Language of document : ECLI:EU:C:2012:430

PRISE DE POSITION DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme E. Sharpston

présentée le 9 juillet 2012 (1)

Affaire C‑278/12 PPU

A. Adil

contre

Minister voor Immigratie, Integratie en Asiel

[demande de décision préjudicielle
formée par le Raad van State (Pays-Bas)]

«Espace de liberté, de sécurité et de justice – Code frontières Schengen – Vérifications assimilées aux vérifications aux frontières»





1.        M. Adil, une personne provenant d’Afghanistan, a été interpellé le 28 mars 2012 par la Koninklijke Marechaussee (2) dans le cadre du contrôle mobile en matière de sécurité («Mobiel Toezicht Veiligheid», ci-après le «contrôle MTV») lorsqu’il se trouvait à bord d’un autobus venant d’Allemagne, dans la zone s’étendant jusqu’à 20 kilomètres en deçà de la frontière terrestre des Pays-Bas avec l’Allemagne. Les autres passagers ont également été interpellés. Il résulte de la décision de renvoi que ce jour-là un ou plusieurs contrôles ont été effectués pendant une heure durant laquelle deux véhicules, donc seulement une proportion minime des moyens de transport qui passaient, ont été effectivement immobilisés.

2.        Les autorités néerlandaises ont effectué ce contrôle MTV sur la base de l’article 50 de la loi sur les étrangers de 2000 («Vreemdelingenwet 2000», ci‑après la «Vw 2000») et, comme le procès-verbal du 28 mars 2012 le constate, conformément à l’article 4.17a de l’arrêté sur les étrangers de 2000 («Vreemdelingenbesluit 2000», ci-après le «Vb 2000») (3). Par décision du 28 mars 2012, M. Adil a été placé en rétention administrative (4). Il ressort du dossier national que, au moment de son interpellation, M. Adil a informé la Koninklijke Marechaussee de son intention de faire une demande d’asile. Des informations relatives aux demandes d’asile et à l’immigration illégale, générées par la base de données «Eurodac» (5), ont relevé un lien entre M. Adil et la Norvège. Dès lors, sa demande d’asile a bien été envoyée le 5 avril 2012 aux autorités norvégiennes et reste en cours de traitement.

3.        M. Adil a contesté la régularité de sa rétention au motif que le contrôle MTV, auquel il a été soumis, correspondait à une vérification aux frontières et qu’il était, partant, contraire au règlement (CE) n562/2006 (ci-après le «code frontières Schengen») (6), concernant le franchissement des territoires des États parties à la convention d’application de l’accord de Schengen (ci-après la «convention Schengen») (7).

4.        Le 16 avril 2012, le Rechtbank ’s-Gravenhage a déclaré le recours introduit par M. Adil contre la décision du 28 mars 2012 non fondé et a rejeté sa demande d’indemnisation. M. Adil a ensuite interjeté appel contre ledit jugement devant la section du contentieux administratif du Raad van State (Pays-Bas), en faisant valoir que le rechtbank ’s-Gravenhage a considéré à tort que l’interpellation était légale et n’a pas tenu compte du fait que, au moment du contrôle MTV, il n’y avait pas de présomption raisonnable de séjour irrégulier.

5.        La question qui se pose dans la présente demande de décision préjudicielle provenant du Raad van State est essentiellement celle de savoir si l’article 21, sous a), du code frontières Schengen, qui énonce le principe de l’interdiction des vérifications assimilées aux vérifications aux frontières, s’oppose à la réglementation nationale relative aux contrôles MTV. La juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour de clarifier l’interprétation qu’elle a fournie dans l’arrêt Melki et Abdeli (8).

6.        La Cour y a établi que, afin de satisfaire à ladite disposition, «une législation nationale conférant une compétence aux autorités de police pour effectuer des contrôles d’identité, compétence qui est, d’une part, limitée à la zone frontalière de l’État membre avec d’autres États membres et, d’autre part, indépendante du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, doit prévoir l’encadrement nécessaire de la compétence conférée à ces autorités afin, notamment, de guider le pouvoir d’appréciation dont disposent ces dernières dans l’application pratique de ladite compétence» (9). De plus, la Cour a jugé que cet encadrement nécessaire «doit garantir que l’exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d’identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, tel qu’il ressort, en particulier, des circonstances figurant à la seconde phrase de l’article 21, sous a), du [code frontières Schengen]» (10).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Les traités

7.        L’article 3, paragraphe 2, TUE prévoit:

«2.      L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.»

8.        Aux termes de l’article 67 TFUE:

«1.      L’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des États membres.

2.      Elle assure l’absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers. Aux fins du présent titre, les apatrides sont assimilés aux ressortissants des pays tiers.

[…]»

9.        L’article 72 TFUE dispose:

«Le présent titre [sur l’espace de liberté, de sécurité et de justice] ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.»

10.      Aux termes de l’article 77 TFUE:

«1.      L’Union développe une politique visant:

a)      à assurer l’absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’elles franchissent les frontières intérieures;

[…]»

11.      L’article 79, paragraphe 1, TFUE énonce:

«L’Union développe une politique commune de l’immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires, un traitement équitable des ressortissants de pays tiers en séjour régulier dans les États membres, ainsi qu’une prévention de l’immigration illégale et de la traite des êtres humains et une lutte renforcée contre celles-ci.»

 Le code frontières Schengen

12.      Le code frontières Schengen constitue un développement des dispositions concernant le franchissement des frontières de l’acquis de Schengen intégré notamment dans les dispositions pertinentes de la convention Schengen (11) et son manuel commun (12).

13.      Aux termes de l’article 1er, premier alinéa, du code frontières Schengen, ledit règlement «prévoit l’absence de contrôle aux frontières des personnes franchissant les frontières intérieures entre les États membres de l’Union européenne».

