Language of document : ECLI:EU:C:2009:632

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

15 octobre 2009 (*)

«Manquement d’État – Directive 93/36/CEE – Marchés publics de fournitures – Fourniture d’un logiciel pour la gestion de l’immatriculation de véhicules automobiles – Procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché»

Dans l’affaire C‑275/08,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 24 juin 2008,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Wilms et D. Kukovec, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma et N. Graf Vitzthum, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts (rapporteur), président de la troisième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász, J. Malenovský et T. von Danwitz, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 juin 2009,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, la Datenzentrale Baden-Württemberg (ci-après la «DZBW») ayant attribué un marché de fourniture d’un logiciel pour la gestion de l’immatriculation de véhicules automobiles par une procédure négociée sans publication d’un avis de marché, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO L 199, p. 1).

 Le cadre juridique

 La directive 89/665

2        Il ressort des deuxième et troisième considérants de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO L 395, p. 33), que la finalité de cette directive est d’assurer l’application des règles communautaires en matière de marchés publics par des moyens de recours efficaces et rapides, en particulier à un stade où les violations peuvent encore être corrigées.

3        À cette fin, l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 dispose:

«1.      les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives […], les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2, paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.»

4        Aux termes de l’article 2 de la directive 89/665:

«1.      Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant:

a)      de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés […]

[…]

6.      Les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national.

En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages-intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l’attribution d’un marché, les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation.

7.      Les États membres veillent à ce que les décisions prises par les instances responsables des procédures de recours puissent être exécutées de manière efficace.»

 La directive 93/36

5        La directive 93/36 prévoit à son article 6, paragraphes 2 à 4:

«2.      Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée en cas de dépôt de soumissions irrégulières en réponse à une procédure ouverte ou restreinte ou en cas de dépôt de soumissions inacceptables en vertu des dispositions nationales conformes au titre IV, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées. Les pouvoirs adjudicateurs publient dans ces cas un avis d’adjudication, à moins qu’ils n’incluent dans ces procédures négociées toutes les entreprises qui satisfont aux critères visés aux articles 20 à 24 et qui, lors de la procédure ouverte ou restreinte antérieure, ont soumis des offres conformes aux exigences formelles de la procédure d’adjudication.

3.      Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis d’adjudication dans les cas suivants:

[…]

c)      lorsque, en raison de leur spécificité technique, artistique ou pour des raisons tenant à la protection des droits d’exclusivité, la fabrication ou la livraison des produits ne peut être confiée qu’à un fournisseur déterminé;

d)      dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse, résultant d’événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question n’est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées visées au paragraphe 2. Les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne doivent en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs;

[…]

4.      Dans tous les autres cas, les pouvoirs adjudicateurs passent leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure ouverte ou à la procédure restreinte.»

6        Aux termes de l’article 9 de la directive 93/36:

«1.      Les pouvoirs adjudicateurs font connaître, le plus rapidement possible après le début de leur exercice budgétaire, au moyen d’un avis indicatif, l’ensemble des marchés par groupes de produits qu’ils envisagent de passer au cours des douze mois suivants, lorsque le montant total estimé […] est égal ou supérieur à 750 000 écus.

[…]

2.      Les pouvoirs adjudicateurs désireux de passer un marché public de fournitures par procédure ouverte ou restreinte ou par procédure négociée dans les cas visés à l’article 6 paragraphe 2 font connaître leur intention au moyen d’un avis.

[…]»

7        L’article 11, paragraphe 1, de la directive 93/36 dispose:

«1.      Dans les procédures restreintes et les procédures négociées au sens de l’article 6 paragraphe 2, le délai de réception des demandes de participation, fixé par les pouvoirs adjudicateurs, ne peut être inférieur à trente-sept jours à compter de la date d’envoi de l’avis.»

