Language of document : ECLI:EU:T:2019:331

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 mai 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demandes de marques de l’Union européenne verbale et figurative Café del Sol et CAFE DEL SOL – Marque nationale figurative antérieure Café del Sol – Preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de la marque antérieure – Traduction – Droits de la défense – Article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 »

Dans les affaires jointes T‑89/18 et T‑90/18,

Ramón Guiral Broto, demeurant à Marbella (Espagne), représenté par Me J. L. de Castro Hermida, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. P. Sipos, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Gastro & Soul GmbH, établie à Hildesheim (Allemagne),

ayant pour objet des recours formés contre les décisions de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 4 décembre 2017 (affaires R 1095/2017-4 et R 1096/2017-4), relatives à des procédures d’opposition entre M. Guiral Broto et Gastro & Soul,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen, président, V. Kreuschitz (rapporteur) et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2018,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 3 août 2018,

vu la décision du 17 septembre 2018 portant jonction des affaires T‑89/18 et T‑90/18 aux fins de la phase écrite de la procédure, de l’éventuelle phase orale de la procédure et de la décision mettant fin à l’instance, vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 16 juillet 2007, Gastro & Soul GmbH a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié, lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)]. La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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2        Le 17 juillet 2007, Gastro & Soul a présenté une autre demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, en vertu du règlement no 40/94. La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal Café del Sol.

3        Les produits et les services pour lesquels ces enregistrements ont été demandés relèvent des classes 30, 35, 41, 43 et 45 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        Les demandes de marque de l’Union européenne ont été publiées au Bulletin des marques communautaires no 005/2008, du 4 février 2008.

5        Le 30 avril 2008, le requérant, M. Ramón Guiral Broto, a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement no 40/94 (devenu article 46 du règlement 2017/1001), à l’enregistrement des marques demandées pour tous les produits et services visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée, notamment, sur la marque espagnole figurative antérieure (ci-après la « marque antérieure »), enregistrée le 20 avril 2001, reproduite ci-après :

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7        La marque antérieure désignait des services relevant de la classe 42 au sens de l’arrangement de Nice.

8        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

9        Par décisions du 23 mai 2014 et du 28 août 2014, la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition pour les « services de restauration (alimentation) ; services d’hébergement ; restauration » relevant de la classe 43.

10      Le 22 juillet 2014 et le 27 octobre 2014, Gastro & Soul a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre les décisions de la division d’opposition dans la mesure où il y était partiellement fait droit à l’opposition.

11      Par décisions du 16 juillet 2015 (affaires R 2755/2014-5 et 1888/2014-5), la cinquième chambre de recours de l’EUIPO a annulé les décisions de la division d’opposition et rejeté l’opposition dans son intégralité (ci-après les « décisions du 16 juillet 2015 »). Elle a considéré que le requérant n’avait pas dûment apporté la preuve de l’existence et de la validité de sa marque antérieure dans le délai imparti par la division d’opposition.

12      Le 22 septembre 2015, le requérant a introduit un recours en annulation contre ces décisions devant le Tribunal.

13      Par arrêts du 13 décembre 2016, Guiral Broto/EUIPO – Gastro & Soul (CAFE DEL SOL) (T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719), et du 13 décembre 2016, Guiral Broto/EUIPO – Gastro & Soul (Café del Sol) (T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720), le Tribunal a annulé les décisions du 16 juillet 2015 au motif que la chambre de recours n’avait pas respecté le droit d’être entendu du requérant. Le Tribunal a jugé que, en soulevant de sa propre initiative le caractère incomplet de la traduction de la marque antérieure pour rejeter l’opposition du requérant sans l’avoir préalablement entendu sur cette question, la chambre de recours avait violé son droit d’être entendu.

14      Par décision du 23 mai 2017, le présidium des chambres de recours a renvoyé les affaires devant la quatrième chambre de recours.

15      Le 3 août 2017, le président de la quatrième chambre de recours a invité le requérant à se prononcer sur les raisons pour lesquelles la cinquième chambre de recours avait fait droit au recours dans ses décisions du 16 juillet 2015 et sur les conséquences qu’il convenait de tirer des arrêts du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL (T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719), et du 13 décembre 2016, Café del Sol (T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720) (ci-après la « communication du 3 août 2017 »). En outre, dans cette communication, le président de la quatrième chambre de recours a indiqué qu’elle ne comportait aucune invitation à produire à ce stade de la procédure des documents supplémentaires et que la chambre de recours se réservait le droit de rejeter toute preuve supplémentaire présentée en dehors des délais impartis.