14.      L’article 2 dudit règlement est libellé comme suit:

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

1)      ‘frontières intérieures’:

a)      les frontières terrestres communes, y compris fluviales et lacustres, des États membres;

b)      les aéroports des États membres pour les vols intérieurs;

c)      les ports maritimes, fluviaux et lacustres des États membres pour les liaisons régulières de transbordeurs;

2)      ‘frontières extérieures’, les frontières terrestres des États membres, y compris les frontières fluviales et lacustres, les frontières maritimes, ainsi que leurs aéroports, ports fluviaux, ports maritimes et ports lacustres, pour autant qu’ils ne soient pas des frontières intérieures;

[…]

9)      ‘contrôle aux frontières’, les activités effectuées aux frontières, conformément au présent règlement et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération, consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières;

10)      ‘vérifications aux frontières’, les vérifications effectuées aux points de passage frontaliers afin de s’assurer que les personnes, y compris leurs moyens de transport et les objets en leur possession peuvent être autorisés à entrer sur le territoire des États membres ou à le quitter;

11)      ‘surveillance des frontières’, la surveillance des frontières entre les points de passage et la surveillance des points de passage frontaliers en dehors des heures d’ouverture fixées, en vue d’empêcher les personnes de se soustraire aux vérifications aux frontières;

[…]»

15.      L’article 3 du code frontières Schengen prévoit que celui-ci «s’applique à toute personne franchissant la frontière intérieure ou extérieure d’un État membre».

16.      L’article 20 du code frontières Schengen, intitulé «Franchissement des frontières intérieures», dispose:

«Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées sur les personnes, quelle que soit leur nationalité.»

17.      L’article 21 du même règlement, intitulé «Vérifications à l’intérieur du territoire», énonce:

«La suppression du contrôle aux frontières intérieures ne porte pas atteinte:

a)      à l’exercice des compétences de police par les autorités compétentes de l’État membre en vertu du droit national, dans la mesure où l’exercice de ces compétences n’a pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières; cela s’applique également dans les zones frontalières. Au sens de la première phrase, l’exercice des compétences de police ne peut, en particulier, être considéré comme équivalent à l’exercice des vérifications aux frontières lorsque les mesures de police:

i)      n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières;

ii)      sont fondées sur des informations générales et l’expérience des services de police relatives à d’éventuelles menaces pour la sécurité publique et visent, notamment, à lutter contre la criminalité transfrontalière;

iii)      sont conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures;

iv)      sont réalisées sur la base de vérifications réalisées à l’improviste;

b)      à l’exercice des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, effectués sur les personnes par les autorités compétentes en vertu du droit de chaque État membre, par les responsables portuaires ou aéroportuaires ou par les transporteurs pour autant que ces contrôles soient également effectués sur les personnes voyageant à l’intérieur d’un État membre;

c)      à la possibilité pour un État membre de prévoir dans son droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents;

d)      à l’obligation des ressortissants de pays tiers de signaler leur présence sur le territoire d’un État membre […]»

 La réglementation néerlandaise

18.      L’article 50 de la Vw 2000 dispose:

«1.      Les fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et les fonctionnaires chargés du contrôle des étrangers sont compétents, soit sur la base de faits et de circonstances qui, en fonction de critères objectifs, induisent une présomption raisonnable de séjour illégal, soit en vue de lutter contre le séjour illégal après le passage de la frontière, pour interpeller les personnes aux fins d’établir leur identité, leur nationalité et leur droit de séjour. […] Par mesure générale d’administration, sont désignés les documents dont un étranger doit disposer pour établir son identité, sa nationalité et son droit de séjour.

[...]»

19.      Aux termes de l’article 4.17a du Vb 2000:

«1.      La compétence, visée à l’article 50, paragraphe 1, de la loi, d’interpeller des personnes aux fins d’établir leur identité, leur nationalité et leur droit de séjour, dans le cadre de la lutte contre le séjour illégal après un franchissement de frontière, est exclusivement exercée dans le cadre du contrôle des étrangers:

a.      dans les aéroports, à l’arrivée de vols en provenance du territoire de Schengen;

b.      dans les trains, pendant trente minutes maximum après le franchissement de la frontière commune avec la Belgique ou l’Allemagne ou jusqu’à la deuxième gare après le franchissement de la frontière, si celle-ci n’a pas été atteinte pendant ce laps de temps.

c.      sur les routes et les voies navigables, dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière commune avec la Belgique ou l’Allemagne.

2.      Le contrôle visé au paragraphe 1 est fondé sur des informations ou des expériences relatives au séjour illégal après un franchissement de frontière. Le contrôle peut également être effectué, dans une mesure limitée, aux fins d’obtenir des informations sur ce type de séjour illégal.

3.      Le contrôle visé au paragraphe 1, sous a), est effectué au maximum sept fois par semaine sur des vols de la même […] ligne, avec un maximum d’un tiers du nombre total de vols prévus par mois sur cette ligne. Dans le cadre de ce contrôle, une partie seulement des passagers d’un vol sont interpellés.

4.      Le contrôle visé au paragraphe 1, sous b), est effectué par jour, au maximum dans deux trains par trajet, et au total dans huit trains au maximum et, par train, dans deux compartiments au maximum.

5.      Le contrôle visé au paragraphe 1, sous c), est effectué sur la même route ou voie navigable, maximum 90 heures par mois et six heures par jour. Dans le cadre de ce contrôle, une partie seulement des moyens de transport qui passent sont immobilisés.»

20.      Aux termes de l’exposé des motifs relatifs à la même disposition (13):

«Cette modification de l’arrêté sur les étrangers vise à garantir que le contrôle des étrangers dans le cadre de la lutte contre le séjour illégal après un franchissement de frontière (ci-après: les contrôles mobiles) ne revête pas un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens du code frontières Schengen. Une suite est ainsi donnée à l’arrêt de la Cour de justice du 22 juin 2010 (arrêt Melki et Abdeli) et à la décision du Raad van State du 28 décembre 2010 et le contrôle mobile est mis en conformité avec l’article 21, sous a), du code frontières Schengen.»

