition de l’allégation de santé. En second lieu, convaincu, au terme de mon analyse, que le slogan litigieux est une allégation de santé au sens du règlement no 1924/2006, j’aborderai la question de l’applicabilité dans le temps de l’article 10 du règlement.

B –    À titre subsidiaire et préalable: sur la notion d’«allégation de santé»

1.      Interprétation large de la notion d’«allégation de santé»

38.      Selon l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement no 1924/2006, l’«allégation de santé» est définie comme étant «toute allégation qui affirme, suggère ou implique l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé».

39.      Cette notion a été interprétée par la Cour, pour la première fois, dans l’arrêt Deutsches Weintor, précité. Ainsi, «[...] il découle du libellé de l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement no 1924/2006 que l’‘allégation de santé’, au sens dudit règlement, est définie à partir de la relation qui doit exister entre une denrée alimentaire ou l’un de ses composants, d’une part, et la santé, d’autre part» (13).

40.      Faute d’éléments d’appréciation plus précis dans le règlement, la Cour constate que «[c]ette définition ne fournit aucune précision ni quant au caractère direct ou indirect que doit revêtir cette relation ni quant à son intensité ou à sa durée [et que,] [d]ans ces conditions, il y a lieu de comprendre le terme ‘relation’ d’une manière large» (14).

41.      Avant d’envisager l’application de cette définition au slogan litigieux, je ferai encore deux observations.

42.      D’une part, la doctrine ne semble pas avoir remis en cause cette interprétation, si pas extensive, à tout le moins large, de la notion d’allégation de santé (15).

43.      D’autre part, la Cour a récemment confirmé son approche de la notion d’allégation de santé dans son arrêt Green – Swan Pharmaceuticals CR (16).

44.      Dans cette affaire, la Cour était appelée à interpréter la notion d’«allégation relative à la réduction d’un risque de maladie» qui est définie, par l’article 2, paragraphe 2, point 6, du règlement no 1924/2006, comme étant «toute allégation de santé qui affirme, suggère ou implique que la consommation d’une catégorie de denrées alimentaires, d’une denrée alimentaire ou de l’un de ses composants réduit sensiblement un facteur de risque de développement d’une maladie humaine».

45.      Malgré la présence du mot «sensiblement» dans la définition, la Cour a estimé qu’«[i]l résulte de l’emploi des verbes ‘suggère ou implique’ que la qualification d’‘allégation relative à la réduction d’un risque de maladie’, au sens de ladite disposition, n’exige pas qu’une telle allégation indique explicitement que la consommation d’une denrée alimentaire réduit sensiblement un facteur de risque de développement d’une maladie humaine. Il suffit que cette allégation puisse produire chez le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé l’impression que la réduction d’un facteur de risque est sensible» (17).

2.      Application de la définition au slogan litigieux

46.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle qu’Ehrmann commercialise un fromage blanc aux fruits sous la dénomination de «Monsterbacke». Le produit est vendu en unités de six pots de 50 grammes. Le slogan publicitaire «Aussi important que le verre de lait quotidien!» est apposé sur la partie supérieure de chaque unité.

47.      Ce slogan exprime donc l’idée que le produit en question a la même importance qu’un verre de lait pour l’alimentation quotidienne.

48.      Tout d’abord, à cet égard, je partage l’idée retenue par la juridiction de renvoi selon laquelle il existe chez le consommateur moyen une présomption – confirmée par la communauté scientifique (18) – au sujet de l’effet bénéfique du lait pour la santé, particulièrement chez les enfants. L’Union européenne elle-même a mis en œuvre un programme «Lait aux écoliers», qui offre depuis 1977 des subventions pour la cession à prix réduits de produits laitiers dans les écoles (19). Ce programme, comme le programme «Fruits à l’école», poursuit le double objectif de contribuer à la stabilisation du marché et de contribuer à une alimentation saine. Dans son rapport spécial no 10/2011 consacré à l’évaluation desdits programmes, la Cour des comptes souligne, «[e]n particulier, le programme ‘Lait aux écoliers’, initialement conçu comme une mesure d’‘écoulement’, a peu à peu vu sa dimension nutritionnelle présentée par la Commission comme son objectif principal» (20).