8        Aux termes de l’article 12, paragraphe 1, de ladite directive:

«1.      Dans le cas où l’urgence rend impraticables les délais prévus à l’article 11, les pouvoirs adjudicateurs peuvent fixer les délais suivants:

a)      un délai de réception des demandes de participation qui ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la date d’envoi de l’avis;

b)      un délai de réception des offres qui ne peut être inférieur à dix jours à compter de la date de l’invitation.»

 Les faits et la procédure précontentieuse

9        Au printemps 2005, la DZBW, organisme de droit public allemand qui, sur une base législative, fournit à des communes du Land de Bade-Wurtemberg des logiciels destinés à la gestion de l’immatriculation de véhicules automobiles, a décidé de remplacer le logiciel qui était utilisé jusqu’alors pour l’immatriculation de tels véhicules.

10      Il ressort des pièces du dossier que cette décision était motivée par l’apparition de problèmes techniques au début de l’année 2005, des pannes totales étant survenues au mois de mai de la même année.

11      La DZBW a, au cours dudit mois, engagé des négociations avec l’Anstalt für Kommunale Datenverarbeitung in Bayern (ci-après l’«AKDB»), avec lequel un contrat de fourniture du logiciel en question a été conclu en décembre 2005, pour une durée de six ans.

12      À la suite d’une plainte, la Commission a, en application de l’article 226 CE, informé la République fédérale d’Allemagne, par une lettre de mise en demeure du 15 décembre 2006, que, à son avis, la conclusion de ce contrat entre la DZBW et l’AKDB, sans procédure de passation de marché public et sans appel d’offres au niveau européen, était contraire, notamment, à l’article 6 de la directive 93/36, lu en combinaison avec l’article 9 de celle-ci.

13      Par une communication du 5 mars 2007, la République fédérale d’Allemagne a indiqué à la Commission que la conclusion du contrat en cause avait fait l’objet, au niveau national, d’une procédure de recours, au sens de la directive 89/665, et que cette procédure avait été close de manière définitive par une décision de l’Oberlandesgericht Karlsruhe du 6 février 2007, de sorte qu’il n’y avait plus lieu, pour la Commission, de poursuivre la procédure en manquement, à défaut d’intérêt à agir.

14      Par une lettre du 29 juin 2007, la Commission a émis un avis motivé à l’encontre de la République fédérale d’Allemagne, dans lequel elle a indiqué que, dès lors que la procédure de recours, au sens de la directive 89/665, n’avait pas le même objet que la procédure en manquement engagée au titre de l’article 226 CE, ladite procédure de recours ne pouvait affecter la recevabilité d’un recours en manquement.

15      Par une lettre du 28 août 2007, la République fédérale d’Allemagne a maintenu la position exprimée dans sa communication du 5 mars 2007 en ce qui concerne la recevabilité du recours en manquement, et a ajouté, à titre subsidiaire, sur le fond, qu’il n’y avait pas lieu, en application de l’article 6, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 93/36, de procéder à la publication d’un avis de marché.

16      N’étant pas satisfaite de cette réponse, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

17      La République fédérale d’Allemagne invoque l’irrecevabilité du recours de la Commission, tirée de ce que la clôture définitive, devant les juridictions d’un État membre, d’une procédure de recours nationale, au sens de la directive 89/665, prive la Commission d’un intérêt à agir dans le cadre d’un recours en manquement dirigé contre cet État membre au titre de l’article 226 CE.

18      Selon la République fédérale d’Allemagne, la procédure de recours, au sens de la directive 89/665, repose sur une pondération des intérêts en jeu, la possibilité même d’un recours, en vue de vérifier la conformité au droit communautaire du marché en cause, protégeant les soumissionnaires non retenus et l’intérêt général.

19      Cette possibilité serait toutefois limitée dans le temps, dans l’intérêt du pouvoir adjudicateur et du soumissionnaire retenu, conformément au principe de sécurité juridique.

20      Or, si la Commission pouvait, sans limitation dans le temps, remettre en cause, par un recours en manquement, une attribution de marché dont l’examen a été définitivement clos au terme d’une procédure de recours au sens de la directive 89/665, cette pondération des intérêts en jeu serait remise en cause, au détriment des principes de sécurité juridique et d’autonomie procédurale.

