Language of document : ECLI:EU:C:2017:892

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 23 novembre 2017(1)

Affaire C418/16 P

mobile.de GmbH, anciennement mobile.international GmbH,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

Rezon OOD

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Décisions des chambres de recours annulant des décisions de la division d’annulation et renvoyant l’affaire en vue de la poursuite de la procédure à la division d’opposition, conformément à l’article 64, paragraphe 2, du règlement (CE) no 207/2009 – Question de savoir si, dans ces circonstances, la division d’annulation dispose d’un pouvoir d’appréciation à l’effet de décider s’il y a lieu d’examiner ou non des preuves qui n’ont pas été produites en temps utile au sens de l’article 76, paragraphe 2 »






1.        Dans le présent pourvoi en matière de marques, mobile.de attaque l’arrêt du Tribunal du 12 mai 2016 dans les affaires mobile.international/EUIPO – Rezon (mobile.de) (2). Dans ces affaires, mobile.de attaquait deux décisions de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) (3). Le Tribunal a rejeté dans son intégralité le recours de mobile.de. Celle-ci invoque désormais six moyens à l’appui de son pourvoi contre cet arrêt.

2.        La jurisprudence constante de la Cour confirme que dans le cadre de procédures régies par le règlement (CE) no 207/2009 sur la marque communautaire (4), les divisions et les chambres de recours de l’EUIPO disposent d’un pouvoir d’appréciation à l’effet de décider s’il y a lieu ou non d’examiner des preuves produites après l’expiration de délais impartis (5). Le sixième moyen invoqué à l’appui du pourvoi concerne en particulier l’interprétation de l’article 64 et de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 relative à l’exercice de ce pouvoir d’appréciation lorsqu’une chambre de recours renvoie une affaire à la division compétente de l’EUIPO. Cette question soulève un nouveau point de droit, et c’est uniquement sur ce point que la Cour a demandé des conclusions.

 Droit de l’Union

 Règlement no 207/2009

3.        Le considérant 10 du règlement no 207/2009 indique :

« Il n’est justifié de protéger les marques [de l’Union européenne] et, contre celles-ci, toute marque enregistrée qui leur est antérieure, que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées. »

4.        L’article 53 est intitulé « Causes de nullité relative ». Conformément à l’article 53, paragraphe 1, sous a), la marque de l’Union européenne est déclarée nulle lorsqu’il existe une marque antérieure, c’est‑à‑dire, notamment, une marque enregistrée dans un État membre (6), et si les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 1 ou 5, sont remplies. En l’espèce, c’est l’article 8, paragraphe 1, sous b), qui est directement pertinent. Cette disposition s’applique « lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée ; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure ».

5.        L’article 57 prévoit :

« 1.      Au cours de l’examen de la demande en déchéance ou en nullité, l’[EUIPO] invite les parties, aussi souvent qu’il est nécessaire, à présenter, dans un délai qu’il leur impartit, leurs observations sur les notifications qu’il leur a adressées ou sur les communications qui émanent des autres parties.

2.      Sur requête du titulaire de la marque [de l’Union européenne], le titulaire d’une marque [de l’Union européenne] antérieure, partie à la procédure de nullité, apporte la preuve que, au cours des cinq années qui précèdent la date de la demande en nullité, la marque [de l’Union européenne] antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans [l’Union européenne] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels la demande en nullité est fondée, ou qu’il existe de justes motifs pour le non-usage, pour autant qu’à cette date la marque [de l’Union européenne] antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins. En outre, si la marque [de l’Union européenne] antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins à la date de publication de la demande de marque [de l’Union européenne], le titulaire de la marque [de l’Union européenne] antérieure apporte également la preuve que les conditions énoncées à l’article 42, paragraphe 2, étaient remplies à cette date. À défaut d’une telle preuve, la demande en nullité est rejetée. Si la marque [de l’Union européenne] antérieure n’a été utilisée que pour une partie des produits ou des services pour lesquels elle est enregistrée, elle n’est réputée enregistrée que pour cette partie des produits et services, aux fins de l’examen de la demande en nullité.

