Language of document : ECLI:EU:T:2016:282

Édition provisoire

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 mai 2016 (*)

« Droit institutionnel – Initiative citoyenne européenne – Politique de cohésion – Régions à minorité nationale – Refus d’enregistrement – Défaut manifeste d’attributions de la Commission – Article 4, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, du règlement (UE) no 211/2011 »

Dans l’affaire T‑529/13,

Balázs-Árpád Izsák, demeurant à Târgu Mureş (Roumanie),

Attila Dabis, demeurant à Budapest (Hongrie),

représentés initialement par Me J. Tordáné dr. Petneházy, puis par Me D. Sobor, avocats,

parties requérantes,

soutenus par

Hongrie, représentée par MM. M. Fehér, G. Szima et G. Koós, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par M. H. Krämer, Mmes K. Talabér-Ritz, A. Steiblytė et M. P. Hetsch, puis par Mmes Talabér-Ritz, K. Banks, MM. Krämer et B.-R. Killmann, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République hellénique, représentée par Mme E.-M. Mamouna, en qualité d’agent,

Roumanie, représentée par M. R. Radu, Mmes R. Haţieganu, D. Bulancea et M. Bejenar, en qualité d’agents,

République slovaque, représentée par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2013) 4975 final de la Commission, du 25 juillet 2013, portant refus d’enregistrer la proposition d’initiative citoyenne des requérants,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur) et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 décembre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 18 juin 2013, les requérants, MM. Balázs-Árpád Izsák et Attila Dabis, associés à cinq autres personnes, ont présenté à la Commission européenne une proposition d’initiative citoyenne (ci-après la « proposition litigieuse »), intitulée « Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales » (Cohesion policy for the equality of the regions and sustainability of the regional cultures), conformément à l’article 11, paragraphe 4, TUE et au règlement (UE) no 211/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, relatif à l’initiative citoyenne (JO L 65, p. 1).

2        Dans le registre mis en ligne par la Commission à cet effet (ci-après le « registre »), les requérants ont fourni, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 211/2011, les informations minimales décrites à l’annexe II de ce même règlement (ci-après les « informations requises »), notamment en ce qui concerne l’exposé sommaire de l’objet et des objectifs de la proposition litigieuse.

3        Il ressortait des informations fournies par les requérants au titre des informations requises que la proposition litigieuse visait à ce que la politique de cohésion de l’Union européenne accorde une attention particulière aux régions dont les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques différaient de celles des régions environnantes. Pour ces régions, incluant des zones géographiques dépourvues de structures dotées de compétences administratives, la prévention de tout écart ou de tout retard de développement économique par rapport aux régions environnantes, le soutien au développement économique et la préservation des conditions de la cohésion économique, sociale et territoriale devaient être assurés de telle manière que leurs caractéristiques demeurent inchangées. Pour cela, ces régions devaient bénéficier des mêmes opportunités d’accès aux différents fonds de l’Union et la préservation de leurs caractéristiques ainsi qu’un développement économique correct devaient leur être garantis, de telle sorte que le développement de l’Union puisse être durable et que la diversité culturelle de cette dernière soit préservée.

4        En annexe aux informations fournies au titre des informations requises, les requérants ont joint, conformément à l’annexe II du règlement no 211/2011, des informations plus détaillées sur l’objet, les objectifs et le contexte de la proposition litigieuse (ci-après les « informations supplémentaires »).

5        D’une part, il ressortait de ces informations supplémentaires que, dans l’esprit des requérants, les régions à minorité nationale correspondaient à des régions et à des zones géographiques qui ne disposaient pas nécessairement de structures dotées de compétences administratives, mais dans lesquelles étaient implantées des communautés qui présentaient des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques différentes de celles des populations implantées dans les régions environnantes et qui formaient une majorité ou qui étaient composées d’un nombre substantiel de personnes au niveau local, alors que, au niveau national, elles ne représentaient qu’une minorité, et qui avaient exprimé (par référendum) leur volonté de disposer d’un statut d’autonomie au sein de l’État membre concerné (ci-après les « régions à minorité nationale »). Ces régions à minorité nationale étaient, selon les requérants, les gardiennes de cultures et de langues européennes ancestrales et représentaient des sources importantes de la diversité culturelle et linguistique de l’Union et, plus largement, de l’Europe.

6        D’autre part, il ressortait des informations supplémentaires que l’acte juridique de l’Union proposé (ci-après l’« acte proposé ») devait avant tout garantir l’égalité entre les régions et le maintien des cultures régionales, en prévenant tout écart ou tout retard de développement économique des régions à minorité nationale par rapport aux régions environnantes et en permettant que la cohésion économique, sociale et territoriale des régions à minorité nationale soit maintenue, d’une manière qui ne porterait pas atteinte à leurs caractéristiques. Selon les requérants, la politique de cohésion régie par les articles 174 TFUE à 178 TFUE devait, pour répondre aux valeurs fondamentales définies aux articles 2 TUE et 3 TUE, contribuer au maintien des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale, lesquelles étaient menacées par l’intégration économique européenne, et à la correction des handicaps et des discriminations affectant le développement économique de ces régions. Par conséquent, l’acte proposé devait accorder aux régions à minorité nationale une possibilité d’accéder aux fonds, aux ressources et aux programmes de la politique de cohésion de l’Union égale à celle des régions actuellement éligibles, telles que listées à l’annexe I du règlement (CE) no 1059/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, relatif à l’établissement d’une nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS) (JO L 154, p. 1). Ces garanties pouvaient, selon les requérants, inclure la mise en place d’institutions régionales autonomes, investies de pouvoirs suffisants pour aider les régions à minorité nationale à maintenir leurs caractéristiques nationales, linguistiques et culturelles ainsi que leur identité.

7        À cette fin, d’une part, l’acte proposé devait fournir une définition de la « région à minorité nationale », en se référant, premièrement, aux concepts et aux objectifs énoncés dans certains instruments de droit international, notamment à la définition de la « minorité nationale » contenue dans la recommandation 1201 (1993) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, adoptée le 1er février 1993, relative à un protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme sur les droits des minorités, deuxièmement, aux traditions constitutionnelles communes aux États membres, troisièmement, à la jurisprudence rendue en application de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, quatrièmement, à l’article 3 TUE et à l’article 167 TFUE ainsi que, cinquièmement, à la volonté exprimée (par référendum) des communautés intéressées à bénéficier d’un statut d’autonomie au sein de l’État membre concerné. D’autre part, ledit acte devait désigner de façon nominative, conformément à la définition susmentionnée, les régions à minorité nationale existant au sein de l’Union, lesquelles devaient ensuite être intégrées dans la nomenclature statistique commune des unités territoriales (ci-après la « NUTS ») figurant à l’annexe I du règlement no 1059/2003.

8        En outre, afin d’éviter que les fonds, les ressources et les programmes de la politique de cohésion de l’Union ne soient utilisés par les autorités administratives nationales pour financer des politiques hostiles aux minorités nationales, l’acte proposé devait déclarer que les États membres étaient tenus, sans délai, d’honorer pleinement leurs obligations et leurs engagements internationaux vis-à-vis des minorités nationales et que la violation ou le non-respect de ces engagements par tout État membre équivaudrait à une violation des valeurs énoncées à l’article 2 TUE, relevant de la procédure décrite à l’article 7 TUE et pouvant conduire le Conseil de l’Union européenne à suspendre certains droits découlant de l’application des traités à l’État membre concerné.

