Language of document : ECLI:EU:C:2021:72

ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

27 janvier 2021 (*)

« Manquement d’État – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 306 à 310 – Régime particulier des agences de voyages – Application à tous les types de clients – Législation nationale excluant les services de voyages fournis à des assujettis qui les utilisent pour le compte de leur entreprise – Article 73 – Base d’imposition – Détermination d’une base d’imposition globale pour des groupes de prestations ou pour l’ensemble des prestations fournies au cours de la période imposable – Incompatibilité »

Dans l’affaire C‑787/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 23 octobre 2019,

Commission européenne, représentée par M. M. Wasmeier et Mme J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République d’Autriche, représentée par MM. F. Koppensteiner et A. Posch, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur) et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en excluant du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux agences de voyages les services de voyages fournis à des assujettis qui les utilisent pour le compte de leur entreprise et en autorisant les agences de voyages, dans la mesure où elles sont soumises audit régime, à déterminer la base d’imposition de la TVA de manière globale pour des groupes de services et pour l’ensemble des services fournis au cours d’une période d’imposition, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 73 et des articles 306 à 310 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

2        L’article 73 de la directive TVA figure sous le chapitre 2, intitulé « Livraisons de biens et prestations de services », du titre VII, intitulé « Base d’imposition », de cette directive. Cet article prévoit :

« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »

3        Les articles 306 à 310 de ladite directive figurent sous le chapitre 3, intitulé « Régime particulier des agences de voyages », du titre XII, intitulé « Régimes particuliers », de celle-ci. L’article 306 de la même directive dispose :

« 1.      Les États membres appliquent un régime particulier de la TVA aux opérations des agences de voyages conformément au présent chapitre, dans la mesure où ces agences agissent en leur propre nom à l’égard du voyageur et lorsqu’elles utilisent, pour la réalisation du voyage, des livraisons de biens et des prestations de services d’autres assujettis.

Le présent régime particulier n’est pas applicable aux agences de voyages qui agissent uniquement en qualité d’intermédiaire et auxquelles s’applique, pour calculer la base d’imposition, l’article 79, premier alinéa, point c).

2.      Aux fins du présent chapitre, les organisateurs de circuits touristiques sont considérés comme agences de voyages. »

4        Aux termes de l’article 307 de la directive TVA :

« Les opérations effectuées, dans les conditions prévues à l’article 306, par l’agence de voyages pour la réalisation du voyage sont considérées comme une prestation de services unique de l’agence de voyages au voyageur.

La prestation unique est imposée dans l’État membre dans lequel l’agence de voyages a établi le siège de son activité économique ou un établissement stable à partir duquel elle a fourni la prestation de services. »

5        L’article 308 de cette directive prévoit :

« Pour la prestation de services unique fournie par l’agence de voyages, est considérée comme base d’imposition et comme prix hors TVA, au sens de l’article 226, point 8), la marge de l’agence de voyages, c’est-à-dire la différence entre le montant total, hors TVA, à payer par le voyageur et le coût effectif supporté par l’agence de voyages pour les livraisons de biens et les prestations de services d’autres assujettis, dans la mesure où ces opérations profitent directement au voyageur. »

6        L’article 310 de ladite directive dispose :

« Les montants de la TVA qui sont portés en compte à l’agence de voyages par d’autres assujettis pour les opérations qui sont visées à l’article 307 et qui profitent directement au voyageur ne sont ni déductibles ni remboursables dans aucun État membre. »

7        Aux termes de l’article 370 de la même directive :

« Les États membres qui, au 1er janvier 1978, taxaient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie A, peuvent continuer à les taxer. »

 Le droit autrichien

8        L’article 23 de l’Umsatzsteuergesetz 1994 (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires de 1994, BGBl. I, 663/1994), dans sa version en vigueur au terme du délai fixé dans l’avis motivé (ci-après l’« UStG 1994 »), est libellé comme suit :

« 1.      Les dispositions suivantes sont applicables aux prestations de voyages d’un opérateur

–        qui ne sont pas destinées à l’entreprise du preneur,

–        dans la mesure où l’opérateur agit, ce faisant, en son propre nom à l’égard du preneur

–        et qu’il utilise des prestations de voyages en amont.

[...]

4.      Les prestations de voyages en amont sont des livraisons et d’autres prestations de services fournies par des tiers qui profitent directement au voyageur.

[...]

7.      La valeur d’une autre prestation correspond à la différence entre le montant payé par le preneur en vue de l’obtention de la prestation et le montant payé par l’opérateur pour les prestations de voyages en amont. La taxe sur le chiffre d’affaires n’entre pas dans la base d’imposition.

