Language of document : ECLI:EU:F:2010:18

ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

9 mars 2010 (*)

« Fonction publique — Agents temporaires — Rémunération — Indemnité de dépaysement — Conditions prévues à l’article 4 de l’annexe VII du statut — Résidence habituelle antérieurement à l’entrée en fonctions — Séjour en qualité d’étudiant au lieu d’affectation pendant la période de référence — Stages en dehors du lieu d’affectation pendant la période de référence — Prise en compte de la résidence effective »

Dans l’affaire F‑33/09,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

Aglika Tzvetanova, agent temporaire de la Commission européenne, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et É. Marchal, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. D. Martin et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents, puis par MM. J. Currall et J. Baquero Cruz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

composé de MM. S. Gervasoni (président), H. Kreppel et H. Tagaras (rapporteur), juges,

greffier : M. R. Schiano, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 novembre 2009,

rend le présent

Arrêt

1        Par requête parvenue au greffe du Tribunal le 1er avril 2009 par télécopie (le dépôt de l’original étant intervenu le 3 avril suivant), Mme Tzvetanova, née Sabeva, demande l’annulation de la décision de la Commission des Communautés européennes lui refusant le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), telle que cette décision ressort de la fiche portant fixation des droits individuels de la requérante, établie le 10 juillet 2008 par l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO).

 Cadre juridique

2        Aux termes de l’article 4, de l’annexe VII du statut :

« 1. L’indemnité de dépaysement égale à 16 % du montant total du traitement de base ainsi que de l’allocation de foyer et de l’allocation pour enfant à charge versées au fonctionnaire est accordée :

a)      au fonctionnaire :

–        qui n’a pas et n’a jamais eu la nationalité de l’État sur le territoire duquel est situé le lieu de son affectation

et

–        qui n’a pas, de façon habituelle, pendant la période de cinq années expirant six mois avant son entrée en fonctions, habité ou exercé son activité professionnelle principale sur le territoire européen dudit État. [...] »

3        L’article 21 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA ») prévoit :

« Les dispositions des articles 1er, 2, 3 et 4 de l’annexe VII du statut concernant les modalités d’attribution des allocations familiales et de l’indemnité de dépaysement sont applicables par analogie. »

 Faits à l’origine du litige

4        La requérante, qui est ressortissante bulgare et n’a jamais eu la nationalité belge, a obtenu sa maîtrise en droit à l’université St. Kliment Ohridski de Sofia (Bulgarie) en décembre 2001. Le 23 janvier 2002, elle a conclu un contrat de travail avec le ministère bulgare de la Justice aux termes duquel elle était affectée, à partir du 1er février 2002 et pour une durée déterminée d’un an, au Sofiyska Gradski Sad (tribunal de ville de Sofia) en tant que « candidat[e] judiciaire ». Le 16 octobre 2002, la requérante a été inscrite au barreau de Sofia.

5        Avant l’arrivée à terme du contrat la liant avec le ministère bulgare de la Justice, la requérante s’est rendue en Belgique pour compléter ses études universitaires et y a effectué un troisième cycle à l’Université catholique de Louvain (Katholieke Universiteit Leuven, ci-après la « KUL »), ce entre le mois d’octobre 2002 et le 4 juillet 2003. Par la suite, elle a accompli un stage à Sofia du 7 juillet au 31 août 2003, auprès d’une société d’audit.

6        Le 10 septembre 2003, la requérante, d’une part, et le Comité européen des assurances (ci-après le « CEA ») et la KUL, d’autre part, ont signé un contrat de stage pour étudiants de la KUL en application duquel l’intéressée a effectué un stage auprès du CEA à Paris (France) entre le 1er octobre 2003 et le 29 février 2004.