3.      Le paragraphe 2 s’applique aux marques nationales antérieures visées à l’article 8, paragraphe 2, [sous] a), étant entendu que l’usage dans [l’Union] est remplacé par l’usage dans l’État membre où la marque nationale antérieure est protégée.

[…] » (7).

6.        Le titre VII du règlement est intitulé « Procédure de recours ». Conformément à l’article 58, paragraphe 1, les décisions des différentes divisions de l’EUIPO, y compris des divisions d’annulation, sont susceptibles de recours. Conformément à l’article 63, paragraphe 2, au cours de l’examen du recours, la chambre de recours « invite les parties, aussi souvent qu’il est nécessaire, à présenter, dans un délai qu’elle leur impartit, leurs observations sur les notifications qu’elle leur a adressées ou sur les communications qui émanent des autres parties ».

7.        L’article 64 est intitulé « Décision sur le recours » ; il dispose :

« 1.      À la suite de l’examen au fond du recours, la chambre de recours statue sur le recours. Elle peut, soit exercer les compétences de l’instance qui a pris la décision attaquée, soit renvoyer l’affaire à ladite instance en vue de la poursuite de la procédure.

2.      Si la chambre de recours renvoie l’affaire en vue de la poursuite de la procédure à l’instance qui a pris la décision attaquée, cette instance est liée par les motifs et le dispositif de la décision de la chambre de recours pour autant que les faits de la cause sont les mêmes.

[…] »

8.        L’article 76 se trouve dans le titre IX du règlement, qui est intitulé « Dispositions de procédure ». L’article 76 fixe les règles d’examen d’office des faits par l’EUIPO. L’article 76, paragraphe 2, dispose que « l’[EUIPO] peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués ou des preuves qu’elles n’ont pas produites en temps utile ».

 Règlement no 2868/95

9.        Le règlement (CE) no 2868/95 (8) de la Commission définit les modalités d’application du règlement no 207/2009. Le but des modalités d’application est d’assurer « le bon déroulement des procédures devant l’[EUIPO] » (9).

10.      Lorsque, sur requête du demandeur, le titulaire d’une marque antérieure doit apporter la preuve de l’usage de la marque conformément à l’article 42, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, la règle 22, paragraphe 2, prévoit que l’EUIPO invite l’opposant à le faire dans un délai qu’il lui impartit. Si l’opposant ne fournit pas cette preuve dans le délai imparti, l’EUIPO rejette l’opposition (10).

11.      La règle 40, paragraphe 6, est libellée comme suit :

« Si le demandeur [en déchéance ou en nullité] doit apporter la preuve de l’usage ou de l’existence de justes motifs pour le non-usage au titre de [l’article 57, paragraphes 2 ou 3, du règlement], l’EUIPO invite le demandeur à prouver l’usage de la marque au cours d’une période qu’il précise. Si la preuve n’est pas apportée dans le délai imparti, la demande en nullité est rejetée. La règle 22, paragraphes 2, 3 et 4 s’applique mutatis mutandis.»

 Antécédents du litige

12.      Le 17 novembre 2008, mobile.de a présenté deux demandes d’enregistrement à l’EUIPO. La première demandait l’enregistrement de la marque figurative représentée ci-après pour des produits et services des classes 9, 16, 35, 38 et 42 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, tel que révisé et modifié (ci‑après la « classification de Nice ») (11). Elle a été enregistrée le 26 janvier 2010.

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13.      La seconde demande d’enregistrement concernait la marque verbale « mobile.de » pour des produits et des services des mêmes classes que la marque figurative. Elle a été enregistrée le 29 septembre 2010.

14.      Le 18 janvier 2011, Rezon OOD a déposé deux demandes en nullité contre les deux marques de l’Union européenne enregistrées par mobile.de. Rezon invoquait l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce règlement. Les demandes de Rezon étaient fondées sur la marque figurative enregistrée en Bulgarie pour des services des classes 35, 39 et 42 de la classification de Nice (ci‑après la « marque antérieure ») (12).

