Language of document : ECLI:EU:C:2019:344

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

2 mai 2019 (*)

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Règlement (CE) no 510/2006 – Article 13, paragraphe 1, sous b) – Protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires – Fromage manchego (“queso manchego”) – Utilisation de signes pouvant évoquer la région à laquelle est liée l’appellation d’origine protégée (AOP) – Notion de “consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé” – Consommateurs européens ou consommateurs de l’État membre où le produit visé par l’AOP est fabriqué et majoritairement consommé »

Dans l’affaire C‑614/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décision du 19 octobre 2017, parvenue à la Cour le 24 octobre 2017, dans la procédure

Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego

contre

Industrial Quesera Cuquerella SL,

Juan Ramón Cuquerella Montagud,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, Mme K. Jürimäe, MM. D. Šváby, S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 octobre 2018,

considérant les observations présentées :

–        pour la Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego, par Me M. Pomares Caballero, abogado,

–        pour Industrial Quesera Cuquerella SL et M. Cuquerella Montagud, par Mes J. A. Vallejo Fernández, F. Pérez Álvarez et J. Pérez Itarte, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. A. Rubio González ainsi que par Mme V. Ester Casas, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann et J. Techert, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et S. Horrenberger ainsi que par Mmes A.-L. Desjonquères et C. Mosser, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme I. Galindo Martín ainsi que par MM. D. Bianchi et I. Naglis, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 janvier 2019,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO 2006, L 93, p. 12).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Fundación Consejo Regulador de la Denominación de Origen Protegida Queso Manchego (Fondation chargée de la gestion de l’appellation d’origine protégée Queso Manchego, Espagne) (ci-après la « Fondation Queso Manchego ») à Industrial Quesera Cuquerella SL (ci-après « IQC ») et à M. Juan Ramón Cuquerella Montagud au sujet, notamment, de l’utilisation, par IQC, d’étiquettes pour identifier et commercialiser des fromages qui ne sont pas couverts par l’appellation d’origine protégée (AOP) « queso manchego ».

 Le cadre juridique

3        Les considérants 4 et 6 du règlement no 510/2006 énoncent :

« (4)      Face à la diversité des produits mis sur le marché et à la multitude des informations données à leur sujet, le consommateur devrait, pour pouvoir mieux faire son choix, disposer d’une information claire et brève le renseignant de façon précise sur l’origine du produit.

[...]

(6)      Il convient de prévoir une approche communautaire concernant les appellations d’origine et les indications géographiques. Un régime communautaire établissant un système de protection permet de développer les indications géographiques et les appellations d’origine, du fait que ce cadre garantit, à travers une approche plus uniforme, des conditions de concurrence égale entre les producteurs de produits portant ces mentions et qu’il conduit à une meilleure crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs. »

4        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ce règlement :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a)      “appellation d’origine” : le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire :

–        originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et

–        dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et

–        dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée ».

5        L’article 13, paragraphe 1, dudit règlement dispose :

« Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute :

[...]

b)      usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, ou d’une expression similaire ;

c)      autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine ;

[...] »

6        L’article 14, paragraphe 1, du même règlement prévoit :

« Lorsqu’une appellation d’origine ou une indication géographique est enregistrée conformément au présent règlement, la demande d’enregistrement d’une marque correspondant à l’une des situations visées à l’article 13 et concernant la même classe de produit est refusée si la demande d’enregistrement de la marque est présentée après la date de dépôt de la demande d’enregistrement auprès de la Commission [européenne].

Les marques enregistrées contrairement au premier alinéa sont annulées. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

7        La Fondation Queso Manchego est chargée de gérer et de protéger l’AOP « queso manchego ». À ce titre, elle a introduit un recours contre les défenderesses au principal devant la juridiction espagnole de première instance compétente visant à ce qu’il soit déclaré que les étiquettes utilisées par IQC pour identifier et commercialiser les fromages « Adarga de Oro », « Super Rocinante » et « Rocinante », qui ne sont pas couverts par l’AOP « queso manchego », ainsi que l’utilisation des termes « Quesos Rocinante » impliquent une violation de l’AOP « queso manchego », dans la mesure où ces étiquettes et ces termes forment une évocation illicite de cette AOP, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006.