7        Peu avant la fin de ce stage, la requérante a demandé au CEA s’il y avait un poste correspondant à son profil au sein de ses bureaux à Paris. Par lettre du 17 février 2004, le CEA a répondu par la négative, tout en incitant la requérante, en raison de sa performance excellente pendant le stage, à postuler à un emploi au sein des bureaux du CEA à Bruxelles. Le 26 février 2004, la requérante a signé avec le CEA un contrat de travail à durée déterminée, prenant effet le 1er mars 2004 ; le contrat a été conclu pour une durée de dix mois et son lieu d’exécution était Bruxelles (Belgique). Le 26 juin 2004, le CEA a procédé à la transformation de ce contrat en un contrat à durée indéterminée, à compter du 1er juillet 2004.

8        Le 15 mai 2008, la Commission a engagé la requérante en qualité d’agent temporaire sur la base de l’article 2, sous b), du RAA pour la période du 16 mai 2008 au 15 novembre 2009 en fixant le lieu d’affectation à Bruxelles.

9        Lors de la détermination des droits individuels de la requérante, par décision du 10 juillet 2008, le PMO ne lui a pas accordé le bénéfice de l’indemnité de dépaysement (ci-après la « décision attaquée »).

10      Le 19 septembre 2008, la requérante a introduit une réclamation au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut contre la décision attaquée.

11      Par décision du 17 décembre 2008, l’autorité habilitée à conclure les contrats a rejeté la réclamation de la requérante, au motif que celle-ci avait eu sa résidence habituelle en Belgique pendant toute la période de référence visée à l’article 4 de l’annexe VII du statut (ci-après la « période de référence »), à savoir du 16 novembre 2002 au 15 novembre 2007.

 Conclusions des parties et procédure

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la partie défenderesse aux dépens.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      À titre de mesures d’organisation de la procédure, prévues par les articles 55 et 56 du règlement de procédure, le Tribunal, par lettre du greffe du 10 juillet 2009, a invité la requérante à produire copie de certains documents et à répondre à certaines questions portant notamment sur son séjour effectif à Paris pendant son stage au CEA entre le 1er octobre 2003 et le 29 février 2004.

15      Par lettre du 23 juillet 2009, la requérante a déféré à cette demande.

16      Par lettre du greffe du 8 septembre 2009, la Commission a été invitée à déposer des observations sur les réponses de la requérante aux mesures d’organisation de la procédure. La Commission a déféré à cette demande le 11 septembre 2009.

 Sur les conclusions aux fins d’annulation de la décision attaquée

17      À l’appui de son recours, et dans le cadre d’un moyen unique, la requérante invoque une erreur manifeste d’appréciation et la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), deuxième tiret, de l’annexe VII du statut (ci-après la « disposition litigieuse »).

 Arguments des parties

18      La requérante fait valoir que, en refusant de lui octroyer l’indemnité de dépaysement, la Commission n’a pas fait une interprétation et une application correctes de la disposition litigieuse.

19      La décision attaquée serait illégale parce que la requérante n’aurait pas habité en Belgique pendant la totalité de la période de référence.

20      En effet, la requérante soutient avoir maintenu sa résidence principale en Bulgarie pendant la première partie de la période de référence allant du 16 novembre 2002 au 29 février 2004, date après laquelle elle a commencé à travailler pour le CEA, à Bruxelles.

21      Tout en reconnaissant avoir été inscrite au registre belge des étrangers depuis le 1er février 2000, à savoir avant même le début de la période de référence, la requérante explique cette inscription par son intention, dès 1999, d’effectuer une formation linguistique en Belgique. Étant donné que la Bulgarie ne faisait alors pas partie de l’Union européenne, l’inscription audit registre aurait été requise pour obtenir un titre de séjour. Or, la requérante n’aurait finalement pas pu suivre cette formation. Par conséquent, l’inscription au registre belge des étrangers à une date qui était d’ailleurs antérieure à la période de référence ne correspondrait pas à un séjour effectif en Belgique.

22      Entre la date de début de la période de référence, à savoir le 16 novembre 2002, et le 4 juillet 2003, la requérante n’aurait résidé en Belgique qu’aux fins d’effectuer des études à la KUL. Pour cette raison, elle aurait demandé la prorogation de son inscription au registre belge des étrangers, ce qui n’entraînerait nullement le déplacement du centre permanent de ses intérêts vers la Belgique. En effet, elle n’aurait jamais eu la volonté de conférer un caractère stable à sa résidence en Belgique.

