Language of document : ECLI:EU:C:2020:179

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 5 mars 2020 (1)

Affaire C212/19

Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

contre

Compagnie des pêches de Saint-Malo

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Récupération d’une aide illégale – Décision 2005/239/CE – Aquaculteurs et pêcheurs – Cotisation sociale – Distinction entre cotisations patronales et salariales – Détermination du débiteur de l’obligation de restitution – Remboursement par les salariés de l’entreprise »






1.        Par sa demande de décision préjudicielle, le Conseil d’État (France) demande à la Cour, d’une part, d’interpréter la décision 2005/239/CE de la Commission, du 14 juillet 2004, concernant certaines mesures d’aide mises à exécution par la France en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs (2) (ci‑après la « décision litigieuse ») et, d’autre part, de préciser l’étendue des obligations de récupération qui incombent à la République française en exécution de ladite décision.

2.        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un pourvoi formé par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation (ci‑après le « ministre ») contre un arrêt de la cour administrative de Nantes (France), par lequel cette dernière a confirmé l’annulation d’un titre de perception émis par le directeur général des finances publiques de Bretagne à l’encontre de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo (ci‑après la « Compagnie »), en vue du recouvrement d’une somme d’argent au titre de récupération des aides que cette société aurait perçues en application de mesures nationales faisant l’objet de la décision litigieuse.

I.      Les antécédents du litige au principal

3.        Par lettre du 21 juin 2000, la République française a informé la Commission européenne des mesures d’indemnisation qu’elle avait adoptées en faveur des pêcheurs et des aquaculteurs ayant subi des dommages à la suite, d’une part, de la pollution par hydrocarbures causée par le naufrage du navire Erika dans le golfe de Gascogne le 12 décembre 1999 et, d’autre part, de la violente tempête survenue les 27 et 28 décembre 1999 (3). Ces mesures consistaient, d’une part, en un dispositif d’aides exceptionnelles, adopté par circulaire du 2 février 2000, afin de venir en aide aux pêcheurs et aux aquaculteurs de six départements de l’ouest de la France (le Finistère, le Morbihan, la Loire-Atlantique, la Vendée, la Charente-Maritime et la Gironde), ayant subi des dommages à la suite desdits événements et, d’autre part, en un allégement de 50 % des charges sociales portant sur trois mois, pour les aquaculteurs, et sur six mois, pour les pêcheurs, décidé par deux nouvelles circulaires du 15 avril et du 13 juillet 2000. Cette seconde mesure s’appliquait à l’ensemble de la France métropolitaine et des départements d’outre‑mer.

4.        La plupart des mesures adoptées par la circulaire du 2 février 2000 ont été considérées par la Commission comme étant compatibles avec le marché commun (4). En revanche, par décision communiquée à la République française le 11 décembre 2001, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard des mesures restantes, parmi lesquelles, notamment, la « mesure complémentaire d’allégement de charges sociales » en faveur des pêcheurs, mise en œuvre dans la période du 15 avril au 15 octobre 2000 (5).

5.        Cet allégement a porté « sur les cotisations patronales et salariales » (6) versées à l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM) (7). Quant aux modalités de réduction, au considérant 20 de la décision litigieuse, la Commission explique que « [p]our les cotisations versées à l’ENIM, le taux de réduction était de 50 %, tant pour les cotisations salariales que pour les cotisations patronales. Toutefois, dans le cas particulier des navires pour lesquels le mode de rémunération à la part n’est pas appliqué, la prise en charge des cotisations patronales a été portée à 75 %. Ce taux différent s’explique, selon la France, par le fait que, dans le cas de la rémunération à la part, il y a une étroite solidarité financière entre l’armement et l’équipage au regard des difficultés rencontrées dans l’exercice de l’activité de pêche, en particulier en ce qui concerne les baisses de chiffres d’affaires, tandis que, pour les armements industriels pour lesquels ce type de rémunération n’existe pas, les armements assument de fait la plus large part des difficultés économiques ».

6.        La mesure d’allégement de charges sociales en faveur des pêcheurs était destinée, avec d’autres mesures complémentaires, à tenir compte, en particulier, du préjudice subi par les entreprises du secteur de la pêche du fait de la dégradation du marché (8). Selon les autorités françaises, il avait en effet été constaté un fléchissement généralisé du marché des produits de la mer, avec diminution durable de la demande, en raison de l’inquiétude des consommateurs sur l’impact sanitaire de la marée noire (9). Selon la Commission, cependant, les informations communiquées par la République française étaient contredites par d’autres informations de nature officielle dont elle avait eu connaissance (10). Au vu de ces informations, la Commission a considéré qu’il y avait des doutes sérieux sur la compatibilité de cette mesure, ayant le caractère d’aide au fonctionnement, avec le marché commun.

7.        Ces doutes n’ont pas pu être dissipés lors de la procédure formelle d’examen. Après un examen approfondi de la situation du marché des produits de la pêche au cours du premier trimestre de l’année 2000 (11), la Commission a, en effet, conclu, au considérant 98 de la décision litigieuse, que, compte tenu des différents éléments à sa disposition, « l’allégement général de charges sociales en faveur des pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre ne [pouvait] pas être déclaré compatible avec le marché commun sur la base de l’article 87, paragraphe 2, point b), [CE] ». Au considérant 99 de cette décision, elle a jugé qu’« [e]n tant qu’aide au fonctionnement ayant été octroyée à l’ensemble des entreprises de pêche sans exiger une quelconque obligation de leur part, cette mesure d’aide [était] incompatible avec le marché commun en vertu du point 1.2, quatrième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices de 1997 (12) ».

8.        Dès lors, l’article 3 de la décision litigieuse déclarait « [l]a mesure d’aide mise à exécution par la France en faveur des pêcheurs sous forme d’allégement de charges sociales pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 [...] incompatible avec le marché commun ». Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision, « [l]a France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de ses bénéficiaires les aides visées [à l’article] 3 et déjà mises illégalement à leur disposition ». Le paragraphe 2, quant à lui, précisait que « [l]a récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. Les aides à récupérer incluent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires jusqu’à la date de leur récupération ».

9.        La décision litigieuse n’a pas été attaquée devant le Tribunal.

10.      Le 23 décembre 2009, après avoir plusieurs fois invité la République française à se conformer à la décision litigieuse, la Commission a introduit un recours en manquement au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Par l’arrêt du 20 octobre 2011, Commission/France (13) (ci‑après l’« arrêt Commission/France »), la Cour a déclaré que, « [e]n n’ayant pas exécuté, dans le délai prescrit, la décision [litigieuse], en récupérant auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par [l’article] 3 de cette décision, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 288, quatrième alinéa, TFUE et 4 de ladite décision » (14). Aux points 42 et 43 de cet arrêt, la Cour a rejeté l’argument soulevé par la République française, selon lequel les sommes correspondant aux allégements de charges salariales, étant versées par les entreprises aux organismes compétents pour le compte des salariés, ne devraient pas faire l’objet de restitution. Elle a d’abord, au point 42 dudit arrêt, constaté que « cet argument [revenait] en réalité à contester l’appréciation effectuée par la Commission, dans la décision [litigieuse], de la nature d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de l’allégement des charges sociales tant patronales que salariales ». Ensuite, au point 43, se fondant sur une jurisprudence constante, elle a dit pour droit que « dans le cadre d’[un] recours, qui a pour objet un manquement à l’exécution d’une décision en matière d’aides d’État et qui n’a pas été déférée devant la Cour par l’État membre qui en est destinataire, ce dernier ne saurait être fondé à contester la légalité d’une telle décision » (15).

II.    Le litige au principal et la procédure devant la Cour

11.      Le 22 février 2013, un titre de perception a été émis à l’encontre de la Compagnie pour un montant de 84 550,08 euros, correspondant aux allégements de cotisations salariales dues entre le 15 avril et le 15 juillet 2000, assortis des intérêts de retard. Par un jugement du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Rennes (France) a annulé ce titre de perception. Par un arrêt du 14 avril 2017, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel du ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer contre ce jugement.

12.      Le ministre s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, soutenant, notamment, que le juge d’appel avait, d’une part, commis une erreur de droit en jugeant que les exonérations de cotisations salariales n’avaient pas bénéficié aux entreprises de pêche, alors qu’elles ont été qualifiées d’aides d’État par la Commission, et, d’autre part, qu’il avait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu’il résultait de l’instruction que la réduction de cotisations salariales avait mécaniquement eu pour effet d’augmenter le montant du salaire net versé aux salariés.

13.      Le Conseil d’État a, d’une part, annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, en ce que cette dernière n’avait pas examiné le moyen d’annulation tiré de ce que le tribunal administratif de Rennes avait omis de se prononcer sur la fin de non‑recevoir soulevée par le ministre, tirée du caractère tardif de la réclamation préalable de la Compagnie, et, d’autre part, annulé l’arrêt du tribunal administratif de Rennes, du fait de cette omission. Le Conseil d’État a, dès lors, décidé d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la Compagnie devant ledit tribunal administratif.

14.      Après avoir écarté la fin de non‑recevoir soulevée par le ministre, le Conseil d’État a rejeté deux des moyens soulevés par la Compagnie, tirés, le premier, de ce que le titre de perception en cause au principal aurait méconnu les principes de confiance légitime et de sécurité juridique et le second, du retard mis par l’État à récupérer les sommes visées par ledit titre. Puis, en application de la jurisprudence de la Cour initiée par l’arrêt du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (16) (ci‑après l’« arrêt TWD »), il a rejeté la demande de la Compagnie tendant à ce que la Cour soit saisie, au titre de l’article 267 TFUE, d’une question préjudicielle en appréciation de validité de la décision litigieuse. Le Conseil d’État a, en effet, considéré que, en tant que bénéficiaire effective d’aides individuelles octroyées au titre du régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération, la Compagnie était directement et individuellement concernée, au sens de l’article 263 TFUE, par la décision litigieuse et que, ne l’ayant pas attaquée devant le Tribunal, elle ne saurait contester sa validité à l’occasion d’une instance contentieuse dirigée contre les mesures d’exécution de cette décision, prises par les autorités nationales.

