Language of document : ECLI:EU:C:2020:458

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

11 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Directive 92/43/CEE – Article 12, paragraphe 1 – Système de protection stricte des espèces animales – Annexe IV – Canis lupus (loup) – Article 16, paragraphe 1 – Aire de répartition naturelle – Capture et transport d’un spécimen d’animal sauvage de l’espèce canis lupus – Sécurité publique »

Dans l’affaire C‑88/19,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Judecătoria Zărnești (tribunal de première instance de Zărnești, Roumanie), par décision du 15 novembre 2018, parvenue à la Cour le 7 février 2019, dans la procédure

Alianța pentru combaterea abuzurilor

contre

TM,

UN,

Direcția pentru Monitorizarea și Protecția Animalelor,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. P. G. Xuereb et T. von Danwitz, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour l’Alianța pentru combaterea abuzurilor, par MM. C. Dumitriu et C. Feher,

–        pour le gouvernement roumain, initialement par Mmes E. Gane et L. Liţu, ainsi que M. C.-R. Canţăr, puis par Mmes E. Gane et L. Liţu, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. G.-D. Balan et C. Hermes, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 13 février 2020,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7), telle que modifiée par la directive 2013/17/UE, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 193) (ci-après la « directive “habitats” »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Alianța pentru combaterea abuzurilor, une association, à TM, membre de la Direcția pentru Monitorizarea și Protecția Animalelor (ci-après la « DMPA »), une association de protection des animaux, à UN, une vétérinaire, ainsi qu’à la DMPA au sujet de la capture et du transport, dans des conditions inappropriées, d’un spécimen d’animal sauvage appartenant à l’espèce canis lupus (loup).

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        L’article 1er de la directive « habitats », intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b)      habitats naturels : des zones terrestres ou aquatiques se distinguant par leurs caractéristiques géographiques, abiotiques et biotiques, qu’elles soient entièrement naturelles ou semi-naturelles ;

[...]

f)      habitat d’une espèce : le milieu défini par des facteurs abiotiques et biotiques spécifiques où vit l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique ;

[...]

k)      site d’importance communautaire : [...]

Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, les sites d’importance communautaire correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction ;

[...] »

4        L’article 2 de cette directive prévoit :

« 1.      La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s’applique.

2.      Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt communautaire.

3.      Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. »

5        Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive :

« Sur la base des critères établis à l’annexe III (étape 1) et des informations scientifiques pertinentes, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et reproduction. [...] »

6        L’article 12, paragraphe 1, de la même directive énonce :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant :

a)      toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ;

b)      la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration ;

c)      la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ;

d)      la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos. »

7        L’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » prévoit :

« À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) :

a)      dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b)      pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c)      dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

d)       à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;

e)      pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l’annexe IV. »

8        Au nombre des espèces animales « présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte », dont la liste est établie à l’annexe IV, sous a), de cette directive (ci-après les « espèces animales protégées »), figure, notamment, le canis lupus [loup].

 Le droit roumain

9        L’article 33 de l’ordonanța de urgență a Guvernului nr. 57/2007 privind regimul ariilor naturale protejate, conservarea habitatelor naturale, a florei și faunei sălbatice (ordonnance d’urgence du gouvernement no 57/2007 sur le régime des zones naturelles protégées et la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« OUG 57/2007 »), dispose :

« 1.      Pour les espèces de plantes et d’animaux sauvages terrestres, aquatiques ou souterrains figurant aux annexes 4 A et 4 B, à l’exception des espèces d’oiseaux, et qui vivent tant dans les aires naturelles protégées qu’en dehors de celles-ci, les actes suivants sont interdits :

a)      toute forme de récolte, de capture, de mise à mort, de destruction ou de blessure des spécimens se trouvant dans leur environnement naturel, à n’importe quel stade de leur cycle biologique ;

b)      les perturbations intentionnelles au cours de la période de reproduction, d’élevage, d’hibernation et de migration ;

[...]

f)      la détention, le transport, la vente ou l’échange à quelque fin que ce soit, ainsi que l’offre aux fins d’échange ou de vente, des spécimens prélevés dans la nature, à n’importe quel stade de leur cycle biologique.

