Language of document : ECLI:EU:C:2020:493

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 25 juin 2020 (1)

Affaire C808/18

Commission européenne

contre

Hongrie

« Manquement d’État – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2013/32/UE – Procédure nationale d’examen de la demande de protection internationale – Article 6 – Accès effectif – Article 43 – Garanties procédurales – Article 46, paragraphes 5 et 6 – Absence de l’effet suspensif des demandes de recours introduites contre les décisions administratives refusant l’octroi du statut de réfugié – Directive 2013/33/UE – Article 2, sous h) – Placement obligatoire dans des zones de transit – Notion de “rétention” – Directive 2008/115/CE – Article 5, article 6, paragraphe 1, article 12, paragraphe 1 et article 13, paragraphe 1 – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier »






Table des matières


I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2008/115

2. La directive 2013/32

3. La directive 2013/33

B. Le droit hongrois

1. La loi relative au droit d’asile

2. La loi sur les frontières de l’État

II. La procédure précontentieuse

III. Analyse

A. Sur l’absence d’accès effectif à la procédure d’asile

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’exacte identification de l’obligation faisant l’objet du grief

b) Application au cas d’espèce

B. Sur la violation des règles de procédure applicables aux demandes de protection internationale

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32

b) Sur le nonrespect des garanties inscrites dans l’article 43 de la directive 2013/32

c) Sur l’article 72 TFUE

C. Sur la rétention généralisée des demandeurs d’asile et le nonrespect des garanties procédurales pertinentes

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’existence d’une rétention

b) Sur la légalité de la rétention

D. Sur le nonrespect des procédures fixées par la directive 2008/115

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’applicabilité de la directive 2008/115

b) Sur l’article 72 TFUE

E. Sur l’absence d’effectivité des recours introduits contre les décisions rejetant une demande d’asile

1. Arguments des parties

2. Appréciation

IV. Dépens

V. Conclusion


1.        Dans le cadre de la présente affaire, la Commission européenne a saisi la Cour d’un recours au titre de l’article 258, second alinéa, TFUE, en vue de faire constater que la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de certaines dispositions de la directive 2013/32/UE (2), de la directive 2013/33/UE (3) et de la directive 2008/115/CE (4).

2.        D’une portée extrêmement large, ce recours remet en question la compatibilité avec le droit de l’Union d’une partie substantielle de la réglementation hongroise régissant les procédures d’examen des demandes d’asile et celles visant à exécuter le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire national. Les problématiques juridiques qu’il soulève revêtent un intérêt certain, notamment en ce qui concerne la question de savoir si la situation des demandeurs d’asile hébergés dans les zones de transit à la frontière serbo-hongroise doit être qualifiée de « rétention » au sens de la directive 2013/33.

3.        Accentuant le caractère sensible de l’arrêt à venir, l’interprétation donnée par la Cour pourrait, dans la situation actuelle, où d’autres États membres durcissent leurs législations nationales en la matière, avoir des implications allant bien au-delà de la présente affaire.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2008/115

4.        L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit :

« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :

a)      faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;

[...] ».

5.        L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les État membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5. »

6.        L’article 12, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. »

7.        Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 :

« Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. »

2.      La directive 2013/32

8.        L’article 3 de la directive 2013/32 dispose :

« 1.      La présente directive s’applique à toutes les demandes de protection internationale présentées sur le territoire des États membres, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit, ainsi qu’au retrait de la protection internationale.

[...] ».

9.        L’article 6 de cette directive dispose :

« 1.      Lorsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande.

Si la demande de protection internationale est présentée à d’autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les États membres veillent à ce que l’enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande.

[...]

2.      Les États membres veillent à ce que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale aient la possibilité concrète de l’introduire dans les meilleurs délais. Si les demandeurs n’introduisent pas leur demande, les États membres peuvent appliquer l’article 28 en conséquence.

3.      Sans préjudice du paragraphe 2, les États membres peuvent exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné.

[...]

5.      Lorsque, en raison du nombre élevé de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu au paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir de porter ce délai à dix jours ouvrables. »

10.      L’article 24, paragraphe 3, de ladite directive énonce :

« Lorsque des demandeurs ont été identifiés comme étant des demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales, les États membres veillent à ce qu’un soutien adéquat leur soit accordé pour qu’ils puissent, tout au long de la procédure d’asile, bénéficier des droits et se conformer aux obligations prévus par la présente directive.

Lorsqu’un tel soutien adéquat ne peut être fourni dans le cadre des procédures visées à l’article 31, paragraphe 8, et à l’article 43, notamment lorsque les États membres estiment qu’un demandeur nécessite des garanties procédurales spéciales parce qu’il a été victime de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle, les États membres n’appliquent pas, ou cessent d’appliquer, l’article 31, paragraphe 8, et l’article 43. Si les États membres appliquent l’article 46, paragraphe 6, à un demandeur à l’égard duquel l’article 31, paragraphe 8, et l’article 43 ne peuvent être appliqués en vertu du présent alinéa, les États membres prévoient au moins les garanties prévues à l’article 46, paragraphe 7. »

11.      L’article 26, paragraphe 1, de la même directive prévoit :

« Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur. Les motifs et les conditions de la rétention, ainsi que les garanties données aux demandeurs placés en rétention sont conformes à la directive 2013/33/UE. »

12.      L’article 43 de la directive 2013/32, intitulé « Procédures à la frontière », dispose :

« 1.      Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur : 

a)      la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33, présentée en de tels lieux ; et/ou

b)      le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8.

2.      Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre afin que sa demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la présente directive.

3.      Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit. »

13.      L’article 46 de cette directive prévoit :

« [...]

5.      Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l’attente de l’issue du recours.

6.      En cas de décision :

a)      considérant une demande comme manifestement infondée conformément à l’article 32, paragraphe 2, ou infondée après examen conformément à l’article 31, paragraphe 8, à l’exception des cas où les décisions sont fondées sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, point h) ;

b)      considérant une demande comme irrecevable en vertu de l’article 33, paragraphe 2, points a), b), ou d) ;

c)      rejetant la réouverture du dossier du demandeur après qu’il a été clos conformément à l’article 28 ; ou

d)      de ne pas procéder à l’examen, ou de ne pas procéder à l’examen complet de la demande en vertu de l’article 39,

une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre et lorsque, dans ces cas, le droit de rester dans l’État membre dans l’attente de l’issue du recours n’est pas prévu par le droit national 

[...]

8.      Les États membres autorisent le demandeur à rester sur leur territoire dans l’attente de l’issue de la procédure visant à décider si le demandeur peut rester sur le territoire, visée aux paragraphes 6 et 7.

[...] »

3.      La directive 2013/33

14.      Aux termes de l’article 8 de la directive 2013/33 :

« 1.      Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive [2013/32].

2.      Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

3.      Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

a)      pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

b)      pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ;

c)      pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ;

d)      lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la [directive 2008/115], pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ;

e)      lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ;

f)      conformément à l’article 28 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride.

Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national.

[...] »

15.      L’article 9 de cette directive dispose :

« [...]

2.      Le placement en rétention des demandeurs est ordonné par écrit par les autorités judiciaires ou administratives. La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est basée.

3.      Lorsque le placement en rétention est ordonné par les autorités administratives, les États membres prévoient un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité du placement en rétention d’office et/ou à la demande du demandeur. Lorsqu’il a lieu d’office, ce contrôle est décidé le plus rapidement possible à partir du début du placement en rétention. Lorsqu’il a lieu à la demande du demandeur, il est décidé le plus rapidement possible après le lancement de la procédure pertinente. À cette fin, les États membres définissent dans leur droit national le délai dans lequel ont lieu le contrôle juridictionnel d’office et/ou le contrôle juridictionnel à la demande du demandeur.

Lorsque, à la suite du contrôle juridictionnel, le placement en rétention est jugé illégal, le demandeur concerné est libéré immédiatement.

[...] »

16.      L’article 11, paragraphe 2, de ladite directive prévoit :

« Les mineurs ne peuvent être placés en rétention qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées efficacement. Ce placement en rétention doit être d’une durée la plus brève possible et tout doit être mis en œuvre pour libérer les mineurs placés en rétention et les placer dans des lieux d’hébergement appropriés pour mineurs.

[...] »

B.      Le droit hongrois

1.      La loi relative au droit d’asile

17.      L’article 71/A de la menedékjogról szóló 2007. évi LXXX. törvény (loi no LXXX relative au droit d’asile, de 2007, ci‑après la « loi relative au droit d’asile ») prévoit :

« 1.      Si l’étranger introduit sa demande dans la zone de transit :

a)      avant d’entrer sur le territoire de la Hongrie ; ou

b)      après avoir été intercepté sur le territoire de la Hongrie à l’intérieur d’une bande de [huit kilomètres] à compter du tracé de la frontière extérieure au sens de l’article 2, alinéa 2, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) (5) ou des signes de démarcation de la frontière, et escorté jusqu’au portail d’une installation servant à protéger l’ordre à la frontière, telle que prévue par la loi sur les frontières de l’État ;

il convient d’appliquer les dispositions du présent chapitre avec les dérogations prévues au présent article.

[...]

4.      Si quatre semaines se sont écoulées depuis l’introduction de la demande, la police des étrangers autorise l’entrée sur le territoire conformément à la loi. 

5.      Si la demande n’est pas irrecevable, la police des étrangers autorise l’entrée sur le territoire conformément à la loi.

6.      Si l’entrée sur le territoire hongrois est autorisée, l’autorité compétente en matière d’asile conduit la procédure d’asile conformément aux règles générales.

7.      Les règles de la procédure à la frontière ne s’appliquent pas aux personnes ayant besoin d’un traitement spécial. »

18.      L’article 31/A, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile reproduit mot par mot les motifs de placement en rétention prévus à l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2013/33. L’article 31/A, paragraphe 2, de cette loi énonce que « [l]e placement en rétention des demandeurs d’asile peut être ordonné à l’issue d’une appréciation au cas par cas et uniquement si l’objectif poursuivi ne peut être atteint par une mesure garantissant que la personne concernée reste à disposition », et l’article 31/A, paragraphe 5, prévoit que « [l]e placement en rétention des demandeurs d’asile est ordonné par une décision qui est exécutoire dès sa notification ».

19.      L’article 31/B de ladite loi énonce :

« 1.      Aucun placement en rétention ne saurait être ordonné au seul motif qu’une demande d’asile a été introduite.

2.      Aucun placement en rétention ne saurait être ordonné à l’encontre d’un demandeur d’asile mineur non accompagné.

3.      Le placement en rétention ne peut être ordonné à l’encontre de familles avec des enfants mineurs qu’à titre de mesure de dernier recours, en tenant compte avant tout de l’intérêt supérieur des enfants.

[...] »

20.      Aux termes de l’article 80/H de la loi relative au droit d’asile :

« En cas de situation de crise engendrée par une immigration massive, les dispositions des chapitres I à IV et V/A à VIII doivent être appliquées avec les dérogations prévues aux articles 80/I à 80/K. »

21.      L’article 80/I, sous i), de la loi relative au droit d’asile écarte l’application des articles 30 et 31 [sous a)], ainsi que des articles 71/A à 72 [sous i)] de la même loi.

22.      Aux termes de l’article 80/J de la loi relative au droit d’asile :

« 1.      La demande d’asile doit être introduite en personne devant l’autorité compétente et exclusivement dans la zone de transit, sauf si le demandeur d’asile :

a)      fait l’objet d’une mesure coercitive, d’une mesure ou d’une condamnation restreignant la liberté individuelle ;

b)      fait l’objet d’une mesure de rétention ordonnée par l’autorité compétente en matière d’asile ;

c)      séjourne légalement sur le territoire hongrois et ne demande pas à être hébergé dans un centre d’accueil.

2.      Le demandeur d’asile est soumis à la procédure d’asile depuis l’introduction de sa demande de protection internationale devant l’autorité compétente, jusqu’à la notification de la décision adoptée à l’issue de la procédure quand elle n’est plus susceptible de recours.

[...]

4.      Pendant la durée de la procédure, les demandeurs d’asile séjournant dans la zone de transit ne bénéficient pas des droits visés à l’article 5, paragraphe 1, sous a) et c).

5.      L’autorité compétente en matière d’asile assigne au demandeur d’asile la zone de transit comme son lieu de séjour, jusqu’à ce que soit devenue exécutoire l’ordonnance de transfert au titre du règlement de Dublin ou la décision qui n’est plus susceptible de recours. Le demandeur d’asile peut quitter la zone de transit en franchissant le portail de sortie.

6.      Si le demandeur d’asile est un mineur non accompagné de moins de 14 ans, l’autorité compétente en matière d’asile conduit la procédure d’asile conformément aux règles générales, après l’entrée du mineur dans le pays. Elle lui trouve sans délai un hébergement temporaire et demande simultanément à l’autorité compétente en matière de tutelles de désigner un tuteur chargé de protéger et de représenter le mineur. Le tuteur doit être désigné dans les huit jours suivant la réception de la demande de l’autorité compétente en matière d’asile. L’autorité compétente en matière de tutelles communique sans délai le nom du tuteur désigné au mineur non accompagné et à l’autorité compétente en matière d’asile. »

23.      L’article 80/K de cette loi prévoit :

« [...]

2.      L’autorité compétente en matière d’asile prend une décision sur la base des informations dont elle dispose, ou clôt la procédure, si le demandeur d’asile :

[...]

d)      quitte la zone de transit.

[...]

4.      La décision mettant fin à la procédure en application du paragraphe 2 ci‑dessus ne peut pas être attaquée dans le cadre d’une procédure administrative contentieuse. 

[...] »

2.      La loi sur les frontières de l’État

24.      L’article 15/A de la államhatárról szóló, 2007. évi LXXXIX (loi n° LXXXIX sur les frontières de l’État, de 2007, ci‑après « loi sur les frontières de l’État ») dispose :

« 1.      Une zone de transit peut être créée dans la zone visée à l’article 5, paragraphe 1, afin de servir de lieu de séjour temporaire aux personnes demandant à bénéficier de l’asile ou de la protection subsidiaire (ci‑après le “demandeur d’asile”) et de lieu où se déroulent les procédures en matière d’asile et de police migratoire et qui abrite les installations nécessaires à cette fin.

2.      Le demandeur d’asile se trouvant dans la zone de transit peut entrer sur le territoire hongrois :

a)      si l’autorité compétente en matière d’asile prend une décision octroyant la protection internationale ;

b)      si les conditions d’application des règles générales concernant la procédure d’asile sont réunies, ou

c)      s’il est nécessaire d’appliquer les dispositions de l’article 71/A, paragraphes 4 et 5, de la loi [relative au droit d’asile].

2 bis.            Dans une situation de crise engendrée par une immigration massive, l’entrée sur le territoire hongrois d’un demandeur d’asile se trouvant dans la zone de transit peut être autorisée dans les cas visés au paragraphe 2, points a) et b).

[...] »

II.    La procédure précontentieuse

25.      Le 11 décembre 2015, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la Hongrie relative à la violation par cet État membre de l’article 46, paragraphes 1, 3, 5 et 6, de la directive 2013/32, interprété à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que de l’article 3, paragraphe 8, de la directive 2010/64/UE (6). La Commission y exprimait ses préoccupations quant à l’effet des recours juridiques en cas de procédures à la frontière, à l’absence d’effet suspensif automatique des recours introduits contre les décisions négatives en matière d’asile, à la garantie d’un entretien personnel dans le cadre du contrôle juridictionnel des décisions rejetant les demandes comme étant irrecevables et des décisions prises à l’issue d’une procédure accélérée, à la compétence procédurale autonome des juges assistants dans le cadre des procédures de contrôle juridictionnel et enfin au non‑respect des règles juridiques de l’Union concernant le droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.

26.      La Hongrie a répondu à la lettre de mise en demeure par un courrier reçu par la Commission le 12 février 2016, par lequel cet État membre faisait valoir que la législation hongroise pertinente était compatible avec le droit de l’Union.

27.      Le 7 mars 2017, la Hongrie a adopté la loi n° XX de 2017, modifiant la loi relative au droit d’asile. La Commission a considéré que cette loi suscitait de nouvelles préoccupations, venant s’ajouter à celles exposées dans la lettre de mise en demeure du 11 décembre 2015, relatives aux points suivants : l’éloignement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en contradiction avec les procédures fixées dans la directive 2008/115, la non‑garantie d’un accès effectif à la procédure d’asile, l’extension illégale de la procédure à la frontière, le placement généralisé des demandeurs d’asile en rétention, le non‑respect des garanties procédurales prévues, l’application inappropriée du principe du pays tiers sûr, le non‑versement de l’allocation journalière aux demandeurs de protection internationale, la violation des règles de l’Union en matière de couverture des frais liés aux conditions d’accueil et la réduction, de huit à trois jours, du délai d’introduction des demandes de contrôle des décisions de premier niveau rejetant une demande d’asile.

28.      Le 18 mars 2017, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure complémentaire à la Hongrie par laquelle elle lui reprochait de ne pas respecter les obligations lui incombant en vertu de l’article 5, de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115, des articles 3, 6 et 7, de l’article 24, paragraphe 3, de l’article 31, paragraphe 8, des articles 33, 38, 43 et de l’article 46, paragraphe 1, 3, 5 et 6 de la directive 2013/32, ainsi que des articles 2, 8, 9, 11 et de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2013/33 lus en combinaison avec l’article 2, sous g), et avec l’article 17, paragraphes 3 et 4, de cette même directive, et enfin des articles 6, 18 et 47 de la Charte.