15.      Le Conseil d’État a, ensuite, rappelé que, en vertu de l’article L. 741‑9 du code rural et de la pêche maritime et de l’article 4 du décret du 17 juin 1938, relatif à la réorganisation et à l’unification du régime d’assurance des marins (JORF du 29 juin 1938, p. 7500), les cotisations patronales versées au régime des salariés agricoles et au régime des marins sont dues par les employeurs, tandis que les cotisations salariales sont dues par les salariés. Les cotisations salariales ne seraient pas supportées par l’employeur, mais seraient seulement précomptées par lui sur la rémunération des assurés lors de chaque paye, et les allégements de cotisations salariales seraient répercutés auprès des salariés qui reçoivent un salaire net supérieur et en seraient les bénéficiaires directs. Le Conseil d’État a cependant relevé que cet allégement de cotisations salariales pourrait être regardé comme ayant constitué un avantage indirect pour l’entreprise, dès lors que, pendant la période considérée, elle a bénéficié d’une certaine attractivité en raison des rémunérations plus élevées que ses employés ont perçues pendant six mois.

16.      C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La décision [litigieuse] doit-elle être interprétée comme ne déclarant incompatibles avec le marché commun que les allégements de cotisations patronales, au motif que les allégements de cotisations salariales ne bénéficient pas aux entreprises et ne sont donc pas susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’article 107 [TFUE], ou comme déclarant également incompatibles les allégements de cotisations salariales ?

2)      Dans l’hypothèse où la Cour jugerait que la décision [litigieuse] doit être interprétée comme déclarant également incompatibles les allégements de cotisations salariales, l’entreprise doit‑elle être regardée comme ayant bénéficié de l’intégralité de ces allégements ou seulement d’une partie d’entre eux ? Dans cette dernière hypothèse, comment cette partie doit‑elle être évaluée ? L’État membre est-il tenu d’ordonner le remboursement par les salariés concernés de tout ou partie de la part d’aide dont ils auraient bénéficié ? »

17.      La présente affaire a bénéficié d’observations écrites déposées par la Compagnie, par le gouvernement français et par la Commission. Ces intéressés ont présenté leurs observations orales lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 20 novembre 2019.

III. Analyse

A.      Sur la recevabilité du renvoi préjudiciel

1.      Sur la fin de nonrecevoir invoquée par la Commission

18.      La Commission plaide, à titre principal, pour l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle présentée par le Conseil d’État. Elle considère que les deux questions préjudicielles posées, tout en étant formulées comme des questions en interprétation, visent en réalité à remettre en cause la validité de la décision litigieuse en ce qu’elle a également qualifié d’aide d’État l’allégement des cotisations salariales et a ordonné la récupération des montants correspondants. En tant que questions de validité, elles seraient, cependant, irrecevables, en application de la jurisprudence issue de l’arrêt TWD. La Compagnie ne serait, en effet, pas recevable à contester la validité de la décision litigieuse dans le cadre d’une procédure nationale portant sur son exécution, dans la mesure où elle ne l’a pas contestée en temps utile devant le Tribunal, bien qu’elle disposât, sans aucun doute, de la qualité pour agir, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

19.      Je dirais d’emblée que la lecture que fait la Commission des questions préjudicielles n’emporte pas ma conviction.

20.      Il est, certes, vrai que le texte de la première de ces questions ne se borne pas à demander à la Cour de clarifier si l’allégement des cotisations salariales est frappé par la déclaration d’incompatibilité contenue dans la décision litigieuse, mais suggère qu’une interprétation en ce sens de cette décision pourrait être contraire à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, au motif que cet allégement n’avantagerait pas des entreprises. Cependant, le seul fait que la juridiction de renvoi ait évoqué la possibilité qu’une certaine lecture de la décision litigieuse soit contraire à une disposition de droit primaire ne revient pas à modifier la nature de ladite demande, qui sollicite la Cour à se prononcer sur l’interprétation d’un acte de droit dérivé et non pas à juger de sa validité. Ainsi, à supposer même que la Cour devait en arriver à la conclusion que plusieurs interprétations de la décision litigieuse sont possibles et que celle selon laquelle l’allégement de charges salariales constitue une aide d’État doit être écartée à cause de sa contrariété avec l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle resterait dans les limites d’une simple interprétation conforme, qui ne conduirait pas à une déclaration (partielle) d’invalidité de ladite décision.

21.      L’intention de la juridiction de renvoi de se tenir à une demande en interprétation est d’ailleurs confirmée par le fait que, comme je l’ai déjà exposé au point 14 des présentes conclusions, cette juridiction a expressément rejeté la demande qui lui a été adressée par la Compagnie, visant à ce qu’elle saisisse la Cour d’une question en appréciation de validité de la décision litigieuse, et cela sur la base des mêmes motifs invoqués par la Commission pour soutenir l’irrecevabilité du renvoi préjudiciel.

22.      Je relève, en outre, que même à supposer que, de par sa teneur, la première question préjudicielle doive être lue comme une question en appréciation de validité de la décision litigieuse, la seconde question comporte, quant à elle, clairement une demande d’interprétation. Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission et malgré le fait que cette seconde question ne soit soumise que dans le cas d’une réponse à la première question en ce sens que la décision litigieuse vise également l’allégement des charges salariales, le renvoi ne pourrait, en tout état de cause, pas être déclaré irrecevable dans son ensemble.

23.      Sur la base de tout ce qui précède, je propose à la Cour de rejeter la fin de non‑recevoir soulevée par la Commission.

24.      Cela étant, il n’est pas exclu que la Cour puisse soulever d’office une question en appréciation de validité de la décision litigieuse. J’examinerai, dès lors, ci-après, si les conditions pour un tel relevé d’office sont réunies dans la présente affaire.

2.      Sur la possibilité de relever d’office une question de validité de la décision litigieuse  

25.      La Cour a déjà été amenée, par le passé, à relever d’office des questions de validité soit en rajoutant une telle question aux questions en interprétation posées par la juridiction de renvoi (17), soit en reformulant une question en interprétation et en la lisant comme une question en validité (18).

26.      Déjà en 1965, la Cour revendiquait la compétence à effectuer un tel relevé d’office, en jugeant, dans l’arrêt Schwarze, (19) que « lorsqu’il apparaît que le véritable objet des questions posées par une juridiction nationale relève de l’examen de la validité plus que de l’interprétation des actes communautaires, il appartient à la Cour d’éclairer immédiatement ladite juridiction sans l’obliger à un formalisme purement dilatoire incompatible avec la nature propre du mécanisme institué par l’article 177 [du traité CEE] » (20).

27.      Afin de ne pas heurter le principe selon lequel il incombe exclusivement à la juridiction de renvoi de définir l’objet des questions préjudicielles qu’elle entend poser, la Cour tend, toutefois, à ne pas utiliser cette compétence lorsque le juge national vise uniquement à obtenir l’interprétation d’un acte de droit dérivé de l’Union, sans indiquer qu’il éprouve des doutes quant à sa validité ou que celle‑ci a été mise en cause dans le litige au principal (21).

28.      La Cour a, par ailleurs, affirmé qu’il est important que la juridiction nationale indique en particulier les raisons précises qui l’ont conduite à s’interroger sur la validité de certaines dispositions du droit de l’Union et expose les motifs d’invalidité qui lui paraissent pouvoir être retenus (22). Dès lors, l’existence d’une contestation de la validité d’un acte de l’Union devant la juridiction nationale ne suffit pas, à elle seule, à justifier le renvoi d’une question préjudicielle à la Cour (23).

29.      En l’espèce, il ressort de la décision de renvoi ainsi que du dossier national déposé au greffe de la Cour, que le recours de la Compagnie devant le tribunal administratif de Rennes mettait directement en cause la validité de la décision litigieuse, dans la mesure où elle déclarait incompatible avec le marché commun également l’allégement des cotisations salariales. Le Conseil d’État, partant de la prémisse que la Compagnie était forclose à remettre en cause la validité de la décision litigieuse, n’a pas expressément pris position sur ce point. Cependant, en soulignant qu’un allégement portant sur de telles cotisations ne bénéficie pas directement aux entreprises et n’est, donc, pas susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 107 TFUE, cette juridiction émet indirectement des doutes sur la validité de la décision litigieuse.

30.      Or, dans un contexte différent, ces circonstances ont été, encore récemment, considérées par la Cour comme suffisantes pour soulever d’office la question de la validité d’un acte dont la seule interprétation avait été demandée par la juridiction de renvoi (24).

31.      Sur la base des considérations qui précèdent, je suis, donc, de l’avis que les conditions sont réunies pour que la Cour soulève d’office le grief d’invalidité de la décision litigieuse, qui a fait l’objet de débat dans le cadre de la présente procédure.

32.      Cependant, dans les circonstances du cas d’espèce, un tel relevé d’office ne serait possible que si, contrairement à ce que soutient la Commission et à ce qu’a jugé le Conseil d’État, l’effet de forclusion prévu par la jurisprudence issue de l’arrêt TWD n’était pas opposable à la Compagnie (25), ce qui sera examiné ci‑après.

3.      Sur l’applicabilité de la jurisprudence issue de l’arrêt TWD aux circonstances de l’affaire au principal

33.      Au point 17 de l’arrêt TWD, notamment pour des considérations relatives à la sécurité juridique, la Cour a exclu la possibilité, pour le bénéficiaire d’une aide d’État ayant fait l’objet d’une décision de la Commission adressée directement au seul État membre dont relève ce bénéficiaire, qui aurait pu sans aucun doute attaquer cette décision sur le fondement de l’article 263 TFUE et qui a laissé s’écouler le délai impératif prévu au sixième alinéa de cette disposition, de remettre utilement en cause la légalité de ladite décision devant les juridictions nationales à l’occasion d’un recours dirigé contre les mesures nationales d’exécution de cette même décision (26). En effet, selon la Cour, admettre que, dans ces circonstances, le bénéficiaire de l’aide puisse s’opposer, devant la juridiction nationale, à l’exécution d’une telle décision en se fondant sur l’illégalité de celle‑ci reviendrait à lui reconnaître la faculté de contourner le caractère définitif que revêt à son égard ladite décision après l’expiration des délais de recours (27).