8        La juridiction espagnole de première instance a rejeté ce recours au motif que les signes et les dénominations utilisés par IQC pour commercialiser les fromages qui n’étaient pas couverts par l’AOP « queso manchego » ne présentaient aucune similitude visuelle ou phonétique avec les AOP « queso manchego » ou « la Mancha » et que l’utilisation de signes tels que la dénomination « Rocinante » ou l’image du personnage littéraire de Don Quijote de la Mancha évoquent la région de la Mancha (Espagne) et non pas le fromage couvert par l’AOP « queso manchego ».

9        La Fondation Queso Manchego a interjeté appel de ce rejet devant l’Audiencia Provincial de Albacete (cour provinciale d’Albacete, Espagne), laquelle a, par arrêt du 28 octobre 2014, confirmé le jugement rendu en première instance. Cette juridiction a considéré que l’utilisation, pour des fromages commercialisés par IQC qui ne sont pas couverts par l’AOP « queso manchego », de paysages de la Mancha et de représentations propres à la Mancha sur les étiquettes de ces fromages, conduisait le consommateur à penser à la région de la Mancha mais pas nécessairement au fromage couvert par l’AOP « queso manchego ».

10      La requérante au principal a formé un pourvoi contre cet arrêt devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne).

11      Dans la décision de renvoi, le Tribunal Supremo (Cour suprême) formule un ensemble de considérations d’ordre factuel.

12      Tout d’abord, la juridiction de renvoi expose que le mot « manchego » utilisé dans l’AOP « queso manchego » est l’adjectif qui qualifie, dans la langue espagnole, les personnes et les produits originaires de la région de la Mancha. Ensuite, elle observe que l’AOP « queso manchego » couvre les fromages élaborés dans la région de la Mancha avec du lait de brebis et dans le respect des conditions de production, d’élaboration et d’affinage traditionnelles, contenues dans le cahier des charges de cette AOP.

13      En outre, la juridiction de renvoi précise que Miguel de Cervantes a situé l’essentiel de l’action du personnage romanesque Don Quijote de la Mancha dans la région de la Mancha. Par ailleurs, ce personnage est décrit par la juridiction de renvoi comme ayant certaines caractéristiques physiques et vestimentaires analogues à celles du personnage représenté sur le motif figuratif apposé sur l’étiquette du fromage « Adarga de Oro ». À cet égard, le mot « adarga » (petit bouclier en cuir), qui est un archaïsme, est utilisé dans ledit roman pour désigner l’écu utilisé par Don Quijote. En outre, la juridiction de renvoi relève que l’une des dénominations utilisées par IQC pour certains de ses fromages correspond au nom du cheval monté par Don Quijote de la Mancha, à savoir « Rocinante ». Les moulins à vent contre lesquels Don Quijote se bat représentent un élément caractéristique du paysage de la Mancha. Sur certaines des étiquettes des fromages fabriqués par IQC et non couverts par l’AOP « queso manchego », et sur certains dessins se trouvant sur le site Internet d’IQC, qui contient également des publicités pour des fromages non couverts par cette AOP, apparaissent des paysages avec des moulins à vent ainsi que des brebis.

14      Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’évocation de l’[AOP], interdite par l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, doit-elle nécessairement se produire par l’emploi de dénominations qui présentent une similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle avec l’[AOP] ou peut-elle se produire par l’emploi de signes figuratifs évoquant l’[AOP] ?

2)      Dans le cas d’une [AOP] de nature géographique [article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement no 510/2006] et s’agissant des mêmes produits ou de produits comparables, l’utilisation de signes évoquant la région à laquelle est liée l’[AOP] peut-elle être considérée, aux fins de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, comme une évocation de l’[AOP] elle-même, qui est inacceptable, y compris dans le cas où l’utilisateur de ces signes est un producteur établi dans la région à laquelle est liée l’[AOP] mais que ses produits ne sont pas couverts par cette [AOP] parce qu’ils ne respectent pas les conditions, différentes de l’origine géographique, contenues dans le cahier des charges ?