[...] »

10      L’article 38 de l’OUG 57/2007 énonce :

« 1.      Par exception aux dispositions de l’article 33, paragraphes 1 à 4, et de l’article 37, paragraphe 1, l’autorité publique centrale chargée de la protection de l’environnement établit annuellement, et chaque fois que cela s’avère nécessaire, des dérogations, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution acceptable et que les mesures dérogatoires ne soient pas prises au détriment du maintien des populations des espèces concernées dans un état de conservation favorable dans leur milieu naturel, et seulement dans les situations suivantes :

[...]

c)      dans l’intérêt de la santé et la sécurité publiques, et, dans le cas des espèces d’animaux autres que les oiseaux, également pour d’autres raisons d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et lorsque cela a des conséquences bénéfiques d’importance majeure pour l’environnement ;

[...]

2.      Les dérogations sont établies par arrêté du chef de l’autorité publique centrale chargée de la protection de l’environnement et des forêts, sur avis de l’Académie roumaine.

[...]

22.      La procédure d’établissement des dérogations est approuvée par arrêté de l’autorité publique centrale pour la protection de l’environnement et des forêts.

23.      Les dérogations prévues au paragraphe 21 précisent les éléments suivants :

a)      les espèces qui font l’objet des dérogations ;

b)      les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés ;

c)      les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être accordées ;

d)      l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies et à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en œuvre, dans quelles limites et par quelles personnes ;

e)      les contrôles qui doivent être opérés.

[...] »

11      Aux termes de l’article 52 de l’OUG 57/2007 :

« Les faits ci-après constituent des infractions pénales passibles d’une peine d’emprisonnement de trois mois à un an ou d’une amende :

[...]

d)      le non-respect des dispositions de l’article 33, paragraphes 1 et 2 ».

 Le litige au principal et la question préjudicielle

12      Șimon (Roumanie), un village qui dépend de la commune de Bran et qui est situé dans le département de Brașov, se trouve à environ un kilomètre à l’est de la limite du site de Bucegi, que la Commission européenne, sur proposition de la Roumanie, a ajouté à la liste des sites d’importance communautaire sous le code ROSCI0013. Un autre site de ce type, le site de Munţii Făgăraş (code ROSCI0122), se trouve à environ huit kilomètres à l’ouest de ce village. Pour ces deux sites, la présence de loups a été enregistrée dans les formulaires standard des données.

13      Le 6 novembre 2016, aux alentours de 19 heures, le personnel de la DMPA et UN, en sa qualité de vétérinaire, se sont rendus à Șimon, sous la direction de TM, avec l’intention de capturer et de réinstaller un loup qui, depuis quelques jours, fréquentait le lieu d’habitation d’un résident, jouant et se nourrissant avec les chiens de celui-ci. Après avoir reçu une dose de médicaments anesthésiques à usage vétérinaire au moyen d’un fusil hypodermique, ce loup a été poursuivi, capturé puis soulevé par la queue et la peau de la nuque, jusqu’à une voiture qui se trouvait à une certaine distance, puis placé dans une cage destinée au transport des chiens.

14      Le personnel de la DMPA a coordonné le transport du loup ainsi capturé vers la réserve naturelle d’ours Libearty de Zărnești (Roumanie), dans laquelle se trouve également un enclos destiné aux loups en provenance de zoos non conformes. Toutefois, pendant ce transport, ce loup a réussi à briser sa cage et s’est enfui dans la forêt environnante.

15      Le 9 mai 2017, l’Alianța pentru combaterea abuzurilor a déposé une plainte pénale contre TM, UN et la DMPA, ainsi que contre d’autres personnes travaillant pour cette dernière, pour infractions liées à la capture et au transport, dans de mauvaises conditions, d’un loup. Il ressort de cette plainte qu’aucune autorisation n’avait été sollicitée pour la capture et le transport dudit loup.