 Le renvoi préjudiciel

21.      La présente affaire s’inscrit dans une série d’affaires dans lesquelles le Raad van State, étant la juridiction administrative suprême, ainsi que d’autres juridictions administratives et pénales de l’État membre concerné se sont penchés sur la question de savoir si le système de contrôle qui a été institué par l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 tel que mis en œuvre à l’article 4.17a du Vb 2000 comporte des garanties suffisantes de nature à éviter que les contrôles concernés soient considérés comme une vérification aux frontières au sens de l’article 20 du code frontières Schengen ou une vérification assimilée à une vérification aux frontières au sens de l’article 21, sous a), du même règlement.

22.      Selon le Raad van State, l’article 4.17a a été inséré dans le Vb 2000 à la suite de sa décision du 28 décembre 2010 constatant que la législation néerlandaise en vigueur à l’époque en ce qui concerne les contrôles MTV prévoyait une compétence dont l’exercice pratique pouvait avoir un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières.

23.      Le Raad van State a ensuite statué à plusieurs reprises que l’article 4.17a du Vb 2000 était conforme à l’article 21, sous a), du code frontières Schengen tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Melki et Abdeli, précité. Ainsi, dans sa décision du 20 octobre 2011, le Raad van State a considéré qu’il ne résulte pas de cet arrêt que l’article 4.17a aurait dû tenir compte du comportement de l’intéressé et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public. Dans celle du 5 mars 2012, le Raad van State a rejeté, étant donné le libellé «ne peut, en particulier» dans l’article 21, sous a), du code frontières Schengen, l’interprétation de ladite disposition selon laquelle les compétences de police concernées seraient limitées à des situations dans lesquelles des raisons d’ordre public sont impliquées. Dans cette même décision, le Raad van State a également dit pour droit qu’il n’était pas déterminant de savoir si l’individu concevait la vérification comme une vérification aux frontières. En revanche, le nombre très limité de véhicules routiers et de trains qui sont effectivement contrôlés pouvait être considéré comme un indice pertinent.

24.      Malgré cette jurisprudence, le 20 février 2012, le Rechtbank Roermond (secteur pénal) a saisi la Cour d’une demande de décision préjudicielle sur la question de savoir notamment si les articles 20 et 21 du code frontières Schengen s’opposent au système de contrôles MTV mis en place par l’article 4.17a du Vb 2000 (14). Par ailleurs, il résulte de la décision de renvoi du Raad van State que, par décision du 11 mai 2012, le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch (secteur pénal) a également jugé qu’un contrôle MTV, même si exécuté conformément à l’article 4.17a du Vb 2000, revêt un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières au sens de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen au cas où:

–        la compétence n’est pas fondée sur des faits concrets et des circonstances qui induisent une présomption de séjour irrégulier;

–        la compétence de contrôle est exercée en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement;

–        le contrôle vise à établir si les conditions pour autoriser une personne à entrer sur le territoire de l’État membre concerné ou à le quitter sont remplies.

25.      Face à cette jurisprudence divergente au sein des juridictions néerlandaises, le Raad van State a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 21 du code frontières Schengen doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à l’exercice d’une compétence nationale, telle celle accordée par l’article 50 de la [Vw 2000] et mise en œuvre à l’article 4.17a, du [Vb 2000], permettant d’effectuer des contrôles sur des personnes aux frontières intérieures afin de vérifier si elles remplissent les conditions de séjour légal applicables dans l’État membre?

2)      a)     L’article 21 du code frontières Schengen s’oppose-t-il à ce que des contrôles nationaux, tels ceux visés à l’article 50 de la [Vw 2000], soient fondés sur des informations générales et des données expérimentales relatives au séjour illégal de personnes sur le lieu du contrôle, au sens de l’article 4.17a, paragraphe 2 du [Vb 2000], ou l’existence d’éléments concrets indiquant qu’un individu séjourne illégalement dans l’État membre concerné est-elle requise lors de l’exécution de tels contrôles?

b)      L’article 21 du code frontières Schengen s’oppose-t-il à l’exécution de ce type de contrôle visant à obtenir des informations générales et des données expérimentales en matière de séjour illégal au sens du point a), si ce contrôle est effectué dans une mesure limitée?

3)      L’article 21 du code frontières Schengen doit-il être interprété en ce sens que la limitation de la compétence de contrôle telle que décrite dans une disposition législative comme [celle de] l’article 4.17a du [Vb 2000] est suffisante pour garantir que l’exercice pratique d’un contrôle ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières prohibées par l’article 21 du code frontières Schengen?»

 La procédure devant la Cour

26.      Par sa demande du 4 juin 2012, le Raad van State a demandé que la Cour statue dans la présente affaire selon la procédure préjudicielle d’urgence (ci-après la «PPU») visée à l’article 267, quatrième alinéa, TFUE, en vertu de l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 104 ter du règlement de procédure.

27.      Le Raad van State a motivé cette demande en faisant valoir que l’affaire soulève des questions concernant le domaine des politiques de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et que les réponses aux questions sont pertinentes pour statuer sur la rétention administrative de M. Adil. La décision de renvoi ne faisait aucune référence à la demande d’asile de M. Adil (15).

28.      Compte tenu des éléments qui précèdent, la deuxième chambre de la Cour a décidé, le 11 juin 2012, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi et de déclencher la PPU.

29.      Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement néerlandais, la Commission européenne et le représentant de M. Adil. Les mêmes parties, ainsi que les gouvernements tchèque, allemand et français, étaient représentés à l’audience du 5 juillet 2012.

30.      Lors de l’audience, le cadre factuel en ce qui concerne la rétention administrative de M. Adil, et notamment sa cause, est devenu plus complet et, partant, plus clair. Il ressort des observations du gouvernement néerlandais que M. Adil a été placé en rétention dans le contexte de sa présentation d’une demande d’asile et en raison du risque éventuel qu’il chercherait à se soustraire aux contrôles des autorités durant le traitement de sa demande s’il n’était pas placé en rétention administrative. Dès lors que la rétention de M. Adil dépend non pas de la légalité de son interpellation, mais apparemment seulement du traitement de sa demande d’asile, les effets des réponses de la Cour aux questions préjudicielles sur sa rétention ne sont plus évidents.