49.      Si une telle présomption n’existait pas, on pourrait d’ailleurs s’interroger sur l’utilité, pour le producteur, d’apposer un tel slogan sur chacun des pots de fromage blanc qu’il propose à la vente.

50.      Ensuite, l’emploi des termes «aussi important que» implique nécessairement qu’il y ait une relation entre le produit sur lequel le slogan est apposé et le message inscrit sur le produit en cause, c’est‑à‑dire la consommation quotidienne d’un verre de lait.

51.      Le slogan litigieux a donc pour effet, pour reprendre les termes de l’arrêt Green – Swan Pharmaceuticals CR, précité, «[de] produire chez le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé l’impression» (21) que la consommation de ce fromage aux fruits présente, comme le lait, un avantage pour la santé. En d’autres termes, il suggère l’existence d’une relation entre la denrée alimentaire promue et la santé des consommateurs, particulièrement des enfants.

52.      Étant donné que, selon la définition de l’allégation de santé de l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement, telle qu’interprétée par la Cour dans l’arrêt Deutsches Weintor, précité, toute relation – qu’elle soit directe ou indirecte, faible ou intense, brève ou longue – impliquant une amélioration de l’état de santé grâce à la consommation d’une denrée alimentaire entre dans le champ d’application du règlement (22), j’estime que le slogan litigieux entre dans le champ d’application matériel de celui-ci, au titre d’allégation de santé.

53.      Tel ne serait pas le cas d’un slogan du type «un plaisir qui fait du bien» apposé sur une boîte de sachets de thé vert ou «le meilleur du lait et des céréales» sur une barre chocolatée. En effet, de tels slogans – outre le fait pour le premier de recourir à un pléonasme, car le propre du plaisir est de faire du bien – ne contiennent aucune référence à la santé. Le premier renvoie à une impression de bien-être général, tandis que le second implique que le produit en cause a recouru, pour sa fabrication, au meilleur des deux ingrédients le composant (le lait et les céréales).

54.      Cette position est par ailleurs confortée par l’interprétation que la Cour a donnée aux termes «suggérer» et «impliquer» contenus dans la définition des allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie.

55.      En effet, comme je l’ai déjà indiqué précédemment, la Cour a estimé qu’«il résulte de l’emploi des verbes ‘suggère ou implique’ que la qualification d’‘allégations relatives à la réduction d’un risque de maladie’, au sens de [l’article 2, paragraphe 2, point 6, du règlement no 1924/2006], n’exige pas qu’une telle allégation indique explicitement que la consommation d’une denrée alimentaire réduit sensiblement un facteur de risque de développement d’une maladie humaine. Il suffit que cette allégation puisse produire chez le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé l’impression que la réduction d’un facteur de risque est sensible» (23).

56.      Or, le règlement utilise également les verbes «suggérer» et «impliquer» pour définir l’allégation de santé. Par conséquent, si l’on transpose l’interprétation qu’a donnée la Cour à ces deux termes dans l’arrêt Green – Swan Pharmaceuticals CR, précité, cela signifie qu’il suffit qu’une allégation suscite chez le consommateur moyen l’impression de l’existence d’une relation entre, d’une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l’un de ses composants et, d’autre part, la santé, pour être une allégation de santé au sens du règlement.

57.      Dans la mesure où il apparaît, comme expliqué précédemment, que le slogan litigieux est de nature à produire, chez le consommateur moyen, l’impression que la consommation du fromage blanc sur lequel est apposé ledit slogan est bénéfique pour la santé en ce qu’il est aussi important que le verre de lait quotidien, il répond à la définition de l’allégation de santé de l’article 2, paragraphe 2, point 5, du règlement.

58.      Enfin, la possibilité qu’une telle définition de l’allégation de santé puisse entraîner une fragmentation du marché au détriment de l’économie européenne a été évoquée au cours de l’audience du 10 octobre 2013. Je ne pense pas que cela soit le cas.

59.      Premièrement, le fait pour un slogan d’être qualifié d’allégation de santé au sens du règlement no 1924/2006 n’entraîne pas son interdiction. Un tel slogan peut continuer d’être utilisé, et ce sur l’ensemble du territoire de l’Union, si l’étiquetage du produit respecte les conditions fixées par le règlement, notamment à l’article 10.