3)      La notion de consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une “évocation” aux fins de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, doit-elle être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens ou peut-elle faire référence uniquement aux consommateurs de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de l’indication géographique protégée ou auquel l’AOP est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

15      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 doit être interprété en ce sens que l’évocation d’une dénomination enregistrée est susceptible d’être produite par l’emploi de signes figuratifs.

16      Conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêts du 17 mai 2018, Industrias Químicas del Vallés, C‑325/16, EU:C:2018:326, point 27, et du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 27).

17      En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 510/2006 que cette disposition prévoit une protection des dénominations enregistrées contre toute évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation » ou d’une expression similaire.

18      Une telle formulation peut être comprise comme renvoyant non seulement aux termes par lesquels une dénomination enregistrée peut être évoquée, mais également à tout signe figuratif susceptible de rappeler à l’esprit du consommateur les produits bénéficiant de cette dénomination. À cet égard, l’emploi du terme « toute » reflète la volonté du législateur de l’Union européenne de protéger les dénominations enregistrées en envisageant qu’une évocation se produise au moyen d’un élément verbal ou d’un signe figuratif.

19      Certes, la Cour a jugé que la notion d’« évocation » recouvre une hypothèse dans laquelle le terme utilisé pour désigner un produit incorpore une partie d’une dénomination enregistrée, de telle sorte que le consommateur, en présence du nom du produit, est amené à avoir à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’appellation (voir, par analogie, arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C‑87/97, EU:C:1999:115, point 25).

20      La Cour a également indiqué que, aux fins de la détermination de la notion d’« évocation », au sens de l’article 16, sous b), du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16), le critère déterminant est celui de savoir si le consommateur, en présence d’une dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit, comme image de référence, la marchandise bénéficiant de l’indication géographique protégée (arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 51).

21      Or, si la jurisprudence citée aux points 19 et 20 du présent arrêt concernait des affaires portant sur des dénominations de produits et non pas sur des signes figuratifs, il peut néanmoins en être déduit, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 24 de ses conclusions, que le critère déterminant pour établir si un élément évoque la dénomination enregistrée, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, est celui de savoir si cet élément est susceptible de rappeler directement à l’esprit du consommateur, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette dénomination.

22      Dès lors, il ne peut être, par principe, exclu que des signes figuratifs soient aptes à rappeler directement à l’esprit du consommateur, comme image de référence, les produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée en raison de leur proximité conceptuelle avec une telle dénomination.

23      En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel la notion d’« évocation » s’inscrit, il ne saurait être admis que, comme la Commission le soutient, l’évocation d’une dénomination enregistrée au moyen de signes figuratifs ne puisse être examinée qu’au regard de l’article 13, paragraphe 1, sous c), du règlement no 510/2006.

24      En effet, d’une part, il convient de constater que les termes mêmes de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ce règlement ne limitent pas la portée de cette disposition aux seules dénominations des produits que celles-ci couvrent. Au contraire, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 28 de ses conclusions, ladite disposition prévoit une protection contre « toute » évocation, même si la dénomination protégée est accompagnée d’une expression telle que « genre », « type », « méthode », « façon », « imitation », apposée sur l’emballage du produit concerné.

25      D’autre part, comme la Commission l’a relevé, il est vrai que la Cour a constaté, dans l’arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association (C‑44/17, EU:C:2018:415, point 65), l’article 16 du règlement no 110/2008 rédigé dans des termes analogues à l’article 13 du règlement no 510/2006 contenait une énumération graduée d’agissements interdits.

26      Pour autant, le fait que l’article 13, paragraphe 1, sous c), de ce règlement vise toute autre indication figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné ne permet pas de considérer que seule cette disposition s’opposerait à l’utilisation de signes figuratifs portant atteinte à des dénominations enregistrées.