L’opérateur peut, au lieu de calculer la base d’imposition pour chaque prestation, le faire soit pour des groupes de prestations, soit pour l’ensemble des prestations fournies au cours de la période imposable (période de la déclaration préalable). »

 La procédure précontentieuse

9        Le 10 juillet 2014, la Commission a adressé à la République d’Autriche une lettre de mise en demeure, informant cette dernière qu’elle estimait que l’exclusion, prévue par l’UStG 1994, des services de voyages fournis à des assujettis qui les utilisent pour le compte de leur entreprise, du régime particulier de la TVA applicable aux agences de voyages, tel que visé aux articles 306 à 310 de la directive TVA (ci-après le « régime particulier »), était contraire à la directive TVA.

10      Par lettre du 4 septembre 2014, le gouvernement autrichien a répondu en indiquant qu’il avait décidé, eu égard à l’arrêt du 26 septembre 2013, Commission/Espagne (C‑189/11, EU:C:2013:587), de modifier l’UStG 1994 avec effet au 1er janvier 2016 (ci-après la « modification législative »). Par lettre du 20 janvier 2016, le gouvernement autrichien a ensuite transmis le texte de loi modifié, indiquant que la modification législative devait entrer en vigueur le 1er janvier 2017.

11      Par lettre du 3 mai 2016, la Commission a répondu que la modification législative, contrairement à ce qu’affirmait le gouvernement autrichien, ne remédierait pas au manquement allégué.

12      Selon cette institution, en vertu de la modification législative, le régime particulier ne s’appliquerait pas si le bénéficiaire final était une entreprise assujettie. En outre, cette modification continuerait à permettre aux agences de voyages de calculer la marge globale pour leurs services au cours d’une période fiscale déterminée.

13      Dans sa réponse du 27 mai 2016, le gouvernement autrichien a insisté sur le fait que la modification législative tenait pleinement compte de l’arrêt du 26 septembre 2013, Commission/Espagne (C‑189/11, EU:C:2013:587). Par lettre du 17 janvier 2017, il a informé la Commission que l’entrée en vigueur de la modification législative avait de nouveau été reportée.

14      Dans ces conditions, le 8 juin 2018, la Commission a adressé à la République d’Autriche un avis motivé, dans lequel elle a réaffirmé la position exposée dans sa lettre de mise en demeure. La Commission a invité cet État membre à prendre les mesures utiles en vue de se conformer à cet avis motivé dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.

15      Le gouvernement autrichien a répondu par lettre du 7 août 2018 qu’il maintenait sa position, selon laquelle la République d’Autriche n’aurait pas manqué à ses obligations découlant de la directive TVA. Il a également indiqué que la modification législative n’entrerait en vigueur qu’au 1er mai 2020.

16      N’ayant pas été convaincue par les arguments avancés par la République d’Autriche, la Commission a introduit le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

17      La République d’Autriche excipe de l’irrecevabilité du recours en manquement. Elle fait valoir, en substance, que la Commission ne saurait valablement formuler des griefs visant la modification législative sans engager une nouvelle procédure précontentieuse en ce sens. En effet, ces griefs donneraient lieu à une divergence entre l’avis motivé, lequel ne contiendrait pas lesdits griefs, et le recours, en violation d’une jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle l’avis motivé et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques.

18      La Commission rétorque qu’il ressort tant de la lettre de mise en demeure que de l’avis motivé et de la requête que les griefs sont limités au droit autrichien applicable, à savoir l’UStG 1994, tel qu’il était en vigueur au terme du délai fixé dans l’avis motivé. Toute mention des modifications proposées par le législateur autrichien, qui par ailleurs ne seraient pas encore entrées en vigueur, serait faite à titre purement préventif et subsidiaire.

 Appréciation de la Cour

19      Il importe de rappeler que l’objectif de la procédure précontentieuse est de donner à l’État membre concerné la possibilité de se conformer à ses obligations découlant du droit de l’Union ou de faire utilement valoir ses moyens de défense à l’encontre des griefs formulés par la Commission [arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 45 et jurisprudence citée].

20      Il est de jurisprudence constante que la lettre de mise en demeure adressée par la Commission à l’État membre concerné, puis l’avis motivé émis par celle-ci, délimitent l’objet du litige, qui ne peut plus, dès lors, être étendu. Par conséquent, l’avis motivé et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques (arrêt du 5 juin 2014, Commission/Bulgarie, C‑198/12, EU:C:2014:1316, point 15 et jurisprudence citée).