9        Le 25 juillet 2013, la Commission a adopté la décision C (2013) 4975 final, portant refus d’enregistrer la proposition litigieuse (ci-après la « décision attaquée »), au motif qu’il ressortait d’un examen approfondi des dispositions des traités citées dans cette proposition, et de toutes les autres bases légales envisageables, que ladite proposition se situait manifestement en dehors du cadre de ses attributions permettant de présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 septembre 2013, les requérants ont introduit le présent recours.

11      Le 3 janvier 2014, la Commission a déposé un mémoire en défense.

12      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 février 2014, la République slovaque a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

13      Le 21 février 2014, les requérants ont déposé une réplique.

14      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 mars 2014, la Hongrie a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants.

15      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 7 et 12 mars 2014, la République hellénique et la Roumanie ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la Commission.

16      Le 7 avril 2014, la Commission a déposé une duplique.

17      Après avoir recueilli les observations des parties, le président de la première chambre du Tribunal a, par ordonnance du 12 mai 2014, fait droit aux demandes d’intervention de la République slovaque, de la Hongrie, de la République hellénique et de la Roumanie.

18      La République slovaque, d’une part, la Hongrie et la Roumanie, d’autre part, ont présenté leurs mémoires en intervention, respectivement, les 23 et 25 juin 2014. La République hellénique n’a pas présenté de mémoire en intervention.

19      Par actes déposés au greffe du Tribunal, respectivement, les 18 et 23 juin et le 25 août 2014, le Judeţul Covasna (département roumain de Covasna), Bretagne réunie et l’Obec Debrad’ (commune slovaque de Debrad’) ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants.

20      Après avoir recueilli les observations des parties, le président de la première chambre du Tribunal a, par ordonnance du 18 mai 2015, rejeté les demandes d’intervention du Judeţul Covasna, de Bretagne réunie et de l’Obec Debrad’.

21      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, sous b), de son règlement de procédure, a invité les parties principales à se prononcer par écrit sur certains aspects du litige. Celles-ci ont déféré à ces demandes dans les délais impartis. Dans leur réponse, les requérants ont déclaré renoncer à leur chef de conclusions visant à obliger la Commission à enregistrer la proposition litigieuse et à prendre toutes les mesures juridiques requises.

22      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 15 décembre 2015, à l’exception de la République hellénique, dont le représentant n’était pas présent lors de ladite audience. À l’occasion de cette dernière, la Commission a informé le Tribunal que les requérants avaient publié, sur le site Internet de la proposition litigieuse, le mémoire en défense qu’elle avait déposé dans la présente affaire et que, malgré sa demande en ce sens, ils avaient refusé de le retirer. Elle a demandé au Tribunal de tenir compte de ce comportement abusif des requérants dans le cadre de la répartition des dépens. Les requérants n’ont pas contesté les faits reprochés par la Commission, mais ont fait valoir que leur comportement ne constituait pas un abus de droit, en l’absence de texte le prohibant. Ils ont donc invité le Tribunal à faire application des règles générales sur les dépens.

23      Après adaptation de leurs conclusions (point 21 ci-dessus), les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant, pour partie, irrecevable et, pour le reste, non fondé ;

–        condamner les requérants et la Hongrie aux dépens.

25      Même si la République hellénique n’a pas formellement conclu, il y a lieu de considérer que, en tant que partie intervenante au soutien des conclusions de la Commission, elle se rallie purement et simplement à ces dernières.

26      La République slovaque, partie intervenante au soutien des conclusions de la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant, pour partie, irrecevable et, pour le reste, non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

27      La Roumanie, partie intervenante au soutien des conclusions de la Commission, se rallie, en substance, à ces dernières en tant qu’elles visent au rejet du recours comme étant, pour partie, irrecevable et, pour le reste, non fondé.

 En droit

 Sur la recevabilité de certains griefs

28      Au stade de la réplique, les requérants, soutenus par la Hongrie, invoquent, en substance, des griefs pris, d’une part, d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration et, d’autre part, d’une interprétation erronée de l’article 352 TFUE.

29      Invitée par le Tribunal à se prononcer sur cet aspect du litige (point 21 ci-dessus), la Commission, soutenue par la République slovaque, s’est prévalue de l’irrecevabilité du grief pris d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration, dans la mesure où ce grief n’avait été soulevé, pour la première fois, qu’au stade de la réplique et qu’il ne remplissait pas les conditions de recevabilité ressortant des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

30      S’agissant du grief pris d’une interprétation erronée de l’article 352 TFUE, la Commission, soutenue par la Roumanie et la République slovaque, a également conclu à son rejet, comme étant irrecevable, au motif qu’il avait été soulevé, pour la première fois, au stade de la réplique.

31      Les requérants objectent avoir soulevé les présents griefs en réponse aux arguments présentés par la Commission dans le mémoire en défense et soutiennent que ces griefs ne constituent qu’une ampliation de ceux figurant déjà dans leur requête.

32      Il y a lieu de rappeler que, conformément aux dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du 2 mai 1991, la production de moyens nouveaux postérieurement au dépôt de la requête est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (voir arrêt du 15 octobre 2008, Mote/Parlement, T‑345/05, EU:T:2008:440, point 85 et jurisprudence citée). Une solution analogue s’impose pour un grief articulé à l’appui d’un moyen (voir arrêt du 19 mars 2013, In ’t Veld/Commission, T‑301/10, EU:T:2013:135, point 97 et jurisprudence citée).

33      Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 31).

34      En l’espèce, il est exact que les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration ainsi que le grief pris d’une interprétation erronée de l’article 352 TFUE, mentionnés au point 28 ci-dessus, ne figuraient pas dans la requête.

35      Cependant, les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration correspondent, en l’espèce, à une ampliation des griefs articulés dans la requête et sont fondés sur des éléments qui se sont révélés durant la procédure devant le Tribunal. En effet, d’une part, ces griefs sont étroitement liés au moyen unique soulevé, en substance, par les requérants dans la requête, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, au motif que la proposition litigieuse ne se situait manifestement pas en dehors du cadre des attributions permettant à la Commission de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. Ils apparaissent comme une nouvelle qualification juridique des arguments présentés à l’appui de ce moyen, à la lumière de certains arguments avancés par la Commission dans le mémoire en défense, d’où il ressortirait, selon eux, que le seul motif de la décision attaquée était que la Commission ne jugeait pas opportun, en l’état actuel du droit de l’Union, d’exercer ses attributions dans le sens qu’ils souhaitaient. D’autre part, les requérants justifient la présentation de ces griefs par certains éléments révélés durant la procédure devant le Tribunal, à savoir des arguments avancés par la Commission dans le mémoire en défense selon lesquels « les politiques de l’Union ne p[ouvai]ent devenir les instruments de politiques allant à l’encontre des minorités » et « les spécificités des minorités nationales [étaie]nt susceptibles d’être prises en compte de manière appropriée lors de l’établissement de la nomenclature NUTS à l’échelle des États membres ».

36      Aussi les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration sont-ils recevables.

37      En revanche, le grief pris d’une interprétation erronée de l’article 352 TFUE ne se rattache pas, par un lien étroit, aux griefs figurant dans la requête. En outre, ce grief ne se fonde pas sur des éléments qui se seraient révélés durant la procédure devant le Tribunal, puisque, indépendamment des arguments de la Commission dans le mémoire en défense, ce grief aurait déjà pu être présenté dans la requête. En effet, dans la décision attaquée, la Commission avait déjà pris position en ce sens qu’aucune disposition des traités, autre que celles citées dans la proposition litigieuse, ne pouvait servir de fondement à l’acte proposé, ce qui incluait l’article 352 TFUE.