27      En effet, comme M. l’avocat général l’a souligné au point 33 de ses conclusions, l’énumération graduée, mentionnée par la Cour, porte sur la nature des agissements interdits, à savoir, s’agissant de l’article 13, paragraphe 1, sous c), dudit règlement, sur le caractère faux et fallacieux d’indications quant à la provenance, l’origine, la nature, ou les qualités substantielles du produit, et non sur les éléments à prendre en considération pour déterminer l’existence de telles indications fausses ou fallacieuses.

28      Dès lors, une interprétation contextuelle de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 corrobore l’interprétation résultant du libellé exposée au point 22 du présent arrêt.

29      En troisième lieu, il convient de constater que le règlement no 510/2006 poursuit notamment l’objectif d’assurer, selon ses considérants 4 et 6, que le consommateur dispose d’une information claire, brève et crédible le renseignant de façon précise sur l’origine du produit.

30      Or, un tel objectif est d’autant mieux assuré lorsque la dénomination enregistrée ne peut faire l’objet d’une évocation, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, au moyen de signes figuratifs.

31      Enfin, il importe de souligner qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier concrètement si des signes figuratifs, tels que ceux en cause au principal, sont susceptibles de rappeler directement à l’esprit du consommateur les produits bénéficiant d’une dénomination enregistrée.

32      Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 510/2006 doit être interprété en ce sens que l’évocation d’une dénomination enregistrée est susceptible d’être produite par l’emploi de signes figuratifs.

 Sur la deuxième question

33      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement nº 510/2006 doit être interprété en ce sens que l’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine, visée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où lesdits signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits, similaires ou comparables à ceux protégés par cette appellation d’origine, ne sont pas couverts par celle-ci.

34      D’emblée, il convient de constater que le libellé de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 ne prévoit aucune exclusion en faveur d’un producteur établi dans une aire géographique correspondant à l’AOP et dont les produits sans être protégés par cette AOP sont similaires ou comparables à ceux protégés par cette dernière.

35      Il y a lieu de relever qu’une telle exclusion aurait pour effet d’autoriser un producteur à utiliser des signes figuratifs qui évoquent l’aire géographique dont le nom fait partie d’une appellation d’origine couvrant un produit identique ou similaire à celui de ce producteur et, partant, à lui faire profiter de manière indue de la réputation de cette appellation.

36      Partant, dans une situation telle que celle en cause au principal, le fait qu’un producteur de produits, similaires ou comparables à ceux protégés par une appellation d’origine, soit établi dans une aire géographique liée à cette appellation ne saurait l’exclure du champ d’application de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006.

37      Ensuite, s’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier si l’utilisation par un producteur de signes figuratifs qui évoquent l’aire géographique dont le nom fait partie d’une appellation d’origine, pour des produits identiques ou similaires à ceux couverts par cette appellation, constitue une évocation d’une dénomination enregistrée, au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans sa décision (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Severi, C‑446/07, EU:C:2009:530, point 60).

38      Ce faisant, le juge national doit essentiellement se fonder sur la réaction présumée du consommateur, l’essentiel étant que ce dernier établisse un lien entre les éléments litigieux, en l’occurrence des signes figuratifs évoquant l’aire géographique dont le nom fait partie d’une appellation d’origine, et la dénomination enregistrée (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Viiniverla, C‑75/15, EU:C:2016:35, point 22).

39      À cet égard, il lui appartient d’apprécier si le lien entre ces éléments litigieux et la dénomination enregistrée est suffisamment direct et univoque de telle sorte que le consommateur, en leur présence, est conduit à avoir principalement à l’esprit cette dénomination (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, points 53 et 54).

40      Ainsi, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’établir s’il existe une proximité conceptuelle, suffisamment directe et univoque, entre les signes figuratifs en cause au principal et l’AOP « queso manchego », qui, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement no 510/2006, renvoie à l’aire géographique à laquelle elle est liée, à savoir la région de la Mancha.