31.      Cette constatation appelle de ma part les observations suivantes.

32.      La PPU a été mise en place expressément, et exclusivement, pour répondre à la nécessité impérieuse de traiter certaines catégories d’affaires — notamment, celles où la légalité de la détention d’une personne dépend de la réponse que la Cour donnera aux questions préjudicielles déférées — «dans les plus brefs délais» (16). C’est une procédure exceptionnelle, qui a vocation à n’être déclenchée que pour les affaires qui ont vraiment besoin d’être résolues dans l’urgence. Au sein de la Cour, elle nécessite le déploiement concentré de ressources, tant judiciaires qu’administratives. De ce fait, si la procédure est trop sollicitée, elle empiétera sur le traitement des autres affaires dont la Cour est saisie. À l’évidence même, elle ne devrait pas être demandée (par exemple) dans le souci d’obtenir une réponse plus rapidement lorsque les faits sous-jacents ne la justifient pas.

33.      Pour ces raisons, la PPU ne doit être demandée que lorsque les circonstances la justifiant sont bel et bien présentes. Dès lors, le juge national est tenu d’exposer dans sa décision de renvoi toutes les circonstances de droit et de fait qui établissent l’urgence et justifient l’application de la PPU. Cette obligation est la contrepartie des principes de solidarité et de coopération qui gèrent les relations entre les juridictions nationales et notre Cour. Le juge national ne devrait pas omettre des éléments qui sont pertinents pour l’appréciation par la Cour de la nécessité de soumettre son renvoi à cette procédure exceptionnelle.

 Analyse

 Remarques liminaires

34.      Les questions préjudicielles soulevées par la décision de renvoi concernent uniquement l’article 21, sous a), du code frontières Schengen. Il convient néanmoins, compte tenu du lien étroit qui existe entre ladite disposition et l’article 20 du même règlement, de répondre à ces questions en considérant également ce dernier. En effet, l’article 21, sous a), est le complément nécessaire de l’article 20, permettant de rendre efficace l’interdiction des vérifications aux frontières. À cet égard, j’estime que l’appréciation est analogue à celle qui permet, notamment dans le cadre de la libre circulation des marchandises, de constater l’existence soit d’une restriction quantitative à l’importation, soit d’une mesure d’effet équivalent, en tenant compte au cas par cas des effets pratiques de la réglementation en cause.

35.      La question que pose cette affaire est essentiellement celle de savoir si les articles 20 et 21, sous a), du code frontières Schengen s’opposent à une réglementation nationale conférant aux autorités concernées la compétence d’exercer un contrôle tel que le contrôle MTV. À mon avis, il convient de traiter ensemble les trois questions préjudicielles.

36.      Il ressort de la décision de renvoi que la compétence prévue à l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 permet aux fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières et les fonctionnaires chargés du contrôle des étrangers, à savoir la Koninklijke Marechaussee, d’interpeller des personnes aux fins d’établir leur identité, nationalité et droit de séjour en réponse au risque de séjour irrégulier. Aux termes de ladite disposition, ce risque peut, en premier lieu, être identifié sur la base de faits et de circonstances qui, en fonction de critères objectifs, induisent une présomption raisonnable de séjour irrégulier. Lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a confirmé que, en principe, toute interpellation à l’intérieur du territoire est effectuée sur cette base.

37.      En deuxième lieu, l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 prévoit également qu’une telle interpellation peut être réalisée «en vue de lutter contre le séjour illégal après le passage de la frontière». L’encadrement prévu à l’article 4.17a du Vb 2000 se réfère seulement à ce dernier type de contrôle, et les questions déférées à la Cour n’ont trait qu’à celui-ci, compte tenu du fait que M. Adil a été interpellé dans le cadre d’un contrôle MTV alors qu’il se trouvait à bord d’un autobus sur l’autoroute A67/E34 tout proche de la frontière. Dès lors, mon analyse va se concentrer sur les dispositions de la réglementation néerlandaise relatives à un tel type de contrôle.

38.      Enfin, contrairement à ce que prétend le représentant de M. Adil, j’estime qu’il ressort clairement du libellé des articles 20 et 21 du code frontières Schengen que ceux-ci ne limitent en rien le droit des États membres de désigner les autorités habilitées à exercer une compétence de police. De même, il leur appartient le choix de prévoir la base juridique ainsi que l’encadrement de ladite compétence, soit dans leur législation sur l’immigration ou sur les étrangers soit dans leur législation pénale. Ce n’est que l’exercice de cette compétence qui doit respecter, le cas échéant, le droit de l’Union.

 La suppression des vérifications aux frontières et des mesures de police d’effet équivalent

39.      L’article 20 du code frontières Schengen assure l’absence de tout contrôle des personnes lorsque celles-ci franchissent les frontières intérieures ainsi que la mise en place d’un espace dans lequel la libre circulation des personnes est garantie. Ladite disposition énonce le principe général selon lequel toute personne, quelle que soit sa nationalité, peut franchir les frontières intérieures entre les États membres de l’acquis Schengen en tout lieu sans que des vérifications aux frontières ne soient effectuées (17).

40.      L’article 21 confirme, dans les limites prévues, le droit des États membres d’exercer leur compétence de police, de réaliser des contrôles de sûreté dans les ports ou aéroports, de prévoir dans le droit national l’obligation de détention et de port de titres et de documents et d’obliger les ressortissants de pays tiers à signaler leur présence sur leur territoire.

41.      L’article 21, sous a), du code frontières Schengen est articulé en deux phrases. Selon la première phrase, la suppression du contrôle aux frontières ne porte pas atteinte au pouvoir des États membres d’exercer des compétences de police sur leur territoire, y compris dans les zones frontalières, tant que cet exercice n’a pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières. Le code frontières Schengen interdit alors non pas seulement les vérifications aux frontières, mais également des mesures ayant un effet équivalent à celles-ci.