21      Une telle possibilité de recours inciterait également les soumissionnaires non retenus à ne pas respecter les délais de recours nationaux et à s’adresser à la Commission, en violation des exigences de célérité qu’énonce la directive 89/665, de même qu’elle irait à l’encontre de l’exigence d’efficacité énoncée à l’article 2, paragraphe 7, de la directive 89/665.

22      Ainsi, le règlement définitif d’une procédure de recours nationale sur le fondement de la directive 89/665 produirait nécessairement des effets sur la procédure de recours en manquement au titre de l’article 226 CE, et cela sans que soit affectée la hiérarchie des normes, dès lors que ces effets seraient conformes aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique.

23      Cette analyse ne serait pas remise en cause par l’arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne (C-503/04, Rec. p. I‑6153), dans lequel l’appréciation de la Cour aurait été limitée aux effets, sur le recours en manquement, de l’article 2, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive 89/665. Cet arrêt ne concernerait donc pas la question de savoir si une procédure nationale de recours définitivement close fait obstacle à un recours en manquement, notamment en vertu du principe de l’autorité de la chose jugée.

24      La Commission considère que l’issue d’une procédure de recours au sens de la directive 89/665 en matière de passation de marchés publics, définitive au regard de la législation nationale, n’a aucune influence sur la recevabilité d’un recours en manquement exercé au titre de l’article 226 CE.

25      Elle soutient que la thèse de la République fédérale d’Allemagne méconnaît la portée essentielle de la procédure d’infraction prévue à l’article 226 CE, telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la Cour, qui se distinguerait de la procédure de recours dans le cadre de la directive 89/665, notamment en termes de finalité et d’intérêts protégés (arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, points 33 à 35).

 Appréciation de la Cour

26      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de l’exercice des compétences qu’elle tient de l’article 226 CE, la Commission n’a pas à démontrer l’existence d’un intérêt spécifique à agir. Ladite disposition ne vise pas, en effet, à protéger les droits propres de la Commission. Celle-ci, dans l’intérêt général communautaire, a pour mission de veiller d’office à l’application, par les États membres, du traité CE et des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci et de faire constater, en vue de leur cessation, l’existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent (arrêts du 4 avril 1974, Commission/France, 167/73, Rec. p. 359, point 15; du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C‑431/92, Rec. p. I‑2189, point 21; du 5 novembre 2002, Commission/Allemagne, C‑476/98, Rec. p. I‑9855, point 38, et du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, C‑20/01 et C‑28/01, Rec. p. I‑3609, point 29).

27      Eu égard à son rôle de gardienne du traité, la Commission est dès lors seule compétente pour décider s’il est opportun d’engager une procédure en constatation de manquement et en raison de quel agissement ou omission imputable à l’État membre concerné cette procédure doit être introduite. Elle peut donc demander à la Cour de constater un manquement qui consisterait à ne pas avoir atteint, dans un cas déterminé, le résultat visé par une directive (arrêts du 11 août 1995, Commission/Allemagne, précité, point 22; du 5 novembre 2002, Commission/Belgique, C‑471/98, Rec. p. I‑9681, point 39, et du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, point 30).

28      Ce principe vaut également en matière de marchés publics dans une situation dans laquelle les procédures de passation des marchés se sont entièrement déroulées avant la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, mais dans laquelle les contrats en cause n’ont pas été entièrement exécutés avant ladite date (voir, en ce sens, arrêt du 28 octobre 1999, Commission/Autriche, C‑328/96, Rec. p. I‑7479, points 43 à 45).

29      En l’espèce, il est constant que l’exécution du contrat en cause n’a pas encore cessé, puisque ce contrat a été conclu, en décembre 2005, pour une durée de six ans.

30      La République fédérale d’Allemagne soutient toutefois que la Commission ne saurait avoir d’intérêt à agir dans le cadre d’un recours en manquement exercé sur le fondement de l’article 226 CE, dès lors que l’attribution du marché en cause a fait l’objet d’une procédure de recours nationale, au sens de la directive 89/665, qui a été close par une décision juridictionnelle devenue définitive.