29.      La Hongrie a répondu à la lettre de mise en demeure complémentaire par un courrier du 18 juillet 2017 avant de compléter sa réponse les 20 octobre 2017 et 20 novembre 2017. Tout en affirmant qu’il considérait la législation hongroise concernée comme compatible avec le droit de l’Union, cet État membre a procédé à l’alignement de cette législation sur ce droit sur certains points précis.

30.      En conséquence, le 8 décembre 2017, la Commission a envoyé à la Hongrie un avis motivé, qui lui a été notifié le même jour, dans lequel elle a déclaré que la Hongrie :

–        en limitant, lors de la procédure de recours contre une décision rejetant la demande de protection internationale, l’examen visé à l’article 46, paragraphe 3, de la directive 2013/32 aux faits et aux points d’ordre juridique examinés dans le cadre de l’adoption de la décision,

–        en ne transposant pas en droit national l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32 et en adoptant des dispositions qui dérogent à la règle générale de l’effet suspensif automatique dans des situations qui ne relèvent pas de l’article 46, paragraphe 6, de cette même directive,

–        en reconduisant de l’autre côté de la clôture frontalière les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire hongrois sans respecter les procédures et les garanties définies à l’article 5, à l’article 6, paragraphe 1, à l’article 12, paragraphe 1, et à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115,

–        en disposant que la demande d’asile doit être introduite personnellement auprès de l’autorité compétente, et exclusivement dans la zone de transit,

–        en disposant qu’il convient d’appliquer à tous les demandeurs d’asile (à l’exception des enfants de moins de 14 ans) une procédure dont le résultat est que ces demandeurs d’asile doivent rester en rétention pendant toute la durée de la procédure d’asile dans les installations d’une zone de transit qu’ils ne peuvent quitter qu’en prenant la direction de la Serbie, et n’assortissant pas cette rétention des garanties appropriées,

–        en réduisant de huit à trois jours le délai imparti pour introduire une demande de contrôle des décisions de premier niveau rejetant une demande d’asile,

–        n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 5, de l’article 6, paragraphe 1, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et des articles 3 et 6, de l’article 24, paragraphe 3, de l’article 43 et de l’article 46, paragraphes 3, 5 et 6, de la directive 2013/32, et enfin de l’article 2, sous h), et des articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33, lus en combinaison avec les articles 6, 18 et 47 de la Charte.

31.      La Hongrie a répondu à l’avis motivé le 8 février 2018. Elle a réitéré son opinion quant à la compatibilité des normes de droit hongrois en cause avec le droit de l’Union et les a justifiées en invoquant la situation de crise engendrée par une immigration massive ainsi que l’article 72 TFUE.

32.      N’ayant pas été convaincue par les arguments avancés par la Hongrie, la Commission a saisi la Cour le 21 décembre 2018. La Hongrie a déposé son mémoire en défense le 11 mars 2019. Les parties ont également déposé un mémoire en réplique et un mémoire en duplique, respectivement le 23 avril 2019 et le 4 juin 2019.

33.      Lors de l’audience du 10 février 2020, la Commission et la Hongrie ont présenté des observations orales et ont répondu aux questions de la Cour.

34.      En application de l’article 61, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, les parties ont été invitées, à la demande du juge rapporteur, à soumettre les statistiques en leur possession concernant la durée moyenne de l’hébergement des demandeurs d’asile dans les zones de transit situées à la frontière serbo-hongroise, ainsi que certaines dispositions nationales qui ne figuraient pas dans les écritures. Les parties ont déposé leurs réponses dans le délai imparti. Le 20 mai 2020, la Cour a communiqué ces réponses aux parties en les invitant à présenter, le cas échéant, des observations jusqu’au 1er juin 2020. Seule la Hongrie a donné suite à cette invitation. Dans ses observations, la Hongrie a notamment soutenu que, suite à la fermeture desdites zones de transit et au déplacement des personnes y séjournant dans des centres d’accueil ouverts, auxquels elle avait procédé en exécution de l’arrêt FMS e.a. (7), la circonstance sur laquelle repose la thèse d’une rétention généralisée de tous les demandeurs d’asile en raison du séjour en zone de transit, qui a été développée dans la requête de la Commission, a disparu. Par conséquent, cette partie du présent recours serait devenue sans objet.

III. Analyse

35.      À titre liminaire, je me borne à observer que la fin de non-recevoir, soulevée par la Hongrie, tirée de la récente fermeture des zones de transit, ne saurait prospérer au regard de la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle l’intérêt de la Commission à introduire un recours en manquement existe même lorsque l’infraction reprochée a été éliminée postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé (8). Dans une telle hypothèse, le recours conserve en effet son objet, qui peut consister notamment à établir la base d’une responsabilité qu’un État membre peut encourir en conséquence de son manquement à l’égard de ceux qui en tirent des droits (9). Au vu de cela, il me semble possible de passer à l’appréciation du fond de l’ensemble du présent recours.

36.      Ce recours s’articule, en substance, autour des cinq griefs qu’il convient d’examiner successivement.

A.      Sur l’absence d’accès effectif à la procédure d’asile

1.      Arguments des parties

37.      Par son premier grief, la Commission estime que, en prescrivant que la demande d’asile doit être introduite en personne devant l’autorité nationale compétente, et exclusivement dans la zone de transit, dans laquelle seulement un petit nombre de personnes est autorisé à pénétrer, la Hongrie viole les obligations lui incombant en vertu des articles 3 et 6 de la directive 2013/32.

38.      À cet égard, la Commission fait observer que la loi n° XX de 2017 a modifié la loi relative au droit d’asile en introduisant une procédure dérogatoire durant une situation de crise provoquée par une immigration massive, laquelle instituerait comme règle générale, à quelques rares exceptions près, que la demande d’asile doit être introduite en personne et exclusivement dans les deux zones de transit à la frontière serbo-hongroise, à savoir Röszke et Tompa.

39.      Après avoir fait état de ses préoccupations quant aux conditions de vie dans lesdites zones de transit, la Commission souligne que les autorités hongroises compétentes n’autorisent qu’un nombre très limité d’entrées dans ces zones. En effet, les rapports du Haute-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du représentant spécial du secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés indiqueraient que le nombre maximal de demandeurs de protection internationale admis par la Hongrie se serait progressivement réduit jusqu’à ce que, au mois de mai 2018, cet État ait pratiquement fermé les frontières à ces demandeurs.

40.      Il ressortirait également de ces rapports que certaines personnes se trouvent devant l’entrée de la zone de transit, sur une étroite bande de terre, et que l’admission dans la zone s’effectue sur la base d’une liste d’attente informelle, qui serait transmise par des « chefs de communauté » aux autorités hongroises. Quand bien même la Hongrie nierait contribuer à l’élaboration d’une telle liste d’attente, elle n’en contesterait pas l’existence. Aucune infrastructure n’existant dans ladite bande de terre et l’admission dans la zone de transit s’effectuant au compte-gouttes, surtout depuis le mois de janvier 2018, et généralement sur la base de ladite liste d’attente, peu de personnes patienteraient devant la zone de transit. Lesdits rapports indiqueraient également que les personnes souhaitant demander une protection internationale doivent attendre plusieurs mois avant de pouvoir entrer dans la zone de transit, cette attente pouvant durer jusqu’à dix-huit mois.

41.      La Commission fait observer qu’il résulte des articles 3 et 6 de la directive 2013/32 que les États membres sont tenus de faire en sorte que toute personne souhaitant obtenir une protection internationale puisse introduire une demande sur leur territoire et ait accès, après son arrivée sur leur territoire, à la procédure d’octroi de ladite protection. L’obligation d’enregistrer les demandes de protection internationale au plus tard trois jours ouvrables après leur présentation, consacrée à l’article 6 de cette directive, se réfère également aux demandes introduites à la frontière d’un État membre. De surcroît, l’effet utile même de l’obligation d’accorder une protection internationale, telle que prévue à l’article 18 de la Charte, serait méconnu si les États membres pouvaient refuser l’enregistrement des demandes présentées à leur frontière.

42.      En résumé, la Commission soutient que, en n’autorisant que les personnes se trouvant dans la zone de transit à présenter et à faire enregistrer une demande de protection internationale et en restreignant de manière extrêmement sévère l’accès à cette zone, la Hongrie ne donnerait pas aux personnes se trouvant aux frontières hongroises la possibilité de présenter une demande et de faire enregistrer cette dernière dans le délai prévu par la directive 2013/32.

43.      La Commission ajoute que l’on ne saurait pas affirmer de bonne foi que peu de gens souhaitent introduire une demande de protection internationale en Hongrie sous prétexte que seuls quelques individus patientent devant la zone de transit. En effet, compte tenu du fait que l’attente précédant l’entrée dans la zone de transit ne serait possible que sur une étroite bande de terre sans la moindre infrastructure, que le nombre de personnes autorisées à entrer dans la zone aurait été progressivement réduit jusqu’à une seule personne par jour, et que l’admission se ferait sur la base d’une liste d’attente informelle, il serait difficilement envisageable que les demandeurs attendent debout en file indienne durant les mois d’hiver, sans toit ni nourriture, et sans la moindre chance réaliste de pénétrer dans la zone de transit.

44.      En tout état de cause, la Commission estime que, même indépendamment du nombre exact de personnes en attente, un système qui subordonne le droit à l’enregistrement conféré à l’article 6 de la directive 2013/32 à une condition d’introduction de la demande en un lieu précis, auquel l’accès est limité sur une longue période, ne serait pas conforme à la règle, inscrite dans le même article, selon laquelle l’accès à la procédure doit être garanti en temps utile.

45.      La Hongrie soutient que les demandeurs de protection internationale n’ont pas le droit de pouvoir choisir leur pays d’asile et qu’il convient d’avoir égard, non seulement à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32, mais également aux paragraphes 2 et 3 de cette disposition, dont il découlerait que le législateur de l’Union autorise les États membres à exiger que le demandeur introduise sa demande en personne dans un lieu désigné. Serait dès lors conforme à cette exigence l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, en vertu duquel, en cas de situation de crise engendrée par une immigration massive (10), la demande d’asile doit être introduite en personne devant l’autorité compétente dans la zone de transit.

46.      En particulier, l’affirmation de la Commission selon laquelle il n’est pas garanti que les demandes introduites dans la zone de transit soient enregistrées par l’autorité compétente en matière d’asile conformément à la directive 2013/32 serait erronée dans la mesure où, une fois la demande introduite dans la zone de transit, la procédure démarrerait selon les règles générales. Ainsi, l’article 32/D de la loi relative au droit d’asile garantirait le fait que, après l’introduction de la demande, l’autorité compétente en matière d’asile enclenche la procédure immédiatement ou dans les vingt-quatre heures au plus tard, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32.

47.      En outre, si les autorités hongroises sont au courant de la pratique qui consiste à ce que les demandeurs d’asile qui, en Serbie, accèdent à la procédure d’asile ou à une assistance, se présentent devant les zones de transit dans un ordre déterminé par eux‑mêmes, par les autorités serbes ou par certaines organisations, les autorités hongroises n’auraient toutefois aucune influence sur l’ordre ainsi établi et ne participerait absolument pas à l’élaboration ou à l’utilisation de telles listes.

48.      Selon la Hongrie, l’« étroite bande de terre » évoquée par la Commission ne saurait à aucun égard expliquer le petit nombre de demandeurs. En effet, dès lors que le territoire hongrois se trouvant devant la zone de transit est contigu à des territoires serbes, un nombre considérable de personnes désireuses d’introduire une demande d’asile pourrait sans problème attendre devant la zone de transit. L’absence de longue file d’attente, à laquelle fait référence la Commission, s’expliquerait plutôt par le fait que les personnes concernées font ou faisaient déjà l’objet d’une procédure d’asile en cours en Serbie, et bénéficieraient d’une assistance dans cet État.

2.      Appréciation

a)      Sur l’exacte identification de l’obligation faisant l’objet du grief

49.      La Commission invoque, en tant que fondement juridique du premier grief, une lecture combinée des articles 3 et 6 de la directive 2013/32. L’article 3 de cette directive prévoit que ses dispositions s’appliquent à toutes les demandes de protection internationale présentées sur le territoire des États membres, y compris à la frontière, ce qui implique que l’article 6 de ladite directive est applicable au cas d’espèce. Eu égard à cette dernière disposition, il convient d’identifier l’obligation spécifique à laquelle la Hongrie se serait soustraite en l’espèce.

50.      L’article 6 de la directive 2013/32 définit les obligations à la charge des États membres dans la phase initiale de la procédure d’octroi de la protection internationale. Selon cet article, les États membres sont avant tout tenus d’enregistrer toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride aux autorités nationales dans les trois ou six jours ouvrables après la présentation, ce délai étant augmenté jusqu’à dix jours lorsque, en raison du nombre élevé de personnes qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu à titre principal. Par la suite, les États membres doivent veiller à ce que les personnes concernées bénéficient de la possibilité concrète d’introduire leur demande dans les meilleurs délais.

51.      Dans son mémoire en réponse, la Hongrie semble considérer que l’obligation dont la violation lui est imputée est celle d’enregistrer la demande de protection internationale dans les délais prévus à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32. Toutefois, je relève que, face à l’affirmation de la Hongrie selon laquelle les autorités hongroises procèdent régulièrement à l’enregistrement dans les vingt-quatre heures qui suivent la présentation de la demande dans une des zones de transit, la Commission a précisé, dans son mémoire en réplique, qu’elle reprochait à la Hongrie non pas le « caractère inapproprié » de la procédure d’octroi de la protection internationale en vigueur dans cet État membre, qui découlerait du non‑respect des délais prescrits pour l’enregistrement de la demande de protection internationale, mais bien le fait que la Hongrie n’a pas garanti laccès  à celle‑ci « en temps utile ».

52.      Ce faisant, la Commission se réfère à une obligation en quelque sorte préalable par rapport à celle d’enregistrer la demande de protection internationale dans les délais prescrits à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2013/32, à savoir l’obligation d’assurer un accès effectif à la procédure d’octroi de la protection internationale en permettant la présentation de toute demande de protection internationale (11). En effet, bien qu’elle ne se matérialise pas par une disposition spécifique, il me paraît évident que cette obligation est consubstantielle à l’exigence de garantir un effet utile à l’article 6 de la directive 2013/32, et à la directive dans son ensemble, étant donné que, si elle n’est pas respecté par les États membres concernés, l’ensemble des normes procédurales harmonisées y consacrées resterait lettre morte.

53.      En vue de parvenir à une caractérisation plus précise de cette obligation, des éléments primordiaux peuvent être déduits de la proposition de la Commission relative à la directive 2005/85 (12), dont la directive 2013/32 n’a pas modifiée la philosophie de base en matière d’accès à la procédure, dans la mesure où cette proposition caractérise le droit corrélatif des demandeurs potentiels d’avoir accès à la procédure de la manière suivante : « Les demandeurs d’asile doivent avoir accès à la procédure d’asile dès que possible. Des règles sur les procédures d’asile n’ont aucun sens  si les personnes qui souhaitent obtenir la protection ne peuvent obtenir un accès effectif à la procédure d’asile de cet État ou sont abandonnés à leur sort sur son territoire pendant une durée inutilement longue parce que les autorités ne reconnaissent pas à leurs demandes la qualité de demandes d’asile [...] ». Ce passage me semble en effet impliquer à la fois que, premièrement, l’obligation s’imposant aux États membres est non pas une simple obligation de s’abstenir d’entraver la présentation d’une demande de protection internationale, mais bien une obligation positive de la faciliter en adoptant un comportement proactif à l’égard des personnes susceptibles de présenter une telle demande et que, deuxièmement, elle n’est pas respectée lorsque les États membres ne reconnaissent que tardivement une manifestation ou expression de la part de ces personnes de la crainte d’être renvoyées dans leurs pays, qui doit être comprise comme la présentation d’une demande de protection internationale.

54.      En ce qui concerne le premier de ces deux éléments, il me paraît que la directive 2013/32 l’a codifié, dans la mesure où elle prévoit, à son article 8, paragraphe 1, que les États membres sont tenus de fournir aux ressortissants de pays tiers ou aux apatrides placés en rétention ou présents à des points de passage frontaliers des informations sur la possibilité de présenter une demande de protection internationale s’il existe des éléments donnant à penser qu’ils peuvent souhaiter en présenter une. À cet égard, il importe d’observer que le « Guide pratique : accès à la procédure d’asile » établi par le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) et l’Agence européenne de garde-frontières et des garde-côtes (Frontex), précise que « [l]es gardes-frontières et les agents de premier contact ont le devoir de faire preuve de proactivité afin de garantir un accès effectif à la procédure d’asile. Ils ont le devoir d’identifier les personnes susceptibles de vouloir demander une protection internationale, de les informer au sujet du droit de demander l’asile et de leur communiquer les informations sur la marche à suivre pour présenter une demande » (13) (14).

55.      Quant au second élément, il est vrai que la directive 2013/32 n’impose pas de délai aux États membres pour recueillir la présentation d’une telle demande. On ne saurait en déduire pour autant que les États membres peuvent, à leur guise, soumettre les demandeurs potentiels à un délai d’attente excessif avant que ceux‑ci ne puissent présenter leur demande. Une telle lecture reviendrait, en effet, à vider de son contenu le droit de ces demandeurs d’accéder à la procédure d’octroi de la protection internationale qui vise à son tour à rendre effectif le droit d’asile consacré à l’article 18 de la Charte. Partant, j’estime, à l’instar de la Commission, que l’obligation leur incombant de garantir un accès effectif à cette procédure impose aux États membres de prévoir un dispositif d’accueil de telle manière que les personnes désireuses d’obtenir une protection internationale puissent utilement présenter leurs demandes.

