Language of document : ECLI:EU:C:2012:176

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme Verica Trstenjak

présentées le 28 mars 2012 (1)

Affaire C‑171/11

Fra.bo SpA

contre

Deutsche Vereinigung des Gas- und Wasserfaches eV (DVGW) — Technisch-Wissenschaftlicher Verein

[demande de décision préjudicielle formée par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne)]

«Article 34 TFUE — Libre circulation des marchandises — Effet direct horizontal de la libre circulation des marchandises — Élaboration de normes techniques par une association de droit privé — Certification de produits par cette association — Présomption légale que les produits certifiés correspondent aux spécifications en vigueur pour leur utilisation — Entrave considérable à la commercialisation des produits non certifiés»





I –    Introduction

1.        En l’espèce, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (Allemagne) cherche tout d’abord à savoir si une association de droit privé qui élabore notamment des normes techniques pour des produits du domaine de la fourniture d’eau potable et certifie ou fait certifier des produits sur le fondement de ces normes techniques doit respecter la libre circulation des marchandises lors de l’exercice de ces activités lorsqu’il existe une présomption légale que les produits dotés de tels certificats correspondent aux spécifications en vigueur pour l’utilisation de ces produits dans le domaine de la fourniture d’eau potable. Ce faisant, la juridiction de renvoi aborde la question controversée de l’effet direct horizontal des libertés fondamentales en général et de la libre circulation des marchandises en particulier. Si, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, il convenait de répondre par la négative à cette question de l’effet direct horizontal, la juridiction de renvoi voudrait savoir, à titre subsidiaire, si l’activité de l’association en cause peut tomber sous le coup de l’interdiction des ententes prévue à l’article 101 TFUE.

2.        Ci-après, j’examinerai tout d’abord la question de savoir si les activités de normalisation et de certification d’une association de droit privé, en cause au principal, peuvent relever de la libre circulation des marchandises. Comme, selon moi, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, il convient de répondre par l’affirmative à cette question de l’effet direct horizontal de la libre circulation des marchandises, je n’examinerai pas la seconde question, posée à titre subsidiaire.

II – Le droit national

3.        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement relatifs aux conditions générales de la fourniture d’eau (Verordnung über Allgemeine Bedingungen für die Versorgung mit Wasser, ci-après l’«AVBWasserV») (2), du 20 juin 1980, est libellé comme suit:

«Lorsque des entreprises de fourniture d’eau utilisent pour le raccordement au réseau public de fourniture d’eau et pour la fourniture d’eau au public des modèles de contrat ou de conditions générales formulés de manière identique pour grand nombre de contrats (conditions générales de vente), il convient d’appliquer les articles 2 à 34. Ces dispositions font partie intégrante du contrat de fourniture, à moins que le paragraphe 3 et l’article 35 n’en disposent autrement.»

4.        Sous l’intitulé «Installation client», l’article 12 de l’AVBWasserV, dans la version en vigueur jusqu’au 27 janvier 2010, disposait:

«(1) L’abonné est responsable du montage, de l’extension, de la modification et de l’entretien de l’installation située après le point de raccordement du bâtiment, à l’exception du dispositif de mesure de la consommation de l’entreprise de fourniture d’eau. S’il a loué à un tiers, ou mis d’une autre manière à la disposition d’un tiers, l’installation ou des parties de celle-ci, il est responsable en plus de ce tiers.

(2) Il est possible de procéder au montage, à l’extension, à la modification et à l’entretien de l’installation uniquement en respectant les dispositions du présent règlement et d’autres dispositions légales ou administratives ainsi que les règles reconnues de la technique. […]

[…]

(4) Seuls peuvent être employés des matériaux et appareils conformes conçus selon les règles reconnues de la technique. La marque d’homologation d’un organisme de contrôle reconnu (par exemple DIN DVGW, DVGW ou GS) atteste que ces conditions sont remplies.

[…]»

5.        Le règlement du 13 janvier 2010 a modifié comme suit l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV, à compter du 28 janvier 2010:

«Seuls peuvent être employés des matériaux et appareils conformes aux règles reconnues de la technique. En présence d’un marquage CE attestant la conformité pour l’emploi dans le domaine de l’eau potable, les conditions prévues à la première phrase sont réputées remplies. Lorsqu’aucun marquage CE n’est prescrit, lesdites conditions sont également réputées remplies lorsque le produit ou l’appareil porte la marque d’homologation d’un organisme de certification accrédité du secteur, notamment DIN DVGW ou DVGW. Les produits et les appareils qui

1.      ont été fabriqués conformément au droit dans un autre État membre de l’Espace économique européen ou

2.      ont été fabriqués ou mis sur le marché conformément au droit dans un autre État membre de l’Union européenne ou en Turquie

et qui ne satisfont pas aux spécifications des marques d’homologation au sens de la troisième phrase sont considérés comme équivalents, y compris les contrôles et vérifications effectués dans les États cités ci-dessus, lorsqu’ils permettent d’atteindre aussi durablement le niveau de protection requis en Allemagne.»

III – La procédure au principal et les questions préjudicielles

6.        La requérante au principal est une entreprise établie en Italie qui produit et distribue des raccords en cuivre. Ces raccords en cuivre sont des éléments reliant deux tubes de canalisation qui sont dotés de joints en élastomère à leurs extrémités afin d’assurer l’étanchéité.

7.        Le défendeur est le Deutscher Verein des Gas- und Wasserfaches eV (ci‑après «DVGW»), une association déclarée de droit allemand, dont, d’après le statut, l’objectif est la promotion de la profession du gaz et de l’eau. Il établit, dans le cadre d’une procédure formalisée, des normes techniques pour des produits du secteur du gaz et de l’eau. La fiche technique W 534, élaborée par DVGW, est la norme technique applicable pour l’utilisation, dans le domaine de la fourniture d’eau potable, des raccords fabriqués par la requérante au principal.

8.        À la fin de l’année 1999, la requérante a introduit auprès de DVGW une demande de certification du raccord en cuivre en question pour le secteur de l’eau. DVGW a chargé la Materialprüfungsanstalt Darmstadt (ci-après la «MPA Darmstadt»), organisme qu’il a lui-même agréé, d’effectuer les contrôles prévu par la fiche technique W 534. La MPA Darmstadt a, à son tour, sous-traité à Cerisie Laboratorio (ci-après «CL»), en Italie, qui n’est pas agréée par DVGW mais l’est bien par les autorités italiennes compétentes. À la suite de cela, en novembre 2000, DVGW a délivré à la requérante au principal un certificat limité à cinq ans pour le secteur de l’eau.