42.      La seconde phrase, qui comprend «en particulier» les points i) à iv), représente une élaboration du principe énoncé à la première phrase en énumérant des circonstances dans lesquelles l’exercice pratique de la compétence conférée ne peut pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

43.      En me fondant sur une lecture simple du texte, j’estime que la liste des circonstances insérée à l’article 21, sous a), du code frontières Schengen n’est ni limitative ni cumulative.

44.      À cet égard, je me rallie à la position de la Commission selon laquelle une mesure de police satisfaisant à toutes les conditions comprises aux points i) à iv) de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen ne peut vraisemblablement pas produire un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières. En revanche, le seul fait de ne pas satisfaire à toutes ces conditions n’empêche pas nécessairement que l’exercice d’une compétence de police soit conforme aux articles 20 et 21 du code frontières Schengen. Comme le souligne la Commission à juste titre dans ses observations, la seconde phrase de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen paraît explicite à cet égard, puisque les circonstances y énumérées sont précédées par les mots «en particulier». La condition au point i) me paraît toutefois fondamentale. À mon avis, il est difficile d’imaginer qu’une mesure de police dont l’objectif correspond à celui d’une vérification aux frontières ne soit pas interdite par les articles 20 et 21 du code frontières Schengen.

45.      Si le législateur a prévu que les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans que des vérifications aux frontières soient effectuées (article 20) ou que des mesures d’effet équivalent interviennent (article 21), ni l’article 20 ni l’article 21 ne garantit que toute personne ayant franchi une frontière intérieure peut désormais circuler dans le territoire d’un État membre et y résider sans que des mesures de police ne soient effectuées à son égard. En particulier, le champ d’application desdites dispositions ne saurait être étendu au point d’interdire qu’un État membre exerce des compétences de police sur son territoire.

46.      La Cour s’est penchée sur l’interprétation des articles 20 et 21, sous a), du code frontières Schengen dans l’arrêt Melki et Abdeli, précité, dans le cadre d’une question portant sur la conformité d’une législation française avec le droit de l’Union. Cette législation permettait aux autorités de police de contrôler, notamment dans une zone de 20 kilomètres à partir de la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention de Schengen, l’identité de toute personne. La compétence en cause dans ces affaires avait pour objectif de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et des documents prévues par le droit national.

47.      Quelle était donc l’interprétation de notre Cour au sujet desdites dispositions?

48.      En premier lieu, la Cour a adopté une interprétation stricte du champ d’application de l’article 20 du code frontières Schengen. Si un ou plusieurs éléments de la définition d’une «vérification aux frontières», à savoir l’acte en cause, le lieu du contrôle, le moment du contrôle et son objectif, ne sont pas satisfaits, alors le contrôle n’entre pas dans le champ d’application de ladite disposition.

49.      En l’espèce, l’objectif du contrôle en cause ne correspondait pas à celui d’une vérification aux frontières au sens de l’article 2, points 9 à 11, du code frontières Schengen (18) et le contrôle n’était pas exécuté au moment du franchissement de la frontière, mais constituait une vérification à l’intérieur du territoire d’un État membre (19). Dès lors, le contrôle en question ne tombait pas dans le domaine d’application de l’article 20.

50.      Je suis tout à fait d’accord avec cette approche.

51.      J’admets que, en principe, une telle interprétation formelle peut comporter le risque que les États membres contournent la prohibition des vérifications aux frontières intérieures en déplaçant, par exemple, le lieu des contrôles quelques kilomètres après la frontière. Cependant, l’article 20 du code frontières Schengen ne peut pas être lu séparément de son contexte immédiat, à savoir l’article 21 du même règlement selon lequel la suppression des vérifications aux frontières intérieures ne porte pas atteinte en principe à l’exercice des compétences de police à l’intérieur du territoire pourvu que l’exercice de ces compétences n’ait pas un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières et, par conséquent, ne compromette pas le principe énoncé à l’article 20. L’article 21, sous a), assure notamment l’efficacité du principe prévu à l’article 20. Si le champ d’application de ce dernier était interprété de manière plus expansive, cela risquerait non seulement de modifier le libellé de l’article 2, point 10 (définition d’une «vérification aux frontières»), mais également d’empiéter sur l’article 21, sous a).

52.      Qui plus est, une interprétation plus large impliquerait que, en vertu de l’article 20 du code frontières Schengen, les États membres seraient empêchés d’utiliser des mesures de police dans le cadre de la lutte contre le séjour irrégulier sur une partie de leur territoire, à savoir dans les zones frontalières, où, me semble-t-il, de telles mesures pourraient être tant nécessaires qu’efficaces.

53.      En deuxième lieu, dans son arrêt Melki et Abdeli, précité, la Cour a indiqué que, si le contrôle en cause ne correspondait pas à une vérification aux frontières au sens de l’article 20 et aux définitions énoncées à l’article 2, points 9 à 11, du code frontières Schengen, il y avait néanmoins lieu de vérifier si la compétence de police, telle que circonscrite dans la réglementation nationale, comportait le risque que son exercice compromettrait le principe prévu à l’article 20 du code frontières Schengen. Dans d’autres termes, ce contrôle était-il une vérification aux frontières déguisée et, partant, interdit par l’article 21, sous a), première phrase, du code frontières Schengen?

54.      À cet égard, la Cour a accepté que, dans la mesure où il s’agissait de contrôles, par exemple, sur une autoroute à péages, le champ d’application territorial pourrait constituer un indice pour l’existence d’un tel effet équivalent (20). En revanche, la Cour a rejeté la thèse selon laquelle le fait que le champ d’application territorial était limité à une zone frontalière suffisait à lui seul pour constater l’effet équivalent de l’exercice de cette compétence.

55.      Par la suite, la Cour a examiné attentivement le texte de la réglementation nationale en cause afin de déterminer si celui-ci contenait des indices prouvant que l’exercice de la compétence de police risquerait de produire un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières. Elle a conclu à l’existence d’un tel risque étant donné que la compétence, d’une part, était limitée à la zone frontalière et, d’autre part, pouvait être exercée indépendamment du comportement de la personne contrôlée et de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public.