16      La Judecătoria Zărnești (tribunal de première instance de Zărnești, Roumanie) se demande dans quelle mesure la capture ou la mise à mort délibérée de spécimens sauvages de l’espèce canis lupus peuvent être effectuées en l’absence de la dérogation fondée sur l’article 16 de la directive « habitats », lorsque ces animaux sont aperçus à la périphérie de localités ou lorsqu’ils pénètrent sur le territoire d’une collectivité territoriale, ou si une dérogation est obligatoire en ce qui concerne tout spécimen sauvage non captif, indépendamment du fait de savoir si celui-ci a pénétré sur le territoire d’une telle collectivité.

17      Cette juridiction relève que le but principal de la directive « habitats », qui est « de favoriser le maintien de la biodiversité, tout en tenant compte des exigences économiques, sociales, culturelles et régionales, [en] contribu[ant] à l’objectif général, d’un développement durable », se justifie pleinement lorsque des animaux protégés quittent leur habitat naturel. Toutefois, une interprétation stricte des dispositions de cette directive pourrait conduire à ce qu’aucune obligation ne pèse sur l’État dès lors que ces animaux ont quitté leur habitat naturel, ce qui serait contraire au but poursuivi par cet acte normatif.

18      Ladite juridiction se réfère, en particulier, à la dérogation aux règles relatives à la protection des espèces menacées, prévue à l’article 16, paragraphe 1, sous c), de la directive « habitats », selon laquelle la notion de « sécurité publique » serait étroitement liée aux situations dans lesquelles des animaux appartenant aux espèces menacées se trouvent en dehors de leur habitat naturel.

19      Dans ces conditions, la Judecătoria Zărnești (tribunal de première instance de Zărnești) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 16 de la directive [“habitats”] doit-il être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres de mettre en place des dérogations aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15, sous a) et b), également lorsque les animaux appartenant aux espèces menacées quittent leur habitat naturel et se trouvent soit à proximité immédiate de celui-ci soit complètement en dehors de celui-ci ? »

 Sur la question préjudicielle

20      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, sous a), et l’article 16 de la directive « habitats » doivent être interprétés en ce sens que la capture et le transport d’un spécimen d’une espèce animale protégée, telle que le loup, à la périphérie d’une zone de peuplement humain ou dans une telle zone, sont susceptibles de relever de l’interdiction prévue au premier de ces articles, en l’absence de dérogation accordée par l’autorité nationale compétente sur le fondement du second de ceux-ci.

21      À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de la directive « habitats », celle-ci a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres. En outre, selon l’article 2, paragraphes 2 et 3, de cette directive, les mesures prises en vertu de celle-ci visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union européenne, et tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales.

22      L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales protégées, dans leur aire de répartition naturelle, interdisant toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature.

23      Le respect de cette disposition impose aux États membres non seulement l’adoption d’un cadre législatif complet, mais également la mise en œuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection. De même, ledit système de protection stricte suppose l’adoption de mesures cohérentes et coordonnées, à caractère préventif. Un tel système de protection stricte doit donc permettre d’éviter effectivement la capture ou la mise à mort intentionnelle dans la nature de spécimens des espèces animales protégées [voir, en ce sens, arrêts du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża), C‑441/17, EU:C:2018:255, point 231 et jurisprudence citée, ainsi que du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, C‑674/17, EU:C:2019:851, point 27].

24      Si l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » autorise les États membres à déroger aux dispositions des articles 12 à 14 ainsi que de l’article 15, sous a) et b), de celle-ci, une dérogation adoptée sur ce fondement est soumise, dans la mesure où elle permet à ces États membres d’échapper aux obligations qu’implique le système de protection stricte des espèces naturelles, à la condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que cette dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Ces conditions concernent l’ensemble des hypothèses visées à l’article 16, paragraphe 1, de ladite directive (arrêt du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, C‑674/17, EU:C:2019:851, points 28 et 29).

25      Il importe également de souligner que l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », qui définit de façon précise et exhaustive les conditions dans lesquelles les États membres peuvent déroger aux articles 12 à 14 ainsi qu’à l’article 15, sous a) et b), de celle-ci, constitue une exception au système de protection prévu par ladite directive, qui doit être interprétée de manière restrictive et qui fait peser la charge de la preuve de l’existence des conditions requises, pour chaque dérogation, sur l’autorité qui en prend la décision (arrêt du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, C‑674/17, EU:C:2019:851, point 30).