23      En outre, après la fin de ses études à la KUL, la requérante aurait séjourné à deux reprises en dehors de la Belgique, d’une part à Sofia et d’autre part à Paris, pour effectuer des stages (voir points 5 et 6 du présent arrêt).

24      Par ailleurs, la requérante fait valoir que, à la fin de ses études à la KUL, elle n’a pas demandé de prorogation de son titre de séjour en Belgique et que, par conséquent, du 31 octobre au 7 novembre 2003, elle n’était pas inscrite au registre belge des étrangers. Si par la suite elle a sollicité une nouvelle inscription audit registre, elle l’aurait uniquement fait en vue de son stage à Paris et afin d’obtenir le visa qui lui serait indispensable pour effectuer ce stage, à savoir le visa uniforme de courte durée, prévu par les articles 10 et 11 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19), convention signée le 19 juin 1990 à Schengen (Luxembourg).

25      Enfin, s’agissant en particulier du stage à Paris, auprès du CEA, la requérante soutient qu’il a effectivement eu lieu du 1er octobre 2003 au 29 février 2004 et que durant cette période elle a donc séjourné à Paris.

26      Au demeurant, la circonstance que le contrat relatif au stage effectué à Paris ait été conclu également avec la KUL ne démontrerait pas l’existence d’attaches avec la Belgique. Au contraire, elle s’expliquerait uniquement par le fait que cette formule aurait permis à la requérante, alors ressortissante d’un État tiers, d’avoir une couverture sociale valable dans toute l’Union européenne (et donc en France), possibilité que la KUL pouvait lui offrir dans le cadre des polices d’assurances conclues pour les étudiants étrangers.

27      La requérante conclut que, dès lors, elle satisfait à toutes les exigences prévues par la disposition litigieuse et qu’elle doit bénéficier de l’indemnité de dépaysement.

28      La Commission fait valoir que la requérante a, de façon habituelle, habité et exercé son activité professionnelle principale en Belgique durant la période de référence et que ses prétentions ne sont donc pas fondées.

29      Selon la Commission, les études de la requérante à Louvain au début de la période de référence ont déplacé la résidence habituelle de l’intéressée en Belgique, puisque celle-ci aurait continué, d’une part, à habiter effectivement en Belgique après leur fin et, d’autre part, à être inscrite pendant presque toute la période de référence au registre belge des étrangers à l’exception d’une semaine, absence due, selon la Commission, au transfert de son dossier entre deux communes bruxelloises.

30      À cet égard, la Commission évoque notamment la jurisprudence selon laquelle le fait de séjourner dans un pays uniquement en tant qu’étudiant n’exclurait pas l’existence d’une résidence habituelle dans ce pays, si ce fait était pris en considération avec d’autres faits pertinents pour déterminer l’existence de liens sociaux et professionnels durables du fonctionnaire avec le pays en question (arrêt du Tribunal de première instance du 3 mai 2001, Liaskou/Conseil, T‑60/00, RecFP p. I‑A‑107 et II‑489, points 55 et 56). Ainsi, il pourrait y avoir un déplacement de la résidence habituelle, lorsque l’étudiant continue à séjourner dans le pays de ses études de façon quasi ininterrompue tout au long et même au-delà de la période de référence (arrêt de la Cour du 10 octobre 1989, Atala-Palmerini/Commission, 201/88, Rec. p. 3109, points 10 et 11).

31      En poursuivant son raisonnement, la Commission fait remarquer que les intervalles constitués par le déroulement des stages de la requérante à Sofia et à Paris ne sont pas susceptibles d’interrompre sa résidence habituelle ainsi établie en Belgique. Elle avance plusieurs arguments à l’appui de sa position.