31      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà précisé que l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665, lequel autorise les États membres à maintenir les effets de contrats conclus en violation des directives en matière de passation des marchés publics et protège ainsi la confiance légitime des cocontractants, ne saurait, sans réduire la portée des dispositions du traité établissant le marché intérieur, avoir pour conséquence que le comportement du pouvoir adjudicateur à l’égard des tiers doive être considéré comme conforme au droit communautaire postérieurement à la conclusion de tels contrats (arrêts du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, point 39, et du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 33).

32      La Cour a ainsi jugé que l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665 ne saurait avoir d’incidence sur un recours exercé au titre de l’article 226 CE ou de l’article 228 CE (voir arrêt du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 34).

33      Quand bien même cette appréciation de la Cour a été limitée à l’article 2, paragraphe 6, de la directive 89/665, ainsi que l’a relevé à juste titre la République fédérale d’Allemagne, il n’en demeure pas moins qu’une telle conclusion vaut également pour la directive 89/665 envisagée dans son ensemble.

34      Ainsi qu’il ressort de ses deuxième et troisième considérants, cette directive a en effet pour objet de garantir l’existence, dans tous les États membres, de moyens de recours efficaces en cas de violation du droit communautaire en matière de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit, afin de garantir l’application effective des directives portant coordination des procédures de passation des marchés publics (arrêts du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, Rec. p. I‑11617, point 71, et du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 35).

35      Eu égard à son économie, ladite directive ne saurait être considérée comme réglant également la relation entre un État membre et la Communauté européenne, relation dont il s’agit dans le contexte de l’article 226 CE.

36      En effet, les procédures de recours nationales, au sens de la directive 89/665, et le recours en manquement, au titre de l’article 226 CE, divergent tant par les parties au litige que par leur finalité, la procédure de recours nationale servant à protéger les intérêts des soumissionnaires écartés, tandis que la procédure en manquement assure le respect du droit communautaire dans l’intérêt général.

37      Ainsi, tout en obligeant, à son article 1er, paragraphe 1, les États membres à prendre, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics, les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces, la directive 89/665 ne saurait, sans réduire la portée des dispositions du traité, affecter l’application de l’article 226 CE.

38      Cette appréciation ne saurait être remise en cause par le risque éventuel que les soumissionnaires écartés contournent les délais prévus dans le cadre des procédures de recours nationales, au sens de la directive 89/665, en saisissant la Commission d’une plainte en vue d’un recours sur le fondement de l’article 226 CE, ainsi que l’avance la République fédérale d’Allemagne.

39      En effet, ainsi qu’il ressort des points 26 et 27 du présent arrêt, c’est à la seule Commission qu’il appartient, dans l’intérêt général, de décider d’agir sur le fondement de l’article 226 CE.

40      Cette appréciation ne saurait non plus être remise en cause par les arguments que la République fédérale d’Allemagne tire des principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de l’autorité de la chose jugée.

41      En effet, à supposer même que les pouvoirs adjudicateurs puissent se voir opposer ces principes par le soumissionnaire retenu en cas de résiliation du contrat, un État membre ne saurait, en tout état de cause, s’en prévaloir pour justifier un manquement au titre de l’article 226 CE et, de ce fait, échapper à sa propre responsabilité en droit communautaire (voir, par analogie, arrêts du 17 avril 2007, AGM-COS.MET, C‑470/03, Rec. p. I‑2749, point 72, et du 18 juillet 2007, Commission/Allemagne, précité, point 36).

42      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est recevable.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

43      Au soutien de son recours, la Commission fait valoir que le contrat en cause relève du champ d’application de la directive 93/36 et que la DZBW ne pouvait attribuer le marché par voie de procédure négociée sans invitation publique à participer, dès lors que n’étaient pas réunies, en l’espèce, les conditions auxquelles sont soumises les exceptions prévues à l’article 6, paragraphes 2 et 3, de ladite directive.