60.      Deuxièmement, si des divergences d’appréciation peuvent apparaître selon le lieu de consommation du produit, celles-ci sont inhérentes à la décision du législateur de choisir comme critère d’évaluation, «[c]onformément au principe de proportionnalité, et en vue de permettre l’application effective des mesures de protection qui y sont prévues, [...] le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques [...]» (24). Au vu de ce choix, il peut ne pas nécessairement s’agir d’un consommateur moyen unique pour toute l’Union. C’est pourquoi, «[l]a notion de consommateur moyen n’[étant] pas d’ordre statistique» (25), «[l]es juridictions et les autorités nationales devront s’en remettre à leur propre faculté de jugement, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice, pour déterminer la réaction typique du consommateur moyen dans un cas donné» (26).

61.      Troisièmement, il est possible qu’un produit, ou l’un de ses composants, ne possède pas, pour la santé, une connotation positive universelle. Dans ce cas, si son producteur souhaite le commercialiser sur l’ensemble du territoire de l’Union, il fera lui-même le choix de privilégier un packaging différent selon les pays ou d’abandonner le slogan en cause, sans que cela soit imputable au règlement no 1924/2006 ou à la définition de l’allégation de santé qu’il contient.

62.      Selon moi, le slogan litigieux constitue donc bien une allégation de santé au sens du règlement no 1924/2006. Mon analyse me conduit par conséquent à examiner la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi. Si la Cour ne partage pas mon opinion et estime que le slogan litigieux ne relève pas du champ d’application du règlement no 1924/2006, la question préjudicielle en deviendrait hypothétique et elle ne devrait pas y répondre.

C –    L’application dans le temps de l’article 10 du règlement no 1924/2006

1.      Applicabilité de l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 1924/2006?

63.      La question préalable est de savoir si, comme le relève la Commission, la disposition applicable au cas où le slogan litigieux constitue bien une allégation de santé n’est pas le paragraphe 3, de l’article 10 du règlement, plutôt que le paragraphe 2.

64.      C’est évidemment au juge de renvoi qu’il appartient d’apprécier si le slogan litigieux se réfère, selon les termes de l’article 10, paragraphe 3, du règlement, «aux effets bénéfiques généraux, non spécifiques d’un nutriment ou d’une denrée alimentaire sur l’état de santé général et le bien-être lié à la santé» (27).

65.      Si la réponse est positive, le slogan se révélerait contraire au règlement no 1924/2006 dans la mesure où l’article 10, paragraphe 3, dudit règlement est en vigueur depuis le 1er juillet 2007 et qu’il exige que les listes prévues aux articles 13 et 14 aient été publiées, ce qui n’était pas le cas au moment des faits litigieux.

66.      Dans le cas contraire, la réponse à la question préjudicielle serait utile au juge de renvoi.

2.      Conditions de l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 et thèses en présence

67.      L’article 10 du règlement no 1924/2006 stipule que les allégations de santé sont interdites. Pour être licites, elles doivent répondre à trois conditions:

–        être conformes aux prescriptions générales du chapitre II (articles 3 à 7) du règlement no 1924/2006,

–        respecter les exigences spécifiques du chapitre IV (articles 10 à 19) du règlement no 1924/2006,

–        être autorisées conformément au règlement no 1924/2006 et figurer sur les listes d’allégations autorisées visées aux articles 13 et 14 de celui-ci.

68.      Selon la juridiction de renvoi, la première des trois conditions relatives à la licéité des allégations de santé est remplie. Elle considère par contre que la troisième condition n’aurait pu l’être dans la mesure où les listes prévues aux articles 13 et 14 du règlement no 1924/2006 n’étaient pas encore adoptées au moment des faits. Enfin, sur la deuxième condition, elle pose la question préalable de savoir si la disposition de l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 était déjà applicable en 2010, date pertinente pour la résolution du litige.