56.      J’examinerai dès lors la question de savoir si la Hongrie s’est acquittée, dans les circonstances de l’espèce, de l’obligation dont la teneur vient d’être déterminée.

b)      Application au cas d’espèce

57.      Il convient tout d’abord de préciser que le manquement reproché à la Hongrie comporte deux composantes. La première est l’obligation imposée par l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, selon laquelle les personnes désireuses d’obtenir une protection internationale qui ne séjournent pas déjà légalement sur le territoire hongrois sont tenues de se présenter dans l’une des zones de transit afin d’enclencher la procédure d’octroi de l’asile. La seconde tient au fait que l’accès à ces zones de transit a été drastiquement restreint au cours de la période allant du début de la crise migratoire (septembre 2015) jusqu’à présent. Or, j’annonce d’ores et déjà que, à mon sens, les éléments de preuve apportés par la Commission sont de nature à démontrer à suffisance de droit la réalité de ces deux composantes.

58.      En ce qui concerne l’obligation imposée par l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile et décrite ci‑dessus, la Hongrie n’a guère contesté le fait que, dans le cadre des dispositions dérogatoires applicables en cas de situation de crise engendrée par une immigration massive, les personnes désireuses d’obtenir une protection internationale sont tenues de se rendre, conformément à l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, dans l’une des zones de transit de Röszke ou de Tompa, situées à la frontière serbo-hongroise, afin de présenter leur demande et ainsi d’enclencher la procédure d’octroi de la protection internationale.

59.      Quant à la limitation progressivement drastique de l’accès aux zones de transit alléguée par la Commission, il y a lieu de relever qu’à aucun moment de la présente procédure la Hongrie n’a remis en question l’exactitude des données ressortant des rapports, rédigés par différents organismes internationaux, selon lesquelles :

–        en septembre 2015 le ministre de l’Intérieur hongrois avait informé le HCR que le nombre maximale d’admissions dans la zone de transit était fixé à 100 personnes par jour, nombre ayant été par la suite réduit à 50 personnes en février 2016, puis à 30 personnes en mars 2016 (15) ;

–        en novembre 2016 seulement dix personnes par jour étaient autorisées à pénétrer dans la zone de transit, et ce nombre a été réduit à cinq par jour en 2017 – cette dernière donnée étant d’ailleurs confirmée par un rapport du secrétaire général du Conseil de l’Europe (16) – et puis à une seule personne par jour depuis janvier 2018 (17) ;

–        en mai 2018, le nombre de personnes admises dans les zones de transit était de dix par semaine ;

–        en raison de cette progressive limitation de l’accès aux zones de transit, les personnes souhaitant demander une protection internationale sont obligées d’attendre plusieurs mois avant d’être admises dans les zones de transit, cette attente pouvant durer de onze à dix-huit mois (18).

60.      Par ailleurs, la Hongrie reconnaît expressément que l’admission dans la zone de transit s’effectue sur la base d’une liste d’attente informelle transmise par des « chefs de communauté » aux autorités hongroises (19). En effet, loin de contester l’existence de cette liste et son utilisation, elle se borne à affirmer qu’elle ne participe pas à l’établissement de celle‑ci et n’a aucune influence sur l’ordre d’admission ainsi établi.

61.      Sur la base de ces éléments, on peut, partant, considérer que les personnes souhaitant demander une protection internationale à la frontière serbo-hongroise sont obligées d’endurer une attente de onze à dix-huit mois avant de pouvoir être admises dans l’une des zones de transit et de procéder ainsi à la présentation de leur demande. Or, il me semble que cette situation est précisément celle envisagée par la Commission dans la proposition relative à la directive 2005/85, dans la mesure où des personnes souhaitant obtenir une protection internationale sont en l’espèce abandonnées à leur sort sur le territoire hongrois pendant une durée inutilement longue, car l’autorité hongroise compétente ne considère pas la manifestation ou l’expression d’une crainte d’être renvoyées dans leur pays, intervenue en dehors d’une zone de transit, comme une présentation de demande de protection internationale. En présence d’un délai d’attente d’une telle longueur, je ne vois pas comment on pourrait considérer que le système d’accueil hongrois est configuré de manière à permettre aux demandeurs potentiels de présenter utilement leur demande. En raison de cela, j’estime que la combinaison entre l’obligation d’origine législative de se rendre dans une des zones de transit pour présenter la demande de protection internationale et la limitation drastique du nombre de personnes autorisées à y pénétrer n’est pas compatible avec l’obligation de garantir un accès effectif à la procédure d’octroi de la protection internationale, telle qu’elle se déduit de la finalité de l’article 6 de la directive 2013/32 et qu’elle a été caractérisée ci‑dessus.

62.      Il convient néanmoins de noter que la Hongrie attire l’attention sur le fait qu’il n’y a qu’un faible nombre de personnes qui attendent sur la bande de terre située devant la zone de transit. Selon cet État membre, cela s’expliquerait non pas par les restrictions à l’admission mises en œuvre par les autorités hongroises, associées à l’absence de toute infrastructure dans cette bande, ainsi que le prétend la Commission, mais bien par l’existence de la liste d’attente informelle appliquée du côté serbe, élément sur lequel lesdites autorités n’auraient aucune influence. Or, même à supposer que le nombre très limité des personnes admises dans les zones de transit ne serait imputable qu’à l’existence d’une telle liste, la conclusion atteinte au point précédent quant à la violation de l’obligation de garantir aux personnes désireuses d’obtenir une protection internationale un accès effectif à la procédure pertinente ne serait pas différente.

63.      En effet, il est difficile d’imaginer comment la circonstance incontestée que la Hongrie aurait toléré l’existence de cette liste, et aurait même participé activement à son fonctionnement au moyen d’une coopération étroite avec les « chefs de communauté », ainsi qu’il me semble ressortir d’un des rapports du HCR cités par la Commission, pourrait se concilier avec le caractère positif de l’obligation de garantir un accès effectif à la procédure en cause. Ce caractère implique en effet, ainsi que je l’ai indiqué ci‑dessus, un comportement proactif des autorités compétentes de l’État membre concerné visant à faciliter la présentation des demandes de protection internationale par les personnes souhaitant le faire.

64.      Les autres arguments avancés par la Hongrie pour démontrer l’absence de violation de l’article 6 de la directive 2013/32 n’emportent pas non plus ma conviction.

65.      Me semble dénué de pertinence l’argument selon lequel l’application de cette directive au cas d’espèce aurait pour effet de conférer aux personnes concernées un droit subjectif de pouvoir choisir leur pays d’asile (« right to asylum shopping »), qui ne découlerait ni de l’article 18 de la Charte ni de la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève, , le 28 juillet 1951, dès lors que l’obligation incombant à l’État d’accueil de garantir un accès effectif à la procédure d’octroi de la protection internationale fait abstraction du pays tiers par lequel ces personnes sont arrivées sur le territoire de cet État ou à ses frontières. D’ailleurs, j’estime que les concepts de « premier pays d’asile », de « pays d’origine sûr » et de « pays tiers sûr » prévus par la directive 2013/32 permettent déjà aux États membres d’empêcher le choix du pays d’asile sans compromettre l’accès à la procédure en cause.

66.      Ne saurait non plus prospérer l’argument selon lequel l’obligation de se rendre dans un lieu déterminé pour présenter la demande de protection internationale se justifierait par le fait que, selon les chiffres communiqués par l’administration et la police des frontières, la plupart des personnes entrant illégalement en Hongrie tentent de franchir la frontière à proximité des zones de transit. En effet, cela ne pourrait en aucun cas légitimer l’existence d’une disposition de droit interne, tel l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, faisant obstacle à la présentation d’une telle demande en violation des exigences découlant de l’article 6 de la directive 2013/32.

67.      La Hongrie a également soutenu que l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile devait être considérée comme étant compatible avec la directive 2013/32 dans la mesure où l’article 6, paragraphe 3, de cette dernière permet aux États membres d’exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné. Cet argument doit, à mon sens, faire l’objet d’une attention accrue.

68.      Je tiens à préciser d’ores et déjà qu’il me paraît fondé sur une prémisse erronée. En effet, il ne fait guère de doute que l’absence d’accès effectif à la procédure d’octroi de la protection internationale, reprochée par la Commission en l’espèce, concerne non pas la phase d’introduction de la demande de protection internationale, mais bien celle, antérieure à cette dernière, de la présentation d’une telle demande (20). Or, tant le libellé que l’économie de l’article 6 de la directive 2013/32 témoignent de l’existence de ces deux phases distinctes, impliquant des conclusions opposées quant à la faculté de l’État membre d’accueil de prévoir des obligations pour les personnes concernées. Si des obligations peuvent effectivement être mises à la charge des personnes ayant déjà présenté la demande de protection internationale, l’exigence de garantir un accès effectif à la procédure implique qu’aucune obligation ne peut en revanche peser sur des personnes qui ne l’ont pas encore présentée. Une telle lecture est confirmé par les explications de la proposition modifiée relative à la directive 2013/32, selon lesquelles « une distinction plus nette est établie entre les termes “présenter” et “déposer” [qui a été remplacé par “introduire” dans le texte final de la directive] s’agissant d’une demande de protection internationale » et « une demande est réputée être “présentée” dès lors qu’une personne qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire présente une demande de protection à un État membre. Cette action ne requiert aucune formalité  administrative. Lesdites formalités ont lieu lors du “dépôt” [“introduction”] de la demande (21) (22) ».

69.      La récente proposition de règlement sur les procédures d’octroi de la protection internationale me paraît conforter cette interprétation. Soucieuse de rationaliser et de simplifier le déroulement de la procédure, la Commission y a distingué de manière rigoureuse les différentes étapes dont se compose l’accès à celle‑ci, à savoir la présentation, l’enregistrement et l’introduction de la demande de protection internationale. Dans ce cadre, l’obligation pour les personnes désireuses d’obtenir une protection internationale de se rendre en personne et en un lieu désigné par l’État membre d’accueil figure à l’article 28 de ladite proposition de règlement, intitulé « Introduction d’une demande de protection internationale », tandis qu’aucune obligation à la charge de ces personnes figure à l’article 25 de cette même proposition de règlement, intitulé « Présentation d’une demande de protection internationale » (23).

70.      En tout état de cause, la faculté laissée aux États membres, conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2013/32, d’exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et en un lieu désigné doit s’entendre « sans préjudice du paragraphe 2 » de cet article. En d’autres termes, elle ne peut en aucun cas être exercée de manière à empêcher les personnes concernées d’introduire leur demande de protection internationale « dans les meilleurs délais ». Or, sachant que ces personnes ne sont en mesure d’accéder à la zone de transit qu’à la suite d’une attente d’une durée de onze à dix-huit mois, ainsi que cela a été illustré ci‑dessus, il me semble hautement improbable que la Hongrie puisse se prévaloir, à bon droit, de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2013/32 pour justifier de la compatibilité de l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile avec le droit de l’Union.

71.      En conclusion, j’estime que, en prescrivant que la demande d’asile doit être présentée en personne devant l’autorité nationale compétente, et exclusivement dans une des zones de transit, dans lesquelles cette autorité n’admet qu’un petit nombre de personnes, la Hongrie viole l’obligation qui lui incombe en vertu des articles 3 et 6 de la directive 2013/32.

72.      Je considère partant qu’il y a lieu d’accueillir le premier grief du présent recours en manquement.

B.      Sur la violation des règles de procédure applicables aux demandes de protection internationale

1.      Arguments des parties

73.      Par son deuxième grief, la Commission considère que, dès lors que l’article 43 de la directive 2013/32 régit exhaustivement les conditions d’application de la procédure à la frontière, la Hongrie, en appliquant une procédure particulière à titre de règle générale, au cours de laquelle les garanties prévues par cette directive ne sont pas assurées, ne respecte pas les obligations lui incombant en vertu de l’article 43 et de l’article 24, paragraphe 3, de ladite directive.

74.      La loi n° XX de 2017 aurait introduit des nouvelles dispositions incompatibles avec l’article 43 de la directive 2013/32. Premièrement, selon l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile, toute procédure prévue dans cette loi, qu’elle porte sur la recevabilité ou sur le fond, devrait se dérouler dans la zone de transit, contrairement à ce que disposerait cet article 43. Deuxièmement, l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile ne limiterait pas la durée de la procédure à quatre semaines ainsi que l’exigerait ledit article 43. Troisièmement, la procédure prévue par cette loi ne respecterait pas non plus les garanties procédurales figurant au chapitre II de la directive 2013/32, notamment le soutien adéquat dont doivent bénéficier les personnes ayant besoin d’un traitement spécial conformément à l’article 24, paragraphe 3, de cette directive.

75.      Par ailleurs, l’article 72 TFUE ne permettrait pas aux États membres de refuser l’application du droit de l’Union sur un plan général, sans la moindre référence à des personnes concrètes, en invoquant le maintien de l’ordre public et de la sécurité intérieure. À cet égard, la Commission fait remarquer, d’une part, que la situation de crise engendrée par une immigration massive, qui a motivé l’adoption de la loi n° XX de 2017, ne semble pas avoir été déclarée sur le territoire hongrois pour une période transitoire, et, d’autre part, que d’autres règles de droit de l’Union viseraient à permettre aux États membres d’opter pour des solutions souples en cas d’urgence et de s’écarter, dans une certaine mesure, des règles généralement applicables, sans compromettre l’effet utile du droit de l’Union. À ce propos, la Cour aurait déjà précisé qu’il n’existerait pas une réserve générale, inhérente au traité, excluant du champ d’application du droit de l’Union toute mesure prise au titre de la sécurité publique et que les dispositions du traité relatives à la sécurité publique, telle que l’article 72 TFUE, concerne des hypothèses exceptionnelles bien délimitées.

76.      La Hongrie estime que les procédures menées dans les zones de transit ne sont pas des procédures à la frontière et qu’elles ne doivent pas, par conséquent, être conformes aux exigences découlant de l’article 43 de la directive 2013/32.

77.      Les zones de transit hongroises ne seraient en effet pas juridiquement assimilables aux zones de transit visées à cette disposition. Cela s’expliquerait par le fait que la modification introduite par la loi n° XX de 2017 aurait mis en place des nouvelles règles de procédure en cas de situation de crise engendrée par une immigration massive et aurait simultanément modifié la fonction des zones de transit. Lorsqu’une telle crise est déclarée, l’article 80/I, sous i), de la loi relative au droit d’asile exclurait l’application des règles de procédure à la frontière, de telle sorte que les règles de procédure « ordinaires » prévues par la directive 2013/32 s’appliqueraient. Cela impliquerait que, sur le fondement de la réglementation nationale actuellement en vigueur, les zones de transit de Röszke et de Tompa seraient, en substance, des institutions d’accueil situées à proximité de la frontière, et non pas des « zones de transit » au sens de l’article 43 de la directive 2013/32, où seraient menées les procédures d’asile en application des règles générales.

78.      Une autre raison pour laquelle la procédure dans les zones de transit de Röszke et de Tompa ne saurait de toute évidence être qualifiée de procédure à la frontière serait que l’autorité nationale compétente en matière d’asile pas seulement y examinerait la question de l’irrecevabilité, mais qu’elle se prononcerait également, en cas de recevabilité, sur le fond de la demande.

79.      Quant au non‑respect de garanties inscrites dans le chapitre II de la directive 2013/32, notamment de l’obligation d’accorder le soutien adéquat exigé à l’article 24, paragraphe 3, de cette directive, allégué par la Commission, la Hongrie rétorque que l’article 4, paragraphe 3, de la loi relative au droit d’asile pose le principe selon lequel les dispositions de cette même loi doivent, en ce qui concerne les personnes ayant besoin d’un traitement spécial, être appliquées en tenant compte des besoins spécifiques desdites personnes. Par conséquent, l’autorité nationale compétente en matière d’asile serait constamment attentive, au cours de la procédure, aux besoins des personnes pour lesquelles un traitement spécial est requis.

80.      En tout état de cause, la Hongrie fait valoir que l’article 72 TFUE l’autoriserait à déclarer une situation de crise engendrée par une immigration massive et à appliquer, dans une telle situation, des règles de procédure dérogatoires aux fins du maintien de l’ordre publique et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.

2.      Appréciation

81.      Le présent grief porte sur les modifications apportées à la loi relative au droit d’asile par la loi n° XX de 2017, visant à durcir davantage les procédures spéciales, qui dérogent aux dispositions générales de la loi relative au droit d’asile dans le cas d’une situation de crise engendrée par une immigration massive – situation qui a duré sans interruption en Hongrie du 15 septembre 2015 jusqu’au 7 mars 2019, et était donc bien en vigueur au moment de l’expiration du délai fixé par l’avis motivé (2 février 2018). Ces modifications législatives ont eu pour effet, selon la Commission, de rendre la procédure accomplie dans les zones de transit incompatible avec les garanties attachées aux procédures à la frontière conformément à l’article 43 de la directive 2013/32.