32      D’abord, en ce qui concerne le stage à Sofia, la Commission relève qu’il était de courte durée, s’était déroulé pendant l’été et avait été suivi d’un retour immédiat à Bruxelles. En outre, pendant ce stage, la requérante aurait loué un appartement au lieu d’habiter celui dont elle est propriétaire depuis septembre 2002, lequel serait occupé par des membres de sa famille, ce qui démontrerait que la requérante n’avait pas de volonté de s’installer à Sofia.

33      Ensuite, le fait que le stage à Paris ait été réalisé dans le cadre d’un contrat avec la KUL démontrerait les attaches de la requérante avec la Belgique et ne saurait donc interrompre sa résidence habituelle dans ce pays. À cet égard, la Commission rappelle que la Cour a considéré que des absences pour des périodes de brève durée dont la plus longue était de trois ou quatre mois, l’ensemble n’excédant pas neuf à dix mois, absences qui, de plus, n’étaient pas caractérisées par l’intention de l’intéressé d’établir le centre permanent de ses intérêts dans un autre État, ne sauraient être considérées comme suffisantes pour faire perdre à la résidence du requérant dans l’État d’affectation son caractère habituel (arrêt de la Cour du 9 octobre 1984, Witte/Parlement, 188/83, Rec. p. 3465, points 9 et 11).

34      En tout état de cause, dans un tel domaine, la charge de la preuve pèserait sur la requérante qui devrait apporter des preuves d’une interruption définitive de ses liens avec la Belgique (arrêt du Tribunal du 20 novembre 2007, Kyriazis/Commission, F‑120/05, RecFP p. I‑A‑1‑365 et II‑A‑1‑2023, point 48, et la jurisprudence citée). Or, la requérante n’aurait pas été en mesure d’apporter de telles preuves.

35      Les arguments de la requérante concernant son inscription au barreau de Sofia et le fait qu’elle est propriétaire d’un appartement dans cette ville seraient sans incidence sur le litige, de même que le stage au Sofiyska Gradski Sad qui aurait été effectué en dehors de la période de référence.

36      Dans ce contexte, la Commission insiste sur la circonstance que, immédiatement après ses stages à Sofia auprès de la société d’audit et à Paris auprès du CEA, la requérante a été engagée à Bruxelles par ce dernier et rappelle la jurisprudence selon laquelle, lorsqu’une période de stage est suivie d’une période d’emploi au même endroit, la présence continue de l’intéressé à l’étranger pourrait créer la présomption d’une éventuelle volonté, de sa part, de déplacer le centre de ses intérêts et ainsi sa résidence habituelle (arrêt du Tribunal de première instance du 25 octobre 2005, Salvador García/Commission, T‑205/02, RecFP p. I‑A‑285 et II‑1311, point 72). Ainsi, la requérante aurait maintenu sa résidence en Belgique alors mêmes que ses stages se déroulaient à Sofia et à Paris.

37      La Commission affirme, qu’il résulte de l’ensemble des faits que, pendant la période de référence, la requérante a résidé de façon habituelle en Belgique, pays où est situé son lieu d’affectation et que, par conséquent, elle a établi des liens durables avec ce pays. C’est donc à bon droit qu’elle se serait vue refuser l’indemnité de dépaysement dont la finalité est, selon la jurisprudence, de remédier aux inégalités de fait survenant entre les fonctionnaires intégrés dans la société de l’État d’affectation et ceux qui ne le sont pas (arrêt du Tribunal du 11 juillet 2007, B/Commission, F‑7/06, RecFP p. I‑A‑1‑217 et II‑A‑1‑1243, point 39).

 Appréciation du Tribunal

38      À titre liminaire, il importe de relever qu’il n’est pas contesté que la période de référence en l’espèce s’étend du 16 novembre 2002 au 15 novembre 2007. En outre, dans la mesure où, à partir du 1er mars 2004 et jusqu’à la fin de la période de référence, la requérante a habité et exercé son activité professionnelle principale à Bruxelles sous couvert de contrats à durée d’abord déterminée et ensuite indéterminée, ce qui n’est pas davantage contesté, seul le début de la période de référence, à savoir la période allant du 16 novembre 2002 au 29 février 2004, est en litige au regard de la condition posée par la disposition litigieuse. Cette partie de la période de référence concerne les études de la requérante à Louvain, d’octobre 2002 à juillet 2003, ainsi que ses stages à Sofia et à Paris, lesquels ont eu lieu, respectivement, du 7 juillet au 31 août 2003 et du 1er octobre 2003 au 29 février 2004.