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15.      Les demandes de Rezon concernaient uniquement les services relevant des classes 35 et 42. En réponse à une demande de mobile.de, Rezon a été invitée à produire des preuves de l’usage sérieux de la marque antérieure conformément à l’article 57, paragraphes 2 et 3, du règlement no 207/2009.

16.      Par deux décisions du 28 mars 2013, la division d’annulation de l’EUIPO a rejeté les demandes en nullité de Rezon dans leur intégralité. Elle a considéré que Rezon n’avait pas démontré un usage sérieux de la marque antérieure en Bulgarie. Le 17 mai 2013, Rezon a introduit des recours contre les deux décisions.

17.      La chambre de recours a annulé les décisions de la division d’annulation (ci–après les « décisions en cause »). Les affaires ont été renvoyées devant la division d’annulation en vue d’un examen au fond de la demande en nullité conformément à l’article 64 du règlement no 207/2009. La chambre de recours a considéré sur la base de preuves supplémentaires fournies par Rezon à la suite de son recours, notamment, qu’il y avait eu un usage sérieux de la marque antérieure pour certains services de publicité de la classe 35, mais non pas pour tous les services de cette classe, comme le soutenait Rezon, et pour aucun service de la classe 42.

 Procédure devant le Tribunal

18.      Les 6 et 7 mai 2014, mobile.de a introduit devant le Tribunal des recours contre les décisions en cause. Mobile.de soutenait que la chambre de recours avait fait une interprétation erronée du règlement no 207/2009 et du règlement portant modalités d’application. Le 4 mars 2016, le Tribunal a décidé de joindre les deux affaires. Par son arrêt du 12 mai 2016, il a rejeté les deux recours.

 Procédure devant la Cour

19.      Le 27 juillet 2016, mobile.de a formé un pourvoi contre les arrêts du Tribunal. Elle demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué et de condamner l’EUIPO à supporter tous les dépens. Mobile.de invoque six moyens à l’appui de son pourvoi et soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en faisant une interprétation erronée des dispositions suivantes du règlement no 207/2009 : i) article 57, paragraphes 2 et 3, lu conjointement avec la règle 22, paragraphe 2, et la règle 40, paragraphe 6, du règlement portant modalités d’application ; ii) article 76, paragraphe 2 ; iii) article 15, paragraphe 1, sous a) ; iv) article 57, paragraphe 2, lu conjointement avec la règle 22, paragraphes 3 et 4, du règlement portant modalités d’application ; v) article 56, paragraphe 1, et article 54, paragraphe 2 ; et vi) article 64, paragraphe 1.

20.      Rezon soutient que le pourvoi est irrecevable et/ou non fondé. L’EUIPO affirme que le pourvoi est non fondé. Les deux parties estiment que mobile.de devrait supporter les dépens.

 Appréciation du sixième moyen – interprétation erronée de l’article 64 du règlement no 207/2009

 L’arrêt attaqué

21.      Le Tribunal formule les observations suivantes aux points 79 à 87 de l’arrêt attaqué.

22.      Premièrement, s’agissant de l’affirmation de mobile.de, selon laquelle la chambre de recours a considéré que la preuve de l’usage avait été apportée uniquement en ce qui concerne les services de la classe 35 de la classification de Nice relatifs à la « publicité de véhicules automobiles » et que la décision de la division d’annulation pouvait être annulée uniquement en ce qui concerne ce type de services (13), le Tribunal a rappelé que, aux termes de l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, « [à] la suite de l’examen au fond du recours, la chambre de recours statue sur le recours » et qu’elle « peut soit exercer les compétences de l’instance qui a pris la décision attaquée, soit renvoyer l’affaire à ladite instance en vue de la poursuite de la procédure » (14). Deuxièmement, il a expliqué que selon l’article 64, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, si la chambre de recours renvoie l’affaire [en vue de la poursuite de la procédure] à l’instance qui a pris la décision attaquée, cette instance est liée par les motifs et le dispositif de la décision de la chambre de recours pour autant que les faits de la cause sont les mêmes (15). Troisièmement, il a relevé que l’usage sérieux de la marque antérieure constitue une question préalable qui, une fois soulevée par le titulaire de la marque, doit être réglée avant qu’il ne soit décidé sur la demande en nullité proprement dite (16). Quatrièmement, le dispositif des décisions attaquées doit être lu et interprété à la lumière de leurs motifs (17).