69.      À ce sujet, trois thèses s’opposent selon le juge de renvoi:

–        selon la première thèse, soutenue par la Commission, l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 est applicable, comme l’ensemble du règlement, depuis le 1er juillet 2007, date fixée par l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement,

–        selon la deuxième thèse, soutenue par Ehrmann, les obligations d’information prévues à l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006 ne s’appliquent qu’à compter du moment où la liste des allégations de santé autorisées est elle-même adoptée conformément à l’article 13, paragraphe 3, du règlement, lesdites listes étant mentionnées au paragraphe 1 de cet article 10,

–        selon la troisième thèse, les dispositions de l’article 10, paragraphe 2, sous a), c) et d), du règlement no 1924/2006 sont applicables depuis le 1er juillet 2007, alors que celles de l’article 10, paragraphe 2, sous b), ne le sont qu’à partir du moment où une liste des allégations de santé autorisées existe.

3.      Appréciation

70.      Je partage l’avis de la Commission en faveur de la première thèse.

71.      Premièrement, si je m’attache au seul texte du règlement, je relève que, selon l’article 29, paragraphe 1, du règlement no 1924/2006, celui-ci est entré en vigueur vingt jours après sa publication au Journal officiel de l’Union européenne et qu’il est, conformément au paragraphe 2 dudit article, applicable depuis le 1er juillet 2007.

72.      Comme le souligne la Commission, cette date d’applicabilité vaut pour le règlement tout entier; aucune dérogation n’est prévue.

73.      Je constate ensuite qu’aucune des dispositions transitoires prévues à l’article 28 du règlement ne prévoit de dérogation à l’article 10, paragraphe 2, de ce règlement.

74.      Les paragraphes 1 et 2 de l’article 28 concernent, d’une part, les denrées alimentaires qui ont été mises sur le marché ou étiquetées avant le 1er juillet 2007 et, d’autre part, les produits portant une marque de fabrique ou un nom commercial existant avant le 1er janvier 2005. Aucune de ces deux situations ne serait rencontrée en l’espèce.

75.      Les paragraphes 3 et 4 ne s’appliquent pas non plus dans la mesure où ils visent exclusivement les allégations nutritionnelles.

76.      Les paragraphes 5 et 6 se rapportent aux allégations de santé, mais seul le paragraphe 5 s’applique au slogan litigieux dans la mesure où il vise les allégations au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous a), c’est‑à‑dire les allégations de santé, qui décrivent ou mentionnent le rôle d’un nutriment ou d’une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l’organisme (28).

77.      Or, selon cette disposition, de telles allégations de santé peuvent être faites à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement et jusqu’à l’adoption de la liste visée à l’article 13, paragraphe 3, sous la responsabilité des exploitants du secteur alimentaire, à condition qu’elles soient conformes au règlement.

78.      Je ne suis pas d’accord avec l’analyse de Ehrmann selon laquelle l’article 28, paragraphe 5, du règlement no 1924/2006 aurait pour effet de suspendre temporairement la condition de l’autorisation prévue à l’article 10, paragraphe 1, et, par voie de conséquence, l’ensemble des obligations qu’il prévoit, en ce compris les informations spécifiques détaillées au paragraphe 2.

79.      Au contraire, dans la mesure où l’article 28, paragraphe 5, du règlement no 1924/2006, d’une part, vise précisément la période antérieure à l’adoption de la liste des allégations autorisées et, d’autre part, rappelle expressément que l’allégation de santé utilisée pendant cette période transitoire devra respecter le règlement dans son ensemble, je ne perçois pas les raisons qui pourraient exclure les obligations prévues à l’article 10, paragraphe 2, du règlement, ni a fortiori une d’entre elles [comme l’article 10, paragraphe 2, sous b), du règlement dans la troisième thèse évoquée par la juridiction de renvoi].

80.      L’argument lié à l’obligation de modifier, à la suite de l’adoption d’une des listes visées à l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1924/2006, l’étiquetage qui aurait respecté l’article 10, paragraphe 2, pendant la période transitoire ne me paraît pas non plus convaincant.