9.        À la suite d’objections émises par des tiers, DVGW a ouvert une procédure de contrôle complémentaire dont a été chargée, une fois de plus, la MPA Darmstadt. Le «test ozone» faisait également partie de ces contrôles. En juin 2005, il a informé la requérante au principal que le raccord n’avait pas passé le test ozone, mais que, comme le prévoyait ses règles, celle-ci disposait de trois mois pour présenter un rapport de contrôle positif. DVGW n’a pas accepté un rapport de contrôle effectué par CL présenté à la suite de cela par la requérante au principal, au motif qu’il n’avait pas agréé CL en tant qu’organisme de contrôle.

10.      Dans l’intervalle, la fiche technique W 534 avait été modifiée dans le cadre d’une procédure formalisée, à laquelle la requérante au principal n’avait pas participé. Afin de garantir une durée de vie plus longue des produits certifiés, un «test des 3 000 heures» avait été introduit, consistant à soumettre le matériau à une température de 110 degrés centigrades pendant 3 000 heures dans de l’eau bouillante. Selon les règles du DVGW, les titulaires de certificats sont tenus de faire une demande de certification complémentaire dans un délai de trois mois après l’entrée en vigueur de la modification de la fiche technique applicable, afin de prouver le respect des prescriptions modifiées. La requérante au principal n’a pas fait une telle demande. Dans le cadre de la procédure au principal, il est établi que son raccord ne satisfait pas aux prescriptions du test des 3 000 heures.

11.      En juin 2005, DVGW a retiré son certificat à la requérante au principal au motif qu’elle ne lui avait pas présenté de rapport positif de test des 3 000 heures. Il a rejeté une demande de prorogation du certificat au motif qu’il n’existait plus de certificat susceptible d’être prorogé.

12.      La requérante au principal a formé un recours contre le retrait et le refus de prorogation du certificat devant le Landgericht Köln, qui l’a rejeté. Elle a fait appel de cette décision de rejet devant la juridiction de renvoi.

13.      Comme la juridiction de renvoi a des doutes quant au point de savoir si DVGW doit respecter des prescriptions du droit de l’Union dans le cadre de son activité d’élaboration de norme et de certification et, en cas de réponse par l’affirmative, lesquelles il doit respecter, elle a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 28 CE (nouvel article 34 TFUE), le cas échéant en liaison avec l’article 86, paragraphe 2, CE (article 106, paragraphe 2, TFUE), doit-il être interprété en ce sens que, lors de l’établissement de normes techniques, ainsi que lors de la procédure de certification, des organismes de droit privé créés aux fins d’établir des normes techniques dans un domaine déterminé, ainsi que de certifier des produits selon ces normes, sont tenus de respecter lesdites dispositions lorsque le législateur national considère expressément les produits dotés de certificats comme conformes à la loi, ce qui a pour effet, au minimum, d’entraver considérablement la commercialisation de produits qui ne sont pas dotés de ce certificat?

2)      S’il convenait de répondre par la négative à la première question:

L’article 81 CE (article 101 TFUE) doit-il être interprété en ce sens que l’activité d’un organisme de droit privé décrit plus précisément à la première question dans le domaine de l’établissement de normes techniques et de la certification de produits selon ces normes techniques doit être considérée comme ‘économique’ lorsque l’organisme est contrôlé par des entreprises?

S’il convenait de répondre par l’affirmative à la partie ci-dessus de la question:

L’article 81 CE doit-il être interprété en ce sens que l’établissement de normes techniques et la certification selon ces normes par une association d’entreprises est de nature à entraver les échanges entre les États membres lorsqu’un produit fabriqué conformément à la loi et commercialisé dans un autre État membre ne peut pas être commercialisé ou que sa commercialisation est considérablement entravée dans l’État membre d’importation parce qu’il ne satisfait pas aux prescriptions de la norme technique et qu’il est pratiquement impossible de le commercialiser sans un tel certificat compte tenu de la prédominance de la norme technique sur le marché et d’une disposition du législateur national prévoyant qu’un certificat de l’association d’entreprises témoigne du respect des prescriptions légales et lorsque la norme technique, si elle avait été édictée directement par le législateur national, serait inapplicable pour cause de violation des principes de libre circulation des marchandises?»

IV – La procédure devant la Cour

14.      La décision de renvoi, datée du 30 mars 2011, est parvenue au greffe de la Cour de justice de l’Union européenne le 11 avril 2011. La requérante au principal, DVGW, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la Commission européenne et l’Autorité de surveillance de l’EEE ont présenté des observations. Les représentants de la requérante au principal, de DVGW, de la République fédérale d’Allemagne, du Royaume des Pays-Bas, de la Commission et de l’Autorité de surveillance de l’EEE ont participé à l’audience du 15 février 2012.

V –    Les arguments des parties

15.      En réponse à la première question préjudicielle, la requérante au principal, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume des Pays-Bas, la Commission et l’Autorité de surveillance de l’EEE considèrent que, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, DVGW est tenu de respecter la libre circulation des marchandises. Toutefois, le gouvernement allemand souligne que DVGW pourrait invoquer la protection de la santé au sens de l’article 36 TFUE pour justifier une limitation éventuelle de la libre circulation des marchandises et qu’il conviendrait de lui accorder une large marge d’appréciation à cet égard. Dans ce contexte, DVGW souligne aussi qu’il est possible de justifier des limitations de la libre circulation des marchandises par des raisons de santé publique.

16.      Seuls la requérante au principal, DVGW et la Commission proposent une réponse à la seconde question. Ce faisant, la requérante au principal et la Commission parviennent à la conclusion que les conditions d’interdiction des ententes en vertu de l’article 101 TFUE, mentionnées dans cette question préjudicielle seraient remplies. En revanche, DVGW suggère de répondre par la négative à la seconde question préjudicielle.

VI – Appréciation en droit

A –    La première question préjudicielle

17.      En posant sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir en substance si, et dans quelles conditions, un organisme national de droit privé qui élabore des normes techniques pour des produits du domaine de la fourniture d’eau potable et, sur le fondement de ces normes, teste et certifie ou fait certifier des produits doit, lors de l’exercice de cette activité, respecter les prescriptions du droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises lorsque les normes techniques de cet organisme ne représentent pas seulement des connaissances techniques, mais que les produits testés et certifiés sont également présumés conformes à la loi, si bien qu’il est pratiquement impossible de commercialiser des produits qui ne sont pas dotés d’un tel certificat.