26      Par ailleurs, il y a lieu de relever que l’espèce canis lupus, communément appelée « loup », figure au nombre des espèces animales protégées par la directive « habitats ».

27      C’est au regard de ces considérations liminaires qu’il convient d’examiner la question posée par la juridiction de renvoi.

28      Cette juridiction s’interroge sur le point de savoir si le régime de protection des espèces menacées prévu à l’article 12 de la directive « habitats » couvre uniquement l’environnement naturel de ces espèces et, par conséquent, cesse lorsqu’un spécimen appartenant à une telle espèce animale se rend dans une zone de peuplement humain ou à la périphérie d’une telle zone. La demande de cette juridiction porte, ainsi, sur l’interprétation qu’il convient de donner de la notion d’« aire de répartition naturelle » et des termes « dans la nature », qui figurent à l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats », ainsi que sur l’étendue de la protection qui en découle.

29      Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, pour interpréter une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement de ses termes, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 21 novembre 2019, Procureur-Generaal bij de Hoge Raad der Nederlanden, C‑678/18, EU:C:2019:998, point 31 et jurisprudence citée).

30      S’agissant, en premier lieu, du libellé de l’article 12 de la directive « habitats », force est de constater qu’il ne fournit aucun élément utile aux fins de la définition de la notion d’« aire de répartition naturelle » et des termes « dans la nature ».

31      Il peut néanmoins être relevé que cet article ne fonde pas la protection qu’il impose sur la notion d’« habitat naturel » et qu’il n’établit pas un régime de protection des spécimens d’espèces animales protégées en fonction du lieu, de l’espace ou de l’habitat où ils se trouvent à un moment donné.

32      S’agissant, en deuxième lieu, du contexte dans lequel s’inscrit l’article 12 de la directive « habitats », il convient de relever que ni l’article 1er ni aucune autre disposition de cette directive ne définissent cette notion et ces termes. Il y a lieu, dès lors, d’examiner la notion d’« aire de répartition naturelle » et les termes « dans la nature » figurant au paragraphe 1 de cet article au regard de notions voisines définies et/ou utilisées dans cette directive.

33      Il convient, à cet égard, de relever que la directive « habitats » comporte deux volets, consacrés, d’une part, à la conservation des habitats naturels, au moyen, notamment, de la désignation de sites protégés, ainsi que, d’autre part, à la conservation de la faune et de la flore sauvages par la désignation d’espèces protégées.

34      Or, cette directive ne requiert pas que la protection offerte en vertu du second de ces volets soit établie en corrélation avec le premier de ceux-ci et, en particulier, en fonction de la zone géographique couverte par les sites protégés ou les habitats naturels.

35      En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 29 de ses conclusions, conformément aux articles 3 à 6 de la directive « habitats », les habitats naturels doivent être protégés en tant que tels dans le cadre des zones protégées du réseau Natura 2000. Toutefois, ce réseau comprend également les « habitats d’une espèce », définis de manière distincte à l’article 1er, sous f), de ladite directive, dans lesquels vivent les espèces énumérées à l’annexe II de celle-ci. Le loup figurant à cette annexe, les États membres sont tenus de déterminer les zones de protection spéciale pour cette espèce.

36      Il y a lieu de constater que la notion d’« habitat d’une espèce » figurant à l’article 1er, sous f), de la directive « habitats », définie comme étant le « milieu défini par des facteurs abiotiques et biotiques spécifiques où vit l’espèce à l’un des stades de son cycle biologique », ne correspond pas à un territoire délimité de manière fixe et immuable.