39      Il convient ensuite de rappeler, également à titre liminaire, que, même si les termes « habit[er] » ou « exerc[er] son activité professionnelle principale » sont utilisés dans la disposition litigieuse, celle-ci doit être interprétée comme retenant pour critère primordial, quant à l’octroi de l’indemnité de dépaysement, la résidence habituelle (et non pas le domicile ou la simple habitation) du fonctionnaire, antérieurement à son entrée en fonctions (voir arrêts du Tribunal de première instance du 8 avril 1992, Costacurta Gelabert/Commission, T‑18/91, Rec. p. II‑1655, point 42, et du 19 juin 2007, Asturias Cuerno/Commission, T‑473/04, RecFP p. I‑A‑2‑139 et II‑A‑2‑963, point 73, et la jurisprudence citée). La résidence habituelle est, selon cette même jurisprudence, le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts.

40      Au vu de ce qui précède, le Tribunal, afin de résoudre le litige dont il est saisi, commencera par examiner si les études à Louvain de la requérante ont eu pour effet de déplacer sa résidence habituelle, au sens de la jurisprudence susmentionnée, en Belgique, et ce au plus tard en date du 16 novembre 2002, date du début de la période de référence.

41      En effet, et en dépit des doutes et interrogations exprimés par la Commission, notamment lors de l’audience, les permis de séjour et de travail en Belgique, obtenus depuis 2000 par la requérante (inscrite successivement à la commune de Saint-Gilles du 1er février 2000 au 31 octobre 2003, à la commune d’Ixelles du 7 novembre 2003 au 25 avril 2006 et à la commune d’Uccle depuis le 25 avril 2006), ne permettent nullement de contester, de manière sérieuse, que la résidence habituelle de celle-ci, jusqu’à la veille de ses études à Louvain, se trouvait en Bulgarie.

42      D’une part, il apparaît hautement improbable que la requérante ait pu non seulement accomplir avec succès ses études de droit à Sofia, mais également s’acquitter des obligations résultant pour elle du contrat signé à la fin de ces études avec le ministère bulgare de la Justice, si elle avait entre-temps déplacé sa résidence habituelle en Belgique.

43      D’autre part, selon la jurisprudence, l’inscription au registre d’une localité est un élément purement formel qui ne permet pas d’établir la résidence effective de l’intéressé dans ladite localité (voir, en ce sens, arrêt Liaskou/Conseil, précité, point 62), les seules déclarations de l’intéressé étant par ailleurs dénuées de valeur probante pour établir l’existence d’une telle résidence effective (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de première instance du 4 juin 2003, Del Vaglio/Commission, T‑124/01 et T‑320/01, RecFP p. I‑A‑157 et II‑767, point 85). Cette jurisprudence doit aussi valoir, et à plus forte raison, s’agissant de déclarations relatives à des concepts juridiques, comme celui de « résidence » au sens de la disposition litigieuse, qu’il appartient non pas aux parties mais au juge de définir, le cas échéant. Dans ce contexte, il y a lieu, de manière plus générale, de rappeler la jurisprudence relative à l’absence de force probante des pièces qui reflètent les liens de l’intéressé avec un pays donné ou même mentionnent une adresse dans ce pays, comme par exemple les attestations relatives à l’exercice des droits civiques ou à l’immatriculation d’une voiture et les paiements des taxes et charges y afférant (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de première instance du 27 septembre 2006, Kontouli/Conseil, T‑416/04, RecFP p. I‑A‑2‑181 et II‑A‑2‑897, points 90, 105 et 106), sans que les autorités ou les personnes physiques ou morales ayant établi ces pièces n’aient fait de vérification quant à la résidence effective de l’intéressé (arrêt du Tribunal du 8 avril 2008, Bordini/Commission, F‑134/06, RecFP p. I‑A‑1‑87 et II‑A‑1‑435, points 74, 76 et 77).