81.      En effet, si l’application de l’article 10, paragraphe 2, du règlement devait être suspendue, une modification de l’étiquette serait de toute façon nécessaire à l’issue de la période transitoire, car soit l’allégation figurerait à partir de ce moment-là sur la liste des allégations autorisées et le producteur devrait alors ajouter les mentions de l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1924/2006, soit l’allégation n’est pas autorisée et le producteur devrait la retirer de l’étiquetage utilisé pendant la période transitoire. Dans les deux hypothèses, il y aura nécessairement une modification. Par conséquent, l’applicabilité de l’article 10, paragraphe 2, du règlement, dès le 1er juillet 2007, ne fait qu’anticiper dans le temps une inscription inéluctable, en cas d’autorisation, des mentions qu’il contient.

82.      Deuxièmement, selon le considérant 1 du règlement, ses objectifs sont d’assurer un niveau élevé de protection du consommateur et de faciliter ses choix en matière de denrées alimentaires.

83.      La présence d’informations obligatoires sur l’étiquetage participe à la réalisation de ces objectifs. Comme le mentionne à juste titre la Commission, ces informations ne sont pas seulement d’un intérêt primordial pour le consommateur lorsque la denrée alimentaire fait l’objet d’une publicité utilisant une allégation de santé figurant déjà dans les listes d’allégations autorisées conformément aux articles 13 et 14 du règlement, mais aussi, voire plus, lorsqu’une allégation de santé est utilisée sur la base des dispositions transitoires de l’article 28, paragraphes 5 et 6, du règlement, avant son éventuelle autorisation future pour l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

84.      Outre le fait qu’elle respecte la lettre du règlement, l’interprétation de l’article 10, paragraphe 2, du règlement selon laquelle les obligations d’information qu’il contient étaient applicables dès le 1er juillet 2007 est donc également conforme aux objectifs du législateur.

85.      Troisièmement, l’interprétation systématique du texte conforte, elle aussi, la thèse d’une application de l’article 10, paragraphe 2, du règlement en 2010.

86.      Selon l’article 10, paragraphe 1, du règlement, le principe est l’interdiction des allégations de santé. Pour déroger à cette règle, celles‑ci doivent tout d’abord être conformes aux prescriptions générales du chapitre II du règlement, ensuite conformes aux exigences spécifiques du chapitre IV et, enfin, être autorisées conformément au règlement et figurer sur les listes d’allégations autorisées visées aux articles 13 et 14.

87.      L’article 10, paragraphe 1, du règlement énonce donc une série de conditions qui, à défaut de précision en sens contraire, apparaissent comme étant cumulatives et d’importance égale.

88.      Les orientations annexées à la décision d’exécution 2013/63/UE de la Commission, du 24 janvier 2013, portant adoption d’orientations aux fins de l’application des conditions spécifiques concernant les allégations de santé énoncées à l’article 10 du règlement, le confirment en précisant, à propos de l’application de l’article 10 du règlement, que, «même autorisées, les allégations de santé ne peuvent être utilisées si leur utilisation n’est pas pleinement conforme à l’ensemble des dispositions du règlement; de ce fait, même si une allégation est autorisée et figure sur la liste des allégations de santé autorisées, les autorités nationales doivent intervenir si son utilisation n’est pas conforme à l’ensemble des dispositions du règlement» (29).

89.      On ne saurait déduire de la troisième condition posée à l’article 10, paragraphe 1, à savoir que les allégations sont autorisées et «figurent sur les listes d’allégations autorisées visées aux articles 13 et 14», que l’article 10, paragraphe 2, ne s’applique que si ces listes existent.

90.      L’article 10, paragraphe 2, du règlement précise en effet les exigences qui doivent être remplies lors de l’utilisation concrète d’une allégation de santé. Or, certaines allégations de santé peuvent être utilisées sur la base des dispositions transitoires de l’article 28, paragraphes 5 et 6, du règlement, avant toute autorisation à l’échelle de l’Union, et donc pas uniquement après leur autorisation et leur inscription dans les listes d’allégations autorisées.

91.      Je rejoins dès lors la Commission lorsque celle‑ci expose, dans ses observations écrites, qu’avec ces dispositions le règlement tient compte du fait que des allégations de santé étaient déjà utilisées dans l’étiquetage de denrées alimentaires dans les États membres au moment de l’entrée en vigueur du règlement et qu’il prévoit des mesures transitoires adéquates «pour permettre aux exploitants du secteur alimentaire de s’adapter aux exigences du [...] règlement» (30), tout en respectant l’intérêt du consommateur.