23.      En l’espèce, la partie du dispositif des décisions de la chambre de recours qui prononçait l’annulation des décisions de la division d’annulation rejetant la demande de nullité de Rezon impliquait que cette division était liée à compter de la date de la décision de la chambre de recours. Elle était limitée par l’appréciation de la chambre de recours, selon laquelle l’intervenante a apporté la preuve de l’usage de la marque nationale antérieure uniquement pour une sous-catégorie de services, les services de publicité de véhicules automobiles, relevant de la classe 35 (18). L’examen de cette question faisait également partie de la question préalable que constitue la preuve de l’usage. Conformément à l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, c’était cette sous‑catégorie qui devait être analysée lors de l’examen au fond des demandes en nullité par la division d’annulation (19).

24.      Le Tribunal a conclu que, par conséquent, la chambre de recours n’avait pas enfreint l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 en prononçant l’annulation des décisions de la division d’annulation (20).

 Analyse

25.      Mobile.de affirme en substance qu’en omettant de préciser, dans le dispositif des décisions en cause, que les décisions de la division d’annulation étaient annulées seulement partiellement, concernant certains services de la classe 35 (à savoir la publicité de véhicules automobiles), la chambre de recours a commis une erreur de droit. Seule cette question aurait dû être renvoyée devant la division d’annulation en vue de la poursuite de la procédure.

26.      Je ne suis pas d’accord avec mobile.de. Selon moi, le sixième moyen devrait être rejeté comme non fondé.

27.      Il est vrai que le Tribunal cite l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 sans indiquer expressément son avis sur le sens de cette disposition. Toutefois, il ressort clairement des motifs exposés aux points 81 à 86 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est demandé si la chambre de recours avait examiné la demande en annulation de Rezon et si elle avait adopté une décision concernant cette demande. Le Tribunal a estimé que la chambre de recours avait respecté les prescriptions de l’article 64, paragraphe 1, dans la mesure où elle avait examiné la demande et décidé que Rezon était parvenue à apporter la preuve d’un usage sérieux de la marque antérieure seulement pour une sous-catégorie de services de la classe 35. C’est pourquoi la chambre de recours a décidé d’annuler la décision de la division d’annulation et de renvoyer l’affaire en vue de la poursuite de la procédure.

28.      Je considère que la motivation du Tribunal peut être interprétée d’une manière conforme à l’article 64, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et que l’arrêt attaqué est fondé à cet égard.

29.      Le sixième moyen est divisé en trois branches. Mobile.de affirme, premièrement, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne considérant pas que la chambre de recours aurait dû préciser dans le dispositif de sa décision que la décision de la division d’annulation était annulée seulement partiellement. Deuxièmement, mobile.de n’est pas d’accord avec l’avis du Tribunal (exprimé au point 82 de l’arrêt attaqué), selon lequel l’usage sérieux de la marque antérieure constitue une question préalable qui doit être réglée au commencement de la procédure. Troisièmement, mobile.de affirme que le Tribunal a commis une erreur au point 85 de l’arrêt attaqué dans son analyse de la décision de la chambre de recours. Lorsque c’est la preuve de l’usage sérieux au sens de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 qui est en cause et que la chambre de recours renvoie l’affaire en vue de la poursuite de la procédure conformément à l’article 64, paragraphe 2, le titulaire de la marque antérieure ne devrait pas pouvoir produire de nouvelles preuves dans le cadre d’une éventuelle procédure ultérieure devant la division d’annulation. Il serait contraire à l’article 76, paragraphe 2, d’admettre des preuves nouvelles ou supplémentaires concernant la question de l’usage sérieux ; et cela conduirait à une violation manifeste de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, ainsi que de la règle 22, paragraphe 2, et la règle 40, paragraphe 6, du règlement portant modalités d’application.