18.      Afin de mieux comprendre cette question, j’aborderai tout d’abord les aspects de la demande de décision préjudicielle liés aux questions de normalisation. Puis, j’analyserai la jurisprudence de la Cour relative à l’effet direct horizontal des libertés fondamentales. Sur le fondement de ces réflexions, je répondrai ensuite à la question de l’applicabilité de la libre circulation des marchandises à DVGW dans un cas comme celui de l’affaire au principal.

1.      Les aspects liés aux questions de normalisation

a)      Les prescriptions du droit de l’Union dans le contexte des normes harmonisées et des normes techniques nationales relatives aux produits de construction

19.      L’introduction de normes techniques de produits applicables dans toute l’Union, le contrôle strict de leur respect et le marquage des produits conformes à ces normes techniques sont une contribution importante pour atteindre un niveau élevé de sécurité des produits dans l’Union européenne. Le remplacement de normes techniques nationales divergentes par des prescriptions techniques applicables dans toute l’Union favorise en même temps la libre circulation des marchandises à l’intérieur de celle-ci. C’est pourquoi l’unification des normes techniques de produits est un objectif important du législateur de l’Union. À cet effet, à partir du milieu des années 80, il a adopté une nouvelle approche («new approach») en matière d’harmonisation technique et de normalisation. Ainsi, le législateur fixe dans des «directives nouvelle approche» les exigences fondamentales auxquelles les produits relevant de ces directives doivent satisfaire. Ces exigences générales sont précisées par des organismes de normalisation privés qui élaborent, pour le compte de la Commission, des spécifications techniques qui peuvent ensuite être publiées, par la Commission, en tant que normes harmonisées au Journal officiel de l’Union européenne. Le respect et l’utilisation de telles normes par les fabricants sont facultatifs. Toutefois, il existe une présomption réfragable que les produits conformes aux normes harmonisées satisfont également aux exigences fondamentales de la directive correspondante (3).

20.      Dans le domaine des produits de construction, c’est la directive 89/106/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les produits de construction (4), qui vise au rapprochement des prescriptions techniques et des normes. Cette directive s’écarte de la «nouvelle approche» en ce qu’elle ne comporte pas d’exigences directes pour les produits de construction, mais énonce à l’annexe I les exigences essentielles applicables aux ouvrages (5). Ces exigences essentielles produisent des effets pour les produits de construction en ce sens que ceux-ci doivent permettre que les ouvrages dans lesquels ils sont intégrés satisfassent aux exigences énoncées à l’annexe I de la directive 89/106.

21.      Les exigences directes pour les produits de construction ressortent des spécifications techniques définies à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 89/106 et donc surtout des normes européennes harmonisées (6). Cela signifie que les dispositions de la directive 89/106, dont l’applicabilité est subordonnée à l’existence de spécifications techniques, ne peuvent normalement trouver à s’appliquer à certains produits de construction que si, et dans la mesure où, il existe une norme européenne harmonisée pour ces produits de construction (7). Cela concerne notamment l’interdiction de faire obstacle prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/106 (8).

22.      Toutefois, l’absence de spécifications techniques harmonisées ou reconnues au niveau de l’Union pour certains produits de construction n’accorde pas aux États membres une latitude illimitée pour introduire des normes techniques nationales concernant la commercialisation de tels produits. Au contraire, un État membre ne peut soumettre la mise sur le marché sur son territoire d’un produit de construction, non couvert par des spécifications techniques harmonisées ou reconnues au niveau de l’Union, qu’à des dispositions nationales qui soient conformes aux obligations découlant du traité, notamment au principe de la libre circulation des marchandises énoncé aux articles 34 TFUE et 36 TFUE (9).

b)      Les normes techniques harmonisées et les normes techniques nationales de produits de construction en cause dans l’affaire au principal

23.      Dans l’affaire au principal, la requérante au principal a soutenu que le raccord qu’elle fabrique relèverait de la norme européenne harmonisée EN 681‑1 relatives aux joints en élastomère, qui concernerait des exigences fondamentales de la directive 89/106. Toutefois, sur le fondement de son constat des faits, la juridiction de renvoi est parvenue à la conclusion que les raccords en cause ne relèvent d’aucune norme européenne harmonisée.

24.      Il est établi dans l’affaire au principal que l’utilisation des raccords en cause dans le domaine de la fourniture d’eau potable relève au niveau national d’une norme technique élaborée par DVGW, à savoir, la «fiche technique W 534» de DVGW.

25.      Les fiches techniques de DVGW ont une nature juridique hybride. D’une part, elles expriment des règles techniques élaborées par une association de droit privé. De ce point de vue, ces fiches techniques apparaissent comme la formulation des connaissances techniques dans le domaine du gaz et de l’eau rassemblées par DVGW. D’autre part, les normes de DVGW produisent des effets juridiques non négligeables dans le domaine de la fourniture d’eau potable. En effet, d’après l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV, les produits utilisés pour le montage, l’extension, la modification et l’entretien d’installations clients raccordées au réseau public de fourniture d’eau sont réputés conformes aux règles reconnues de la technique lorsqu’ils ont été certifiés par la marque d’homologation de DVGW. En outre, l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV oblige, indirectement (10), l’abonné à l’égard de l’entreprise de fourniture d’eau à utiliser, pour son installation située après le point de raccordement du bâtiment, uniquement des produits et appareils qui respectent les règles reconnues de la technique. Dans ce contexte, d’après la juridiction de renvoi, la disposition de l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV rend la commercialisation en Allemagne de tuyauteries et de produits connexes de distribution d’eau potable pratiquement impossible en l’absence de certification par DVGW.

26.      DVGW procède à la certification des produits sur le fondement des normes techniques qu’il a élaborées, ce qu’il a fait directement jusqu’en 2007 et fait par l’intermédiaire d’une filiale à 100 % depuis lors. Les certificats ont une validité limitée à quelques années et peuvent être retirés avant terme si la norme n’est plus respectée. Pendant cette période, il est également possible d’ouvrir une procédure de contrôle complémentaire qui peut aboutir au retrait du certificat. Selon les règles de DVGW, les contrôles nécessaires ne peuvent être effectués que dans des laboratoires agréés par celui-ci.