37      En outre, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 42 de ses conclusions, il ressort des dispositions de la directive « habitats » relatives à la protection des sites que la protection des espèces animales ne saurait être limitée aux sites protégés. Ceux-ci n’ont pas été délimités dans le but de couvrir la totalité de l’habitat des espèces protégées, qui sont susceptibles d’occuper de vastes territoires. S’agissant de telles espèces, l’article 4, paragraphe 1, de la directive « habitats » dispose que les États membres doivent proposer une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels de l’annexe I et les espèces indigènes de l’annexe II qu’ils abritent. Cette disposition précise que, pour les espèces animales qui occupent de vastes territoires, ces sites d’habitats naturels correspondent aux lieux, au sein de l’aire de répartition naturelle de ces espèces, qui présentent les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et à leur reproduction.

38      Partant, en ce qui concerne les espèces animales protégées qui, tel le loup, occupent de vastes territoires, la notion d’« aire de répartition naturelle » est plus vaste que l’espace géographique qui présente les éléments physiques ou biologiques essentiels à leur vie et à leur reproduction. Cette aire correspond, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 37 de ses conclusions, à l’espace géographique dans lequel l’espèce animale concernée est présente ou s’étend dans le cadre de son comportement naturel.

39      Il en découle que la protection prévue à l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne comporte pas de limites ou de frontières et ne permet donc pas de considérer qu’un spécimen sauvage d’une espèce animale protégée se trouvant à proximité ou à l’intérieur de zones de peuplement humain, transitant par de telles zones ou se nourrissant des ressources produites par l’homme serait un animal qui a quitté son « aire de répartition naturelle », ou que cette dernière serait incompatible avec les établissements humains ou les aménagements anthropiques.

40      Une conclusion identique découle de la lecture du document d’orientation sur la protection stricte des espèces animales d’intérêt communautaire en vertu de la directive « habitats » 92/43/CEE (version finale, février 2007), qui décrit l’« aire de répartition naturelle » comme un concept dynamique, qui ne coïncide pas exactement avec les « zones réellement occupées ou le territoire dans lesquels un habitat, une espèce ou une sous-espèce est présent de manière permanente ».

41      Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 38 et 40 de ses conclusions, cette interprétation est également corroborée par la définition figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, signée à Bonn le 23 juin 1979 et conclue au nom de la Communauté par la décision 82/461/CEE du Conseil, du 24 juin 1982 (JO 1982, L 210, p. 10). Selon cette définition, l’« aire de répartition » couvre l’ensemble des surfaces terrestres ou aquatiques qu’une espèce migratrice habite, fréquente temporairement, traverse ou survole à un moment quelconque le long de son itinéraire habituel de migration. Ainsi, la définition de la notion d’« aire de répartition » d’une espèce prend en compte les zones de toute nature que traverse cette espèce.

42      Or, il ne serait pas cohérent de définir de manière différente les notions d’« aire de répartition naturelle » et d’« aire de répartition » figurant dans ces deux instruments juridiques et, partant, de faire diverger les champs d’application respectifs de ces derniers.

43      Il convient, par conséquent, de considérer qu’il ressort du contexte dans lequel s’inscrit l’article 12 de la directive « habitats » que le champ d’application territorial de cet article peut, en ce qui concerne une espèce protégée telle que le loup, couvrir des zones situées en dehors des sites protégés et, en particulier, inclure des zones de peuplement humain.

44      L’emploi des termes « dans la nature », au paragraphe 1, sous a) et c), de l’article 12 de la directive « habitats », ne permet pas d’infirmer ce constat. Il doit être compris en ce sens que la protection stricte des espèces animales protégées, au moyen des interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, est applicable non pas uniquement dans des lieux spécifiques, mais couvre tous les spécimens des espèces animales protégées qui vivent dans la nature ou à l’état sauvage et qui assurent, ainsi, une fonction dans les écosystèmes naturels, sans nécessairement s’appliquer aux spécimens faisant l’objet d’une forme légale de captivité.

45      Ces termes ne figurent ni au paragraphe 1, sous b), en vertu duquel les spécimens d’espèces animales protégées ne peuvent être perturbés « durant la période de reproduction, de dépendance, d’hibernation et de migration », ni au paragraphe 1, sous d), de cet article 12. Il est donc incontestable que les interdictions édictées à l’article 12, paragraphe 1, sous b) et d), de la directive « habitats » s’appliquent à tous les spécimens des espèces animales protégées, indépendamment du lieu où ils se trouvent. Or, force est de constater que la capture et, a fortiori, la mise à mort d’un spécimen de ces espèces doivent être considérées, à tout le moins, comme une perturbation.