41      En l’occurrence, la juridiction de renvoi devra s’assurer que les signes figuratifs en cause au principal, notamment les dessins d’un personnage ressemblant à Don Quijote de la Mancha, d’un cheval maigre et des paysages avec des moulins à vent et des brebis, sont susceptibles de créer une proximité conceptuelle avec l’AOP « queso manchego », de telle sorte que le consommateur aura directement à l’esprit, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette AOP.

42      À cet égard, la juridiction de renvoi devra apprécier s’il y a lieu, comme l’a indiqué M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, de prendre en considération conjointement l’ensemble des signes, figuratifs et verbaux, qui apparaissent sur les produits en cause au principal pour se livrer à un examen global tenant compte de tous les éléments ayant un potentiel évocateur.

43      Eu égard à ce qui précède, l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 doit être interprété en ce sens que l’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine, visée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où lesdits signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits, similaires ou comparables à ceux protégés par cette appellation d’origine, ne sont pas couverts par celle-ci.

 Sur la troisième question

44      Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une « évocation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, doit être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens ou uniquement aux consommateurs de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.

45      Tout d’abord, s’agissant de l’interprétation de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, rédigé dans des termes analogues à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, la Cour a jugé que, pour établir l’existence d’une « évocation » d’une indication géographique enregistrée, il incombe à la juridiction de renvoi d’apprécier si le consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en présence de la dénomination litigieuse, est amené à avoir directement à l’esprit comme image de référence, le produit bénéficiant de l’indication géographique protégée (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 56).

46      La Cour a également précisé que la circonstance que la dénomination litigieuse dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt cité au point précédent fasse référence à un lieu de fabrication qui serait connu des consommateurs de l’État membre où celui-ci est fabriqué ne constitue pas un facteur pertinent dans le cadre de l’appréciation de la notion d’« évocation », au sens de l’article 16, sous b), du règlement no 110/2008, étant donné que cette disposition protège les indications géographiques enregistrées contre toute évocation sur l’ensemble du territoire de l’Union et que, eu égard à la nécessité de garantir une protection effective et uniforme desdites indications sur celui-ci, tous les consommateurs de ce territoire sont visés (voir, par analogie, arrêts du 21 janvier 2016, Viiniverla, C‑75/15, EU:C:2016:35, points 27 et 28, ainsi que du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 59).

47      Il découle de ce qui précède que la notion de consommateur européen moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, doit être interprétée de manière à garantir une protection effective et uniforme des dénominations enregistrées contre toute évocation sur l’ensemble du territoire de l’Union.

48      Ainsi, comme M. l’avocat général l’a souligné au point 51 de ses conclusions, si la protection effective et uniforme des dénominations enregistrées exige de ne pas tenir compte des circonstances susceptibles d’exclure l’existence d’une évocation pour les seuls consommateurs d’un État membre, pour autant, cette exigence ne requiert pas qu’une évocation appréciée par rapport aux consommateurs d’un seul État membre soit insuffisante pour déclencher la protection prévue à l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006.

49      Dès lors, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si les éléments, figuratifs comme verbaux, se rapportant au produit en cause au principal, fabriqué ou majoritairement consommé en Espagne, évoquent à l’esprit des consommateurs de cet État membre l’image d’une dénomination enregistrée, qui devra, si tel est le cas, être protégée contre une évocation qui aurait lieu dans l’ensemble du territoire de l’Union.

50      Il s’ensuit qu’il y a lieu de répondre à la troisième question que la notion de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une « évocation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, doit être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens, y compris aux consommateurs de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.

 Sur les dépens

51      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 510/2006 du Conseil, du 20 mars 2006, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, doit être interprété en ce sens que l’évocation d’une dénomination enregistrée est susceptible d’être produite par l’emploi de signes figuratifs.

2)      L’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006 doit être interprété en ce sens que l’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine, visée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où lesdits signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits, similaires ou comparables à ceux protégés par cette appellation d’origine, ne sont pas couverts par celle-ci.

3)      La notion de consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une « évocation », au sens de l’article 13, paragraphe 1, sous b), du règlement no 510/2006, doit être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens, y compris aux consommateurs de l’État membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.