92.      Ce sont notamment les allégations au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous a), du règlement qui peuvent, en vertu de l’article 28, paragraphe 5, être utilisées à partir de l’entrée en vigueur du règlement et jusqu’à l’adoption de la liste visée à l’article 13, paragraphe 3, lorsqu’elles sont conformes aux exigences du règlement, dont l’article 10, paragraphe 2, fait partie.

93.      Dans l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1924/2006, la règle étant l’interdiction des allégations de santé et l’exception leur autorisation, une disposition transitoire qui permet leur utilisation, alors que l’ensemble des conditions fixées par l’article 10, paragraphe 1, du règlement ne sont pas réunies, ne peut être interprétée que restrictivement. Par conséquent, l’article 28, paragraphe 5, du même règlement ne visant que l’existence de la liste visée à l’article 13, on ne saurait l’étendre aux conditions spécifiques de l’article 10, paragraphe 2, fût-ce partiellement (comme dans la troisième thèse exposée par la juridiction de renvoi). Le fait que le producteur ne connaisse pas les conditions d’utilisation qui seront fixées dans la liste visée à l’article 13 du règlement ne me semble pas empêcher la détermination de «la quantité de la denrée alimentaire concernée et [du] mode de consommation requis pour obtenir l’effet bénéfique allégué», seule exigence de l’article 10, paragraphe 2, sous b) (que la troisième thèse exposée par la juridiction de renvoi ne rend pas applicable à partir du 1er juillet 2007).

94.      Dans le cadre d’une interprétation systématique du règlement, on ne peut donc analyser isolément la relation entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 10. Il faut, au contraire, prendre en considération le fait que l’utilisation d’allégations de santé – que l’article 10, paragraphe 2, soumet à des obligations d’information spécifiques – est permise en vertu d’autres dispositions du règlement.

95.      En outre, l’article 19 du règlement prévoit que le demandeur ou l’utilisateur d’une allégation figurant dans l’une des listes prévues aux articles 13 et 14 peut demander une modification de la liste concernée.

96.      Il résulte de cet article que les listes visées à l’article 10, paragraphe 1, du règlement ne sont pas définitivement figées une fois adoptées, mais peuvent, au contraire, évoluer.

97.      Dans une vue d’ensemble du règlement, cette possibilité d’évolution des listes des allégations autorisées plaide également pour une application dans le temps de l’article 10, paragraphe 2, indépendante de l’adoption des listes visées au paragraphe 1. Il serait en effet incohérent et contraire à l’objectif de protection du consommateur poursuivi par le règlement no 1924/2006 de suspendre les obligations d’informations spécifiques prévues à l’article 10, paragraphe 2, du règlement dans l’attente de l’adoption des listes des allégations autorisées, alors que ces listes seront elles-mêmes appelées à évoluer.

4.      Synthèse

98.      Eu égard aux considérations qui précèdent et conformément à l’interprétation textuelle, téléologique et systématique des articles 10, paragraphes 1 et 2, 28, paragraphe 5, et 29 du règlement no 1924/2006, je considère que les articles 10, paragraphe 2, et 28, paragraphe 5, doivent être interprétés en ce sens que les obligations d’information contenues à l’article 10, paragraphe 2, doivent être respectées depuis le 1er juillet 2007.

V –    Conclusion

99.      En conséquence, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle que le Bundesgerichtshof lui a posée:

«Les articles 10, paragraphe 2, et 28, paragraphe 5, du règlement (CE) no 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, tel que modifié par le règlement (UE) no 116/2010 de la Commission, du 9 février 2010, doivent être interprétés en ce sens que les obligations d’information contenues à l’article 10, paragraphe 2, doivent être respectées depuis le 1er juillet 2007.»


1 – Langue originale: le français.


2 – JO L 404, p. 9, et rectificatif JO 2007, L 12, p. 3.


3 – JO L 37, p. 16.


4 –      Arrêt du 6 septembre 2012 (C‑544/10, point 34).