38      Il y a donc lieu de rejeter comme étant irrecevable le grief pris d’une interprétation erronée de l’article 352 TFUE et de rejeter, pour le surplus, les fins de non-recevoir soulevées par la Commission.

 Sur le fond

39      À l’appui de leur demande d’annulation de la décision attaquée, les requérants, soutenus par la Hongrie, invoquent, en substance, un moyen unique, tiré de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, au motif que la proposition litigieuse ne se situe manifestement pas en dehors du cadre des attributions permettant à la Commission de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. Compte tenu des conclusions tirées au point 38 ci-dessus, il y a lieu de considérer que ce moyen est articulé en plusieurs griefs tirés, premièrement, d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE et de l’article 174 TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003, lu à la lumière du considérant 10 de ce même règlement, deuxièmement, d’une interprétation erronée de l’article 167 TFUE, troisièmement, d’une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, TFUE, quatrièmement, d’une prise en compte erronée d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011 et, cinquièmement, d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration.

40      Il y a lieu, en l’espèce, de commencer par l’examen du grief tiré d’une prise en compte erronée d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011.

 Sur le grief tiré d’une prise en compte erronée d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011

41      Les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent que la Commission a commis une erreur en tenant compte, dans la décision attaquée, des informations supplémentaires, telles que définies au point 4 ci-dessus.

42      La Commission, soutenue par la Roumanie et la République slovaque, conclut au rejet du présent grief.

43      Le présent grief pose la question de savoir quelles sont les informations sur lesquelles la Commission est autorisée à se fonder pour décider que les conditions d’enregistrement d’une proposition d’initiative citoyenne, énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, ne sont pas remplies.

44      L’article 4 du règlement no 211/2011 dispose, notamment, ce qui suit :

« 1.      Avant d’entamer la collecte des déclarations de soutien à une proposition d’initiative citoyenne auprès des signataires, les organisateurs sont tenus de l’enregistrer auprès de la Commission, en fournissant les informations décrites à l’annexe II, notamment en ce qui concerne l’objet et les objectifs de la proposition d’initiative citoyenne.

[…]

2.      Dans les deux mois qui suivent la réception des informations décrites à l’annexe II, la Commission enregistre la proposition d’initiative citoyenne sous un numéro d’enregistrement unique et transmet une confirmation aux organisateurs, pour autant que les conditions suivantes soient remplies :

[…]

b)      la proposition d’initiative citoyenne n’est pas manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles elle peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités ;

[…]

3.      La Commission refuse l’enregistrement si les conditions énoncées au paragraphe 2 ne sont pas remplies.

[…] »

45      L’article 4 du règlement no 211/2011 renvoyant directement, à cet égard, à l’annexe II de ce même règlement, cette dernière doit être considérée comme ayant une force obligatoire identique à celle dudit règlement (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 avril 1996, Industrias Pesqueras Campos e.a./Commission, T‑551/93 et T‑231/94 à T‑234/94, EU:T:1996:54, point 84).

46      L’annexe II du règlement no 211/2011, intitulée « Informations requises pour l’enregistrement d’une proposition d’initiative citoyenne », dispose ce qui suit :

« Les informations suivantes doivent être fournies en vue de l’enregistrement d’une proposition d’initiative citoyenne au registre en ligne de la Commission :

1.      l’intitulé de la proposition d’initiative citoyenne, en 100 caractères au maximum ;

2.      son objet, en 200 caractères au maximum ;

3.      la description des objectifs de la proposition d’initiative citoyenne pour lesquels la Commission est invitée à agir, en 500 caractères au maximum ;

4.      les dispositions des traités que les organisateurs jugent pertinentes pour l’action proposée.

[…]

Les organisateurs peuvent joindre en annexe des informations plus détaillées sur l’objet, les objectifs et le contexte de la proposition d’initiative citoyenne. Ils peuvent également, s’ils le souhaitent, soumettre un projet d’acte juridique. »

47      Il ressort de l’article 4 du règlement no 211/2011 et de l’annexe II de celui-ci que la Commission examine les informations communiquées par les organisateurs aux fins d’apprécier si la proposition d’initiative citoyenne remplit les conditions d’enregistrement énoncées, notamment, à l’article 4, paragraphe 2, sous b), de ce même règlement.

48      Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les « informations décrites à l’annexe II » du règlement no 211/2011, auxquelles renvoie l’article 4 de ce même règlement, ne se limitent pas aux informations minimales qui, en vertu de cette même annexe, doivent être fournies dans le registre.

49      En effet, le droit, reconnu à l’annexe II du règlement no 211/2011, pour les organisateurs de la proposition d’initiative de fournir des informations supplémentaires, voire un projet d’acte juridique de l’Union, a pour corollaire l’obligation pour la Commission d’examiner lesdites informations, au même titre que toute autre information fournie en application de ladite annexe, conformément au principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêts du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 95 et jurisprudence citée, et du 23 septembre 2009, Estonie/Commission, T‑263/07, EU:T:2009:351, point 99 et jurisprudence citée).

50      Dès lors, indépendamment même du point de savoir si les informations requises, fournies dans le registre, étaient suffisantes, il y a lieu de conclure que, aux fins d’apprécier si la proposition litigieuse remplissait les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, la Commission devait examiner les informations supplémentaires.

51      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments des requérants tirés, en substance, de ce que la Commission n’aurait pas dû tenir compte, dans la décision attaquée, des informations supplémentaires qui ne faisaient qu’illustrer des propositions d’actes pouvant, le cas échéant, être soumises par la Commission, sans correspondre, pour autant, à l’acte proposé.

52      À cet égard, il importe de souligner que, dans la décision attaquée, la Commission a estimé, en se fondant sur les informations supplémentaires, que les requérants l’invitaient, par la proposition litigieuse, à présenter une proposition d’acte juridique de l’Union visant à garantir « l’égalité entre les régions et le maintien des cultures régionales », ce qui, selon eux, impliquait nécessairement, d’une part, de garantir que les États membres respectent leurs engagements de droit international à l’égard des minorités nationales et, d’autre part, d’« accorder une attention particulière aux régions [à minorité nationale] dans le contexte de la politique de cohésion de l’Union », en retenant une définition de la « région à minorité nationale » qui tienne compte des critères retenus dans les instruments internationaux cités dans la proposition litigieuse et de la volonté exprimée des communautés concernées, et en identifiant nommément lesdites régions.

53      Les requérants ne sont pas fondés à prétendre que les mesures ainsi identifiées dans la décision attaquée auraient été présentées, dans les informations supplémentaires, comme de simples exemples de propositions de mesures pouvant, le cas échéant, être soumises par la Commission. Dans leurs informations supplémentaires, tout d’abord, ils indiquent expressément que « la législation devrait […] déclarer que les États membres doivent, sans délai, remplir leurs engagements internationaux à l’égard des minorités nationales ». Ensuite, les requérants indiquent, en réitérant une demande déjà formulée au titre des informations requises, que, aux fins de répondre aux objectifs poursuivis par la proposition litigieuse, « [les régions à minorité nationale] doivent se voir accorder une égale possibilité d’accéder aux fonds structurels et aux autres fonds de l’Union, aux ressources et aux programmes [de la politique de cohésion] [et] le maintien de leurs caractéristiques ainsi que leur développement économique approprié doivent être garantis ». Enfin, ils renvoient clairement à un « concept [de régions à minorité nationale] devant être défini dans un acte de l’Union » et indiquent que, « [a]u-delà de la définition du concept de régions à minorité nationale, l’acte juridique de l’Union préparé par la Commission doit également identifier leur nom dans une annexe, en prenant en compte les critères retenus dans les instruments internationaux listés [dans les informations supplémentaires], et la volonté des communautés concernées ». Il ressort des passages susmentionnés des informations supplémentaires que les propositions de mesures dont la Commission a tenu compte dans la décision attaquée étaient clairement présentées par les requérants, dans lesdites informations, comme des mesures devant nécessairement figurer dans l’acte proposé.