34.      La Cour a rappelé et confirmé à plusieurs reprises les principes établis dans l’arrêt TWD (28), y compris dans des contextes juridiques et factuels très différents de celui qui caractérisait l’affaire au principal ayant donné lieu à cet arrêt (29). Cependant, ce n’est que dans un nombre limité de cas que la Cour a conclu à l’irrecevabilité d’un renvoi en appréciation de validité sur la base de ces principes (30).

35.      L’effet de forclusion qui s’attache, au sens de la jurisprudence TWD, à l’écoulement des délais de recours prévus à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, sans qu’un recours en annulation au sens de cet article ait été formé devant le juge compétent à connaître d’un tel recours (le Tribunal), ne s’applique, en effet, que lorsque la personne physique ou morale qui invoque l’illégalité d’un acte de l’Union devant une juridiction nationale, afin d’inciter celle‑ci à saisir la Cour d’une demande en appréciation de validité, avait, « sans aucun doute », et donc « manifestement et incontestablement » (31), qualité pour agir à l’encontre dudit acte dans le cadre d’un tel recours (32).

36.      Il convient, dès lors, de vérifier si tel est le cas en ce qui concerne la Compagnie, qui, n’étant pas destinataire de la décision litigieuse, n’aurait pu tirer sa qualité pour agir à l’encontre de celle‑ci qu’au titre de l’actuel article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE (ancien article 230, quatrième alinéa, CE), à savoir uniquement si elle avait pu démontrer que cette décision la concernait directement et individuellement.

37.      À cet égard, d’une part, je rappelle que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet du recours, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que deux critères soient cumulativement réunis, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle‑ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (33). Ainsi, la Cour a jugé qu’une décision de la Commission enjoignant la récupération d’aides d’État affecte directement les bénéficiaires bien que celle‑ci nécessite encore un acte de mise en œuvre des autorités nationales (34).

38.      D’autre part, il est également de jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement par celle‑ci que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle du destinataire (35).

39.      Dans le domaine des aides d’État, la Cour a itérativement jugé que les décisions de la Commission qui ont pour objet d’autoriser ou d’interdire un régime national d’aides revêtent une portée générale, résultant du fait que de telles décisions s’appliquent à des situations déterminées objectivement et comportent des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite (36). La Cour a ainsi jugé qu’une entreprise ne saurait, en principe, attaquer une décision de la Commission interdisant un régime d’aides sectoriel si elle n’est concernée par cette décision qu’en raison de son appartenance au secteur en question et de sa qualité de bénéficiaire potentiel dudit régime (37).

40.      Cependant, selon une jurisprudence également bien établie, les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides d’État dont la Commission a ordonné la récupération (38) sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (39), même si la récupération n’est mise en œuvre que dans une phase ultérieure, dans laquelle il devra être établi si les avantages reçus constituent des aides devant être remboursées (40). En effet, selon la Cour, l’injonction de récupération concerne déjà individuellement tous les bénéficiaires du régime en question « en ce qu’ils sont exposés, dès le moment de l’adoption de la décision [de la Commission], au risque que les avantages qu’ils ont perçus soient récupérés, et se trouvent ainsi affectés dans leur situation juridique » (41). Ces bénéficiaires font, dès lors, partie d’un cercle restreint au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission (42). La seule éventualité que, ultérieurement, les avantages déclarés illégaux ne soient pas récupérés auprès de leurs bénéficiaires « n’exclut pas que ceux‑ci soient considérés comme individuellement concernés » (43). Dans l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », la Cour a également rejeté expressément l’argument avancé par la Commission, selon lequel la reconnaissance de la recevabilité des recours contre une décision de celle‑ci ordonnant la récupération d’aides d’État aurait pour « effet paradoxal et pervers » de contraindre les bénéficiaires de celles‑ci à attaquer immédiatement ladite décision avant même de savoir si elle débouchera sur un ordre de récupération les concernant (44). Cette jurisprudence a été récemment confirmée, dans le contexte d’application de la cause de forclusion issue de l’arrêt TWD, par l’arrêt Georgsmarienhütte (45), sur lequel s’est fondée la juridiction de renvoi pour rejeter la demande de la Compagnie de saisir la Cour d’un renvoi en appréciation de validité de la décision litigieuse.

41.      Si la jurisprudence rappelée au point qui précède a été précisée postérieurement à la date d’expiration du délai de recours contre la décision litigieuse (46), ses principes se trouvaient déjà affirmés dans les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission (47) et Italie/Commission (48), de sorte que l’on peut aisément affirmer que la recevabilité d’un éventuel recours de la Compagnie introduit en 2004 contre la décision litigieuse aurait, très probablement, été reconnue par le Tribunal.

42.      Certes, le régime d’aides, objet de la décision litigieuse, diffère de ceux qui étaient en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission et Italie/Commission. En effet, les dispositifs en cause dans ces affaires avaient été mis en œuvre par différents actes administratifs, impliquant l’exercice d’une certaine marge d’appréciation, grâce auxquels les bénéficiaires s’étaient vu accorder des sommes concrètes (49), alors que les aides déclarées incompatibles par la décision litigieuse consistent en des exonérations de charges sociales directement applicables à tous les opérateurs du secteur.

43.      Cependant, d’une part, les caractéristiques des régimes en cause n’apparaissent pas avoir été spécialement prises en compte par la Cour dans les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission, et Italie/Commission. D’autre part, dans l’arrêt du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission (50), ayant pour objet des recours introduits en 2000, la pertinence du critère d’appréciation de l’intérêt individuel fondé sur les modalités d’exécution du régime d’aides, à l’époque soutenue avec force par la Commission, a été explicitement écartée (51).

44.      De même, si, au point 39 de l’arrêt Italie/Commission, la Cour a mentionné la circonstance que le nombre des demandes retenues et le montant des crédits prévus pour les aides en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt avaient été précisés dans la décision attaquée, de sorte que « la Commission ne pouvait [...] ignorer l’existence [des] bénéficiaires effecti[fs] » de ces aides, l’idée selon laquelle ce qui est décisif pour l’affectation individuelle n’est pas le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique l’acte attaqué, mais le fait qu’ils appartiennent à un cercle fermé, tels les bénéficiaires effectifs d’un régime d’aides après que celui‑ci a cessé d’être appliqué, était déjà bien ancrée dans la jurisprudence (52). Ainsi, le fait que les aides en cause dans la décision litigieuse consistent en un allégement généralisé de charges sociales institué en faveur des pêcheurs de l’ensemble de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer et que cette décision ne contient, dès lors, pas d’indications précises concernant ni le nombre des bénéficiaires ni le montant exact des aides (53) n’aurait pas, vraisemblablement, constitué, en soi, un motif suffisant pour le Tribunal de s’écarter de la solution accueillie dans les arrêts Italie et Sardegna Lines/Commission et Italie/Commission. Cette conclusion est, d’ailleurs, corroborée par l’arrêt Hotel Cipriani e.a./Commission (54).

45.      Cependant, à mon sens, les considérations qui précèdent ne suffisent pas à conclure à l’opposabilité à la Compagnie de l’effet de forclusion prévue par la jurisprudence issue de l’arrêt TWD.

46.      En effet, d’une part, je ne suis pas persuadé que, en 2005, la Compagnie aurait été « sans aucun doute » déclarée recevable à attaquer la décision litigieuse devant le Tribunal. La jurisprudence citée au point 40 des présentes conclusions n’était, à cette époque, pas encore suffisamment consolidée pour que l’on puisse arriver à une telle conclusion.

47.      D’autre part, je relève que, dans le domaine des aides d’État, à l’exception de l’arrêt Georgsmarienhütte, la Cour n’a reconnu ledit effet de forclusion qu’à l’égard de bénéficiaires d’aides individuels (55). Dans l’arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a. (56), en ce qui concerne une décision portant sur des régimes d’aides destinés à des catégories de personnes définies de manière générale, la Cour a, en revanche, jugé qu’il n’était pas manifeste qu’un recours en annulation introduit par ces bénéficiaires aurait été recevable (57).

48.      S’agissant de l’arrêt Georgsmarienhütte, il convient de souligner que les circonstances de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt étaient très particulières. En effet, les bénéficiaires effectives d’aides octroyées par les autorités allemandes sous forme de réduction d’un prélèvement dans le secteur de l’énergie avaient attaqué la décision de la Commission d’ouvrir la procédure d’examen formel à l’égard de ce régime. Dans le cadre de ces recours, elles avaient eu connaissance du contenu de la décision finale déclarant ledit régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant la restitution des aides octroyées (58). Contrairement au reste des entreprises concernées par les aides en cause, au lieu d’introduire un recours séparé contre cette décision et alors que le délai pour introduire un tel recours était pendant, elles avaient attaqué les ordres de récupération des aides dont elles avaient bénéficié, que les autorités allemandes leur avaient communiqués quelques jours après l’adoption de ladite décision (59).

49.      Enfin, étant donné les caractéristiques du régime objet de la décision litigieuse, et compte tenu du fait que cette décision est intervenue à quatre ans de distance de l’octroi des aides et que, à la date d’expiration du délai de recours contre celle‑ci, la République française n’avait pas encore entamé les opérations d’identification des bénéficiaires desdites aides (60), il n’est pas exclu que des questions concernant l’inclusion de la Compagnie dans la procédure de récupération auraient pu surgir devant le Tribunal, amenant ce dernier à douter de l’existence d’un intérêt à agir réel et actuel de la requérante, comme ce fut le cas pour les requérantes dans les affaires ayant donné lieu à l’ordonnance du 10 mars 2005, Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission (61).

50.      Pour l’ensemble des raisons qui précèdent, je suis d’avis que c’est à tort que le Conseil d’État a considéré opposable à la Compagnie l’effet de forclusion prévu par la jurisprudence issue de l’arrêt TWD. Par conséquent, si la Cour devait, contre l’opinion que j’ai exprimée aux points 18 à 23 des présentes conclusions, interpréter la première question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi comme une question portant sur la validité de la décision litigieuse, cette question devrait, à mon sens, être considérée comme recevable. De même, si la Cour devait décider d’apprécier d’office la validité de la décision litigieuse, l’arrêt TWD ne s’y opposerait pas.