30.      Il me semble que l’argument de mobile.de est fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué ainsi que sur une interprétation erronée de l’article 64 et de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

31.      S’agissant du grief de mobile.de, selon lequel le Tribunal n’a pas sanctionné le manque de précision de la décision de la chambre de recours, il ressort clairement de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que cette décision était conforme aux exigences définies par une jurisprudence constante dans la mesure où la motivation sur laquelle est fondée la décision de la chambre doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de celle-ci, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la décision prise et aux juridictions de l’Union d’exercer leurs pouvoirs de contrôle juridictionnel respectifs (21). Comme le Tribunal l’indique à juste titre au point 83 de son arrêt, le dispositif de la décision en cause doit être lu à la lumière de ses motifs (22). Je suis d’accord avec l’appréciation du Tribunal, selon laquelle la chambre de recours a constaté définitivement que la preuve d’un usage sérieux avait été apportée seulement pour un type de service, la « publicité de véhicules automobiles ».

32.      C’est pourquoi il me semble que, s’il est vrai que le dispositif de la décision de la chambre de recours aurait pu être exprimé plus clairement, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que la chambre de recours avait considéré que Rezon avait établi un usage sérieux uniquement pour cette sous-catégorie de services. S’il est vrai que la chambre de recours a annulé les décisions de la division d’annulation et renvoyé les deux affaires, le Tribunal a considéré que les décisions de la chambre de recours avaient pour effet que les recours en nullité requéraient un examen au fond supplémentaire au regard de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 uniquement s’agissant des services de la classe 35 concernant la sous-catégorie de la « publicité de véhicules automobiles ». Cette lecture est confirmée par les affirmations du Tribunal aux points 85 et 86 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la chambre de recours avait décidé définitivement qu’un usage sérieux n’était pas établi pour les catégories générales de services de la classe 35 (excepté la publicité de véhicules automobiles) et de la classe 42.

33.      Une autre approche du grief de mobile.de consiste à demander si la décision de la chambre de recours de renvoyer les deux affaires dans leur intégralité signifie que mobile.de ne peut pas utiliser la marque de l’Union européenne qu’il a enregistrée pour les catégories (et les sous‑catégories) de produits pour lesquelles Rezon n’a pas établi un usage sérieux. Il me semble que, clairement, mobile.de peut utiliser sa marque pour ces produits et services. Cet avis est fondé sur la lecture que fait le Tribunal de la décision de la chambre de recours considérée comme un tout, le dispositif lu conjointement avec la motivation.

34.      Je considère par conséquent que c’est à tort que mobile.de soulève ce grief.

35.      Ensuite, le Tribunal a–t–il commis une erreur au point 82 de son arrêt, lorsqu’il a qualifié de question préliminaire la question de l’usage sérieux d’une marque antérieure aux fins de l’article 57, paragraphe 2 ?

36.      Selon moi, il découle du libellé de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (« à défaut d’une telle preuve, la demande en nullité est rejetée ») (23) que le Tribunal a raison. Selon ce règlement, il y a plusieurs étapes dans une procédure de nullité. Premièrement, le titulaire de la marque antérieure s’oppose à la demande de marque de l’Union européenne : en l’espèce, il s’agissait d’une opposition sur la base de l’article 53, paragraphe 1, sous a), et de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. Deuxièmement, conformément à l’article 57, paragraphe 2, le titulaire de la marque de l’Union européenne peut décider de contrer une telle opposition en demandant que le titulaire de la marque antérieure apporte la preuve d’un usage sérieux. Par conséquent, l’un des objectifs de l’article 57, paragraphe 2, est d’empêcher le titulaire d’une marque antérieure (en l’espèce Rezon) d’attaquer une marque de l’Union européenne si la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition est susceptible d’annulation pour défaut d’usage (24). Il découle du dispositif législatif que, si le titulaire de la marque de l’Union européenne obtient gain de cause en vertu de l’article 57, paragraphe 2 (parce que la preuve d’un usage sérieux n’est pas apportée), il n’est nécessaire d’examiner au fond aucune demande en nullité [article 8, paragraphe 1, sous b), en l’espèce] et cette demande doit être rejetée. Toutefois, si le titulaire de la marque antérieure parvient à démontrer un usage sérieux, il devient nécessaire d’examiner au fond la demande. C’est l’effet des décisions en cause telles que confirmées par le Tribunal concernant une partie des services couverts par la marque de l’Union européenne mobile.de, à savoir les services relatifs à la « publicité de véhicules automobiles » (25).