54      C’est donc à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a pris en compte ces mesures aux fins de vérifier si la proposition litigieuse remplissait les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.

55      En outre, la conclusion tirée au point 50 ci-dessus n’est pas remise en cause par les arguments des parties portant sur le point de savoir si la prise en compte, dans la décision attaquée, des informations supplémentaires était ou non, en l’espèce, dans l’intérêt des requérants.

56      À cet égard, il importe de souligner qu’il appartient aux organisateurs d’une proposition d’initiative citoyenne d’apprécier, dans chaque cas d’espèce, s’il est dans leur intérêt d’exercer leur droit, reconnu à l’annexe II du règlement no 211/2011, de fournir des informations supplémentaires sur l’objet, les objectifs et le contexte de leur proposition, compte tenu de l’obligation corrélative qui incombe à la Commission de les examiner aux fins d’apprécier, notamment, si la proposition d’initiative citoyenne doit être enregistrée. Toutefois, après que les organisateurs d’une proposition d’initiative citoyenne ont décidé d’exercer leur droit et de fournir de telles informations supplémentaires, ces dernières doivent être prises en compte par la Commission, sans que celle-ci puisse et doive s’interroger sur le point de savoir si la prise en compte desdites informations est ou non dans l’intérêt des organisateurs.

57      En l’espèce, les requérants ont fourni des informations supplémentaires à la Commission, qui devait, dès lors, les examiner, indépendamment du point de savoir si cela était ou non dans l’intérêt des requérants.

58      L’argumentation des requérants se trouvant ainsi intégralement réfutée, il convient de rejeter le grief tiré d’une prise en compte erronée d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011.

 Observations liminaires sur les autres griefs soulevés par les requérants

59      Dans la mesure où l’ensemble des autres griefs soulevés par les requérants se rattachent, en substance, à la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 (point 39 ci-dessus), il convient de rappeler que, selon l’article 5 TUE, le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union, que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités et que c’est dans ce contexte que l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 prévoit la condition selon laquelle la proposition d’initiative citoyenne ne doit pas être manifestement en dehors du cadre des attributions de la Commission en vertu desquelles celle-ci peut présenter une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités.

60      Il résulte du libellé de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 que la Commission doit procéder à un premier examen des éléments dont elle dispose afin d’apprécier si la proposition d’initiative citoyenne ne relève manifestement pas du cadre de ses attributions, étant précisé qu’un examen plus complet est prévu en cas d’enregistrement de la proposition. En effet, l’article 10, paragraphe 1, sous c), du règlement no 211/2011 dispose que, lorsque la Commission reçoit l’initiative citoyenne européenne, elle présente, dans le délai de trois mois, au moyen d’une communication, ses conclusions juridiques et politiques sur ladite initiative, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action.

61      Afin de déterminer si la Commission a correctement appliqué en l’espèce la condition figurant à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, il convient d’examiner si, au regard de la proposition litigieuse et dans le cadre d’un premier examen des éléments dont elle disposait, celle-ci ne pouvait manifestement pas proposer l’adoption d’un acte de l’Union fondé sur les articles des traités, en particulier ceux cités par les requérants dans la proposition litigieuse.

 Sur les griefs tirés d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE et de l’article 174 TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003, lu à la lumière du considérant 10 de ce même règlement

62      Les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent que la Commission a entaché la décision attaquée d’une erreur d’interprétation en refusant de constater, dans celle-ci, que l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE et l’article 174 TFUE ainsi que l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003, lu à la lumière du considérant 10 de ce même règlement, pouvaient fournir une base juridique lui permettant de présenter une proposition d’acte juridique de l’Union correspondant à la proposition litigieuse.

63      La Commission, soutenue par la Roumanie et la République slovaque, conclut au rejet des présents griefs.

64      Dans la décision attaquée, la Commission, après avoir défini le contenu de l’acte proposé comme indiqué au point 52 ci-dessus, a observé ce qui suit :

« Selon [la] demande, [certaines mesures] sont nécessaires afin qu’une attention particulière soit accordées aux régions [à minorité nationale] dans le contexte de la politique de cohésion de l’Union. Cependant, toute mesure adoptée sur la base des articles 177 [TFUE] et 178 TFUE régissant la politique de cohésion [de l’Union] se limite à poursuivre les objectifs de renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale, comme prévu à l’article 174 TFUE. Promouvoir les conditions des minorités nationales ne peut pas être compris comme aidant à réduire ‘l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions’ et le retard des régions les moins favorisées, comme énoncé à l’article 174, deuxième alinéa, TFUE. À cet égard, la liste des ‘handicaps’ établie à l’article 174, troisième alinéa, TFUE, qui implique l’obligation d’accorder une ‘attention particulière’ aux régions concernées, est exhaustive. Par conséquent, les articles 174 [TFUE], 176 [TFUE], 177 [TFUE] et 178 TFUE ne peuvent pas constituer des bases légales pour adopter l’acte […] proposé. »

65      En outre, la Commission, après avoir indiqué que son examen avait non seulement porté sur les dispositions des traités citées dans la proposition litigieuse, mais également sur « toutes les autres bases juridiques envisageables », a conclu ce qui suit :

« [I]l n’y a pas de base juridique, dans les traités, qui permettrait de présenter une proposition d’acte juridique ayant le contenu [que les organisateurs de la proposition litigieuse] envisage[nt]. »

66      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le choix de la base juridique d’un acte juridique de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent, notamment, le but et le contenu de cet acte (voir arrêts du 11 juin 2014, Commission/Conseil, C‑377/12, EU:C:2014:1903, point 34 et jurisprudence citée, et du 18 décembre 2014, Royaume-Uni/Conseil, C‑81/13, EU:C:2014:2449, point 35 et jurisprudence citée).

67      Les présents griefs posent la question de savoir si, au vu, notamment, du but et du contenu de l’acte proposé, celui-ci pouvait être adopté sur la base des dispositions, citées par les requérants dans la proposition litigieuse, concernant la politique de cohésion de l’Union.

68      L’article 3 TUE mentionne, entre autres objectifs poursuivis par l’Union, la promotion de la cohésion économique, sociale et territoriale. Ladite cohésion figure parmi les domaines de compétences partagées entre l’Union et les États membres, énumérés à l’article 4, paragraphe 2, TFUE. Comme l’observe à bon droit la Commission, la base juridique pour l’adoption d’actes juridiques de l’Union permettant de consolider et de développer davantage l’action de l’Union dans le domaine de la cohésion économique, sociale et territoriale, notamment au travers des fonds à finalité structurelle, se trouve dans les dispositions de l’ensemble de la troisième partie, titre XVIII, du traité FUE, à savoir les articles 174 TFUE à 178 TFUE. Cela ressort également du protocole (no 28) sur la cohésion économique, sociale et territoriale, annexé au traité UE et au traité FUE.