44      Ainsi, l’explication de la requérante selon laquelle ses permis de séjour et de travail pour la Belgique ne constituaient en réalité qu’une « porte d’entrée » à l’Union européenne et ne correspondaient nullement à une résidence effective en Belgique, apparaît plausible.

45      En tenant ainsi pour acquise la résidence habituelle de la requérante en Bulgarie jusqu’à la veille de ses études à Louvain, il convient, afin de répondre à la question soulevée au point 40, de se référer à la jurisprudence suivant laquelle si, en principe, le fait de séjourner dans un pays, afin notamment de compléter ses études universitaires et de réaliser des stages pratiques professionnels, tous deux par définition temporaires et parties complémentaires de la formation d’un individu, ne présume pas la volonté de ce dernier de déplacer le centre de ses intérêts dans ce pays (voir, en ce sens, arrêt Asturias Cuerno/Commission, précité, point 74, et la jurisprudence citée), il n’est cependant pas exclu qu’un tel séjour constitue une résidence habituelle dans ce pays, si, pris en considération avec d’autres faits pertinents, il démontre l’existence de liens sociaux et professionnels durables de la personne concernée avec le pays en question (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 27 septembre 2000, Lemaître/Commission, T‑317/99, RecFP p. I‑A‑191 et II‑867, point 51, et Liaskou/Conseil, précité, points 55 et 56).

46      Parmi ces autres « faits pertinents » figure, selon l’arrêt Atala-Palmerini/Commission, précité, point 10, la circonstance que l’étudiant a continué à séjourner dans le pays de ses études de façon presque ininterrompue après la fin de celles-ci et même au delà de la période de référence.

47      C’est d’ailleurs cette circonstance que la Commission invoque essentiellement, en s’appuyant en particulier sur le travail effectué par la requérante depuis le 1er mars 2004 à Bruxelles pour le compte du CEA (voir point 7 du présent arrêt), pour soutenir que la résidence habituelle de la requérante doit être considérée comme se trouvant, depuis au moins le mois d’octobre 2002, en Belgique.

48      Toutefois, en l’espèce, il ne résulte nullement du dossier, lu à la lumière de la jurisprudence pertinente, que, en entreprenant ses études à Louvain, la requérante ait fixé en Belgique, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. Au contraire, les circonstances de l’espèce plaident en ce sens que, durant ces études, lesquelles, selon la jurisprudence, ne permettent pas de présumer l’existence d’une volonté certaine de déplacement du centre permanent des intérêts dans le pays des études, mais tout au plus une perspective encore incertaine de le faire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal de première instance du 25 octobre 2005, Dedeu i Fontcuberta/Commission, T‑299/02, RecFP p. I‑A‑303 et II‑1377, point 66), le centre permanent ou habituel des intérêts de la requérante était maintenu en Bulgarie.

49      Premièrement, en ce qui concerne l’argument que la Commission tire de l’arrêt Atala-Palmerini/Commission, précité, point 11, il convient de relever que, si la Cour a jugé que « le fait que la requérante ait séjourné en Belgique uniquement en tant qu’étudiante […] ne suffit à exclure qu’elle ait habité dans ce pays de façon habituelle », elle a lié expressément ce constat aux circonstances de l’espèce, énumérées au point 10 de l’arrêt en question, à savoir, en premier lieu que ladite requérante se trouvait déjà en Belgique depuis deux ans au début de la période de référence, en deuxième lieu qu’elle avait continué d’y « séjourner de façon presque ininterrompue » tout au long et même au-delà de cette période, en troisième lieu qu’elle a admis que, suite à son mariage, durant la période de référence, avec un fonctionnaire affecté à Bruxelles, elle avait établi sa résidence habituelle en Belgique. Or, parmi ces trois circonstances, la première et la troisième ne caractérisent absolument pas l’affaire faisant l’objet du présent arrêt, tandis que, pour ce qui est de la deuxième circonstance, il est constant que, après ses études, la requérante de la présente espèce n’a pas « séjourné » en Belgique « de façon presque ininterrompue », mais a passé sept mois, durant la période de référence, en dehors de ce pays, en effectuant les stages mentionnés aux points 5 et 6 du présent arrêt.