21      Toutefois, cette exigence ne saurait aller jusqu’à imposer, en toute hypothèse, une coïncidence parfaite entre l’énoncé des griefs dans la lettre de mise en demeure, le dispositif de l’avis motivé et les conclusions de la requête, dès lors que l’objet du litige, tel que défini dans l’avis motivé, n’a pas été étendu ou modifié [arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 66 et jurisprudence citée].

22      Or, il convient de constater que, en l’espèce, la Commission n’a pas modifié l’objet du litige entre les phases précontentieuse et contentieuse. En effet, dans sa requête, la Commission a formulé des griefs et des moyens identiques à ceux mentionnés dans l’avis motivé. Ainsi, la République d’Autriche était dûment informée de la nature de la violation du droit de l’Union invoquée par la Commission (voir, par analogie, arrêt du 7 juillet 2005, Commission/Autriche, C‑147/03, EU:C:2005:427, point 25).

23      En ce qui concerne les arguments relatifs à la modification législative, la Commission a indiqué, dans sa requête, que ceux-ci avaient été invoqués à titre purement préventif et subsidiaire, la procédure en manquement concernant le droit autrichien en vigueur au terme du délai fixé dans l’avis motivé. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau grief.

24      Il s’ensuit que la Commission n’a pas modifié ou étendu l’objet du litige dans sa requête et que le recours est recevable.

 Sur le fond

 Sur le premier grief

–       Argumentation des parties

25      Par son premier grief, la Commission fait valoir que, en excluant du régime particulier les services de voyages fournis à des assujettis qui les utilisent pour le compte de leur entreprise, l’UStG 1994 est incompatible avec les articles 306 à 310 de la directive TVA, tels qu’interprétés par la Cour.

26      En effet, la Cour, dans les arrêts du 26 septembre 2013, Commission/Espagne (C‑189/11, EU:C:2013:587), et du 8 février 2018, Commission/Allemagne (C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76), aurait constaté que le régime particulier s’appliquerait non seulement aux services fournis à des consommateurs finals, mais également à ceux fournis à des opérateurs assujettis. Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour, la notion de « voyageur », figurant notamment aux articles 306 à 308 et 310 de la directive TVA, devrait être interprétée de manière large et inclure tous les types de clients (ci-après l’« approche fondée sur le client »).

27      À cet égard, les dispositions relatives au régime particulier ne laisseraient aucune marge d’appréciation aux États membres ni aux assujettis. Elles ne prévoiraient pas la possibilité de décider à titre facultatif, dans certains cas, si le régime particulier s’applique ou non.

28      Dans l’arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne (C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 40), la Cour aurait précisé que le régime particulier s’applique à tous les types de clients et non pas aux seuls voyageurs. L’interprétation proposée par la République d’Autriche, selon laquelle les services « interentreprises » (le secteur dit « business-to-business ») pourraient être exclus du régime particulier, serait donc manifestement contraire à une jurisprudence bien établie de la Cour.

29      En outre, la Commission fait valoir que la République d’Autriche ne peut pas se prévaloir de l’article 370 de la directive TVA, qui permet de maintenir le régime préexistant de taxation de certaines prestations de services des agences de voyages. En effet, cette disposition, figurant sous la section « Dérogations pour les États faisant partie de la Communauté au 1er janvier 1978 », ne s’appliquerait pas à la République d’Autriche, qui a adhéré à l’Union européenne le 1er janvier 1995.

30      La République d’Autriche estime, premièrement, que les objectifs de simplification des règles relatives à la TVA applicables aux agences de voyages et à la répartition des recettes provenant de la perception de la TVA de manière équilibrée entre les États membres ne devraient pas conduire à ce que la TVA grevant le prix de voyage se transforme en coût pour l’opérateur. Or, tel serait le résultat de l’approche fondée sur le client, dans la mesure où elle interdirait à un opérateur qui compose des prestations de voyages à partir de prestations acquises en amont de se prévaloir de la déduction pour ces dernières.

31      La modification législative éviterait cet écueil et prévoirait que le régime particulier trouverait aussi à s’appliquer lorsque, au bout de la chaîne des prestations, les prestations de voyages acquises en amont profitent à un voyageur non assujetti. Cette législation serait également conforme à la jurisprudence de la Cour relative au régime particulier, laquelle devrait être interprétée en ce sens que seule doit être considérée comme incompatible avec la directive TVA l’exclusion totale du régime particulier de toutes les prestations de voyages fournies à des clients assujettis.