37.      Selon moi, lorsqu’il qualifie la question de l’usage sérieux de « question préalable », le Tribunal veut simplement dire que cette question devrait être examinée au début de l’appréciation dans le cadre de la procédure de nullité.

38.      Les deuxième et troisième branches du sixième moyen du pourvoi se recoupent partiellement concernant la lecture combinée de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, ainsi que de la règle 22, paragraphe 2, et la règle 40, paragraphe 6, du règlement portant modalités d’application. Les questions soulevées concernent en substance la production de preuves après l’expiration du délai imparti par l’EUIPO.

39.      Il est de jurisprudence constante qu’en principe les chambres de recours ne sont pas liées par les délais impartis en première instance par l’EUIPO et qu’elles peuvent accepter des preuves produites tardivement en vertu de leur pouvoir d’appréciation prévu à l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, à condition d’exercer ce pouvoir d’appréciation de manière objective et motivée. La Cour a jugé que, lorsqu’aucune preuve de l’usage de la marque concernée n’est produite dans le délai imparti par l’EUIPO, le rejet de l’opposition doit être prononcé d’office par ce dernier. Par contre, lorsque des éléments de preuve ont été produits dans le délai imparti par l’EUIPO, la production de preuves supplémentaires demeure possible (26).

40.      Partant, la deuxième branche du grief de mobile.de, selon laquelle les preuves d’un usage sérieux qui sont soumises tardivement ne peuvent pas être acceptées, doit être rejetée comme non fondée, puisqu’il découle d’une jurisprudence constante que l’EUIPO dispose d’un pouvoir d’appréciation à l’effet de décider s’il y a lieu ou non d’examiner des preuves supplémentaires (27).

41.      Selon moi, la troisième branche du sixième moyen est fondée sur une lecture erronée de l’arrêt du Tribunal. Le Tribunal n’est pas allé jusqu’à affirmer que, lorsque la chambre de recours renvoie une affaire conformément à l’article 64, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, la division d’annulation devant laquelle cette affaire est renvoyée pourrait décider d’examiner des preuves supplémentaires relatives à l’usage sérieux de services de la classe 35 qui ne correspondent pas à la qualification de « publicité de véhicules automobiles » ainsi que de services de la classe 42.

42.      Néanmoins, le pourvoi de mobile.de soulève un nouveau point de droit dans la mesure où le libellé de l’article 64, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, qui dispose que « […] cette instance est liée par les motifs et le dispositif de la décision de la chambre de recours pour autant que les faits de la cause sont les mêmes », n’est pas clair. Lorsque la chambre de recours renvoie une affaire en vue de la poursuite de la procédure, l’instance compétente de l’EUIPO dispose‑t‑elle d’un pouvoir d’appréciation à l’effet de décider s’il y a lieu ou non d’examiner des preuves supplémentaires concernant une question sur laquelle la chambre de recours s’est déjà prononcée ?

43.      Il s’agit d’une question d’importance générale dans la mesure où elle s’applique de manière horizontale dans le système du règlement no 207/2009 à tout l’éventail des procédures régies par celui-ci (28).

44.      S’agissant de l’examen d’un recours, je comprends l’article 64, paragraphe 1, en ce sens qu’il fait référence à une situation dans laquelle la chambre de recours peut exercer son pouvoir d’appréciation prévu à l’article 76, paragraphe 2, en tenant compte de preuves supplémentaires conformément à la jurisprudence de la Cour. Si la chambre établit un constat des faits définitif fondé sur ces preuves et renvoie l’affaire en cause à l’instance concernée de l’EUIPO conformément à l’article 64, paragraphe 2, cette instance est liée par la décision rendue par la chambre de recours. Dès lors, cette instance n’a pas la faculté d’apprécier des preuves supplémentaires produites par une partie concernant une question qui a fait l’objet d’une décision définitive de la chambre de recours. Dans le cas de mobile.de, la décision de la chambre de recours n’est pas susceptible de faire l’objet d’une poursuite de la procédure aux sens de l’article 64, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, en ce qu’elle concerne des services de la classe 35 qui ne sont pas de la « publicité de véhicules automobiles » ou des services de la classe 42. C’est pourquoi il était impossible de présenter à la division d’annulation des preuves supplémentaires concernant ces questions après la décision de renvoi de la chambre de recours.