2.      La jurisprudence relative à l’effet direct horizontal des libertés fondamentales

27.      Dans le contexte de la nature juridique hybride, déjà évoquée, de la fiche technique W 534 de DVGW, la juridiction de renvoi demande en posant sa première question si, malgré sa forme juridique d’association de droit privé, DVGW est tenu de respecter les prescriptions du droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises dans le cadre de l’élaboration la fiche technique W 534, ainsi que lors de la certification de produits pour la fourniture d’eau potable sur le fondement de cette norme. Ainsi, la juridiction de renvoi pose la question de l’effet direct horizontal de la libre circulation des marchandises dans un cas comme celui de l’affaire au principal.

28.      Pour répondre à cette question, il me paraît tout d’abord opportun de rappeler la jurisprudence de la Cour relative à l’effet direct horizontal des libertés fondamentales.

a)      L’effet direct horizontal des libertés fondamentales

29.      Les États membres sont les principaux destinataires des libertés fondamentales, si bien que, en principe, seules des mesures nationales peuvent être appréciées directement à l’aune des libertés fondamentales (11). Toutefois, dans une jurisprudence constante, la Cour a tendance à donner une interprétation large à la notion de mesures nationales, à cet égard, il n’est pas nécessaire qu’une personne ou un organisme relève formellement de la puissance publique ou ait un statut de droit public pour que ses actes soient assimilés à des mesures des États membres relevant du champ d’application des libertés fondamentales. Ainsi, la Cour examine aussi la compatibilité avec les libertés fondamentales des mesures prises par des organisations professionnelles lorsque le droit national a accordé des prérogatives de puissance publique à ces organisations (12). En outre, peuvent également être considérés comme des mesures publiques imputables aux États membres les actes de personnes morales constituées sous le régime du droit privé qui sont contrôlées directement ou indirectement par l’État membre en cause (13).

30.      De plus, une tendance décelable dans la jurisprudence de la Cour consiste, à la suite de cette interprétation large de la notion de mesures nationales, et de l’extension qui en découle de la définition de l’atteinte aux libertés fondamentales, à étendre indirectement, dans certaines circonstances, le champ d’application des libertés fondamentales aux actes de particuliers, même lorsque ceux-ci n’exercent pas de prérogatives similaires à des prérogatives de puissance publique.

31.      Cela s’exprime notamment dans la jurisprudence de la Cour selon laquelle, dans certaines conditions, les États membres sont tenus en vertu du droit de l’Union de protéger l’exercice des libertés fondamentales contre des entraves illicites imposées par des particuliers. Les arrêts du 9 décembre 1997, Commission/France (14), et du 12 juin 2003, Schmidberger (15), comptent sans doute parmi les arrêts les plus connus dans le cadre de cette jurisprudence. En fin de compte, ces arrêts impliquent que, dans certaines conditions, les actes de particuliers peuvent, par le biais de l’obligation incombant aux États membres de protéger les libertés fondamentales et, donc, indirectement, être appréciés à l’aune des libertés fondamentales (16).

32.      Outre cette extension indirecte du champ d’application des libertés fondamentales aux actes de particuliers, la Cour a aussi considéré que les libertés fondamentales étaient directement applicables à certains types de réglementations collectives adoptées par des particuliers. Ainsi, dans le cadre d’une jurisprudence désormais constante, la Cour juge que les articles 45 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE ne régissent pas seulement l’action des autorités publiques, mais s’étendent également aux réglementations d’une autre nature qui visent à régler, de façon collective, le travail salarié, le travail indépendant et les prestations de services (17).

33.      Il découle notamment de cette jurisprudence qu’il est possible de vérifier la compatibilité avec lesdites libertés fondamentales des règles convenues par les partenaires sociaux et fixées dans une convention collective (18). En outre, dans l’arrêt de principe Viking Line, la Cour a constaté que des actions collectives engagées par un syndicat ou un groupement de syndicats, qui ne constituent pas des entités de droit public, à l’encontre d’une entreprise privée aux fins d’amener cette dernière à conclure une convention collective dont le contenu est de nature à la dissuader de faire usage de la liberté d’établissement, relèvent du champ d’application des dispositions du droit primaire relatives à la liberté d’établissement (19).

34.      Une telle application directe des libertés fondamentales à certains types de réglementations collectives de nature non publique conduit à imposer aux organisations qui élaborent de telles réglementations, même si elles ne constituent pas des entités de droit public, de respecter les libertés fondamentales dès lors que cette activité concerne l’exercice desdites libertés. Cela est généralement désigné par l’expression «effet direct horizontal des libertés fondamentales». Toutefois, comme, d’après cette jurisprudence, l’effet direct horizontal concerne les particuliers uniquement dans le contexte d’une activité de réglementation bien définie, il s’agit d’un effet direct horizontal limité.

35.      Néanmoins, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, avec l’arrêt Angonese, très remarqué, la Cour a fait un pas important vers l’imposition aux particuliers du respect des libertés fondamentales en dehors du cas de figure de l’élaboration de certains types de conventions collectives. En effet, dans cet arrêt, la Cour est parvenue, de manière générale, à la conclusion que l’interdiction de la discrimination sur le fondement de la nationalité, énoncée à l’article 45 TFUE, s’applique également aux personnes privées (20). Toutefois, jusqu’à présent, cet arrêt n’a été confirmé expressément que dans l’arrêt Raccanelli (21).

b)      Les atteintes aux libertés fondamentales par des particuliers et leurs justifications

36.      Dès lors que certains types de réglementations collectives de nature non publique relèvent du champ d’application des libertés fondamentales, toute mesure ou disposition contenue dans ces réglementations collectives, qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, des libertés fondamentales garanties par le traité doit être considérée comme une atteinte illicite à la liberté fondamentale concernée (22).

37.      Pour justifier de telles atteintes aux libertés fondamentales, en principe illicites, par des réglementations collectives élaborées par des particuliers, il est possible d’invoquer, d’une part, les motifs de justification «écrits» prévus expressément dans le traité et, d’autre part, des raisons impérieuses d’intérêt général, «non écrites», au sens de la jurisprudence Cassis de Dijon. Les motifs de justification écrits et les raisons impérieuses d’intérêt général ont ceci de commun qu’ils ne peuvent jouer que si les atteintes à justifier résistent à l’examen de proportionnalité (23) et paraissent donc appropriées, nécessaires et mesurées pour atteindre les objectifs reconnus en tant que motifs de justification par les traités ou la jurisprudence de la Cour (24).