32      Deuxièmement, la République d’Autriche fait valoir que le fait d’exclure du régime particulier les services de voyages fournis à des assujettis qui les utilisent pour le compte de leur entreprise tient suffisamment compte du principe de l’interprétation stricte d’une exception, en l’espèce le régime particulier, sans pour autant lui faire perdre toute efficacité.

33      Troisièmement, en ce qui concerne l’application de l’article 370 de la directive TVA, cet État membre concède qu’il n’a pas revendiqué le bénéfice du régime prévu à cet article, car, selon lui, le régime particulier ne couvrait que les prestations de voyages aux consommateurs finals privés. Or, eu égard à la jurisprudence ultérieure de la Cour consacrant l’approche fondée sur le client, il pourrait être considéré qu’il existe une lacune législative permettant aux États membres ayant adhéré ultérieurement, tels que la République d’Autriche, de faire application, par analogie en ce qui les concerne, de l’exception prévue à cet article 370. Ainsi, l’UStG 1994 ne serait pas incompatible avec les articles 306 à 310 de la directive TVA.

–       Appréciation de la Cour

34      Il importe de rappeler, tout d’abord, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [arrêts du 25 juin 2015, Commission/Pologne, C‑303/14, non publié, EU:C:2015:423, point 18 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 décembre 2020, Commission/Espagne (Efficacité énergétique), C‑347/19, non publié, EU:C:2020:1017, point 26 et jurisprudence citée].

35      Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la modification législative et que seule la législation nationale en vigueur au terme du délai fixé dans l’avis motivé, à savoir l’UStG 1994, doit être prise en considération dans le cadre du présent recours.

36      Ensuite, quant à l’interprétation du régime particulier, il convient de relever que la Cour a jugé que c’est l’approche fondée sur le client, en vertu de laquelle ce régime s’applique aux ventes à tous les types de clients, qui devait prévaloir et a, partant, écarté l’interprétation selon laquelle ledit régime serait applicable uniquement en cas de vente de voyages à des voyageurs (ci-après l’« approche fondée sur le voyageur ») (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Commission/Espagne, C‑189/11, EU:C:2013:587, points 65 et 69).

37      À cet égard, la Cour a précisé que l’approche fondée sur le client est celle qui est la mieux à même d’atteindre les objectifs poursuivis par le régime particulier, à savoir, en premier lieu, une simplification des règles relatives à la TVA applicables aux agences de voyages et, en second lieu, une répartition équilibrée entre les États membres des recettes provenant de la perception de cette taxe, en permettant aux agences de voyages de bénéficier de règles simplifiées quel que soit le type de clients auquel elles fournissent leurs prestations et en favorisant, par là même, une répartition équilibrée des recettes entre les États membres (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 41 et jurisprudence citée).

38      En l’espèce, il convient de relever qu’il n’est pas contesté que, en excluant du régime particulier les services de voyages fournis à des preneurs assujettis qui utilisent lesdits services pour le compte de leur entreprise, la République d’Autriche a ainsi exclu de ce régime le secteur dit « business-to-business ».

39      Or, par cette exclusion, la République d’Autriche fait obstacle à ce que des entreprises assujetties qui vendent des services de voyages à d’autres entreprises assujetties puissent bénéficier de ce régime et, ce faisant, limite l’application dudit régime d’une manière qui porte atteinte aux objectifs mentionnés au point 37 du présent arrêt (voir, par analogie, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 45).

40      Aucun des arguments soulevés par la République d’Autriche, tels qu’exposés aux points 30 à 33 du présent arrêt, n’est susceptible d’infirmer cette conclusion.

41      En premier lieu, s’agissant de l’argument de cet État membre selon lequel seule une exclusion totale du régime particulier doit être considérée comme incompatible avec la directive TVA, il convient de relever que, afin d’atteindre les objectifs poursuivis par le régime particulier, tels que rappelés au point 37 du présent arrêt, ce régime s’applique à tous types de clients (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 40 et jurisprudence citée), sans que les États membres puissent décider de ne pas appliquer ledit régime dans certains cas.

42      En effet, il importe de garantir que l’interprétation la plus conforme à la finalité poursuivie par la directive TVA, telle que rappelée par la Cour, en particulier, dans l’arrêt du 26 septembre 2013, Commission/Espagne (C‑189/11, EU:C:2013:587), soit appliquée de manière uniforme par les États membres (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 50).