45.      Cependant, l’existence d’un risque de confusion concernant des services relatifs à la « publicité de véhicules automobiles » au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, était une question que la division d’annulation devait examiner conformément aux règles prévues par le règlement no 207/2009 et le règlement portant modalités d’application. Cette question n’avait pas été examinée par la chambre de recours et il n’y avait pas eu de décision définitive à cet égard. Cet examen inclut la faculté d’exercer le pouvoir d’appréciation accordé par l’article 76, paragraphe 2. Il me semble que c’est précisément cette situation que couvre le libellé de l’article 64, paragraphe 2.

46.      Toutefois, je souligne qu’il serait incompatible avec le dispositif législatif d’interpréter l’article 64, paragraphe 2, et l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 d’une manière qui permettrait à des instances de l’EUIPO de prendre en considération des preuves supplémentaires dans des cas où la chambre de recours a établi des constats de fait et rendu une décision définitive. Il serait erroné d’interpréter l’expression « pour autant que les faits de la cause sont les mêmes » en ce sens qu’il est possible de produire des preuves supplémentaires et que, donc, les fait ne sont pas « les mêmes » au sens de l’article 64, paragraphe 2. Il me semble que cela va au-delà de ce qu’envisage l’article 76, paragraphe 2. Cela fragiliserait l’économie du titre VII du règlement no 207/2009 qui régit la procédure de recours. Cela rendrait les décisions de la chambre de recours incertaines juridiquement à chaque fois qu’il y a une décision de renvoi. Une telle interprétation porterait atteinte à l’architecture juridictionnelle mise en place par le règlement no 207/2009. De surcroît, une telle conception serait incompatible avec l’effet utile du règlement no 207/2009 qui est d’assurer la protection de la marque de l’Union européenne (29). Enfin, cela serait incompatible avec le principe de sécurité juridique.

47.      Je considère par conséquent qu’il conviendrait de rejeter le sixième moyen comme non fondé.

 Dépens

48.      En vertu de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance.

 Conclusion

49.      À la lumière des considérations qui précèdent, je conclus à ce qu’il plaise à la Cour :

–        rejeter le sixième moyen du présent pourvoi comme non fondé, et

–        statuer sur les dépens comme de droit conformément au règlement de procédure de la Cour de justice dans l’arrêt qui met fin à l’instance.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Arrêt du 12 mai 2016, mobile.international/EUIPO – Rezon (mobile.de) (T‑322/14 et T‑325/14, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2016:297). Depuis le prononcé de cet arrêt, mobile.international GmbH a changé de nom et est devenue mobile.de GmbH.


3      Il s’agissait de décisions du 9 janvier 2014 et du 13 février 2014.


4      Règlement du Conseil du 26 février 2009 (JO 2009, L 78, p. 1). Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), à compter du 1er octobre 2017. Le nouveau règlement codifie le règlement no 207/2009 et les dispositions en cause restent inchangées dans le règlement 2017/1001.


5      Arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul (C‑29/05 P, EU:C:2007:162, point 42). Voir, plus récemment, arrêt du 18 juillet 2013, New Yorker SHK Jeans/OHMI (C‑621/11 P, EU:C:2013:484, points 28 et 30). L’avocat général Szpunar fournit une explication utile de l’évolution de cette jurisprudence dans ses conclusions dans l’affaire OHMI/Grau Ferrer (C‑597/14 P, EU:C:2016:2, points 39 à 53).