44      À cet égard, la Commission soutient que ces exceptions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et que c’est à l’État membre qui entend se prévaloir d’une dérogation qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles les justifiant existent effectivement. Or, la Commission considère que, en l’espèce, la République fédérale d’Allemagne n’a pas rapporté cette preuve, mais qu’elle s’est limitée à de simples allégations, sans fournir d’éléments concrets.

45      De surcroît, certaines allégations de la République fédérale d’Allemagne seraient contradictoires. Ainsi, la Commission constate que, dans sa réponse à l’avis motivé, cet État membre affirme, d’une part, que le logiciel retenu est le seul produit capable de traiter d’importantes quantités de données de la manière requise et, d’autre part, que le temps manquait pour recourir à des installations-tests. Or, une telle étape n’aurait logiquement été possible que s’il existait des produits de remplacement, ce qui était le cas dans les circonstances de l’espèce.

46      Pour ce qui est de l’urgence, la Commission fait observer que le temps écoulé entre l’apparition des premiers problèmes techniques affectant le logiciel à remplacer ou les premières pannes totales et la conclusion du contrat, à savoir presque une année, permettait largement de mettre en œuvre la procédure d’urgence prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 93/36. Or, la République fédérale d’Allemagne n’aurait pas démontré qu’il n’était pas même possible de respecter les délais très brefs, à savoir moins d’un mois, prévus par cette procédure.

47      La République fédérale d’Allemagne soutient, à titre subsidiaire sur le fond, que les conditions énoncées à l’article 6, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 93/36 sont réunies, dès lors que, au moment de l’attribution du marché, un seul logiciel déterminé pouvait remplacer immédiatement le logiciel utilisé, en raison de spécificités techniques et de l’urgence imprévue.

48      Cet État membre fait valoir à cet égard que la charge de la preuve que les spécifications techniques sont remplies incombe au soumissionnaire et non au pouvoir adjudicateur, lequel n’est tenu qu’à une obligation de contrôle avec une attention et une précision adaptées aux circonstances.

49      Il était donc, selon ledit État membre, dénué de pertinence de savoir si un producteur concurrent aurait pu, dans le cadre d’une installation-test, apporter la preuve que son procédé répondait aux spécifications techniques en cause. Au contraire, le fait qu’une installation-test était inappropriée eu égard à l’urgence qu’il y avait de remplacer le logiciel en question aurait été décisif. Une installation-test aurait en effet conduit à un retard important, alors que la compatibilité avec les spécifications techniques du produit sélectionné avait été établie.

50      La République fédérale d’Allemagne rejette l’argument de la Commission tiré d’une contradiction sur l’existence d’éventuels produits de remplacement, de même qu’elle écarte celui tiré de la durée écoulée entre la décision de procéder au remplacement du logiciel et la conclusion du contrat en cause. En effet, le fait que sept mois s’écouleraient jusqu’à ce que l’installation du nouveau logiciel puisse débuter n’était pas prévisible lorsqu’il a été décidé de procéder au remplacement du logiciel utilisé.

51      Cet État membre conteste également la possibilité de respecter les délais d’urgence prévus à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 93/36, en ce sens que c’est la perte de temps qui aurait résulté de l’établissement du cahier des charges et, en particulier, des installations-tests, et non les délais de publication, qui aurait posé un problème. En effet, la fiabilité d’autres produits dans les centres de calcul n’aurait pu être établie qu’après recours à une installation-test coûteuse pendant environ six mois.

 Appréciation de la Cour

52      À titre liminaire, il y a lieu de constater que la République fédérale d’Allemagne ne conteste pas que le marché en cause relève du champ d’application de la directive 93/36, de sorte que la conclusion de celui-ci était en principe soumise à une procédure de passation de marché public conforme à ladite directive, notamment à l’article 6, paragraphe 2, de cette dernière.

53      Cet État membre soutient toutefois qu’il était possible d’appliquer la procédure négociée et qu’il n’y avait pas lieu, en application de l’article 6, paragraphe 3, sous c) et d), de la directive 93/36, de procéder à la publication d’un avis de marché.