69      Il ressort d’une lecture combinée des articles 174 TFUE à 178 TFUE que le législateur de l’Union est habilité à adopter des mesures qui visent à promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union et, en particulier, à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées, en accordant, à cet égard, une attention particulière aux zones rurales, aux zones où s’opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne.

70      Conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, qui dispose notamment que l’Union respecte l’identité nationale des États membres inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale, la notion de « région », au sens des articles 174 TFUE à 178 TFUE, doit être définie dans le respect de la situation politique, administrative et institutionnelle existante. Cependant, les unités administratives existant dans les différents États membres présentent de grandes différences entre elles, aussi bien sur le plan démographique et géographique qu’en ce qui concerne leurs compétences. Or, l’adoption d’actes juridiques de l’Union dans le domaine de la politique de cohésion implique que le législateur de l’Union dispose de données comparables quant au niveau de développement de chacune de ces unités administratives. Comme il ressort de son considérant 9, le règlement no 1059/2003 a donc établi une NUTS, permettant, à travers la définition d’« unités territoriales » ou de « régions NUTS », dont le niveau, dans la hiérarchie, dépend de leur taille en termes de population, de rendre comparables les statistiques relatives au niveau de développement des différentes unités administratives existant dans les États membres et qui, partant, sert de référence pour la mise en œuvre de la politique de cohésion de l’Union.

71      À cet égard, l’article 3 du règlement no 1059/2003, fixant les critères de classification des unités territoriales statistiques, énonce, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, ce qui suit :

« 1.      La définition des unités territoriales repose fondamentalement sur les unités administratives existant dans les États membres.

Dans ce contexte, les termes ‘unité administrative’ désignent une zone géographique pour laquelle une autorité administrative est habilitée à prendre des décisions administratives ou stratégiques conformément au cadre juridique et institutionnel de l’État membre concerné.

2.      Le niveau pertinent de la NUTS auquel une classe donnée d’unités administratives d’un État membre doit être répertoriée est déterminé sur la base des seuils démographiques visés ci-après à l’intérieur desquels se situe la taille moyenne de cette classe d’unités administratives de l’État membre en question :

[…]

Si l’effectif de la population de tout un État membre est inférieur au seuil minimal d’un niveau donné de la NUTS, l’État membre constitue dans son ensemble une unité territoriale NUTS de ce niveau.

3.      Aux fins du présent règlement, la population d’une unité territoriale est constituée par les personnes ayant leur résidence habituelle dans la zone considérée.

4.      Les unités administratives existantes employées pour les besoins de la nomenclature NUTS sont énumérées à l’annexe II. Les mesures visant à modifier des éléments non essentiels du présent règlement et adaptant l’annexe II sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 7, paragraphe 2.

5.      Si, pour un niveau déterminé de la NUTS, il n’existe pas, dans un État membre, d’unités administratives d’une taille suffisante selon les critères visés au paragraphe 2, ce niveau de la NUTS est constitué en agrégeant un nombre adéquat d’unités administratives contiguës de plus petite taille existantes. L’agrégation est réalisée sur la base de critères pertinents tels que la situation géographique, socio-économique, historique, culturelle ou environnementale.

Les unités agrégées ainsi établies sont ci-après dénommées ‘unités non administratives’. La taille des unités non administratives d’un État membre classées à un niveau déterminé de la NUTS se situe entre les seuils démographiques indiqués au paragraphe 2.

Il peut cependant être dérogé à ces seuils pour certaines unités non administratives, pour des motifs géographiques, socio-économiques, historiques, culturels ou environnementaux particuliers, notamment pour les îles et les régions ultrapériphériques. Ces mesures, qui visent à modifier des éléments non essentiels du présent règlement en le complétant, sont arrêtées en conformité avec la procédure de réglementation avec contrôle visée à l’article 7, paragraphe 2. »

72      Au vu du cadre juridique exposé aux points 68 à 71 ci-dessus, c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a estimé que « les articles 174 [TFUE], 176 [TFUE], 177 [TFUE] et 178 TFUE ne peuvent pas constituer des bases légales pour adopter l’acte […] proposé ».

73      En effet, il ressort de la proposition litigieuse, telle que décrite aux points 3 et 5 à 8 ci-dessus, que l’acte proposé devait permettre que les régions à minorité nationale soient intégrées dans la notion de « région », au sens des articles 174 [TFUE] à 178 TFUE, et bénéficient d’une attention particulière, dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, afin que leurs caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques puissent être maintenues. L’acte proposé devait, notamment, enjoindre aux États membres de respecter leurs obligations à l’égard des minorités nationales, y compris lorsqu’ils mettaient en œuvre la politique de cohésion de l’Union, définir la notion même de « région à minorité nationale », qui constituerait également une « région » au sens des articles 174 [TFUE] à 178 TFUE, et établir une liste nominative des régions à minorité nationale ayant vocation à bénéficier d’une attention particulière dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, aux fins que leurs caractéristiques spécifiques soient maintenues.

74      Il ressort, en outre, de la proposition litigieuse que les régions à minorité nationale devaient être définies sur la base de critères autonomes et, donc, indépendamment des unités administratives existant dans les États membres. En effet, la proposition litigieuse indique que « tous les éléments essentiels du concept [de régions à minorité nationale] à définir dans un acte juridique de l’Union existent déjà dans d’innombrables instruments internationaux adoptés par beaucoup d’États membres » et renvoie, à cet égard, aux « régions avec des caractéristiques nationales, ethniques, culturelles, religieuses, linguistiques qui sont différentes de celles qui les entourent ». Selon la proposition litigieuse, les régions ainsi définies incluaient « des zones géographiques sans compétences administratives ». Par conséquent, selon la proposition litigieuse, pour la création de régions conformes à la NUTS, les frontières linguistiques, ethniques et culturelles devaient être prises en compte, ainsi que la volonté des communautés autochtones formant la majorité de la population de la région, exprimée à travers un référendum préalable, et « les garanties [découlant de l’acte proposé], en accord avec la […] résolution [du Parlement européen sur la protection des minorités et les politiques de lutte contre les discriminations dans l’Europe élargie] et la volonté des communautés en cause, pourraient inclure la mise en place d’institutions régionales autonomes, investies de pouvoirs suffisants pour aider à maintenir [les] caractéristiques nationales, linguistiques et culturelles et [l’]identité [des régions à minorité nationale] ». Ainsi, il ressort de la proposition litigieuse que l’acte proposé devait conduire à redéfinir la notion de « région », au sens des articles 174 TFUE à 178 TFUE, en conférant un véritable statut aux régions à minorité nationale, et ce sans égard pour la situation politique, administrative et institutionnelle prévalant dans les États membres concernés.

75      Or, comme il a été observé au point 70 ci-dessus, et conformément à l’article 4, paragraphe 2, TUE, l’Union doit, dans le cadre de la politique de cohésion, respecter la situation politique, administrative et institutionnelle prévalant dans les États membres. Ainsi, lorsque, aux seules fins d’assurer la comparabilité des données statistiques régionales, l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003 prévoit de tenir compte de critères tels que la situation géographique, socio-économique, historique, culturelle ou environnementale, ce n’est qu’aux fins d’agréger, dans une unité non administrative de taille suffisante en termes de population, des unités administratives existant dans les États membres concernés et dans le seul but d’assurer la comparabilité des statistiques relatives au niveau de développement de ces différentes unités administratives. En outre, lorsque cette même disposition prévoit qu’il peut être dérogé aux seuils démographiques pour des motifs géographiques, socio-économiques, historiques, culturels ou environnementaux particuliers, ce n’est que par rapport à des unités non administratives correspondant, elles-mêmes, à une agrégation d’unités administratives existant dans les États membres concernés à des fins purement statistiques et sans que cela puisse aboutir à modifier, de quelque manière que ce soit, le cadre politique, administratif et institutionnel existant dans les États membres concernés.