B.      Sur le fond

51.      J’examinerai, d’abord, la première question préjudicielle, puisqu’elle porte sur l’interprétation de la décision litigieuse et elle est, donc, logiquement préalable. Ensuite, je discuterai de la validité de cette décision, dans la mesure où la Cour devait l’interpréter comme déclarant incompatible avec le marché commun également l’allégement des cotisations salariales. Je répondrai, enfin, à la seconde question préjudicielle.

1.      Sur la première question préjudicielle

52.      Par sa première question préjudicielle, qui, je le rappelle, ne soulève, à mon sens, qu’une question d’interprétation de la décision litigieuse (62), la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si cette décision doit être interprétée comme ne déclarant incompatible avec le marché commun que l’allégement des cotisations patronales. La Compagnie estime qu’il convient de répondre affirmativement à cette question, en considération tant du texte de la décision litigieuse que de la pratique décisionnelle de la Commission. Une telle lecture s’imposerait, en outre, afin d’assurer une interprétation qui soit conforme à l’article 87, paragraphe 1, CE (actuel article 107, paragraphe 1, TFUE). En revanche, le gouvernement français et la Commission, se fondant sur une lecture essentiellement systématique de la décision litigieuse, considèrent que celle‑ci doit être interprétée en ce sens qu’elle vise les allégements tant des cotisations patronales que des cotisations salariales. Ces intéressés font valoir que la Cour se serait déjà prononcée en ce sens dans l’arrêt Commission/France.

53.      Il importe, à titre liminaire, de rejeter d’emblée ce dernier argument. En effet, il est clair, à mon sens, que, dans l’arrêt Commission/France, non seulement la Cour ne s’est aucunement prononcée sur la validité de la décision litigieuse (63), mais elle n’a pas non plus pris position sur l’interprétation de celle‑ci, à tout le moins s’agissant du point soulevé dans la première question préjudicielle. Il ressort du point 23 de cet arrêt, ainsi que du dossier de l’affaire ayant donné lieu à celui‑ci, que, par son argumentation, la République française entendait contester l’obligation de restitution des sommes correspondant à l’allégement des cotisations salariales et non pas demander à la Cour de préciser si l’ordre de récupération énoncé dans cette décision portait également sur cet allégement (64). Certes, au point 42 de l’arrêt Commission/France, la Cour a affirmé que l’« argument » de la République française concernant « la récupération des charges salariales » revenait « à contester l’appréciation effectuée par la Commission, dans la décision [litigieuse], de la nature d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE de l’allégement des charges sociales tant patronales que salariales ». Cependant, abstraction faite de sa formulation, et compte tenu du contexte dans lequel il s’insère, ce point ne peut, à mon sens, être entendu que comme une prise de position sur la qualification de l’argument soulevé par la République française en tant que grief portant sur la validité de la décision litigieuse. Le lire comme une prise de position de la Cour, apodictique et non motivée, sur l’interprétation de la décision litigieuse, qui plus est définitive, ne me semble, en revanche, pas correct.

54.      Cela étant dit, comme l’ensemble des intéressés ayant déposé des observations écrites devant la Cour, je relève que le dispositif de la décision litigieuse ne permet pas, à lui seul, d’affirmer avec certitude que « la mesure d’aide mise en exécution par la France en faveur des pêcheurs sous forme d’allégement de charges sociales », visée aux articles 3 et 4 de cette décision, couvre tant le dégrèvement des cotisations patronales que celui des cotisations salariales. Ainsi que l’a, à juste titre, relevé le gouvernement français, le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (65).

55.      Or, bien que la partie II de la décision litigieuse, intitulée « Description », ne fasse pas partie stricto sensu des motifs qui soutiennent le dispositif de cette décision, il convient néanmoins de se référer à cette partie pour déterminer quelles mesures sont concrètement visées par ledit dispositif. Au considérant 4 de la décision litigieuse, la Commission énumère les mesures « pour lesquelles il y a eu ouverture de la procédure formelle d’examen ». Parmi celles‑ci, le point 2 dudit considérant 4 inclut les « mesures complémentaires en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs de l’ensemble de la France ». Le premier tiret, de ce point 2, mentionne la « mesure d’allégement [...] des charges sociales pour l’ensemble [...] des pêcheurs de France métropolitaine et des départements d’outre-mer (période du 15 avril au 15 octobre 2000) » (66). À la section II.B., de la décision litigieuse sont exposées les mesures complémentaires visées au considérant 4, point 2, de celle‑ci. Le considérant 17 de ladite décision, inséré au point 2 de cette section, intitulé « Allégement des charges sociales en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs », énonce que « [l]e ministre [...] a décidé, par deux circulaires [...] de faire bénéficier l’ensemble des entreprises du secteur d’un allégement de 50 % des charges sociales, portant sur la période [...] du 15 avril au 15 octobre 2000 pour les pêcheurs » (67). Le considérant 18 précise, quant à lui, que « cet allégement a porté sur les cotisations patronales et salariales » (68). Enfin, le considérant 20 énonce que « [p]our les cotisations versées à l’ENIM, le taux de réduction était de 50 % tant pour les cotisations salariales que pour les cotisations patronales ». Par la suite, la décision litigieuse ne mentionne plus les cotisations patronales ou les cotisations salariales isolément, mais se réfère uniquement aux « charges sociales ».

56.      Il ressort des passages repris ci-dessus que la décision litigieuse décrit la « mesure complémentaire d’allégement des charges sociales » en faveur des pêcheurs comme portant à la fois sur les cotisations patronales et sur les cotisations salariales. Ce descriptif, qui contribue à définir l’objet de la procédure formelle d’examen, n’est, à aucun moment, remis en cause dans la décision litigieuse. Dans la systématique de cet acte, la définition de la notion de « charges sociales » couvre donc également les cotisations payées par les salariés. L’argument contraire avancé par la Compagnie ne convainc pas. En effet, même à supposer qu’il y ait, ainsi que cet intéressé le soutient, une pratique décisionnelle de la Commission (et de la Cour), selon laquelle la notion de « charges sociales » n’inclut que les cotisations patronales, cela ne saurait remettre en cause l’indication différente qui ressort de la lecture de la décision litigieuse elle‑même.

57.      Si l’on en vient à examiner la partie IV de cette décision, consacrée à l’appréciation des mesures qui ont fait l’objet de la procédure formelle d’examen, force est de constater qu’aucun élément de cette appréciation ne permet de considérer que la Commission ait entendu exclure de son analyse la partie de la mesure d’allégement des charges sociales qui a porté sur les cotisations salariales.

58.      Il ressort des considérations qui précèdent, que, lu à la lumière de ses motifs, le dispositif de la décision litigieuse doit être considéré comme visant tant l’allégement des cotisations patronales que l’allégement des cotisations salariales. Une lecture de cette décision selon laquelle le dégrèvement de ces dernières cotisations serait exclu de la déclaration d’incompatibilité et de l’ordre de récupération énoncés dans ledit dispositif contredirait la lettre et l’économie de ladite décision. Pour ce seul motif, l’argument de la Compagnie fondé sur l’exigence de parvenir à une interprétation de la décision litigieuse qui soit conforme à l’article 87, paragraphe 1, CE (actuel article 107, paragraphe 1, TFUE) doit être écarté.

59.      À la lumière de tout ce qui précède, il convient à mon sens de répondre à la première question préjudicielle posée par le Conseil d’État que l’article 3 de la décision litigieuse doit être interprété en ce sens qu’est qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché commun, sujet à l’ordre de récupération énoncé au point 4 de cette décision, également l’allégement de cotisations salariales mis en exécution par la République française en faveur des pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000.

2.      Sur la validité de la décision litigieuse en ce qu’elle qualifie d’aide d’État la mesure d’allégement des charges salariales

60.      Pour qu’une intervention étatique puisse relever de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, elle doit pouvoir être considérée comme un avantage consenti à l’entreprise bénéficiaire (69).

61.      Sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises (70) ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (71). Ainsi, selon une jurisprudence constante, la notion d’« aide » comprend les avantages consentis par les autorités publiques qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise, et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (72).

62.      Il est également de jurisprudence constante qu’un dégrèvement partiel des charges sociales incombant aux entreprises d’un secteur industriel particulier constitue une aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE si cette mesure est destinée à exempter partiellement ces entreprises des charges pécuniaires découlant de l’application normale du système général de prévoyance sociale, sans que cette exemption se justifie par la nature ou l’économie de ce système (73).

63.      S’agissant de la notion de « charge grevant normalement le budget de l’entreprise », la Cour a considéré que l’existence d’un avantage ne pouvait pas être exclue dans le cas où l’État finance un complément de rémunération que l’entreprise n’était pas légalement tenue de verser à ses salariés (74). À cet égard, dans l’arrêt du 12 décembre 2002, Belgique/Commission (75), la Cour a affirmé que « les coûts liés à la rémunération de leurs employés grèvent, par leur nature, le budget des entreprises, indépendamment de la question de savoir si ces coûts découlent ou non d’obligations légales ou d’accords collectifs » et que la circonstance que l’intervention publique ait exclu d’emblée toute augmentation des coûts salariaux supportée par l’entreprise « ne retire pas au complément [en cause] sa nature de coût salarial incombant normalement à [celle‑ci] ».

64.      Il résulte en outre de la jurisprudence qu’un avantage économique, susceptible de donner lieu à une aide étatique, peut être accordé même indirectement, par le biais d’une mesure bénéficiant directement d’autres entreprises ou d’autres sujets, y inclus des personnes physiques ou morales, qui n’exercent aucune activité économique (76). Ainsi, le fait que les bénéficiaires directs de l’aide à la personne soient des employés ne peut suffire à démontrer une absence d’aide en faveur de leur employeur (77).

65.      C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’apprécier si, en estimant que l’allégement des cotisations salariales accordé par la République française aux pêcheurs dans la période du 15 avril au 15 octobre 2000 a eu comme effet de réduire une charge qui grevait normalement leur budget, la Commission a entaché la décision litigieuse, telle qu’elle a été interprétée aux points 18 à 23 des présentes conclusions, d’une erreur de droit, ainsi que le fait valoir la Compagnie et, indirectement, la juridiction de renvoi.