43      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la République d’Autriche selon lequel il y a lieu d’interpréter le régime particulier, lequel constitue une exception au régime général de la TVA, de manière stricte, la Cour a jugé que le fait que le régime particulier constitue une exception n’implique cependant pas qu’il faille adopter l’approche fondée sur le voyageur, laquelle est plus restrictive que l’approche fondée sur le client, si celle-ci porte atteinte à l’effet utile de ce régime particulier (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Commission/Espagne, C‑189/11, EU:C:2013:587, point 65). Ainsi, la Cour a dit pour droit que l’approche fondée sur le voyageur était contraire à la directive TVA (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 40).

44      En troisième lieu, la République d’Autriche fait valoir qu’elle aurait pu prétendre à l’application de l’exception prévue à l’article 370 de la directive TVA.

45      À cet égard, cet article 370 figure sous la section 1, intitulée « Dérogations pour les États faisant partie de la Communauté au 1er janvier 1978 », du chapitre 1 du titre XIII de la directive TVA, consacré aux dérogations. Ledit article prévoit que « [l]es États membres qui, au 1er janvier 1978, taxaient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie A, peuvent continuer à les taxer ».

46      Or, il suffit de relever que, dès lors que la République d’Autriche n’est devenue membre de l’Union qu’au 1er janvier 1995, cette dérogation ne peut lui être appliquée.

47      En conséquence, il convient d’accueillir le premier grief avancé par la Commission.

 Sur le second grief

–       Argumentation des parties

48      Par son second grief, la Commission reproche à la République d’Autriche d’avoir prévu, dans l’UStG 1994, la possibilité de déterminer la base d’imposition pour des groupes de prestations ou pour l’ensemble des prestations fournies au cours de la période imposable par l’assujetti plutôt que sur la base de chaque prestation.

49      Cependant, la Cour aurait constaté, aux points 89 et 90 de l’arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne (C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76), que la directive TVA ne prévoit pas une telle possibilité en ce qui concerne le régime particulier et que l’article 318 de cette directive, lequel permet de déterminer la base d’imposition de manière globale dans certains domaines, ne s’applique pas aux prestations des agences de voyages.

50      Ainsi, il conviendrait, selon la Commission, d’appliquer la règle générale figurant à l’article 73 de ladite directive, selon laquelle la base d’imposition doit être déterminée de manière non pas globale, mais individuelle.

51      Pour justifier la dérogation contenue dans l’UStG 1994, la République d’Autriche aurait fait valoir que l’application de cet article 73 pose de grandes difficultés pratiques pour les agences de voyages ou qu’elle entraîne une charge administrative supplémentaire, défavorisant les petits voyagistes.

52      À cet égard, la Commission, se référant plus particulièrement aux points 46 et 47 de l’arrêt du 19 décembre 2018, Skarpa Travel (C‑422/17, EU:C:2018:1029), relève qu’il est possible de procéder, lors du calcul de la marge bénéficiaire, à une estimation du coût effectif total afin de faciliter l’application dudit article 73 pour la détermination de la base d’imposition. Cependant, il ressortirait également de cette jurisprudence de la Cour que la base d’imposition est à déterminer en se référant à chaque prestation de services unique fournie par l’agence, c’est-à-dire de manière non pas globale, mais individuelle, eu égard aux groupes de services ou à un ensemble de services fournis pendant une période donnée.

53      En outre, la Cour aurait jugé que d’éventuelles difficultés liées au calcul de la marge de l’agence de voyages ne sauraient conduire à écarter l’interprétation selon laquelle la base d’imposition de cette marge doit être déterminée en se référant à chaque prestation de services (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, points 92 et 93).

54      La République d’Autriche rétorque que, à la suite de l’arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne (C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76), elle a supprimé l’article 23, paragraphe 7, dernière phrase, de l’UStG 1994. Cette suppression entrerait en vigueur le 1er janvier 2022, de sorte qu’il ne serait plus possible, à compter de cette date, de déterminer la base d’imposition de manière globale pour des groupes de prestations ou pour les prestations fournies au cours d’une période d’imposition, une telle détermination ayant été jugé contraire à la directive TVA.

55      En outre, quant au report réitéré de l’entrée en vigueur de la modification législative, la République d’Autriche fait valoir que le marché du voyage autrichien est étroitement lié et techniquement dépendant du marché du voyage allemand. Partant, cet État membre aurait été contraint d’attendre les mesures prises par la République fédérale d’Allemagne pour se conformer à l’arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne (C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76), avant de procéder à la modification de sa propre législation à cet égard.