6      L’expression « marque antérieure » est définie à l’article 8, paragraphe 2. La liste de telles marques figurant dans cette disposition inclut une marque nationale telle que celle en cause dans la présente affaire (voir point 14 ci-après) [article 8, paragraphe 2, sous a), ii)].


7      L’article 42, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 s’applique à la procédure d’opposition lorsque le titulaire d’une marque antérieure cherche à empêcher un demandeur d’une marque de l’Union européenne d’obtenir l’enregistrement de celle-ci. L’article 42, paragraphe 2, fixe les règles d’examen de l’opposition à l’enregistrement d’une marque. Il est fonctionnellement équivalent à l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (cité ci-avant au point 5).


8      Règlement de la Commission du 13 décembre 1995 portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1) (ci‑après le « règlement portant modalités d’application »). Ce règlement a été modifié à plusieurs reprises. La version consolidée de 2009 inclut les modifications apportées par le règlement (CE) no 1041/2005 de la Commission du 29 juin 2005 (JO 2005, L 172, p. 4). C’est la version qui était applicable au moment pertinent. Depuis lors, le règlement portant modalités d’application a été abrogé et remplacé par le règlement délégué (UE) 2017/1430 de la Commission du 18 mai 2017 complétant le règlement no 207/2009 du Conseil sur la marque de l’Union européenne et abrogeant les règlements no 2868/95 et (CE) no 216/96 (JO 2017, L 205, p. 1).


9      Considérants 5 et 6 du règlement portant modalités d’application.


10      Les dispositions de l’article 42, paragraphe 2, relatives à la procédure d’opposition s’appliquent mutatis mutandis à la procédure de nullité.


11      Les classes 9, 16 et 38 ne sont pas concernées par le présent pourvoi. La classe 35 porte sur des services de publicité, de gestion des affaires commerciales, d’administration commerciale et de travaux de bureau, et la classe 42 sur des services scientifiques et technologiques ainsi que services de recherche et de conception y relatifs, des services d’analyse et de recherche, de conception et de développement de logiciels et matériel informatique.


12      La classe 39 couvre le transport, l’emballage et l’entreposage de marchandises, ainsi que l’organisation de voyages.


13      Voir point 79 de l’arrêt attaqué.


14       Voir points 79 et 80 de l’arrêt attaqué.


15      Voir point 81 de l’arrêt attaqué.


16      Voir point 82 de l’arrêt attaqué.


17      Voir point 83 de l’arrêt attaqué.


18      Voir point 85 de l’arrêt attaqué.


19      Voir point 86 de l’arrêt attaqué.


20      Voir point 87 de l’arrêt attaqué.


21      Arrêt du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission (C‑90/09 P, EU:C:2011:21, point 59 et jurisprudence citée).


22      Ordonnance du 10 juillet 2001, Irish Sugar/Commission (C‑497/99 P, EU:C:2001:393, point 15).


23      Arrêt du 18 juillet 2013, New Yorker SHK Jeans/OHMI (C‑621/11 P, EU:C:2013:484, point 24).


24      Voir considérant 10 du règlement no 207/2009.


25      Voir point 17 des présentes conclusions.


26      Arrêt du 21 juillet 2016, EUIPO/Grau Ferrer (C‑597/14 P, EU:C:2016:579, point 26). Dans cette affaire, la Cour a confirmé que le pouvoir d’appréciation prévu à l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 ne s’étend pas à des preuves nouvelles, c’est-à-dire aux cas dans lesquels aucune preuve, quelle qu’elle soit, démontrant l’usage n’est produite dans le délai imparti par l’EUIPO (voir point 27).


27      Voir, en dernier lieu, arrêt du 4 mai 2017, Comercializadora Eloro/EUIPO (C‑71/16 P, non publié, EU:C:2017:345, points 55 à 59 et jurisprudence citée).


28      L’éventail des procédures comprend les procédures d’opposition, de déchéance et de nullité ; voir arrêt du 21 juillet 2016, EUIPO/Grau Ferrer (C‑597/14 P, EU:C:2016:579, point 27).


29      Arrêt du 5 avril 2017, EUIPO/Szajner (C‑598/14 P, EU:C:2017:265, point 39).