76      Il s’ensuit que le législateur de l’Union ne pourrait, sans violer l’article 4, paragraphe 2, TUE, adopter un acte qui, à l’instar de l’acte proposé, définirait des régions à minorité nationale, ayant vocation à bénéficier d’une attention particulière dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, sur la base de critères autonomes et, donc, sans égard pour la situation politique, administrative et institutionnelle existante dans les États membres concernés.

77      En tout état de cause, à supposer même que les régions à minorité nationale puissent correspondre à des unités administratives existant dans les États membres concernés ou à des agrégats de telles unités, il y a lieu d’observer que le maintien des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques de ces régions n’est pas un but qui pourrait justifier l’adoption d’un acte juridique de l’Union sur la base des articles 174 [TFUE], 176 [TFUE], 177 [TFUE] et 178 TFUE.

78      En effet, ces dernières dispositions n’habilitent le législateur de l’Union qu’à adopter des mesures qui visent à promouvoir un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union et, en particulier, à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées, en accordant, à cet égard, une attention particulière aux zones rurales, aux zones où s’opère une transition industrielle et aux régions qui souffrent de handicaps naturels ou démographiques graves et permanents telles que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne.

79      Certes, les requérants allèguent en substance que, d’une part, l’intégration européenne et, en particulier, la mise en œuvre de la politique de cohésion de l’Union ne promeuvent pas, actuellement, un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union, car elles menacent les caractéristiques spécifiques des régions à minorité nationale, lesquelles tendent, de ce fait, à « s’estomper », et que, d’autre part, les régions à minorité nationale souffrent d’un handicap démographique grave et permanent, lié à la position minoritaire, sur le plan national, de leur population, qui affecte leur développement économique par rapport aux régions environnantes.

80      Toutefois, comme l’observe à bon droit la Commission, l’argumentation des requérants repose, à cet égard, sur des allégations qui ne sont nullement étayées ni, a fortiori, démontrées.

81      D’une part, les requérants n’ont pas démontré que la mise en œuvre de la politique de cohésion de l’Union, tant par l’Union que par les États membres, menaçait les caractéristiques spécifiques des régions à minorité nationale.

82      Aux termes de l’article 2 TUE, l’Union est fondée sur le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. En outre, l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne interdit toute discrimination fondée sur l’appartenance à une minorité nationale. Or, l’article 6, paragraphe 1, TUE dispose que l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés par la charte des droits fondamentaux, laquelle a la même valeur juridique que les traités, et l’article 51, paragraphe 1, de ladite charte précise que ses dispositions s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Il s’ensuit que, dans l’exercice de leur compétence partagée en matière de cohésion économique, sociale et territoriale, l’Union et les États membres ne doivent pas discriminer les personnes et les populations en raison de leur appartenance à une minorité nationale.

83      Au demeurant, il convient de souligner que la proposition litigieuse ne visait pas à lutter contre des discriminations dont les personnes ou les populations implantées dans des régions à minorité nationale seraient victimes, en raison de leur appartenance à une telle minorité, mais à prévenir tout écart ou tout retard de développement économique des régions à minorité nationale par rapport aux régions environnantes, du fait du handicap que constitueraient, pour les premières, leurs caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques. Au point 5 de la requête, les requérants ont d’ailleurs eux-mêmes admis que la proposition litigieuse n’avait pas pour « objet » d’« empêcher les discriminations », même s’ils n’excluaient pas que l’acte proposé puisse avoir une telle « conséquence ».

84      Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni l’article 2 TUE, ni l’article 21, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, ni aucune autre disposition du droit de l’Union visant à lutter contre les discriminations, notamment les dispositions fondées sur l’appartenance à une minorité nationale, ne pouvaient permettre à la Commission de proposer, dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, un acte juridique de l’Union dont l’objet et le contenu auraient correspondu à ceux de l’acte proposé.

85      D’autre part, les requérants n’ont pas démontré que les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale pourraient être considérées comme un handicap démographique grave et permanent, au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE.

86      À cet égard, alors que l’article 174, troisième alinéa, TFUE constate que les régions les plus septentrionales à très faible densité de population et les régions insulaires, transfrontalières et de montagne souffrent de handicaps naturels ou démographiques correspondant à leur insularité, à leur caractère transfrontalier, à leur relief, à leur isolement, à leur faible ou très faible densité de population, il ne mentionne pas les régions dont les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques diffèrent de celles des régions environnantes. L’article 121, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1303/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO L 347, p. 320), cité par les requérants, n’étend nullement, à cet égard, le champ d’application de l’article 174 TFUE, puisqu’il ne vise que des zones insulaires, des zones de montagne, des zones à faible et très faible densité de population et les régions ultrapériphériques. Aussi ne peut-il être déduit dudit article 121, paragraphe 4, que la notion de « handicap démographique grave et permanent », au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE, pourrait inclure les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale.

87      À supposer même que lesdites caractéristiques puissent être analysées comme des données démographiques spécifiques des régions concernées, il n’est pas établi qu’elles constituent systématiquement, pour le développement économique desdites régions, un handicap par rapport aux régions environnantes. Certes, comme l’observent les requérants, les différences, notamment linguistiques, entre ces régions et les régions environnantes peuvent être à l’origine de certains surcoûts transactionnels ou de certaines difficultés à l’embauche. Cependant, comme l’observe à juste titre la Commission, les caractéristiques spécifiques de ces régions peuvent également leur conférer certains avantages comparatifs, tels qu’un certain attrait touristique ou le multilinguisme.

88      Quant aux actes de droit de l’Union qui, tels que la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions, du 24 juillet 2003, intitulée « Promouvoir l’apprentissage des langues et la diversité linguistique : un plan d’action 2004-2006 » [COM (2003) 449 final], tendent à la promotion des langues régionales et minoritaires, ceux-ci ne partent pas du constat que lesdites langues constitueraient un handicap pour le développement économique des régions où elles sont parlées, mais de celui que ces langues participent à la diversité linguistique de l’Union et au multilinguisme, lui-même perçu comme un avantage.

89      En l’absence de tout élément probant fourni par les requérants, il n’y a donc aucune raison de supposer que les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale handicapent systématiquement leur développement économique par rapport à celui des régions environnantes, de telle sorte que ces caractéristiques pourraient être qualifiées de « handicap démographique grave et permanent », au sens de l’article 174, troisième alinéa, TFUE.

90      Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, il y a lieu de rejeter intégralement les griefs tirés d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE et de l’article 174 TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003, lu à la lumière du considérant 10 de ce même règlement.

 Sur le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 167 TFUE

91      Les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent que la Commission a entaché la décision attaquée d’une erreur d’interprétation en estimant que la proposition litigieuse se situait manifestement en dehors du cadre de ses attributions permettant de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application de la politique culturelle visée à l’article 167 TFUE.