50      Deuxièmement, si le séjour de la requérante en Belgique après ses études était manifestement constitutif d’une résidence habituelle au sens de la jurisprudence citée au point 45 du présent arrêt (vu que « de façon habituelle » elle « habitait » et « exerçait son activité professionnelle principale », au sens de la disposition litigieuse, à Bruxelles), force est de constater que ce séjour n’a pas immédiatement fait suite aux études, mais a débuté presque huit mois après la fin de celles-ci. Le séjour en question ne peut ainsi pas être considéré comme constituant un ensemble avec les études et reflétant un état d’esprit constant de la requérante de fixer en Belgique le centre habituel et permanent de ses intérêts.

51      Troisièmement, durant la période séparant la fin des études de la requérante à Louvain et son premier contrat de travail avec lieu d’exécution à Bruxelles, la requérante a effectué deux stages se déroulant en dehors de la Belgique, sans que ce choix lui soit imposé, ce qui constitue un indice allant à l’encontre de l’existence d’une volonté de la requérante de transférer en Belgique le centre de ses intérêts quelques mois auparavant, lorsqu’elle a commencé ses études à la KUL.

52      Quatrièmement, le premier des deux stages susmentionnés s’est déroulé à Sofia, à savoir dans le pays où se trouvait la résidence habituelle de la requérante à la veille de ses études à Louvain (voir points 41 à 43 du présent arrêt). Même s’il agit d’un stage de très courte durée, allant du 7 juillet au 31 août 2003, le choix d’effectuer celui-ci dans son pays d’origine démontre, en principe, l’intention de la requérante de conserver ses liens avec ce pays, peut-être en vue d’un retour définitif, et plaide ainsi en faveur de l’idée suivant laquelle sa résidence habituelle, autrement dit son centre d’intérêts, avait été maintenu en Bulgarie pendant ses études universitaires en Belgique. L’argument de la Commission selon lequel la requérante a pendant cette période loué un appartement au lieu d’habiter celui dont elle était propriétaire, lequel était occupé par des membres de sa famille, ne saurait infirmer cette conclusion ; en effet, la simple circonstance d’être locataire ou propriétaire de son logement dans un pays — fait qui relève de la liberté d’organiser sa vie personnelle et familiale — ne peut pas influer sur l’établissement ou non du centre de ses intérêts dans ledit pays. Au demeurant, la Commission elle-même reconnaît que le fait que la requérante est propriétaire d’un appartement à Sofia est sans incidence sur le litige (voir point 35 du présent arrêt). S’agissant, par ailleurs, du stage à Paris, il convient de constater, indépendamment même de l’argument de la requérante tiré de la nécessité d’obtenir une couverture sociale valable dans toute l’Union européenne (voir point 26 du présent arrêt), que la circonstance que ce stage a été effectué via la KUL s’inscrit tout simplement dans le choix de la requérante de compléter ses études entamées à Sofia par des études à Louvain, ces dernières ne pouvant nullement, en elles-mêmes, marquer un déplacement du lieu de la résidence habituelle (voir, en ce sens, arrêt Asturias Cuerno/Commission, précité, points 73 et 74).