16      Le 8 septembre 2017, le requérant a soumis ses observations à la quatrième chambre de recours à la suite de la communication du 3 août 2017.

17      Par décisions du 4 décembre 2017 (ci-après les « décisions attaquées »), la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a considéré que l’opposition était non fondée et a autorisé l’enregistrement des marques demandées également en ce qui concerne les « services de restauration (alimentation) ; services d’hébergement ; restauration » relevant de la classe 43. Elle a justifié cette conclusion en considérant, en substance, que, comme le requérant n’avait fourni qu’une traduction incomplète de sa marque antérieure, il n’avait pas prouvé à suffisance l’existence de ladite marque.

 Conclusions des parties

18      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler et révoquer les décisions attaquées sur la base des arguments avancés dans la requête ainsi que constater le bien-fondé de l’opposition fondée sur la marque antérieure ;

–        confirmer les décisions de la division d’opposition et, si le Tribunal n’est pas compétent, renvoyer le litige devant la chambre de recours avec l’obligation pour celle-ci d’admettre le bien-fondé de l’opposition ;

–        alternativement, révoquer et annuler les décisions attaquées pour incohérence, violation des droits de la défense et atteinte à la sécurité juridique et renvoyer les affaires devant la chambre de recours.

19      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

20      À l’appui de ses recours, le requérant invoque trois moyens. Le premier moyen est fondé sur le caractère suffisant des pièces justificatives de la marque antérieure. Le deuxième moyen est tiré de l’incohérence, de la violation des droits de la défense et de l’atteinte à la sécurité juridique en raison de la position de la quatrième chambre de recours quant à la possibilité de produire une traduction complète de la marque antérieure. Le troisième moyen est tiré du caractère subordonné, accessoire et auxiliaire des règles fixant des exigences formelles et de la possibilité de régulariser des irrégularités.

21      Le Tribunal estime opportun d’examiner le deuxième moyen en premier lieu.

22      Le requérant estime que l’EUIPO a violé ses droits de la défense et le principe de sécurité juridique en lui communiquant des informations contradictoires quant à la possibilité de soumettre des documents supplémentaires au cours de la procédure ayant précédé l’adoption des décisions attaquées.

23      Selon le requérant, ce n’est qu’en raison de l’avertissement formulé dans la communication du 3 août 2017 qu’il a renoncé à soumettre une traduction complète du certificat de la marque antérieure et ce serait en violation manifeste des obligations de cohérence des décisions et de protection de la sécurité juridique et de ses droits de la défense que la chambre de recours lui aurait reproché d’avoir omis de soumettre une traduction complète.

24      Selon l’EUIPO, la chambre de recours a dûment entendu le requérant sur l’irrégularité concernant la traduction du certificat d’enregistrement et sur l’insuffisance de justification de la marque en cause qui en a découlé. C’est en ce sens qu’aurait procédé la chambre de recours lorsqu’elle a émis la communication du 3 août 2017.

25      L’EUIPO estime que la communication du 3 août 2017 ne contenait aucun avertissement définitif quant au rejet d’une traduction comme irrecevable. Les indications selon lesquelles « la chambre de recours se réserve le droit de rejeter tout élément de preuve supplémentaire comme étant tardivement présenté » ne supposaient pas que tout document produit ultérieurement serait irrémédiablement déclaré irrecevable. De même, les phrases « [l]a preuve de l’usage a été fournie pour la marque antérieure, qui pourrait par la suite devoir faire l’objet d’un examen. L’opposante pourra également se prononcer sur la question de la preuve de l’usage » indiqueraient qu’il se pouvait que la marque antérieure soit par la suite considérée comme justifiée.

26      En outre, l’EUIPO estime que le président de la chambre de recours n’était pas compétent pour statuer seul sur la recevabilité d’un document justificatif produit tardivement. Cette question relève de la compétence de la chambre de recours en tant qu’organe collégial.

27      Le requérant serait l’unique responsable de l’erreur consistant à considérer que le président de la chambre de recours pouvait statuer, au préalable, sur la recevabilité d’un document qui n’avait même pas été produit. L’EUIPO considère que, même si le requérant a mal compris la communication du président, rien ne l’empêchait, en tout état de cause, de produire une traduction complète du certificat d’enregistrement à titre de précaution, par exemple.