82.      La Hongrie conteste la prémisse même sur laquelle se fonde la violation desdites garanties, à savoir celle selon laquelle cette procédure relève de la notion de « procédure à la frontière », de telle sorte que l’article 43 de la directive 2013/32 est applicable aux circonstances de l’espèce. Pour ce motif, avant de procéder à l’examen de la question de savoir si, à la suite de l’introduction des modifications susmentionnées, les modalités de mise en œuvre de la procédure en cause respectent les garanties prévues à cette disposition, ainsi que celle inscrite à l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2013/32 (section b), je prendrai position sur la question liminaire de l’applicabilité de celle‑ci (section a).

a)      Sur l’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32

83.      Tout d’abord, il convient de retracer les lignes essentielles de la principale argumentation défensive développée par la Hongrie. Selon cet État membre, s’il est vrai que les installations de Röszke et de Tompa ont servi, jusqu’au mois de mars 2017, à l’accomplissement des procédures à la frontière, il est également nécessaire de prendre en compte le fait que la loi n° XX du 2017, qui a écarté, en cas de crise engendrée par une immigration massive, les dispositions internes régissant la procédure à la frontière au profit d’un régime juridique spécial correspondant à la prétendue application des règles de procédure « générales » de la directive 2013/32, a simultanément modifié la fonction de ces installations. Si, avant cette modification, le statut juridique de ces dernières correspondait à celui de « zones de transit » au sens de l’article 43 de la directive 2013/32, elles seraient actuellement, en substance, des institutions d’accueil situées à proximité de la frontière, où les procédures d’asile se dérouleraient conformément aux règles de procédure générales. Le fait qu’une institution d’accueil se trouve à proximité de la frontière n’entraînerait pas nécessairement sa qualification de « zone de transit », ainsi que la qualification des procédures y menées de « procédures à la frontière » aux fins de l’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32.

84.      Cet argument se fonde, à mon sens, sur une prémisse erronée quant à la raison d’être de la « procédure à la frontière » prévue audit article 43.

85.      Il convient de rappeler que, par cette disposition, le législateur de l’Union a offert aux États membres la possibilité de cantonner la population des demandeurs de protection internationale à leurs frontières et d’y traiter, dans un bref délai, les demandes présentées, sans restriction en ce qui concerne l’analyse de la recevabilité mais dans le cadre d’une compétence limitée, c’est‑à‑dire dans les hypothèses énumérées à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32 pour l’appréciation au fond de la demande. À cette fin, ce législateur fait référence, dans le libellé de l’article 43 de cette directive, à une compétence que les États membres ont le droit d’exercer « à leur frontière ou dans leurs zones de transit », la conjonction « ou » n’impliquant pas que les zones de transit doivent se trouver dans un lieu différent des frontières des États membres mais visant uniquement à mettre en avant un lieu communément utilisé pour l’examen des demandes de protection internationale présentées à la frontière.

86.      Il s’ensuit que, ainsi que je l’ai récemment exposé dans mes conclusions présentées dans le cadre des affaires jointes FMS e.a. (24), l’élément fondamental pour déterminer la qualification des procédures menées par les autorités nationales compétentes au regard de l’article 43 de la directive 2013/32 est la territorialité de celles‑ci (25). Si les États membres font usage de la possibilité qui leur est offerte d’établir des procédures dans un lieu localisé à leur frontière, cette disposition trouve à s’appliquer (26).

87.      À cet égard, il est constant que :

–        les demandes d’asile doivent nécessairement être présentées dans les zones de transit de Röszke et de Tompa, conformément à l’article 80/J, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, ainsi que cela a été largement développé au cours de l’examen du premier grief du présent recours en manquement ;

–        l’autorité nationale compétente assigne au demandeur d’asile, conformément à l’article 80/J, paragraphe 5, de la même loi, une des zones de transit comme son lieu de séjour, jusqu’à ce que soit devenue exécutoire l’ordonnance de transfert au titre du règlement (UE) n° 604/2013 (27) ou la décision qui n’est plus susceptible de recours.

88.      Au regard de ces éléments objectifs, il ne fait guère de doute, à mon avis, que, puisqu’elle est accomplie intégralement à l’intérieur d’une structure située le long de la frontière, la procédure d’examen des demandes d’asile relève du champ d’application de l’article 43 de la directive 2013/32.

89.      Cette conclusion n’est assurément pas infirmée par l’argument selon lequel le fait que, au cours d’une telle procédure, l’autorité nationale compétente en matière d’asile se prononce sur le fond, au-delà des hypothèses énumérées à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32, serait de nature à empêcher la qualification d’une telle procédure de « procédure à la frontière ». Cet argument revient, en effet, à affirmer que l’article 43 de la directive 2013/32 n’est pas applicable à la procédure en question au motif que les modalités de mise en œuvre de cette dernière ne sont pas compatibles avec cet article, ce qui traduit un pur sophisme.

b)      Sur le nonrespect des garanties inscrites dans l’article 43 de la directive 2013/32

90.      Une fois établi que la procédure mise en œuvre par l’autorité hongroise compétente en matière d’asile dans les zones de transit de Röszke et de Tompa relève bien de l’article 43 de la directive 2013/32, il y a lieu d’examiner le bien‑fondé de l’allégation selon laquelle, à la suite des modifications introduites par la loi n° XX de 2017, cette procédure ne respecte pas les garanties inscrites dans une telle disposition, notamment celles en vertu desquelles les États membres ne peuvent se prononcer que sur la recevabilité de la demande ou sur le fond dans les hypothèses énumérées à l’article 31, paragraphe 8, de la directive 2013/32 (première branche du deuxième grief), et la durée de la procédure doit être limitée à quatre semaines, étant entendu que, si aucune décision n’a été pas prise dans ce délai, le demandeur de protection internationale doit se voir accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre concerné (deuxième branche du deuxième grief). En outre, la Commission fait valoir que la procédure en cause ne respecte pas non plus l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2013/32, applicable à la procédure à la frontière en raison du renvoi opéré par ledit article 43 de cette directive aux « principes et garanties fondamentales visées au chapitre II », selon lequel un « soutien adéquat » doit être fourni aux demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales (troisième branche du deuxième grief).

91.      Les trois branches doivent, à l’évidence, être accueillies.

92.      Concernant la première branche, il est constant entre les parties que toute procédure prévue par la loi relative au droit d’asile doit se dérouler dans la zone de transit, qu’elle porte sur la recevabilité ou sur le fond. En effet, ainsi que je l’ai rappelé précédemment, l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile dispose que l’autorité nationale compétente en matière d’asile assigne au demandeur d’asile la zone de transit comme lieu de séjour jusqu’à ce que soit devenue exécutoire l’ordonnance de transfert au titre du règlement de Dublin ou la décision qui n’est plus susceptible de recours, sans limiter la compétence de cette autorité aux deux cas de figure prévus à l’article 43, paragraphe 1, de la directive 2013/32.

93.      Pour ce qui est de la deuxième branche, il est également constant entre les parties que l’article 80/I, sous i), de la loi relative au droit d’asile ainsi que l’article 15/A, paragraphe 2 bis, de la loi sur les frontières de l’État écartent l’application des dispositions législatives nationales autorisant l’entrée sur le territoire hongrois d’un demandeur d’asile se trouvant dans une zone de transit lorsque quatre semaines se sont écoulées depuis l’introduction de sa demande, et imposant à l’autorité nationale compétente en matière d’asile de mener une procédure conformément aux règles générales (articles 71/A et 72 de la loi relative au droit d’asile), dispositions législatives nationales qui transposent les prescriptions de l’article 43, paragraphe 2, de la directive 2013/32.

94.      Quant à la troisième branche, il convient de rappeler que l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2013/32 prévoit, de manière générale, que les États membres doivent assurer un « soutien adéquat » aux demandeurs de protection internationale nécessitant des garanties procédurales spéciales tout au long de la procédure d’asile, cette disposition concernant également les personnes dont la demande est examinée conformément aux règles de la procédure à la frontière décrites à l’article 43 de la directive 2013/32.

95.      L’article 24, paragraphe 3, de la directive 2013/32 a fait l’objet, conformément à l’article 5 de cet acte, d’une transposition favorable par la Hongrie, en ce sens que l’article 71/A, paragraphe 7, de la loi relative au droit d’asile exclut les demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales (28) du champ d’application du dispositif national transposant les règles susmentionnées. Toutefois, il est constant que l’article 80/I, sous i), de la loi relative au droit d’asile a écarté l’application dudit article 71/A, paragraphe 7, en cas de situation de crise caractérisée par une immigration massive (29), régime juridique appliqué par les autorités hongroises de manière continue depuis sa création. En outre et surtout, la loi no XX de 2017 a instauré un dispositif spécifique pour les demandeurs de protection internationale nécessitant des garanties procédurales spéciales, en ce sens que l’article 80/J, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile, se limite à prévoir l’application de certaines garanties procédurales au profit des mineurs non accompagnés de moins de 14 ans, c’est‑à‑dire une petite fraction de la catégorie des demandeurs concernés. Cette situation caractérise, selon moi, une violation de l’article 24, paragraphe 3, de la directive 2013/32 par les autorités hongroises.

96.      À cet égard, la seule invocation par la Hongrie de l’article 4, paragraphe 3, de la loi relative au droit d’asile, selon lequel « [i]l convient, en ce qui concerne les personnes ayant besoin d’un traitement spécial, d’appliquer les dispositions de la présente loi en tenant compte des besoins spécifiques qui résultent de leur situation », n’est pas de nature à infirmer cette conclusion, s’agissant d’une disposition assimilable à une simple pétition de principe, contredite par l’articles 80/I, sous i), et l’article 80/J, paragraphe 6, de la même loi.

97.      Compte tenu de ce qui précède, il est proposé à la Cour, en guise de conclusion intermédiaire, de déclarer, dans son arrêt à venir, que, puisque la procédure à la frontière se déroulant dans les zones de transit ne respecte pas les garanties prévues à l’article 43 de la directive 2013/32, ainsi que celle inscrite à l’article 24, paragraphe 3, de la celle‑ci, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de ces deux dispositions.

c)       Sur larticle 72 TFUE

98.      En tout état de cause, l’application des règles divergeant de celles édictées par la directive 2013/32 serait, selon la Hongrie, justifiée en l’espèce par l’article 72 TFUE. Lors de la crise migratoire survenue en 2015, les règles en vigueur se seraient en effet avérées être insuffisantes pour permettre aux États membres de gérer une telle situation de manière adéquate. Dans ce cas de figure, l’article 72 TFUE permettrait précisément de déroger aux règles de droit de l’Union aux fins du maintien de l’ordre public et de la sauvegarde de la sécurité intérieure.

99.      À cet égard, il est nécessaire de rappeler, à titre liminaire, que l’article 72 TFUE, faisant partie du chapitre I, intitulé « Dispositions générales », du titre V TFUE (« L’espace de liberté, de sécurité et de justice »), se lit comme suit : « Le présent titre ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

100. Or, l’argument de la Hongrie me paraît reposer sur une lecture selon laquelle cette disposition de droit primaire doit être entendue comme une règle de conflit en vertu de laquelle les prérogatives des États membres en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure priment leurs obligations de droit secondaire. Un État membre pourrait ainsi invoquer l’article 72 TFUE pour laisser inappliqué tout acte pris dans le cadre du titre V du traité, et dont le caractère obligatoire n’est pas contesté, à chaque fois qu’il estime qu’un risque existe pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.

101. Cette lecture a été déjà réfutée, à mon sens, dans l’arrêt que la Cour a récemment rendu dans l’affaire Commission/Pologne e.a. (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (30)(31), dont il me semble utile de rappeler le raisonnement.

102. Tout d’abord, selon la Cour, on ne peut pas considérer qu’il existe une réserve générale, inhérente au traité, excluant du champ d’application du droit de l’Union toute mesure prise au titre de l’ordre public ou de la sécurité publique, les dérogations expresses applicables en cas de situation susceptible de porter atteinte à ces derniers, en vertu du traité, concernant des hypothèses exceptionnelles bien délimitées (32). Ensuite, la Cour a affirmé que, puisque la dérogation prévue à l’article 72 TFUE est, en tant que telle, d’interprétation stricte, elle ne peut pas être interprétée de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité par la seule invocation de leurs responsabilités. En d’autres termes, la portée des exigences tenant au maintien de l’ordre public ou de la sécurité intérieure ne peut pas être déterminée par chaque État membre, sans contrôle des institutions de l’Union. Ainsi, la Cour considère qu’il incombe à l’État membre qui invoque le bénéfice de l’article 72 TFUE de prouver la nécessité de recourir à la dérogation consacrée à cet article aux fins de l’exercice de ses responsabilités en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure (33).

103. Dans l’hypothèse où la validité de l’acte de droit dérivé concerné n’est pas remise en cause au regard de l’article 72 TFUE, il appartient donc à cet État membre de fournir à la Cour des éléments permettant de démontrer que cet acte ne lui permet pas, eu égard à la teneur du dispositif juridique instauré ou des conditions concrètes de sa mise en œuvre, d’assurer l’exercice des responsabilités susmentionnées. Ce n’est qu’à cette condition qu’un État membre peut utilement invoquer l’article 72 TFUE pour justifier son refus de mettre en œuvre une obligation imposée par l’acte de droit dérivé incriminé (34).

104. Il y a lieu d’appliquer ce raisonnement aux circonstances de l’espèce.

105. Je note tout d’abord que l a Hongrie ne remet pas en cause, comme moyen de défense, la validité de l’article 43 de la directive 2013/32 à l’égard de l’article 72 TFUE. Cela étant dit, il ressort clairement de ses écritures que cet État membre se prévaut de cette disposition pour soutenir que, en présence d’une situation de crise engendrée par une immigration massive, il est en droit de prévoir une réglementation s’affranchissant des garanties associées aux procédures à la frontière. Dans ces conditions, je suis d’avis que l’existence de la nécessité d’avoir recours à la dérogation visant à permettre l’exercice  des responsabilités de la Hongrie en matière de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure  demande à être appréciée  dans le contexte du seul article 43 de ladite directive.  Or, ce dernier  prévoit expressément, à son paragraphe 3, la possibilité de mettre en œuvre une telle dérogation, dans le cas où l’afflux d’un  grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides demandant simultanément une protection internationale rend impossible, en pratique, l’application de son paragraphe 1. La Hongrie n’a  toutefois pas invoqué ce paragraphe dans ses écritures, ne fût-ce qu’à titre subsidiaire.

106. En tout état de cause, il convient de noter, en premier lieu, que l’article 43, paragraphe 3, de la directive 2013/32 pourrait être invoqué par la Hongrie exclusivement pour s’affranchir de la garantie prévue au paragraphe 2 de cet article, c’estàdire pour justifier le dépassement du délai de quatre semaines dans lequel la procédure à la frontière doit normalement être menée à bien. En second lieu, cet État membre ne pourrait en faire usage que si les demandeurs de protection internationale sont, au terme dudit délai de quatre semaines, hébergés normalement dans des lieux situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit.  Or, ainsi que la Cour l’a récemment clarifié dans son arrêt FMS e.a., l’exigence que ces demandeurs soient hébergés dans des conditions normales implique nécessairement qu’ils ne puissent pas demeurer en rétentio(35), comme c’est le cas en l’espèce,  tel que je l’expliquerai dans le cadre de l’appréciation du troisième grief.

107. Partant, j’estime que l’article 72 TFUE ne permet pas à la Hongrie, lors de la mise en œuvre, dans les zones de transit de Röszke et de Tompa, d’une procédure à la frontière au sens de l’article 43 de la directive 2013/32, de déroger aux garanties prévues à cette disposition.

108. À la lumière de ce qui précède, je propose à la Cour d’accueillir le deuxième grief avancé par la Commission dans son ensemble.

C.      Sur la rétention généralisée des demandeurs d’asile et le nonrespect des garanties procédurales pertinentes

1.      Arguments des parties 

109. Par son troisième grief, la Commission soutient que, en prévoyant l’application à tous les demandeurs d’asile (à l’exception des enfants de moins de 14 ans) d’une procédure aboutissant à ce que ceux‑ci doivent rester en rétention pendant toute la durée de la procédure d’asile dans les installations d’une des zones de transit qu’ils ne peuvent quitter qu’en prenant la direction de la Serbie, et en n’assortissant pas cette rétention des garanties prévues par la directive 2013/33, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 2, sous h), et des articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33.

110. La notion de « rétention », telle que définie à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, serait une notion juridique autonome du droit de l’Union de telle sorte que la qualification des zones de transit en droit hongrois ou le fait qu’elles soient situées à proximité de la frontière n’aurait aucune influence sur l’appréciation de celle‑ci.

111. Les zones de transit établies en Hongrie seraient des lieux fermés que le demandeur ne pourrait quitter qu’en prenant la direction de la Serbie. Les personnes se trouvant dans ces zones ne pourraient pas entrer sur le territoire hongrois.

112. Conformément à l’article 80/K, paragraphe 2, sous d), de la loi relative au droit d’asile, applicable durant la situation de crise engendrée par une immigration massive, l’autorité compétente en matière d’asile pourrait clore la procédure si le demandeur quittait la zone de transit. Dans ces circonstances, le fait de quitter la zone de transit ne relèverait pas d’un choix libre des demandeurs.

113. La liberté de circulation des personnes se trouvant dans la zone de transit serait par ailleurs fortement restreinte, comme en auraient attesté le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et le représentant spécial du secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés. Le temps passé par les demandeurs dans les zones de transit constituerait un facteur important pour déterminer si le séjour dans ces zones peut être considéré comme une rétention. Or, les représentants de la Commission auraient constaté, sur place, que certains demandeurs y séjournaient depuis plus de quatorze mois.

114. Le séjour dans les zones de transit se traduirait ainsi par une restriction de la liberté individuelle d’une ampleur telle qu’elle devrait être assimilée à une rétention au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Cette conclusion aurait d’ailleurs été confirmée par l’arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie de la quatrième chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (36).