66.      Les cotisations sociales salariales, comme les patronales, contribuent à déterminer le coût du travail (ou coût salarial) d’une entreprise, qui couvre l’ensemble des dépenses effectuées par celle‑ci en contrepartie du travail fourni par un salarié. Alors que les premières sont payées par le salarié et imputées sur les salaires bruts par l’employeur, les secondes sont à la charge de ce dernier. L’employeur est responsable du versement aux organismes compétents de sécurité sociale des sommes correspondant tant aux cotisations patronales qu’aux cotisations salariales. Si un dégrèvement des cotisations sociales patronales est susceptible de conférer un avantage économique direct aux entreprises qui en bénéficient, en ce qu’il réduit, dans une mesure correspondant audit dégrèvement, une charge qui pèse sur ces entreprises au titre de la réglementation en matière de sécurité sociale (78), peut-on en dire autant en ce qui concerne un allégement des cotisations salariales ?

67.      Une réponse affirmative à cette question ne peut, à mon sens, découler de la seule affirmation qu’un tel allégement réduit les coûts du travail et donc une charge pesant sur la trésorerie de l’entreprise. Ni le gouvernement français ni la Commission ne se limitent à un tel argument pour étayer leur position. En effet, ces intéressés font valoir que la circonstance que les cotisations salariales sont payées par l’employeur « pour le compte » du salarié ne permet pas d’exclure qu’un allégement de ces cotisations confère un avantage direct à l’entreprise qui en bénéficie, dans la mesure où, premièrement, c’est à celle‑ci qu’il appartient de verser aux organismes compétents les sommes correspondant auxdites cotisations, deuxièmement, cet allégement n’a pas d’incidence automatique sur le salaire du travailleur, puisqu’il ne lui permet pas, en tant que tel, de recevoir l’équivalent de son salaire brut avant prélèvement des cotisations salariales ou diminué d’un montant de cotisations salariales moindre, et troisièmement, le fait de répercuter, en tout ou en partie, un allégement de cotisations salariales résulte nécessairement d’une décision de gestion de l’entreprise et ne saurait avoir pour effet de substituer à l’entreprise ses salariés en tant que bénéficiaires effectifs de la mesure d’aide.

68.      À cet égard, je relève, en premier lieu, que si les entreprises visées par les allégements en cause dans l’affaire au principal étaient tenues de verser aux organismes compétents les sommes précomptées sur les salaires de leurs employés à titre de cotisations sociales salariales, elles n’étaient pour autant pas redevables de ces allocations, celles‑ci étant, ainsi que l’affirme la juridiction de renvoi et qu’il est constant entre les parties du litige au principal, à la charge des salariés. De ce point de vue, la situation de ces entreprises diffère de celle du bénéficiaire d’une réduction fiscale portant sur un droit d’accise, en cause dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (ci‑après l’« arrêt Ryanair ») (79), auquel renvoie le gouvernement français. En effet, un tel droit, tout en étant destiné à être répercuté sur les consommateurs, qui en supporteront la charge économique, grève le budget de l’entreprise, qui en est directement redevable (80).

69.      En deuxième lieu, l’existence d’une obligation de versement aux organismes compétents des sommes correspondant aux allocations salariales ne permet pas, à elle seule, d’inférer que l’allégement de ces cotisations confère à l’entreprise concernée un avantage direct en mesure équivalente au montant de cet allégement, ainsi qu’il ressort, bien que dans un contexte différent, de l’arrêt du 11 septembre 2014, Grèce/Commission (81).

70.      En troisième lieu, la circonstance que l’allégement des cotisations sociales salariales n’a pas d’incidence directe sur les rémunérations des employés de l’entreprise, mais que ce n’est que par le mécanisme du précompte de ces cotisations, à opérer par l’employeur, que cet allégement est susceptible de se répercuter sur le niveau des salaires, n’a pas non plus, à mes yeux, une importance décisive, à tout le moins si, et dans la mesure où, une telle répercussion est à considérer comme obligatoire.

71.      Or, l’obligation légale qui incombait éventuellement aux entreprises de pêche d’imputer les cotisations salariales en tenant compte de l’allégement accordé par les mesures objet de la décision litigieuse est fortement controversée dans la présente affaire. Alors que la Compagnie soutient que le fait de ne pas répercuter sur les salariés ledit allégement aurait exposé l’employeur à des sanctions pénales (82), le gouvernement français, s’appuyant sur l’arrêt Ryanair, soutient qu’une telle répercussion est le résultat d’une décision d’entreprise. La juridiction de renvoi affirme, elle aussi, que cette répercussion fait l’objet d’une obligation légale, conformément aux dispositions du régime de sécurité sociale des marins pêcheurs.

72.      Il s’agit là d’un point crucial. En effet, si les entreprises visées par l’allégement en cause dans l’affaire au principal n’avaient d’autre possibilité que de le répercuter sur les salaires de leurs employés, elles ne sauraient, à mon sens, être considérées comme bénéficiaires directes de cet allégement.

73.      L’arrêt Ryanair, sur lequel se fonde le gouvernement français, ne permet pas de remettre en cause cette conclusion, mais, au contraire, la corrobore. Tout d’abord, il convient de relever, à titre liminaire, que cet arrêt n’est pertinent pour la question ici débattue que dans une mesure limitée, étant donné que l’affaire ayant donné lieu à celui‑ci portait sur l’étendue de l’obligation de récupération et non pas sur l’existence d’une aide (83). Ensuite, je rappelle qu’il était question, dans cette affaire, de savoir si les opérations de quantification et de récupération d’une aide consistant en la réduction, pour certaines compagnies aériennes, d’un droit d’accise perçu par l’Irlande pour tout passager embarqué sur un vol au départ d’un aéroport irlandais devait tenir compte du fait que la taxe, et donc l’avantage résultant de cette réduction, était normalement répercutée sur les passagers aériens. La Cour a répondu négativement à cette question, sans prendre position sur l’existence d’une obligation légale de répercussion de la taxe en question (84). Pour ainsi faire, elle s’est fondée, notamment, sur la possibilité qu’avaient les compagnies aériennes qui procédaient à cette répercussion de retenir l’avantage constitué par la réduction de la taxe en augmentant le prix hors taxe des billets des vols soumis au taux réduit (85). Dès lors, répercuter économiquement l’aide, en maintenant le prix des billets inaltéré, ou le conserver en tout ou en partie, en augmentant ce prix, relevait d’une décision de la compagnie aérienne sur la manière dont elle allait exploiter l’avantage qui lui avait été accordé (86).

74.      Or, à supposer que, ainsi que le soutient la Compagnie et que l’affirme la juridiction de renvoi, les entreprises visées par les allégements des cotisations salariales en cause au principal aient été tenues légalement de répercuter, même rétroactivement (87), cet allégement sur les salaires de leurs employés, la situation de ces entreprises se distinguait nettement de celle des compagnies aériennes dans l’affaire Ryanair.

75.      Certes, lesdits allégements pouvaient donner l’occasion à ces entreprises de renégocier les salaires nets de leurs employés, ainsi que l’affirme le gouvernement français. Cependant, je ne pense pas que l’on puisse sérieusement soutenir que la marge de manœuvre qu’a une entreprise, même soumise aux contraintes d’un marché très concurrentiel, d’augmenter ses prix soit comparable à celle qu’a un employeur de modifier à la baisse le niveau des salaires bruts de ses employés, afin de profiter d’un allégement de cotisations salariales, à plus forte raison dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, où l’allégement n’a été accordé que sur une période de six mois.

76.      En tout état de cause, ni la réalité d’une telle marge de manœuvre, ni, en amont, l’existence d’une obligation légale de répercuter, même rétroactivement, l’allégement des charges salariales sur les salaires des employés des entreprises de pêche n’ont été prises en considération par la Commission dans la décision litigieuse afin de conclure à l’existence d’une aide ayant pour objet cet allégement et bénéficiant directement à ces entreprises. Or, sans tenir compte, à tout le moins, de ces deux facteurs, la Commission ne pouvait, à mon sens, parvenir à une telle conclusion.

77.      S’il est vrai que ni la République française ni aucun intéressé au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE n’ont contesté la nature d’aides des allégements en cause au principal pendant la procédure formelle d’examen ayant conduit à la décision litigieuse, il n’en reste pas moins qu’il appartient à la Commission d’apporter la preuve de l’existence d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En particulier, il ressort de la jurisprudence de la Cour relative aux principes en matière d’administration de la preuve dans le secteur des aides d’État que la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures intéressées de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (88).

78.      Il importe de souligner que les considérations qui précèdent n’excluent pas que l’allégement des cotisations salariales en cause au principal ait conféré un avantage indirect aux entreprises visées par ces mesures, tel que, ainsi que le relève le Conseil d’État, une plus grande attractivité, en raison des rémunérations plus élevées que leurs employés ont perçues pendant six mois, ou encore, l’éventuelle possibilité de procéder, pendant cette période, à des embauches à des salaires bruts moins élevés, et, en général, une baisse des coûts de production ou une augmentation de la productivité.

79.      Cependant, il ressort, à mon sens, clairement, de la décision litigieuse, notamment, de son considérant 55, et il est confirmé par la Commission dans ses observations tant écrites qu’orales devant la Cour, que l’avantage identifié ne consistait pas en un bénéfice indirect, mais dans le fait que ces entreprises étaient dispensées de charges qu’elles auraient normalement dû soutenir, dans la mesure où elles devaient payer des cotisations salariales d’un montant inférieur (89). Dans le cas contraire, il incombait à la Commission, à tout le moins, de préciser la nature d’un tel avantage indirect (90).

80.      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de déclarer la décision litigieuse invalide dans la mesure où elle qualifie d’aide d’État l’allégement des cotisations salariales accordé par la République française en faveur des pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000.

3.      Sur la seconde question préjudicielle

81.      Si la Cour devait, comme je le propose, décider de déclarer l’invalidité partielle de la décision litigieuse, il ne serait pas nécessaire de répondre à la seconde question préjudicielle. C’est donc à titre subsidiaire, pour le cas où ma proposition ne serait pas suivie, que j’aborderai brièvement cette question.