28      Partant, l’EUIPO considère que les décisions attaquées ont été adoptées conformément à l’article 72, paragraphe 6, et à l’article 94 du règlement no 2017/1001.

29      Il convient de rappeler la jurisprudence établie selon laquelle, ainsi que le confirment les articles 41, 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les droits de la défense, qui incluent le droit d’être entendu, occupent une place et une portée très large dans l’ordre juridique de l’Union, ces droits devant s’appliquer à toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief. En outre, le respect de ces droits s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité. Ainsi, le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir, en ce sens, arrêts du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 74, et du 18 juin 2014, Espagne/Commission, T‑260/11, EU:T:2014:555, point 62 et jurisprudence citée).

30      Le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’autorité publique entend adopter [voir arrêt du 23 septembre 2015, Mechadyne International/OHMI (FlexValve), T‑588/14, non publié, EU:T:2015:676, point 13 et jurisprudence citée].

31      En l’espèce, à la suite des arrêts du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL (T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719), et du 13 décembre 2016, Café del Sol (T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720), ayant reconnu une violation des droits de la défense du requérant au motif que celui-ci n’avait pas été entendu sur le caractère incomplet de la traduction dans la langue de la procédure de la marque antérieure à l’origine de l’opposition fondant les décisions de la cinquième chambre de recours rejetant son opposition, les affaires ont été renvoyées par décisions du 23 mai 2017 devant la quatrième chambre de recours.

32      À la suite d’une demande du requérant d’être informé s’il était en droit de déposer d’autres documents et des délais applicables à cet égard, le président de la quatrième chambre de recours l’a invité dans la communication du 3 août 2017 à faire part de ses observations tant sur les raisons qui avaient amené la cinquième chambre de recours à rejeter son opposition que sur les conséquences qu’il convenait de tirer des arrêts du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL (T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719), et du 13 décembre 2016, Café del Sol (T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720). Le président de la quatrième chambre de recours a précisé que cette invitation ne comprenait pas une invitation à soumettre des documents additionnels et que la chambre de recours se réservait le droit de rejeter tout nouveau document comme produit tardivement.

33      Or, en donnant l’impression que le requérant n’était pas autorisé à produire des documents additionnels, le président de la quatrième chambre de recours a méconnu la portée des arrêts du 13 décembre 2016, CAFE DEL SOL (T‑549/15, non publié, EU:T:2016:719), et du 13 décembre 2016, Café del Sol (T‑548/15, non publié, EU:T:2016:720), reconnaissant au requérant la possibilité de soumettre à la chambre de recours une traduction dans la langue de procédure des indications de couleurs de la marque antérieure.

34      En outre, en procédant comme exposé au point 32 ci-dessus, le président de la quatrième chambre de recours a empêché le requérant de faire valoir utilement et effectivement son point de vue au cours de la procédure administrative.

35      En effet, ainsi qu’il ressort des observations du requérant du 8 septembre 2017, la communication du 3 août 2017 l’a incité à ne pas joindre à ses observations une traduction dans la langue de la procédure de la marque antérieure à l’origine de son opposition. Ladite communication a donc influé sur le contenu et sur la manière dont le requérant a fait valoir son point de vue.

36      Dans les décisions attaquées, la chambre de recours a d’ailleurs indiqué que, afin que celle-ci puisse exercer son pouvoir d’appréciation, il incombait au requérant de présenter une traduction complète et d’expliquer pourquoi il n’a pas été possible de présenter une traduction complète plus tôt (voir point 46 des décisions attaquées). En incitant le requérant dans la communication du 3 août 2017 à ne pas soumettre ladite traduction, le président de la quatrième chambre de recours a porté atteinte au droit du requérant de faire valoir son point de vue de façon utile et effective aux fins de son opposition et, partant, de voir la chambre de recours exercer son pouvoir d’appréciation.