115. Or, la rétention dans les zones de transit ne serait pas conforme à l’article 26 de la directive 2013/32 ainsi qu’à l’article 8, paragraphes 2 et 3, l’article 9 et l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2013/33, puisqu’elle s’effectuerait à titre de règle générale, systématiquement, sans évaluation des circonstances individuelles des demandeurs, sans la délivrance d’une décision écrite, et parce qu’elle pourrait aussi être ordonnée pour des mineurs, voire pour des mineurs non accompagnés, à l’exception des enfants de moins de 14 ans.

116. Bien que l’article 80/I de la loi relative au droit d’asile n’exclut pas, en cas de situation de crise engendrée par une immigration massive, l’application de l’article 31/A de cette même loi, consacré aux règles applicables à la rétention des demandeurs d’asile, la Commission considère que cet dernier article ne saurait effacer l’infraction commise par la Hongrie dans la mesure où, dans une telle situation de crise, tous les demandeurs sont tenus de séjourner dans la zone de transit conformément à l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile.

117. Enfin, il ne saurait être tiré argument du fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa) (37), la demande de procédure d’urgence a été rejetée par la Cour. D’une part, la notion de « rétention » ne dépendrait pas de la question de savoir si, dans une affaire préjudicielle, la Cour autorise le recours à la procédure d’urgence. D’autre part, la juridiction de renvoi aurait, dans ladite affaire, sollicité la procédure d’urgence, non en raison du séjour du demandeur dans une zone de transit, mais au motif que cette affaire aurait une influence significative sur un certain nombre d’affaires similaires relevant de la même législation.

118. La Hongrie considère que les zones de transit sont, en substance, des centres d’accueil situés à la frontière extérieure de l’espace Schengen en Hongrie, désigné comme lieu de la procédure d’asile en conformité avec le droit de l’Union, et non des lieux de rétention.

119. Le placement en zone de transit ne serait pas un placement en rétention, étant donné que ce serait uniquement en direction de la Hongrie que ces zones de transit ne seraient pas ouvertes, leurs occupants étant libres de les quitter pour se rendre en Serbie. Par ailleurs, les demandeurs d’asile qui quittent la zone de transit ne s’exposeraient pas nécessairement à des conséquences défavorables. L’article 80/K, paragraphe 2, sous d), de la loi relative au droit d’asile prévoirait en effet que, si le demandeur d’asile quitte la zone de transit, l’autorité compétente en matière d’asile prend une décision sur la base des informations dont elle dispose ou clôt la procédure. Par conséquent, même en l’absence du demandeur d’asile, cette autorité pourrait statuer sur la demande d’asile, y compris faire droit à celle‑ci. Cette réglementation serait conforme à l’article 28 de la directive 2013/32, qui permettrait à ladite autorité de clore l’examen de la demande en cas de retrait implicite de celle‑ci.

120. En outre, l’introduction d’une demande d’asile ne conduirait pas automatiquement à une privatisation systématique de liberté puisque, en vertu de l’article 80/J, paragraphe 1, sous c), de la loi relative au droit d’asile, la personne qui séjourne légalement sur le territoire hongrois pourrait introduire sa demande en tout lieu et ne devrait ainsi ni se rendre ni demeurer dans la zone de transit.

121. Les règles détaillées concernant les conditions de la rétention des demandeurs d’asile, la décision de placement en rétention et son maintien, seraient, quant à elles, prévues aux articles 31/A à 31/I de la loi relative au droit d’asile et garantiraient pleinement le respect des dispositions pertinentes de la directive 2013/33.

122. Par ailleurs, la durée du séjour dans une institution d’accueil ne constituerait pas un critère permettant de considérer qu’il s’agit d’une rétention. Il en irait de même en ce qui concerne la qualité des conditions prévalant dans un centre d’accueil. Le fait que la taille limitée du territoire occupé par la zone de transit implique nécessairement certaines restrictions à la liberté de circulation ne justifierait notamment pas la qualification de celle‑ci de zone de rétention.

123. Concernant le non‑respect des garanties prévues par la directive 2013/33, la Hongrie souligne que l’autorité compétente en matière d’asile rend dans tous les cas une décision sur l’hébergement dans la zone de transit, en tant que lieu de résidence désigné au cours de la procédure, au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2013/33, et que cette décision est susceptible de recours.

124. Quant à l’arrêt de la Cour EDH du 14 mars 2017, Ilias et Ahmed c. Hongrie (CE:ECHR:2017:314JUD004728715), la Hongrie fait valoir que cet arrêt n’est pas définitif et que la Cour européenne des droits de l’homme y examine non pas la situation des zones de transit actuellement en fonction, mais celle d’une institution de 2015, qui porte certes le même nom, mais dont le statut et la qualification juridique seraient différents, tout comme les droits et obligations imposées aux personnes y séjournant.

125. La Cour aurait d’ailleurs déjà indirectement considéré que les zones de transit, faisant fonction de centres d’accueil depuis le mois de mars 2017, ne constituent pas des centres de rétention. En effet, le refus d’appliquer la procédure préjudicielle d’urgence à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa) (38), relative à un litige concernant un demandeur séjournant dans une zone de transit, indiquerait clairement que la Cour n’a pas considéré le séjour en zone de transit comme une rétention, attendu que le recours à cette procédure peut être justifié, selon la jurisprudence, lorsque l’affaire en question concerne une personne placée en rétention.

126. Enfin, la Hongrie estime, s’agissant de la visite des représentants de la Commission, que celle‑ci ne concernait que la zone de transit de Röszke et que son objectif était le contrôle sur place des projets bénéficiant d’un concours financier de l’Union. De surcroît, les représentants de la Commission n’auraient échangé que quelques mots avec certains résidents, non identifiés.

2.      Appréciation

127. Ainsi qu’il ressort des arguments résumés ci‑dessus, le cœur du désaccord entre les parties porte sur une caractérisation différente de la notion de « rétention », telle que prévue à l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Je me pencherai sur ce point avant d’aborder la question relative au respect des garanties associées au placement en rétention au sens de la même directive.

a)      Sur l’existence d’une rétention

128. À titre liminaire, il convient de rappeler que, après la fin de la procédure écrite dans l’affaire qui nous occupe, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée, dans son arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie (39), sur la question de savoir si l’hébergement de deux ressortissants des pays tiers dans la zone de transit de Röszke constituait une privation de liberté aux fins de l’application de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH ») (« Droit à la liberté et à la sûreté »). À cet égard, elle a statué de façon contraire à l’arrêt précédemment rendu par sa quatrième chambre, en parvenant donc à une conclusion négative

129. Invitées à prendre position sur la pertinence de cet arrêt lors de l’audience, les parties ont exprimé des points de vue opposées. Tandis que la Commission a considéré que la conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas transposable à la présente affaire en raison de certaines différences factuelles et juridiques importantes, la Hongrie a fait valoir que cette conclusion, applicable aux circonstances de l’espèce, est de nature à étayer son argument selon lequel la situation des demandeurs de protection internationale ne relève pas de la notion de « rétention », telle que celle-ci ressort de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Ainsi, cet État membre semble estimer que si le placement de ces demandeurs dans l’une des zones de transit n’est pas une privation de liberté au sens de l’article 5 de la CEDH, il va de soi qu’il ne peut pas non plus être qualifié de rétention, dès lors que cette dernière notion présuppose l’existence d’une privation de liberté au sens de l’article 6 de la Charte.

130. Dans les conclusions que j’ai présentées dans les affaires jointes FMS e.a. (40), qui portaient également sur la question de savoir si le placement dans l’une des zones de transit situées à la frontière serbo-hongroise était constitutif d’une rétention au sens de la directive 2013/33, j’ai expliqué que, s’il est vrai que l’article 5 de la CEDH correspond à l’article 6 de la Charte, et que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte exige que les droits y consacrés et qui correspondent aux droits garantis par la CEDH soient interprétés comme ayant le même sens et la même portée que ceux que leur confère la CEDH, il n’en est pas moins incontestable que la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré à maintes reprises que la cohérence poursuivie à cette disposition ne peut porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour même (41), la CEDH ne constituant pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (42). J’ai ainsi invité la Cour à délaisser la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à conduire son examen au regard de l’article 6 de la Charte, considéré de manière autonome (43). Ce dernier article devant être réputé, eu égard au considérant 35 de la directive 2013/33 (44), comme étant incorporé dans la définition de « rétention » figurant à l’article 2, sous h), de la même directive, j’en ai tiré la conclusion que l’existence d’une rétention doit être déterminée uniquement par l’examen des conditions posées par cette définition, aux termes de laquelle doit être qualifiée en tant que telle « toute mesure d’isolement d’un demandeur d’asile par un État membre dans un lieu déterminé, où le demandeur d’asile est privé de sa liberté de mouvement ».

131. Or, il me semble que, dans l’arrêt récemment rendu dans ces affaires jointes (45), la Cour de justice de l’Union européenne a implicitement validé cette approche en ce qu’elle a conclu à l’existence d’une rétention à l’issue d’une analyse portant sur les seules conditions découlant de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, sans prendre en compte l’interprétation de l’article 5 de la CEDH par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Ilias et Ahmed c. Hongrie (46).

132. Eu égard auxdites conditions, la Cour a considéré, à l’aide d’une approche littérale, historique et contextuelle, que la rétention d’un demandeur de protection internationale, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, « constitue une mesure coercitive qui prive ce demandeur de sa liberté de mouvement et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos » (47).

133. En vue d’appliquer la notion de « rétention » ainsi caractérisée au cas d’espèce, il y a lieu de constater que, dans ses écritures, la Commission apporte un certain nombre d’éléments factuels dont la réalité n’a pas été remise en cause par la Hongrie. Selon la Commission, les demandeurs d’asile sont tenus, au cours de toute la procédure d’examen de leur demande, de demeurer en permanence dans l’une des zones de transit, lesquelles sont entourées d’une haute clôture et de fils barbelés. À l’intérieur de la zone de transit, ces demandeurs sont logés, en groupes de cinq personnes, dans des conteneurs métalliques mesurant environ 13 m2. Ils disposent d’une possibilité extrêmement limitée de se rendre dans une section de la zone de transit autre que celle où ils sont logés, ce qui n’est permis qu’en cas de consultations médicales ou d’entretiens organisés dans le cadre de la procédure d’asile et sous l’escorte des gardiens de la zone de transit, et ne peuvent pas entrer en contact avec des personnes venant de l’extérieur, à l’exception de leur représentant légal. En outre, il me semble ressortir du dossier que leurs mouvements sont surveillés en permanence en raison de la présence desdits gardiens à l’intérieur de la zone de transit, ainsi qu’à la porte d’entrée de toute section de celle‑ci.

134. Ce faisceau d’éléments témoigne, à mon sens, d’un degré élevé de restriction de la liberté de mouvement des demandeurs d’asile au point de rendre cette situation comparable à un régime de rétention (48), ainsi que la Cour l’a estimé dans l’arrêt FMS e.a. relativement à la zone de transit de Röszke sur la base d’éléments factuels analogues fournis par la juridiction de renvoi (49).

135. En ce qui concerne l’argument soulevé par la Hongrie dans son mémoire en défense dans le cadre de la présente affaire, selon lequel le placement des demandeurs concernés dans la zone de transit de Röszke ne peut pas être qualifié de rétention, au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33, dès lors que tout demandeur de protection internationale disposerait de la possibilité de quitter de son plein gré la zone de transit, j’observe que la Cour l’a déjà réfuté dans l’arrêt FMS e.a.(50).

136. Procédant de la prémisse selon laquelle seule une possibilité « effective » de quitter la zone de transit en question est de nature à exclure l’existence d’une rétention (51), la Cour a justifié son rejet par deux motifs, selon lesquels, premièrement une éventuelle entrée desdits demandeurs en Serbie serait considérée comme illégale et les aurait ainsi exposés à des sanctions, et que, deuxièmement ces demandeurs aurait risqué de perdre toute chance d’obtenir le statut de réfugié en Hongrie s’ils avaient quitté le territoire hongrois (52). Or, ces motifs sont également, à mon sens, susceptibles de fonder le rejet de l’argument avancé par la Hongrie dans l’affaire qui nous occupe.

137. En effet, concernant le premier motif, la précision fournie par la Commission lors de l’audience selon laquelle la République de Serbie refuse à l’heure actuelle d’appliquer l’accord de réadmission à l’égard des migrants en provenance des zones de transit hongroises n’a pas été contestée par la Hongrie en l’espèce. Quant au second motif, il y a lieu de constater qu’un départ de la zone de transit serait nécessairement synonyme d’un renoncement à la possibilité d’obtenir la protection internationale sollicitée. Certes, l’article 80/K, paragraphe 2, sous d), de la loi relative au droit d’asile dispose que, si un demandeur quitte la zone de transit, l’autorité nationale compétente n’est pas obligée de clore la procédure, mais elle peut également prendre une décision sur la base des informations dont elle dispose. Toutefois, même en présence d’une telle possibilité théorique, il me semble hautement probable, voire certain, qu’une telle décision ne lui serait pas favorable. En outre, toute décision mettant fin à la procédure ne peut, conformément à l’article 80/K, paragraphe 4, de la loi relative au droit d’asile, être attaquée dans le cadre d’une procédure administrative contentieuse. Dans ces conditions, je suis d’avis que les demandeurs d’asile ne sont en situation de quitter la zone de transit à destination de la Serbie de leur plein gré.

138. Je me permets d’ajouter que ces demandeurs ne pourront pas non plus prendre la direction de la Hongrie, en l’absence d’autorisation d’entrée et de séjour sur le territoire national. Il importe, à cet égard, de souligner que, conformément à l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État, qui fait l’objet du quatrième grief de la Commission dans la présente affaire, la police hongroise peut, durant une situation de crise engendrée par une immigration massive, interpeller les ressortissants étrangers en séjour irrégulier sur tout le territoire national et les escorter jusqu’au portail de l’installation la plus proche, sauf en cas de soupçon d’infraction. En raison de la longueur du délai d’attente pour accéder à la zone de transit et pour présenter une demande de protection internationale, il n’y a pas d’autre alternative pour le migrant concerné que de prendre la direction de la Serbie, c’est‑à‑dire de retourner là d’où il vient dans un contexte, à tout le moins, d’incertitudes quant à l’autorisation de son entrée sur le territoire serbe, ainsi qu’à la régularité de sa situation et au sort qui pourrait lui être réservé sur place par les autorités chargées du contrôle de l’immigration.

139. Partant, la perspective de voir un demandeur d’asile quitter librement la zone de transit est, me semble-t-il, manifestement irréaliste.

140. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le placement de tout demandeur dans la zone de transit pendant l’examen de sa demande de protection internationale doit être considéré comme étant constitutif d’une « rétention » au sens de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33.

141. Dépourvus de toute pertinence aux fins de l’appréciation venant d’être portée sont la qualification et le statut juridique des zones de transit au sens du droit hongrois, que la Hongrie a invoqués à plusieurs occasions dans ses écritures, dès lors que la notion de « rétention » en cause ne contient aucun renvoi au droit national, et doit être ainsi considérée comme étant une notion autonome de droit de l’Union (53).

142. Le résultat de cette appréciation n’est pas davantage altéré par le fait que la Cour a refusé d’accueillir une demande de traitement d’urgence présentée par la juridiction de renvoi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa), relative à un litige concernant un demandeur d’asile séjournant dans une zone de transit, étant donné que l’arrêt rendu dans cette affaire ne précise pas que le motif du refus réside dans le fait qu’un tel demandeur ne se trouve pas dans une situation de rétention (54). En tout état de cause, l’évaluation préliminaire effectuée par la Cour dans ce cadre au regard de l’existence d’une rétention, qui est de nature factuelle et dont les contours sont strictement délimités par les informations fournies par la juridiction de renvoi, ne me paraît pas coïncider avec celle effectuée pour déterminer si les éléments de cette notion de « rétention » sont simultanément présents.

b)      Sur la légalité de la rétention

143. Il résulte de ce qui précède que tous les demandeurs d’asile font l’objet d’une rétention, au sens de la directive 2013/32, lors de leur hébergement dans les zones de transit situées à la frontière serbo-hongroise. À ce stade, il y a donc lieu de prendre une position sur la légalité de cette rétention, étant rappelé que, conformément à l’article 26 de la directive 2013/32 et à l’article 8 de la directive 2013/33, des demandeurs de protection internationale peuvent être placés, à certaines conditions, en rétention.

144. La Commission soutient que le régime juridique propre à toute mesure de placement en rétention, défini aux articles 8 à 11 de directive 2013/33, n’est pas respecté par la Hongrie. Je souscris sans aucune hésitation à son interprétation.

145. En effet, il ressort des dispositions nationales fournies par la Commission que l’application des articles 31/A et 31/B de la loi relative au droit d’asile, qui fixent les conditions encadrant le recours à la rétention des demandeurs d’asile en droit interne, a été écartée, en cas de situation de crise engendrée per une immigration massive, par l’article 80/I, sous a), de cette même loi. En tout état de cause, même à supposer que, ainsi que le fait valoir la Hongrie, ces dispositions continuent à s’appliquer dans ladite situation, il est raisonnable de considérer, eu égard au fait que cet État membre a fermement contesté l’existence même d’un quelconque placement en rétention des demandeurs d’asile, que les dispositions pertinentes ne sont pas appliquées à la rétention de ces demandeurs dans les zones de transit.