54      D’emblée, il convient de rappeler que la procédure négociée revêt un caractère exceptionnel, l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la directive 93/36 énumérant limitativement et expressément les seules exceptions pour lesquelles le recours à la procédure négociée est permis (arrêt du 8 avril 2008, Commission/Italie, C‑337/05, Rec. p. I‑2173, point 56 et jurisprudence citée).

55      Il convient également de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que ces dispositions, en tant que dérogations aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le droit communautaire dans le secteur des marchés publics, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 17 novembre 1993, Commission/Espagne, C‑71/92, Rec. p. I‑5923, point 36; du 18 mai 1995, Commission/Italie, C‑57/94, Rec. p. I‑1249, point 23; du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, point 58; du 14 septembre 2004, Commission/Italie, C‑385/02, Rec. p. I‑8121, point 19, et du 2 octobre 2008, Commission/Italie, C‑157/06, non encore publié au Recueil, point 23).

56      Il faut souligner, en outre, que c’est à celui qui entend se prévaloir desdites dérogations qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles les justifiant existent effectivement (voir, en ce sens, arrêts du 3 mai 1994, Commission/Espagne, C‑328/92, Rec. p. I‑1569, points 15 et 16; du 18 mai 1995, Commission/Italie, précité, point 23; du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, précité, point 58; du 14 septembre 2004, Commission/Italie, précité, point 19, et du 2 octobre 2008, Commission/Italie, précité, point 23).

57      Il importe donc, en l’espèce, de vérifier si la République fédérale d’Allemagne a rapporté la preuve que le marché en cause pouvait, en application de l’article 6, paragraphe 3, sous c) ou d), de la directive 93/36, faire l’objet d’une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

58      À cet égard, il convient, en premier lieu, de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la directive 93/36, les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée, sans publication préalable d’un avis de marché, lorsque, en raison de leur spécificité technique, la fabrication ou la livraison des produits ne peut être confiée qu’à un fournisseur déterminé.

59      Selon la République fédérale d’Allemagne, en raison de la spécificité technique de l’objet du marché de fourniture en cause, à savoir un logiciel pour la gestion centralisée de l’immatriculation de véhicules automobiles, ce marché ne pouvait être confié qu’à un fournisseur déterminé.

60      Cette argumentation ne saurait prospérer.

61      En effet, il importe de relever que, loin de faire état de recherches sérieuses que la DZBW aurait menées au niveau européen, après avoir décidé de remplacer le logiciel en question, pour identifier des entreprises à même de fournir un logiciel adapté, la République fédérale d’Allemagne s’est bornée à rejeter la fonctionnalité du produit d’une entreprise concurrente de l’AKDB au niveau national.

62      Or, le simple fait d’affirmer que la fourniture en cause ne pouvait être confiée qu’à un fournisseur déterminé puisque le concurrent présent sur le marché national n’offrait pas un produit satisfaisant aux exigences techniques requises ne saurait suffire à établir que les circonstances exceptionnelles justifiant les dérogations prévues à l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la directive 93/36 existaient effectivement.

63      Il ne saurait, en effet, être exclu que, si des recherches sérieuses avaient été menées au niveau européen, des entreprises à même de fournir un logiciel adapté auraient pu être identifiées.

64      Par conséquent, l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la directive 93/36 ne peut être utilement invoqué par la République fédérale d’Allemagne pour justifier, en ce qui concerne le marché en cause, le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

65      En second lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la directive 93/36, les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés de fournitures en recourant à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse, résultant d’événements imprévisibles pour les pouvoirs adjudicateurs en question, n’est pas compatible avec les délais exigés par les procédures ouvertes, restreintes ou négociées visées à cet article 6, paragraphe 2, les circonstances invoquées pour justifier l’urgence impérieuse ne devant en aucun cas être imputables aux pouvoirs adjudicateurs.