37      Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’argument de l’EUIPO selon lequel la prise de position du président de la quatrième chambre de recours ne lie pas la chambre de recours. En effet, le président de la quatrième chambre de recours a donné l’apparence au requérant de disposer de la compétence pour se prononcer seul sur la possibilité de produire des documents à ce stade de la procédure. En outre, les arguments de l’EUIPO selon lesquels ladite prise de position ne supposait pas que toute preuve produite ultérieurement serait irrémédiablement déclarée irrecevable et que le requérant pouvait se prononcer sur la question de la preuve de l’usage n’altèrent pas le constat selon lequel la communication du 3 août 2017 a induit le requérant en erreur quant à la possibilité de soumettre des documents supplémentaires comprenant une traduction complète de la marque antérieure et cela a porté atteinte à son droit à faire utilement et effectivement valoir son point de vue devant la chambre de recours.

38      De surcroît, si le requérant avait soumis la traduction en cause, la chambre de recours aurait dû exercer le pouvoir d’appréciation dont elle disposait en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001.

39      En effet, cette disposition investit l’EUIPO d’un large pouvoir d’appréciation à l’effet de décider, tout en motivant sa décision sur ce point, s’il y a lieu ou non de prendre en compte des preuves produites tardivement (voir arrêt du 19 avril 2018, EUIPO/Group, C‑478/16 P, non publié, EU:C:2018:268, point 35 et jurisprudence citée).

40      La Cour a précisé à cet égard que même si la règle 50 du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1) [remplacé par le règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1)] n’élargit pas les pouvoirs d’appréciation des chambres aux preuves nouvelles, lorsque des éléments de preuve ont été produits dans le délai imparti par l’EUIPO, la production de preuves supplémentaires demeure possible (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2018, EUIPO/Group, C‑478/16 P, non publié, EU:C:2018:268, point 37 et jurisprudence citée).

41      Ainsi, lorsqu’aucune preuve de l’existence, de la validité et de l’étendue de la protection de la marque en cause n’est produite dans le délai imparti par l’EUIPO, le rejet de l’opposition doit être prononcé d’office. En revanche, lorsque des éléments de preuve ont été produits dans le délai imparti par l’EUIPO, la production de preuves supplémentaires demeure possible (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, EUIPO/Grau Ferrer, C‑597/14 P, EU:C:2016:579, points 26 et 27).

42      La preuve nouvelle se caractérise par l’absence de lien avec un autre document préalablement présenté ainsi que par sa production tardive alors que la preuve complémentaire ou supplémentaire est, à l’inverse, celle qui vient s’ajouter à d’autres preuves déjà présentées au préalable, dans le délai imparti (conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire EUIPO/Group, C‑478/16 P, EU:C:2017:939, point 60).

43      Afin d’enclencher l’exercice par la chambre de recours du pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, il suffit que la partie concernée ait présenté dans le délai imparti certaines preuves, pertinentes pour démontrer l’existence, la validité et l’étendue de la protection du droit antérieur, conformément à la règle 19, paragraphe 2, du règlement no 2868/95 (devenue article 7, paragraphe 2, du règlement délégué 2018/625), même si ces preuves sont insuffisantes pour démontrer tous ces éléments (conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire OHMI/Grau Ferrer, C‑597/14 P, EU:C:2016:2, point 93).

44      En l’espèce, il est constant que le requérant a produit dans les délais impartis devant la division d’opposition une reproduction de la marque antérieure, mais qu’il a omis de soumettre une traduction des indications « azul » et « blanco » et qu’il a produit dans les délais impartis devant la division d’opposition une traduction partielle de la description de ladite marque. Ainsi, le requérant a produit certaines traductions de ladite marque pour démontrer son existence, sa validité et l’étendue de sa protection. Ces éléments auraient enclenché l’exercice par la chambre de recours de son pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, s’il avait soumis une traduction complète de la marque antérieure et de sa description.

45      Cette appréciation n’est pas remise en cause par la règle 20, paragraphe 1, du règlement no 2868/95 (devenue article 8, paragraphes 1 et 7, du règlement délégué 2018/625), indiquant que l’opposition est rejetée comme non fondée si l’opposant n’a pas prouvé l’existence, la validité et l’étendue de la protection de la marque antérieure, ou par la règle 98, paragraphe 2, sous a), du règlement no 2868/95, indiquant qu’un document pour lequel une traduction doit être produite, mais dont la traduction n’est pas parvenue à l’EUIPO dans les délais impartis est réputé n’être jamais parvenu à l’EUIPO. En effet, la chambre de recours ne peut se fonder sur ces règles pour ne pas exercer le pouvoir d’appréciation dont elle dispose au titre de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, aux fins de la prise en compte de faits et de preuves tardivement produits [voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2017, Galletas Gullón/EUIPO – Hug (GULLON DARVIDA), T‑456/16, non publié, EU:T:2017:811, point 38 et jurisprudence citée].