5 –      Point 9 de la demande de décision préjudicielle, c’est moi qui souligne,


6 –      Ibidem (point 9).


7 –      Arrêt du 15 octobre 2009, Hochtief et Linde-Kca-Dresden (C‑138/08, Rec. p. I‑9889, points 20 à 22). Voir, également, arrêt du 14 avril 2011, Vlaamse Dierenartsenvereniging et Janssens (C‑42/10, C‑45/10 et C‑57/10, Rec. p. I‑2975, points 42 à 44).


8 –      Arrêt du 15 juillet 1982 (270/81, Rec. p. 2771).


9 –      Ibidem (point 9).


10 – Arrêt du 18 décembre 2007, Asociación Profesional de Empresas de Reparto y Manipulado de Correspondencia (C‑220/06, Rec. p. I‑12175, point 36).


11 –      Ibidem (point 36).


12 –      Point 35 de ses conclusions présentées le 26 janvier 2010 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 8 septembre 2010, Winner Wetten (C‑409/06, Rec. p. I‑8015).


13 –      Arrêt précité (point 34).


14 –      Ibidem (point 34), c’est moi qui souligne.


15 –      À propos de cette notion d’«allégation de santé», Sébastien Roset évoque ainsi un «bel exemple de ces notions ouvertes ou ‘catch all’ au contenu juridique plus qu’imprécis et destiné à appréhender le maximum de situations factuelles susceptibles de nuire à la protection des consommateurs». Selon cet auteur, la Cour a donc privilégié une «conception large de la notion, comme l’y invitait la lettre de l’article 2 [du règlement]» (c’est moi qui souligne, Roset, S., «Santé publique: publicité et étiquetage des alcools et protection des consommateurs», Europe, 2012, novembre, comm. 430). Voir, également, Prouteau, J., «Santé publique et libertés économiques: une nouvelle illustration d’une conciliation favorable à la santé publique», Revue Lamy Droit des affaires, 2012, no 77, p. 66 à 68; Van der Meulen, B., et van der Zee, E., «‘Through the Wine Gate’ First Steps towards Human Rights Awareness in EU Food (Labelling) Law», European food and feed law review, 2013, no 1, p. 41 à 52, spécialement p. 44.


16 –      Arrêt du 18 juillet 2013 (C‑299/12, point 22).


17 –      Ibidem (point 24), c’est moi qui souligne.


18 –      Voir, notamment, en ce sens, le communiqué de l’Académie nationale de médecine (France) relatif aux produits laitiers, adopté le 1er avril 2008 (Bull. Acad. Méd. 2008, tome 192, no 4, p. 723 à 730) et les principes directeurs pour l’alimentation des enfants âgés de 6 à 24 mois qui ne sont pas allaités au sein de l’Organisation mondiale de la santé.


19 –      Voir règlement (CE) no 657/2008 de la Commission, du 10 juillet 2008, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne l’octroi d’une aide communautaire pour la cession de lait et de certains produits laitiers aux élèves dans les établissements scolaires (JO L 183, p. 17).


20 –      Rapport spécial no 10/2011 de la Cour des comptes, «Les programmes ‘Laits aux écoliers’ et ‘Fruits à l’école’ sont-ils efficaces?», p. 5.


21 –      Point 24 de l’arrêt.


22 –      Point 34 de l’arrêt.


23 –      Arrêt Green – Swan Pharmaceuticals CR, précité (point 24); c’est moi qui souligne.


24 –      Considérant 16 du règlement no 1924/2006.


25 –      Idem.


26 –      Idem.


27 – «En effet, si, en l’état du dossier, ladite prémisse est sujette à discussion, elle peut également être confirmée par le juge national» (conclusions présentées par l’avocat général Bot dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Winner Wetten, précité, point 36).


28 –      L’article 28, paragraphe 6, du règlement est quant à lui relatif aux allégations de santé autres que celles visées aux articles 13, paragraphe 1, sous a), et 14.


29 –      JO L 22, p. 25. Voir, spécialement, introduction des orientations, deuxième alinéa, dernière phrase.


30 –      Considérant 35 du règlement no 1924/2006.