56      Quant au libellé actuel de l’article 23, paragraphe 7, dernière phrase, de l’UStG 1994, la République d’Autriche fait valoir ce qui suit.

57      La période au cours de laquelle l’agence de voyages vend les prestations à forfait et la date à laquelle elle reçoit les factures de ses fournisseurs ne coïncideraient pas, si bien que la base d’imposition, en l’occurrence la marge bénéficiaire, serait difficile à calculer de manière exacte. La détermination de cette marge sur une base individuelle, pour chaque prestation de voyage unique, impliquerait une augmentation considérable des charges administratives.

58      La détermination de la base d’imposition de la marge bénéficiaire des agences de voyages de manière globale constituerait une simplification certaine de ce point de vue, de sorte que l’article 23, paragraphe 7, dernière phrase, de l’UStG 1994 devrait, en principe, répondre à l’objectif de simplification des règles relatives à la TVA applicables aux assujettis fournissant des prestations de voyages.

–       Appréciation de la Cour

59      Il ressort, tout d’abord, de la jurisprudence de la Cour que le régime particulier et, notamment, l’article 308 de la directive TVA ne prévoient aucune possibilité de déterminer de manière globale la base d’imposition de la marge bénéficiaire des agences de voyages (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 89 et jurisprudence citée).

60      Ensuite, la Cour a rappelé que l’article 318 de la directive TVA permet, dans le cadre de régimes particuliers visés au chapitre 4 du titre XII de cette directive, à savoir ceux applicables dans le domaine des biens d’occasion, des objets d’art, de collection ou d’antiquité, de déterminer la base d’imposition de manière globale, tout en précisant que cette disposition ne couvre que certains domaines, au nombre desquels ne figure pas celui des agences de voyages (arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 90).

61      Partant, la détermination de la base d’imposition dans ce dernier domaine doit être effectuée sur une base individuelle, conformément au système prévu à l’article 73 de la directive TVA, et non pas de manière globale (voir, par analogie, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 91).

62      Il résulte de ces considérations que la base d’imposition de la marge bénéficiaire des agences de voyages doit être déterminée en se référant à chaque prestation de services unique fournie par l’agence de voyages et que la prise en compte de groupes de services ou de l’ensemble des services fournis au cours d’une période d’imposition donnée, telle qu’elle est prévue par le droit autrichien, n’est pas compatible avec l’article 308 de la directive TVA (voir, par analogie, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 92).

63      La circonstance que le calcul de la marge, tel que prévu à cet article 308, donne lieu à une augmentation considérable des charges administratives, ainsi que la République d’Autriche l’a fait valoir, ne saurait conduire à écarter cette interprétation. Les États membres sont tenus d’appliquer la directive TVA même s’ils la considèrent perfectible jusqu’à ce que le législateur de l’Union décide, le cas échéant, de modifier le contenu du régime particulier (voir, en ce sens, arrêt du 8 février 2018, Commission/Allemagne, C‑380/16, non publié, EU:C:2018:76, point 93 et jurisprudence citée).

64      En outre, la République d’Autriche invoque le lien étroit qu’entretient le marché du voyage autrichien avec le marché allemand du même secteur pour expliquer le retard pris dans la modification de sa législation. Cependant, selon une jurisprudence constante de la Cour, un État membre ne saurait exciper de difficultés d’ordre interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union [arrêt du 5 mars 2020, Commission/Chypre (Collecte et épuration des eaux urbaines résiduaires), C‑248/19, non publié, EU:C:2020:171, point 36 ainsi que jurisprudence citée].

65      Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir le second grief avancé par la Commission.

66      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en excluant du régime particulier les services de voyages fournis à des assujettis, qui les utilisent pour le compte de leur entreprise, et en autorisant les agences de voyages, dans la mesure où elles sont soumises audit régime, à déterminer la base d’imposition de la TVA de manière globale pour des groupes de services ou pour l’ensemble des services fournis au cours d’une période d’imposition, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 73 et des articles 306 à 310 de la directive TVA.

 Sur les dépens

67      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la République d’Autriche ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      En excluant du régime particulier de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicable aux agences de voyages les services de voyages fournis à des assujettis, qui les utilisent pour le compte de leur entreprise, et en autorisant les agences de voyages, dans la mesure où elles sont soumises audit régime, à déterminer la base d’imposition de la TVA de manière globale pour des groupes de services ou pour l’ensemble des services fournis au cours d’une période d’imposition, la République d’Autriche a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 73 et des articles 306 à 310 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

2)      La République d’Autriche est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.