92      La Commission, soutenue par la Roumanie et la République slovaque, conclut au rejet du présent grief.

93      Dans la décision attaquée, la Commission, après avoir défini le contenu de l’acte proposé comme indiqué au point 52 ci-dessus, a observé ce qui suit :

« L[’]article[…] 167 […] TFUE ne peu[t] pas non plus constituer [une] base[…] légale[…] pour la législation proposée dans la mesure où [cette législation] ne contribuerait pas à l’un quelconque des objectifs poursuivis par les politiques énoncées dans ce[tte] disposition […] »

94      Le présent grief pose la question de savoir si, au vu, notamment, de son but et de son contenu, l’acte proposé devait contribuer à l’un des objectifs poursuivis par la politique culturelle de l’Union, visée à l’article 167 TFUE.

95      À cet égard, il importe de rappeler que, conformément à l’article 22 de la charte des droits fondamentaux et à l’article 3, paragraphe 3, quatrième alinéa, TUE, l’Union respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.

96      L’article 6, sous c), TFUE cite la culture parmi les domaines dans lesquels l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres. Ainsi qu’il ressort également de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, TFUE, cette compétence de l’Union ne remplace pas la compétence des États membres et est subsidiaire à cette dernière.

97      L’article 167 TFUE dispose :

« 1.      L’Union contribue à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun.

2.      L’action de l’Union vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants :

–        l’amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l’histoire des peuples européens,

–        la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d’importance européenne,

–        les échanges culturels non commerciaux,

–        la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l’audiovisuel.

3.      L’Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes dans le domaine de la culture, et en particulier avec le Conseil de l’Europe.

4.      L’Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d’autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures.

5.      Pour contribuer à la réalisation des objectifs visés au présent article :

–        le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité des régions, adoptent des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ;

–        le Conseil adopte, sur proposition de la Commission, des recommandations. »

98      Il ressort de l’article 167 TFUE et, plus précisément, des paragraphes 2 et 5 de ce même article que, dans le cadre de la politique culturelle de l’Union et aux fins de contribuer à l’épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l’héritage culturel commun, le législateur de l’Union est habilité à adopter des actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, ou des recommandations poursuivant des objectifs précis, à savoir, premièrement, l’amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture et de l’histoire des peuples européens, deuxièmement, la conservation et la sauvegarde du patrimoine culturel d’importance européenne, troisièmement, les échanges culturels non commerciaux et, quatrièmement, la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l’audiovisuel.

99      C’est donc à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a estimé que « la législation proposée […] ne contribuerait pas à l’un quelconque des objectifs poursuivis par [la politique culturelle de l’Union, visée à l’article 167 TFUE] ».

100    En effet, il ressort de la proposition litigieuse, telle que décrite aux points 3 et 5 à 8 ci-dessus, que l’acte proposé devait essentiellement viser à mettre en place, dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, certaines garanties pour que les caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques des régions à minorité nationale puissent être maintenues. Ces garanties devaient essentiellement consister à offrir aux régions à minorité nationale un accès aux fonds, aux ressources et aux programmes de la politique de cohésion de l’Union, afin de prévenir tout écart ou tout retard de développement économique de ces régions par rapport aux régions environnantes, voire à reconnaître aux régions à minorité nationale un statut d’autonomie, conformément à la volonté exprimée par leur population (par référendum), sans égard pour la situation politique, administrative et institutionnelle prévalant dans les États membres concernés.

101    Or, l’article 167 TFUE ne peut pas servir de fondement à l’adoption d’un acte juridique de l’Union poursuivant un tel but et ayant un tel contenu. En effet, le maintien, à travers leurs caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques, des régions à minorité nationale, voire la reconnaissance d’un statut d’autonomie à de telles régions, aux fins de la mise en œuvre de la politique de cohésion de l’Union, est un objectif qui, d’une part, va bien au-delà de la simple contribution à l’épanouissement des cultures des États membres, dans le respect de leur diversité nationale et régionale, ou de la simple mise en évidence de l’héritage culturel commun et qui, d’autre part, ne se rattache pas directement à l’un des objectifs précisément visés à l’article 167, paragraphe 2, TFUE. Au point 5 de la requête, les requérants ont d’ailleurs eux-mêmes admis que la proposition litigieuse n’avait pas pour « objet » de « protéger la diversité culturelle », même s’ils n’excluaient pas que l’acte proposé puisse avoir une telle « conséquence ».

102    Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ni l’article 3, paragraphe 3, TUE, ni l’article 167, paragraphe 1, TFUE, ni l’article 22 de la charte des droits fondamentaux ne permettaient, en l’espèce, à la Commission de proposer, dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union, un acte juridique visant à protéger la diversité culturelle représentée par les minorités nationales, lequel acte, au demeurant, n’aurait pas correspondu à l’objet et au contenu de l’acte proposé.

103    En tout état de cause, il importe de relever que l’adoption de l’acte proposé, qui impliquait nécessairement de définir la notion de « région à minorité nationale » aux fins de la mise en œuvre de la politique de cohésion de l’Union, ne correspondait à aucune des modalités d’action prévues à l’article 167, paragraphe 2, TFUE pour contribuer à la réalisation des objectifs poursuivis par la politique culturelle de l’Union, à savoir l’adoption d’actions d’encouragement, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, ou l’adoption de recommandations.

104    Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, il y a lieu de rejeter le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 167 TFUE.

 Sur le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, TFUE

105    Les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent que la Commission a entaché la décision attaquée d’une erreur d’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, TFUE en estimant qu’aucune disposition des traités ne constituait une base juridique pour une quelconque action des institutions visant à lutter contre les discriminations fondées sur l’appartenance à une minorité nationale.

106    La Commission, soutenue par la Roumanie et la République slovaque, conclut au rejet du présent grief.

107    Dans la décision attaquée, la Commission, après avoir défini le contenu de l’acte proposé comme indiqué au point 52 ci-dessus et après avoir indiqué que son examen porterait sur « les dispositions des traités […] suggér[ées] et […] toute autre base légale possible », a observé ce qui suit :

« En conclusion, […] il n’y a aucune base légale dans les traités qui permettrait de proposer un acte juridique [de l’Union] ayant le contenu […] envisagé [dans la proposition litigieuse]. »

108    Les requérants imputent, à cet égard, à la Commission une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, TFUE, lequel aurait pu servir de base légale à l’acte proposé.

109    Le présent grief pose la question de savoir si, au vu, notamment, de son but et de son contenu, l’acte proposé aurait pu être adopté sur le fondement de l’article 19, paragraphe 1, TFUE.

110    L’article 19 TFUE dispose :

« 1.      Sans préjudice des autres dispositions des traités et dans les limites des compétences que ceux-ci confèrent à l’Union, le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après approbation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2.      Par dérogation au paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent adopter les principes de base des mesures d’encouragement de l’Union, à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres, pour appuyer les actions des États membres prises en vue de contribuer à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1. »

111    Sans préjudice des autres dispositions des traités et dans les limites des compétences que ceux-ci confèrent à l’Union, l’article 19, paragraphe 1, TFUE habilite le législateur de l’Union à adopter des mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

112    En l’espèce, sans même qu’il soit besoin de s’interroger sur le point de savoir si la notion de « discrimination », au sens de cette disposition, inclut ou non toute discrimination fondée sur l’appartenance à une minorité nationale, il y a lieu de rappeler que, comme déjà constaté au point 83 ci-dessus, la proposition litigieuse ne visait pas à lutter contre des discriminations affectant les personnes ou les populations implantées dans les régions à minorité nationale, en raison de leur appartenance à une telle minorité, mais à prévenir tout écart ou tout retard de développement économique des régions à minorité nationale par rapport aux régions environnantes du fait du handicap que constitueraient, pour les premières, leurs caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques.