53      Cinquièmement, la requérante a démontré qu’à l’issue du second stage, lequel s’est déroulé à Paris du 1er octobre 2003 au 29 février 2004, elle a recherché un emploi stable dans cette ville et que c’est faute d’avoir pu obtenir un tel emploi qu’elle a accepté le poste qui lui était proposé par le CEA à Bruxelles (voir point 7 du présent arrêt). Ainsi, la volonté certaine de la requérante d’exercer une activité professionnelle en dehors de la Belgique souligne le caractère temporaire de son séjour dans ce pays et est révélatrice du fait que la requérante n’avait pas noué avec la Belgique les liens étroits inhérents à la notion de « résidence habituelle ».

54      Sixièmement, et en tout état de cause, aucune pièce du dossier ne fait apparaître un élément quelconque de nature à refléter une volonté de l’intéressée de nouer des liens durables avec la Belgique.

55      Les considérations qui précèdent ne sont pas tenues en échec par l’argument de la Commission tiré de ce que la requérante, d’une part, était inscrite, après la fin de ses études universitaires et pendant presque toute la période de référence, au registre belge des étrangers, d’autre part, avait demandé de se faire adresser sa correspondance à Bruxelles. En effet, un tel argument, qui tend à démontrer de la sorte le déplacement de la résidence habituelle de la requérante en Belgique du fait de ses études à Louvain, doit être écarté comme inopérant, ce essentiellement pour les motifs exposés au point 43 du présent arrêt.

56      Pour ce qui est par ailleurs des amples références du mémoire en défense de la Commission à la finalité de l’indemnité de dépaysement, force est de constater que ce mémoire n’en tire aucune conclusion ni aucun argument en droit, en faisant par exemple valoir que la requérante n’aurait pas démontré que son entrée en fonctions aurait provoqué des charges et inconvénients du type de ceux que l’indemnité de dépaysement vise à compenser. De tels arguments et conclusions ne sauraient en toute hypothèse prospérer ; les conditions d’octroi de l’indemnité de dépaysement sont en effet celles posées par la disposition litigieuse et ne portent pas sur la démonstration de l’existence de charges et inconvénients provoqués par l’entrée en fonctions de l’intéressé. De surcroît, invoquer la jurisprudence sur la finalité de l’indemnité de dépaysement afin de faire valoir que, au cas où le transfert de la résidence habituelle de l’intéressé au pays de son entrée en fonctions aurait déjà eu lieu quelques années auparavant, mais en toute hypothèse durant la période de référence prévue par le statut, l’intéressé ne subirait pas des charges et désavantages au moment de son entrée en fonctions et n’aurait dès lors pas droit à l’indemnité de dépaysement, reviendrait à méconnaître directement la lettre même de la disposition litigieuse. Une telle interprétation ne saurait ainsi être admise.

57      Les études de la requérante à Louvain n’ayant dès lors pas marqué un déplacement de sa résidence habituelle de la Bulgarie vers la Belgique, il y a lieu d’accueillir le moyen de la requérante et de constater que le bénéfice de l’indemnité de dépaysement lui a été refusé à tort. En effet, selon la jurisprudence, le fonctionnaire perd le bénéfice de l’indemnité de dépaysement uniquement si c’est durant la totalité de la période de référence, qu’il a eu sa résidence habituelle ou a exercé son activité professionnelle principale dans le pays du lieu de son affectation (voir arrêt du Tribunal de première instance du 14 décembre 1995, Diamantaras/Commission, T‑72/94, RecFP p. I‑A‑285 et II‑865, point 48).

58      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.

 Sur les dépens

59      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du chapitre huitième du titre deuxième dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

60      Il résulte des motifs énoncés dans le présent arrêt que la Commission est la partie qui succombe. En outre, la partie requérante a, dans ses conclusions, expressément conclu à ce que la partie défenderesse soit condamnée aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner la partie défenderesse aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
(première chambre),

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 10 juillet 2008 refusant à Mme Tzvetanova le bénéfice de l’indemnité de dépaysement prévue à l’article 4 de l’annexe VII du statut est annulée.

2)      La Commission européenne supporte l’ensemble des dépens.

Gervasoni

Kreppel

Tagaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 mars 2010.

Le greffier

 

      Le président

W. Hakenberg

 

      S. Gervasoni


* Langue de procédure : le français.