46      S’agissant, en troisième lieu, de l’objectif poursuivi par la directive « habitats », il convient de rappeler que les articles 12, 13 et 16 de celle-ci forment un ensemble cohérent de règles visant à assurer la protection des populations des espèces concernées (arrêt du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni, C‑6/04, EU:C:2005:626, point 112). L’objectif commun de ces dispositions consiste à assurer une protection stricte des espèces animales protégées, au moyen des interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, les exceptions étant autorisées uniquement dans les conditions strictes énoncées à l’article 16, paragraphe 1, de ladite directive, lequel doit être interprété de manière restrictive (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2007, Commission/Autriche, C‑508/04, EU:C:2007:274, points 109 à 112, ainsi que du 15 mars 2012, Commission/Pologne, C‑46/11, non publié, EU:C:2012:146, point 29).

47      Le régime de protection prévu à l’article 12 de la directive « habitats » doit donc être en mesure d’empêcher effectivement que des atteintes soient portées aux espèces animales protégées.

48      Or, il ne serait pas compatible avec cet objectif de priver systématiquement de protection des spécimens d’espèces animales protégées lorsque leur « aire de répartition naturelle » s’étend à des zones de peuplement humain.

49      En revanche, l’interprétation selon laquelle l’« aire de répartition naturelle » de ces espèces, mentionnée à l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats », comprend également des zones situées en dehors des sites protégés et que la protection qui en découle n’est donc pas limitée à ces sites est de nature à permettre d’atteindre l’objectif consistant à interdire la mise à mort ou la capture de spécimens d’espèces animales protégées. En effet, il s’agit de protéger ces espèces non seulement dans certains lieux, définis de manière restrictive, mais également les spécimens de celles-ci qui vivent dans la nature ou à l’état sauvage et qui assurent, ainsi, une fonction dans les écosystèmes naturels.

50      Comme l’a relevé la Commission, dans de nombreuses régions de l’Union, les loups vivent dans des zones occupées par l’homme, à proximité immédiate d’établissements humains. L’anthropisation de ces espaces a aussi conduit à une adaptation partielle des loups à ces nouvelles conditions. Ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, le développement des infrastructures, l’exploitation forestière illégale, les exploitations agricoles et certaines activités industrielles ont contribué à exercer une pression sur la population de loups et sur son habitat. Il ressort également de ce dossier que les faits en cause au principal se sont déroulés à Șimon, village situé entre deux grands sites protégés sur lesquels vivent des populations de loups, de telle sorte que des migrations de loups entre ces sites peuvent avoir lieu.

51      Il résulte de ce qui précède qu’interpréter la notion d’« aire de répartition naturelle » et les termes « dans la nature », qui figurent à l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats », en ce sens que les zones de peuplement humain seraient exclues du champ d’application des dispositions relatives à la protection des espèces animales protégées serait incompatible non seulement avec le libellé et le contexte de cette disposition, mais aussi avec l’objectif qu’elle poursuit.

52      Dès lors, il y a lieu de constater que l’obligation de protéger strictement les espèces animales protégées, conformément aux articles 12 et suivants de la directive « habitats » s’applique à toute l’« aire de répartition naturelle » de ces espèces, que celles-ci se trouvent dans leur habitat habituel, dans des zones protégées ou, au contraire, à proximité d’établissements humains.

53      Force est, par ailleurs, de constater que plusieurs motifs de dérogation prévus à l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats » font expressément référence aux conflits qui peuvent survenir si un spécimen d’une espèce animale protégée entre en contact, voire en conflit, avec les humains ou avec leurs biens, notamment dans des situations telles que celles décrites au point 50 du présent arrêt.

54      La juridiction de renvoi s’interroge, à cet égard, sur le point de savoir si toute forme de capture intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées est interdite en l’absence de dérogation accordée par l’autorité nationale compétente sur le fondement de cette disposition.