113    Partant, comme l’a reconnu à bon droit la Commission dans la décision attaquée, l’article 19, paragraphe 1, TFUE ne pouvait constituer une base juridique adéquate pour proposer un acte juridique de l’Union poursuivant le but et ayant le contenu de celui décrit dans la proposition litigieuse.

114    Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, il y a lieu de rejeter le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, TFUE.

 Sur les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration

115    Les requérants, soutenus par la Hongrie, concluent que la Commission a commis un détournement de pouvoir en ce qu’elle a refusé d’enregistrer la proposition litigieuse non au motif, énoncé dans la décision attaquée conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, que celle-ci sortait manifestement du cadre de ses attributions, mais, ainsi qu’il ressort de ses écritures dans la présente procédure, parce qu’il ne lui semblait pas opportun, en l’état du droit de l’Union, d’exercer ses attributions dans le sens qu’ils souhaitaient, ce qui n’est pas prévu à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011.

116    En outre, ils concluent que la Commission a violé le principe de bonne administration, en ce qu’elle aurait, en l’espèce, été guidée par l’intention de décourager les initiatives citoyennes, même lorsque celles-ci remplissaient, comme en l’espèce, les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, en recourant à des moyens indus, tels que la prise en compte d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011.

117    La Commission, soutenue par la République slovaque, conclut au rejet des présents griefs.

118    S’agissant, en premier lieu, du grief tiré d’un détournement de pouvoir, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la notion de détournement de pouvoir a une portée précise en droit de l’Union et vise la situation dans laquelle une autorité administrative use de ses pouvoirs dans un but autre que celui en vue duquel ils lui ont été conférés. Une décision n’est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du 9 septembre 2008, Bayer CropScience e.a./Commission, T‑75/06, EU:T:2008:317, point 254 et jurisprudence citée).

119    En l’espèce, pour établir l’existence d’un détournement de pouvoir, les requérants s’appuient sur certains arguments en défense présentés par la Commission, d’où il ressortirait que celle-ci ne considérait pas opportun, en l’état du droit de l’Union, d’exercer ses attributions dans le sens souhaité par les requérants.

120    À cet égard, il y a lieu d’observer que la décision attaquée contient une motivation suffisante, selon laquelle la proposition litigieuse ne remplissait pas les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011, puisqu’elle se situait manifestement en dehors du cadre des attributions permettant à la Commission de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités. Aux points 10 et 11 du mémoire en défense, la Commission a rappelé ladite motivation et indiqué qu’elle « maint[enait] son point de vue » pour les raisons qu’elle détaillait, ensuite, dans la défense, eu égard aux arguments développés dans la requête. De même, aux points 2 et 97 de la duplique, la Commission a indiqué qu’elle « maint[enait] dans leur intégralité le raisonnement et les conclusions […] exposés dans son mémoire en défense » et qu’elle « a[vait] rejeté de manière fondée et conforme au droit la demande d’enregistrement de l[a proposition litigieuse], sur la base de l’article 4, paragraphe 2, point b), du règlement […] no 211/2011 ». Il ressort de ce qui précède que, dans ses écritures, la Commission a défendu le bien-fondé des motifs figurant dans la décision attaquée, lequel n’a pas été remis en cause par l’examen du présent recours.

121    Dans ce contexte, les phrases mises en exergue par les requérants, à savoir le point 17 du mémoire en défense, selon lequel « les politiques de l’Union ne peuvent pas devenir les instruments de politiques allant à l’encontre des minorités », et le point 58 du mémoire en défense, selon lequel « la Commission pense que les spécificités des minorités nationales sont susceptibles d’être prises en compte de manière appropriée lors de l’établissement de la […] NUTS à l’échelle des États membres », ne peuvent être regardées comme des éléments établissant que la décision attaquée aurait été fondée, en pratique, sur d’autres motifs que ceux formellement excipés dans celle-ci, dont le bien-fondé n’a pas pu être remis en cause à l’occasion de l’examen du présent recours, et comme témoignant d’un détournement, par la Commission, des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 4, paragraphe 2, point b), du règlement no 211/2011.

122    Il s’ensuit que les requérants n’ont pas apporté, en l’espèce, d’indices objectifs, pertinents et concordants permettant de conclure que la décision attaquée aurait été prise à des fins autres que celles excipées, à savoir parce que les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 n’étaient pas remplies, puisque la proposition litigieuse se situait manifestement en dehors du cadre des attributions permettant à la Commission de soumettre une proposition d’acte juridique de l’Union aux fins de l’application des traités.

123    Il y a donc lieu d’écarter, comme étant non fondé, le grief pris d’un détournement de pouvoir commis par la Commission.

124    S’agissant, en second lieu, du grief tiré d’une violation du principe de bonne administration, il y a lieu de souligner que, conformément à l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, « toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union ». Il ressort, en outre, du considérant 10 du règlement no 211/2011 que le principe général de bonne administration implique, notamment, que la Commission enregistre toutes les propositions d’initiative citoyenne satisfaisant aux conditions énoncées dans ce règlement, et ce dans le délai prévu à l’article 4, paragraphe 2, dudit règlement, à savoir dans les deux mois suivant la réception des informations décrites à l’annexe II.

125    En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les conditions d’enregistrement énoncées à l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 n’étaient pas remplies, ainsi qu’il ressort de l’examen des griefs tirés d’une interprétation erronée, par la Commission, des articles des traités, de sorte que ladite institution était fondée à refuser l’enregistrement de la proposition litigieuse, conformément à l’article 4, paragraphe 3, de ce même règlement.

126    Par conséquent, la Commission a pu adopter la décision attaquée sans violer le principe général de bonne administration.

127    Il y a donc lieu d’écarter également, comme étant non fondé, le grief pris d’une violation de ce principe.

128    L’ensemble des griefs soulevés par les requérants à l’appui de leur moyen unique tiré, en substance, de la violation de l’article 4, paragraphe 2, sous b), du règlement no 211/2011 se trouvant ainsi rejeté, il convient de rejeter ledit moyen et, par suite, le présent recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

129    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, ils supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, sans même qu’il y ait lieu de tenir compte, à cet égard, de l’atteinte que les requérants ont portée à la protection de la procédure juridictionnelle, en particulier aux principes d’égalité des armes et de bonne administration de la justice (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, points 85 et 93), en publiant, sur le site Internet de la proposition litigieuse, le mémoire en défense de la Commission (point 22 ci-dessus).

130    Par ailleurs, selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Il convient de faire application de ces dispositions à la Hongrie, à la République hellénique, à la Roumanie et à la République slovaque.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      MM. Balázs-Árpád Izsák et Attila Dabis supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La Hongrie, la République hellénique, la Roumanie et la République slovaque supporteront leurs propres dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 mai 2016.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité de certains griefs

Sur le fond

Sur le grief tiré d’une prise en compte erronée d’informations non visées à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du règlement no 211/2011

Observations liminaires sur les autres griefs soulevés par les requérants

Sur les griefs tirés d’une interprétation erronée de l’article 4, paragraphe 2, sous c), TFUE et de l’article 174 TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 5, du règlement no 1059/2003, lu à la lumière du considérant 10 de ce même règlement

Sur le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 167 TFUE

Sur le grief tiré d’une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, TFUE

Sur les griefs tirés d’un détournement de pouvoir et d’une violation du principe de bonne administration

Sur les dépens


* Langue de procédure : le hongrois.