56.      En troisième lieu, la Cour a jugé que l’article 21, sous a), du code frontières Schengen exige que le droit national «encadre» la compétence conférée aux autorités nationales: qu’il prévoit des précisions et limitations de la compétence accordée pour écarter la possibilité que ladite compétence soit exercée d’une manière qu’elle produise un tel effet. L’encadrement nécessaire «doit garantir que l’exercice pratique de la compétence consistant à effectuer des contrôles d’identité ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières, tel qu’il ressort, en particulier, des circonstances figurant à la seconde phrase de l’article 21, sous a), du [code frontières Schengen]» (21). Dans lesdites affaires, la réglementation nationale ne contenait ni de précisions ni de limitations de la compétence discrétionnaire (22). Dès lors, les articles 20 et 21 du code frontières Schengen s’opposaient à une telle réglementation nationale.

57.      La Cour a souligné le lien entre l’exigence d’un encadrement, d’une part, et, «en particulier, [les] circonstances figurant à la seconde phrase de l’article 21, sous a), du [code frontières Schengen]», d’autre part. Ainsi, tout en n’adoptant pas de manière explicite la thèse de l’avocat général dans sa prise de position dans lesdites affaires — à savoir que «ces quatre circonstances sont énoncées uniquement à titre d’exemple» et que la question «doit être examinée au cas par cas» (23) — la Cour a considéré que de telles circonstances étaient particulièrement pertinentes même si elles n’étaient pas les seuls éléments pouvant constituer un tel encadrement.

58.      Compte tenu des réflexions qui précèdent, je me tourne maintenant vers le cas spécifique d’un contrôle tel que le contrôle MTV par rapport aux caractéristiques de ce dernier telles qu’elles ont été présentées dans la décision de renvoi.

 Un contrôle tel que le contrôle MTV constitue-t-il une vérification aux frontières ou une mesure de police d’effet équivalent?

59.      Le contrôle MTV s’inscrit dans la lutte contre le séjour irrégulier et concerne particulièrement des ressortissants de pays tiers qui sont déjà entrés dans l’espace Schengen et, que cette entrée ait été régulière ou clandestine, n’ont néanmoins pas ou n’ont plus de droit de séjour sur le territoire néerlandais. Ledit contrôle est exercé sur les routes dans une zone s’étendant jusqu’à 20 kilomètres en deçà de la frontière terrestre des Pays-Bas avec l’Allemagne et la Belgique. Il vise à s’assurer que les personnes interpellées sont habilitées à rester sur le territoire, et non pas à décider si elles devraient être autorisées à y entrer ou à le quitter. Il s’ensuit que le contrôle MTV n’est effectué ni à la frontière ni au moment du franchissement de celle-ci, et que son objectif est autre que celui des vérifications aux frontières.

60.      Dès lors, le contrôle MTV ne ressort pas du champ d’application de l’article 20 du code frontières Schengen.

61.      Toutefois, si la compétence visée à l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 n’était pas assortie des conditions supplémentaires qui figurent à l’article 4.17a du Vb 2000, elle comporterait bien un risque élevé que son exercice, dans la pratique, puisse compromettre le principe énoncé à l’article 20 du code frontières Schengen.

62.      Le contrôle est spécifiquement effectué sur des routes près de la frontière. Il me paraît raisonnable de supposer que plus la distance entre le lieu de contrôle et celui de la frontière est courte, plus le risque que le contrôle équivaut, dans la pratique, à une vérification aux frontières est élevé. Toutefois, la proximité d’une frontière ne peut pas en soi déterminer l’effet du contrôle. Le contrôle d’une personne qui se promène dans le centre-ville de Venlo — une ville néerlandaise à proximité de la frontière avec l’Allemagne — n’est pas nécessairement similaire à l’interpellation d’un passager à bord d’un autobus en provenance d’Allemagne au moment où ce bus roule sur l’autoroute internationale et n’a pas encore eu l’occasion de rejoindre la circulation locale pour atteindre Venlo.

63.      La vérification de l’identité, de la nationalité et du droit de séjour d’une personne est un acte qui est associé également à la vérification aux frontières. Afin de s’assurer qu’une personne est autorisée à entrer sur le territoire d’un État membre, il est normal de contrôler son identité ainsi que sa nationalité et d’établir si les conditions d’entrée sont réunies, éléments préalables essentiels pour qu’un droit de séjour soit accordé à cette personne.

64.      Cependant, l’article 4.17a du Vb 2000 prévoit un encadrement assez détaillé aux compétences conférées par l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000. Est-ce que cet encadrement suffit pour rendre les contrôles MTV conformes avec le droit de l’Union?

65.      À mon avis, la réponse doit être «oui».

66.      En premier lieu, il convient de rappeler que les mesures de police autorisées par l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 et par l’article 4.17a du Vb 2000 n’ont pas pour objectif le contrôle aux frontières. L’objectif d’un contrôle tel que le contrôle MTV est à la fois de repérer des personnes en situation irrégulière et, par son existence même, de décourager l’immigration illégale malgré l’absence des contrôles aux frontières.

67.      Le contrôle en cause n’est pas déclenché par l’intention de franchir une frontière ou par le franchissement de la frontière indépendamment de toute autre considération, mais en réponse à la réalité des circonstances: il est indéniable que certains ressortissants de pays tiers soit entrent dans la zone Schengen sans avoir le droit d’y entrer, soit y restent sans avoir le droit d’y résider. C’est pourquoi l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 autorise des interpellations dans tout le territoire, y compris les zones frontalières.