146. La Hongrie ne remet aucunement en question la mise en œuvre systématique de l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile, conférant à l’autorité compétente en matière d’asile le soin d’attribuer aux demandeurs d’asile la zone de transit comme lieu de séjour pendant la durée de la procédure. Il ne fait pas de doute, selon moi, que c’est à juste titre que la Commission estime que celle‑ci est de nature à violer, d’une part, l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2013/33, selon lequel un placement en rétention ne peut être justifié que sur la base des motifs qui y sont exhaustivement énumérés, et, d’autre part, l’article 8, paragraphe 2, de cette directive, qui exige qu’une rétention ne puisse être ordonnée que lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées (55).

147. Concernant l’absence de délivrance d’une décision de placement en rétention indiquant les motifs de fait et de droit sur lesquels elle est fondée, en violation de l’article 9, paragraphe 2, de la directive 2013/33, je relève que la Hongrie rétorque que l’autorité nationale compétente en matière d’asile rend dans tous les cas une décision ayant pour objet le placement des demandeurs d’asile dans la zone de transit pendant la durée de la procédure. Toutefois, cet État membre lui‑même admet implicitement, dans son mémoire en réponse, qu’il ne s’agit pas d’une décision de placement en rétention au sens de l’article 9, paragraphe 2, de cette directive, dès lors qu’elle la qualifie de décision imposant des restrictions à la liberté de circulation des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 7, paragraphe 2, de ladite directive.

148. La Hongrie ne conteste même pas que le placement en rétention puisse également être ordonnée pour des mineurs, voire pour des mineurs non accompagnés, à l’exception des enfants de moins de 14 ans, ce qui est indubitablement de nature à violer l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2013/33, selon lequel les mineurs ne peuvent être placés en rétention qu’à titre de mesure de dernier ressort et après qu’il a été établi que d’autres mesures moins coercitives ne peuvent pas être appliquées efficacement.

149. Il ressort de la requête que la Commission invoque également la violation de l’article 2, sous h), de la directive 2013/33. Or, je n’arrive pas à saisir où la violation d’une telle disposition, qui se limite à définir la notion de « rétention », se situerait, un défaut de transposition de celle‑ci n’étant pas allégué par la Commission. Par conséquent, je ne peux pas partager la conclusion de la Commission à cet égard.

150. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant dans la mesure où elle n’a pas assorti la rétention mise en œuvre dans les zones de transit des garanties prévues aux articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33.

151. Je considère partant qu’il y a lieu d’accueillir le troisième grief du recours en manquement.

D.      Sur le nonrespect des procédures fixées par la directive 2008/115

1.      Arguments des parties

152. Par son quatrième grief, la Commission estime qu’en reconduisant de l’autre côté de la clôture frontalière les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, sans respecter les procédures et les garanties définies à l’article 5, à l’article 6, à l’article 12, paragraphe 1, et à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115, la Hongrie n’a pas respecté les obligations lui incombant en vertu de ces dispositions.

153. Tout d’abord, la Commission relève que, conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la loi sur les frontières de l’État, il est possible d’utiliser, sur le territoire hongrois, une bande de 60 mètres à compter du tracé de la frontière extérieure afin de construire, d’implanter ou d’exploiter des installations servant à protéger l’ordre à la frontière et d’exécuter les tâches concernant la défense et la sécurité nationale, la gestion des catastrophes, la surveillance des frontières, l’asile et la police migratoire. En outre, l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État, prévoirait que la police peut interpeller, durant une situation de crise engendrée par une immigration massive, les ressortissants étrangers en séjour irrégulier et les escorter jusqu’au portail de l’installation la plus proche visée à l’article 5, paragraphe 1, de la même loi, sauf en cas de soupçon d’infraction.

154. Il ressortirait des rapports cités par la Commission que la police hongroise reconduit à la frontière les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier arrêtés sur le territoire hongrois et leur fait franchir la clôture frontalière. Les ressortissants de pays tiers, reconduits jusqu’à une bande frontalière étroite du territoire hongrois, où aucune infrastructure n’est disponible et d’où il n’y a aucun moyen de se rendre dans le reste du territoire de la Hongrie, n’auraient, en pratique, pas d’autre choix que de quitter le territoire hongrois. La Commission considère dès lors que cette procédure correspond à la notion d’« éloignement » telle qu’elle est définie à l’article 3, point 5, de la directive 2008/115, même si, dans certain cas, il serait possible que techniquement, l’opération de transfert physique ne se termine pas en dehors du territoire hongrois.

155. L’éloignement des ressortissants concernés de pays tiers s’effectuerait sans que soit rendue une décision de retour, sans discernement, sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale, de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers, ni respecter le principe de non‑refoulement. Ces ressortissants de pays tiers ne recevraient pas de justification ni d’explication écrites appropriées et, en l’absence de décision de retour, ne disposeraient d’aucune voie de recours.

156. Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État ne relèverait pas de l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115. Cette disposition ne s’appliquerait pas, en effet, aux ressortissants déjà présents sur le territoire hongrois, tandis que le champ d’application dudit article 5, paragraphe 1 ter, s’étendrait à tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier en Hongrie.

157. Enfin, une dérogation substantielle, générale et prolongée aux dispositions de la directive 2008/115 ne saurait être justifiée par l’article 72 TFUE, lequel se bornerait à énoncer un principe dont le législateur de l’Union devrait tenir compte et qui faciliterait l’interprétation des actes de l’Union adoptés sur la base de la troisième partie, titre V, TFUE.

158. La Hongrie fait valoir, à titre préliminaire, que l’article 5, paragraphe 1 bis, de la loi sur les frontières de l’État est justifié en vertu de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115. Quant à l’article 5, paragraphe 1 ter, de la même loi, cet État membre relève qu’il ne peut être appliqué qu’en cas de situation de crise engendrée par une immigration de masse, à la différence de l’article 5, paragraphe 1 bis.

159. Dans ce cadre, la Hongrie soutient que l’article 72 TFUE permet aux États membres d’adopter et d’appliquer des règles concernant le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure qui pourraient déroger aux dispositions du droit de l’Union, étant entendu que l’objectif de la déclaration d’une situation de crise engendrée par une immigration de masse et des règles appliquées dans une telle situation serait, dans tous les cas, le maintien de l’ordre et la sauvegarde de la sécurité intérieure du pays. La directive 2008/115 ne prévoirait pas que les règles qu’elle instaure doivent être appliquées également dans le contexte de l’article 72 TFUE. Par conséquent, un État membre pourrait s’écarter des dispositions de ladite directive lorsqu’il exerce ses responsabilités de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure.

160. L’ordre public et la sécurité publique seraient des exigences impératives d’intérêt général qui conféreraient aux États membres une compétence législative leur permettant d’empiéter sur le droit de l’Union, et dont l’article 4, paragraphe 2, TUE soulignerait le caractère primordial. En vertu de la jurisprudence de la Cour (56), les États membres décideraient en toute autonomie de ce qu’ils considèrent relever de la notion d’ordre public, et cette appréciation serait susceptible de varier dans le temps. À cet égard, la Hongrie rappelle que le cadre juridique, prévu par le droit dérivé aux fins de la gestion des situations de crise engendrées par une immigration de masse, se serait avéré insuffisant de l’avis même de la Commission, qui en aurait tiré les conséquences en présentant, en 2016, un ensemble complexe de propositions de réforme du régime d’asile européen commun, tant en ce qui concerne la directive 2013/32 que la directive 2008/115.

161. Par conséquent, dans une situation de crise telle que celle existant en Hongrie, il ne serait pas obligatoire de satisfaire à l’article 5, à l’article 6, paragraphe 1, à l’article 12, paragraphe 1 et à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lorsque la police hongroise applique l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État.

162. En outre, la police ne ferait pas franchir la frontière aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier arrêtés sur le territoire hongrois, étant donné que l’installation de protection de la frontière (clôture frontalière) serait située non pas sur le tracé de la frontière, mais sur le territoire de la Hongrie. Ces personnes ne seraient donc pas éloignées vers la Serbie et pourraient, après avoir été escortées jusqu’au portail, introduire leur demande dans la zone de transit la plus proche. En l’absence de retour effectif, l’application de la directive 2008/115 est par définition exclue, un État membre ne pouvant en effet exécuter une mesure d’éloignement sur son propre territoire.

163. La Hongrie ajoute qu’aucune disposition de droit de l’Union n’indique où les installations servant au traitement des demandes d’asile doivent être situées sur le territoire du pays, ni vers où il faudrait acheminer les personnes en séjour illégal. Dès lors, lorsque la police procède au transfert, à l’intérieur du territoire hongrois, des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier afin qu’ils puissent introduire le plus rapidement possible leur demande de protection internationale, elle n’enfreindrait pas le droit de l’Union. Il n’existerait, par ailleurs, aucune règle de droit de l’Union qui imposerait d’offrir une quelconque prise en charge aux ressortissants de pays tiers en séjour illégal. Enfin, la Hongrie fait valoir que la police agirait dans les limites du cadre législatif et utilise de manière proportionnée des moyens coercitifs uniquement dans les cas prévus par la loi.

2.      Appréciation

164. Il convient de relever d’emblée que la Hongrie ne conteste pas que le déplacement des ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire hongrois jusqu’au portail de l’installation la plus proche est effectué par les services de police hongrois sans que les garanties entourant la procédure de retour, fixées par la directive 2008/115, soient respectées (57). Avant tout, la mise en œuvre de cette mesure a lieu sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale, de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers, ni respecter le principe de non refoulement (article 5) et sans que soit rendue une décision de retour (article 6, paragraphe 1). En outre, les ressortissants concernés de pays tiers ne reçoivent aucune décision écrite portant les motifs en fait et en droit du retour et/ou de l’éloignement (article 12, paragraphe 1) et, en l’absence d’une décision de retour, ne dispose d’aucune vois de recours (article 13, paragraphe 1).

165. Toutefois, la Hongrie réfute les violations lui étant reprochées, par le présent grief, sur la base de deux arguments essentiels : à titre principal, l’inapplicabilité de la directive 2008/115 en l’espèce, et, à titre subsidiaire, la possibilité pour les États membres de se prévaloir de l’article 72 TFUE pour déroger aux règles uniformes prescrites par cette directive. Je les examinerai tour à tour.

a)      Sur l’applicabilité de la directive 2008/115

166. La Hongrie estime, en premier lieu, que la directive 2008/115 n’est pas applicable au cas d’espèce dans la mesure où le recours à la pratique de reconduite à la frontière serait justifié en vertu de la dérogation figurant à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115.

167. Aux termes de cette disposition, les États membres peuvent décider de ne pas appliquer cette directive aux ressortissants de pays tiers qui ont été arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre. À cet égard, la Cour a déjà indiqué que l’expression « à l’occasion du franchissement irrégulier » implique « un lien temporel et spatial direct entre l’arrestation ou l’interception du ressortissant d’un pays tiers et le franchissement d’une frontière extérieure » et que « [s]ont ainsi visés des ressortissants de pays tiers qui ont été arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes au moment même du franchissement irrégulier d’une frontière extérieure ou après ce franchissement dans la proximité de cette frontière (58)(59) ».

168. Il ne me paraît pas que la Commission conteste que l’article 5, paragraphe 1 bis, de la loi sur les frontières de l’État vise à faire usage de la dérogation prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115.

169. Le présent grief concerne, à juste titre selon moi, uniquement l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État, applicable au lieu du paragraphe 1 bis en cas de situation de crise engendrée par une immigration de masse, et toujours en vigueur à la date d’expiration du délai de l’avis motivé. C’est donc cette disposition qui, selon la Commission, ne relève pas de ladite dérogation.

170. L’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État prévoit que, « [d]urant une situation de crise engendrée par une immigration massive, la police peut interpeller les ressortissants étrangers en séjour irrégulier sur le territoire hongrois et les escorter jusqu’au portail de l’installation la plus proche visée au paragraphe 1, sauf en cas de soupçon d’infraction ». Or, en l’absence de l’encadrement de ce pouvoir de la police « à l’intérieur d’une bande de [huit kilomètres] à compter du tracé de la frontière extérieure », ainsi que le prévoit l’article 5, paragraphe 1 bis, de la loi  sur les frontières de l’État (60), cette disposition s’applique à tous les ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier en Hongrie, et non seulement à ceux qui ont été arrêtés ou interceptés au moment du franchissement irrégulier de la frontière extérieure ou après ce franchissement dans la proximité de cette frontière, ainsi que l’exigerait l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2008/115. Il s’ensuit que, dès lors qu’il ne satisfait pas à une des conditions fixées à cette disposition dérogatoire, l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État n’échappe pas au champ d’application de la directive 2008/115 au titre de celle‑ci.

171. En second lieu, la Hongrie argue que le déplacement des ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire hongrois jusqu’au portail de l’installation la plus proche, effectué par la police hongroise, ne constituerait pas un « éloignement » au sens de la directive 2008/115, au motif que cette dernière ne serait pas applicable en l’absence d’un retour effectif.

172. La notion d’« éloignement » est définie à l’article 3, point 5, de cette directive comme « l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre », ce qui pourrait effectivement laisser penser que l’interprétation mise en avant par la Hongrie est juridiquement correcte. En effet, il est constant que l’article 5, paragraphe 1 ter, de la loi sur les frontières de l’État n’autorise les services de police qu’à escorter les ressortissants d’un pays tiers en séjour irrégulier arrêtés sur le territoire hongrois jusqu’au portail de l’installation de protection de la frontière la plus proche, installations situées sur le territoire de la Hongrie. Ainsi, l’opération de transfert physique ne s’achève pas en dehors d’un tel territoire, comme l’exige la définition en cause. Toutefois, il me semble que, dans le cadre de cette appréciation, nous ne pouvons pas faire abstraction du fait que, puisqu’ils sont laissés sur l’étroite bande de terre située entre la clôture frontalière et la frontière nationale, qui est dépourvue de toute infrastructure permettant de pouvoir y séjourner de manière prolongée, les ressortissants de pays tiers n’ont pas d’autre possibilité que de quitter cette bande de terre et de franchir la frontière terrestre avec la Serbie. Par ailleurs, il y a lieu de considérer que ces ressortissants de pays tiers ne sont même pas en mesure d’aller du portail auquel la police les a accompagnés jusqu’à la zone de transit et d’y pénétrer afin de présenter une demande de protection internationale, étant donné que cela comporterait une attente moyenne de onze à dix-huit mois dans une bande étroite de terre qui est, comme je viens de le rappeler, dépourvue de toute infrastructure. En conclusion, je suis d’avis que la pratique en cause est assimilable, dans les faits, à un « éloignement » au sens de l’article 3, point 5, de la directive 2008/115.

173. À la lumière de ces considérations, il ne fait guère de doute, à mon sens, que la directive 2008/115 est applicable à la mesure en cause.

b)      Sur l’article 72 TFUE

174. En ce qui concerne l’argument avancé par la Hongrie selon lequel l’article 72 TFUE permet aux États membres de s’écarter des dispositions de la directive 2008/115 lorsqu’ils exercent leurs responsabilités de maintien de l’ordre public et de sauvegarde de la sécurité intérieure, les considérations développées aux points 101 à 103 des présentes conclusions relativement au raisonnement développé par la Cour dans l’arrêt Commission/Pologne e.a. (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (61) gardent, à mon sens, toute leur pertinence.

175. Il y a lieu d’appliquer une nouvelle fois cette ligne de raisonnement.

176. Je note tout d’abord que, dans ses écritures, la Hongrie n’a pas soulevé expressément, comme moyen de défense, l’invalidité de certaines dispositions de la directive 2008/115 à l’égard de l’article 72 TFUE. Cela étant, il y a lieu de vérifier l’existence de la nécessité pour cet État membre d’invoquer la dérogation y prévue dans le contexte de la directive 2008/115 dans son ensemble (62). Au sein de celle‑ci, l’article 18 est potentiellement pertinent dès lors qu’il régit explicitement les situations d’urgence suscitées par le nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour, et accorde aux États membres la possibilité de déroger, aussi longtemps que cette situation persiste, à certaines autres dispositions de cette directive. Toutefois, j’observe que la Hongrie n’a pas invoqué l’application de cet article dans ses écritures, et que, en tout état de cause, ce dernier n’autorise aucune dérogation aux dispositions dont la violation est contestée par le présent grief (63) (64).

177. Il s’ensuit que la Hongrie ne peut se fonder sur l’article 72 TFUE pour justifier son refus de mettre en œuvre l’ensemble des obligations qui lui sont imposées par l’article 5, l’article 6, paragraphe 1, l’article 12, paragraphe 1 et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115. 

178. Les autres arguments mis en avant par la Hongrie ne sont pas, à mon sens, de nature à infirmer cette conclusion. Il en va ainsi pour l’argument fondé sur la lecture combinée de l’article 72 TFUE et de l’article 4, paragraphe 2, TUE. En effet, rien n’indique que la préservation effective des fonctions étatiques essentielles visées à cette dernière disposition, telles que celles d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale, ne pourrait être assurée qu’en laissant inappliquées les dispositions en cause de la directive 2008/115. Quant à l’arrêt Tsakouridis (65), s’il est vrai qu’il ressort de celui‑ci que les États membres sont en droit d’adopter des mesures visant au maintien de l’ordre public, je ne vois pas comment on peut comprendre ledit arrêt en ce sens que ces États membres peuvent mettre en œuvre une telle dérogation dans des cas non prévus par le droit dérivé de l’Union en invoquant simplement l’article 72 TFUE. En effet, je me limite à rappeler que la Cour y était appelée à interpréter une disposition de droit dérivé, à savoir l’article 28, paragraphe 3, de la directive 2004/38/CE (66).

179. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour d’accueillir le quatrième grief de la Commission.