46      Par ailleurs, dans la décision attaquée, la chambre de recours a allégué à tort que le dépôt d’une traduction incomplète permettait de considérer que le document original n’est jamais parvenu à l’EUIPO, de sorte que seules des preuves nouvelles et non des preuves supplémentaires auraient pu être déposées par le requérant. En effet, aux termes de la règle 19, paragraphe 4, du règlement no 2868/95 (devenue article 7, paragraphe 5, du règlement délégué 2018/625), l’EUIPO ne prend pas en considération les parties des documents qui ne sont pas traduites dans la langue de procédure dans le délai imparti par l’EUIPO. Dès lors, la chambre de recours ne pouvait pas considérer une traduction incomplète d’un certificat d’enregistrement comme étant l’équivalent d’une absence de dépôt de l’original de ce document devant l’EUIPO. Les parties du certificat d’enregistrement dûment traduites doivent être prises en compte par la chambre de recours lorsque celle-ci examine l’exercice de ses pouvoirs. Ainsi, comme exposé au point 44 ci-dessus, compte tenu des traductions déjà soumises par le requérant, la chambre de recours aurait été tenue d’exercer son pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, devenu article 95, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, si le requérant avait soumis une traduction complète de la marque antérieure et de sa description, à l’effet de décider s’il y a lieu ou non de prendre celle-ci en compte.

47      À cet égard, il y a lieu rappeler qu’une prise en compte par la chambre de recours d’éléments produits tardivement est susceptible de se justifier lorsque celle‑ci considère que, d’une part, ces éléments sont de prime abord susceptibles de revêtir une réelle pertinence en ce qui concerne le sort de l’opposition formée devant elle et, d’autre part, le stade de la procédure auquel intervient cette production tardive et les circonstances qui l’entourent ne s’opposent pas à cette prise en compte (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, EU:C:2013:638, point 38 et jurisprudence citée).

48      Une violation des droits de la défense entraîne l’annulation de la décision attaquée si, à défaut de cette irrégularité procédurale, il est démontré que la partie requérante aurait pu avoir une chance, même réduite, de mieux assurer sa défense [voir, en ce sens, arrêts du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, point 56 et du 5 mai 2015, Lidl Stiftung/OHMI – Horno del Espinar (Castello), T‑715/13, non publié, EU:T:2015:256, point 81].

49      Or, pour les motifs qui précèdent, le requérant a été induit en erreur par la communication du 3 août 2017 quant à la possibilité de soumettre des documents supplémentaires comprenant une traduction complète de la marque antérieure et cela a porté atteinte à son droit à faire utilement et effectivement valoir son point de vue devant la chambre de recours. Si le requérant avait soumis une traduction complète de sa marque, la chambre de recours aurait dû exercer son pouvoir d’appréciation afin d’accepter ou non cette traduction, et si elle l’avait acceptée, il ne peut être exclu qu’elle eut accueilli l’opposition.

50      Partant, les décisions attaquées doivent être annulées en raison d’une violation des droits de la défense du requérant.

51      En ce qui concerne les autres conclusions, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, n’a pas pour effet de conférer à celui‑ci le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, de procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72). Compte tenu du fait que la violation des droits de la défense du requérant par la chambre de recours a privé le requérant de potentiellement produire des documents complémentaires comprenant une traduction complète de la marque antérieure et que si de tels documents avaient été produits, la chambre de recours aurait disposé d’un pouvoir d’appréciation quant à leur prise en compte, le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre. Partant, lesdites conclusions doivent être rejetées.

 Sur les dépens

52      En vertu de l’article 133, du règlement de procédure du Tribunal, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance.

53      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

54      En l’espèce, l’EUIPO a succombé pour l’essentiel. Toutefois, le requérant n’a pas conclu à la condamnation de l’EUIPO aux dépens. Partant, chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les décisions de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 4 décembre 2017 (affaires R 1095/2017-4 et R 1096/2017-4) relatives à des procédures d’opposition entre M. Ramón Guiral Broto et Gastro & Soul GmbH sont annulées.

2)      Les recours sont rejetés pour le surplus.

3)      L’EUIPO et M. Guiral Broto sont chacun condamnés à leurs propres dépens.


Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 mai 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.