68.      L’objectif d’une vérification aux frontières est celui de ne pas admettre sur le territoire des personnes qui n’ont pas de droit d’entrée. En revanche, un contrôle tel que le contrôle MTV vise à identifier les personnes qui, indépendamment de la légalité de leur entrée dans l’espace Schengen, n’ont pas (ou n’ont plus) de droit de séjour. À la suite d’une telle interpellation, il y aura éventuellement lieu d’appliquer les dispositions du droit national portant, entre autres, sur la vérification de l’existence d’un séjour irrégulier, le traitement des immigrants et le retour de telles personnes. Dans la mesure où ces domaines sont affectés par le droit de l’Union, les États membres sont tenus d’aménager leur législation de manière à assurer le respect de celui-ci (24). De tels effets d’un contrôle sur le territoire d’un État membre, y compris dans une zone frontalière, se distinguent nettement de ceux d’une vérification aux frontières.

69.      En deuxième lieu, le paragraphe 2 de l’article 4.17a du Vb 2000 spécifie que les interpellations autorisées par l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 sont fondées sur des informations ou des expériences relatives au séjour irrégulier après un franchissement de la frontière. Dans une mesure limitée, des contrôles peuvent également être effectués afin d’obtenir des informations sur le séjour irrégulier à la suite du franchissement de la frontière.

70.      Il ressort des observations du gouvernement néerlandais que les contrôles sont réalisés sur la base des profils fondés sur des informations ou des données démontrant un risque élevé, d’une part, de criminalité transfrontalière sur certaines routes et, d’autre part, de présence de personnes en situation irrégulière quant à leur droit de séjour (25), à certains moments ainsi qu’en fonction du type et de la couleur du véhicule. Ces informations font l’objet d’une appréciation continue. Les routes, le type et la couleur des véhicules, leur pays d’immatriculation ainsi que les moments du contrôle et les moments de passage varient selon des informations collectionnées sur l’incidence des risques de séjour irrégulier (26).

71.      J’estime que cette façon de procéder satisfait au point ii) de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen.

72.      Le libellé de ladite disposition, particulièrement l’usage du terme «notamment» et sa référence à la notion de «sécurité publique», n’exclut pas que les informations et l’expérience collectionnées puissent se rapporter non pas uniquement à la criminalité frontalière, mais également au séjour irrégulier ainsi qu’à l’immigration illégale. Je souligne là encore que, à mon avis, il est déterminant que l’objectif du contrôle en cause ne corresponde pas à celui d’un contrôle aux frontières. À l’exception de cette limitation, l’article 21, sous a), ne prescrit pas les objectifs qui autorisent les États membres à mettre en place une compétence de police.

73.      Contrairement à ce que prétend le représentant de M. Adil, j’estime que l’article 21, sous a), du code frontières Schengen ne s’oppose pas à ce que la législation en cause permette des contrôles sans que ceux-ci soient déclenchés par le comportement de l’intéressé ou des circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public. Cela, me semble-t-il, était également l’avis de notre Cour dans les affaires Melki et Abdeli (27).

74.      L’article 21, sous a), du code frontières Schengen ne contient pas de norme selon laquelle un État membre doit exercer ses compétences de police de manière uniforme sur la totalité de son territoire. Le libellé de l’article 21, sous a) — contrairement à celui de l’article 21, sous b) — ne constitue aucune base pour un tel parallélisme strict entre les contrôles dans les zones frontalières et ceux sur le reste du territoire (28).

75.      Dès lors, j’estime qu’il est tout à fait légitime que les modalités de l’exercice d’une compétence de police soient adaptées aux caractéristiques d’éventuelles menaces ou risques qui la justifient. Si un État membre constate une probabilité élevée d’identifier des personnes en séjour irrégulier dans des zones frontalières, l’article 21, sous a), ne l’empêche pas d’y répondre d’une manière appropriée tant que cela n’aboutit pas à un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières.

76.      Le paragraphe 2 de l’article 4.17a du Vb 2000 prévoit également que les contrôles peuvent être déclenchés, dans les limites prévues à ladite disposition, par le besoin d’obtenir des informations sur le séjour irrégulier à la suite du franchissement de la frontière. Leur objectif, à savoir celui d’identifier de nouvelles pratiques et de nouveaux itinéraires et de s’assurer de la fiabilité des informations collectionnées auparavant, nécessite que ces contrôles (tout comme les autres contrôles) soient réalisés à l’improviste et donc conformément au point iv) de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen. De plus, lors de l’audience, la Commission a également suggéré, sans que cela n’ait été contesté par d’autres parties, que le nombre de contrôles en vue d’obtenir des informations ne peut pas dépasser celui de contrôles effectués sur la base des informations ou des expériences relatives au séjour illégal après un franchissement de la frontière.

77.      En troisième lieu, selon le paragraphe 5 de l’article 4.17a du Vb 2000, la durée des périodes durant lesquelles des contrôles MTV, quelle que soit leur base, peuvent être exercés sur la même route ne peut pas dépasser 90 heures par mois et 6 heures par jour.

78.      J’estime qu’une telle limitation ne serait pas suffisante en soi afin de constituer un encadrement approprié, parce qu’elle n’empêcherait pas que, durant ces périodes, chaque véhicule soit arrêté et chaque personne soit interpellée. Cependant, la seconde phrase du paragraphe 5 de l’article 4.17a du Vb 2000 spécifie que seulement une partie des moyens de transport qui passent peuvent être immobilisés. Cette disposition empêche clairement que les autorités arrêtent chaque véhicule. En revanche, elle ne garantit pas de contrôles sélectifs, étant donné que, en théorie elle autorise l’immobilisation de 99 % de tous les véhicules. Toutefois, la grande majorité des véhicules ne devraient pas être arrêtés étant donné que, conformément au paragraphe 2 de l’article 4.17a du Vb 2000, les contrôles MTV doivent être réalisés sur la base des informations ou des expériences relatives au séjour irrégulier et celles-ci justifient uniquement des interpellations sélectives (29).

79.      Il apparaît donc que l’encadrement prévu à l’article 4.17a du Vb 2000 garantit que, en réalité, le nombre de véhicules et de personnes contrôlés durant les périodes spécifiées dans l’article 4.17a du Vb 2000 est limité et varié et que les contrôles sont effectués de manière non systématique.