38.      Il reste encore à répondre à la question de savoir si, pour justifier des limitations des libertés fondamentales par des réglementations collectives, il est possible, outre les motifs de justification écrits et les raisons impérieuses d’intérêt général, de faire valoir d’autres motifs de justification. À cet égard, deux tendances ressortent de la jurisprudence de la Cour. Dans la plupart des arrêts, la Cour demande la preuve de l’existence d’un motif de justification écrit ou d’une raison impérieuse d’intérêt général reconnue pour justifier des atteintes aux libertés fondamentales par certains types de réglementations collectives de nature non publique (25), toutefois, dans d’autres arrêts, elle n’a pas exclu une justification de telles atteintes pour des raisons spécifiques relevant d’un intérêt privé (26).

39.      La Cour est allée encore un peu plus loin dans l’arrêt Angonese, où elle a compensé partiellement l’extension à des particuliers du champ d’application de la libre circulation des travailleurs, à laquelle elle procédait, par une extension des motifs de justification. D’après cet arrêt, en effet, une restriction à la libre circulation des travailleurs par des particuliers ne pourrait être justifiée que si elle était fondée sur des considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l’objectif légitimement poursuivi (27). Toutefois, il reste encore à savoir dans quelles mesures des «considérations objectives» peuvent aussi être invoquées pour justifier des limitations des libertés fondamentales par certains types de réglementations collectives de nature non publique.

3.      L’obligation de DVGW de respecter la libre circulation des marchandises dans un cas comme celui de l’affaire au principal

40.      Dans le contexte de cette analyse de la jurisprudence relative à l’effet direct horizontal des libertés fondamentales, il convient en fin de compte de répondre par l’affirmative à la première question de la juridiction de renvoi, demandant si, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, lors de l’élaboration de ses normes techniques et de la certification de produits sur le fondement de ces normes, DVGW est tenu de respecter la libre circulation des marchandises.

41.      Pour répondre à la première question préjudicielle, il convient tout d’abord de souligner que, par le biais de la disposition de l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV, le législateur national a donné à DVGW la possibilité d’élaborer des réglementations techniques produisant une présomption légale de conformité de produits pour le montage, l’extension, la modification et l’entretien d’installations d’eau potable situées après le point de raccordement du bâtiment. En ce qui concerne les raccords en cause dans l’affaire au principal, DVGW a fait usage de cette possibilité en établissant la fiche technique W 534 et a ainsi acquis une compétence de fait pour déterminer quels raccords peuvent, en Allemagne, être mis sur le marché des tuyauteries et produits connexes de distribution d’eau potable. En effet, d’après la juridiction de renvoi, les effets combinés de la disposition de l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV et de l’activité de certification de DVGW ou de sa filiale à 100 % sur le fondement de la fiche technique W 534 rendent la commercialisation en Allemagne de tuyauteries et de produits connexes de distribution d’eau potable pratiquement impossible en l’absence de certification par DVGW (28).

42.      Compte tenu de cette compétence de fait dont disposent DVGW et sa filiale à 100 % pour déterminer quels produits pour le montage, l’extension, la modification ou l’entretien d’installations d’eau potable situées après le point de raccordement du bâtiment ont des chances de se vendre sur le marché allemand et, donc, peuvent être commercialisés, leur activité de normalisation et de certification ne peut pas être exclue du champ d’application de la libre circulation des marchandises.

43.      Pour justifier cet effet direct horizontal de la libre circulation des marchandises, il est possible d’appliquer par analogie l’argumentation de la Cour concernant l’applicabilité des articles 45 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE aux réglementations d’une autre nature qui visent à régler le travail salarié, le travail indépendant et les prestations de services.

44.      Au préalable, il convient d’observer que, dans le cadre de sa jurisprudence relative à l’effet direct horizontal limité de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services, la Cour ne s’est pas encore prononcée expressément sur la question de savoir si la libre circulation des marchandises et la libre circulation des capitaux peuvent également trouver à s’appliquer à des réglementations collectives de nature non publique. Toutefois, selon moi, il convient de répondre à cette question par l’affirmative. En effet, la Cour justifie l’applicabilité de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d’établissement et la libre prestation de services à des réglementations collectives de nature non publique qui ont pour objet le travail salarié, le travail indépendant et les prestations de services essentiellement en se fondant sur les effets de ces réglementations collectives. De ce point de vue, il serait difficilement concevable de considérer que, dans certaines conditions, la libre circulation des travailleurs, la liberté d’établissement et la libre prestation de services sont directement applicables à des réglementations collectives de nature non publique, mais de refuser catégoriquement que la libre circulation des marchandises et la libre circulation des capitaux le soient (29).

45.      Dans ce contexte, aucune objection de principe ne s’oppose à la transposition de l’argumentation développée dans la jurisprudence relative à l’effet direct horizontal limité de la libre circulation des travailleurs, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services à un cas comme celui de l’espèce, qui soulève la question de l’applicabilité de la libre circulation des marchandises à une association de droit privé dotée d’une compétence normative de fait.

46.      Dans une jurisprudence constante, la Cour fait observer, comme premier argument justifiant l’effet direct horizontal des articles 45 TFUE, 49 TFUE et 56 TFUE à l’égard de certains types de réglementations collectives de nature non publique, que l’abolition entre les États membres des obstacles aux libertés de circulation et à la libre prestation des services serait compromise si l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l’exercice de leur autonomie juridique par des associations ou des organismes ne relevant pas du droit public (30).

47.      Dans le contexte de la présente affaire, cet argument tiré de l’effet utile du droit de l’Union est transposable à l’activité de normalisation et de certification de DVGW et de sa filiale à 100 %. En effet, comme cela ressort de la demande de décision préjudicielle, en adoptant des normes et en certifiant des produits pour le montage, l’extension, la modification et l’entretien d’installations d’eau potable situées après le point de raccordement du bâtiment, DVGW peut, de fait, déterminer quels produits ont accès au marché allemand. Par conséquent, dans le cadre de l’exercice de cette compétence de fait, DVGW et sa filiale à 100 % sont tout à fait en mesure de mettre en place de nouvelles barrières à la libre circulation des marchandises.

48.       Dans une jurisprudence constante, comme deuxième argument justifiant l’effet direct horizontal des articles 45 TFUE à l’égard de réglementations collectives régissant le travail indépendant, la Cour souligne que, les conditions de travail dans les différents États membres étant régies tantôt par la voie de dispositions d’ordre législatif ou réglementaire, tantôt par des conventions collectives et d’autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées, une limitation des interdictions prévues à l’article 45 TFUE aux actes de l’autorité publique risquerait de créer des inégalités quant à son application (31).