82.      Comme je l’ai déjà dit au point 79 des présentes conclusions, l’avantage identifié par la Commission dans la décision litigieuse consiste dans le fait que les entreprises concernées doivent verser aux organismes compétents un montant inférieur à titre de cotisations salariales. La récupération doit donc logiquement porter sur un montant correspondant à la différence entre les cotisations au taux normal et celles au taux réduit.

83.      Ainsi, si la Cour décidait de ne pas se pencher sur la question de validité de la décision litigieuse discutée aux points 60 à 80 des présentes conclusions ou si, après l’avoir soulevée d’office, elle décidait en faveur de la validité de cette décision, elle ne pourrait, à mon sens, que conclure que les entreprises visées par les allégements en cause dans l’affaire au principal doivent restituer l’intégralité desdits allégements.

84.      Le point de savoir si, et dans quelle mesure, cet allégement a été répercuté par les entreprises bénéficiaires sur leurs salariés, serait, dans un tel contexte, où seule la question de la récupération entrerait en ligne de compte, sans pertinence, conformément aux enseignements de l’arrêt Ryanair (91).

85.      De même, serait dépourvu de pertinence l’arrêt du 13 février 2014, Mediaset (92), sur lequel s’appuie la Compagnie. Dans cet arrêt, la Cour a affirmé, d’une part, que, lorsque, confrontée à un régime d’aides, la Commission n’est pas en mesure d’identifier précisément le montant de l’aide perçu par les bénéficiaires individuels, les circonstances particulières propres à chacun de ces bénéficiaires ne peuvent être appréciées qu’au stade de la récupération de l’aide et, d’autre part, qu’il incombe au juge national, s’il en est saisi, de se prononcer sur le montant de l’aide à récupérer en prenant en considération l’ensemble des éléments pertinents portés à sa connaissance, et qu’il ne saurait être exclu que, eu égard à l’ensemble de ces éléments, les calculs effectués par ledit juge fassent apparaître un montant d’aide à récupérer égal à zéro.

86.      Or, dans l’affaire au principal ayant donné lieu audit arrêt, il s’agissait de la récupération d’une aide sous forme d’une subvention pour l’achat de certains biens qui avantageait indirectement les opérateurs économiques actifs dans la prestation de services liés à l’utilisation des biens subventionnés. La quantification impliquait donc des calculs complexes visant à identifier l’avantage indirect dont ces opérateurs avaient bénéficié en conséquence de l’augmentation des ventes de biens subventionnés.

87.      En revanche, la décision litigieuse, ainsi que je l’ai déjà relevé, identifie un avantage direct en faveur des entreprises visées par les allégements en cause au principal, consistant en la dispense du paiement de charges qu’elles auraient dû normalement supporter. Or, comme la Cour l’a dit pour droit dans l’arrêt du 13 février 2014, Mediaset (93), aux fins d’assurer l’exécution d’une décision de la Commission déclarant un régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur et enjoignant leur récupération, le juge national se trouve lié par cette décision.

88.      Enfin, quelle que soit la solution accueillie par la Cour, en aucun cas la restitution des aides en cause au principal ne pourra être demandée aux salariés des entreprises visées dans la décision litigieuse.

89.      Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, pour le cas où la Cour ne suivrait pas ma proposition de déclarer l’invalidité de la décision litigieuse, je suggère de répondre à la seconde question préjudicielle que les entreprises bénéficiaires des allégements de cotisations salariales déclarés incompatibles avec le marché commun par la décision litigieuse doivent être regardées comme ayant bénéficié de l’intégralité de ces allégements.

IV.    Conclusion

90.      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) :

L’article 3 de la décision 2005/239/CE de la Commission, du 14 juillet 2004, concernant certaines mesures d’aide mises à exécution par la France en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs doit être interprété en ce sens qu’est qualifié d’aide d’État incompatible avec le marché commun, sujet à l’ordre de récupération énoncé au point 4 de cette décision, également l’allégement des cotisations salariales accordé par la République française en faveur des pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000.

Cette décision est invalide dans la mesure où elle qualifie ledit allégement d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2005, L 74, p. 49.


3      Ces mesures ayant été mises à exécution avant que la Commission n’ait pu se prononcer sur leur compatibilité à l’égard du marché commun, le dossier a été enregistré comme régime d’aides non notifié (voir considérant 1 de la décision litigieuse).


4      Il s’agissait, quant aux mesures en faveur des pêcheurs, d’une aide pour la reconstitution des navires et des matériels de pêche perdus ou endommagés lors de la tempête, d’avances sur les indemnités à verser par les Fonds internationaux d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL), et d’une aide forfaitaire pour perte de revenus résultant de dommages subis lors de la tempête (voir considérant 5 de la décision litigieuse).


5      Voir décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen [aide C 91/2001, indemnisations des aquaculteurs et des pêcheurs victimes de la marée noire et de la tempête (décembre 1999)], reproduite dans l’invitation à présenter des observations en application de l’article 88, paragraphe 2, et de l’article 6 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article 88 du traité CE (JO 2002, C 39, p. 6, point 1). La Commission n’a pas reçu d’observations (voir considérant 3 de la décision litigieuse).


6      Voir considérant 18 de la décision litigieuse.


7      L’ENIM est un établissement public.


8      Voir considérant 12 de la décision litigieuse.


9      Voir considérant 38 de la décision litigieuse.


10      Voir considérant 39 de la décision litigieuse.


11      Voir considérants 84 à 97 de la décision litigieuse.


12      Lignes directrices pour l’examen des aides d’État dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture (JO 1997, C 100, p. 12).


13      C‑549/09, non publié, EU:C:2011:672.


14      Voir point 1 du dispositif de l’arrêt Commission/France.


15      Le point 43 de l’arrêt Commission/France renvoie à l’arrêt du 12 mai 2005, Commission/Grèce (C‑415/03, EU:C:2005:287, point 38 et jurisprudence citée).


16      C‑188/92, EU:C:1994:90.


17      Voir arrêts du 2 juin 1976, Milch-, Fett- und Eier-Kontor (125/75, EU:C:1976:81, point 7), et du 13 décembre 1979, Hauer (44/79, EU:C:1979:290, points 13 à 16), dans lesquels l’examen de la question par la Cour n’a pas abouti à une déclaration d’invalidité ; du 3 février 1977, Strehl (62/76, EU:C:1977:18, point 10), du 7 juin 1988, Roviello (20/85, EU:C:1988:283), et du 14 juin 1990, Weiser (C‑37/89, EU:C:1990:254, point 17 et dispositif), dans lesquels, en revanche, la Cour a déclaré invalides les actes de droit dérivé en cause, ainsi que du 7 septembre 1999, De Haan (C‑61/98, EU:C:1999:393, point 47), dans lequel a été déclarée l’invalidité d’une décision de la Commission, qui n’était pas visée par les questions en interprétation posées par la juridiction de renvoi (voir point 3 du dispositif).


18      Voir arrêts du 1er décembre 1965, Schwarze (16/65, EU:C:1965:117, p. 1095) ; du 15 octobre 1980, Roquette Frères (145/79, EU:C:1980:234, point 6), du 13 décembre 1989, Paris (C‑204/88, EU:C:1989:643, point 8), où la Cour a justifié comme suit le relevé d’office de la question de validité : « Il ressort du dossier que si la question posée ne porte formellement que sur l’interprétation de l’article 15 du règlement litigieux, c’est au sujet de la validité de cette disposition [...] que la juridiction de renvoi a des doutes [...] » ; du 11 octobre 2001, Khalil e.a. (C‑95/99 à C‑98/99 et C‑180/99, EU:C:2001:532, point 29), ainsi que du 12 décembre 2002, Cipriani (C‑395/00, EU:C:2002:751, point 50 et dispositif).


19      Arrêt du 1er décembre 1965 (16/65, EU:C:1965:117, p. 1094).


20      Il convient de noter que, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les questions très articulées posées par le Hessisches Finanzgericht (tribunal des finances de Hesse, Allemagne) étaient pour partie fondées sur la prémisse de l’invalidité de la décision de la Commission qui était en cause au principal.


21      Voir, notamment, arrêt du 30 novembre 2006, Brünsteiner et Autohaus Hilgert (C‑376/05 et C‑377/05, EU:C:2006:753, points 25 à 29). Selon une jurisprudence bien établie, l’article 267 TFUE n’ouvre pas de voies de recours aux parties à un litige pendant devant le juge national, et la Cour ne saurait être tenue d’apprécier la validité du droit de l’Union au seul motif que cette question a été invoquée devant elle par l’une de ces parties dans ses observations écrites [voir, notamment, arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co. (C‑21/13, EU:C:2014:2154, point 27), ainsi que du 28 janvier 2016, CM Eurologistik et GLS (C‑283/14 et C‑284/14, EU:C:2016:57, points 44 à 46)].


22      Les informations fournies dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à procurer aux gouvernements des États membres, ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [voir, notamment, arrêt du 20 juin 2019, K.P. (C‑458/15, EU:C:2019:522, points 36 et 37, ainsi que jurisprudence citée)].


23      Voir, notamment, ordonnance du 18 avril 2013, Adiamix (C‑368/12, non publiée, EU:C:2013:257, points 16 à 25), où la Cour a déclaré irrecevable le renvoi préjudiciel en appréciation d’invalidité en l’absence d’indications minimales de la juridiction nationale quant aux raisons pour lesquelles elle avait considéré que les arguments avancés par la requérante au principal étaient susceptibles d’être fondés.


24      Voir arrêt du 6 octobre 2015, Schrems (C‑362/14, EU:C:2015:650, point 67) ; voir, également, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Schrems (C‑362/14, EU:C:2015:627, points 121 à 128).


25      Voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 56).


26      La Cour avait déjà affirmé, dans sa jurisprudence antérieure, qu’une décision adoptée par les institutions communautaires, qui n’a pas été attaquée par son destinataire dans le délai prévu, devient définitive à son égard, s’appuyant sur la considération que les délais de recours visent à sauvegarder la sécurité juridique en évitant la remise en cause indéfinie des actes communautaires entraînant des effets de droit [voir, notamment, arrêts du 17 novembre 1965, Collotti/Cour de justice (20/65, EU:C:1965:115, p. 1051), et du 12 octobre 1978, Commission/Belgique (156/77, EU:C:1978:180, points 20 à 24)].