80.      Au vu de toutes les considérations qui précèdent, j’estime qu’un encadrement tel que celui prévu à l’article 4.17a du Vb 2000 satisfait aux quatre conditions énumérées aux points i) à iv) de l’article 21, sous a), du code frontières Schengen et garantit que l’exercice pratique d’une compétence telle que celle accordée par l’article 50, paragraphe 1, de la Vw 2000 à la Koninklijke Marechaussee ne puisse pas revêtir un effet équivalent à celui des vérifications aux frontières.

 Conclusion

81.      Par conséquent, je suis d’avis que la Cour devrait répondre comme suit aux questions posées:

«L’article 21 du règlement (CE) n562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale d’un État membre permettant d’interpeller des personnes se trouvant dans un véhicule sur une route dans une zone frontalière afin de vérifier leur identité, nationalité et droit de séjour régulier, dans la mesure où cette législation prévoit un encadrement tel que celui prévu à l’article 4.17a de l’arrêté sur les étrangers de 2000 («Vreemdelingenbesluit 2000») afin d’éviter que de telles interpellations produisent un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières.

Ladite disposition ne s’oppose pas, notamment, à ce que la réglementation nationale prévoie que de telles interpellations soient fondées soit sur des informations générales et des données expérimentales relatives au séjour irrégulier, sans qu’elles ne doivent être déclenchées par le comportement de l’intéressé ou des circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, soit sur le besoin d’obtenir des informations sur le séjour irrégulier à la suite du franchissement de la frontière.»


1 – Langue originale: le français.


2 – Lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a expliqué que la Koninklijke Marechaussee est responsable notamment de la surveillance de la famille royale, de la Banque centrale, des frontières extérieures et des étrangers.


3 – Par arrêté du 30 mai 2011, entré en vigueur le 1er juin 2011, l’article 4.17a a été inséré dans le Vb 2000. Ce dernier précise les dispositions d’exécution de la Vw 2000.


4 – En vertu de l’article 59, paragraphe 1, sous b), de la Vw 2000.


5 – Voir règlement (CE) n2725/2000 du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système «Eurodac» pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace de la convention de Dublin (JO L 316, p. 1).


6 – Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (JO L 105, p. 1).


7 – Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000 L 239, p. 19), tel que modifié. Les articles 2 à 8 de la convention Schengen ont été abrogés par le code frontières Schengen. Voir article 39, paragraphe 1, du code frontières Schengen.


8 – Arrêt du 22 juin 2010 (C‑188/10 et C‑189/10, Rec. p. I‑5667).


9 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 74.


10 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 74.


11 – Voir note 7.


12 – JO 2002, C 313, p. 97, tel que modifié et ultimement abrogé par le code frontières Schengen. Voir article 39, paragraphe 2, sous a), du code frontières Schengen.


13 – Exposé des motifs de l’arrêté du 30 mai 2011; voir note 3.


14 – Voir affaire Jaoo (C‑88/12, pendante devant la Cour). Dans cette affaire, la juridiction de renvoi n’a demandé ni de procédure préjudicielle d’urgence ni de procédure accélérée.


15 – Voir point 2 ci-dessus.


16 – Article 267 TFUE, dernière phrase. La Cour considère que certaines autres catégories limitées d’affaires (telles celles qui ont trait à l’enlèvement d’enfants) peuvent légitimement bénéficier de la PPU. Voir note informative sur l’introduction de procédures préjudicielles par les juridictions nationales (JO C 160, du 28 mai 2011, p. 1), «http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2011:160:0001:0005:FR:PDF»


17 – Selon l’article 2, paragraphe 9, du code frontières Schengen, un «contrôle aux frontières» englobe «les activités effectuées aux frontières, conformément au [code frontières Schengen] et aux fins de celui-ci, en réponse exclusivement à l’intention de franchir une frontière ou à son franchissement indépendamment de toute autre considération», consistant en des vérifications aux frontières et en une surveillance des frontières.


18 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 71.


19 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 68.


20 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 72.


21 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 74.


22 – Arrêt Melki et Abdeli, précité, point 73.


23 – Prise de position de l’avocat général Mazák dans les affaires Melki et Abdeli, précitées, point 44.


24 – Voir, notamment, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian (C‑329/11, Rec. p. I‑12695, points 28 à 33).


25 – Je constate que l’encadrement prévu à l’article 4.17a du Vb 2000 porte sur tout type de contrôle sur les routes dans ces zones frontalières, et pas seulement sur ceux effectués sur la partie d’une autoroute internationale qui connecte la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne ou la Belgique au premier point dans le territoire du Pays-Bas où le trafic international rejoint la circulation nationale.


26 – Lors de l’audience, le gouvernement néerlandais a confirmé que, à l’époque des faits et actuellement encore, de telles informations ne proviennent pas de caméras enregistrant la plaque de chaque véhicule qui passe, installées sur des routes dans les zones frontalières. Sans m’exprimer sur l’éventuelle conformité avec le droit de l’Union de l’usage d’une telle méthode pour collectionner des informations, il me semble que cette méthode n’a aucune pertinence pour la question de savoir si un contrôle tel que le contrôle MTV produit un effet équivalent à celui d’une vérification aux frontières. Ce qui importe est non pas l’enregistrement des données en tant que tel, mais l’encadrement des contrôles autorisés. L’existence d’un réseau de caméras en soi n’a aucune incidence sur la question de savoir s’il existe une vérification aux frontières.


27 – Voir arrêt Melki et Abdeli, précité, points 73 et 74.


28 – En effet, la proposition de la Commission d’introduire un tel parallélisme a été rejetée par le Parlement européen et le Conseil. Voir article 19, sous a), de la proposition de règlement du Conseil établissant le code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes [COM(2004) 391 final].


29 – De plus, le gouvernement néerlandais a affirmé lors de l’audience que le nombre d’autorités désignées pour exécuter de tels contrôles ainsi que les moyens mis à leur disposition sont limités.