E.      Sur l’absence d’effectivité des recours introduits contre les décisions rejetant une demande d’asile

1.      Arguments des parties

180. La Commission estime que la Hongrie viole l’article 46, paragraphe 5 et 6, de la directive 2013/32, au motif que, lorsqu’une demande de protection internationale est rejetée, la loi relative au droit d’asile ne prévoit pas explicitement la possibilité d’un effet suspensif des recours. Par conséquent le droit des demandeurs d’asile de rester sur le territoire hongrois dans l’attente de l’issue du recours n’est pas garanti, étant donné qu’une décision négative est exécutoire indépendamment de l’introduction du recours.

181. Or, en vertu des règles de procédure judiciaire générales applicables en Hongrie en matière de contentieux administratif, l’introduction du recours n’aurait pas d’effet suspensif, l’article 50 du code de procédure administrative contentieuse prévoyant uniquement que l’effet suspensif peut être demandé sous certaines conditions. La loi relative au droit d’asile, en tant que lex specialis, fixerait, quant à elle, les règles en matière de contentieux administratif applicables au contrôle des décisions en matière d’asile.

182. La egyes törvényeknek a tömeges bevándorlás kezelésével összefüggő módosításáról szóló 2015. évi CXL. törvény (loi n° CXL de 2015 modifiant certaines lois dans un contexte de gestion de l’immigration de masse), entrée en vigueur le 1er août 2015, aurait modifié les articles 53 et 68 de la loi relative au droit d’asile et supprimé les dispositions garantissant explicitement un effet suspensif. Ces modifications seraient applicables tant durant une crise engendrée par une immigration massive qu’en l’absence d’une telle situation.

183. Partant, la Commission estime, premièrement, que, dans la mesure où le recours juridictionnel contre les décisions rejetant des demandes d’asile comme étant non fondées est dépourvu d’effet suspensif automatique, la Hongrie n’a pas transposé correctement la règle générale établie à l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32. À cet égard, l’article 35, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile ne conférerait pas, en soi, aux demandeurs d’asile un droit de séjour, mais préciserait simplement que ces personnes sont soumises à la procédure d’asile jusqu’à la notification d’une décision qui n’est plus susceptible de recours. Dès lors, la seule législation dont le demandeur pourrait déduire un droit de séjour en Hongrie serait l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi relative au droit d’asile, selon lequel le demandeur aurait le droit, conformément aux conditions prévues par ladite loi, de séjourner sur le territoire hongrois. Néanmoins, cette disposition subordonnerait le droit de séjour en Hongrie à des conditions supplémentaires non détaillées précisément. La circonstance que, conformément à l’article 80/J, paragraphe 5, de la loi relative au droit d’asile, applicable durant une situation de crise engendrée par une immigration massive, l’autorité compétente en matière d’asile assigne au demandeur d’asile la zone de transit comme lieu de séjour, jusqu’à ce que soit devenue exécutoire la décision qui n’est plus susceptible de recours, ne permettrait pas d’aboutir à une telle conclusion. En effet, le séjour dans la zone de transit devrait être qualifié de rétention et ne correspondrait pas à la notion de séjour dans l’État membre au sens de l’article 46 de la directive 2013/32.

184. En ce qui concerne, deuxièmement, le contrôle juridictionnel des décisions rejetant comme étant irrecevables des demandes d’asile, l’article 53, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile prévoirait que l’introduction du recours n’a pas d’effet suspensif, ce qui ne serait conforme qu’à la règle énoncée à l’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32, en vertu de laquelle les États membres devraient soit garantir l’effet suspensif automatique des recours, soit veiller à ce qu’une décision sur l’effet suspensif soit prise par une juridiction. En outre, la loi relative au droit d’asile ne préciserait pas clairement si l’article 50 du code de procédure administrative contentieuse serait également applicable aux procédures judiciaires relevant du champ d’application de la loi relative au droit d’asile, pour lesquelles ladite loi prévoit des règles spéciales, et serait ainsi considéré comme transposant de manière correcte l’article 46, paragraphe 6, de ladite directive conformément à une jurisprudence constante de la Cour.

185. Troisièmement, en vertu de l’article 46, paragraphe 6, sous a) et b), de la directive 2013/32, si la demande a été rejetée comme étant irrecevable parce qu’un pays tiers est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur, ou comme étant non fondée parce que le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre, l’effet suspensif de l’introduction du recours devrait également être automatique. La Commission admet que ces deux hypothèses sont visées à l’article 51, paragraphe 2, sous e), et paragraphe 7, sous h), de la loi relative au droit d’asile, et que l’article 53, paragraphe 6, de ladite loi dispose que le dépôt d’une requête n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de la décision, à l’exception des décisions en matière d’asile prise en application desdites dispositions. Cependant, la loi relative au droit d’asile ne prévoirait pas clairement qu’en pareils cas, le dépôt de la requête a un effet suspensif. Seul une interprétation a contrario permettrait de conclure que, dans de tels cas, une règle autre que l’absence d’effet suspensif est applicable. Toutefois, le texte de cette loi ne préciserait pas si cette règle différente implique un effet suspensif automatique, comme l’exigerait l’article 46, paragraphes 5 et 6, de la directive 2013/32.

186. La Hongrie considère que la réglementation et la pratique en matière d’asile assurent de manière adéquate la possibilité pour les demandeurs de rester sur le territoire, même si les dispositions de la directive 2013/32 n’ont pas été transposées littéralement en droit hongrois. En effet, il ressortirait de la lecture combinée de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 35, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile que le droit de rester sur le territoire serait garanti aux demandeurs d’asile jusqu’à la clôture de la procédure d’asile, ce qui, le cas échéant, correspondrait à la notification de la décision juridictionnelle relative au recours formé contre toute décision de rejet de la demande d’asile. Ainsi, la législation nationale serait conforme à l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32.

187. L’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32 se bornerait, quant à lui, à imposer, à titre d’exception à la règle générale, que, dans un certain nombre de cas, la juridiction saisie du recours est compétente pour ordonner l’effet suspensif du recours, soit à la demande du demandeur, soit de sa propre initiative. Dans ce cas de figure, l’article 53, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile ne prévoirait pas de droit automatique à rester sur le territoire, mais le demandeur pourrait toutefois, en vertu de l’article 50 du code de procédure administrative contentieuse, demander une protection juridictionnelle immédiate, qui pourrait se traduire, en fonction de la décision rendue par celle‑ci, par l’effet suspensif de la requête et, de ce fait, par la possibilité de rester sur le territoire. Les demandeurs qui introduisent un recours feraient systématiquement usage d’une telle possibilité et les juridictions accèderaient en pratique toujours à cette demande.

188. Les « exceptions à l’exception » prévues à l’article 46, paragraphe 6, sous a) et b), de la directive 2013/32, seraient couvertes par l’article 51, paragraphe 2, sous e), et paragraphe 7, sous h), de la loi relative au droit d’asile, le droit de rester sur le territoire étant naturellement garanti dans ces deux cas.

189. La conformité du droit hongrois au droit de l’Union ne serait pas non plus remise en cause par l’article 80/J, paragraphe 2, de la loi relative au droit d’asile. En effet, en vertu de l’article 80/J, paragraphe 5, de la même loi, le demandeur aurait le droit de séjourner dans la zone de transit, et partant sur le territoire de la Hongrie, jusqu’à la notification de la décision définitive, ce qui correspondrait à la notion, prévue à l’article 2, sous p), de la directive 2013/32, de « rester dans l’État membre », ainsi qu’aux exigences de l’article 46, paragraphes 5 et 6, de cette directive.

2.      Appréciation

190. Il convient tout d’abord de formuler quelques observations liminaires.

191. La transposition des directives dans les ordres juridiques nationaux est caractérisée par la recherche constante d’un équilibre entre la nature de l’acte juridique en question, qui se limite, selon l’article 288 TFUE, à lier les États membres destinataires quant au résultat à atteindre tout en leur laissant la compétence quant à la forme et aux moyens, et la nécessité de garantir la pleine et uniforme application du droit de l’Union. C’est ainsi qu’une jurisprudence constante de la Cour a établi qu’une reprise formelle et textuelle des dispositions d’une directive dans une disposition légale ou réglementaire expresse et spécifique n’est pas nécessairement exigée, la transposition pouvant se satisfaire d’un contexte juridique général, pour autant que celui‑ci assure effectivement la pleine application de cette directive d’une façon suffisamment claire et précise (67).

192. Lorsque la disposition de la directive à transposer vise à créer des droits pour les particuliers, la satisfaction de l’exigence de sécurité juridique s’y attachant requiert que le cadre normatif national ne laisse subsister aucun doute légitime concernant la portée de ces droits. Dans ce cas, l’obligation de transposition incombant aux États membres implique, selon une jurisprudence constante de la Cour, que ceux‑ci soient tenus de veiller à ce que les particuliers bénéficient d’une situation juridique suffisamment précise et claire, leur permettant de connaitre la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales (68).

193. C’est à la lumière de ces principes que le bien‑fondé des trois branches du présent grief doit, à mon sens, être apprécié.

194. La première branche de ce grief vise le paragraphe 5 de l’article 46 de la directive 2013/32 (« Droit à un recours effectif »), qui établit la règle générale selon laquelle tout demandeur de protection internationale a le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre concerné, même après l’adoption d’une décision administrative rejetant sa demande, jusqu’à l’expiration du délai prévu pour introduire un recours contre cette décision ou, si un recours a été introduit, jusqu’à ce qu’il soit statué sur ce recours.

195. À cet égard, je tiens à relever que les précisions fournies par la Commission dans la réplique m’amène à considérer que l’objet de la critique de cette dernière est un défaut de transposition correcte, et, en tout état de cause, un manque de clarté d’une telle transposition. En d’autres termes, la Commission incrimine le fait que le cadre juridique national laisse la place à des doutes raisonnables quant à la portée du droit de demeurer dans le territoire de l’État membre concerné, en contradiction avec ce qu’exige la jurisprudence rappelée ci‑dessus.

196. Il convient d’observer que la Hongrie fait valoir que la lecture combinée entre l’article 5, paragraphe 1, sous a), et l’article 35, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile permettrait d’aboutir au résultat recherché par l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32. Or, j’indique d’emblée que je partage la position de la Commission dans la mesure où cette dernière estime que l’article 35, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile en cause (« Le demandeur est soumis à la procédure d’asile depuis l’introduction, en personne, de la demande de protection internationale auprès de l’autorité compétente en matière d’asile [...] jusqu’à la notification de la décision rendue à l’issue de la procédure quand elle n’est plus susceptible de recours »), ne dit rien en ce qui concerne le droit du demandeur de rester sur le territoire de l’État membre concerné (69).

197. Se pose alors la question de savoir si l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la loi relative au droit d’asile, pris isolément, est susceptible de conférer aux demandeurs d’asile le droit de rester en Hongrie, et constitue ainsi une transposition adéquate de l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32.

198. Je suis d’avis que cette question appelle une réponse négative.

199. Afin d’expliquer les raisons m’ayant amené à cette conclusion, je rappelle tout d’abord que la disposition en question se lit comme suit : « le demandeur d’asile a le droit, conformément aux conditions prévues par la présente loi, de séjourner sur le territoire hongrois et, conformément à la réglementation spécifique, d’obtenir un permis de séjour sur le territoire hongrois » (70). Or, si ladite disposition a certes pour effet de faire naître un droit de séjour sur le territoire hongrois au profit de tout demandeur d’asile, l’exercice de ce droit paraît toutefois être subordonné à des conditions supplémentaires qui ne sont pas autrement précisées, comme l’estime, selon moi à juste titre, la Commission. Appelée à identifier de telles conditions au cours de l’audience, la Hongrie n’a cité que l’article 35, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile, lequel me semble viser plutôt la transposition de la notion de « demandeur d’asile », et non l’énoncé d’une des conditions d’octroi du droit de séjour précité.

200. Dans ces conditions, le régime juridique hongrois ne permet pas d’atteindre le résultat recherché par l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32, c’est‑à‑dire l’attribution à tout demandeur de protection internationale ayant vu sa demande rejetée comme étant non fondée du droit de rester sur le territoire de l’État membre concerné. En tout état de cause, face à un droit de séjour dont les contours ne sont aucunement définis, je ne vois pas comment on pourrait estimer être en présence d’un régime juridique présentant la clarté et la précision suffisantes pour que les demandeurs d’asile « soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales » (71).

201. Cette conclusion est limitée au régime juridique hongrois s’appliquant dans des situations ordinaires, c’est‑à‑dire en l’absence de déclaration d’une situation de crise engendrée par une immigration massive. En effet, lorsqu’une telle situation est déclarée, la Hongrie rappelle que l’article 80/J, paragraphe 4, de la loi relative au droit d’asile, suspend le droit de demeurer sur le territoire national, tel que reconnu par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de cette loi. Dans de telles circonstances, la disposition nationale pertinente est, selon cet État membre, l’article 80/J, paragraphe 5, de ladite loi, en ce qu’il prévoit que la zone de transit est assignée au demandeur d’asile comme lieu de séjour obligatoire jusqu’à ce que soit devenue exécutoire la décision relative à sa demande qui n’est plus susceptible de recours (ou l’ordonnance de transfert au titre du règlement de Dublin).

202. Or, eu égard au fait que je propose à la Cour de décider qu’une telle disposition est constitutive d’une rétention illégale, au sens de la directive 2013/33, force est de considérer qu’elle ne peut pas satisfaire à l’exigence de conférer au demandeur d’asile le droit de demeurer sur le territoire national en vertu de l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32.

203. La deuxième branche du présent grief vise l’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32, qui prévoit, à titre dérogatoire, que, lorsque la décision de rejet relève d’une des catégories énumérées à ce paragraphe (incluant notamment les décisions déclarant une demande comme étant manifestement infondée, ainsi que, à l’exclusion de certaines exceptions, comme étant infondée à l’issue d’une procédure accélérée ou irrecevable (72)), le droit de rester sur le territoire ne doit pas nécessairement être garanti de manière automatique par l’État membre concerné, mais que ce dernier est à tout le moins tenu, lorsque la décision en question a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans cet État membre, de prévoir qu’une juridiction doive s’exprimer sur l’existence d’un tel droit.

204. Tout d’abord, il convient de constater que la critique de la Commission se limite à la transposition de cet article pour ce qui concerne les recours formés contre les décisions de rejet de la demande en tant qu’irrecevable. Elle prétend que l’article 53, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile régissant les recours formés contre de telles décision (73), selon lequel « [d]ans la procédure administrative contentieuse, le dépôt d’une requête n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de la décision, à l’exception des décisions en matière d’asile prises en application de l’article 51, paragraphe 2, sous e), et paragraphe 7, sous h) », ne transpose pas correctement le résultat recherché par l’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32. Or, il n’est pas nécessaire, selon moi, de se pencher sur cette question dès lors que la Hongrie ne soulève aucune objection quant au fait que ladite disposition nationale, prise isolément, ne garantit ni l’effet suspensif automatique de ces recours ni le fait qu’une décision concernant l’effet suspensif soit prise par une juridiction.

205. Ce qui me paraît mériter une attention particulière est, en revanche, l’argument de la Hongrie selon lequel ledit résultat est effectivement atteint, dans l’ordre juridique interne, du fait de l’existence de l’article 50 du code de procédure administrative contentieuse. Cette disposition permet, selon cet État membre, de demander à la juridiction saisie du recours principal une protection juridictionnelle immédiate, pouvant prendre notamment la forme de l’octroi d’un effet suspensif (74), ce que la Commission ne conteste pas. En revanche, cette dernière indique qu’elle ne considère pas ledit article 50 comme étant une transposition suffisamment claire et précise de l’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32.

206. Je ne peux pas souscrire à un tel argument.

207. À l’appui de sa position, la Commission se borne à souligner que la loi relative au droit d’asile ne précise pas clairement si les règles générales de procédure administrative seraient applicables aux procédures juridictionnelles relevant du champ d’application d’une telle loi. Or, il me semble que cette remarque ne peut nous conduire, à elle seule, à considérer que la situation juridique découlant du droit national en cause soit dépourvue d’une clarté et d’une précision suffisantes pour permettre aux demandeurs d’asile de connaître la plénitude de leurs droits et de s’en prévaloir devant une juridiction, pour trois raisons essentielles. Premièrement, l’article 53, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile n’exclut pas, de manière expresse, l’application de l’article 50 du code de procédure administrative contentieuse, ni ne contient d’élément incompatible avec une telle application. Deuxièmement, une articulation entre lex generalis (code de procédure administrative contentieuse) et lex specialis (loi relative au droit d’asile) (75), selon laquelle la première est susceptible de s’appliquer aux mêmes cas couverts par la deuxième pour combler les lacunes de celle‑ci, n’est assurément pas inusitée. Troisièmement, la Commission ne fournit aucun élément, tel qu’un courant jurisprudentiel national, permettant de mettre en doute le fait que les juridictions administratives hongroises disposent effectivement de la possibilité d’octroyer la suspension de l’exécution de la décision déclarant la demande d’asile irrecevable, et de reconnaître ainsi au demandeur concerné le droit de demeurer sur le territoire national.

208. Au demeurant, je ne crois pas qu’une interprétation différente de celle proposée serait respectueuse de l’équilibre que la Cour a souhaité réaliser au moyen de la jurisprudence citée aux points 191 et 192 des présentes conclusions.