49.      Dans un cas comme celui de l’affaire au principal, cet argument est également transposable à l’activité de normalisation et de certification de DVGW et de sa filiale à 100 % dans le domaine de la fourniture d’eau potable. Comme je l’ai déjà exposé, le fait que les raccords en cause en l’espèce ne relèvent d’aucune norme européenne harmonisée dans le domaine de l’eau potable ne signifie pas que les États membres disposent d’une latitude illimitée pour élaborer des normes techniques nationales concernant de tels raccords. Au contraire, lors de l’établissement de normes nationales, ils sont tenus de tenir compte des obligations résultant de la libre circulation des marchandises (32). Si, lors de l’élaboration et de l’application de normes techniques, les États membres pouvaient contourner cette obligation de respecter les libertés fondamentales par le biais d’un transfert de fait de compétences à des associations de droit privé, cela déboucherait sur une application non uniforme du droit de l’Union. En effet, dans les États membres où la compétence de normalisation et de certification resterait réservée aux pouvoirs publics en tant que mission publique, cette compétence devrait être exercée dans le respect des libertés fondamentales. En revanche, dans les États membres où cette mission serait transférée de fait à une association de droit privé, les libertés fondamentales resteraient privées d’effet à cet égard.

50.      Ces considérations me conduisent à conclure qu’il convient de répondre ainsi à la première question préjudicielle que l’article 34 TFUE doit être interprété en ce sens que des organismes de droit privé créés aux fins de l’élaboration de normes techniques dans un domaine déterminé et de la certification de produits sur le fondement de ces normes techniques doivent respecter l’article 34 TFUE lors de l’exercice de cette activité de normalisation et de certification lorsque le législateur national considère expressément comme conformes à la loi les produits dotés d’un certificat de ces organismes de droit privé et que, par conséquent, la commercialisation de produits qui ne sont pas dotés d’un tel certificat est pratiquement impossible.

4.      Considérations relatives aux conséquences juridiques qu’entraîne pour DVGW l’obligation de respecter la libre circulation des marchandises

51.      Même si la juridiction de renvoi n’a pas demandé expressément d’éclaircissements concernant les conséquences juridiques qui, dans un cas comme celui de l’affaire au principal, résultent de l’obligation de DVGW et de sa filiale à 100 %, de respecter la libre circulation des marchandises dans le contexte de l’élaboration de la fiche technique W 534 et de la certification de produits sur le fondement de cette norme technique, j’aborderai brièvement quelques problèmes importants qui, compte tenu des indications de la juridiction de renvoi, pourraient se poser dans la suite de la procédure au principal.

a)      L’obligation de DVGW de respecter la libre circulation des marchandises dans le cadre de son activité de normalisation

52.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, après avoir délivré le certificat, pour le secteur de l’eau, aux raccords de la requérante au principal, DVGW a modifié la fiche technique W 534 et introduit le test des 3 000 heures. Comme la requérante n’a présenté de rapport attestant que ses raccords avaient passé avec succès le test des 3 000 heures, le certificat a été retiré en juin 2005 (33).

53.      Comme le démontre clairement l’exemple des raccords de la requérante au principal, l’introduction du test des 3 000 heures dans la fiche technique W 534 est susceptible d’empêcher la réalisation de la libre circulation des marchandises en ce qui concerne les produits relevant de cette norme technique. Comme les raccords de la requérante au principal n’ont pas passé ce test, ou comme aucune preuve pertinente n’a été présentée, le certificat pour les raccords a été retiré, si bien que la requérante au principal, établie en Italie, ne pouvait, de fait, pratiquement plus commercialiser ces raccords sur le marché allemand.

54.      De ce point de vue, l’introduction du test des 3 000 heures dans sa fiche technique W 534 doit être considérée comme une atteinte à la libre circulation des marchandises de la part de DVGW. La juridiction de renvoi ne voit pas de justification de cette atteinte par l’un des motifs «écrits» prévus à l’article 36 TFUE, d’autant moins que le test des 3 000 heures viserait non pas la protection de la santé du consommateur d’eau potable, mais plutôt la prolongation de la durée de vie des tuyauteries (34).

55.      En revanche, il reste à savoir si une justification de cette atteinte pourrait résulter des raisons impérieuses d’intérêt général, non écrites, reconnues par la jurisprudence, qui résisteraient aussi à un examen de proportionnalité. En tant que limitation non discriminatoire, il serait a priori possible de la justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général. Dès lors que DVGW serait en mesure de prouver l’existence d’un motif de justification non écrit qui résisterait à l’examen de proportionnalité, il conviendrait de considérer l’introduction du test des 3 000 heures dans la fiche technique W 534 comme une limitation licite de la libre circulation des marchandises.

56.      Si DVGW n’était pas en mesure de prouver l’existence de l’un des motifs de justification non écrits reconnus par la jurisprudence, il pourrait essayer de faire valoir des raisons spécifiques relevant d’un intérêt privé en mettant en avant son caractère d’organisme de droit privé (35). En invoquant l’arrêt Angonese, précité, DVGW pourrait peut-être aussi avancer des «considérations objectives» pour justifier la limitation en cause (36). De surcroît, DVGW pourrait, en faisant valoir son caractère d’organisme de droit privé, invoquer la protection des droits consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (37), par exemple la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16, et essayer de démontrer l’existence d’un conflit entre la libre circulation des marchandises et un ou plusieurs droits fondamentaux qu’il convient de résoudre équitablement sur le fondement du principe de proportionnalité (38).

57.      Si DVGW avançait de manière convaincante des raisons spécifiques relevant d’un intérêt privé, des «considérations objectives» ou des intérêts protégés par des droits fondamentaux pour justifier l’atteinte à la libre circulation des marchandises causée par l’introduction du test des 3 000 heures dans la fiche technique W 534, la juridiction de renvoi devrait adresser une nouvelle demande de décision préjudicielle à la Cour et demander de manière fondée des indications sur le point de savoir si, et dans quelles conditions, les arguments avancés par DVGW pourraient être valables dans un cas comme celui de l’affaire au principal. En effet, au vu de la jurisprudence actuelle relative à l’effet direct horizontal des libertés fondamentales et des rapports entre les libertés fondamentales et les droits fondamentaux, selon moi, il est impossible de déduire de manière indubitable la réponse à cette question de la jurisprudence de la Cour.

b)      L’obligation de DVGW de respecter la libre circulation des marchandises dans le cadre de son activité de certification

58.      Il ressort en outre de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de la procédure de contrôle complémentaire concernant le certificat déjà accordé pour les raccords en cause de la requérante au principal, DVGW a refusé de prendre en compte le rapport de contrôle de CL, au motif qu’il n’aurait pas agréé celui-ci. La juridiction de renvoi indique en même temps que CL aurait été agréé par les autorités italiennes compétentes (39).