27      Point 18 de l’arrêt TWD. Ainsi que je l’ai exposé dans mes conclusions dans l’affaire Trace Sport (C‑251/18, EU:C:2019:295, points 21 et 25), la jurisprudence TWD établit une exception au principe général aux termes duquel, dans le contexte d’une procédure nationale, chaque partie a le droit de faire valoir l’invalidité des dispositions contenues dans des actes de l’Union qui servent de fondement à une décision ou à un acte de droit national invoqués à leur égard et d’amener la juridiction nationale à déférer cette question à titre préjudiciel à la Cour. Cette exception trouve sa raison tant dans l’exigence de sauvegarder la sécurité juridique que dans celle d’empêcher l’abus des voies de recours, que le droit de l’Union met à disposition des justiciables.


28      Voir, notamment, arrêts du 30 janvier 1997, Wiljo (C178/95, EU:C:1997:46, points 15 à 25) ; du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 55 et 56) ; du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português (C667/13, EU:C:2015:151, point 28), ainsi que du 25 juillet 2018, Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, ci‑après l’« arrêt Georgsmarienhütte » EU:C:2018:582, point 14).


29      Voir, notamment, arrêts du 15 février 2001, Nachi Europe (C239/99, EU:C:2001:101, points 29 à 40) ; du 22 octobre 2002, National Farmers’ Union (C241/01, EU:C:2002:604, points 34 à 39), dans lequel la forclusion a été opposée à un État membre ; du 29 juin 2010, E et F (C550/09, EU:C:2010:382, points 37 à 52) ; du 17 février 2011, Bolton Alimentari (C‑494/09, EU:C:2011:87, points 20 à 24), ainsi que du 27 novembre 2012, Pringle (C370/12, EU:C:2012:756, point 41). Je rappelle que le dispositif de l’arrêt TWD faisait expressément référence aux décisions adoptées par la Commission au sens de l’article 93, paragraphe 2, du traité CEE, ainsi qu’à la circonstance que la société requérante devant la juridiction de renvoi avait été informée par écrit de cette décision par l’État membre concerné (lui signalant qu’elle pouvait former un recours en annulation devant le Tribunal). Je rappelle, en outre, que l’aide en cause au principal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt TWD était une aide individuelle.


30      Voir, en ce sens, notamment, arrêts du 30 janvier 1997, Wiljo (C178/95, EU:C:1997:46, points 15 à 25) ; du 15 février 2001, Nachi Europe (C239/99, EU:C:2001:101, points 29 à 40) ; du 22 octobre 2002, National Farmers’ Union (C241/01, EU:C:2002:604, points 34 à 39) ; du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, point 55 et 56), ainsi que arrêt Georgsmarienhütte, point 14.


31      Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120, point 38).


32      Ainsi, dans de nombreux cas, la Cour a conclu que le caractère manifeste d’une telle qualité pour agir n’était pas établi [voir, notamment, en ce sens, arrêts du 23 février 2006, Atzeni e.a. (C346/03 et C529/03, EU:C:2006:130, points 30 à 34) ; du 8 mars 2007, Roquette Frères (C441/05, EU:C:2007:150, points 35 à 48) ; du 29 juin 2010, E et F (C550/09, EU:C:2010:382, points 37 à 52) ; du 17 février 2011, Bolton Alimentari (C‑494/09, EU:C:2011:87, points 20 à 24) ; du 18 septembre 2014, Valimar (C374/12, EU:C:2014:2231, points 24 à 38) ; du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português (C667/13, EU:C:2015:151, points 27 à 32) ; du 16 avril 2015, TMK Europe (C‑143/14, EU:C:2015:236, point 26) ; du 14 mars 2017, A e.a. (C‑158/14, EU:C:2017:202), ainsi que du 19 septembre 2019, Trace Sport (C‑251/18, EU:C:2019:766, points 28 à 44)].


33      Voir, notamment, arrêt du 4 décembre 2019, Polskie Górnictwo Naftowe i Gazownictwo/Commission (C‑342/18 P, non publié, EU:C:2019:1043, point 66).


34      Voir, notamment, arrêts du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission (C‑15/98 et C‑105/99, ci‑après l’« arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission » EU:C:2000:570, point 36), ainsi que arrêt Georgsmarienhütte, point 30.


35      Voir arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17, p. 223), ainsi que, notamment, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, ci‑après l’« arrêt Comitato “Venezia vuole vivere” », EU:C:2011:368, point 52).


36      Voir, notamment, arrêt du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci (C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 31, ainsi que jurisprudence citée).


37      Voir arrêt du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, EU:C:1988:38, point 15).


38      Une telle récupération n’avait pas été décidée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, EU:C:1988:38), ainsi qu’il ressort notamment des conclusions de l’avocat général Slynn dans ces affaires jointes (non publiées, EU:C:1987:177, p. 240).


39      Voir, notamment, arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 53 et jurisprudence citée. Voir, pour une confirmation récente de cette jurisprudence, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 45).


40      Voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 55, où la Cour rejette les arguments avancés par la Commission, qui faisait valoir qu’au moment de l’adoption de la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, les bénéficiaires tenus de restituer des aides en vertu de celle‑ci n’étaient pas encore identifiables.


41      Voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 56 (mise en italique par mes soins).


42      11/82, EU:C:1985:18, point 31. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que, lorsque l’acte attaqué affecte un groupe de personnes qui étaient identifiées ou identifiables au moment où cet acte a été pris, et en fonction de critères propres aux membres de ce groupe, ces personnes peuvent être individuellement concernées par cet acte en tant qu’elles font partie d’un cercle restreint d’opérateurs économiques [voir également ordonnance du 17 janvier 1992, Sofrimport/Commission (C‑152/88, EU:C:1992:21, point 11), et arrêt du 17 septembre 2009, Commission/Koninklijke FrieslandCampina (C‑519/07 P, EU:C:2009:556, point 54 et jurisprudence citée)].


43      Voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 56.


44      Voir arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 57. Le même argument avait été avancé par la Commission, sans être accueilli par la Cour, dans l’arrêt du 29 avril 2004, Italie/Commission (C‑298/00 P, ci‑après l’« arrêt Italie/Commission », EU:C:2004:240, point 31).


45      Voir points 31 à 37 de cet arrêt.


46      La décision litigieuse a été publiée au Journal officiel le 19 mars 2005. À défaut d’indications que la Compagnie ait eu connaissance de cette décision avant cette date (lors de l’audience, le représentant de la Compagnie a affirmé que celle‑ci a en pris connaissance en consultant le Journal officiel), il convient de considérer que le délai pour attaquer ladite décision a commencé à courir, pour cette entreprise, à compter de ladite date de publication.


47      Voir points 34 et 35 de cet arrêt.


48      Voir point 39 de cet arrêt, ayant pour objet un pourvoi de la Commission dans lequel celle‑ci faisait valoir, notamment, l’irrecevabilité du recours contre sa décision déclarant incompatible avec le marché commun un régime d’aides octroyées par la région Frioul‑Vénétie Julienne (Italie) aux transporteurs routiers de marchandises de la région, introduit devant le Tribunal par des entreprises ayant bénéficié de ce régime. Il importe de noter que, dans cet arrêt, la Cour a rejeté les mêmes arguments que la Commission a réitérés, à nouveau sans succès, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere ». La Commission avait en particulier fait valoir que l’arrêt Italie et Sardegna Lines/Commission n’était pas pertinent parce que le régime d’aides en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt ne concernait que très peu d’opérateurs économiques et que la situation de la requérante, Sardegna Lines, avait spécifiquement été prise en compte par la Commission dans le cadre de la procédure formelle d’examen portant sur ce régime d’aides [voir, également, sur ce point, conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire Italie/Commission (C‑298/00 P, EU:C:2003:278, point 33)].


49      Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire Italie/Commission (C‑298/00 P, EU:C:2003:278, point 70)


50      T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00, ci-après l’« arrêt Hotel Cipriani e.a./Commission », EU:T:2008:537.


51      Voir points 76 à 92 de l’arrêt Hotel Cipriani e.a./Commission, dont l’analyse a été confirmée, sur pourvoi, par l’arrêt Comitato « Venezia vuole vivere », point 60 ; voir, également, arrêt du 21 décembre 2011, A2A/Commission (C‑320/09 P, non publié, EU:C:2011:858, points 55 à 61), confirmant sur pourvoi la recevabilité de recours introduits devant le Tribunal en 2002. Dans l’arrêt du 29 septembre 2000, CETM/Commission (T‑55/99, EU:T:2000:223), le Tribunal avait déjà déclaré recevable le recours introduit par une association chargée de défendre les intérêts d’entreprises bénéficiaires d’un régime d’aides consistant en une bonification d’intérêts destinée à s’appliquer automatiquement à toute entreprise remplissant les critères d’octroi.


52      Voir, à cet égard, pour un aperçu de l’état de la jurisprudence en 2003, conclusions de l’avocat général Alber dans l’affaire Italie/Commission (C‑298/00 P, EU:C:2003:278, points 73 à 85).


53      La décision litigieuse se borne à indiquer, au considérant 22, que les exonérations de charges sociales concernant les pêcheurs et les aquaculteurs ont représenté un montant global de 18,2 millions d’euros (les données chiffrées contenues aux considérants 45 et 67 de la décision litigieuse, auxquelles se réfère la Commission dans ses observations, ne concernent que les aquaculteurs). Il ressort du dossier de la procédure en manquement ayant donné lieu à l’arrêt Commission/France, que, compte tenu du mécanisme d’exonération des charges sociales mis en place par le régime d’aides en cause, les autorités françaises estimaient qu’il était particulièrement difficile d’évaluer le montant total des aides ainsi que le nombre de pêcheurs concernés, ce dernier pouvant arriver jusqu’à une population totale de 28 000 personnes.