55      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 23 du présent arrêt, il incombe, à cet égard, à l’État membre concerné d’adopter un cadre législatif complet, lequel peut comprendre, conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive « habitats », des mesures destinées à prévenir des dommages importants notamment aux cultures ou à l’élevage ou des mesures prises dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique.

56      Par conséquent, la capture et le transport d’un spécimen d’une espèce animale protégée relevant des interdictions prévues à l’article 12, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne peuvent être justifiés que s’ils font l’objet d’une dérogation adoptée par l’autorité nationale compétente au titre de l’article 16, paragraphe 1, sous b) et c), de cette directive, fondée, notamment, sur un motif de sécurité publique.

57      Il incombe, à cet effet, à l’État membre concerné d’adopter des dispositions permettant, en cas de nécessité, l’octroi effectif et en temps utile de telles dérogations.

58      Il convient, par ailleurs, de rappeler que l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », outre les motifs de dérogation susmentionnés, exige explicitement qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation accordée ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce concernée dans leur aire de répartition naturelle. Il incombe aux autorités nationales compétentes d’établir que tel est le cas, compte tenu, notamment, des meilleures connaissances scientifiques et techniques pertinentes ainsi qu’à la lumière des circonstances tenant à la situation spécifique en cause (voir, en ce sens, arrêt du 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola, C‑674/17, EU:C:2019:851, points 51 et 66).

59      Il appartient ainsi à la juridiction de renvoi de déterminer les conditions dans lesquelles le spécimen de l’espèce animale protégée en cause au principal a été placé sous sédatifs et transporté vers la réserve naturelle Libearty de Zărnești et dans quelle mesure cette opération constitue une « capture intentionnelle », au sens de l’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats », effectuée sur la base d’une dérogation adoptée dans le respect des exigences posées à l’article 16 de cette directive. Il convient également que cette juridiction s’assure que les incidences d’une telle opération sur l’état de conservation de la population des loups soient prises en compte.

60      Par ailleurs, constitue un élément pertinent, dans le cadre de la détermination de la sanction applicable, en l’occurrence, au titre de l’inobservation des obligations découlant de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », la circonstance, relevée par Mme l’avocate générale au point 69 de ses conclusions, selon laquelle la législation nationale n’aurait pas permis de réagir de manière adéquate, dans un laps de temps bref, au comportement du loup en cause au principal et de minimiser, ainsi, à un stade précoce les risques encourus. Il n’apparaîtrait pas non plus que le cadre juridique national comprenne, à cet égard, une réglementation ou des lignes directrices scientifiquement fondées.

61      Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que la capture et le transport du loup en cause au principal ne sauraient être considérés comme ayant été autorisés au regard de l’article 12, paragraphe 1, sous a), et de l’article 16, paragraphe 1, de la directive « habitats », ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée de la manière suivante :

–        L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive « habitats » doit être interprété en ce sens que la capture et le transport d’un spécimen d’une espèce animale protégée au titre de l’annexe IV de cette directive, telle que le loup, à la périphérie d’une zone de peuplement humain ou dans une telle zone, sont susceptibles de relever de l’interdiction prévue à cette disposition.

–        L’article 16, paragraphe 1, de ladite directive doit être interprété en ce sens que toute forme de capture intentionnelle de spécimens de cette espèce animale dans les circonstances susmentionnées est interdite en l’absence de dérogation accordée par l’autorité nationale compétente sur le fondement de cette disposition.

 Sur les dépens

63      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, telle que modifiée par la directive 2013/17/UE, du 13 mai 2013, doit être interprété en ce sens que la capture et le transport d’un spécimen d’une espèce animale protégée au titre de l’annexe IV de cette directive, telle que le loup, à la périphérie d’une zone de peuplement humain ou dans une telle zone, sont susceptibles de relever de l’interdiction prévue à cette disposition.

L’article 16, paragraphe 1, de ladite directive doit être interprété en ce sens que toute forme de capture intentionnelle de spécimens de cette espèce animale dans les circonstances susmentionnées est interdite en l’absence de dérogation accordée par l’autorité nationale compétente sur le fondement de cette disposition.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.