59.      Dans un cas comme celui de l’affaire au principal, un tel refus absolu de prendre en compte le rapport de contrôle de CL me paraît susceptible d’empêcher la réalisation de la libre circulation des marchandises en ce qui concerne les raccords en cause ou de rendre son exercice moins intéressant, si bien qu’il convient d’assimiler ce refus à une atteinte, en principe illicite, à la libre circulation des marchandises (40).

60.      S’agissant de la justification de cette atteinte, je renvoie à mes observations aux points 54 et suivants des présentes conclusions, toutefois, il convient de prendre en compte la tendance discriminatoire liée à ce refus. Cette tendance discriminatoire serait importante notamment si DVGW fondait sa tentative de justification sur une raison impérative d’intérêt général. En effet, jusqu’à présent, la Cour n’a pas tranché expressément le point de savoir si, et dans quelles conditions, des atteintes discriminatoires à la libre circulation des marchandises sont susceptibles d’être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général (41). Si cette question se posait concrètement dans la suite de la procédure au principal, la juridiction de renvoi devrait adresser à ce sujet une nouvelle demande de décision préjudicielle à la Cour et demander également de manière fondée des indications sur ce point.

B –    La seconde question préjudicielle

61.      Comme la seconde question préjudicielle n’a été posée que pour le cas d’une réponse par la négative à la première question, au vu de ma proposition de réponse à la première question, il n’y a pas lieu de l’examiner.

VII – Conclusion

62.      Sur le fondement des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par l’Oberlandesgericht Düsseldorf:

«Des organismes de droit privé créés aux fins d’établir des normes techniques dans un domaine déterminé, ainsi que de certifier des produits sur le fondement de ces normes, sont tenus de respecter l’article 34 TFUE lors de l’exercice de cette activité de normalisation et de certification lorsque le législateur national considère expressément les produits dotés de certificats de ces organismes de droit privé comme conformes à la loi et que, par conséquent, il est pratiquement impossible de commercialiser des produits qui ne sont pas dotés d’un tel certificat.»


1 —      Langue originale: l’allemand.


2 — BGBl. I p. 750, 1067.


3 —      Voir, à cet égard, mes conclusions du 28 avril 2010 dans l’affaire Latchways et Eurosafe Solutions (arrêt du 21 octobre 2010, C‑185/08, Rec. p. I‑9983, points 57 et suiv. des conclusions).


4 —      JO 1989 L 40, p. 12, telle que modifiée par la directive 93/68/CEE du Conseil, du 22 juillet 1993 (JO L 220, p. 1, ci-après la «directive 89/106»).


5 —      Article 3, paragraphe 1, de la directive 89/106.


6 —      Voir à cet égard Jarass, H., «Probleme des Europäischen Bauproduktenrechts», NZBau, 2008, p. 145 et 146.


7 —      Idem, p. 147 et suiv. Lorsqu’il n’existe pas de norme européenne harmonisée pour un produit déterminé, il reste bien sûr possible de faire relever ce produit du champ d’application des principales obligations imposées par la directive 89/106 en demandant un agrément technique européen.


8 —      L’article 6, paragraphe 1, de la directive 89/106 prévoit, au premier alinéa, que les États membres ne font pas obstacle à la libre circulation, à la mise sur le marché ou à l’utilisation sur leur territoire des produits qui satisfont aux dispositions de la présente directive. D’après le second alinéa de cette disposition, les États membres veillent à ce que l’utilisation de tels produits, conformément à leur destination, ne soit pas interdite par des règles ou conditions imposées par des organismes publics ou des organismes privés agissant en qualité d’entreprises publiques ou d’organismes publics du fait de leur position de monopole.


9 —      Arrêt du 10 novembre 2005, Commission/Portugal (C‑432/03, Rec. p. I‑9665, point 35).


10 —      Dans une lettre du 13 janvier 2012, en réponse à une question écrite de la Cour concernant les destinataires et la nature juridique de l’obligation résultant de l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV, le gouvernement allemand a précisé que cette disposition fait partie intégrante du contrat de raccordement au réseau public de fourniture d’eau, à moins que les parties n’en conviennent autrement. À cet égard, l’article 12, paragraphe 4, de l’AVBWasserV imposerait à l’abonné une obligation envers l’entreprise de fourniture d’eau.


11 —      En ce qui concerne la libre circulation des marchandises, voir arrêts du 1er octobre 1987, van Vlaamse Reisbureaus (311/85, Rec. p. 3801, point 30), et du 6 juin 2002, Sapod Audic (C‑159/00, Rec. p. I‑5031, point 74).


12 —      Voir arrêt du 18 mai 1989, Association of Pharmaceutical Importers e.a. (266/87 et 267/87, Rec. p. 1295, points 13 et suiv.), dans lequel la Cour est parvenue à la conclusion que les actes de l’organisation professionnelle des pharmaciens britanniques peuvent, compte tenu des pouvoirs conférés à celle-ci, constituer des mesures au sens de l’article 34 TFUE. La Cour est parvenue à la même conclusion dans l’arrêt du 15 décembre 1993, Hünermund e.a. (C‑292/92, Rec. p. I‑6787, points 12 et suiv.) en ce qui concerne des actes de la chambre professionnelle des pharmaciens du Land de Bade-Wurtemberg.


13 —      Voir, à cet égard, arrêts de la Cour du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne (C‑325/00, Rec. p. I‑9977, points 14 et suiv.), et du 12 décembre 1990, Hennen Olie (C‑302/88, Rec. p. I‑4625, points 13 et suiv.).


14 —      C‑265/95, Rec. p. I‑6959. La Cour y a notamment constaté que la République française avait enfreint les dispositions du droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises en s’abstenant de prendre toutes les mesures nécessaires et proportionnées afin d’empêcher des actes de violence commis en France par des particuliers contre des produits agricoles en provenance d’autres États membres et entravant le commerce entre États membres de ces produits.