54      Voir points 76 à 92 de cet arrêt. Voir, également, arrêt du 12 septembre 2007, Italie/Commission (T‑239/04 et T‑323/04, EU:T:2007:260, points 36 à 44), où le Tribunal a rejeté l’argumentation de la Commission, selon laquelle il ne ressortait pas de l’arrêt Italia et Sardegna Lines/Commission que tous les bénéficiaires d’aides accordées dans le cadre d’un régime d’aides sont individuellement concernés par la décision de la Commission déclarant ledit régime incompatible avec le marché commun, dès lors que celle‑ci a apprécié à cette occasion une réglementation nationale générale et abstraite, sans examiner les cas individuels.


55      Voir, outre l’arrêt TWD, arrêt du 18 juillet 2007, Lucchini (C‑119/05, EU:C:2007:434, points 55 et 56).


56      C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2006:130.


57      Voir, également, conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes Atzeni e.a. (C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2005:256, points 61 à 99).


58      Je souligne que, dans l’arrêt du 23 février 2006, Atzeni e.a. (C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2006:130), afin d’écarter l’application de l’arrêt TWD, la Cour avait, notamment, souligné que la décision en cause n’avait pas été notifiée par l’État membre concerné aux bénéficiaires effectifs des aides en cause. Sur l’importance, aux fins de l’opposabilité de l’effet de forclusion, de l’information que le bénéficiaire effectif d’aides octroyées dans le cadre d’un régime général a pu avoir de la décision ordonnant la restitution de ces aides, voir conclusions de l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer dans les affaires jointes Atzeni e.a. (C‑346/03 et C‑529/03, EU:C:2005:256, point 98).


59      Voir conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Georgsmarienhütte e.a. (C‑135/16, EU:C:2018:120, points 59 et 60).


60      Ainsi qu’il ressort du dossier du recours en manquement ayant donné lieu à l’arrêt Commission/France.


61      T‑228/00, T‑229/00, T‑242/00, T‑243/00, T‑245/00 à T‑248/00, T‑250/00, T‑252/00, T‑256/00 à T‑259/00, T‑265/00, T‑267/00, T‑268/00, T‑271/00, T‑274/00 à T‑276/00, T‑281/00, T‑287/00 et T‑296/00, EU:T:2005:90. Sur la pertinence d’une telle circonstance afin d’écarter l’application de la cause de forclusion prévue par l’arrêt TWD, voir arrêt Hotel Cipriani e.a./Commission, point 90.


62      Voir points 18 à 22 des présentes conclusions.


63      Selon une jurisprudence constante, rappelée au point 43 de l’arrêt Commission/France, un État membre destinataire d’une décision en matière d’aides qui ne l’a pas déférée devant la Cour ne saurait être fondé à en contester la légalité dans le cadre d’un recours qui a pour objet un manquement à son exécution [voir, notamment, arrêt du 12 mai 2005, Commission/Grèce (C‑415/03, EU:C:2005:287, point 38 et jurisprudence citée)].


64      C’est d’ailleurs sur le point de la validité de cette obligation et non pas sur celui de son existence que la Commission a répondu, dans son mémoire en réplique, à l’argumentation de la République française.


65      Voir, notamment, point arrêt TWD, point 21.


66      Mise en italique par mes soins.


67      Mise en italique par mes soins.


68      Mise en italique par mes soins.


69      Voir, notamment, arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, point 83). Selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence [voir, notamment, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 82 et jurisprudence citée)].


70      Voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66, p. 1161) ; du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, point 84), ainsi que du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:496, point 65 et jurisprudence citée).


71      Voir arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a. (C‑39/94, EU:C:1996:285, point 60), ainsi que du 29 avril 1999, Espagne/Commission (C‑342/96, EU:C:1999:210, point 41).


72      Voir, notamment, arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, EU:C:1961:2, p. 39), et du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:496, point 66 et jurisprudence citée).


73      Voir, notamment, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission (173/73, EU:C:1974:71, point 33) ; du 26 septembre 1996, France/Commission (C‑241/94, EU:C:1996:353, points 20 à 24) ; du 5 octobre 1999, France/Commission (C‑251/97, EU:C:1999:480, point 36), ainsi que du 7 mars2002, Italie/Commission (C‑310/99, EU:C:2002:143, point 51).


74      Voir arrêts du 12 décembre 2002, Belgique/Commission (C‑5/01, EU:C:2002:754, points 38 à 40), et du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415, point 137), où le Tribunal a affirmé que « la notion d’aide n’implique pas nécessairement qu’une obligation légale soit supportée, mais plutôt que des charges qui, normalement, grèvent le budget d’une entreprise soient allégées ».


75      C‑5/01, EU:C:2002:754, points 39 et 40. Dans l’arrêt du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, EU:C:1961:2, p. 51), la Cour avait déjà jugé que le financement sur fonds publics d’une prime de poste versée à certains travailleurs de l’industrie charbonnière entraînait une augmentation de leur rémunération, qui diminuait artificiellement les coûts de production des entreprises concernées, et que ladite prime devait, de ce fait, être considérée comme une aide.


76      Voir arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467, points 26 et 27) ; du 13 juin 2002, PaysBas/Commission (C‑382/99, EU:C:2002:363, points 62 à 67), du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission (C‑403/10 P, non publié, EU:C:2011:533, point 81), ainsi que du 4 mars 2009, Italie/Commission (T‑424/05, non publié, EU:T:2009:49, points 132 à 139). Voir également article 107, paragraphe 2, sous a), TFUE.


77      Arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415, point 137).


78      Voir, en ce sens, notamment, arrêt du 5 octobre 1999, France/Commission (C‑251/97, EU:C:1999:480, point 38).


79      C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:990.


80      Voir arrêt Ryanair, point 98. Voir, également, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:515, point 74).


81      T‑425/11, EU:T:2014:768, points 49 à 58 (spéc. point 57), confirmé en appel par ordonnance du 22 octobre 2015, Commission/Grèce (C‑530/14 P, non publiée, EU:C:2015:727).


82      La Compagnie renvoie, notamment, à l’arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale (France), du 4 décembre 2013, n. 12‑18301 et 12‑18302, dans lequel, se fondant sur le principe, établi par cette juridiction en 1990, selon lequel « les retenues opérées par l’employeur sur la rémunération de ses salariés au titre du précompte des cotisations de sécurité sociale ne peuvent être supérieures au montant des cotisations effectivement acquittées », ladite juridiction a rejeté le pourvoi d’une entreprise de pêche qui avait prélevé sur les salaires des marins certaines sommes au titre des charges salariales, alors que ces précomptes n’avaient jamais été appelés par l’ENIM (en raison d’un allégement des cotisations salariales, décidé par instruction ministérielle à la suite des difficultés rencontrées par le secteur de la pêche à cause de l’augmentation des cours du pétrole), décidant que l’employeur était tenu de les restituer aux marins.


83      La Cour a expressément limité son appréciation à la seule question de la récupération, les requérants n’ayant pas pu démontrer que la décision de la Commission constatant l’aide était entachée d’illégalité [voir, notamment, points 94, 98 et 99 de l’arrêt Ryanair].


84      La question a été abordée dans les conclusions de l’avocat général Mengozzi dans les affaires jointes Commission/Aer Lingus et Ryanair Designated Activity (C‑164/15 P et C‑165/15 P, EU:C:2016:515, point 72).


85      Voir point 104 de l’arrêt Ryanair.


86      Voir, notamment, points 101 et 102 de l’arrêt Ryanair.


87      Il importe de noter qu’il n’est pas exclu que les allégements en cause aient porté, au moins en partie, sur des sommes qui avaient déjà été précomptées par les entreprises sur les salaires de leurs employés au taux plein et qui devaient encore être versées aux organismes compétents (je rappelle que les circulaires qui ont prévu les allégements dataient des 15 avril et 13 juillet 2000 et portaient sur la période du 15 avril au 15 octobre 2000). Dans ce cas, la mesure aurait, au moins formellement, visé la dette des entreprises envers les organismes de sécurité sociale et non pas les cotisations salariales en elles‑mêmes. Or, même à supposer qu’une telle configuration ait pu exclure une obligation de l’employeur de répercuter rétroactivement l’allégement sur ses salariés, ni la République française ni la Commission n’ont soutenu que les mesures en cause revêtaient une telle nature. En tout état de cause, cela ne ressort pas de la décision litigieuse.


88      Voir, notamment, arrêts du 3 avril 2014, France/Commission (C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 63), et du 19 septembre 2018, Commission/France et IFP Énergies nouvelles (C‑438/16 P, EU:C:2018:737, point 110).


89      Pour cette raison, j’estime que les précédents cités par la Commission lors de l’audience, en ce qu’ils se réfèrent tous à des situations où les entreprises concernées avaient été reconnues bénéficier indirectement de mesures adoptées en faveur de leurs employeurs, ne sont pas pertinents. Quant à la décision, citée dans les observations écrites de la Commission, elle est également sans pertinence, dans la mesure où l’aide constatée dans cette décision consistait en la réduction de la dette de TVA due par une entreprise ayant irrégulièrement exonéré certaines de ses transactions de cette taxe.


90      Ainsi que la Commission l’a précisé dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467) [voir également les conclusions de l’avocat général Saggio dans cette affaire (C‑156/98, EU:C:2000:47, point 22)] ; du 13 juin 2002, PaysBas/Commission (C‑382/99, 63) ; du 28 juillet 2011, Mediaset/Commission (C‑403/10 P, non publié, EU:C:2011:533, point 63), ainsi que du 4 mars 2009, Italie/Commission (T‑424/05, non publié, EU:T:2009:49, point 136). Voir, également, arrêt du 11 septembre 2012, Corsica Ferries France/Commission (T‑565/08, EU:T:2012:415, points 137 et suiv.), dans lequel le Tribunal, censurant la Commission pour ne pas avoir qualifié d’aide une intervention publique en faveur des ex-salariés de certaines entreprises, s’attache à identifier l’existence d’un avantage économique indirect pour ces entreprises.


91      Voir point 99 de l’arrêt Ryanair.


92      C‑69/13, EU:C:2014:71, points 22 et 35 à 37.


93      C‑69/13, EU:C:2014:71, point 32 et point 1 du dispositif.