66      Selon la République fédérale d’Allemagne, les problèmes techniques affectant le logiciel alors utilisé ne pouvaient être éliminés rapidement, ce qui rendait inévitable une décision en vue de l’introduction d’un produit de remplacement immédiatement disponible sur le marché et conforme aux exigences techniques applicables. Il s’agirait là d’une urgence impérieuse justifiant que les pouvoirs adjudicateurs procèdent à l’attribution du marché en cause sans publication préalable d’un avis.

67      Cette argumentation ne saurait non plus prospérer.

68      D’emblée, il importe en effet de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour que la dérogation énoncée à l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la directive 93/36 est subordonnée à trois conditions cumulatives.

69      Elle suppose l’existence d’un événement imprévisible, d’une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés par d’autres procédures et d’un lien de causalité entre l’événement imprévisible et l’urgence impérieuse qui en résulte (voir, en ce sens, arrêts du 2 août 1993, Commission/Italie, C‑107/92, Rec. p. I‑4655, point 12; du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C‑318/94, Rec. p. I‑1949, point 14, et du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne, C‑126/03, Rec. p. I‑11197, point 23).

70      Or, dans les circonstances de la présente affaire, il importe, tout d’abord, de relever que la République fédérale d’Allemagne ne conteste pas que plusieurs mois se sont écoulés entre la décision de procéder au remplacement du logiciel utilisé, l’ouverture de négociations et la conclusion du contrat en cause.

71      Dans de telles circonstances, il n’a pas été établi par cet État membre que le remplacement dudit logiciel relevait d’une situation d’urgence impérieuse justifiant le recours à une procédure négociée sans publication préalable d’avis de marché.

72      Il convient, ensuite, de considérer que, dès lors que des pannes étaient apparues dès le début de l’année 2005, le pouvoir adjudicateur aurait pu, dès cette période, lancer une procédure d’appel d’offres. Dans ces conditions, l’urgence éventuelle, à la supposer établie au cours du mois de mai 2005, lors des pannes générales et au début des négociations engagées avec l’AKDB, doit être considérée comme étant, au moins en partie, imputable au pouvoir adjudicateur.

73      Il y a lieu, enfin, de rappeler que, selon le libellé même de l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la directive 93/36, ce n’est que «dans la mesure strictement nécessaire» que les pouvoirs adjudicateurs peuvent, en cas d’urgence impérieuse, conclure un marché de fourniture par une procédure négociée sans publication d’un avis préalable.

74      Or, dans les circonstances de la présente affaire, force est de considérer que cette exigence n’a pas été respectée par le pouvoir adjudicateur.

75      En effet, dès lors que plusieurs mois se sont écoulés entre la décision de remplacer le logiciel et la conclusion du marché en cause, ainsi qu’il a été rappelé aux points 9 à 11 et 70 du présent arrêt, il est manifeste qu’il était possible, pour le moins, de conduire une procédure restreinte accélérée, en application de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 93/36 (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 1992, Commission/Espagne, C‑24/91, Rec. p. I‑1989, point 14; du 2 août 1993, Commission/Italie, précité, point 13, et du 18 novembre 2004, Commission/Allemagne, précité, point 23).

76      Il s’ensuit que la République fédérale d’Allemagne n’a pas démontré qu’il existait, en l’espèce, une situation d’urgence impérieuse.

77      Par conséquent, l’article 6, paragraphe 3, sous d), de la directive 93/36 ne peut non plus être utilement invoqué par la République fédérale d’Allemagne pour justifier, en ce qui concerne le marché en cause, le recours à la procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché.

78      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, la DZBW ayant attribué un marché de fourniture d’un logiciel pour la gestion de l’immatriculation de véhicules automobiles par une procédure négociée sans publication d’un avis de marché, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/36.

 Sur les dépens

79      Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      La Datenzentrale Baden-Württemberg ayant attribué un marché de fourniture d’un logiciel pour la gestion de l’immatriculation de véhicules automobiles par une procédure négociée sans publication d’un avis de marché, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures.

2)      La République fédérale d’Allemagne est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.