15 —      C‑112/00, Rec. p. I‑5659. Dans cet arrêt la Cour a constaté que le fait que la République d’Autriche n’a pas interdit un rassemblement de particuliers sur l’autoroute du Brenner, qui a provoqué un blocage de la circulation complet pendant presque 30 heures et a donc gêné considérablement le trafic transfrontalier de marchandises, était incompatible avec les dispositions du droit primaire relatives à la libre circulation des marchandises.


16 —      L’avocat général Kokott interprète cette jurisprudence en ce sens qu’il est possible d’attribuer à un État membre le comportement de particuliers qui n’ont pas agi sous la direction de l’État, dès lors que l’État membre était tenu à une obligation positive de juguler ce comportement privé; voir conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire AGM-COS.MET (arrêt du 17 avril 2007, C‑470/03, Rec. p. I‑2749, point 78 des conclusions).


17 —      Voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, dit «Viking Line» (C‑438/05, Rec. p. I‑10779, point 33). Voir, en outre, arrêts du 10 mars 2011, Casteels (C‑379/09, Rec. p. I‑1379, point 19); du 16 mars 2010, Olympique Lyonnais (C‑325/08, Rec. p. I‑2177, point 30); du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission (C‑519/04 P, Rec. p. I‑6991, point 24); du 19 février 2002, Wouters e.a. (C‑309/99, Rec. p. I‑1577, point 120); du 15 décembre 1995, Bosman (C‑415/93, Rec. p. I‑4921, point 82), et du 12 décembre 1974, Walrave et Koch (36/74, Rec. p. 1405, points 16 et suiv.).


18 —      Voir arrêt Casteels (précité à la note 17, points 17 et suiv.).


19 —      Arrêt Viking Line (précité à la note 17, point 37).


20 —      Arrêt du 6 juin 2000, Angonese (C‑281/98, Rec. p. I‑4139, point 36).


21 —      Arrêt du 17 juillet 2008 (C‑94/07, Rec. p. I‑5939, point 46).


22 —      Voir arrêts Olympique Lyonnais (précité à la note 17, points 33 et suiv.), et Casteels (précité note 17, point 22).


23 —      En ce qui concerne les motifs de justification écrits de l’article 36 TFUE, la Cour juge dans le cadre d’une jurisprudence constante que le principe de proportionnalité est à la base de la dernière phrase de l’article 36 TFUE; voir arrêts du 19 juin 2008, Nationale Raad van Dierenkwekers en Liefhebbers et Andibel (C‑219/07, Rec. p. I‑4475, point 30), et du 14 décembre 2000, Commission/France (C‑55/99, Rec. p. I‑11499, point 29). En outre, la Cour a constaté de manière générale qu’une mesure restrictive des libertés fondamentales garanties par le traité ne peut être justifiée que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et respecte le principe de proportionnalité. Voir arrêts du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal (C‑100/01, Rec. p. I‑10981, point 43); du 16 février 2006, Öberg (C‑185/04, Rec. p. I‑1453, point 19), et Rockler (C‑137/04, Rec. p. I‑1441, point 22).


24 —      Même si, en règle générale, la Cour ne mentionne expressément que les caractères approprié et nécessaire en tant que parties intégrantes du principe de proportionnalité, en principe, dans le cadre de l’examen de proportionnalité, il convient de se fonder sur une analyse en trois étapes qui comprend également l’examen du caractère mesuré. Concernant cette structure ternaire de l’examen de proportionnalité, voir mes conclusions du 8 mars 2011 dans l’affaire Commission/Autriche (arrêt du 16 juin 2011, C‑10/10, Rec. p. I‑5389, points 67 et suiv. des conclusions).


25 —      Voir arrêts Viking Line (précité à la note 17, points 75 et suiv.), et Casteels (précité à la note 17, points 30 et suiv.).


26 —      Voir, notamment, arrêt Olympique Lyonnais (précité à la note 17, points 38 et suiv.), dans lequel la Cour est partie du principe qu’une règle de la charte du football professionnel de la fédération française de football pouvait être justifiée par son objectif consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs, à condition de respecter le principe de proportionnalité. Voir également arrêt Bosman (précité à la note 17, points 106 et suiv.), dans lequel la Cour a examiné une atteinte à la libre circulation des travailleurs par les règles de transfert par rapport à l’objectif poursuivi consistant à assurer le maintien d’un équilibre entre les clubs, en préservant une certaine égalité des chances et l’incertitude des résultats, ainsi qu’à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs.


27 —      Arrêt Angonese (précité à la note 20, point 42).


28 —      Voir point 25 des présentes conclusions.


29 —      Comme le dit justement Forsthoff, U., dans Grabitz/Hilf/Nettesheim, Das Recht der Europäischen Union, article 45 TFUE, point 176 (46e mise à jour, octobre 2011).


30 —      Arrêts du 18 décembre 2007, Laval un Partneri (C‑341/05, Rec. p. I‑11767, point 98); Viking Line (précité à la note 17, point 57); Wouters e.a. (précité à la note 17, point 120), Bosman (précité à la note 17, point 83), et Walrave (précité à la note 17, points 16 et suiv.).


31 —      Arrêts Bosman (précité à la note 17, point 84), et Olympique Lyonnais (précité à la note 17, point 31).


32 —      Voir point 22 des présentes conclusions.


33 —      Voir points 8 et suiv. des présentes conclusions.


34 —      Voir p. 11 et suiv. de la décision de renvoi.


35 —      Voir, à cet égard, point 38 des présentes conclusions et arrêts cités à la note 26.


36 —      Voir, à cet égard, point 39 des présentes conclusions.


37 —      Voir, à cet égard, notamment Forsthoff, précité à la note 29, point 181.


38 —      En ce qui concerne la résolution de conflits entre des libertés fondamentales et des droits fondamentaux, voir mes conclusions du 14 avril 2010 dans l’affaire Commission/Allemagne (arrêt du 15 juillet 2010, C‑271/08, Rec. p. I‑7087, points 178 et suiv. des conclusions).


39 —      Décision de renvoi, p. 4.


40 —      Voir, à cet égard, arrêts du 17 septembre 1998, Harpegnies (C‑400/96, Rec. p. I‑5121, point 35), et Commission/Portugal (précité à la note 9, points 41 et 46).


41 —      Concernant ce problème, voir mes conclusions du 16 décembre 2010 dans l’affaire Commission/Autriche (arrêt du 21 décembre 2011, C‑28/09, Rec. p. I‑13525, points 81 et suiv.).