209. La troisième branche du présent grief vise les exceptions à la dérogation prévues à l’article 46, paragraphe 6, de la directive 2013/32. On déduit du point a) du même paragraphe que, lorsque la décision de rejet est fondée sur les circonstances visées à l’article 31, paragraphe 8, sous h), de la directive 2013/32, la règle générale consacrée à l’article 46, paragraphe 5, de cette directive, redevient applicable de sorte que le droit de rester sur le territoire doit être accordé de manière automatique. De même, on déduit que ce droit doit être octroyé de manière automatique dans le cas où la demande est déclarée irrecevable en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous c) et e), du fait que l’article 46, paragraphe 6, sous b), ne vise que les cas où la demande est déclarée irrecevable en vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous a), b) et d).

210. Il convient de rappeler que, par cette branche, la Commission ne conteste pas le fait que les exceptions se déduisant des points a) et b) dudit paragraphe 2, ont bien été transposées, dans la mesure où l’article 53, paragraphe 6, de la loi relative au droit d’asile, fait référence précisément à celles‑ci lorsqu’il dispose que l’introduction d’un recours n’a pas d’effet suspensif « à l’exception des décisions en matière d’asile prises en application de l’article 51, paragraphe 2, point e), et paragraphe 7, point h) ». Cependant, elle estime à nouveau que la transposition manque de clarté en ce que cette disposition nationale ne dit pas expressément que l’exception à l’absence d’effet suspensif est l’effet suspensif automatique.

211. Or, eu égard à la manière avec laquelle la Commission a développé son argumentation dans le cadre de cette branche, il suffit de constater, à cet égard, qu’une simple interprétation a contrario de ladite disposition fait ressortir en toute clarté le fait que le législateur hongrois a souhaité doter les recours formés contre les décisions fondées sur les circonstances visées à l’article 51, paragraphe 2, sous e), et paragraphe 7, sous h), de la loi relative au droit d’aile d’un effet suspensif automatique.

212. Compte tenu de ce qui précède, je propose à la Cour d’accueillir la première branche du cinquième grief, et de rejeter la deuxième et la troisième branche.

IV.    Dépens

213. Conformément à l’article 138, paragraphe 3, première phrase, du règlement de procédure de la Cour, chaque partie supporte en principe ses propres dépens si, comme en l’espèce, les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Toutefois, en vertu de la deuxième phrase de cette disposition, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte également une fraction des dépens de l’autre partie.

214. Dans le cadre de la solution proposée, la Commission européenne obtient gain de cause dans une large mesure, tandis que les arguments de la Hongrie ne triomphent qu’à l’égard d’une petite partie de l’objet du litige, à savoir la deuxième et la troisième branche du cinquième grief. Dès lors, il apparaît justifié, en l’espèce, de mettre à la charge de la Hongrie outre ses propres dépens, quatre cinquièmes des dépens de la Commission, tandis que celle‑ci supportera un cinquième de ses propres dépens.

V.      Conclusion

215. Pour les motifs exposés dans les présentes conclusions, je propose dès lors à la Cour de statuer comme suit :

1)      En prescrivant que toute demande d’asile doit être introduite en personne devant l’autorité compétente, et exclusivement dans les zones de transit, dans lesquelles elle n’autorise qu’un petit nombre de personnes à pénétrer, la Hongrie a manqué à l’obligation lui incombant en vertu des articles 3 et 6 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

2)      En mettant en œuvre une procédure d’examen des demandes d’asile à la frontière dépourvue des garanties prévues à l’article 43 de la directive 2013/32, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de cette disposition.

3)      En appliquant à tous les demandeurs d’asile, à l’exception des enfants de moins de 14 ans, une procédure d’examen de leur demande dont le résultat est leur placement en rétention dans les zones de transit pendant toute sa durée, sans pouvoir bénéficier des garanties prévues aux articles 8, 9 et 11 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de ces dispositions.

4)      En reconduisant de l’autre côté de la clôture frontalière les ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire national sans respecter les garanties définies à l’article 5, à l’article 6, paragraphe 1, à l’article 12, paragraphe 1, et à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de ces dispositions.

5)      En transposant de manière incorrecte en droit national l’article 46, paragraphe 5, de la directive 2013/32, la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de cette disposition.

6)      Le recours est rejeté pour le surplus.

7)      La Hongrie supporte ses propres dépens, ainsi que quatre cinquième des dépens de la Commission européenne. La Commission européenne supporte un cinquième de ses propres dépens.



1      Langue originale : le français.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).


4      Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98).


5      JO 2016, L 77, p. 1 (ci-après le « code frontières Schengen »).


6      Directive du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JO 2010, L 280, p. 1).


7      Arrêt du 14 mai 2020 (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367).


8      Voir, ex multis, arrêt du 14 avril 2005, Commission/Luxembourg (C‑519/03, EU:C:2005:234, point 19).


9      Voir arrêt du 10 avril 2008, Commission/Italie (C‑442/06, EU:C:2008:216, point 42).


10      Dans son mémoire en défense, la Hongrie explique qu’une situation de crise engendrée par une immigration massive est une situation spéciale qui peut être déclarée lorsque les conditions prévues à l’article 80/A, paragraphe 1, de la loi relative au droit d’asile sont réunies et pendant laquelle des règles de procédure spécifiques s’appliquent. Selon elle, le gouvernement hongrois a fait cette déclaration au mois de septembre 2015, et en a prorogé les effets jusqu’au 7 septembre 2019.


11      La présentation d’une demande de protection internationale est définie par la proposition de la Commission relative à la directive 2005/85/CE [du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13)], à savoir l’acte juridique abrogé et remplacé par la directive 2013/32, comme « toute manifestation ou expression indiquant que [la personne concernée] craint d’être renvoyée dans son pays » (voir proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres /*COM/2000/0578 final – CNS 2000/0238*/ (JO 2001, 62 E, p. 231), commentaire sur l’article 4.


12      Proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres /*COM/2000/0578 final – CNS 2000/0238*/, commentaire sur l’article 4.


13      Mise en italique par mes soins.


14      EASO et Frontex, « Guide pratique : accès à la procédure d’asile », 2016, disponible à l’adresse https://www.easo.europa.eu/sites/default/files/Practical%20 Tools-%20Access%20T o%20Procedures-Practical-Guide-FR.pdf.pdf, p. 6.


15      Rapport du HCR intitulé « Hungary as a country of asylum. Observations on restrictive legal measures and subsequent practice implemented between July 2015 and March 2016 » (« La Hongrie comme pays d’asile : observations relatives aux mesures juridiques restrictives et à la pratique suivie entre juillet 2015 et mars 2016 »), disponible à l’adresse https://www.refworld.org/docid/57319d514.html.


16      Rapport de la visite d’information de l’ambassadeur Tomás Boček, représentant spécial du secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, en Serbie et dans deux zones de transit en Hongrie, du 12 ou 16 juin 2017, disponible à l’adresse https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168075e9b2.


17      Rapport établi par le Hungarian Helsinki Committee intitulé « Country Report : Hungary » (« Rapport sur la Hongrie »), disponible à l’adresse https://www.asylumineurope.org/sites/default/files/report-download/aida_hu_2017 update.pdf.


18      Rapport du HCR intitulé « Desperate journeys : Refugees and migrants arriving in Europe and at Europe’s border » (« Voyages du désespoir – Réfugiés et migrants arrivant en Europe et aux frontières de l’Europe »), janvier-août 2018, disponible à l’adresse https://www.unhcr.org/desperatejourneys/.


19      Ainsi qu’il résulte du rapport de la visite d’information de l’ambassadeur Tomás Boček, représentant spécial du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, en Serbie et dans deux zones de transit en Hongrie, du 12 au 16 juin 2017, disponible à l’adresse https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=090000168075e9b2.


20      Je note, à cet égard, que, dans ses écritures, la Commission se réfère constamment à l’« introduction » de la demande de protection internationale. Toutefois, son premier grief vise à l’évidence la phase précédant l’enregistrement de la demande, à savoir celle de la « présentation ».


21      Annexe, « Explication détaillée de la proposition modifiée accompagnant le document “Proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la procédure commune pour l’octroi et le retrait du statut conféré par la protection internationale” », article 6.


22      Les précisions entre crochets ont été ajoutées par mes soins.


23      Voir proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE, signée à Bruxelles le 13 juillet 2016 [COM/2016/0467 final - 2016/0224 (COD)].


24      Voir mes conclusions dans les affaires jointes FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:294, point 136).


25      À ma connaissance, l’idée de prévoir un régime spécifique pour la « procédure à la frontière » remonte à la proposition modifiée de la directive 2005/85, laquelle l’exprime comme suit : « Sur la base des consultations ultérieures menées avec les États membres, une approche particulière est proposée en ce qui concerne les demandes introduites à un poste frontière » (mise en italique par mes soins) [voir proposition modifiée de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres /* COM/2002/0326 final - CNS 2000/0238 */ (JO 2002, C 291E, p. 143)], ce qui confirme, me semble-t-il, le caractère primordial de l’élément de la territorialité de la procédure.


26      Cela implique nécessairement que la qualification fonctionnelle des installations de Röszke et de Tompa, au sens du droit national, en tant que zones de transit ou institutions d’accueil, qui a été avancée à maintes reprises par la Hongrie dans son mémoire en défense, est dépourvue de toute pertinence à cette fin.


27      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement de Dublin »).


28      L’article 2, sous d), de la directive 2013/32 définit la notion de « demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales » comme « un demandeur dont l’aptitude à bénéficier des droits et à se conformer aux obligations prévues par la présente directive est limitée en raison de circonstances individuelles ».


29      Plus précisément, l’article 71/A, paragraphe 7, dispose que les règles de la procédure à la frontière ne s’appliquent pas aux « personnes ayant besoin d’un traitement spécial », à savoir, conformément à la définition établie à l’article 2, sous k), de la loi relative au droit d’asile, les « mineurs non accompagnés, ou toute personne vulnérable – en particulier les mineurs, les personnes âgées, les personnes handicapées, les femmes enceintes, les parents isolés avec enfants mineurs, ainsi que les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle – dont il peut être établi, à la suite d’une appréciation individuelle de sa situation, qu’elle a des besoins spécifiques ». Cette notion me semble néanmoins relever de celle, ayant une portée plus large, de « demandeurs nécessitant des garanties spéciales » employée par la directive 2013/32. Pour cette dernière définition, voir note en bas de page 30 des présentes conclusions.


30      Arrêt du 2 avril 2020 (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2020:257).


31      Avant que la Cour ne statue dans cette affaire, j’avais déjà pris position sur l’interprétation de l’article 72 TFUE dans mes conclusions dans l’affaire Stadt Frankfurt am Main (C‑18/19, EU:C:2020:130, points 38 à 42).


32      Ces dérogations figurent, selon la Cour, aux articles 36, 45, 52, 65 72, 346 et 347 TFUE.


33      Arrêt du 2 avril 2020, Commission/Pologne e.a. (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2020:257, points 143 à 147).


34      Je paraphrase les points 148 – 153 dudit arrêt.


35      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 244).


36      Cour EDH, 14 mars 2017, Ilias et Ahmed c. Hongrie, ECHR :2017 :0314JUD004728715.


37      Arrêt du 19 mars 2020 (C‑564/18, EU:C:2020:218).


38      Arrêt du 19 mars 2020 (C‑564/18, EU:C:2020:218).


39      Cour EDH, 21 novembre 2019, CE:ECHR:2019:1121JUD004728715.


40      Voir mes conclusions dans les affaires jointes FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:294, points 148 à 152).


41      Il ressort en effet des explications afférentes à l’article 52 de la Charte que le paragraphe 3 de cet article vise à assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH « sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne ».


42      Voir, en matière d’asile, arrêts du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 45), et du 14 septembre 2017, K. (C‑18/16, EU:C:2017:680, point 32).      


43      Cette interprétation « autonome » des dispositions de la Charte dont le contenu est semblable à celui des dispositions inscrites dans la CEDH, est soumise à la condition, établie à l’article 52, paragraphe 3, de celle‑ci, qu’elle aboutisse à un niveau de protection plus élevé que celui garanti par la CEDH.


44      Ce considérant se lit comme suit : « La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, notamment par la [Charte]. En particulier, la présente directive vise à garantir le plein respect de la dignité humaine et à favoriser l’application des articles 1er, 4, 6, 7, 18, 21, 24 et 47 de la [C]harte et doit être mise en œuvre en conséquence. »


45      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367).


46      Cour EDH, 21 novembre 2019, CE:ECHR:2019:1121JUD004728715.


47      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 216 à 222).


48      Pour ma part, je ne vois pas comment une restriction de cette ampleur de la liberté de mouvement pourrait être considérée comme étant une conséquence inévitable de la taille limitée de l’ensemble de la zone de transit, ainsi que le prétend la Hongrie.


49      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367), point 226.


50      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367).


51      Voir, à cet égard, mes conclusions dans les affaires jointes FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:294, points 155 et 166), dans lesquelles j’ai soutenu que seule une possibilité « réaliste » de départ volontaire est de nature à exclure l’existence d’une rétention, et que ce caractère réaliste doit s’apprécier au regard de la situation propre aux demandeurs de protection internationale.


52      Arrêt du 14 mai 2020, FMS e.a. (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, points 228 à 229).


53      Voir, notamment, arrêt du 30 avril 2014, Kásler et Káslerné Rábai (C‑26/13, EU:C:2014:282, point 37).


54      Arrêt du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa) (C‑564/18, EU:C:2020:218, point 27).


55      Voir également arrêt du 14 septembre 2017, K. (C‑18/16, EU:C:2017:680, point 48).


56      La Hongrie fait notamment référence à l’arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708).


57      Force est de constater que l’argument de la Hongrie selon lequel la police hongroise agit dans les limites du cadre législatif et utilise de manière proportionnée des moyens coercitifs uniquement dans les cas prévus par la loi, ainsi que le requiert l’article 8, paragraphe 4, de la directive 2008/115, est dépourvu de pertinence lorsqu’il s’agit de déterminer si la Hongrie a manqué aux obligations dont la violation lui est reprochée par le présent grief.


58      Arrêt du 19 mars 2019, Arib e.a. (C‑444/17, EU:C:2019:220, point 46 et jurisprudence citée).


59      Mise en italique par mes soins.


60      L’article 5, paragraphe 1 bis, de la loi sur les frontières de l’État, se lit comme suit : « La police peut, sur le territoire hongrois, interpeller les ressortissants étrangers en séjour irrégulier sur le territoire hongrois, à l’intérieur d’une bande de [huit kilomètres] à compter du tracé de la frontière extérieure telle que définie à l’article 2, paragraphe 2, du code frontières Schengen ou des signes de démarcation de la frontière, et les escorter jusqu’au portail de l’installation la plus proche visée au paragraphe 1, sauf en cas de soupçon d’infraction ».


61      Arrêt du 2 avril 2020 (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2020:257).


62      En l’absence d’une remise en question de sa validité, la circonstance que la directive 2008/115 ne contient pas de considérant, tel que le considérant 51 de la directive 2013/32, précisant qu’elle ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres en ce qui concerne le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure, conformément à l’article 72 TFUE, n’est assurément pas de nature à justifier une dérogation aux dispositions de cette directive sur la base de cet article, ainsi que le prétendrait la Hongrie.


63      En effet, l’article 18 de la directive 2008/115 se borne à autoriser les États membres à octroyer pour le contrôle juridictionnel des délais plus longs que ceux prévus à l’article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, de ladite directive et de prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à l’article 17, paragraphe 2, de la même directive.


64      Ainsi que le remarque la Commission dans la requête, l’article 18, paragraphe 3, de la directive 2008/15 souligne même expressément qu’« [a]ucune disposition du présent article ne saurait être interprétée comme autorisant les États membres à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la présente directive ».


65      Arrêt du 23 novembre 2010 (C‑145/09, EU:C:2010:708).


66      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77).


67      Voir arrêt du 22 février 2018, Commission/Pologne (C‑336/16, EU:C:2018:94, point 120 et jurisprudence citée).


68      Voir, notamment, arrêt du 13 février 2014, Commission/RoyaumeUni (C‑530/11, EU:C:2014:67, point 34 et jurisprudence citée).


69      À cet égard, il est précisé que la Hongrie ne conteste pas l’affirmation de la Commission selon laquelle, s’il est vrai que l’article 51, paragraphe 2, de la loi n° II relative à l’entrée et au séjour des tiers, de 2007, prévoit que « si les ressortissants de pays tiers est soumis à la procédure d’asile, le refoulement ou le retour ne peut être ordonné ou exécuté », il n’en demeure pas moins que cette disposition n’est pas susceptible de conférer aux demandeurs d’asile un droit de rester sur le territoire hongrois, étant donné qu’elle ne trouve à s’appliquer que « si le ressortissant de pays tiers a le droit de séjourner sur le territoire de la Hongrie, comme cela est spécifié dans une loi distincte ».


70      Mise en italique par mes soins.


71      Mise en italique par mes soins.


72      Article 46, paragraphe 6, sous a) et b), de la directive 2013/32.


73      La Hongrie a confirmé lors de l’audience que cet article couvre les recours formés contre ces décisions en attirant l’attention sur le paragraphe 2 du même article, aux termes duquel « [u]ne décision de rejet qui est motivée par l’irrecevabilité de la demande, ou qui a été rendue dans le cadre d’une procédure accélérée, peut être attaquée dans le cadre d’une procédure administrative contentieuse » (mise en italique par mes soins).


74      Le paragraphe 4 de cet article précise que les raisons qui justifient la nécessité d’une protection juridictionnelle immédiate doivent être indiquées de manière détaillée dans la demande, les pièces justificatives doivent être jointes et les faits qui fondent la demande doivent être étayés.


75      La Hongrie a confirmé lors de l’audience que la relation entre ces deux actes juridiques doit être comprise de cette manière.